par
Ouattara Zana
Département Elevage de l'Institut des Savanes (IDESSA-DE), B.P.1152, Bouaké, Côte d'Ivoire
Résumé
Le développement de la traction animale en Côte d'Ivoire est directement lié à l'intensification de la culture du coton. Le cheptel de trait est en rapide augmentation, sauf dans la zone ouest où le nombre d'utilisateurs de la traction animale (TA) est en régression. 80% du cheptel est regroupé dans la zone nord. Les équipements sont généralement achetés d crédit et fournis par la CIDT (Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles), seul fournisseur. Les travaux culturaux pratiqués en TA pour la culture du coton, mais, riz et arachide sont limités au labour, semis et billonnage. Les paysans n'utilisent pas les herses et préfèrent le sarclage manuel, même si le matériel de TA nécessaire est disponible.
La surface emblavée en culture attelée totalise 80.070 hectares toutes cultures confondues (campagne 1985/86) soit 25% des surfaces agricoles. En 1986/87, ce chiffre est passé d 96.250 hectares, 50% en cultures vivrières et 50% en culture du coton. 24% des surfaces ainsi emblavées ont été semées mécaniquement. La culture attelée concerne 28% de la production cotonnière avec un rendement moyen de 1285 kg/ha (moyenne nationale: 1170 kg ha-1). En 1960, on comptait 320.000 bovins dont 200 de trait, en 1980, environ 920.000 bovins dont 39.100 bovins de trait. Dans certaines régions la modification du paysage agricole par la culture attelée a permis un passage progressif d la motorisation intermédiaire avec 193 tracteurs dans la zone nord, 119 dans la zone agricole ouest et 112 dans la zone centrale.
Introduction
Corrélative de la culture du coton en Afrique occidentale, la traction animale (TA) commence à s'implanter solidement sur le territoire de la Côte d'Ivoire Les enquêtes menées par Kesse (1986), Lhoste (1987) et par Robinet et Gouet (1987) indiquent que les effectifs des bovins de trait sont partout en augmentation rapide, mais sont très inégalement répartis selon les différentes zones agricoles.
Comme précurseur à la motorisation, la traction animale vise à intensifier l'agriculture dans les régions de savanes. Plus aisément accessible que la motorisation, son implantation exige moins de connaissances techniques, de ressources financières, et d'infrastructures. Les premiers attelages ont été introduits par la Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles (CIDT). L'opération a commencé avec des bovins, malgré des difficultés variées et les préjugés religieux Depuis cette époque, on tend à appliquer cette méthode aux autres cultures du pays.
Animaux de trait
Les animaux de trait de la Côte d'Ivoire sont principalement de races N'Dama et Baoulé reconnues pour leur trypanotolérance, avec une minorité d'animaux de race Zébu originaires des pays limitrophes du nord. Ces animaux et les métis obtenus à partir d'un croisement avec les races locales sont peu résistants à la trypanosomiase. Le taurin N'Dama, originaire du Fouta-Djallon en Guinée, est un animal rectiligne, médioligne, symétrique et aux cornes en lyre. La robe est souvent fauve ou noire avec des taches blanches localisées aux parties déclives du corps. C'est un animal râblé, aux membres courts, à encolure forte et au poitrail bien développé: il possède donc une bonne conformation pour la culture attelée. La race N'Dama se rencontre principalement dans la partie nord-ouest du pays.
Le taurin Baoulé, aussi connu sous l'appelation "African Shorthorn", et les bovins des lagunes sont des animaux de petite taille, aux cornes courtes. Les taurins Baoulé et "lagunaires" sont moins bien adaptés à la traction animale. Cependant, le croisement de la race Baoulé avec les races N'Dama et Zébu donne des métis possédant de bonnes qualités pour la culture attelée. Cette dernière race est surtout présente dans le nord, le nord-ouest et la zone centrale de la Côte d'Ivoire.
Le Zébu Peul soudanien, animal de format moyen, aux cornes courtes ou de longueur moyenne et à robe souvent gris clair, se rencontre en culture attelée dans l'extrême nord du pays, zone de contact des aires de dispersion des trois races bovines (N'Dama, Baoulé, Zébu). Les métis zébus sont nombreux et vraisemblablement toujours croissants (CIPEA, 1979) dans cette zone de contact. Ils présentent une excellente conformation pour la traction animale et une croissance rapide par rapport à leurs ancêtres locaux. En moyenne, l'âge de la mise des taurins au travail se situe entre trois ou quatre ans. Les animaux métis atteignent plus rapidement le poids vif minimum requis pour la culture attelée et sont donc mis au travail vers l'âge de deux ou deux ans et demi.
En général, les animaux de trait sont fournis aux paysans après dressage par la CIDT. Les propriétaires d'un troupeau de bovins restent une source d'approvisionnement individuel. Dans ce cas, le dressage est assuré par le nouveau propriétaire.
Équipements de culture attelée
Les paysans achètent habituellement leurs équipements grâce au crédit offert par la Banque Nationale pour le Développement Agricole (BNDA). Le crédit est subordonné à un apport personnel de 10% du montant global. Il porte sur trois ou quatre ans selon le type d'acquisition: matériel seul, matériel et une paire de boeufs, ou une paire de boeufs seule.
La CIDT, seul fournisseur en matériel de traction animale, ne met à la disposition des paysans que les équipements strictement essentiels à la culture attelée. L'équipement minimal possédé par les paysans pratiquant la culture attelée se compose d'un multiculteur, une charrue, un butteur et un canadien. Le semoir, la herse et la charrette ne sont pas considérés comme essentiels et sont seulement livrés aux paysans qui en font la demande explicite. Cette politique de diffusion du matériel de culture attelée tient compte du niveau d'endettement et de la capacité de remboursement des paysans.
Une enquête menée par Robinet (1987) à Dianra a révélé que près de la moitié des paysans propriétaires d'une herse ne s'en servent jamais, sauf pour le semis du riz à la volée. Le semoir et la charrette sont très demandés pour le semis des céréales et du coton, le transport des récoltes, de l'eau, des travailleurs, et du sable pour les travaux de maçonnerie pendant les périodes intercampagnes. L'utilisation du semoir et de la herse est un des thèmes de vulgarisation retenus par la CIDT au cours de la campagne agricole 1985/86: 572 semoirs et 145 herses ont été mis en place (Kesse, 1986).
Travaux en culture attelée
Ces travaux sont essentiellement le labour, le semis et le billonnage des cultures de coton, mais, riz et arachide. Le sarclage manuel est préféré au sarclage mécanique qui est rarement pratiqué même lorsque le matériel existe. Le labour est de loin l'opération culturale la plus pratiquée en traction animale. Sur sol humide et moyennement lourd, le labour peut atteindre 15 cm de profondeur. Les reprises de labours se pratiquent souvent pour l'ameublissement ou le sarclo-ameublissement du lit du semis. Le semis de coton, mais et arachide, pratiqué à plat, intervient après le labour, précédant un billonnage pour le coton et le mais, quelque 20 à 30 jours après le semis. Le sarclage manuel retarde l'exécution des autres opérations et a une incidence négative sur le rendement.
Une paire de boeufs en bonne santé, bien dressée, conduite par un adulte et un enfant, laboure 5 ha de coton, 2 ha de mais, 3 ha de riz et 1 ha d'arachide en 26 jours de travail effectifs. Selon Robinet (1987), la journée de travail des animaux de trait est de 4 h 30, dont 3 h 30 le matin. Cependant, plusieurs auteurs (Ministère de la Coopération, 1974) estiment que les bovins peuvent fournir un effort maximum continu de six heures par jour.
Evolution des effectifs
Selon Lhoste (1987), "la traction animale et notamment l'utilisation des bovins de trait apparaît comme un facteur déterminant de l'évolution des systèmes de production des zones cotonnières. A ce titre, la paire de boeufs de trait est encore souvent considérée comme un facteur de production agricole avec toute la logique associée à ce point de vue: boeufs lourds, donc âgés, bien dressés, efficaces pour le travail du sol".
L'intensification de la culture du coton est directement liée à l'évolution de la traction animale, elle-même dépendante de la croissance de l'élevage en Côte d'Ivoire. Malgré la situation défavorable des années 60 (320.000 bovins dont 200 de trait) causée par le manque de jeunes animaux, l'absence de tradition pastorale et la volonté politique de mécanisation; la Côte d'Ivoire comptait au début des années 80 environ 920.000 bovins dont 39.100 bovins de trait (tableau 1).
La longue série d'échecs de la motorisation en milieu paysan et au niveau des entreprises agricoles para-étatiques a conduit dans les années 70 à une nouvelle politique agricole orientée vers la traction animale. Entre 1970 et 1975, les effectifs des animaux de trait ont été multipliés par 26. Ils ont doublé en 1980 et triplé en 1985. A l'intérieur des zones et entre les zones, la traction animale reste marquée par des disparités importantes (tableau 2).
Tableau l: Evolution du cheptel et des boeufs de trait en Côte d'Ivoire
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Cheptel bovin |
Boeufs de trait |
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1960/65 |
320 000 |
200 |
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1965/70 |
385 000 |
250 |
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1970/75 |
465 000 |
6 500 |
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1975/80 |
670 000 |
24 500 |
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1980/85 |
920 000 |
39 100 |
Sources: CIDT et SODEPRA
Si le cheptel des animaux de trait de la zone agricole nord représente plus de 80% de l'effectif global, la région de Bouna-Bondoukou, à l'intérieur de cette même zone, ne connaît qu'un développement très faible de la traction animale (0,1%). Les progrès de la traction animale dans la zone nord sont largement dus à l'ancienneté de la culture cotonnière et de l'implantation de la traction bovine. L'absence totale de tradition pastorale chez les paysans de la zone agricole centrale et la pression glossinaire dans certaines régions (Bouna, Mankono) freinent fortement le développement de la culture attelée. Cependant, le nombre d'utilisateurs de la traction animale dans la zone agricole ouest, contrairement aux autres zones, a connu une régression progressiv: 1.735 en 1980 contre 1.078 en 1985. L'année 1986 a vu une légère hausse (1.336 utilisateurs). Les raisons de cette régression sont multiples et restent à élucider.
Tableau 2: Distribution géographique de la culture attelée en Côte d'Ivoire
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Nord |
Centre |
Ouest |
Total |
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Utilisateurs TA |
12602 |
227 |
1 336 |
14 165 |
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Boeufs TA |
34 873 |
541 |
3 646 |
39 060 |
Source: CIDT
Evolution des modes de production
La proportion de la culture manuelle du coton diminue d'année en année au profit de la culture attelée. En 1986, les superficies en culture attelée complait 39.620 hectares sur un total de 153.050 ha de coton, soit 25%. En 1980, les attelages ont préparé 18% des cultures de coton (21.560 ha sur 122.990 ha) et en 1975, 5% (2.740 ha sur 58.760 ha). Les dis parités mentionnées plus haut se répercutent sur les modes de production. Dans la zone nord, en 1986, l'emblavure en culture attelée représentait en moyenne 45% des superficies cultivées, alors que cette moyenne est de 25% au niveau national. Pour la culture du coton, la moyenne nationale de la culture attelée est de 48%. (Rapport CIDT, 1986).
Dans les zones cotonnières, la traction animale intervient pour une large part dans la préparation des cultures vivrières et a connu une progression de 24,5% en 1986 par rapport à l'année précédente (de 40.450 ha à 50.350 ha). Selon le rapport CIDT 1987, le semis attelé concerne 24% des surfaces labourées en culture attelée dont 51,5% en riz, 34% en coton, et 15% en mais. Les résultats de cette évolution se traduisent par la production en 1987 de 59.143 tonnes de coton-graine, soit 28% de la production nationale. Le rendement moyen de 1.286 kg ha-1 obtenu en traction animale au cours de la campagne 1986/87 est très légèrement supérieur à la moyenne nationale calculée sur les cinq dernières années (1.209 kg ha-1). Par ailleurs, notons qu'une enquête parallèle a révélé que la modification du paysage agricole par la traction animale (défrichage et essouchage plus intenses) a favorisé la motorisation intermédiaire d'un certain nombre d'exploitations par l'acquisition de 193 tracteurs dans la zone agricole nord, 119 dans la zone agricole ouest et 112 dans la zone agricole centrale.
Conclusion
La traction animale est en train de créer dans la zone des savanes un environnement technique favorable à la mutation de l'agriculture traditionnelle et manuelle vers une agriculture moderne mécanisée et intensive. Mais ce développement dépend de certains facteurs:
· disparités intra et inter-régionales, causées par la précarité de l'approvisionnement en jeunes animaux et par la pression glossinaire;· naissance d'une forme d'intégration agriculture-élevage soutenue par la formation des paysans aux techniques de culture attelée et par des activités de vulgarisation des techniques de fertilisation par fumure organique et végétale.
Il est impératif pour la zone des savanes essentiellement cotonnière de s'acheminer rapidement vers l'utilisation d'une chaîne plus complète de matériels de culture attelée. Une telle évolution permettra d'éviter les goulots d'étranglement dans la réalisation des travaux agricoles, et contribuera au développement général de la traction animale.
Abstract
In Côte d'Ivoire, animal traction development is directly related to the intensification of cotton cultivation. Draft cattle numbers are rapidly expanding, except in the western zone where animal traction users are decreasing. The northern zone contains 80% of the country's cattle. Animal traction equipment is usually bought on credit from the cotton development company, CIDT, the only supplier. Animal traction is used for cultivating cotton, maize, rice and groundnuts. The operations performed with animals are plowing, sowing and ridging. Harrows are not used and manual weeding is preferred, even if animal-drawn weeders are available.
The overall area cultivated with animal traction amounts to 80,070 hectares (1985-86 campaign) which represents 25% of the total cultivated area. In 1986-87, this figure increased to 96,250 hectares, half of which was used for cotton cultivation and the other half for food crop production. Seeders are used to plant 24% of the land cultivated with animal traction. 28% of national cotton production is now grown using animal traction, giving a mean output rate of 1286 kg ha-1 (national average: 1170 kg ha-1). In 1960, there were only 200 draft animals in a total of 320,000 cattle. By 1980, these figures had increased to 39,100 and 920,000 respectively. In some regions, changes in field conditions brought about by animal traction use have facilitated a transition towards motorization with 193 tractors in the northern zone, 119 in the western zone and 112 in the central zone.
Références
CIDT 1985-86. Rapport annuel d'activité. Direction Générale Mécanisation Agricole, Bouaké, Côte d'Ivoire. 322p. (F).
CIDT 1986-87. Rapport annuel d'activité (synthèse). Direction Générale Mécanisation Agricole, Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles (CIDT), Bouaké, Côte d'Ivoire. 97p. (F).
CIDT 1986-87. Rapport annuel. Direction Générale Mécanisation Agricole, Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles (CIDT), Bouaké, Côte d'Ivoire. 72p. (F).
CIPEA 1979. Le bétail trypano-tolérant d'Afrique occidentale et centrale, Tome 1: Situation générale; Tome 2: Situations nationales. International Livestock Centre for Africa (ILCA-CIPEA), Addis Ababa, Ethiopia. 115p. + 311p. (F,E).
Gouet G. 1988. Etude de l'élevage dans le développement des zones cotonnières (Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Mali). IEMVT, Maisons Alfort, France. 28p. (F).
Lhoste Ph. 1987. Etude de l'élevage dans le développement des zones cotonnières (Burkina Faso, Côte d'Ivoire et Mali). Elevage et relations agriculture-élevage: situation et perspectives. IEMVT/CIRAD Ministère de la coopération, Paris, France. 77p. (F).
Kesse T. 1986. Rapport annuel campagne 1985-86. Direction Générale Elevage et Association Agriculture-élevage. Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles (CIDT), Bouaké, Côte d'Ivoire. 39p. (F)
Ministère de la Coopération 1974. Mémento de l'agronome, Techniques rurales en Afrique: nouvelle édition. Ministère de la Coopération, Paris, France. (F).
Robinet O. 1987. Elevage bovin dans la zone de savane de Côte d'Ivoire: concurrence et complémentarité avec la culture cotonnière, Mémoire d'Etudes Supérieures en production animales en régions chaudes. CIRAD/IEMVT, Montpellier, France. 194p. (F).