Ce manuel fournit une description détaillée de la méthodologie et des procédures à suivre pour préparer localement et évaluer des avant-projets d'investissements ruraux en utilisant une approche participative.
Il est parfois possible de traiter rapidement la phase correspondant au Module 1, voire de s'en passer (voir Chapitre I. D.).
Toutefois, il est important de noter qu'un investissement ne vaut que par l'objectif auquel il répond; ainsi, même des ressources consacrées à un investissement apparemment réussi peuvent être mal utilisées si cet investissement ne répond pas à des contraintes majeures ou à des opportunités prioritaires pour la famille, le groupe ou la communauté qui en bénéficie. Le processus participatif qui permet d'identifier les contraintes clés et les besoins prioritaires, présenté dans le Module 1, a donc une grande importance et ne peut être ignoré tout simplement pour aller plus vite ou pour éviter de se lancer dans un processus qui demande du temps et des efforts.
Beaucoup de projets échouent simplement parce que l'objectif de l'investissement n'a jamais été défini clairement; ceci est particulièrement vrai pour les projets intéressant un groupe ou une communauté au sein duquel peuvent exister des intérêts divergents. Par exemple, une unité laitière peut être perçue par les agriculteurs locaux comme un moyen de vendre leurs surplus de lait, alors que les femmes du village peuvent y voir surtout une source d'emplois; le comité de développement du village, pour sa part, peut la voir comme une source de bénéfices pouvant être utilisés pour financer d'autres activités de la communauté. Ces objectifs ne sont pas nécessairement incompatibles mais une communauté qui n'a pas, dès le départ, clairement à l'esprit les principales contraintes à résoudre par un investissement, risque de connaître, plus tard, de sérieuses difficultés. En effet, à terme, les agriculteurs se plaindront que les prix élevés des produits laitiers, fixés par le comité de développement du village (pour augmenter les bénéfices) réduisent la demande pour leur lait, alors que le comité peut au contraire rejeter la responsabilité sur des coûts de production trop élevés en raison d'une main-d'uvre pléthorique permettant de créer des emplois dans le village.
Sauf dans le cas des investissements très petits ou très simples, la préparation des avant-projets ne constitue pas l'étape finale de l'analyse de l'investissement. Il est important de réaliser que, quelque soit la taille ou la complexité d'un investissement, le fait que l'avant-projet présente un résultat financier positif ne garantit pas que l'investissement vaille la peine d'être entrepris. L'avant-projet n'est en effet qu'une approche simplifiée et rapide, prévue pour être facilement comprise par les ruraux et les agriculteurs, et pour les mettre en garde contre les idées de projets qui ne seraient manifestement pas réalistes et nécessiteraient d'être repensées. De fait, les avant-projets ne tiennent pas compte d'aspects plus complexes qui devront être analysés avant qu'il soit décidé de financer un projet de plusieurs dizaines de milliers de dollars.
C'est pour cette raison que, dans la plupart des cas, un investissement qui paraît attractif au stade de l'avant projet devra faire ultérieurement l'objet d'une préparation de projet et d'une analyse détaillées; ce processus fait l'objet du Module 3. Dans le Module 3, une attention particulière est accordée à des facteurs tels que: l'évolution du projet au cours du temps, l'impact des frais financiers, le besoin en fonds de roulement et à une définition plus précise de la demande, des modalités de gestion et des aspects environnementaux (voir Chapitre III. C.).
Nombreuses sont les personnes qui n'ont pas une idée claire de ce qu'est un projet d'investissement; ceci devient particulièrement évident lorsque l'on passe de la phase d'identification participative des priorités locales d'investissement (Module 1), à la préparation et l'analyse de l'avant-projet (présent module). De ce fait, il est fréquent qu'émergent de la Phase I des idées qui ne sont pas susceptibles de constituer de réels projets et un certain temps peut donc être perdu à essayer de préparer des avant-projets dénués de sens. Il est donc utile que les techniciens de terrain discutent avec le groupe, au début de la préparation de l'avant-projet, et s'assurent que le groupe comprend ce qu'est et ce que n'est pas un projet d'investissement.
On peut, sommairement, définir un projet d'investissement de la façon suivante: Il s'agit d'une
"la dépense actuelle de ressources afin de générer des bénéfices dans le futur"
Les principaux éléments de cette définition sont que les ressources (sous forme d'argent, de terre, de travail, etc.) sont utilisées pendant l'année en cours mais que les bénéfices seront générés au cours des années futures. Si les bénéfices sont dégagés la même année, par exemple dans le cas d'engrais appliqués sur une culture en cours, il ne s'agit pas d'un investissement, mais de l'achat d'intrants pour des opérations courantes.
La plupart des projets d'investissement génèrent un flux de bénéfices; c'est-à-dire qu'un seul investissement entraînera des bénéfices chaque année pendant un certain nombre d'années à venir. Il est aussi important de se rappeler que les bénéfices ne doivent pas nécessairement être monétaires; il est parfois même difficile de les quantifier. Ainsi, les bénéfices de la construction d'une route d'accès à un village peuvent être substantiels, mais il est souvent difficile de les définir précisément. Ils peuvent comprendre: (i) un meilleur accès des ruraux aux services sociaux de la ville la plus proche; (ii) un accès de la communauté aux intrants plus facile et à meilleur marché; (iii) une expédition facilitée des produits vers les marchés extérieurs; (iv) l'établissement de nouveaux commerces dans la communauté et; (v) la réduction de la migration des jeunes qui ne se sentent plus isolés et qui ont de meilleures possibilités d'emploi au niveau local.
Les impacts d'un projet d'investissement ne sont pas tous positifs. Dans l'exemple ci-dessus, la route d'accès peut entraîner une déforestation plus rapide autour de la communauté et une augmentation de l'érosion des pentes à proximité de la route. Pour cette raison, il peut être nécessaire, en préparant un projet, d'y inclure des mesures visant à réduire ses impacts négatifs (voir Chapitre IV. F. et manuel de Module 3).
D'après la définition donnée ci-dessus, les dépenses d'éducation et de formation peuvent être classées comme projet d'investissement, car elles impliquent d'utiliser des ressources maintenant (pour former une personne) pour en tirer un profit dans l'avenir (lorsque la personne utilisera sa formation). Bien que ceci soit théoriquement correct, beaucoup d'institutions financières sont réticentes à financer des projets locaux d'investissement basés uniquement sur l'éducation et la formation, en partie parce qu'il est difficile, sinon impossible, de s'assurer que la personne formée restera dans le poste pour laquelle il ou elle a été formé. Si elle le quitte, sa formation profitera à son nouvel employeur ou à l'activité qu'elle conduira ailleurs, peut-être même dans un autre pays. De plus, il est plus facile de suivre et de contrôler des activités d'investissement dans le cas d'objets physiques. Si le projet consiste à construire une serre pour la production florale par exemple, il est relativement aisé de contrôler que la serre a été bien construite. Ceci ne veut pas dire que la formation ne puisse pas faire partie d'un projet d'investissement; de fait, c'est souvent un élément important des projets d'investissement. Toutefois, dans de tels cas, les coûts de formation ne représentent qu'un élément d'un investissement plus important.
Il existe trois principaux stades dans la préparation et l'utilisation des avant-projets: (a) l'identification de projets d'investissement potentiels; (b) la définition et la préparation des avant-projets correspondant à ces investissements; et (c) l'évaluation préliminaire des projets proposés sur la base des avant-projets. Ces stades sont brièvement discutés ci-dessous.
1. Identification de projets d'investissement ruraux potentiels
Un plan de développement local ou autre outil du même type peut définir clairement les domaines d'investissement prioritaires d'un groupe ou d'une communauté. Toutefois, un plan de développement local ira rarement jusqu'à définir des projets spécifiques capables de répondre aux priorités identifiées et détaillera encore plus rarement les investissements permettant de concrétiser ces projets. En conséquence, il sera généralement nécessaire que le fonctionnaire responsable du développement au niveau de la communauté, vulgarisateur ou autre technicien de terrain travaillant avec elle, organise une ou plusieurs réunions participatives pour identifier les interventions spécifiques qui répondraient le mieux aux besoins identifiés par la communauté au cours du processus de planification locale.
Ceci peut nécessiter d'aider les membres du groupe à comprendre la nature d'un projet d'investissement et les investissements nécessaires, et de veiller à ce que le groupe soit réaliste sur ce qui peut être fait; par exemple, si la communauté est isolée, sans voies d'accès pour les véhicules ni possibilité d'accès à d'autres services publics, la construction d'un hôpital ne sera pas une option sérieuse; par contre, un dispensaire communautaire peut être envisagé.
Il est recommandé que la communauté ou le groupe identifie une liste initiale de trois à cinq projets potentiels, car tous ne seront pas réalisables et certaines propositions peuvent être rejetées par l'institution financière car ne répondant pas à un ou plusieurs critères d'éligibilité. Par exemple, un projet de distribution d'eau potable peut paraître possible et être hautement prioritaire pour le groupe promoteur, mais peut nécessiter un investissement par bénéficiaire qui dépasse le plafond prévu par l'institution de financement.
Un tel exemple illustre combien il est important d'expliquer aux porteurs de projets, dès le début de la phase de préparation des avant-projets, les restrictions qui peuvent exister quant à la nature, l'utilisation et le montant du financement disponible. Certains financements sont des emprunts et sont ainsi limités aux investissements capables de générer des revenus permettant de rembourser le prêt. Beaucoup de sources de financement exigent une contribution de la part du groupe ou de la communauté, toutefois le niveau de la contribution peut varier suivant le type de projets. Peu d'institutions financeront des activités dommageables pour l'environnement; toutefois, la définition de ce qui est considéré comme dommageable peut varier dans une large mesure d'une institution à l'autre.
2. Définition et préparation des avant-projets
Le Module 2 est centré sur la préparation des avant-projets. Il est essentiel que celle-ci se fasse au sein de la communauté ou de la région où vivent les porteurs de projets, et que la préparation ne soit pas transférée, pour des questions de convenance, dans les bureaux de l'institution technique, où seule participerait, au mieux, une poignée de villageois qui pourraient être intimidés par un environnement non familier. Aucun équipement compliqué n'est nécessaire à cette tâche. Bien qu'un tableau soit utile, celui-ci peut être facilement remplacé par de grandes feuilles de papier accrochées aux murs d'une salle de classe, d'une salle de réunion ou d'une maison privée, en utilisant des agrafes ou des punaises. Des marqueurs épais sont nécessaires lorsque l'on utilise du papier, car la majorité du groupe aura du mal à lire les noms et les chiffres écrits avec un stylo à bille ordinaire.
Lorsque RuralInvest a commencé à être utilisé, de nombreuses personnes doutaient que les ruraux, souvent analphabètes, puissent réellement comprendre le processus de préparation et d'évaluation d'une proposition de projet et y contribuer. L'expérience a clairement démontré que ceci était faux. Tous les participants peuvent ne pas être capables d'interpréter ce qui est écrit au tableau (le terme "semoir" par exemple, ou "pompe d'irrigation"); ils comprendront certainement les chiffres écrits à côté. Nous reviendrons sur ce sujet lorsque nous discuterons de la phase d'évaluation de ce module.
Il est important, lorsque cela est possible, que les promoteurs conduisent leurs propres recherches sur les coûts et les prix relatifs à l'idée de projet qu'ils veulent voir réalisée, et qu'ils le fassent avant la session de préparation de l'avant-projet. Si le groupe pense qu'une société de transport côtière, gérée par la communauté, contribuera largement à résoudre les principales contraintes de la région, il est préférable qu'il ait une idée de ce que coûteront les bateaux, les moteurs hors-bord et le carburant nécessaire. Bien sûr, cela n'est pas toujours possible. Ainsi, des communautés indigènes de l'Equateur avaient décidé de préparer un avant-projet pour lequel il était important de fournir l'électricité pour l'éclairage et le pompage de l'eau en utilisant des panneaux solaires. On ne pouvait s'attendre à ce que ces communautés aient une expertise dans ce domaine; il fût donc nécessaire de consulter des experts extérieurs capables de fournir les informations de base sur le coût, la durée de vie et la capacité de tels panneaux. Les membres des communautés auraient été toutefois capables de définir beaucoup d'autres coûts associés au projet, tels que celui des lignes électriques nécessaires à l'éclairage le long de la voie publique principale, de la pompe et du château d'eau.
Lorsque la proposition de projet n'est pas trop complexe et que le groupe a réalisé un travail préliminaire, il est généralement possible de préparer un avant-projet en quelques heures, quelquefois moins. On peut souvent préparer de trois à cinq avant-projets dans la journée, particulièrement si la communauté a sélectionné à l'avance les individus ou groupes chargés de recueillir l'information nécessaire à chaque proposition. Mais, si le groupe ou la communauté ne s'est pas accordé sur les principaux éléments et qu'il est mal préparé, une longue et fastidieuse journée peut ne pas être suffisante pour préparer correctement et évaluer un seul avant-projet.
3. Evaluation préliminaire
L'évaluation préliminaire d'un avant-projet s'appuie sur un petit nombre d'indicateurs de base. Ceux-ci sont décrits et discutés dans les Sections V.F. et V.G. Dans l'ensemble, ces indicateurs fournissent une grille très générale pour l'étude de la viabilité du futur projet. Excepté dans le cas de projets très petits ou très simples, ces indicateurs sont encore insuffisants pour décider de financer un projet; trop d'aspects sont imprécis incertains et trop de facteurs ne sont pas pris en compte. Toutefois, ces indicateurs permettent de déterminer s'il est intéressant de consacrer le temps et les ressources nécessaires à la préparation détaillée du projet.
Du fait des simplifications employées, si un projet ne semble pas possible au stade de l'avant-projet, il y a peu de chances qu'il présente de l'intérêt par la suite. Aussi, les projets qui échouent à ces tests simples doivent-ils être rejetés dans l'état actuel, c'est à dire abandonnés ou restructurés pour améliorer les points faibles.
Les indicateurs utilisés pour évaluer un avant-projet varient selon que le projet vise à générer ou non des revenus, c'est-à-dire selon que le projet est justifié sur la base de sa profitabilité ou de son impact social, environnemental, ou tout autre critère non monétaire. Pour les projets visant à générer des revenus, les dépenses doivent être inférieures aux recettes, et le revenu net doit être suffisant pour rembourser l'investissement initial dans un délai raisonnable, ainsi que pour financer un éventuel remplacement des machines et équipements utilisés. Pour les projets ne générant pas de revenu, le but est de maintenir les investissements et les coûts de fonctionnement par bénéficiaire à un niveau acceptable, et d'identifier les sources de main-d'oeuvre et de financement nécessaires par la suite au fonctionnement et à l'entretien de l'investissement (école, route, etc.).