S. Guinko et L.J. Pasgo
Se fondant sur une étude de marché, cet article présente des informations quantitatives et qualitatives sur la consommation et la commercialisation, par une population rurale soudano-sahélienne, de produits comestibles d'arbres et d'arbustes.
Sita Guinko est associé avec le Laboratoire de botanique et biologie végétale de l'Université d'Ouagadougou, Burkina Faso.
Lamouusa Joseph Pasgo est au Ministère de l'environnement et du tourisme du Burkina Faso.
Dans une conférence sur les productions coloniales végétales et l'agronomie tropicale, le Professeur Auguste Chevalier (cité par Bognounou, 1987) rapportait cette réflexion philosophique de Bernardin de St-Pierre: «Il n'y a pas une plante sur la terre qui n'ait quelque rapport avec les besoins de l'homme et ne serve par quelque partie à sa table, à son vêtement, à son toit, à ses plaisirs, à ses remèdes ou à son foyer.»
Dans la zone soudano-sahélienne, où les produits cultivés sont quelquefois aléatoires en raison des variations pluviométriques, les plantes ligneuses locales occupent une grande place dans la vie socio-économique des populations rurales. Il apparaît alors important de prendre en compte, dans le potentiel alimentaire du pays et dans la politique d'aménagement des formations naturelles, les produits non ligneux des arbres et des arbustes.
Situé entre 12° et 13° de latitude nord et entre 1° et 2° de longitude ouest, le département de Zitenga (voir carte), d'une superficie de 750 km2, regroupe 61 villages avec une population totale d'environ 42000 habitants. Le climat est du type nord-soudanien avec une pluviométrie moyenne de 659 mm (moyenne de 1970-1989), une saison sèche de sept mois (de novembre à mai) et une saison pluvieuse de cinq mois (de juin à octobre), le maximum des pluies tombant en août.
La végétation est surtout constituée de savane arborée dominée par des espèces ligneuses protégées: Butyrospermum paradoxum ssp. parkii (karité), Parkia biglobosa (néré), Adansonia digitata (baobab), Tamarindus indica (tamarinier) et Lannea microcarpa. La principale activité de la population locale est l'agriculture céréalière: Pennisetum americanum (mil chandelle), Sorghum bicolor (sorgho), Zea mays (maïs).
Les produits comestibles de la forêt sont cueillis sur les arbres ou ramassés par terre, essentiellement par les femmes et les enfants. Ces produits - feuilles, fleurs, fruits, graines ou tubercules - sont consommés soit sur place immédiatement (fruits), soit après cuisson (fleurs), soit après un long traitement (beurre de karité, soumbala, etc.).
De nombreux éléments végétaux sont consommés à l'état frais, crus ou cuits. Certains entrent surtout dans la préparation des sauces comme condiments; d'autres sont séchés et conservés et peuvent être commercialisés ou consommés tout au long de l'année. Le tableau 1 fait le point de toutes les espèces dont les éléments non ligneux sont consommés dans le département de Zitenga. La période de plus grande activité pour la cueillette se situe en juin-juillet.
De nos jours, les produits non ligneux des arbres et arbustes du département de Zitenga font l'objet d'une commercialisation intense (voir tableau 2). Deux raisons essentielles expliquent cela: le manque d'activités lucratives permettant aux femmes de faire face aux besoins de la famille, surtout pendant la saison sèche, et la proximité d'Ouagadougou (52 km), ce qui favorise les échanges commerciaux.
Etude de la méthodologie
Pour mieux comprendre l'importance économique des produits comestibles de la forêt, les auteurs ont étudié pendant sept mois (d'août 1989 à février 1990) les périodes d'apparition de ces produits sur les marchés de Zitenga et l'évolution des prix par unité de poids. Les pesées ont été effectuées deux fois par mois et portaient sur tous les produits non ligneux vendus à l'unité de base, qui est le tas ou le plat yoruba.
TABLEAU 1. Produits non ligneux consommés dans le département de Zitenga
Nom scientifique |
Nom vulgaire français |
Nom local (mooré) |
Organes utilisés |
Période de récolte |
Possibilités de conservation à sec |
Acacia macrostachya |
- |
Zamnega |
Graines |
Déc.-janv. |
Oui |
Adansonia digitata |
Baobab |
Toeega |
Feuilles, fruits |
Mai-juill. |
Oui |
Afzelia africana |
- |
Kankalga |
Jeunes feuilles |
Avril-mai |
Non |
Annona senegalensis |
- |
Barkudga |
Fleurs, fruits |
Juill.-août |
Oui (fleurs) |
Balanites aegyptiaca |
Dattier sauvage |
Keglga |
Jeunes feuilles, fleurs |
Avril-mai |
Non |
Bombax costatum |
Kapokier rouge |
Voaaka |
Calice, fleurs |
Déc.-janv. |
Oui |
Boscia senegalensis |
- |
Lamboetga |
Jeunes feuilles, fruits |
Juin-août |
Non |
Butyrospermum paradoxum |
Karité |
Taanga |
Fruits, graines |
Juin-août. |
Oui (graines) |
Diospyros mespiliformis |
Ebénier |
Gaanka |
Fruits |
Déc.-févr. |
Oui |
Lannea microcarpa |
Raisinier |
Sabga |
Fruits |
Juin-juill. |
Oui |
Leptadenia hastata |
- |
Lelongo |
Feuilles, fruits |
Avril-mai |
Non |
Parkia biglobosa |
Néré |
Roaga |
Fruits, graines |
Mai-juin |
Oui |
Piliostigma reticulatum |
- |
Bagen Gnanga |
Jeunes feuilles |
Juin-juill. |
Oui |
Saba senagalensis |
- |
Wedga |
Fruits |
Juin-août |
Non |
Sclerocarya birrea |
Prunier jaune |
Noabga |
Fruits |
Juin-août |
Non |
Tamarindus indica |
Tamarinier |
Pusga |
Feuilles, fruits |
Avril-juill. |
Oui |
Vitex doniana |
Prunier noir |
Aadga |
Jeunes feuilles, |
Avril-mai |
Non |
|
|
|
fruits |
Nov.-déc. |
Non |
Ziziphus mauritiana |
Jujubier |
Mugnuga |
Fruits |
Janv.-févr. |
Oui |
Le plat yoruba est une assiette dont le volume est de 2,5 dm3 et le poids moyen de 360 g. Le tas est un petit amas de produits pouvant comprendre une dizaine ou une vingtaine d'éléments, selon leur grosseur.
Une estimation quantitative des produits a été faite dans les marchés tous les 21 jours. Cette période a été retenue pour éviter de recenser deux fois les produits invendus, les marchés ayant lieu tous les trois jours. Le coût total des produits non ligneux vendus a été également estimé par jour de marché.
Résultats
Au cours des sept mois d'enquête menée sur les marchés de Zitenga, les auteurs ont inventorié 18 produits. Certains sont vendus régulièrement: graines de Parkia biglobosa, à l'état brut ou sous forme transformée en soumbala (sorte de moutarde); feuilles d'Adansonia digitata; calices de Bombax costatum; amandes et beurre de karité; miel. Les autres produits apparaissent de façon saisonnière (voir tableau 2).
L'importance économique des produits comestibles de la forêt s'apprécie également par le nombre de personnes qui les vendent (91 pour cent sont des femmes). Chaque jour de marché, de 31 à 110 personnes vendent des feuilles de baobab, des calices de Bombax costatum, des amandes et du beurre de karité, des graines de néré, des fruits et des feuilles de tamarinier. Les autres produits sont vendus par 3 à 30 personnes en moyenne, chaque jour de marché. L'analyse du prix moyen de vente des produits au kilogramme montre que le prix des produits les plus courants excède 200 FCFA (0,70 dollar U.S..) le kilogramme. Parmi ceux-ci, citons le soumbala, le beurre de karité, le calice de Bombax costatum, le miel, etc. A titre de comparaison, indiquons les prix des céréales de base: de 58 à 103 FCFA pour le mil chandelle et de 50 à 82 FCFA pour le sorgho.
Evolution du prix de vente et de la quantité des produits sur les marchés de Zitenga
De septembre à octobre, les femmes sont très occupées par les travaux des champs. La quantité de produits forestiers se trouvant sur le marché est donc relativement faible et constante durant cette période. La moyenne était de 1331 kg par jour de marché, pour une valeur d'environ 205000 FCFA (730 dollars) (voir figure).
De novembre à décembre, à la fin des travaux des champs, les activités du marché étaient intenses. De nombreux produits apparaissaient sur le marché, et la quantité moyenne de produits non ligneux vendus chaque jour de marché était de 2557 kg pour une valeur de 232000 FCFA. Le soumbala occupait la première place avec 1638 kg pour une valeur de 54000 FCFA. Les tamarins atteignaient 163 kg pour une valeur de 35000 FCFA.
En décembre-janvier, les activités du marché se sont ralenties, en raison sans doute des fêtes (Noël, Nouvel An), mais les activités ont repris vers la fin de janvier. Le soumbala occupait toujours une place prépondérante avec 471 kg pour une valeur de 188000 FCFA, mais de nouveaux produits saisonniers apparaissaient: tamarins, calices de Bombax costatum, fruits de Ziziphus mauritiana, fruits et graines de Balanites aegyptiaca, graines d'Acacia macrostachya, etc.
TABLEAU 2. Produits non ligneux vendus sur les marchés de Zitenga
Nom scientifique |
Nature du produit |
Etat du produit |
Prix/unité locale de mesure |
Prix moyen/kg |
Nombre de vendeurs |
Saison |
|
Frais |
Sec |
(FCFA) |
(FCFA) |
||||
Acacia macrostachya |
Graines |
· |
· |
200-250/plat |
98 |
5 |
Déc.-févr. |
Adansonia digitata |
Feuilles |
· |
· |
25/tas |
33 |
2 |
Août-sept. |
|
Feuilles |
|
· |
75-100/plat |
217 |
6 |
Oct.-févr. |
Balanites aegyptiaca |
Fruits |
|
· |
150-250/plat |
113 |
8 |
Déc.-oct. |
|
Graines |
|
· |
150-250/plat |
113 |
27 |
Janv.-févr. |
Bombax costatum |
Calice |
· |
|
25/tas |
678 |
20 |
Déc.-févr. |
|
Calice |
|
· |
125-250/plat |
625 |
20 |
Août-févr. |
Butyrospermum paradoxum |
Amandes |
|
· |
75-100/plat |
35 |
26 |
Août-févr. |
|
Beurre |
· |
|
200-500/écuelle |
298 |
20 |
Août-févr. |
Diaspyros mespiliformis |
Fruits |
· |
|
5/tas |
40 |
10 |
Déc.-févr. |
Parkia biglobosa |
Graines |
|
· |
350-450/plat |
164 |
6 |
Août-févr. |
Piliostigma reticulatum |
Feuilles pilées |
· |
|
25/tas |
293 |
- |
Août |
Tamarindus indica |
Fruits |
|
· |
25/tas |
50 |
- |
Oct.-févr. |
|
Feuilles pilées |
· |
|
25/plat |
57 |
20 |
Août-sept. |
Vitex doniana |
Fruits |
· |
|
5/plat |
37 |
3 |
Déc.-janv. |
Ziziphus mauritiana |
Fruits |
|
· |
5/tas |
83 |
8 |
Déc.-janv. |
- |
Miel traditionnel |
Liquide |
|
1500/bouteille de 1l |
1500 |
1 |
Août-févr. |
En février et au début de mars, on a noté une baisse de la quantité des produits sur le marché, liée sans doute à l'épuisement des stocks et à la période des funérailles; les marchés étaient peu animés.
Les produits comestibles des arbres et arbustes jouent un rôle fondamental dans l'alimentation des populations rurales de Zitenga. Les produits les plus recherchés et les plus consommés sont les suivants: calices de Bombax costatum, graines de Parkia biglobosa sous forme de soumbala, amandes de Butyrospermum paradoxum ssp. parkii pour la fabrication du beurre, fruits de Tamarindus indica, feuilles d'Adansonia digitata.
Par rapport aux produits cultivés (graines de Sorghum bicolor et de Pennisetum americanum), les apports en protéines et en glucides des produits de la forêt sont certainement faibles. Cependant, les produits forestiers sont très riches en vitamines et constituent certainement un supplément important dans l'alimentation des populations rurales, qui est essentiellement à base de farine de mil.
Sur le plan économique, l'importance de ces produits n'est pas du tout négligeable. Les prix moyens de 10 produits courants atteignent 200 FCFA le kilogramme et le coût total des produits non ligneux vendus un jour de marché à Zitenga s'élève en moyenne à 232000 FCFA.
Le revenu individuel potentiel varie selon les produits, la saison et le nombre de vendeurs, mais il est en général bien supérieur au salaire journalier minimal qui est de 1045 FCFA. Par exemple, en novembre, les six vendeurs de soumbala ont gagné chacun en moyenne 9000 FCFA par jour de marché et, pendant la même période, les vendeurs de tamarins ont gagné 1750 FCFA.
Dans les pays soudano-sahéliens frappés par la sécheresse persistante, on se préoccupe de plus en plus de la pénurie de bois de feu, qui entraîne aussi celle des produits comestibles de la forêt. Or, ces produits sont rarement considérés dans les programmes de gestion des formations naturelles. Il s'agit là d'une lacune qui mérite beaucoup d'attention de la part des responsables des programmes d'aménagement des formations naturelles. En raison de leur importance alimentaire et économique, les produits comestibles des arbres et des arbustes doivent être pris en compte dans les plans d'aménagement et de gestion des formations naturelles.
Bognounou, O. 1987. Recueil des communications présentées au séminaire national sur les essences forestières locales tenu à Ouagadougou, 6-10 juillet 1987.
Guinko, S. 1985. La végétation et la flore du Burkina Faso (stencil). Ouagadougou, Ministère de l'environnement et du tourisme (MET).
Guinko, S. 1990. Choix de quelques espèces ligneuses spontanées pour les programmes d'amélioration génétique et de reforestation. Document n° 0001/MET/SG/CMSF/T/90. CNSF, Ouagadougou.
Hagbers, S. & Coulibaly, E. 1989. Etude de marché des produits forestiers. Document de travail n° 8. Banfora, FAO/MET.
Pasgo, L.J. 1990. Utilisation et commercialisation des produits ligneux et non ligneux des essences forestières locales dans le département de Zitenga (province d'Oubritenga). Mémoire IDR, ISN-IDR. Université d'Ouagadougou.