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La lutte contre la désertification en URSS

A. Babaev et N. Kharin

Le présent article décrit brièvement les travaux de l'Institut du désert de l'Académie des sciences de la RSS de Turkménie, Ashkabad (URSS) sur l'accroissement de la productivité des écosystèmes arides et la stabilisation des sables mobiles. Une prévision de la désertification dans le proche avenir est également présentée.

Agadzhar Babaev est président de l'Académie des sciences de la RSS de Turkménie, Ashkabad (URSS).

Nicolaï Kharin est chef du laboratoire de télédétection de l'Institut du désert de l'Académie des sciences de la RSS de Turkménie.

Note: Le présent article est adapté d'une contribution volontaire au 10e Congrès forestier mondial.

En URSS, les déserts occupent plus de 210 millions d'ha, soit environ 10 pour cent de la superficie totale des terres. Près de 94 pour cent de ces déserts se trouvent dans trois républiques: Kazakhstan, Ouzbékistan et Turkménistan, où ils couvrent une vaste zone située entre 36 et 48° de latitude nord et 48 et 82° de longitude est. Les déserts sont des étendues au climat très chaud et sec, où les précipitations sont rares (moins de 300 mm par an) et la végétation relativement clairsemée. Les déserts d'URSS sont en grande partie situés dans des plaines et ce qui reste de massifs anciens, dont l'altitude est inférieure à 400 m.

Selon leurs caractères lithologiques et leur modelé, on distingue les déserts de sable, de pierre ou de limon et les déserts salés. Les déserts de sable occupent environ 40 pour cent des superficies désertiques. Ils se sont formés sur d'épais dépôts mous de sable d'origine fluviatile ou littorale. Ce sont ces déserts qui ont la végétation la plus productive. On y trouve l'espèce connue dans le monde entier du saxaoul (Haloxylon persicum, H. aphyllum).

Il ne faut pas sous-estimer le rôle actuel et potentiel des déserts dans l'économie de l'URSS. Il y a quelque 65 millions d'ovins et de caprins dans les parcours désertiques d'Asie centrale et du Kazakhstan, qui produisent 190000 tonnes de laine par an, outre de la viande et d'autres sous-produits (Babaev, Manakov et Nikolaev, 1986). Environ 6,6 millions d'ha de sols fertiles sont améliorés et utilisés pour l'agriculture sur le territoire des trois républiques; chaque année, on y produit quelque 7 millions de tonnes de coton brut (soit 81 pour cent de la production brute de coton de l'URSS). Qui plus est, les déserts sont riches en pétrole, gaz et autres ressources minérales et ils ont un vaste potentiel de loisirs, bien que celui-ci reste encore pratiquement inexploité.

La désertification des terres arides en URSS

Selon la carte de la désertification des terres arides de l'URSS imputable aux activités humaines, au 1:2500000 (Kharin et al., 1988), réalisée par l'institut du désert de l'Académie des sciences de la RSS de Turkménie, 60 pour cent de la superficie des terres arides sont, à divers degrés, en cours de désertification (voir tableau 1). La carte indique les modifications survenues dans cette zone désertique pendant les 20 dernières années (1965-1986). Elle donne aussi des renseignements sur divers facteurs qui provoquent la désertification, notamment la densité de population, le surpâturage, les risques naturels de désertification, le rythme de celle-ci, etc.

Les principales causes de la désertification dans les zones arides d'URSS sont le surpâturage et la coupe des arbustes du désert (essentiellement saxaoul), qui fournissent du bois de feu. Au cours de la dégradation, la composition des associations de végétaux se modifie, la productivité biologique diminue et la stabilité des écosystèmes arides se détériore. Par exemple, la production annuelle moyenne (rendement en fourrage) de parcours désertiques intacts ou légèrement touchés est de l'ordre de 0,7 à 1,4 t/ha. Si les parcours sont très dégradés, elle tombe à 0,4 t/ha ou moins encore.

TABLEAU 1. La désertification des terres arides d'URSS, 1965-1985

Territoire

Superficie des zones arides

Causes de la désertification dans les zones touchées

Superficies non atteintes

(milliers d'ha)

Dégradation de la végétation

Erosion éolienne

Erosion hydrique

Salinisation

Désertification technologique

(pourcentage)


(pourcentage)

Kazakhstan

1089,4

45,0

-

-

7,5

5,6

41,9

Ouzbékistan

275,6

35,7

4,0

-

4,3

15,2

40,8

Turkménistan

417,5

43,6

11,5

2,9

5,4

3,1

33,5

Total

1782,5

43,2

3,3

0,7

6,5

6,5

39,8

TABLEAU 2. Méthodes recommandées d'établissement de plantations forestières selon l'humidité d'une épaisseur de 1 m de sol

Type de milieu naturel

Précipitations

Humidité d'une épaisseur de 1 m de sol

Méthode de mise en place

(Période)

(mm)

Semis

Plantation

Divers types de relief avec eaux souterraines profondes

Oct.-févr.

70

35



70-90

35-40


+

90

40

+

+

Mars-mai

70

45



70-90

45-55


+

90

55

+

+

Sables d'une épaisseur de 1,5 à 2 m sur dépôts de glaise

Oct.-févr.

50

35



50-70

35-40


+

70

40

+

+

Mars-mai

50

45



50-70

45-55


+

70

55

+

+

Sables avec eaux souterraines à une profondeur de 3 à 4 m

Oct.-févr.

50

35


+

0

40

+

+

Mars-mai

30-50

30-45

+

+





La désertification technologique (conséquence d'activités de construction ou de prospections géologiques) inflige des dégâts considérables aux zones arides de l'URSS, en particulier dans les déserts de sable, dont les écosystèmes sont éminemment instables. Dans les cas de grave désertification d'origine technologique, le couvert végétal est détruit sur 50 pour cent ou plus de la superficie.

La salinisation des sols est une autre cause importante de désertification (voir tableau 1). Dans les zones arides de l'URSS, elle s'explique à plus de 80 pour cent par la baisse du niveau de la mer d'Aral et par l'assèchement du golfe de Kara-Bogaz Gol, sur la mer Caspienne. Pour le reste, elle tient à des techniques d'irrigation inadaptées; dans certaines oasis (par exemple, Tedzjen, dans le Turkménistan), la salinisation atteint plus de 70 pour cent des terres, et la productivité de coton (principale culture) de ces terres pourrait baisser de 30 à 50 pour cent.

Boisement des déserts de sable

La mise en valeur des déserts par le boisement remonte à près d'un siècle en URSS. A la fin du 19e siècle, les forestiers russes se sont trouvés confrontés au difficile problème de la protection de la ligne ferroviaire transcaspienne contre les sables mobiles qui recouvraient les établissements humains et les terres productives. En 1925, plus de 80000 ha de terres irriguées étaient recouverts dans la basse vallée du Zéravchan. Dans l'oasis de Boukhara, les sables avançaient sur un front de 150 km de largeur (Petrov, 1950).

Les dégâts infligés à l'économie nationale par les mécanismes de dégradation des déserts de sable ont abouti à des efforts complexes et très importants de mise en valeur. Entre 1945 et 1955, quelque 640000 ha de sables mobiles ont été stabilisés et boisés dans le Turkménistan et l'Ouzbékistan (Petrov, 1977), éliminant totalement les dommages que causaient auparavant les avancées de sable dans les terres irriguées de l'oasis de Boukhara, et dans les basses vallées du Zéravchan et de l'Amou-Daria.

Aujourd'hui, on utilise différents types de rideaux-abris pour protéger certaines zones des déserts de sable en URSS (Svintsov, 1988). Les rideaux-abris sont généralement assez répandus - sur des largeurs de 4 à 20 m. Les espèces utilisées sont le plus souvent du genre Haloxylon, Salsola, Aellenia, Calligonum, Ephedra, etc. A l'intérieur de ces rideaux-abris et entre eux, le ralentissement du vent et la baisse des températures de l'air permettent de faire fléchir l'évaporation de 20 à 25 pour cent.

Les rideaux-abris sont mis en place soit par semis direct, soit par mise en terre de jeunes plantes ayant déjà des racines, selon les conditions écologiques (voir tableau 2) (Svintsov, 1988). Selon Svintsov, quelque 90000 ha de plantations forestières ont été mis en place chaque année dans le Turkménistan entre 1981 et 1983. Le taux de survie était de 68 à 84 pour cent pour les semis directs et de 58 à 94 pour cent pour les plantations. L'expérience de ces travaux menés dans le Turkménistan montre que l'investissement nécessaire la création de ceintures forestières était amorti en moins de 8 ans. La productivité des parcours augmentait en moyenne de 8 à 10 pour cent; en outre, on obtenait environ 9 m3 par ha de produits ligneux.

Amélioration des parcours dans le désert du Piémont

Le désert du piémont a plus de 150 millions d'ha de parcours arides. Au printemps, ces terres sont couvertes de végétation herbacée, mais à l'approche de l'été, les rendements et la qualité nutritionnelle des fourrages baissent fortement. La végétation herbacée se dessèche et les menues pailles sont emportées par les vents violents. En hiver, les restes d'herbe sont recouverts d'une couche de neige si épaisse qu'ils sont inaccessibles pour les ovins.

L'importance potentielle de ces zones a incité à procéder à des expériences et à des recherches concernant la possibilité d'améliorer les parcours et en particulier de mettre en place des phytocénoses culturales (PCC) - associations de différentes espèces - pour les pâturages dans les régions de Badkhyz et Karabil (RSS de Turkménie) (Nechaeva et Priod'ko, 1966). Il est d'autant plus important de ressemer différentes espèces que les ovins Karakul de ces régions ont besoin d'un fourrage plus diversifié que les autres animaux.

Ce territoire se caractérise par un modelé de collines de 600 à 900 m d'altitude, qui reçoivent des précipitations de l'ordre de 250 à 270 mm par an. Les associations de plantes les plus répandues sont les suivantes: Poa bulbosa/Carex pachystylis; Poa bulbosa/Carex pachystylis/Ferala badrakema.

Il y a quelque 65 millions d'ovins et de caprins dans les parcours désertiques d'Asie centrale et du Kazakhstan

TABLEAU 3. Composition recommandée des associations de plantes pour l'établissement de parcours pérennes d'automne-hiver

Types de plantes

Sur terres labourées

Sur sable légèrement stabilises

Sur sables mobiles

Arbustes

30

40

40

Formations semi-buissonneuses

60

30

10

Plantes vivaces

10

10

20

Plantes annuelles

-

20

30

Les recherches effectuées par l'Institut du désert ont montré qu'on obtient les meilleurs résultats en semant simultanément des arbustes des formations semi-buissonneuses et des graminées. Les groupes de plantes suivants se sont avérés prometteurs pour la création de PCC:

· Arbustes. Haloxylon persicum, Calligonum rubens, C. caputmedusae, C. microcarpum, C. setosum, Ephedra strobilacea, Salsola paletzkiana, S. ritcheri, Aellenia subaphylla.

· Formations semi-buissonneuses. Kochia prostrata, Salsola orientalis, Artemisia badhysi, A. kemrudica, A. turanica, Astragalus unifoliatus, Eurotia ceratoides.

· Plantes vivaces. Astragalus agameticus, Dorema aitchisonii, Ferula assafoetida, F. badrakema, Poa bulbosa.

· Plantes annuelles. Salsola paulsenii, Eremopirum orientalis, Cutandia memphitica, Eromus tectorum, Agriophyllum latifolium, Malcomia grandiflora.

On trouvera au tableau 3 (Nechaeva et Priod'ko, 1966) la composition recommandée des associations de plantes.

Etant donné que les espèces utilisées sont robustes, des techniques assez limitées (labour du sol, enrobage des semences) ont été suffisantes pour assurer une bonne germination et la croissance rapide de ces plantes. Du fait de la structure différente des espèces utilisées au-dessus et au-dessous du sol, on a pu utiliser différents niveaux d'espaces et de sols: jusqu'à 5 m de hauteur au-dessus du sol, et jusqu'à une profondeur souterraine de 20 m.

La biomasse totale aérienne et souterraine des parcours améliorés atteignait 230 m3/ha, contre 30 m3/ha dans les zones naturelles. La production de fourrages d'été a atteint 29 m3/ha, et en hiver on a enregistré une production de 4 à 8 m3/ha, contre environ 1 à 2 m3 dans les zones non améliorées.

Les dépenses engagées pour mettre en place les parcours d'hiver dans les déserts de piémont ont été amorties au bout de 2 à 3 ans. Ensuite, du fait de la bonne productivité et de la stabilité du milieu, les pâturages améliorés peuvent être utilisés sans dépenses supplémentaires pendant 15 à 20 ans.

Perspectives de la désertification

Lorsqu'on veut préparer des mesures de remise en valeur des écosystèmes arides, il est très important de prévoir l'évolution de la désertification dans les 20 à 30 prochaines années. L'Institut du désert a identifié un certain nombre de facteurs clés. L'approvisionnement en eau de la plaine qui se trouve au pied des contreforts du Kopet-Dag devrait augmenter grâce à l'utilisation du canal du Karakoum; ainsi, la superficie des terres désertifiées devrait diminuer dans cette région. L'humidité des sols s'améliorera aussi et la productivité des pâturages augmentera dans les deltas du Murgab et du Tedzhen, ainsi que dans l'espace compris entre ces cours d'eau.

En revanche, on attend une détérioration considérable de l'environnement dans la région de la mer d'Aral. L'irrigation des deltas de l'Amou-Daria et du Syr-Daria entraîne une disparition progressive de la mer d'Aral. En 1971, celle-ci occupait 66085 km2, en 1985, 28036 km2 et, selon les prévisions, elle ne couvrira en l'an 2000 que 2689 km2 (Akramov et Rafikov, 1990).

On attend aussi une nouvelle intensification de la désertification dans certaines régions du Kazakhstan. Dans la région de Mangyshlak-Oust-Ourt, il devrait y avoir un nouvel impact technologique sur l'écosystème aride. Dans la basse vallée de l'Oural, L'agriculture irriguée présente des risques de salinisation et de dégradation des sols. Dans le sud de la région de Balkhash, on prévoit aussi une progression de la désertification du fait de l'augmentation de la population bovine et de l'intensification des influences technologiques.

Cependant, les efforts fructueux évoqués plus haut ont montré que si on associe des activités humaines raisonnables et des mesures de conservation du milieu naturel, il est possible de stopper la désertification et de remettre en valeur les terres dégradées.

Bibliographie

Akramov, Z. & Rafikov, A. 1990. Le passé, le présent et l'avenir de la mer d'Aral, Tashkent. 143 p.

Babaev, A.G. & Freikin Z.G. 1977. Les déserts hier, aujourd'hui et demain. Moscou, Mysl'. 352 p.

Babaev A.G., Manakov, V.S. & Nikolaev V.N. 1986. Le potentiel vivrier des déserts. Problèmes de la mise en valeur des déserts, nº 4, p. 28-34.

Kharin, N.G. et al. 1988. Note explicative de la carte de la désertification des terres arides d'URSS imputable aux activités humaines (carte au 1/2500000). Ashkabad. Ylym. 24 p.

Nechaeva, N.T. & Priod'ko, S. Y. 1966. Amélioration des parcours d'hiver dans les déserts de piémont de l'Asie centrale. Ashkabad, Ylym. 61 p.

Petrov, M.P. 1950. La lutte contre les sables mobiles des déserts d'URSS. Moscou, Geografgiz. 350 p.

Petrov, M.P. 1977. La conservation du milieu naturel et la régénération des ressources naturelles. Moscou, Viniti. 175 p.

Svintsov, I.P. 1988. La mise en valeur forestière des déserts de sable du Turkménistan. Ashkahad Ylvm 1.59 p.


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