Il est significatif que les experts des pêches (y compris les économistes) soulignent l'importance, aux fins de la gestion, de deux concepts sous-jacents aux systèmes traditionnels d'aménagement des stocks. Il s'agit de la limitation du droit d'accès et de la participation locale. Dans certaines circonstances, divers experts notent aussi l'intérêt des saisons de fermeture (Bhukaswan, 1980: 51).
Les économistes, spécialistes de la gestion des ressources naturelles, ont expliqué à plusieurs reprises pourquoi des pêcheries commerciales ayant atteint leur maturité tendent à entamer leur déclin, qui correspond à notre quatrième étape (Crutchfield, 1982; Pearse, 1980). Ce “schéma dépressioniste” (selon Crutchfield) est imputable à l'afflux de pêcheurs dans une pêcherie propriété commune, permettant des profits (ou la subsistance au cours des années médiocres). A mesure qu'un plus grand nombre de pêcheurs entrent en compétition pour une ressource limitée, la surcapitalisation (Marr, 1976) risque de se produire sur les grandes étendues d'eau douce (y compris les grands lacs naturels et artificiels africains et quelques grands fleuves comme l'Amazone). Même lorsqu'il n'en est pas ainsi, les captures par unité d'effort, les recettes individuelles et le niveau de vie des pêcheurs régressent.
Pour résoudre le problème, il faut limiter l'accès à ces ressources. Sur le plan économique, l'aménagement rationnel d'une pêcherie exige la transformation de la propriété commune, grâce à un système d'accès limité, en vue d'optimiser ces avantages nets (MacKenzie, 1983: iii). Quant à la participation locale, grâce à la réinstauration et à l'adaptation des systèmes de gestion traditionnels et à la création d'institutions nouvelles, nous avons déjà cité un certain nombre d'experts des pêches militant en faveur d'une approche visant à lier la participation locale et l'accès limité en consentant aux communautés de pêcheurs un contrôle élargi sur une pêcherie limitée (Kapetsky, 1981; Christy, 1982 et Panayotou, 1982). Pour ce qui est des saisons de fermeture (et des secteurs fermés), Bhukaswan note leur utilité pour différentes pêcheries d'eau douce (notamment dans des réservoirs) en Asie (1980: 51–52), tandis que Welcomme (1979: 12) donne à entendre que le contrôle des saisons de pêche pourrait bien être la plus fiable des techniques de gestion actuellement privilégiées par les gouvernements pour les grands fleuves.
Dans ce contexte, il est déprimant de noter que quelques institutions gouvernementales (y compris les services des pêches) mettent l'accent sur n'importe laquelle de ces caractéristiques (exception faite, en partie, pour la saison de fermeture) en tant que mode majeur d'aménagement des pêcheries fluviales. Tout comme les pêcheurs sont une partie du problème, à la résolution duquel ils doivent être amenés à concourir, les services gouvernementaux y concourent, alors qu'ils continuent de mettre l'accent sur les mesures de régulation telles que les restrictions applicables aux engins, qui minent la rentabilité économique des unités de pêche. En outre, de telles mesures sont pratiquement inapplicables, sauf dans des conditions particulières, lorsque le recours au personnel des services des pêches pour faire appliquer les règlements porte préjudice à son efficacité en tant qu'agents vulgarisateurs et collecteurs de données.
En règle générale, ces mesures réglementaires découlent directement des restrictions placées par les gouvernements coloniaux sur les pêcheries traditionnelles, ou ont été influencées par elles. Dans l'ensemble, elles visaient à protéger le poisson plutôt qu'à améliorer le niveau de vie des communautés de pêcheurs. Les méthodes telles que l'utilisation du poison, qui était inconnues ou culturellement odieuses aux fonctionnaires coloniaux étaient interdites, alors même qu'aucune recherche n'avait été entreprise sur leurs répercussions effectives. Les fonctionnaires des pêches de rang inférieur, qui, actuellement, portent souvent le titre d'assistants pour les pêches, en contact direct avec les pêcheurs, étaient littéralement appelés “gardes du poisson” dans les anciennes colonies britanniques, leurs homologues dans les services des forêts et de la faune sauvage étant souvent appelés gardes forestiers et gardes du gibier. Leurs relations avec les collectivités locales tendaient à être antagonistes, le poisson, le gibier et les forêts devant être protégés contre la population locale par une série d'interdits strictement appliqués, dont les limitations applicables aux engins étaient les plus communs dans le cas des pêcheries. Comme nous l'avons vu, un droit d'accès restreint des communautés de pêcheurs locales aux ressources de poisson dont elles étaient tributaires était saboté, et non pas favorisé et doté d'un statut légal. Même certaines méthodes d'intensification telles que la pêche dans les parcs en branchages risquaient d'être considérées avec une certaine suspicion (Welcomme, 1979: 194).
Bien que de nos jours on se montre beaucoup plus désireux de procéder à des expérimentations, les approches à l'aménagement des pêcheries fluviales et autres formes artisanales offrent bien davantage de continuité avec le passé colonial que de changements. Et cependant tous les rapports soulignent l'irrationnalité économique de nombre de techniques actuelles de gestion, ainsi que l'inaptitude des pays tropicaux à les exécuter. Les récents rapports et lettres d'experts du développement de la pêche artisanale dans différents pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine soulignent les problèmes d'application. On trouvera ci-après un échantillon des réponses reçues à notre récente demande d'informations.
Gambie: Les informations de base suffisantes pour concevoir des stratégies telles que la clôture saisonnière ou zonale “font défaut”. Faire fond sur des mesures prédominantes en stipulant un maillage minimum est inefficace, pour différentes raisons, y compris la pénurie de main-d'oeuvre, l'inaccessibilité des pêcheries et la multiplicité des rôles du personnel des pêches, dont les fonctions de collecte des impôts ou de respect de la loi amènent les pêcheurs à perdre confiance et respect en eux.
Ouganda: Les départements du gibier, des pêcheries et des forêts demeurent handicapés par la pénurie de matériel … Les lacs sont exploités par une population désespérée augmentant à raison de 3,5 pour cent par an; le lac Kyoga est particulièrement sous pression.
Centre Afrique: Il est évident que les départements des pêches ne disposent pas du personnel nécessaire pour faire respecter les règlements.
Indonésie: L'application des règlements est pratiquement inexistante (avec l'exception notable de l'interdiction du chalutage …). Je juge que la participation locale est essentielle à l'application des règlements … (je soupçonne) que l'inexécution n'est que partiellement imputable au manque de personnel spécialisé … Dire à un pauvre pêcheur qu'il ne doit pas utiliser un filet d'une certaine longueur ou d'un certain maillage n'a pas de sens. Il ne cherche qu'à gagner sa vie.
Bassin de l'Amazone: Les Indiens de l'Amazone, par exemple, tireraient avantage de la légalisation et de la protection de leurs terres traditionnelles et de leurs ressources inhérentes; toutefois cette légalisation … demeure sans effet dans la plupart des secteurs.
Le Costa Rica: Bien que la pêche continentale à des fins commerciales soit interdite par la loi, il faut citer entre autres problèmes la pêche illicite qui est destructrice, car elle a recours à des méthodes telles que les explosifs, les poisons, la lime, l'arbaleta, la tarraya, etc. La pêche commerciale est illicite, (et) ne bénéficie pas de l'appui logistique et de personnel … pour le Département de la faune sauvage.
Honduras: Je tiens avant tout à vous informer que, vu l'exiguité du budget de la région, il n'a pas été possible d'exécuter un programme d'aménagement des pêcheries dans notre pays.
Si l'on envisage le futur, il importe que les départements des pêches modifient leur façon de voir l'aménagement des pêcheries fluviales, lorsqu'ils travaillent avec les communautés locales pour les aider à accroître leur production et à élever leur niveau de vie. Ces doubles buts ne peuvent devenir compatibles que si une restriction du droit d'accès est combinée avec une participation locale soutenue par le gouvernement et une multitude d'autres méthodes de gestion, qui sont examinées dans la dernière section du présent rapport. Même si les techniques de gestion actuelles étaient à la hauteur de la tâche (et il n'est guère prouvé que de tels cas existent), la plupart des gouvernements tropicaux ne disposent pas des ressources financières et des effectifs pour les exécuter. Ne serait-ce que pour cela, leur application, pour être couronnée de succès, doit bénéficier de la compréhension et d'un appui puissant des communautés de pêcheurs elles-mêmes.