Il a été proposé pour la première fois dans les années 70 d'atténuer les changements climatiques mondiaux par la foresterie (Dyson, 1977), mais il a fallu attendre la fin des années 90 pour que des négociations internationales examinent cette possibilité à l'échelle de la planète, demandent que soit défini et évalué le rôle des forêts et proposent un mécanisme pour la collaboration internationale.
En 1992, la Convention-cadre sur les changements climatiques (CCCC) a été adoptée du fait que le monde entier se préoccupait du réchauffement de la planète. La Convention vise à stabiliser la concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l'atmosphère pour tenter de réduire les perturbations anthropiques du système climatique mondial. Les pays industrialisés et les pays en transition parties à la CCCC (inscrits sur la liste de l'Annexe 1 - Parties) se sont engagés à effectuer des inventaires nationaux des émissions de gaz à effet de serre et des puits de carbone, et à faire en sorte de progresser vers les objectifs volontaires de réduction des émissions. À la troisième session de la Conférence des Parties, tenue à Kyoto (Japon), en décembre 1997, un autre instrument juridiquement contraignant, dit Protocole de Kyoto, a été adopté. Trente-neuf pays développés (liste légèrement modifiée des pays de l'Annexe 1 - Parties) ont pris l'engagement de réduire leurs émissions de GES d'au moins 5 pour cent par rapport aux niveaux de 1990, entre 2008 et 2012. Les Parties peuvent s'acquitter de cet engagement en réduisant les sources ou en protégeant ou en renforçant les puits de gaz à effet de serre. Le Protocole de Kyoto prévoit l'inclusion de changements résultant d'activités humaines directement liées au changement d'affectation des terres et à la foresterie, et limitées au boisement, au reboisement et aux mesures visant à éviter le déboisement.
Le Protocole de Kyoto établit aussi un cadre pour la cession de «crédits de pollution» entre les Parties. Il introduit trois mécanismes flexibles permettant aux pays signataires de s'acquitter intégralement ou partiellement de leurs engagements: projets entrepris conjointement par les pays de l'Annexe 1 (activités exécutées conjointement), projets entre pays de l'Annexe 1 et autres pays (Mécanisme pour un développement propre) et échange de droits d'émissions. Bien que le Protocole de Kyoto ne soit pas encore en vigueur et que l'on n'ait pas encore 14 décidé si les forêts seront incluses, en tant que puits, dans les mécanismes flexibles, l'impact potentiel du résultat des négociations impose un examen attentif du rôle des forêts dans le contexte du changement climatique.
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat 15 (IPCC) estime que la température moyenne globale de la superficie terrestre a augmenté de 0,3 à 0,6 °C au cours du siècle écoulé (IPCC, 2000). On prévoit que le réchauffement de la planète provoquera au cours du prochain siècle d'importantes variations des régimes climatiques qui risquent d'avoir des effets néfastes sur les biomes régionaux et mondiaux. Il est désormais généralement admis que la première cause de cette modification de la température de la planète est l'augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, principalement de dioxyde de carbone (CO2), de méthane (CH4) et d'oxyde nitreux (N2O). Le CO2, qui est le plus important de ces gaz , est responsable d'environ 65 pour cent de l'effet de serre. L'augmentation des concentrations atmosphériques de CO2 , depuis le début de la révolution industrielle, a été provoquée par les activités anthropiques, en particulier par la combustion de combustibles fossiles, la production de ciment et le déboisement.
Les écosystèmes terrestres jouent un rôle important dans le cycle du carbone à l'échelle mondiale. D'après les estimations, 125 gigatonnes (Gt) 16 de carbone sont échangées chaque année entre la végétation, les sols et l'atmosphère, ce qui représente les deux cinquièmes des échanges totaux de carbone entre la terre et l'atmosphère (voir figure 18).
FIGURE 18 Estimation du cycle du carbone actuel, à l'échelle mondiale1 |
1TTous les chiffres sont indiqués en gigatonnes (Gt) de carbone (1 gigatonne = 1 milliard de tonnes). Note: L'ampleur des flux entre l'atmosphère, les océans et la biosphère terrestre est encore mal connue et actuellement à l'étude. |
Les forêts contribuent pour environ 80 pour cent à ces échanges. En effet, elles absorbent du carbone, mais en libèrent aussi. Le déboisement est une importante source d'émissions de carbone: il est presque certain que les déboisements des années 80 ont provoqué un quart des émissions anthropiques totales de CO2 (Houghton, 1999) 13..Il a toutefois été suggéré que pendant les 50 années à venir, la biosphère terrestre soit gérée de manière à conserver ou à fixer entre 60 et 87 Gt de carbone dans les forêts, et entre 23 et 44 Gt de carbone dans les terres agricoles (Brown et al., 1996).
Le carbone s'accumule dans les écosystèmes forestiers car ils absorbent du CO2 atmosphérique qui est assimilé dans la biomasse. Le carbone est retenu dans la biomasse vivante (bois sur pied, branches, feuilles et racines) et dans la biomasse morte (litière, débris de bois, matière organique du sol et produits forestiers). Toute activité ayant une incidence sur le volume de biomasse présent dans la végétation et dans le sol est susceptible de fixer du carbone provenant de l'atmosphère ou de libérer du carbone dans l'atmosphère. Globalement, les forêts renferment à peine plus de la moitié du carbone présent dans la végétation terrestre et dans le sol, soit quelque 1 200 Gt de carbone (voir figure 19).
FIGURE 19 Stocks de carbone terrestre, par type d'écosystème |
Note: 1 gigatonne (Gt) = 1 milliard de tonnes. Source: Dixon et al., 1994; Schlesinger, 1997. |
Les forêts boréales contiennent plus de carbone que tout autre écosystème terrestre (26 pour cent des stocks totaux de carbone terrestre), contre 20 pour cent et 7 pour cent respectivement pour les forêts tropicales et tempérées (Dixon et al., 1994). La végétation des forêts a une densité en carbone beaucoup plus élevée que tout autre type de végétation des autres écosystèmes terrestres (voir figure 20).
FIGURE 20 Densité de carbone au-dessus du sol de certains types de végétation |
Source: IPCC, 2000. |
Le carbone retenu dans le sol et dans la litière des écosystèmes forestiers représente aussi une part importante des réserves totales. À l'échelon mondial, le carbone du sol représente plus de la moitié du carbone stocké dans les forêts, avec toutefois des variations considérables suivant les types d'écosystèmes et de forêts. Entre 80 et 90 pour cent du carbone présent dans les écosystèmes des zones boréales est stocké sous forme de matière organique, alors que, dans les forêts tropicales, le carbone est à peu près également réparti entre la végétation et le sol (voir tableau 10).
TABLEAU 10
Densité et stock de carbone, dans la végétation et les sols des différents écosystèmes | ||||||
Écosystème |
Pays/région |
Densité du carbone de la végétation (tonnes/ha) |
Densité du carbone du sol (tonnes/ha) |
Stock de carbone dans la végétation (Gt) |
Stock de carbone dans le sol (Gt) |
Stock total de carbone (Gt) |
Boréal |
Fédération de Russie |
83 |
281 |
74 |
249 |
323 |
Canada |
28 |
484 |
12 |
211 |
223 | |
Alaska |
39 |
212 |
2 |
11 |
13 | |
Tempéré |
États-Unis |
62 |
108 |
15 |
26 |
41 |
Europe |
32 |
90 |
9 |
25 |
34 | |
Chine |
114 |
136 |
17 |
16 |
33 | |
Australie |
45 |
83 |
18 |
33 |
51 | |
Tropical |
Asie |
132-174 |
139 |
41-54 |
43 |
84-97 |
Afrique |
99 |
120 |
52 |
63 |
115 | |
Amérique |
130 |
120 |
119 |
110 |
229 | |
Note: 1 gigatonne (Gt) = 1 milliard de tonnes. |
Cette différence s'explique principalement par l'influence de la température sur les taux relatifs de production et de dégradation de la matière organique. À des altitudes élevées (climats plus frais), la matière organique du sol s'accumule, car elle est produite à un rythme plus rapide qu'elle ne se décompose. En revanche, à basse altitude, les températures plus chaudes favorisent une décomposition rapide de la matière organique du sol et le recyclage ultérieur des éléments nutritifs.
La distribution de tous les biomes forestiers a été considérablement modifiée depuis la moitié de la dernière ère glaciaire (il y a environ 18 000 ans), où le climat était à la fois plus frais et plus aride qu'aujourd'hui. Les forêts boréales et tempérées du nord se sont contractées sous l'effet de l'avancée des couches de glace et de la toundra par le nord et de l'expansion de la végétation semi-désertique et de la toundra par le sud, alors que les forêts ombrophiles tropicales ont été réduites à de petits îlots, à mesure que la savane s'étendait. La quantité de carbone stockée dans les biomes terrestres était inférieure de 25 à 50 pour cent à son niveau actuel. Les réserves de carbone terrestre étaient à leur maximum, pendant la période holocène inférieure chaude et humide, il y a environ 10 000 ans; elles ont ensuite décliné d'environ 200 Gt pour tomber à leur niveau actuel (2 200 Gt de carbone), probablement parce que le climat est progressivement devenu plus frais et plus aride.
Alors qu'avant le XIXe siècle, les activités humaines - feu, utilisation de combustibles et déboisement - n'avaient qu'une faible influence sur le stockage de carbone terrestre, depuis le début de la révolution industrielle, elles ont un effet majeur sur le cycle du carbone à l'échelle mondiale. Entre 1850 et 1980, plus de 100 Gt de carbone - soit environ un tiers des émissions anthropiques totales de carbone de la période - ont été libérées dans l'atmosphère par suite de changements dans l'utilisation des terres (Houghton, 1996).
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, c'est principalement dans les régions tempérées que les forêts ont été défrichées ou dégradées. Au XXe siècle, la superficie de forêts tempérées s'est, dans une large mesure, stabilisée et les forêts tropicales sont devenues la principale source d'émissions de CO2 provenant d'écosystèmes terrestres (Houghton, 1996). Aujourd'hui, le couvert forestier est en légère hausse dans les pays développés: entre 1980 et 1995, il a augmenté en moyenne de 1,3 million d'hectares par an (FAO, 1999d). Au cours des dernières décennies, de nombreuses régions de forêts tempérées (comme l'Europe et l'est de l'Amérique du Nord) sont devenues de modestes puits à carbone grâce à l'établissement de plantations, au recrû des forêts sur des terres agricoles abandonnées et à l'accroissement du volume sur pied dans les forêts. À l'inverse, les forêts tropicales sont devenues une importante source d'émissions de carbone; dans les zones tropicales, le taux de déboisement a été estimé à 15,5 millions d'hectares par an durant la période 1980-1995 (FAO, 1999d).
On estime que, dans les années 80, les émissions nettes de carbone dues à un changement d'affectation des terres ont été de 2 à 2,4 Gt par an (voir figure 21), ce qui représente entre 23 et 27 pour cent des émissions anthropiques totales (Houghton, 1999; Fearnside, 2000). Le déboisement des forêts tropicales est responsable de la majorité des émissions de carbone résultant d'un changement dans l'utilisation des sols. Le brûlage de la biomasse libère aussi d'autres gaz à effet de serre, notamment du méthane et de l'oxyde nitreux.
FIGURE 21 Émissions de carbone dérivant d'un changement d'utilisation des terres |
Source: Houghton, 1999. |
Le brûlage de la biomasse forestière est à l'origine de 10 pour cent des émissions mondiales de méthane. La dégradation des forêts se traduit aussi par une perte de carbone. Les émissions annuelles nettes dérivant de la dégradation des forêts tropicales durant les années 80 sont estimées à 0,6 Gt de carbone (Houghton, 1996). En Asie tropicale, la perte de carbone imputable à la dégradation des forêts est pratiquement égale à celle provoquée par la déforestation.
Il est de plus en plus évident que les altérations des concentrations de gaz atmosphériques dues aux activités humaines ont une incidence sur le cycle du carbone dans les forêts. Les concentrations de CO2 atmosphérique à l'échelle mondiale sont passées de 280 ppm avant la révolution industrielle à 370 ppm en l'an 2000, et les taux de retombées d'azote dans les forêts situées à proximité de régions industrielles ont sensiblement augmenté. Ces deux effets conduiront probablement à une augmentation de la croissance et de la productivité des plantes. Dans des parcelles d'échantillonnage permanentes établies dans des forêts climaciques d'Amérique du Nord et du Sud, la biomasse forestière a sensiblement augmenté ces dernières années. Le renforcement de l'absorption du carbone dans les régions forestières est également démontré par des mesures micrométéorologiques des flux de CO2 au-dessus des forêts et par des évaluations des distributions du CO2 atmosphérique à l'échelle des continents. Selon certaines études, grâce aux effets combinés de la déforestation, du recrû des forêts dégradées et du renforcement de la croissance des forêts existantes, entre 1 et 3 Gt de carbone sont absorbées chaque année, ce qui compense à peu près les émissions mondiales dues à la déforestation (Mahli, Baldocchi et Jarvis, 1999).
Si la température à la surface de la terre augmente comme prévu au cours du XXIe siècle, tous les écosystèmes connaîtront la période de changement climatique la plus rapide depuis la fin de la dernière ère glaciaire. Ce changement affectera la distribution et la composition des forêts et les stratégies de gestion devront tenir compte des perspectives de déplacement rapide des zones climatiques et des limites des écosystèmes.
L'Encadré 16 présente les impacts prévus sur les principaux types de forêts, dans le cadre de scénarios ressortant des modèles IPCC des changements climatiques mondiaux au XXIe siècle. Si les modèles sont relativement cohérents dans leurs prévisions du réchauffement de la planète, ils le sont moins en ce qui concerne les variations des régimes pluviométriques. Tous ces scénarios supposent qu'il n'y aura pas de grande «surprise» 19. Sur la base des scénarios de prévisions climatiques de l'IPCC, les changements clés attendus vers la fin du XXIe siècle sont les suivants:
Des prévisions climatiques régionales sont nécessaires pour déterminer les effets sur les forêts. En général, les prévisions relatives aux températures régionales sont fiables. Les plus fortes hausses de températures se vérifieront dans les régions d'altitude du Nord, alors que les augmentations seront plus faibles plus près des tropiques et dans les régions à forte influence océanique. Les précipitations augmenteront à l'échelle mondiale mais, au niveau régional, les prévisions sont moins fiables. Globalement, les principaux changements climatiques déterminant les taux de croissance des forêts seront les hausses de températures à des latitudes supérieures, et les variations des précipitations, à des latitudes inférieures. Toutes les régions, où la température augmentera et où les précipitations resteront inchangées ou s'affaibliront, enregistreront une diminution notable de l'humidité du sol qui limitera la croissance des végétaux et augmentera les risques d'incendie. D'importants incendies risquent de détruire de vastes étendues de forêt.
Des peuplements forestiers existants survivront peut-être pendant quelque temps sous le nouveau climat, mais les réactions à long terme dépendront de la capacité qu'auront les espèces de s'adapter aux nouvelles conditions ou de modifier leur répartition géographique. Cette capacité sera déterminée par la variation inter et intraspécifique des réactions physiologiques aux variations de la température, de la concentration de CO2, de l'humidité du sol et, dans quelques zones, de l'accroissement des dépôts d'azote. Elle sera aussi fonction des types de sol et des relations écologiques entre les espèces qui affectent la pollinisation, la dispersion et les dégâts dus à des attaques d'herbivores ou de ravageurs et d'agents pathogènes. La nature du paysage et l'intensité des activités humaines auront aussi une influence. Par exemple, le morcellement des habitats aura une incidence sur la capacité qu'ont les espèces de modifier leur aire de répartition géographique pour s'adapter à l'évolution des écosystèmes. Les montagnes pourront être des refuges particulièrement importants en cas de réchauffement climatique car de nombreuses espèces préféreront déplacer leur aire de répartition à une altitude plus élevée vers un climat plus frais, plutôt qu'à des latitudes supérieures sur de grandes distances. Les modifications de la répartition des espèces pourront conduire à de nouveaux assemblages d'espèces et à la disparition de certaines autres.
Les altérations du couvert forestier pourraient avoir des effets de rétroaction sur le climat en modifiant les températures de surface et en influençant les concentrations de CO2 atmosphérique. Les forêts ont un albédo plus faible (c'est-à-dire qu'elles réfléchissent moins de lumière) que d'autres écosystèmes et, grâce à leurs systèmes radiculaires étendus, elles atteignent plus facilement l'eau du sol que d'autres types de végétation. De ce fait, elles absorbent plus d'énergie solaire, ce qui peut conduire à un réchauffement, et perdent plus d'eau par évaporation, ce qui peut entraîner un refroidissement. Dans les zones tropicales, les processus d'évaporation tendent à dominer et l'effet net des forêts est de rafraîchir et d'humidifier l'atmosphère, alors qu'à des altitudes plus élevées, les effets de l'albédo sont plus importants, d'où un réchauffement local.
Trois stratégies peuvent être adoptées pour gérer le carbone des forêts (voir tableau 11). La première consiste à augmenter la quantité ou le taux d'accumulation du carbone par la création ou le renforcement de puits de carbone (fixation du carbone). La seconde consiste à prévenir ou à réduire le taux de libération du carbone déjà fixé dans les puits existants (conservation du carbone). La troisième consiste à réduire la demande de combustible fossile en augmentant l'utilisation de bois, sous forme de produits durables (substitution de matériels à forte consommation d'énergie, comme l'acier et le béton), ou de biocombustibles (substitution du carbone). Ces stratégies peuvent éventuellement être combinées. Un certain nombre d'initiatives de fixation et de conservation du carbone ont déjà été mises au point, notamment des Activités exécutées conjointement 20 dans le cadre des projets de changement d'affectation des terres et de foresterie de la CCCC, en rapport avec le carbone.
Le potentiel de fixation du carbone des activités de boisement ou de reboisement est fonction de l'espèce, de la station et du type d'aménagement adopté, et, par conséquent, très variable. Normalement, les taux de fixation, en tonnes de carbone par hectare et par an, du boisement/reboisement sont de 0,8 à 2,4 tonnes dans les forêts boréales, de 0,7 à 7,5 tonnes dans les régions tempérées et de 3,2 à 10 tonnes dans les régions tropicales (Brown et al., 1996). Le potentiel de fixation des activités agroforestières est encore plus variable, et dépend de la densité de plantation et des objectifs de production du système.
En supposant que les disponibilités mondiales de terre sont de 345 millions d'hectares pour les activités de boisement/reboisement et d'agroforesterie, Brown et al., (1996) estiment qu'environ 38 Gt de carbone pourraient être fixées au cours des 50 prochaines années (30,6 Gt grâce à des activités de boisement/reboisement et 7 Gt grâce à l'adoption accrue de pratiques d'agroforesterie) (voir figure 22).
Les activités sylvicoles qui accroissent la productivité des écosystèmes forestiers, comme les éclaircies pratiquées en temps voulu, peuvent accroître jusqu'à un certain point la quantité de carbone stockée dans les forêts. Toutefois, par rapport aux activités de boisement/reboisement, les variations des systèmes de sylviculture ont un effet faible sur les stocks totaux de carbone (Dixon et al., 1993).
Si le moyen le plus efficace de réduire les concentrations atmosphériques de CO2 est la réduction d'émissions de combustion des carburants, en termes de modification d'usage des terres et forêts, la conservation des stocks de carbone forestier existant est techniquement le potentiel le plus élevé pour une atténuation des changements climatiques. Étant donné que la majorité des émissions de carbone dérivant de la déforestation se produisent dans les années qui suivent le défrichage, une réduction du taux de déboisement a un effet plus immédiat sur les niveaux globaux de CO2 atmosphérique que les mesures de boisement/reboisement, grâce auxquelles il est possible d'absorber des volumes similaires de carbone atmosphérique, mais sur une période beaucoup plus longue.
Les possibilités de conserver le carbone grâce au maintien du couvert forestier dépendent du niveau de référence supposé pour les opérations de déboisement non liées à des projets («opérations de routine»). En principe, on pourrait conserver entre 1,2 et 2,2 Gt de carbone chaque année, si le déboisement cessait complètement (Dixon et al., 1993). Cependant, les recettes provenant du carbone pourraient certes améliorer la rentabilité économique des terres forestières, mais les projets devront aussi s'attaquer aux causes profondes du déboisement et de l'utilisation insoutenable des forêts pour parvenir à conserver le carbone. Brown et al., (1996) estiment qu'une réduction du déboisement dans les régions tropicales devrait permettre de conserver entre 10 et 20 Gt de carbone d'ici 2050 (0,2 à 0,4 Gt par an).
Il est possible de conserver le carbone stocké dans les forêts en utilisant des pratiques de gestion améliorées. La plus prometteuse est la technique d'exploitation à impact limité dans les zones tropicales. Les pratiques d'exploitation forestière traditionnelles peuvent endommager gravement le peuplement résiduel, puisque jusqu'à 50 pour cent des arbres laissés en place sont abîmés ou meurent (Kurpick, Kurpick et Huth, 1997). Les techniques d'exploitation à impact limité permettent de réduire de 50 pour cent ces dégâts (Sist et al., 1998) et, partant, de diminuer le niveau des émissions de carbone associées à l'abattage des arbres. Nabuurs et Mohren (1993) ont calculé que la masse de carbone pouvant être conservée à long terme, grâce aux techniques d'exploitation à impact limité dans la forêt ombrophile tropicale, se situe entre 73 et 97 tonnes par hectare. Étant donné que, d'après les estimations, on exploite chaque année 15 millions d'hectares de forêts tropicales (Singh, 1993), généralement considérées comme non durables (Poore, 1989), les possibilités d'accroître les stocks de carbone sont importantes. Les quantités supplémentaires de carbone conservées grâce aux techniques d'exploitation à impact limité sont calculées en partant du principe que les méthodes d'exploitation conventionnelle seraient poursuivies en l'absence d'intervention, et il est difficile de quantifier les variations des stocks de carbone associées aux modifications des pratiques d'exploitation (IPCC, 2000 Chapitre 4).
Les feux incontrôlés provoquent chaque année d'importantes pertes de carbone dans les forêts. Certaines conditions météorologiques dérivant du changement climatique, comme le renforcement du phénomène El Niño, augmentent les risques d'incendie. Les pratiques de gestion des feux offrent la possibilité de conserver les stocks de carbone des forêts. Toutefois, la gestion des feux ne sera efficace que si les efforts de prévention et de lutte contre les incendies sont combinés avec des remaniements des politiques d'utilisation des sols et des mesures visant à répondre aux besoins des populations rurales. Il peut aussi se révéler difficile d'évaluer les données de départ pour les projets de prévention des feux, qui dépendront des interactions entre des facteurs humains et des facteurs stochastiques, comme les conditions météorologiques.
Les biocombustibles fournissent actuellement 14 pour cent des approvisionnements mondiaux en énergie primaire. Dans les pays en développement, les biocombustibles représentent un tiers des approvisionnements énergétiques totaux. Si les biocombus-tibles que l'on utilise aujourd'hui étaient remplacés par de l'énergie dérivée de combustibles fossiles, 1,1 Gt de carbone supplémentaire par an serait rejetée dans l'atmosphère (IPCC, 2000, Chapitre 5). À la différence de la combustion des combustibles fossiles, l'utilisation de biocombustibles produits selon des méthodes durables n'aboutit pas à rejet net de CO2 dans l'atmosphère, car le CO2 libéré grâce à la combustion des biocarburants est absorbé par la biomasse qui repousse. La substitution de combustibles fossiles par des biocombustibles durables entraînera donc une réduction des émissions de CO2 directement proportionnelle au volume de combustibles fossiles qui est remplacé. Les prévisions relatives au rôle que joueront à l'avenir les biocarburants pour satisfaire les besoins en énergie s'échelonnent entre 59-145 x 1018 J pour 2025 et 94-280 x 1018 J pour 2050 (Bass et al., 2000). L'utilisation future dépendra dans une large mesure du développement de technologies permettant une utilisation efficace des biocarburants, comme la gazéification des produits ligneux.
Les nouvelles plantations à biocombustible auront aussi un effet positif à long terme du point de vue de la fixation, car elles remplacent une utilisation des sols pour laquelle le taux de fixation est plus bas. Dans une forêt aménagée pour l'obtention de biocombustibles (en particulier taillis à courte rotation), la densité moyenne de carbone à long terme est inférieure à celle d'une forêt non exploitée ou d'une plantation à longue rotation, mais cette forêt retient plus de carbone que la majorité des utilisations des terres non liées à la foresterie. Inversement, si les forêts naturelles sont remplacées par des taillis à courte rotation pour la production de biocombustibles, l'effet bénéfique de la substitution des combustibles fossiles sera annulé par les émissions dérivant de la conversion de la forêt.
En remplaçant des matériaux qui libèrent d'importants volumes de dioxyde de carbone - que ce soit durant la transformation (ciment), ou par la consommation d'énergie (acier) - on pourrait aussi réduire considérablement les émissions nettes de CO2.
Il existe actuellement 16 projets internationaux d'activités exécutées conjointement qui ont été approuvés et qui comportent un volet Changement d'affectation des terres et de foresterie (CCCC, 2000). Le tableau 22 résume les caractéristiques d'un ensemble représentatif de projets CATF, qui sont en cours d'exécution et couvrent environ 3,5 millions d'hectares (IPCC, 2000, Chapitre. 5). Quatre-vingt-trois pour cent de cette superficie est aménagée pour la conservation du carbone dans les forêts existantes, soit en protégeant les forêts (interdiction totale d'exploitation), soit en les aménageant (production durable). Ces projets permettent de conserver à long terme de 40 à 108 tonnes par hectare (aménagement des forêts), et entre 4 et 252 tonnes (protection des forêts). Sur l'ensemble de leur durée d'exécution, l'effet de fixation de ces projets est estimé à 5,7 millions de tonnes de carbone (aménagement des forêts) et à 40-108 millions de tonnes (protection des forêts). Cent quatre-vingt mille hectares supplémentaires sont gérés pour des activités de boisement/reboisement et compenseront 21 des émissions estimées à 21,7 millions de tonnes de carbone durant le cycle d'exécution des projets. Deux projets, couvrant 200 000 ha, comprennent des activités d'agroforesterie et devraient compenser 10,8 millions de tonnes de carbone supplémentaires.
TABLEAU 12 Comparaison de certains projets CATF | ||||||
Source: IPCC, 2000, Chapitre 5. |
Le coût par tonne de carbone des projets décrits dans le tableau 12 s'échelonne entre 0,1 et 15 dollars EU. Toutefois, les méthodes employées pour le calcul des coûts de la fixation du carbone varient selon les projets et il sera peut-être nécessaire de réviser à la hausse les estimations à long terme. L'absorption effective du potentiel de fixation de carbone dépendra des coûts comparés de la réduction des émissions provenant du secteur de l'énergie; selon certaines études, le marché du carbone issu du secteur forestier serait inférieur à 1 Gt.
Outre le problème de savoir calculer les coûts de fixation du carbone, l'autre question importante est de définir la méthode pour en effectuer la comptabilité.
L'encadré 17 illustre la comptabilité du carbone au niveau national et au niveau des projets.
L'encadré 18 donne quelques exemples des activités entreprises dans le cadre de projets CATF.
Les forêts sont une composante importante du cycle du carbone à l'échelle mondiale. Elles sont liées par une interaction réciproque aux changements climatiques et leur gestion ou leur destruction aura un impact significatif sur l'évolution du réchauffement de la planète au XXIe siècle.
Les écosystèmes forestiers renferment plus de la moitié du carbone terrestre total. Ils assurent environ 80 pour cent des échanges de carbone entre les écosystèmes terrestres et l'atmosphère. Bien que les écosystèmes forestiers absorbent entre 1 et 3 Gt de carbone chaque année, grâce à la repousse des arbres dans les forêts dégradées, au reboisement et aux effets de la fertilisation au gaz carbonique et à l'azote, ils en libèrent à peu près autant (2 Gt) chaque année, à cause du déboisement. Dans les années 80, le déboisement a probablement été à l'origine d'un quart des émissions anthropiques totales de carbone.
Si les changements climatiques projetés se matérialisent, ils auront probablement des effets spectaculaires et prolongés sur les forêts. Les écosystèmes forestiers devraient survivre pendant quelques temps à ces changements climatiques, mais à plus long terme, leurs réactions dépendront de la capacité des espèces à s'adapter aux nouvelles conditions ou à modifier leur répartition géographique.
L'aménagement forestier peut contribuer aux objectifs de réduction des émissions et faciliter les efforts de limitation des émissions de CO2 (voir figure 23). La conservation des stocks de carbone existant dans les forêts pourrait être une stratégie plus efficace que la fixation du carbone. Toutefois les mesures sylvicoles à elles seules ne sont pas suffisantes pour enrayer l'accroissement des concentrations de CO2 dans l'atmosphère. Elles ne peuvent que compléter les efforts visant à réduire les émissions de carbone dues à la combustion des combustibles fossiles.
FIGURE 23 Potentiel estimé des sources et des puits de carbone, pour différents modes d'utilisation des terres |
Note: Pour les activités de boisement et de reboisement, le taux potentiel suppose que 30 pour cent des terres adaptées sont utilisées, alors que le taux maximal suppose que toutes les terres disponibles sont utilisées. Pour la réduction du déboisement, le taux potentiel est basé sur les estimations de Brown et al., 1996; le taux maximal suppose un déclin régulier des déboisements tropicaux, qui sont censés cesser complètement au bout de 50 ans. |
Le Protocole de Kyoto pourrait avoir des répercussions profondes sur le secteur forestier. Mais la nature précise de ses effets dépendra du type d'activités forestières qui seront jugées admissibles pour atténuer les changements climatiques et des règles et des normes qui seront appliquées aux projets potentiels. Les opinions divergent quant au rôle de la foresterie dans le cadre du «Mécanisme pour un développement non polluant» (MDNP) prévu dans le Protocole.
Ceux qui sont contraires à l'inclusion de la foresterie dans le MDNP font valoir que les mesures visant à encourager la fixation du carbone risquent de conduire à des investissement excessifs dans des activités forestières à l'échelle industrielle, ce qui aurait des conséquences négatives sur le plan social et du point de vue de la diversité biologique. Certains observateurs craignent que la possibilité de recourir à la foresterie, comme moyen de réaliser à peu de frais les objectifs de réduction des émissions, ne détourne les investisseurs des initiatives visant à réduire les émissions à la source. La durabilité et l'évaluation des effets des projets forestiers suscitent aussi des préoccupations.
En revanche, les partisans de l'inclusion de la foresterie estiment que le fait d'investir dans des initiatives de conservation de qualité, d'agroforesterie et d'aménagement durable des forêts peut être avantageux sur le plan social, économique et de la biodiversité, et font valoir que le surcroît de valeur économique (ou en carbone) qui est attribué aux forêts pourrait donner l'impulsion nécessaire pour relancer les efforts d'aménagement durable des forêts.
14 Juin 2001.
15 L'IPCC a été établi en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Il donne à la communauté mondiale, et plus particulièrement aux parties à la CCCC, des informations scientifiques, techniques et socioéconomiques, ainsi que des avis au sujet des changements climatiques provoqués par l'homme.
16 1 milliard de tonnes est égal à une gigatonne, indiquée par le sigle Gt, dans d'autres passages du texte.
17 Les données concernant les émissions de carbone dues à un changement d'affectation des terres dans les années 90 ne sont pas encore disponibles.
18 Le contenu de cette section est extrait du document (sous presse) du CMSC. L'information est reproduite avec l'aimable autorisation du Centre mondial de surveillance de la conservation.
19 Ces changements pourraient englober la brusque libération de méthane par les dépôts océaniques ou l'oxydation des réserves de carbone du sol des forêts du Nord, deux phénomènes qui conduiraient à une accélération du réchauffement, ou à un ralentissement de la circulation thermohaline de l'Atlantique Nord pouvant déboucher sur un refroidissement du climat.
20 Tous les projets sont des projets pilotes relevant de la CCCC, ayant pour objet de tester et d'évaluer la faisabilité des objectifs de la Convention, grâce à des efforts de coopération entre les Parties visant à éviter, fixer ou réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
21 Dans ce contexte, on entend par compensation du carbone la quantité de carbone atmosphérique retirée à l'atmosphère et retenue dans la végétation et le sol sur une période convenue (100 ans est la période convenue par l'IPCC pour calculer le potentiel de réchauffement), pour compenser le forçage radiatif d'une émission d'une quantité donnée de CO2 ou d'un autre gaz à effet de serre.