Annexe 1 - Application de la grille d'analyse à des études de cas
Annexe 2 - Bibliographie
Annexe 3 - ECRIS (Enquête Collective Rapide d'Identification des conflits et des groupes Stratégiques)
Quelle que soit leur philosophie et leurs discours, les interventions de développement s'inscrivent toutes, fondamentalement, au sein du champ du développement, c'est-à-dire dans un contexte de confrontation de logiques et de cultures différentes et, surtout, de rapports inégalitaires qui font que les intervenants (l'Etat, les projets, les ONG) cumulent l'offre d'intervention et les moyens financiers, et tentent, explicitement ou implicitement, d'imposer un modèle qui est inévitablement en décalage avec les réalités sociales et économiques (quand ce n'est pas techniques) locales.
Face à cette situation, comme dans n'importe quelle situation de domination sociale, la réaction des dominés est la "ruse" (de Certeau, 1980) et l'on retrouve tous les jeux de manipulation de la part des "populations", pour récupérer le projet, le détourner, en récupérer des miettes ou des avantages détournés.
La reconnaissance de ces jeux de manipulation réciproque, et la construction de méthodologies d'analyse pour les identifier, est sûrement un des principaux acquis de la socio-anthropologie du développement. Sur le terrain, les projets sont des arènes, où se joue un jeu social complexe, fondé sur la confrontation d'acteurs qui ont des logiques hétérogènes et disposent de pouvoirs inégaux. Ce jeu social produit un certain nombre d'effets inintentionnels, qui ne sont pas nécessairement "pervers": c'est souvent à travers ces effets inintentionnels que les projets ont un impact positif.
Reconnaître cela oblige à sortir des visions naïves de la "participation" et à relativiser la rupture que les démarches participatives prétendent réaliser avec les démarches d'interventions classiques. Mais cela n'implique pas pour autant qu'il n'y ait aucune différence significative entre les différentes démarches d'intervention et dans la façon dont se structurent les interactions qu'elles induisent entre populations et intervenants.
Reconnaître les effets intrinsèquement politiques et conflictuels de tout projet, qui jouent en faveur des groupes d'acteurs dominants, ne doit pas conduire à sous-estimer le changement introduit par la participation (en particulier des plus pauvres) dans le champ du pouvoir local; cela de doit pas conduire, par ailleurs, à surestimer la complexité et à se condamner à l'inaction. Selon l'avis du groupe de travail, il existe des moyens efficaces d'orienter les processus engagés par l'approche participative dans un sens plus adéquat aux objectifs. Beaucoup sont déjà mis en oeuvre sur le terrain. Ces moyens (et les principales recommandations du groupe de travail) concernent les priorités suivantes: 1 - Mieux décrire les situations réelles en clarifiant les concepts-clés de "participation", "d'aide aux plus pauvres" et de "projet". - Le concept de participation doit intégrer, en particulier à l'aide du suivi-évaluation: a) la "participation cachée" (aux yeux des opérateurs de développement) des différents groupes d'acteurs; b) la dimension politique de la participation, le politique étant considéré moins dans ses aspects institutionnels et "politiciens" que dans les formes ordinaires et quotidiennes de la compétition pour le pouvoir et pour le contrôle des ressources. - La clarification du concept d'aide aux plus pauvres suppose: a) de se départir de la vision standardisée qui prévaut généralement vis-à-vis de la pauvreté. La pauvreté est d'abord l'état social de ceux qui sont le plus dépourvus de recours contre le risque et l'incertitude. Elle n'est pas un état statique mais sanscrit dans une dynamique, de nature politique, d'inclusion et d'exclusion de l'accès aux ressources. b) de clarifier la notion et le contenu des groupes-cibles et de se donner les moyens d'identifier leurs marges de manoeuvre effectives. Le moyen préconisé est de "croiser" la définition formelle de ces groupes, telle que les projets les identifient a priori, avec les "groupes stratégiques", identifiés à partir de la grille d'analyse et tels qu'ils se constituent et se recomposent autour des enjeux du projet - Les défauts de "l'approche projet" proviennent de ce que les projets sont considérés comme des entités en soi, et non pour ce qu'ils sont en réalité: des interfaces organisés entre différents niveaux de coordination et entre des groupes hétérogènes. Il en découle des exigences particulières en amont de la mise en oeuvre du projet: a) expliciter le projet de société sous-jacent au projet et contextualiser ses objectifs, tant vis-à-vis des politiques agricoles ou rurales gouvernementales que vis-à-vis des projets des populations elles-mêmes; b) reconnaître que la participation a un coût. 2 - Mieux structurer l'intervention sans la rigidifier, en prenant en compte la diversité sociale des intervenants et la temporalité des processus. - Il est vain de vouloir réduire la diversité des intervenants, des structures, des activités et des fonctions qui composent un projet, comme il est fallacieux de réduire un projet à la rencontre entre une "demande" d'innovation, censée émaner des populations locales, et "l'offre" d'innovation, censée appuyer cette demande. La demande comme l'offre d'innovation sont nécessairement "construites". On doit en tirer trois conséquences importantes dans la mise en oeuvre des interventions: - l'élaboration de la demande constitue un aspect spécifique des projet; elle peut être appuyée par un travail d'animation ou elle peut être facilitée par l'usage prudent et judicieux d'une participation financière ou en travail; - la flexibilité nécessaire aux projets n'est pas incompatible avec une action organisée d'intégration; pour cela, il est nécessaire de distinguer les institutions (structures de l'offre d'appui, organisations paysannes) et les tâches qu'elles peuvent remplir. Dans cette perspective, il convient: a) de distinguer les fonctions qui se superposent afin de clarifier tant les procédures de prise de décision que les relations contractuelles entre les structures du projet et les populations participantes: offre d'innovation et offre de financement; fonctions d'animation et de mise en oeuvre opérationnelle; diagnostic technique et diagnostic villageois; b) de diversifier l'offre d'innovation et d'appui et, pour cela, de promouvoir la concurrence et la coopération entre projets différents ou entre organisations d'origines et de fonctionnements différents; c) de prolonger les activités des organisations locales par des entités supérieures intégratrices afin d'éviter d'osciller perpétuellement entre le rappel des nécessités de la régulation, qui déplore la multiplication des structures, et l'apologie de la liberté, qui l'encourage. - les projets doivent privilégier l'appui aux processus Les objectifs et les moyens du projet ne peuvent être définis que par le résultat des confrontations et des compromis qui se dessineront de manière progressive et non linéaire, autour de la pratique du projet. La mise en oeuvre de l'approche participative tient plus de la gestion finalisée d'une évolution sociale que de l'application d'une stratégie pré-définie pour atteindre des objectifs. 3 - Elaborer des normes claires d'affrontement et d'arbitrage constitue le principal moyen d'orienter cette évolution et de renforcer la dimension participative. Il convient, pour cela, de: - s'assurer de deux conditions préalables: une maîtrise de l'écrit suffisamment partagée et l'usage libre de ressources propres; - intégrer une démarche d'animation qui permet, dans le diagnostic des priorité de réalisation, de prendre en compte la diversité des groupes sociaux et de s'assurer au moins que les intérêts des groupes sociaux dominés sont formulés et entendus par les autorités qui ont légitimité pour trancher; - privilégier une logique de négociation entre les différents protagonistes d'une intervention de développement en portant attention à la répartition du pouvoir et aux conditions concrètes de la négociation. 4 - Intégrer les conditions locales et contextuelles - Les conditions (internes et externes, favorables et défavorables) à la participation locale sont maintenant bien connues. Cela étant, il convient toutefois de se défier d'une approche "positiviste" et déterministe du développement qui ferait abstraction du point de vue des acteurs et du fonctionnement réel du dispositif d'intervention lui-même. - En outre, le domaine classique de la recherche-développement est tenu de s'élargir pour passer de l'appui à des actions pilotes locales au renforcement de la cohérence avec les échelles supérieures d'intégration et, en fin de compte, à la formulation de politiques d'intervention. |
I - Projet promotion de l'élevage dans l'Atacora (Nord-Bénin)
II - Les associations paysannes du Bassin arachidier sénégalais
III - Groupement féminin à Gurga (Bidi, Nord-Yatenga, Burkina-Faso)
IV - Variations sur des projets de maîtrise de l'eau au Sénégal et au Mali
Ces exemples visent à montrer le caractère opératoire de la grille d'analyse soit à partir de documents de recherche élaborés indépendamment de celle-ci (les trois premiers, tirés des publications de T. Bierschenk, G. Blundo et P. Maizi), soit à partir d'une reprise de ses informations par l'auteur des études en suivant la grille d'analyse (la dernière, rédigée par P. Lavigne Delville, qui propose en outre un point de vue comparatif sur des projets de maîtrise hydraulique paysanne).
D'après: Thomas Bierschenk (1988): Development projects as arenas of negotiation for strategic groups. A case study from Benin
1 - Définition officielle de l'action de développement
Cette action de développement participatif est soutenue et contrôlée par un projet germano-béninois, le PPEA (Projet Promotion de l'Elevage dans l'Atacora). Entamée en juin 1983, elle vise à l'amélioration des revenus des éleveurs, à l'augmentation du rendement du secteur de la production animale, à la préservation des équilibres écologiques, et à la réduction de la transhumance: l'objectif à terme est de transformer un élevage traditionnel de prestige (ou vu comme tel) en une activité moderne et rentable d'un point de vue économique.
Pour ce faire, le projet reprend entre autres une initiative locale de construction de bassins de retenue d'eau, dont le fonctionnement devrait permettre la sédentarisation des éleveurs peuls contraints à la transhumance en saison sèche.
L'idéologie véhiculée est participative et apolitique, le projet étant explicitement confiné à son acception technologique: on demandera donc à la "population" de participer activement à la construction de barrages en vue de constituer des réserves suffisantes pour abreuver, par retenue, au moins 2000 têtes de bétail. Les moyens accordés par la coopération allemande sont ceux nécessaires à la réalisation technique du projet (expertise, outils, finances).
2 - Population-cibles, populations exclues
La définition officielle des groupes-cibles est des plus vagues et inconsistantes: le projet devra concerner "les éleveurs", sans aucune précision ethnique, géographique ou sociale, pour se garder d'une éventuelle accusation de tribalisme (manifestation de l'apolitisme délibéré des outsiders); tout au plus une différence pourra être faite entre éleveurs nomades et éleveurs sédentaires, différence totalement dénuée de sens dans le contexte local.
Comme la participation populaire réside en premier lieu dans le choix des sites, l'inclusion ou l'exclusion des différents groupes dépend donc en réalité des rapports de force locaux, favorisant l'exclusion des dominés, des ignorants (ceux qui n'ont pas accès à l'information) et des isolés.
3 - Structure de la société d'accueil
La région concernée par le projet est relativement peu peuplée (en moyenne 15 hab/km2), l'ethnie majoritaire étant les Baatonu (environ 60%). L'élevage est confié aux Peuls (Fulbe, environ 24% de la population de la région), qui se chargent de leur propre bétail et de celui des agriculteurs sédentaires.
Les Baatonu sont le groupe dominant, statistiquement et politiquement, et le sont depuis longtemps. Les Peuls entretiennent avec ces derniers des relations économiquement limitées et socialement inégales et distanciées. Si le document ne donne pas d'informations sur la structure sociale baatonu, il indique que l'unité sociale peule est le ménage (la case: wuro, cellule familiale polygamique à trois générations), le groupement social maximal étant le hameau, formé en général de dix cases (gure, sing, wuro).
Les ménages peuls (considérés comme unité autonome de production et de subsistance) partagent leurs activités entre l'élevage (environ 90 têtes par ménage), l'agriculture (millet) et la cueillette (karité et néré), pour faire la part entre l'économie de subsistance et l'économie marchande; le bétail est élevé pour le lait, qui pourvoit une grande partie des revenus monétaires dont la gestion revient aux femmes. Cette organisation rend les ressources très flexibles et permet une grande autonomie du ménage peul.
Les Peuls du Nord du Bénin sont à peu près sédentaires, mais ils pratiquent la transhumance en saison sèche, pour abreuver et nourrir leurs bêtes. Cette transhumance, apparemment néfaste au bétail (mortalité élevée, perte de poids), permet en contrepartie la jachère des pâturages secs et le renouvellement des liens entre gure à l'occasion du rassemblement annuel autour des points d'eau de saison sèche.
4 - Associations nées du projet
L'initiative fondatrice du projet de développement revient aux Peuls eux-mêmes, qui sont confrontés en 1980/81 à un hiver extrêmement sec qui les force à partir en transhumance avant même la récolte de leur millet. Pour éviter une telle extrémité/un Peul influent et bien placé vis-à-vis de l'administration propose la création de bassins de retenue au cours d'une réunion, unique dans les annales, de tous les gure du district de Pehonco; ces bassins n'ont pas pour finalité de supprimer la transhumance, mais de permettre d'attendre la récolte du millet pour partir/afin de pouvoir utiliser le chaume pour nourrir les vaches.
Les Peuls mènent à bien leur projet par eux-mêmes, en tous cas sans assistance technique, jusqu'à juin 1983 où la coopération germano-béninoise prend en main le projet, dans le cadre d'une politique plus large en direction des pasteurs (cf 1).
Le choix des sites de retenue d'eau est fait au sein de "grazing unit councils" ou "pastoral units" (conseils de pasteurs, grosso modo) censés être constitués à parts égales de Peuls et de Baatonu (ce principe est d'ailleurs le résultat d'une pression de l'administration béninoise, les Baatonu, agriculteurs, étant à l'origine exclus du projet). En réalité le concept de participation va permettre la reproduction de la domination baatonu, simultanément par le noyautage des unités pastorales par les Baatonu, et par un choix de sites très favorables à ces derniers (les bassins de retenue sont proches des villages baatonu).
Cette exclusion progressive des Peuls des sphères de décision s'explique par quatre facteurs:
- Les unités pastorales sont conçues à l'échelle du village baatonu et non à celle du hameau peul: ces derniers ne sont donc pas en mesure de mobiliser (dans le sens de faire communiquer ensemble) suffisamment de pasteurs pour mener une quelconque action représentative au sein de l'unité pastorale: les Baatonu sont donc, structurellement, favorisés; parallèlement, les retenues mises en place sont prévues à la même échelle, c'est à dire pour environ 2000 têtes, ce qui est beaucoup trop pour le mode de fonctionnement du pastoralisme peul: sous-fréquentées par les Peuls, ces retenues tournent à l'usage des Baatonu.- Le choix des sites est confié à toute la population, sans distinction ethnique ("politiquement incorrecte" du point de vue des outsiders): la domination numérique et politique baatonu conduit à des choix qui leur sont favorables.
- La négociation avec les bailleurs de fonds, même au niveau villageois, demande une certaine compétence "externe": la majorité des Peuls ne l'ont pas (on note que dans les cas où cette compétence est détenue par un Peul - l'initiateur de 1981, agent vétérinaire - les intérêts de ceux-ci sont bien mieux défendus).
- La gestion du bétail par les Peuls se heurte à l'incompréhension technocratique qui, d'un point de vue productiviste, qualifie d'irrationnelle l'option sécuritaire des éleveurs: le discrédit est donc jeté, a priori, sur leurs priorités.
5 - Groupes stratégiques concernés par le projet et leurs enjeux
Ces groupes stratégiques sont explicitement identifiés par l'auteur, qui en distingue sept:
- le gouvernement allemand;
- le gouvernement béninois;
- l'agence de développement allemande;
- les experts étrangers;
- les cadres nationaux;
- le groupe-cible des éleveurs (les Peuls);
- les cultivateurs baatonu surimposés au projet
- Pour le gouvernement allemand, l'enjeu du projet est double: intensifier la présence et l'influence allemande au Bénin, la notion d'aide au développement s'ajoutant aux moyens plus "classiques" de gestion de la politique extérieure, et justifier, vis-à-vis de l'opinion publique allemande, le flux externe des capitaux par une utilisation à connotation morale positive (aider les pauvres).
- Pour le gouvernement béninois, le projet représente principalement une injection de fonds dans le circuit national; cet afflux de biens et de moyens constitue un élément central de la légitimation politique interne des dirigeants béninois ("A high placed Benin politician declared in a personal conversation that, if he could manage to have plenty of catchment basins built in his province, he would have the cattle farmers eating out of his hand..." p.153).
- Pour les agences de développement comme pour ses experts, le projet est un enjeu technique, purement technique, et volontairement restreint à cette conception. En effet la faisabilité d'un projet, du point de vue de l'agence de développement, se mesure à l'aune de sa cohérence technologique: un projet Peul est ainsi conçu comme un projet de production animale: n'est politiquement correct qu'un projet expurgé justement de sa dimension politique. Le mode de communication des experts avec leurs employeurs est axé sur l'envoi régulier de rapports, considérés comme l'image de la réalité; il importe alors de faire fonctionner cette construction technocratique de la réalité, quitte à permettre des aberrations, car le recours à l'analyse politique est interdit
- Pour les cadres nationaux, en revanche, l'enjeu est clairement politique: il s'agit de conserver ou d'accroître les possibilités d'accès à des structures clairement perçues comme des pourvoyeuses de ressources: au sein de la classe politique béninoise, le projet est un enjeu dont les différentes factions se disputent la maîtrise, car cette maîtrise conditionne l'accès aux retombées politico-économiques dont les experts étrangers sont les dispensateurs.
Ainsi, selon Bierschenk, les experts et cadres nationaux n'ont de chance de collaborer fructueusement que lorsque la réalisation d'un objectif fait coïncider des enjeux de légitimation technocratique et de maintien d'un outil politique.
- Pour les Peuls, il semble, selon l'auteur, qu'ils aient été "dépossédés" de leur enjeu par l'intervention de l'agence de développement, à cause d'une communication interne à sens unique, du haut vers le bas. L'enjeu des Peuls, dont ils avaient discuté lors d'une consultation très large (voir 4), était de mieux maîtriser la date de leur départ en transhumance, afin de pouvoir profiter du chaume de millet après la récolte. Le blocage de la communication du bas vers le haut a empéché la défense de cet enjeu par les éleveurs, parce que l'enjeu des Baatonu est différent et que les Baatonu dominent, et parce que l'option sécuritaire de leurs pratiques culturales (importance du bétail femelle pour assurer une reproduction efficace, quoiqu'il arrive, du cheptel, et pour assurer une production laitière bien maîtrisée et garante de l'autonomie du wuro) est niée par l'orientation technocratique et productiviste du projet. De plus cette orientation technocratique génère l'ignorance en bas de l'échelle, puisque les techniques mises en oeuvre dépassent les compétences de ceux qu'on met à contribution pour les appliquer, au nom de la participation.
- L'enjeu des Baatonu, quoique postérieur et surimposé au projet par la pression politique locale, est en revanche bien plus accessible: c'est l'eau, dont on va voir que les Baatonu ont su se l'approprier.
6 - Conflits nés de ces enjeux
Les conflits les plus intéressants à étudier sont ceux qui opposent éleveurs et agriculteurs quant à l'accès à l'eau. On a vu (cf. 4) que la capacité des retenues d'eau était inadéquate à leur utilisation réelle par les éleveurs. De plus, ces retenues sont situées non loin des villages baatonu. Il résulte de cela que les femmes baatonu délaissent les puits à péage villageois pour puiser l'eau directement à la retenue. Pour garder à cette eau une pureté minimale, celles-ci vont donc bloquer l'accès des bêtes à la retenue en étalant leur linge autour du bassin: les bêtes en venant boire, abîment le linge et donnent aux femmes baatonu l'occasion de molester les jeunes bergers, les décourageant de revenir.
Les agriculteurs ont, dans le même ordre d'idées, planté du coton autour des bassins (parfois dans le cadre d'un autre projet de développement!), ce qui leur permet, outre leur accès à l'eau, de racketter les éleveurs pour les dommages occasionnés au coton par le bétail. Le recours des Peuls dans de tels cas semble très limité, car il n'ont guère de représentants au sein de la classe politique, et n'ont aucun titre foncier.
7 - Manoeuvres non-conflictuelles destinées à augmenter un bénéfice individuel
Le noyautage des unités pastorales par les Baatonu, rendu possible par des conditions historico-politiques de domination, et par l'adéquation structurelle des unités pastorales aux stratégies baatonu (cf. 4), semble s'être déroulé sans conflit déclaré, et a pour conséquence la récupération au moins partielle des bénéfices au profit des Baatonu; en tous cas, c'est ce noyautage qui fait qu'un conflit ouvert (cf. 6) est arbitré en faveur des agriculteurs.
A un autre niveau, tout le jeu politique mis en place par les cadres locaux vise à la récupération du maximum de la "manne" distribuée par l'agence de développement (outils, motos, frigidaires, bonus monétaires, etc...). Dans un sens, même si ce n'est pas directement aux dépens des éleveurs, cela contribue à détourner le projet de son but, dans la mesure où l'objectif des cadres n'est pas (ou plus) la réalisation concrète du projet, mais l'optimisation de la "manne" secondaire.
8 - Ecart entre les objectifs du projet et ses résultats effectifs
- Pour les gouvernements, le projet est conforme à ses ambitions, qui sont principalement politiques.
- Pour l'agence de développement et ses experts étrangers, les bassins de retenue fonctionnent correctement, en tous cas de leur point de vue technique; au moins pour cette part, l'objectif est réalisé.
- Pour les cadres nationaux également la manne est distribuée.
- Pour les Baatonu, qui à l'origine n'avaient aucune part à prendre dans le projet, celui-ci est un bienfait, par l'appropriation de l'eau qu'il permet, et par le racket qu'il autorise sur les éleveurs.
- Les Peuls, enfin, sont les grands perdants du projet, alors que paradoxalement ils en constituaient la population-cible. Dépossédés, ou quasiment, des bassins de retenue dont ils sont à l'origine, les éleveurs seraient en droit de regretter l'intervention extérieure: "Joint initiatives by the Fulani themselves to improve their water supply, the results of which were certainly not ideal from a technical point of view, were thus destroyed for a technically more perfect solution" (p.155).
Conclusion:
Le cas de ce projet est particulièrement exemplaire d'une inadéquation quasi-totale entre la structure du projet et ses objectifs: mis en place en direction des éleveurs, il profite en réalité aux agriculteurs, et peut même aller jusqu'à nuire aux éleveurs (blocus de l'eau). Parti d'une analyse des réalisations originelles des Peuls eux-mêmes, le projet aurait sans doute pu être structuré en fonction du mode de pastoralisme Peul, dont l'unité maximale est le hameau, et des capacités techniques des éleveurs, qui pour être perfectibles sont néanmoins autonomes, critère essentiel pour les éleveurs: on aurait abouti à de petites retenues d'eau, pour 500 bêtes au maximum, plus nombreuses, mieux situées (proches des hameaux), et dont l'entretien aurait pu être assuré par les éleveurs eux-mêmes.
Mais dans ce cas l'objectif du projet semble avoir été, de la part de l'agence de développement, le placement d'un paquet technologique conquérant (dans le sens où il est considéré comme intrinsèquement supérieur aux compétences locales) et sans doute rémunérateur, fût-ce au prix d'une récupération à tous les niveaux, par le groupe dominant, des profits générés, récupération permise en premier lieu par l'accès aux unités pastorales de groupes n'ayant rien à y faire (les agriculteurs Baatonu).
Le concept de participation, dans ce cas précis, peut être dénoncé comme le paravent qui cache des manoeuvres politiques, et on serait en droit de penser qu'un examen ex ante des structures locales n'y aurait rien changé...
D'après: Giorgio Blundo (1994): "Le conflit dans l'entente. Coopération et compétition dans les associations paysannes du bassin arachidier sénégalais (Sénégal: arrondissement de Moka Yop)"
1 - Définition officielle de l'action de développement
L'action de développement est soutenue par une ONG italienne, la COMI, qui reprend à partir de 1986 l'encadrement de groupements paysans de l'arrondissement de Maka Yop (ex-arrondissement de Koungheul, à l'est de Kaolack), groupements nés en 1982 à l'initiative d'un escroc, lui ayant survécu grâce à l'appui de la Mission Catholique de Koungheul, jusqu'à l'intervention de la COMI.
"L'approche de l'intervenant est fondée sur l'aide à la constitution de microréalisations effectuées avec la collaboration de volontaires expatriés", et les activitées promues sont: cultures maraîchères de saison sèche, reboisement, arboriculture, riziculture de bas-fonds, champs communautaires d'hivernage (céréales et arachides), lutte anti-érosive, aménagement des bas-fonds, constitution de caisses d'épargne, de banques céréalières et semencières, avec en plus un volet formation (techniques agricoles, alphabétisation, comptabilité).
L'idéologie développée par l'ONG est populiste (participation de tous à l'action de développement) et participative (soutien à des initiatives locales, non-ingérence dans les conflits internes au village). Les moyens mis à disposition par l'ONG sont financiers (co-financement) et pédagogiques (alphabétisation, techniques agricoles et de gestion).
2 - Populations-cibles du projet, populations exclues
"Les groupements paysans déclarent que les seules restrictions au recrutement concernent l'appartenance au village et l'acception des règles et des objectifs du groupement", mais en réalité le projet concerne quasi-exclusivement des lignages alliés et politiquement ou historiquement dominants, ressortissants, qui plus est, de l'ethnie majoritaire des Wolof.
Les groupes exclus du projet sont donc les minorités ethniques (Soose, Peul, Toucouleur...), les inférieurs sociaux (castés: griots, tisserands, forgerons) dans la mesure où ils n'entretiennent pas de relations de clientèle avec un lignage "inclus".
En sont également exclues "les couches de la population situées aux extrêmes de l'échelle économique villageoise", i.e. les plus riches et les plus pauvres; les plus riches ne se sentent guère concernés, voire sont concurrencés par les groupements (accès à l'eau notamment) et les plus pauvres sont tenus éloignés du village pendant la saison sèche par des déplacements citadins ou plus méridionaux à but lucratif.
3 - Structure de la société villageoise
Les associations paysannes appartiennent à cinq villages situés dans un rayon de 30 km autour de Koungheul, entre 181 et 864 habitants, en majorité wolof.
La structure sociale villageoise est inégalitaire et segmentée:
- le groupe des "nobles" agriculteurs (géér) domine les gens castés (nyeenyo), et entretient avec eux des relations de clientèle et de tutelle morale et économique.- le groupe des captifs (jaam) est statutairement inférieur, mais définit son rang en fonction de celui du lignage géér qui lui est associé.
- les lignages (xeet) sont hiérarchisés en fonction de leur statut (géér, nyeenyo, jaam), de leur ancienneté dans le village, de leur réseau d'alliances et de leur main-mise foncière.
- les aînés dominent les cadets, les patrons dominent les clients, et les hommes dominent les femmes.
Parallèlement à cette hiérarchie, les classes d'âges se regroupent en associations (mbootaay) qui survivent à l'établissement du ménage pour les femmes, qui s'arrêtent au mariage pour les hommes.
4 - Associations villageoises nées du projet
Cinq associations villageoises encadrées par la COMI se sont regroupées au sein d'une "entente", l'Entente des groupements du COMI, ayant le statut de GIE (Groupement d'Intérêt Economique, structure officielle destinée à faciliter l'accès des paysans au crédit). Le but des groupements comme des ententes est principalement d'attirer les bailleurs de fonds, et d'assurer la gestion commune de banques céréalières subventionnées.
Parallèlement, les associations paysannes sont les cellules permettant l'encadrement et le soutien des paysans par l'ONG. Les associations paysannes, une par village, sont organisées en principe sur un modèle mixte et démocratique, la distribution des rôles se faisant dans un style bureaucratique, avec présidents, trésoriers, commissaires aux comptes, contrôleurs, responsables, adjoints, etc... En réalité l'attribution des rôles, exception faite des postes les plus élevés (président et trésorier) correspond peu à une réalité pratique, et semble obéir à des considérations symboliques d'égalité statutaire.
En principe les fonctions dirigeantes font l'objet d'un roulement, et la participation aux activités de l'association est soumise à un contrôle pouvant déboucher sur des sanctions (amendes). En réalité l'attribution des postes de direction correspond aux critères locaux de capacité au pouvoir, c'est à dire à des considérations de sexe (hommes), de statut (noble) et de lignage. A ces critères "traditionnels" s'ajoutent des caractéristiques individuelles plus impalpables, comme le charisme et la multiplication des appartenances influentes (par exemple un fils de chef de village, membre du PS, conseiller rural et moniteur d'alphabétisation peut surmonter l'écueil de son jeune âge et devenir président d'une association).
"Les associations se sont formées au travers de trois canaux principaux: les rapports de voisinage et d'amitié, les relations de parenté et d'alliance, les relations de clientèle". Les associations recrutent principalement des femmes (70%) et des hommes mariés, faisant pour la plupart partie des niveaux élevés de la hiérarchie familiale: maris à plusieurs épouses, premières épouses. C'est parmi les 30% d'hommes, en général bien plus âgés que les femmes, que se recrutent les dirigeants, et ce sont eux qui décident pour les femmes, représentées par leur doyenne et soumises aux décisions masculines.
5 - Groupes villageois concernés par le projet et leurs enjeux
On peut distinguer deux types de groupes villageois: ceux qui font partie d'une association et ceux qui n'en font pas partie.
Parmi ceux qui en font partie, on peut encore distinguer trois catégories: les hommes qui ont accès au pouvoir, ceux qui n'ont pas accès au pouvoir, et les femmes.
Les dirigeants d'association voient le projet comme un enjeu essentiellement politique: il s'agit de conforter une position dominante, de légitimer une telle position, et d'accéder à un potentiel politique par le biais économique. Le projet étant de nature étrangère, les dirigeants d'association légitiment leur position par leur maîtrise de systèmes de sens souvent mal compris du village, et par une position de courtier à cheval entre un charisme villageois et un discours moderniste.
Les membres masculins des associations voient celles-ci comme l'aimant qui attire les bailleurs de fonds, toujours séduits par une image collectiviste des communautés villageoises: le jardin potager des associations peut être vu comme la vitrine qui active "l'aimant à dollars"; de plus, l'intersection avec les autres réseaux d'alliance villageois réplique, inverse, ou influence la solidarité des membres envers les enjeux politiques des dirigeants.
Les femmes, enfin, qui sont la véritable force de travail des associations, sont sans doute les seules qui voient dans le projet un enjeu pratique: allègement de la corvée d'eau, sécurité alimentaire accrue, diversification des ressources... Exclues des sphères de pouvoir, l'enjeu politique du projet se situe à leur amont elles légitiment par leur participation l'image populiste qu'il convient de présenter aux bailleurs de fonds, et peuvent servir de moyen de pression interne par la mise en oeuvre de logiques parentales hors-projet
Pour les villageois n'appartenant pas à une association, l'enjeu du projet est aussi politique, dans la mesure où les associations s'insèrent dans l'arène politique villageoise et servent d'arguments à des visées qui n'ont souvent pas grand-chose à voir avec les objectifs empiriques impulsés par l'ONG. Par exemple, leur influence et leur réseau d'alliances mal connues (les structures COMI, l'administration régionale et nationale, les partis politiques) peuvent en faire de dangereux ennemis dans les stratégies d'appropriation foncière.
6 - Groupes non-villageois concernés par le projet
Honnis l'ONG, dont les enjeux ne sont pas explicités dans le document, les seuls personnages quotidiennement confrontés à la logique extra-villageoise sont les leaders d'associations; ceux-ci peuvent être considérés comme villageois, du fait de leur totale implication dans la dynamique sociale autochtone, et on a examiné plus haut (cf. 5) quelle était leur position.
7 - Conflits nés de ces enjeux
On peut examiner deux types de conflits: les conflits internes aux associations, et ceux qui opposent l'association au reste du village.
Naturellement les conflits internes opposent des groupes aux enjeux différents: femmes-hommes, dirigeants-simples membres.
Les femmes voyant dans les activités associatives un enjeu pragmatique; elles s'opposent aux hommes lorsque le "rendement" empirique du projet est décevant elles menacent de ne plus produire, ruinant alors l'enjeu politique des hommes pour qui, par exemple, la production de tomates passe après l'aimant à dollars. La négociation d'un tel conflit est difficile, car interviennent alors des factions externes au problème de base (le rendement décevant) qui mettent en oeuvre des logiques "traditionnelles" (parentales, par exemple) plus puissantes que les logiques associatives des groupes COMI.
Entre les dirigeants et les simples membres, les conflits interviennent lorsque la légitimité du leader est contestée (qu'il soit malhonnête ou bouc-émissaire); en effet, si le leader d'association est choisi sur des critères "traditionnels" (cf. 4), il s'appuie aussi sur des atouts extra-villageois (cumul de réseaux d'influence, connaissance des logiques étrangères, etc...); sa légitimité n'est donc pas entièrement du domaine de la tradition, et il doit pour se justifier faire appel à des logiques alternativement autochtones et étrangères; parallèlement, les attaques qu'il subit se situent dans le registre allogène, puisque son accession au pouvoir est conçue comme le résultat de son alliance avec l'étranger.
Dans le sens inverse, le contrôle des membres par la direction est problématique et conflictuel, puisque ce contrôle s'appuie sur un système d'amendes et de sanctions très difficile à mettre en oeuvre dans un contexte social inégalitaire (que la sanction pourrait remettre en cause), sauf si la faute vis-à-vis de l'association est dictée par une priorité sociale indiscutable.
Les conflits qui opposent les associations aux "non-associés" sont essentiellement de nature foncière, politique, ou les deux en même temps.
- de nature foncière lorsque les besoins du projet en terre empiètent sur la distribution "courante" des terrains dans le village; en effet, outre la difficulté de se procurer des terres bien placées (génératrice de conflits), l'accès des associations aux structures étatiques peut leur permettre de transformer un prêt de terre en titre foncier définitif;- de nature politique lorsque l'association est accusée d'accaparer une aide extérieure, ou qu'un différent empirique recouvre une lutte entre factions rivales pour le pouvoir local: l'association est alors le terrain de combat où se jugent les capacités de rassemblement de tel ou tel candidat au pouvoir, où sa capacité politique est jugée à l'aune de ses réalisations associatives.
Le règlement de tels conflits se fait, là encore, par un va-et-vient entre les logiques villageoises et le recours aux structures extra-villageoises, dont la maîtrise devient un atout politique fonctionnel mais aussi symbolique.
8 - Manoeuvres non-conflictuelles destinées à accroître un bénéfice individuel
Le document permet de repérer un exemple de ce genre de manoeuvres: sur le jardin potager, censé être collectif et présenté comme tel lors des visites d'agents extérieurs, les associés ont en fait séparé la partie effectivement cultivée en commun (tollu mbootaay, jardin de l'association) des parcelles individuelles cultivées par les femmes (tollu jigeen: jardin des femmes), dont le produit est entièrement consommé au sein de la concession familiale; cette séparation permet de ménager l'aspect productif et individuel, garant de la participation des femmes, et l'aspect collectif, qui actionne la pompe à dollars.
Parallèlement certains paysans, ayant compris l'intérêt du maraîchage, s'y adonnent sur leurs propres champs et pour leur profit personnel, mais en utilisant les structures collectives gérées par l'association (puits, systèmes d'exhaure de l'eau, outils, réductions sur les fournitures, etc...), et avec des rendements bien supérieurs à ceux du jardin collectif.
9 - Marge de tolérance villageoise à propos de ces manoeuvres
Il apparaît que la tolérance villageoise à propos de telles manoeuvres, exception faite des cas de vol qualifié, n'est pas conditionnée par la nuisance de celles-ci sur le bien collectif, mais sur leur qualité ou non de prétextes à lutte entre factions opposées: qu'un paysan augmente son profit sur le dos des moyens mis à disposition de la collectivité a des chances d'être toléré tant que ce paysan ne s'inscrit pas dans une lutte, à l'échelle du village, pour des prérogatives foncières, économiques et/ou politiques.
10 - Résultats du projet du point de vue des différentes catégories d'acteurs
On est loin de la vision collectiviste des communautés villageoises à l'honneur dans l'idéologie participative: le projet est avant tout ressenti comme le moyen d'attirer l'aide extérieure, et en tant que tel il constitue un enjeu politique de taille.
Pour les leaders d'associations, le projet est une source de revenus, de légitimité politique extra-villageoise: il est l'outil de leur propre ascension sociale.
Pour les membres, le projet balance entre l'accroissement dela sécurité collective et l'optimisation de leurs ressources individuelles.
Pour les femmes, le projet est le prolongement d'une solidarité féminine, l'application d'une directive masculine et l'amélioration de leurs capacités individuelles de production.
Pour l'ensemble du village, le projet est plus une "zone-test" de la capacité de leurs leaders à optimiser, gérer et perpétuer une manne étrangère qu'un enjeu économique véritable, les retombées économiques positives ne profitant finalement qu'à une minorité.
Conclusion
La grille d'analyse permet de s'apercevoir que les retombées économiques du projet sont davantage générées par ses implications politiques que par sa propre structure de production et que, de ce fait, elles ne concernent quasiment que les acteurs dominants du jeu politique.
La structure des groupements aurait sans doute à gagner en collant plus intimement à la structure de la société villageoise, c'est-à-dire en constituant des associations de pairs avec un accès à la terre qui prenne en compte les pratiques coutumières et pas seulement le droit national: peut-être parviendrait-on ainsi à constituer des micro-solidarités plus efficaces dans la négociation politique, avec plus de souplesse dans l'adaptation des activités aux enjeux de chaque groupe, et moins de références à une logique allogène qui fait le jeu de ceux qui la maîtrisent, c'est à dire les plus forts.
D'après Pascale Maizi (1991), "Le groupement féminin 6S à Gurga: pratiques et discours"
1 - Définition officielle de l'action de développement:
La région du Yatenga et, en particulier, le village de Bidi sont la cible d'un ensemble de projets (un "chassé-croisé d'intervenants"), en même temps que leur lieu d'évaluation (programme "Dynamique des systèmes agro-pastoraux"). S'y retrouvent, voire s'y concurrencent deux structures de développement le CRPA (Centre Régional de Promotion Agro-pastorale), et une ONG nationale, les 6S (Savoir Se Servir de la Saison Sèche au Sahel).
Le CRPA a pour but la vulgarisation de techniques agro-pastorales, la mise en place et l'animation de structures capables de gérer les crédits accordés par le CRPA, notamment pour l'introduction de la culture attelée, et la régularisation des intrants. Les crédits sont accordés selon une idéologie égalitaire, censée se diffuser au travers de groupements villageois rassemblant la majorité de la population, dont l'encadrement incombe à un animateur, seul face à un grand nombre de groupements.
L'ONG 6S s'appuie sur des groupements villageois plus récents, appelés groupements Naam, ou groupements 6S, au travers desquels l'ONG espère principalement diffuser de nouvelles techniques, notamment des techniques anti-érosives. Les groupements 6S ne sont pas conçus comme des structures d'accès au crédit, mais leur idéologie est commune avec les groupements CRPA, c'est à dire égalitariste et s'appuyant sur un idéal communautaire. Le groupement féminin 6S de Gurga a été créé en 1985 sur la proposition des Groupements 6S de Ouahigouya (42 km au sud de Bidi).
Les groupements cultivent une parcelle collective, dans laquelle le choix des cultures est relativement libre mais les méthodes culturales explicitement imposées. L'encadrement des groupements 6S est assez lointain, se limitant à des réunions périodiques ayant lieu à Kumbri (12 km au SE de Bidi), pendant lesquelles l'encadreur tâche de mobiliser les membres sur les thèmes techniques chers à l'ONG, en référence à un idéal communautaire d'entente.
2 - Populations-cibles du projet, populations exclues
L'idéologie des structures CRPA et 6S étant égalitariste et s'appuyant sur une vision communautaire de la société villageoise, l'ensemble de la population est visé par le projet; l'accent ne semble pas être mis sur telle ou telle catégorie sociale, et les données du rapport ne mettent pas en évidence une exclusion formelle ou tacite de certains des bénéfices de l'action de développement. Si exclusion il y a, elle n'est en tout cas pas contenue dans l'objectif officiel et pragmatique des CRPA et 6S.
En revanche, les caractéristiques sociales et géographiques de Bidi font que les animateurs privilégient la fréquentation de certains groupes au détriment d'autres, ce qui constitue une forme d'exclusion; les modalités de celle-ci ne sont pas abordées dans le document
3 - Structure de la société villageoise de Bidi
Bidi, 3000 habitants, est caractérisé par "son étendue géographique et sa diversité sociale": l'étendue géographique du village et la coexistence des Moose, Fulbe (Peuls), Rimaybe (captifs), et Silmi-moose a favorisé une forte individualisation des quartiers (dont le quartier de Gurga).
Outre cet aspect, la société villageoise est segmentée et inégalitaire, selon le sexe et les classes d'âges: les hommes dominent les femmes, les aînés dominent les cadets. De plus, quoique ce ne soit pas précisé, on peut supposer l'existence de rapports de sujétion entre Peuls et Rimaybe (captifs, en Peul).
4 - Associations villageoises nées du projet
On s'intéressera aux associations 6S, plus particulièrement décrites dans le document. Ces groupements reprennent, en même temps que leur nom (Naam), "les grands principes d'organisation en vigueur dans les anciens groupes moose", c'est-à-dire non-mixité, et hiérarchie structurée par l'âge. Notons au passage que ces principes sont moose et non peul, par exemple. Cela correspond-il à une réalité statistique, à une domination sociale moose ou à une volonté implicite d'imposer un modèle sédentaire de préférence à un modèle pastoral et semi-nomade? La question reste posée.
De plus l'équivalence de structure entre les groupements féminins et masculins n'est qu'officielle, puisqu'en réalité ces groupes "reproduisent les différences de statut, de représentations et d'activités entre hommes et femmes qui régissent l'organisation de la société moaga". Ainsi le recrutement des femmes dans un groupement est principalement issu de décisions masculines, ou le fruit d'une "habitude", un automatisme qui est à situer sur le même plan que l'appartenance à une classe d'âge traditionnelle, par exemple.
Le groupement "de développement", quoiqu'impulsé de l'extérieur, obéit en fait aux mêmes principes de fonctionnement et de reproduction sociale que les mécanismes de grégarité "traditionnels" (endogènes). Cette distance prise vis-à-vis des ambitions exogènes se traduit, par exemple, par une liste des membres inscrits qui "peut être aussi fictive que variable": les concepts exogènes (listes d'effectifs) sont présents, mais vides de substance.
5 - Groupes villageois concernés par le projet et leurs enjeux:
Les groupements 6S n'étant pas des structures d'accès au crédit, ils ne semblent pas constituer un enjeu villageois créateur de grosses tensions; en revanche il apparaît, au vu de leur structure interne, que les groupements féminins sont en réalité sous la tutelle intégrale des groupements masculins, les enjeux féminins se situant en-deçà d'une marge de manoeuvre définie par la classe dominante masculine.
De plus, la multiplicité des groupements, due à une superposition des formes associatives endogènes et exogènes, entraîne l'émergence d'une catégorie de "leaders" d'associations, l'appartenance à ce groupe constituant un enjeu prometteur.
Pour les femmes, en particulier, les groupements représentent trois types d'enjeux: un enjeu de socialisation et d'intégration à la communauté villageoise, un enjeu économique par l'accès au partage des profits, et un enjeu moral lorsque l'intervention extérieure permet d'espérer un changement positif d'une situation perçue comme se dégradant
6 - Groupes non-villageois concernés par le projet et leurs enjeux
Les groupes non-villageois sont de deux natures: le groupe des intervenants extérieurs et les animateurs-encadreurs locaux qui, pour être autochtones, ne font pas pour autant partie véritablement de la population villageoise, se trouvant à l'intersection des logiques externes et internes, position éminemment ambigüe.
Pour les intervenants extérieurs, l'enjeu est l'application et la vérification d'une logique participative et communautaire ainsi que l'amélioration des conditions de vie d'une population conçue comme solidaire et homogène. Cet enjeu se traduit sur le terrain par la présence depuis 1984 d'une équipe de chercheurs attelés au programme "Dynamique des systèmes agro-pastoraux".
Pour les encadreurs locaux, l'enjeu est de concilier les exigences de leur employeur (l'ONG 6S) avec leurs possibilités réelles d'action sur le terrain.
- Premier problème: la taille des effectifs à gérer (à Bidi, un encadreur pour 20 groupements) et l'impossibilité de pratiquer une communication efficace et globale à cause de la multiplicité et de la complexité des formes de groupement en présence, des relations de ces groupements entre eux et avec l'encadreur lui-même.- Second problème: la formation des encadreurs ne leur permet pas de prendre du recul par rapport aux multiples interactions dans lesquelles, en tant qu'autochtones, ils sont impliqués.
- En effet, troisième problème: en tant qu'autochtones, les encadreurs s'inscrivent eux aussi dans la négociation des enjeux villageois (cf. 5).
7 - Conflits nés de ces enjeux
Le document ne fait pas mention de conflits déclarés à propos d'un aspect du projet; comme on l'a vu, les groupement 6S, peu inducteurs de financement, ne semblent pas provoquer de conflits violents et, comme ils reproduisent la structure des associations autochtones, on peut penser que les conflits d'influence se négocient selon des jeux de pouvoir connus et maîtrisés.
8 - Résultats du projet du point de vue des différentes catégories d'acteurs
Pour les "outsiders", les groupements féminins sont l'illustration du bien-fondé du développement communautaire, notamment à cause de la participation active et régulière des femmes aux grands travaux collectifs, vue comme l'influence positive des associations sur l'esprit d'entraide des paysans.
Pour les hommes du village, les groupements féminins sont l'extension "normale" de leurs propres groupements, étant donné qu'ils permettent la conservation de la division traditionnelle du travail et des statuts selon les sexes, et que peut se perpétuer en leur sein la domination qu'ils exercent sur leurs épouses. En ce sens ils s'accordent avec les outsiders, puisque les valeurs traditionnelles de la femme moaga (obéissance, discipline, ardeur au travail) coïncident avec celles que les outsiders espèrent avoir suscitées. Parallèlement, la reconnaissance sociale que donne le leadership d'un groupement permet l'accroissement des pouvoirs que détenaient déjà ceux qui ont été en mesure de devenir des leaders (et par voie de domination, leurs épouses, souvent bien placées elles aussi.).
Pour les femmes, les groupements 6S sont un lieu d'entraide (cotisations, dégagement de surplus de sécurité, constitution de ressources à peu près autonomes) et un lieu de reconnaissance de leur valeur sociale (elles ont l'occasion de démontrer combien elles sont bonnes épouses). En revanche, les groupements 6S ne sont ni un lieu d'application de la logique communautaire et collectiviste prônée par les outsiders (les champs collectifs sont sur de mauvaises terres, cultivées en dernier et mal cultivées: la priorité reste au rendement et à la sécurité familiale, avant le souci collectif), ni un lieu de revendication pour les femmes (leur marge de décision est quasi-nulle au sein du groupement, elles s'en remettent en tout aux décisions de leurs hommes et n'ont pas conscience de leur groupement en tant que groupe de pression).
Conclusion
Le projet n'est donc pas efficient s'il s'agit d'influer sur des logiques sociales inégalitaires; par contre, du point de vue de la pratique quotidienne, sa relative harmonie avec les systèmes locaux lui permet d'insérer peu à peu (en les "traduisant") les innovations techniques dans le registre des évidences locales. Ce cas de figure présente un projet aux objectifs partiellement réalisés, dans la mesure où les groupements féminins permettent aux femmes de réaliser un mieux-être matériel (la production vivrière des jardins collectifs) et d'augmenter leur autonomie financière (caisses d'entraide).
Ce bilan mitigé pourrait être optimisé par un encadrement plus suivi des groupements, avec à l'esprit le risque qu'un tel encadrement présente: en effet l'harmonie relative des groupements tient à la reproduction qu'il opère des structures villageoises hors-projet, au-delà d'une façade "moderniste" destinée à séduire les bailleurs de fonds: un encadrement plus serré, hormis le fait qu'il fait intervenir un nouveau groupe stratégique, étranger, dans le jeu politique local, tendra à faire correspondre la réalité et la façade, et il y a fort à parier que la défense, de la part des différents protagonistes, de leurs statuts "traditionnels" donnera lieu à des tensions internes importantes.
L'attitude la plus productrice dans ce cas consisterait à favoriser la communication dans l'affrontement, afin que celui-ci débouche sur une solution justement négociée. De la même manière on pourra augmenter la conscience politique des femmes, qui sont dans ce cas le groupe sinon vulnérable, au moins sous tutelle, en les informant, par le biais d'un encadrement bien formé, de leurs possibilités de pression sur les groupes dominant, possibilités qui résident dans une bonne connaissance des enjeux "adverses" (qu'on ne se méprenne pas: le but n'est pas de monter les groupes les uns contre les autres, mais de donner à chacun une bonne connaissance du jeu politique engendré dans le cadre du projet).
par P. Lavigne Delville
Plutôt que de traiter un cas particulier, nous procéderons par jeu de comparaisons entre différents cas, sur deux types d'aménagements hydrauliques: les périmètres irrigués villageois de la vallée du fleuve Sénégal, et les seuils rizicoles des zones soudaniennes du Mali. Tous deux sont de petits aménagements "villageois", gérés localement, réalisés en général dans une logique "participative" (avec bien des différences toutefois dans les pratiques concrètes, d'un projet à l'autre), mais ont des publics-cible, des enjeux économiques différents.
L'ampleur du changement technique est également différent:
- dans le cas des périmètres villageois, il s'agit d'une maîtrise totale de l'eau, avec réalisation d'un réseau d'irrigation gravitaire, alimenté par pompage. Ce schéma crée une forte interdépendance des exploitants, à la fois en termes d'organisation du travail (tours d'eau, etc.) et financièrement. La zone aménagée change de statut, les détenteurs de droits fonciers devant y renoncer préalablement à la construction du périmètre, et les parcelles sont distribuées aux membres du groupement demandeur.- les seuils rizicoles sont de petits barrages (0,8 à 1 m de haut), réalisés dans les bas-fonds, et visent à créer une lame d'eau en amont, pour améliorer la riziculture inondée. Ils ne mettent en général pas en jeu de redistribution foncière mais créent, malgré tout, une interdépendance des exploitants par rapport à la gestion des vannes, qui commandent le remplissage de la retenue.
I. Les périmètres irrigués villageois
A - Dans le cadre de la SAED, moyenne vallée du Sénégal (Fuuta Toro) (pour une analyse plus détaillée: Lavigne Delville 1991 et 1994)
1 - Définition de l'action
Le modèle des périmètres irrigués villageois (PIV) a été développé par la SAED (société nationale chargée de l'irrigation) à partir des années 75, en réponse à la grave crise de production liée à la sécheresse. Il s'agissait aussi, en même temps, de diffuser l'irrigation dans la moyenne vallée (pays haalpulaar et sooninke), prélude à un aménagement global de la vallée, où l'irrigation était censée, à terme, se substituer totalement aux cultures "traditionnelles". Les PIV sont des aménagements de quelques dizaines d'ha, en maîtrise totale de l'eau par pompage, avec des parcelles attribuées aux chefs de famille, et gérés par un groupement de producteurs. Ils sont réalisés sur demande d'un groupement constitué, après vérification de la faisabilité technique du site proposé et de l'absence de problème foncier. Les détenteurs de droits fonciers sur la zone à aménager doivent au préalable renoncer à leurs droits.
Il s'agit donc d'une innovation assez radicale, à la fois technique (le riz irrigué), organisationnelle (les groupements de producteurs, l'interdépendance des exploitants), financière (un système de culture qui demande du capital) et sociale (accès de tous aux parcelles; changement de statut de la terre aménagée). Elle se base sur un modèle de petite paysannerie égalitaire, très éloignée de la réalité des rapports sociaux haalpulaar, comme on le verra.
Par rapport aux grands aménagements du delta (plusieurs centaines d'ha, dans des zones peu peuplées), le caractère "participatif" des PIV était souligné dès le début: aménagements sommaires, peu coûteux; réponse à une demande, construction par les villageois (censée garantir un bon entretien...).
2 - La structure de la société locale
La société haalpulaar est une société aristocratique, hiérarchisée, avec trois grands groupes de statut: les hommes libres, les serviteurs, et les captifs. Les hommes libres recouvrent eux-mêmes différents statuts: toorooBe, subalBe, pullo, correspondant plus ou moins à des spécialisations professionnelles. L'instauration d'une théocratie musulmane au XVIII° a consacré la suprématie politique et foncière des ToorooBe, au sein d'une organisation territoriale, les leydi, qui met le foncier au coeur des rapports sociaux. La chefferie des villages peut cependant revenir à l'un ou l'autre des groupes d'hommes libres. Les captifs ont progressivement conquis leur indépendance économique, mais, n'ayant accès qu'en métayage aux terres de décrues, essentielles dans l'équilibre économique des ménages, ils restent, vis-à-vis des lignages dominants, dans une dépendance plus marquée que dans d'autres régions.
3 - Populations cibles, populations exclues
La cible est les chefs de famille, pour leur permettre de faire face à leurs besoins céréaliers. Du fait de la complexité des structures familiales, les chefs de ménage qui ne sont pas chefs d'exploitation (jom foyre) ont pu bénéficier de parcelles, ce qui, avec la multiplication des PIV par village, a permis un certain cumul de parcelles, normalement interdit. De même, les migrants ont pu se faire attribuer des parcelles, gérées en leur absence par le chef d'unité de production.
Du fait de leur taille, les PIV ne peuvent s'aménager que le long du fleuve (ou de ses principaux défluents) ce qui exclue les villages dits du "jeeri", ceux qui n'ont pas un accès à une ressource en eau permanente. De plus, les Peuls ne s'y sont intéressés que tardivement, surtout dans la région de Podor.
Sont donc exclus les jeunes (qui ne cultivent pas de toutes façons de petits champs, dans cette zone de migration internationale) et les femmes (qui doivent même faire face à une charge de travail accrue). Cette exclusion est plus marquée en pays sooninke, où les femmes ont leur petits champs et cultivent le riz de mare: elles se retrouvent donc dépossédées de cette culture au profit des hommes (tout en assurant un partie non négligeable du travail)1.
1 Au Gidimaxa mauritanien, l'accès aux parcelles était une revendication des femmes.
Selon la logique égalitaire promue par la SAED, toutes les catégories sociales (et donc aussi les captifs) ont accès aux parcelles, ce qui offre à ces derniers un droit d'usage permanent sur les parcelles aménagées mais qu'ils n'ont pas ailleurs. Cette "petite révolution sociale" a globalement fonctionné dans un premier temps, à la faveur de la sévère crise agro-climatique (qui justifiait une réaction collective), et à la création continue de nouveaux PIV (ce qui réduisait la pression sur les parcelles déjà aménagées).
En pays haalpulaar, les différentes catégories d'hommes libres ont eu des réactions différentes selon les sites: les toorooBe (catégorie dominante), pouvant s'investir rapidement dans l'irrigation ou, au contraire, se contenter des terres de décrue et des autres ressources, et laisser les SubalBe (pêcheurs, qui ont vu leur activité de pêche dévastée par la baisse de régime du fleuve) s'y convertir en premier. Cela dépend aussi de l'équilibre politique des groupes sociaux au sein des villages.
En pays sooninke, plusieurs études montrent que l'aristocratie s'est moins investie que les captifs, qui voyaient là une occasion de sécuriser des droits fonciers et d'accroître leur autonomie économique.
4 - Les groupes stratégiques
Outre les catégories statutaires classiques, il faut différencier:
- le groupe des lignages qui constitue l'aristocratie foncière;- les clivages socio-économiques liés à l'insertion dans les réseaux migratoires: les enjeux économiques de l'irrigation ne sont pas les mêmes selon le montant des ressources migratoires;
- le groupe des responsables de groupements;
- le groupe des "haratines" mauritaniens (anciens captifs des Maures), qui, jusqu'en 1989 (conflit sénégalo-mauritanien), traversaient le fleuve et fournissaient une main-d'oeuvre complémentaire pour l'irrigation. Ils ont été remplacés dans cette activité, après le conflit, par les refoulés haalpulaar originaires de Mauritanie.
- parmi les groupes non-villageois, la SAED, en distinguant le staff de direction, basé à Matam, et l'encadreur, basé dans le village (jusqu'en 1985) puis dans la petite région. L'encadreur joue un rôle d'intermédiaire avec la SAED pour obtenir des faveurs pour ses groupements (réparations gratuites, appui dans la négociation pour la reconnaissance de sinistres, pour avoir un nouveau périmètre, etc.)
5 - Les associations nées du projet
Les PIV sont gérés par un groupement qui se constitue spontanément, préalablement à la demande d'aménagement. La sélection des bénéficiaires, si elle a lieu, se fait donc en amont, dans les règles implicites de constitution de ces groupements. Il n'y a malheureusement guère d'étude sur cet aspect des choses. On peut seulement dire que l'initiative ne peut être prise que par un homme libre, de préférence ayant des relations étroites avec des lignages détenteurs de droits fonciers (pour obtenir un terrain) et qui se retrouve président du groupement. Les réseaux de clientèle et de dépendance ont permis à une majeure partie des familles d'avoir accès à la terre, même si les cumuls de parcelle semblent plus fréquents dans les catégories sociales dominantes.
Le fonctionnement des groupements s'inspire des règles de l'action collective haalpulaar (convocation, etc.). La direction de fait est assurée par un petit noyau de "vieux". Il n'y a guère de renouvellement de la direction ni de transparence financière sur la gestion.
6 - Les raisons de la "réussite" (1975-1990)
Bien que représentant un changement majeur, les PIV ont rencontré un grand succès: apprentissage rapide des techniques culturales, mise au point d'un mode de gestion des réseaux relativement efficace, performances techniques réelles (sauf sinistres liés à un mauvais état des réseaux ou à des pannes de motopompe); demande permanente pour de nouveaux aménagements.
Les raisons en sont aujourd'hui bien connues:
- convergence d'intérêt entre l'Etat et les paysans, dans un contexte où la désorganisation des systèmes de production rendait nécessaire de pouvoir produire (l'irrigation a joué et joue un rôle incontestable dans la sécurité alimentaire locale; elle représente souvent 50 à 80 % de la production céréalière des familles);- souplesse du mode d'organisation, qui laissait les producteurs inventer leurs règles d'action collective, jouant entre le fonctionnement politique très hiérarchisé de la société villageoise et le modèle plus égalitaire des classes d'âge, laissant le contrôle politique des groupements à des personnes socialement légitimes;
- subventions officielles ou occultes qui réduisaient considérablement le coût de l'irrigation (dont des arriérés de crédit qui s'accumulent).
- le contexte de crise aiguë a sans aucun doute favorisé, dans un premier temps, l'établissement d'un consensus relatif sur l'accès égalitaire aux parcelles. La faible taille des parcelles (0,2, puis 0,5 ha) limitait aussi l'enjeu économique: il ne s'agissait que d'un complément de production, jouant un rôle de sécurité alimentaire, et non d'une occasion d'accumulation.
La souplesse de l'intervention SAED (qui n'est pas due à une négociation ex ante des règles du jeu avec les villageois mais à un pragmatisme de fait2), a aussi permis les ajustements entre logique de la SAED et logiques paysannes: alors que l'irrigation était censée se substituer aux cultures pluviales et de décrue, peu productives, les paysans ont intégré la parcelle irriguée à un système diversifié de ressources économiques (dont ces cultures, mais aussi les revenus de l'émigration). Alors que tout faire-valoir indirect était interdit, des ajustements avaient lieu, en fonction du rapport entre main-d'oeuvre/bouches à nourrir et parcelles.
2 C'est aussi une ambiguité du terme "participation"...
Pendant cette période, il semble qu'il n'y ait eu que peu de conflits internes: les exclus (femmes et jeunes) acceptent cet état de fait, qui correspond à une convergence de logique entre Etat et chefs d'exploitation:
- l'accroissement du nombre d'aménagements permet de réguler l'accès aux parcelles (parallèlement à un cumul modéré);- les faibles coûts de production et les crédits SAED permettent de minimiser le problème de l'accès au capital et le flou dans la gestion des cotisations.
La majorité des conflits se situaient entre les groupements et l'encadrement, en particulier sur les perturbations liées aux dysfonctionnements de la structure SAED (retards dans les livraisons d'intrants, retards dans la réparation des motopompes, etc) ou aux erreurs techniques dans la conception ou la réalisation des réseaux, et sur le partage des responsabilités en cas de sinistres (qui permet d'annuler les crédits...). Les paysans faisaient (légitimement) payer à la SAED le risque cultural et cherchaient en même temps à minimiser les coûts de production. En même temps, les paysans développaient un jeu clientéliste avec la SAED, via les encadreurs: un des enjeux pour les candidats responsables de groupement était d'obtenir que leur PIV soit inscrit par la SAED sur la programmation.
7 - Les changements récents: de nouvelles différenciations
A partir de 1987, le désengagement de la SAED change les règles du jeu3: fin des subventions, arrêt des livraisons de gas-oil, fin du crédit sur les engrais; réduction nette du rythme d'aménagement. Les coûts de production augmentent, des cotisations sont nécessaires pour acheter le gas-oil, ce qui renforce la contrainte en capital. Le problème des performances et la rigueur de gestion deviennent des enjeux, et des jeunes alphabétisés remettent en cause le mode de gestion des "vieux" et l'absence de transparence (sans cependant arriver à prendre le contrôle des PIV). Le risque cultural, qui augmente avec la dégradation des réseaux, devient insupportable, et provoque des abandons de parcelles, et même de PIV entiers. Le besoin d'augmenter les surfaces, pour faire face aux coûts, devient plus crucial alors même que le nombre de parcelles reste constant, faute de nouveaux aménagements.
3 Le désengagement fait suite à la Nouvelle Politique Agricole de 1984. Mais ses effets sur le terrain ne se font sentir qu'à partir de l'arrêt du crédit aux intrants, en 1987.
Il en résulte deux évolutions:
- les stratégies se différencient, en fonction des autres opportunités de ressources économiques: les familles avec migrants tendent à laisser leurs parcelles en faire-valoir indirect, se constituant ainsi une rente foncière, au détriment des familles sans autres ressources, qui doivent tirer le maximum de l'irrigation4. Des ventes de parcelles ont aussi été signalées, sans qu'on puisse en mesurer l'ampleur.4 En fait, il existe différents modes de faire-valoir indirect sur les PIV, qui correspondent à différents rapports de production, couplant rente foncière et crédit usuraire, tout en étant appelés du même terme de "rem-peccem" qui désigne le métayage à moitié des terres de décrue.- parallèlement, la mise en application de la Loi sur le Domaine National sur le fleuve en 1980 rend possible, à partir de la fin des années 80, le développement de "périmètres irrigués privés" (PIP). Une fraction de l'aristocratie foncière se fait attribuer des terres par le Conseil rural et aménage des périmètres rizicoles et maraîchers, qu'elle fait cultiver en métayage par les paysans du village. Les PIP permettent ainsi à ses initiateurs, souvent leaders ou politiciens locaux, de sécuriser leurs droits fonciers sur une partie de leur patrimoine lignager, de reprendre un contrôle sur les hommes, à travers l'accès au groupement, et de se constituer une nouvelle forme de rente foncière.
Ces deux aspects font se refermer la phase de relative égalitarisation de l'accès au foncier. Le changement de contexte économique et politique conduit à une double rareté, du capital d'exploitation, d'une part, de la terre aménagée, de l'autre. Il provoque de nouvelles différenciations, fondées sur l'accès à ces ressources. Cependant, même si, sur les PIV, les paysans utilisent le terme de "rem-peccem" (métayage) pour désigner les différents modes de faire-valoir indirect; et même si, pour les PIP, les bénéficiaires sont essentiellement des fractions de l'aristocratie foncière, il ne s'agit pas d'une reconstitution, après quelques années, des "inégalités sociales traditionnelles". Il s'agit de nouvelles différenciations, fondées sur l'accès au capital qui s'appuient en partie sur les différenciations pré-existantes. Enfin, les surfaces aménagées en PIV étant à peu près fixées (même si la SAED continue à en aménager, à un rythme beaucoup plus faible), les héritages vont tendre à réduire le nombre de familles bénéficiant de parcelles.
Cet exemple montre qu'une innovation "transformatrice", avec des implications sociales fortes (accès à la terre relativement égalitaire, en contradiction totale avec les règles sociales locales) peut être acceptée, qu'un consensus peut être obtenu, dans certaines circonstances. Ces circonstances tiennent au fait que la SAED ait imposé cette règle (il est peu probable qu'elle se soit mise en place toute seule), mais aussi au contexte agro-économique et de crise aiguë de la période initiale.
Finalement, le caractère relativement égalitaire de la première phase de l'histoire des PIV ne découle-t-elle pas du contexte économique et politique de l'époque, autant que de la dimension "participative" de l'intervention? En répondant à des demandes de groupements constitués, la SAED s'interdisait en fait de vérifier si tout le monde avait bien accès aux parcelles ce qui aurait pu être le cas s'il y avait eu des recensements de chefs de ménage et, pour chaque PIV, un tirage au sort des bénéficiaires parmi ceux qui n'en avaient en pas encore obtenu. Une fois le consensus sur l'accès de tous aux parcelles (dont il n'est pas sûr du tout qu'il se serait produit si elle n'en avait pas fait une règle d'intervention), la SAED a laissé jouer les rapports sociaux locaux et a évité de trop s'immiscer dans la gestion interne des groupements. Même lorsque, après la mise en place de la Loi sur le Domaine National, les affectations foncières sont devenues du ressort de la Communauté rurale, elle s'est basée sur les consensus villageois, et non sur les attributions officielles, pour décider des réalisations d'aménagements.
Ce pragmatisme (qui n'est pas contradictoire, dans la pratique, avec un technocratisme dans les façons de fonctionner) est une des caractéristiques de la SAED dans la moyenne vallée.
B - Variantes ONG en pays sooninke
Le même modèle technique des PIV a été diffusé par des ONG, dans des contextes d'intervention différents, ce qui rend les comparaisons intéressantes sur les démarches d'intervention. Il ne s'agit pas ici de "participation" des populations à un projet global, défini indépendamment d'eux, mais de cas où les règles du jeu ont été définies en négociation (avec toute l'ambiguité sur le contenu de cette négociation; en l'occurrence, le dialogue a été réel, même si on ne peut oublier que les rapports sont forcément inégalitaires à cause de la maîtrise du financement que détient, directement ou non, le technicien de l'ONG). Dans ces villages, on compte un PIV, au maximum deux, alors que, dans la moyenne vallée, la SAED a parfois aménagé jusqu'à 8 ou 10 PIV.
1 - La parcellisation des PIV à la Fédération des paysans de Bakel
A l'extrême amont de la vallée, au Sénégal, les PIV ont été introduits aux débuts des années 70 par une organisation paysanne fondée par un ancien émigré, avec l'appui d'une ONG, avant même l'intervention de la SAED. Les choix techniques et organisationnels ont été faits par la Fédération, en négociation avec l'ONG.
Pour les mêmes raisons de sécurité alimentaire, les groupes concernés sont les chefs de famille du village; les femmes et les jeunes sont exclus de l'accès aux parcelles. L'idéologie communautaire du projet veut que toutes les familles y aient accès, quel que soit leur statut. Le groupement est dirigé par des notables, proches de la chefferie quand ils n'en sont pas directement issus.
Dans un premier temps, les PIV ont été cultivés en travail collectif: tout le monde travaillait, sous la direction de chefs des travaux. Le produit net, une fois déduites les charges, était réparti entre les familles. Ce système a provoqué de nombreux conflits, les captifs se plaignant que ce système revenait à les faire travailler pour les notables, ces derniers faisant de l'absentéisme ou se réservant les fonctions de direction: "les plus fervents opposants à l'individualisation restaient les nobles. Avec l'individualisation, ils verraient leur pouvoir se réduire considérablement. Ainsi certains nobles (et marabouts) n'ayant jamais mis les pieds sur le périmètre, dirigent néanmoins le groupement" (Aprin).
Les PIV ont donc été découpés en parcelles familiales. Seule une partie du PIV est conservé en champ collectif, dont la production est censée permettre de payer les charges, et éviter aux paysans d'avoir à débourser de l'argent. D'une certaine manière, on peut dire que la tentative de reproduire, au niveau du groupement, le système du "grand champ", où les dépendants travaillent collectivement sous la direction du chef de famille, a échoué. Le groupement (ou plus exactement ses responsables) ont dû accepter l'autonomisation relative et la constitution de "petits champs" gérés individuellement (ici à l'échelle des familles), le travail collectif sur un champ commun (le champ de la motopompe) ne subsistant que pour compenser les prestations collectives reçues du groupement (crédit sur les engrais et le gas-oil).
2. Les Périmètres Irrigués Villageois de la Falemé au Mali
Deux PIV ont été construits sur la Falémé, à la frontière du Sénégal, sur initiative d'associations villageoises de ressortissants installées en France, avec l'appui d'une ONG spécialisée dans l'appui aux projets de développement des migrants, le GRDR. Les migrants se sont inspirés de l'expérience de la fédération de Bakel, qui démarrait alors. Le premier périmètre irrigué, à Sangalou, a été construit en 1980. D'une surface de 5 hectares, il a été confié aux jeunes du village, considérés comme plus ouverts à l'innovation technique. A bout d'une année, au vu des résultats, il a été décidé de l'agrandir à 15 ha (puis à 18). Après un débat parmi les émigrés, il a été décidé de le confier aux chefs de famille, pour couvrir les besoins alimentaires.
Le groupement est dirigé par un groupe de notables, et présidé par le fils du chef de village (qui exerce les fonctions à la place de son père, trop âgé). Le fonctionnement recouvre le fonctionnement politique du village. Chaque famille dispose d'une parcelle; du fait de la faible taille des parcelles familiales, les femmes et les jeunes n'ont pas de parcelle, mais des carrés de maraîchage ont été installés en bordure du canal principal. Comme à la fédération de Bakel, un champ collectif a été mis en place pour couvrir les dépenses. Suite à des problèmes d'investissement en travail, il a été abandonné quelques années après. En 1987, un second périmètre a été créé, qui est géré par le même groupement. Les jeunes et les femmes ont réclamé des parcelles, mais n'ont pas eu gain de cause.
A 5 km de là, à Gouthioubé, le PIV date de 1983. Il couvre 40 ha. Là, le groupement est dirigé par un ancien émigré, qui, tout en étant libre, n'est pas ressortissant du lignage de la chefferie. Grâce à la taille de l'aménagement, des parcelles ont été attribuées aux femmes. L'idée de PIV est venue des migrants, en réponse à une demande des villageois pour financer une mosquée. Ce n'était donc pas une demande locale. Néanmoins, Gouthioubé est un village dont le terroir a été amputé lors de la mise en place des frontières entre les trois pays, et ne dispose que de peu de terres. Ne pouvant étendre les cultures pluviales, les paysans ont intérêt à accroître leur production et à la sécuriser. C'est un des villages où les PIV sont les mieux gérés.
Plus récemment, une nouvelle série de PIV a été réalisée (1992-94), dont certains étaient des demandes avancées depuis longtemps par des migrants. Signalons juste le cas de Kotéra, ancienne capitale du Gajaaga. L'association des migrants, dirigée par des membres de la famille royale, voulait réaliser un PIV dans le village, pour limiter sa dépendance alimentaire. Outre le fait qu'il se posait des problèmes techniques, une étude économique avait montré que, les villageois vivant largement sur la rente migratoire, il n'y avait que peu de chances qu'ils soient prêts à s'investir dans l'irrigation, à intensifier suffisamment pour faire face aux coûts de production élevés.
Suite aux pressions des émigrés, le village a été inclus dans le programme d'aménagement, et de nombreux problèmes de mobilisation sont apparus, tant pour le chantier que pour la mise en culture, vérifiant ainsi a posteriori que l'enjeu économique réel est crucial dans le devenir des projets. En pays sooninke, du fait de la grande taille des familles et de la faiblesse des surfaces aménagées par village, l'irrigation ne peut être qu'un complément très partiel. De plus, le risque agro-climatique est plus faible qu'en pays haalpulaar. Tout se conjugue pour que le périmètre n'ait qu'un enjeu économique secondaire, surtout en bonne année pluviométrique.
Ces variantes montrent que des choix différents peuvent être faits lorsque les acteurs locaux (ou en tous cas les migrants, pour être plus justes...) sont partie prenante des décisions sur les choix organisationnels, choix qui peuvent avoir des répercussions différentes pour les groupes dominés: le premier modèle de la fédération de Bakel visait clairement à renforcer le pouvoir de l'aristocratie sooninke sur la main-d'oeuvre (contrôle qui s'effritait suite à l'émancipation des captifs). Les conflits l'ont néanmoins obligée à accepter l'individualisation des parcelles, tout en gardant bien sûr le contrôle des groupements. Je ne saurais cependant dire dans quelle mesure l'ONG a influé dans le choix de donner des parcelles aux femmes à Gouthioubé.
II. Les seuils rizicoles
(pour une analyse plus détaillée: Lavigne Delville 1995)
1. Définition de l'action
Les seuils rizicoles sont de petits ouvrages de maîtrise de l'eau dans les bas-fonds: pour faire face au risque hydrique, on construit un barrage souterrain, qui bloque les écoulements de la nappe, et un petit barrage superficiel (0,7 à 1 m de haut) équipé de vannes, pour maintenir une lame d'eau en surface. Les seuils rizicoles visent à sécuriser la riziculture dans les bas-fonds des zones soudaniennes (900-1200 mm), voire sahélo-soudaniennes (500-900 mm). Les projets qui les mettent en place sont spécialisés sur cette action, ou bien ont une démarche de type "gestion de terroirs", et financent des réalisations diverses demandées par les villageois (ce qui multiplie là aussi les variantes).
La majorité des projets sont des projets "participatifs", qui visent à répondre à une demande villageoise. Cette démarche se traduit par des méthodologies diverses qui laissent une place variée aux objectifs des différents groupes stratégiques.
2. La structure de la société locale
Globalement, les sociétés de la zone soudanienne sont des sociétés segmentaires, sans forte différenciation statutaire. Les clivages sont donc entre hommes et femmes, jeunes et aînés, ainsi qu'entre familles fondatrices (ou installées anciennement), et familles d'installation plus récente. Des campements peuls existent aux alentours des villages.
3. Populations cibles, populations exclues
La population-cible n'est pas toujours précisée par les projets: c'est "le village" (ce qui exclue les éleveurs). En général, les bas-fonds sont cultivés et la population-cible est de fait les utilisateurs actuels du bas-fonds. Certains projets, voyant dans l'aménagement une action communautaire, demandent que tous puissent avoir accès au bas-fonds aménagé; ils n'interviennent que lorsqu'un consensus a été obtenu sur ce point. Je n'ai malheureusement pas d'information précise sur ces cas5.
5 C'est une des points qui seront approfondis dans une étude en préparation sur "Stratégies foncières et aménagement de bas-fonds".
Dans la majorité des cas, les bas-fonds sont cultivés par les femmes. Ce sont alors elles la population-cible, l'aménagement de bas-fond rentrant dans le cadre du soutien aux femmes. Bien que les structures foncières des bas-fonds soient mal connues, il semble qu'ils soient en majeure partie, sinon exclusivement, appropriés par le lignage fondateur ou par les lignages les plus anciens. Les "étrangers" (même installés depuis 20 ou 30 ans) n'y ont pas accès. Ce qui réduit les bénéficiaires de fait aux familles dominantes.
De plus, le seuil rizicole n'a d'impact que sur une partie du bas-fond: la zone contrôlée par la lame d'eau créée par l'ouvrage. Sauf redistribution foncière, seule une partie des femmes est donc susceptible d'en bénéficier, et le groupe des bénéficiaires réel est déterminé par le choix de l'emplacement de l'ouvrage. Derrière l'apparence communautaire, il y a ainsi une sélection de fait, jamais explicite, des bénéficiaires.
4. Les groupes stratégiques villageois
Les différents groupes sont:
- les hommes;- les femmes;
- les familles qui ont accès au bas-fond;
- les autres et, en leur sein, les familles concernées par le site choisi;
- les familles dominantes (chefferie, famille ayant fait la demande de l'ouvrage, responsables de groupement préexistants, etc.) sont a priori dans la position d'influer sur la composition du groupe des bénéficiaires en déterminant le site proposé aux intervenants (qui l'acceptent ou non, sur des critères techniques);
- les éleveurs, rarement concernés par ces projets.
- enfin, deux groupes supplémentaires sont créés du fait de l'intervention: les membres du comité de gestion et les animateurs.
5. Les comités de gestion et les animateurs
Les projets demandent en général au village de désigner un animateur, qui est chargé des relations avec l'intervenant, d'organiser le chantier, puis de la gestion des vannes: il faut en effet fermer progressivement les vannes, au fur et à mesure de la croissance du riz. C'est en général un jeune, scolarisé. Cet animateur se trouve dans une position stratégique d'interface avec l'intervenant. En même temps, il se retrouve au centre des conflits sur la gestion de l'eau (cf. ci-dessous), devant, sans en avoir vraiment les moyens, arbitrer entre des intérêts divergents.
Le comité de gestion est formé avant la réalisation du chantier. Il est censé prendre en charge, après réalisation, la gestion et l'entretien du seuil. Selon les cas, sa composition est variable: il compte 5 ou 6 personnes, dont le ou les animateurs, et des notables. Il ne comprend pas toujours de représentant des usagers, en particulier quand il s'agit de femmes, ce qui n'est pas sans poser des problèmes dans la gestion courante. Le rôle du comité est finalement assez réduit: il s'agit de gérer les vannes, tâche pour laquelle il se repose en général sur l'animateur, et ne joue qu'un rôle d'arbitrage (d'ailleurs assuré par le président).
6. Les conflits
Les conflits sont de deux ordres: d'une part entre les exploitant(e)s, et d'autre part entre les exploitants et les chefs de famille (en particulier lorsque ce sont les femmes qui exploitent).
- entre les exploitants: l'aménagement crée une interdépendance entre exploitants qui partagent la lame d'eau, dont la hauteur varie selon la position dans le bas-fond et le degré de fermeture des vannes. Les parcelles basses sont facilement inondées; leurs exploitants veulent retarder la fermeture des vannes, ou les ouvrir, alors que les parcelles en limite de la zone concernée n'ont pas assez d'eau, et leur exploitants veulent fermer les vannes. Ces intérêts divergents se cristallisent sur l'animateur, qui est soumis aux pressions multiples et contradictoires, et en particulier des femmes de sa famille, du chef de terre, etc.
Face à cela (et faute d'avoir des régles claires de gestion, sur lesquelles s'appuyer), l'animateur se replie sur le projet et attend le passage des techniciens du projet pour intervenir. Les projets se plaignent d'une insuffisante "responsabilisation" du comité sur la gestion des vannes, laquelle ne résulte pas tant d'un manque de formation ou de motivation que de la situation impossible dans laquelle se trouve le jeune animateur.
- ces tensions se doublent d'un autre clivage, entre femmes exploitantes et chefs de famille. En effet, il apparaît clairement partout que l'enjeu, pour les hommes, n'est pas tant l'amélioration de la riziculture des femmes que la constitution d'une retenue d'eau pour l'abreuvement du bétail et pour la recharge des nappes (afin de faciliter le maraîchage sur puisards, sur les talus). Cet objectif implicite est souvent voilé, car les aménagements pastoraux ne sont guère prisés des intervenants et certains villages qui en avaient demandé explicitement se sont vu refuser l'intervention. Le seuil rizicole est dans ces cas une façon contournée d'espérer obtenir une mare. Dans la pratique, cela se traduit par une fermeture précoce et permanente des vannes (d'autant plus facile que les hommes sont en majorité, sinon les seuls, dans le comité de gestion) qui pose des problèmes pour les exploitantes: zones incultivables, sinistres, récolte dans l'eau, etc.
Enfin, dans certains cas, l'aménagement fournirait l'occasion, pour les hommes, de récupérer les bas-fonds au détriment des femmes. Des cas m'ont été signalés, mais je n'ai pas encore d'information précise. Notons tout de même différents éléments qui rendent cela plausible.
Alors que la riziculture féminine de bas-fonds est souvent perçue comme "traditionnelle", elle est, dans la grande majorité des cas rencontrés, le fruit d'une évolution récente: les bas-fonds étaient, dans les années 40, cultivés par les hommes, le riz étant une culture de rente. Les femmes âgées, dispensées de travail dans le champ familial, avaient une petite parcelle. Lorsque d'autres cultures de rente, moins exigeantes en travail, sont apparues (coton, en particulier), les hommes ont abandonné les bas-fonds (en tous cas les petits bas-fonds). En même temps, l'accroissement de l'autonomie des dépendants a multiplié les "petits champs", et les jeunes femmes ont eu accès à des parcelles. Dans les régions de grandes plaines (région de Sikasso), les plaines de bonnes potentialités agricole et proches des marchés, restent cultivés par les hommes, qui ont laissé aux femmes les zones les moins favorables. Rien n'interdit donc que, si le bas-fonds reprend un enjeu économique, les chefs de famille reprennent le contrôle des bas-fonds.
7. Les manoeuvres non conflictuelles
Un premier registre renvoie aux questions foncières, lorsque le village dépend d'une maîtrise de terre dans un autre village. Une négociation est alors nécessaire pour obtenir l'accord. Ce qui aboutit à des solutions parfois originales:
Lorsqu'un village A n'a pas de maîtrise foncière sur un bas-fonds proche qu'il cultive, l'aménagement représente un enjeu important. Pour lui, c'est une façon de se procurer des droits durables sur cette portion d'espace. Dans certains cas, les villageois disent à l'intervenant qu'ils ne peuvent pas aménager sans l'accord du village B dont ils dépendent, et se chargent d'aller négocier son accord. Mais ils peuvent aussi chercher à faire un "coup de force" grâce à l'intervention, en mettant les chefs de terre de B devant le fait accompli. De telles situations sont sources de conflit, et l'intervenant doit y être attentif.L'issue de la négociation avec le village B est variable. Parfois, il accorde le droit d'aménager, et renonce à cette terre. Parfois, il refuse et le projet est suspendu. On m'a cité un cas où le village B, de petite taille, n'a accepté qu'à deux condition: bénéficier également d'un aménagement, réalisé avant celui de A, et que les deux villages travaillent sur les deux chantiers. Cet arrangement permet à B de s'assurer une aide importante en travail pour son chantier (car A est un plus gros village, avec plus de force de travail), lui conserve un droit sur l'aménagement de A (car il a participé au chantier) et assure à B (puisque son aménagement est réalisé en premier) que A tienne bien ses engagements.
Un second registre de manoeuvres non conflictuelles tient au choix du site du projet. Le fait de proposer un site proche de la zone du bas-fond qu'on contrôle est plus intéressant pour les personnes influentes: chef de terre ou de village, responsable de groupement, etc.
Un troisième registre résulte de la dimension "villageoise" donnée aux aménagements, qui aboutit à mobiliser l'ensemble de la main-d'oeuvre villageoise pour un ouvrage qui ne bénéficient finalement qu'à quelques familles. La manoeuvre consiste en un classique absentéisme sur le chantier, à partir du moment où les gens comprennent qu'ils n'en tireront aucun avantage (le flou sur la définition des "bénéficiaires", très fréquent dans les relations entre projets et populations, peut maintenir l'illusion pendant le chantier).
8. L'écart entre les objectifs et ses résultats effectifs
L'objectif de sécuriser la riziculture est en général atteint, mais l'aménagement crée de nouveaux risques: noyade de parcelles, etc. et d'autres causes de sinistres. D'autant plus que les contraintes inhérentes aux seuils rizicoles ont rarement été vraiment discutées avec les exploitant(e)s, avant la décision d'aménager (et quand cela l'a été, le public est plus souvent les hommes que les femmes, celles-ci peuvent ainsi découvrir quand on ferme les vannes que leur parcelle est noyée...). Il y a donc un temps d'ajustement des pratiques (changement de variétés, pour les zones à forte lame d'eau; synchronisation des dates de semis par zone, etc.), qui est d'autant plus longue que les recommandations sur ce thème ne sont pas précises.
Une interrogation subsiste sur le risque hydrique. Certains bas-fonds ont été abandonnés et le seuil a permis de les remettre en culture. Mais des enquêtes dans la zone de Kolondiéba (Dacko) montre que, pour les femmes, la contrainte majeure est l'enherbement et non l'eau. Celles-ci ont de fait de très fortes contraintes en travail, et souhaitent pouvoir utiliser du désherbant. Maintenir une lame d'eau permet de mieux contrôler les adventices, et la baisse générale des nappes a sans doute multiplié la contrainte des adventices, entraînant des abandons de bas-fonds, mais ce n'est qu'une cause indirecte.
La question est dès lors: le seuil est-il toujours la meilleure réponse technique? et peut-on obtenir le même impact sans avoir à créer les contraintes de gestion des vannes.
Conclusions
Derrière une démarche participative qui prend en compte les mêmes composantes classiques (diagnostic avec les villageois, décision négociée, vérification d'un consensus sur le foncier, mise en place de comités de gestion avant aménagement), des différences dans le détail des approches peuvent aboutir à des impacts différents. Il en ressort deux conclusions principales.
1 - La démarche participative, la négociation avec les villageois, ne permet pas, en soi, d'éviter la surdétermination par l'offre, comme le montre le fait qu'une demande de seuil rizicole puisse cacher un objectif d'abreuvement du bétail (avec tout ce qui cela entraîne comme problèmes de gestion des ouvrages). Ne pas prendre en compte cette diversité de logiques interdit d'organiser une négociation sur les règles du jeu de gestion des vannes. Par rapport à cela, différentes réponses sont possibles, à partir du moment où on en a conscience: Il est donc contradictoire de prétendre répondre aux demandes locales en ayant un ou quelques axes d'action.
Dans ce sens, les projets de "développement local" récents répondent à une grande diversité de thèmes, ce qui peut limiter les manipulations de l'offre. Mais cela ne résoud pas le fait que les demandes risquent alors d'être d'abord celles des hommes, voire des notables. C'est là l'intérêt des démarches d'animation qui prennent en compte la diversité des groupes sociaux dans le diagnostic des priorités de réalisations. Elles ont montré qu'on pouvait, suite à une première réunion générale, constituer des réunions par groupes d'intérêt (hommes, femmes, jeunes, en général), avant une restitution en assemblée générale où le groupe dominant prend la parole en dernier, et où les décisions sont donc prises après avoir écouté les priorités de chacun. Ces démarches d'animation n'assurent pas cependant que les intérêts des groupes sociaux dominés soient pris en compte, mais elles permettent d'assurer qu'ils aient été formulés... et entendus par les autorités (qui ont légitimité pour trancher) ce qui est déjà quelque chose.
Une autre solution consiste, comme le fait Helvétas, à s'engager sur un programme pluri-annuel d'aménagement global du bas-fonds, qui permet une plus grande souplesse d'intervention: réaliser un seuil là où le site est favorable, mais aussi de surcreuser une mare, etc.. L'aménagement global du bas-fond permet aussi de résoudre la contradiction liée à un investissement "villageois", "collectif" ... qui ne bénéficie qu'à certains. Tous les ayant-droit sur le bas-fond bénéficieront, à terme, d'un aménagement
2 - La validité d'une démarche ne tient pas au discours tenu à son propos, mais au détail de la façon de faire. Certains intervenants poussent la démarche - et ils ont raison! - jusqu'à faire une restitution des études aux villageois, expliquant quelle sera la zone concernée, quelles portions du bas-fond auront une forte lame d'eau et devront changer de variétés, etc. Ce qui me paraît le minimum, si l'on veut que les "bénéficiaires" puissent prendre la décision d'aménager en connaissance de cause. Mais bien souvent, les seuls interlocuteurs sont les hommes, que ce soit dans la visite de plaine, ou dans la restitution sur les impacts prévisibles de l'aménagement. Ceux-ci sont censés restituer à leurs femmes l'information. De fait, les femmes découvrent alors a posteriori les problèmes de gestion de l'eau, alors qu'elles sont les premières à être concernées. De même, il est contradictoire de ne mettre que des hommes (ou surtout des hommes) dans le comité de gestion. Il est clair que les rapports hommes-femmes ne favorisent pas le fait que les femmes puissent être des interlocuteurs directs des projets. Mais, sans faire de féminisme forcené, n'y a-t-il pas des marges de manoeuvres pour être un peu plus cohérent?
Cela montre que les démarches d'animation, la constitution des comités de gestion, les outils de gestion (sur quelles règles peuvent se baser les animateurs?), etc. sont des choses qui ont des impacts significatifs, mais qui doivent être réfléchies. Or ce sont souvent des "boîtes noires" pour les intervenants. Le risque est alors de ce contenter d'une vague rhétorique (notamment par l'usage de notions floues telles que "le village" ou "la communauté"). Les démarches participatives nécessitent de la part des intervenants une réelle sensibilité sur tous ces aspects et un savoir-faire spécifique.
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Le texte proposé ici est un extrait comportant de légères adaptations par les rédacteurs du présent rapport d'une publication de: OLIVIER de SARDAN J.P., BIERSCHENK T., 1994, ECRIS: Enquête Collective Rapide d'Identification des conflits et des groupes Stratégiques, in Bulletin de l'APAD (Association Euro-Africaine pour l'Anthropologie du changement social et du développement, n° 7, pp. 35-43),
ECRIS se déroule en 6 phases. La démarche est un continuel va-et-vient entre phases individuelles et phases collectives, à la différence de l'enquête ethnographique classique qui privilégie la recherche individuelle de longue durée, et à la différence aussi des méthodes d'enquêtes accélérées (type RRA-MARP) qui privilégient l'enquête collective de courte durée.
1) Une enquête individuelle de repérage
Préparation rapide (un à deux jours sur chaque site de recherche) du travail d'équipe à venir avec:
- identification sommaire des principaux enjeux locaux en fonction du thème du projet;- proposition des groupes stratégiques provisoires, regroupant des catégories d'acteurs dont on peut présumer qu'ils partagent un même rapport global à ces enjeux.
Si le thème de la recherche est mettons l'évaluation d'un projet de développement local, l'enquête préliminaire relèvera par exemple l'existence d'enjeux fonciers liés au projet, de conflits agriculteurs/éleveurs, de rivalités entre deux grandes familles aristocratiques, ainsi que l'exclusion des femmes des bénéfices du projet. On pourra alors proposer comme groupes stratégiques provisoires: (1) les simples agriculteurs (2) les simples éleveurs (3) les deux familles aristocratiques (4) les intervenants extérieurs (ONG, services techniques) (5) les femmes.
2) Un séminaire de préparation
Ce séminaire (deux jours) doit:
- familiariser les participants avec la problématique et la méthode;- faire le point de la documentation sur les sites de recherche;
- proposer une série d'indicateurs qualitatifs provisoires susceptibles de guider les recherches individuelles ultérieures (on ne peut évidemment proposer des indicateurs standards qui varie selon les projets). Chaque indicateur correspond au recueil d'un corpus systématique, autour de données de natures diverses (entretiens, descriptions, recensions), sur un domaine très circonscrit, considéré comme potentiellement révélateur pour le projet étudié.
On pourrait proposer, pour poursuivre avec l'exemple précédent, comme indicateurs provisoires: l'histoire et la typologie des projets s'étant succédé dans le village, l'analyse d'un processus de décision local lié au projet actuel, la biographie de quelques acteurs centraux du projet, la description d'une assemblée générale de la coopérative, l'inventaire des lieux de débats et de discussion publique dans le village...
3) L'enquête collective
Le principe de base de ECRIS est le suivant: l'ensemble de l'équipe d'enquêteurs tourne successivement sur chaque site et reste deux jours sur chaque site. Sur un site donné les enquêteurs se divisent en plusieurs groupes d'enquêteurs (2 à 3 personnes maximum par groupe). Chaque groupe d'enquêteurs se focalise pendant les 2 jours sur un groupe stratégique local et un seul. Il n'enquête que sur des personnes relevant du groupe stratégique qui lui a été affecté. La composition des groupes d'enquêteurs change d'un site à l'autre.
Cette enquête collective est le noyau central de ECRIS. Elle permet à chacun de se confronter à l'approche d'un problème via la notion de groupe stratégique, ainsi que de se confronter à la variété et à la relativité des groupes stratégiques. On ne considère pas le groupe stratégique comme un "vrai" groupe. On ne suppose pas que le groupe stratégique ait une position commune établie. Il n'est pas question de "focus group": si certains entretiens peuvent être collectifs (en général parce que les circonstances l'imposent, et qu'un entretien individuel se transforme vite en entretien collectif informel dès lors qu'il n'est pas secret...), on privilégie plutôt les entretiens individuels, avec des personnes aussi variées que possible à l'intérieur du groupe stratégique affecté à un groupe d'enquêteur
Si sur le site retenu il y a 10 enquêteurs, on fera donc 5 groupes d'enquêteurs de chacun 2 personnes. Un de ces groupes enquêtera par exemple uniquement auprès des femmes. Mais il ne réunira pas les femmes du village ou ne convoquera pas leurs responsables. Il ira voir successivement femmes de chef et simples paysannes, vieilles femmes et jeunes femmes, responsables associatives et femmes marginalisées, etc.
Les consignes sont les suivantes:
1. Consigne principale: identifier au fil de l'enquête le maximum possible de conflits et de contradictions, y compris ceux où les interlocuteurs ne sont pas impliqués directement. Par exemple les entretiens avec des femmes permettront de préciser non seulement les conflits entre femmes et hommes à propos de la commercialisation, mais aussi d'évoquer leurs points de vue sur les conflits entre éleveurs et agriculteurs, ou entre les deux lignage aristocratiques, ainsi que de repérer de nouveaux conflits (autour des appartenances religieuses ou politiques, ou à propos du renouvellement du bureau de la coopérative, ou en raison de soupçons de détournement..)
On peut ajouter deux consignes complémentaires:
2. Tenter de comprendre le plus possible "de l'intérieur" la relation que les membres de ce groupe stratégique entretiennent avec ce qui constitue le thème du projet ainsi que leurs perceptions des autres groupes, et essayer de décomposer le groupe stratégique en diverses composantes ayant des comportements ou des discours communs, et se différenciant des autres composantes. Quelles visions et quels usages les femmes d'agriculteurs ont-elles du projet de développement? Que pensent-elles des intervenants extérieurs et du rôle du sous-préfet? Les discours tenus parmi les femmes d'éleveurs sont-ils différents? Jeunes femmes et vieilles femmes semblent-elles avoir les mêmes positions, les mêmes appréciations?3. Approfondir les indicateurs qualitatifs provisoires (mis au point lors du séminaire de préparation) et chercher des domaines où ils pourraient être mis en oeuvre.
La "décision" locale dont il serait intéressant de faire l'histoire pourrait être le renouvellement du bureau; tels et tels acteurs pourraient faire l'objet d'une biographie; le baobab au centre du village et le domicile du chef le samedi matin lorsqu'il rend justice sont les principaux lieux de débats à observer, etc. Mais il serait aussi intéressant de rajouter parmi les indicateurs un recensement des diverses associations, des membres de leurs bureaux et des liens de parenté entre ceux-ci... Chaque soir une séance collective de bilan permet de recouper les différents conflits vus selon différentes perspectives, d'émettre de nouvelles hypothèses ou de nouvelles interprétations, de concrétiser les indicateurs provisoires. Ces séances collectives constituent une base de travail pour celui des agents de l'équipe qui travaillera ensuite sur le site. C'est en particulier grâce à ces séances que le travail ultérieur individuel est considérablement défriché et préparé. La discussion collective sur le site en fin de journée, à partir de données empiriques toutes fraîches, recueillies selon des perspectives variées (les groupes stratégiques..., mais aussi les positions particulières des participants à l'enquête dans le dispositif du projet), grâce à une "entrée par les conflits", est en effet un outil particulièrement puissant de construction du thème à évaluer et de la méthode à suivre. La verbalisation qu'impose le débat à plusieurs et le "brain storming" collectif manquent à l'expert ou à l'agent de développement individuel.
4) Un séminaire de bilan d'enquête collective
Celui-ci (deux jours) a trois objectifs:
- élaboration finale des indicateurs qualitatifs communs, en quelque sorte testés au cours de l'enquête collective, qui serviront à chaque agent de points d'appuis pour son investigation personnelle;- détermination des pistes de travail propres à chaque site;
- établir un premier essai comparatif, tentant de dégager à partir des différents sites les points communs comme les spécificités de chacun, les lignes de force, les principales hypothèses.
5) Les recherches individuelles sur chaque site
Désormais la phase de travail de terrain individuel complémentaire est considérablement déblayée et sérieusement mise sur les rails. Il n'y a plus de procédure unique qui puisse être proposée: ECRIS lègue à chacun une série d'indicateurs communs, et une série de pistes particulières. Ce travail individuel ne peut avoir de durée standard. Tout dépend en effet des sujets explorés, des thèmes à évaluer et des conditions propres du projet. Certains peuvent demander des enquêtes complémentaires individuelles fort courtes de l'ordre d'une semaine (l'analyse d'une coopérative villageoise ou l'évaluation d'un petit projet local), d'autres des enquêtes complémentaires individuelles nettement plus longues de l'ordre de plusieurs mois (l'évaluation de projets intégrés ou l'étude des formes de pouvoir local).
6) Le séminaire final
Préparé par des rapports rédigés à propos de chaque site, il est entièrement consacré (sur deux jours) à l'analyse comparative, à travers l'interprétation des données locales, les résultats obtenus à travers les indicateurs qualitatifs, et le débat autour des hypothèses proposées.
***
Ce document vise à clarifier la notion de «Participation des
plus défavorisés» pour faire en sorte qu'elle soit mieux
applicable aux projets de développement.
Cette tentative de clarification se justifie, d'une part, par l'émergence de l'intérêt pour cette notion dans la littérature scientifique et d'expertise sur le développement rural ainsi que par la place centrale qu'elle occupe dans l'élaboration des nouvelles stratégies de développement dans un contexte d'ajustement structurel et de désengagement de l'Etat. Elle se justifie, d'autre part, par le fait que, dans les projets participatifs, l'appropriation des innovations par les groupes les plus vulnérables constitue le maillon le plus faible de ces nouvelles stratégies car le plus propice aux manipulations et aux malentendus.