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Module 10. Commerce et sécurité alimentaire: les options des pays en développement


10.1 Introduction
10.2 La sécurité alimentaire et le commerce international
10.3 Les politiques de sécurité alimentaire compatibles avec l’OMC
10.4 Quelques questions restant à négocier

P. Konandreas
Division des produits et du commerce international

OBJECTIF

L’objectif de ce module est d’aborder les problèmes liés à la sécurité alimentaire dans le contexte du commerce international et en particulier dans le cadre de l’Accord de l’OMC sur l’agriculture, afin d’aider les pays à comprendre les possibilités et limites de cet Accord en matière de politiques de sécurité alimentaire.

POINTS CLÉS

· La libéralisation du commerce a des conséquences pour la sécurité alimentaire à la fois positives et potentiellement négatives qui doivent être identifiées et comprises.

· L’Accord sur l’agriculture permet aux pays en développement de mettre en œuvre différentes politiques de sécurité alimentaire. Il est donc important d’identifier les dispositions qui offrent des marges de manœuvre dans la poursuite des politiques de sécurité alimentaire et celles qui pourraient limiter leurs possibilités et nécessiter certains ajustements dans le futur.

· Le présent module aborde également la manière dont les problèmes de sécurité alimentaire devraient être traités lors du prochain cycle de négociation.

10.1 Introduction

Faut-il modifier l’Accord du CU pour permettre aux pays de parvenir à la sécurité alimentaire?

Les Accords du Cycle d’Uruguay laissent aux pays en développement le choix entre diverses politiques pour atteindre leurs objectifs de sécurité alimentaire. Ces options comprennent notamment des politiques visant à protéger et à soutenir la production intérieure, à promouvoir une consommation adéquate et à stabiliser les marchés intérieurs. Malgré la marge de manœuvre laissée par les Accords du CU, beaucoup de pays en développement craignent que certaines dispositions ne restreignent leurs choix politiques dans le domaine de la sécurité alimentaire. C’est pourquoi il est indispensable de faire le point sur les options dont ils disposent et d’identifier les secteurs dans lesquels une plus grande flexibilité serait nécessaire.

Ce module aborde les points suivants:

· le concept de la sécurité alimentaire et les moyens par lesquels le commerce et la libéralisation des échanges peuvent contribuer à la réalisation des objectifs de sécurité alimentaire d’un pays;

· les options de politique dont disposent les pays en développement dans le domaine de la sécurité alimentaire; et

· quelques questions relatives à la sécurité alimentaire à prendre en compte lors des négociations futures.

10.2 La sécurité alimentaire et le commerce international

L’insécurité alimentaire demeure répandue

Bien que l’agriculture mondiale ait considérablement progressé depuis 40 ans, l’insécurité alimentaire persiste dans de nombreux pays. La FAO estime que plus de 800 millions de personnes, soit 19 pour cent de la population de la planète, souffrent de sous-alimentation chronique. Après la baisse régulière enregistrée au cours des deux dernières décennies, le nombre de personnes sous-alimentées a légèrement augmenté pendant les années 901. L’Asie détient le record, en valeur absolue, du nombre de personnes sous-alimentées, mais c’est en Afrique, au Sud du Sahara, que le pourcentage de personnes sous-alimentées est le plus élevé.

1FAO (1998)
10.2.1 Qu’est-ce que la sécurité alimentaire?

Pour la FAO, il y a sécurité alimentaire lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive, leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. Cette définition implique trois dimensions: la disponibilité, la stabilité et l’accès. La disponibilité adéquate de nourriture signifie qu’en moyenne l’offre doit être suffisante pour répondre aux besoins de consommation. La stabilité suppose de réduire au minimum le risque que, pendant les années ou les saisons difficiles, la consommation alimentaire puisse tomber en dessous du seuil de consommation requis. Quant à la notion d’accessibilité, elle vise à attirer l’attention sur le fait que, même en cas de disponibilités abondantes, de nombreuses personnes connaissent encore la faim parce qu’elles sont trop pauvres pour produire ou acheter la nourriture dont elles ont besoin. En outre, si la satisfaction des besoins alimentaires implique l’exploitation de ressources naturelles non renouvelables ou la dégradation de l’environnement, il n’y a aucune garantie que la sécurité alimentaire se maintienne à long terme.

La sécurité alimentaire peut également se définir à différents niveaux, à l’échelon mondial, à celui d’une nation, d’une région ou d’un ménage. En dernière instance, la sécurité alimentaire concerne l’individu ou la cellule familiale, et son principal déterminant est le pouvoir d’achat - à savoir le revenu ajusté pour tenir compte du coût de ce qu’il permet d’acheter. De même, le pouvoir d’achat au niveau national - à savoir le montant de devises disponibles pour payer les importations alimentaires nécessaires ajusté pour tenir compte du prix qui doit être payé - est un facteur déterminant de la sécurité alimentaire nationale.

La libéralisation du commerce a un impact sur la sécurité alimentaire...

Le commerce international et les effets des accords commerciaux multilatéraux auront une incidence sur la sécurité alimentaire à tous les niveaux. La libéralisation du commerce peut altérer non seulement les courants commerciaux entre les pays, mais aussi les revenus des producteurs de biens et services, et le pouvoir d’achat des consommateurs. Bien qu’il existe d’importants aspects de la sécurité alimentaire à l’échelon du ménage et à l’échelon de l’individu qui puissent être affectés, directement ou indirectement, par le commerce de produits agricoles et la libéralisation des échanges, on se limitera ici aux problèmes de sécurité alimentaire aux niveaux national et international.

10.2.2 Autosuffisance ou autosubsistance

Il existe deux grandes voies pour assurer la sécurité alimentaire au niveau national: l’autosuffisance et l’autosubsistance alimentaire. Assurer l’autosuffisance alimentaire signifie satisfaire les besoins alimentaires dans la mesure du possible à partir d’approvisionnements nationaux et en dépendant le moins possible des échanges commerciaux. En revanche, la notion d’autosubsistance alimentaire prend en compte les possibilités qu’offre le commerce international. Elle suppose de maintenir un certain niveau de production intérieure et de créer la capacité d’importer si nécessaire depuis le marché international.

Le commerce est la composante essentielle de toute stratégie de sécurité alimentaire fondée sur l’autosubsistance. Il contribue de différentes manières à la sécurité alimentaire: en augmentant les disponibilités intérieures de façon à permettre de satisfaire les besoins de consommation; en réduisant la variabilité de l’offre (mais pas nécessairement l’instabilité des prix); en favorisant la croissance économique; en employant de manière plus efficace les ressources mondiales; et en favorisant le développement de la production mondiale dans les régions les mieux adaptées. Mais la dépendance à l’égard du commerce peut aussi comporter certains risques, compte tenu notamment de l’incertitude des approvisionnements et de l’instabilité des prix sur les marchés mondiaux.

10.2.3 Le commerce et les disponibilités alimentaires

... car elle agit sur la sécurité de l’approvisionnement en produits alimentaires...

De nombreux pays en développement sont tributaires du marché mondial pour leurs approvisionnements, en particulier ceux dont la production est limitée par des facteurs naturels ou autres. En outre, leur dépendance vis-à-vis du commerce s’accroît. Ainsi, de 1970 à 1990, la consommation de produits alimentaires a augmenté de 10 pour cent plus vite que la production dans l’ensemble du monde en développement. Les importations céréalières représentaient quelque 14 pour cent de la consommation intérieure des pays en développement en 1994, alors qu’il était à moins de 10 pour cent vingt ans plus tôt.

Dans la mesure où cette dépendance croissante des pays en développement à l’égard des importations reflète un choix économique «soutenable», elle représente une évolution normale et n’a a priori rien d’inquiétant. Le fait d’importer un produit implique en général que ce produit peut être acheté à l’étranger moins cher que s’il était produit dans le pays. Bien que certains pays aient eu des raisons spécifiques de rechercher une large autosuffisance alimentaire, il est en règle générale plus rationnel du point de vue économique de suivre une politique plus souple d’autosubsistance alimentaire. Cependant, l’adoption d’une telle stratégie est toutefois subordonnée à deux conditions importantes. La première tient à la capacité d’importation, en vertu de laquelle les pays en développement peuvent produire d’autres biens et services et se procurer, grâce au commerce, les devises dont ils ont besoin pour importer des produits alimentaires. La deuxième est la fiabilité du marché mondial comme source d’approvisionnements alimentaires à des prix abordables. Il est également important de s’interroger sur les effets que peut avoir la libéralisation du commerce sur ces conditions.

En ce qui concerne la capacité d’importation, il semble qu’au cours des dernières décennies, les pays en développement aient maintenu ou même amélioré leur capacité de financer des importations alimentaires. Dans l’absolu, les pays en développement ont en effet augmenté leurs importations alimentaires mais la part des dépenses d’importation de produits alimentaires dans les importations totales a, de fait, peu varié dans la majorité des pays en développement et baissé sensiblement dans quelques-uns d’entre eux. En Asie du Sud et en Asie du Sud-Est, la part des importations alimentaires dans le total des importations a diminué de 16 à 6 pour cent entre 1970 et 1991; en Amérique latine, elle a reculé de 11 à 10 pour cent; et en Asie occidentale de 14 à 12 pour cent; l’Afrique enregistrant une légère augmentation, de 14 à 15 pour cent. Ainsi, d’une manière générale, les pays en développement ont consacré une part moins grande de leurs dépenses totales d’importation à l’achat de produits alimentaires et, par conséquent, une part plus grande pour d’autres biens et services.

En ce qui concerne les recettes provenant des exportations agricoles des pays en développement, la situation de ces dernières décennies n’a guère été favorable pour les produits traditionnels. Les termes de l’échange nets entre les exportations de produits agricoles traditionnels des pays en développement et leurs importations de produits manufacturés et de pétrole brut ont baissé de près de 50 pour cent entre 1979-81 et 1996-98. Le marché d’exportation des produits agricoles, notamment ceux qui intéressent les pays en développement, a considérablement varié ces dernières années, indépendamment du Cycle d’Uruguay. De fait, la croissance des exportations agricoles des pays en développement dérive de plus en plus des produits non traditionnels, des produits transformés et de l’expansion sur de nouveaux marchés. Ainsi, pour développer leurs recettes d’exportation les pays en développement devront de plus en plus exploiter les possibilités de diversification: géographiquement, c’est-à-dire grâce à une expansion sur des marchés d’importation à croissance rapide; horizontalement: c’est-à-dire grâce à un accroissement de la gamme des produits exportés; et verticalement: c’est-à-dire grâce à une augmentation de la valeur ajoutée des produits exportés. Pour que les pays en développement puissent tirer profit de ces possibilités d’importation, il est indispensable qu’ils puissent accéder à ces marchés. Cet accès dépend en grande partie de la progressivité des droits de douane et d’un nombre croissant de réglementations techniques qui affectent le commerce. D’après une analyse de la FAO, «la progressivité des droits de douane» a un peu diminué après le Cycle d’Uruguay2. Un tel changement dans la structure des tarifs pourrait apporter aux pays en développement de nouvelles possibilités pour accroître leurs exportations, qui ne sont généralement pas prises en compte dans les évaluations portant uniquement sur les produits traditionnels. Leur aptitude à se conformer aux normes de qualité et aux prescriptions des marchés des pays développés importateurs en matière de mesures sanitaires et phytosanitaires et d’obstacles techniques au commerce (autre sujet couvert par le programme de formation) joue également un rôle considérable.

2Lindland, J. (1997)
La deuxième condition mentionnée plus haut est la fiabilité des marchés mondiaux comme source d’approvisionnements alimentaires à des prix abordables. Tout pays qui est dépendant des importations alimentaires risque d’être confronté à des variations de l’offre qu’il ne peut contrôler, même si les tendances sur les marchés céréaliers laissent penser que ces risques sont moins élevés que dans le passé. Les marchés céréaliers mondiaux sont à présent plus fluides qu’auparavant, et les importateurs peuvent choisir entre un plus grand nombre de fournisseurs. Pourtant, le risque lié à la variabilité de l’offre n’a pas été supprimé. Il est déjà arrivé, pour diverses raisons, que des pays exportateurs de produits alimentaires instituent des restrictions à l’exportation, ou des «embargos». Mais, sur ce point aussi, le Cycle d’Uruguay contient quelques éléments positifs. L’Article 12 de l’Accord sur l’agriculture stipule qu’avant d’instituer une restriction à l’exportation, les pays exportateurs doivent prendre dûment en considération la sécurité alimentaire des pays importateurs. En outre les restrictions à l’exportation doivent être notifiées à l’avance, ce qui est nouveau. Bien évidemment, ces dispositions n’éliminent pas totalement le risque que soient instituées des restrictions à l’exportation, mais elles ont le mérite d’accroître la transparence sur le marché mondial.

Lorsqu’on examine la modeste hausse projetée des prix des céréales qui devrait résulter de l’Accord sur l’agriculture, il faut avoir présent à l’esprit que les conditions défavorables des marchés durant les années 80 reflétaient dans une large mesure le désordre qui régnait notamment sur les marchés alimentaires mondiaux. Les niveaux de la production et, partant, des échanges, en particulier dans quelques pays développés, étaient fortement influencés par les subventions accordées par les pouvoirs publics. Ces prix peu élevés ont certes profité à quelques pays importateurs mais cette situation n’était pas saine pour la sécurité alimentaire de la majorité des pays en développement. Elle a favorisé une dépendance continue à l’égard de denrées importées à des prix artificiellement maintenus à un niveau si bas que de nombreux agriculteurs des pays en développement ne pouvaient plus vivre de leur activité. Sur ce point, l’Accord sur l’agriculture donne quelques raisons, certes limitées, d’espérer. Bon nombre de facteurs auxquels on avait imputé dans le passé la responsabilité de la crise de l’agriculture mondiale et qui ont eu une incidence négative sur la sécurité alimentaire des pays en développement sont à présent soumis à des règles et à des disciplines. La réduction des distorsions sur le marché mondial, résultant du Cycle d’Uruguay, devrait relancer la production dans les pays en développement. Ceci suppose toutefois que les agriculteurs des pays en développement aient la possibilité de répondre aux signaux du marché. De nombreux pays en développement ont taxé l’agriculture dans le passé, soit directement à travers des politiques sectorielles, soit indirectement à travers des politiques macro-économiques, qui défavorisaient l’agriculture. Rien dans l’Accord sur l’agriculture ne les empêchera de faire la même chose à l’avenir.

10.2.4 Le commerce et la stabilité des approvisionnements alimentaires

... sur la stabilité des prix des aliments importés...

Le deuxième élément de la sécurité alimentaire est la stabilité de l’offre, et le commerce a également une fonction importante à cet égard. Il permet de réduire les variations de la consommation et d’alléger en partie la charge que représente pour les pays la détention de stocks. Cependant, même si elle est totale, la dépendance à l’égard du commerce ne garantit pas nécessairement la stabilité des prix intérieurs. De fait, quelques pays craignent le résultat inverse, car plus un régime commercial est ouvert, plus les marchés intérieurs sont exposés aux fluctuations du marché mondial. Ainsi les deux questions qu’il faut se poser sont les suivantes: la libéralisation du commerce entraînera-t-elle une augmentation ou une diminution de l’instabilité des prix sur les marchés mondiaux? Et les prix intérieurs sont-ils plus ou moins instables aujourd’hui qu’ils ne le seront à l’avenir?

La suppression des restrictions quantitatives et la réduction des droits de douane impliquent que les chocs de la production seront absorbés par un plus grand nombre de pays, ce qui devrait avoir pour effet de stabiliser le marché. Dans le même temps, l’implantation de la production pourrait être modifiée, avec une légère diminution dans les pays où les niveaux de protection sont relativement élevés, au profit des pays où la protection est relativement faible. Si la production est plus instable dans ces derniers pays, l’instabilité globale de la production risque d’augmenter.

Le niveau et la propriété des stocks sont d’autres facteurs qui exerceront une influence peut-être encore plus grande. Avec la réduction des interventions des pouvoirs publics, les stocks publics s’amenuiseront et les stocks privés pourraient ne pas augmenter dans des proportions suffisantes pour combler le déficit. D’après certaines études de la FAO, le degré de remplacement des stocks publics par des stocks privés devrait être de l’ordre de 40 pour cent. En conséquence, les stocks totaux détenus dans le monde seront probablement plus faibles à l’avenir qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent. Cependant, étant donné qu’un pourcentage des stocks plus important sera aux mains de privés, ils devraient être plus sensibles aux variations des prix que ne l’étaient les stocks publics dans le passé.

Ainsi, quatre facteurs ont une incidence sur l’instabilité des prix et doivent être pris en considération: l’effet positif de la tarification; l’effet incertain dérivant du changement de la localisation de la production, l’effet négatif résultant de l’amenuisement des stocks totaux et l’effet positif dérivant de la plus grande élasticité des stocks restants. L’effet cumulé de ces quatre facteurs est incertain, mais on s’accorde généralement pour dire qu’à plus long terme, lorsque les marchés se seront pleinement ajustés au nouvel environnement commercial, les prix mondiaux devraient être plus stables qu’avant le Cycle d’Uruguay. Toutefois, durant la période de transition, l’instabilité pourrait dans une certaine mesure s’accroître.

Que l’instabilité des prix internationaux varie ou non, l’adoption d’un système régi uniquement par des droits de douane, et dans certains cas, l’abaissement des tarifs, expose davantage le secteur national aux fluctuations des prix internationaux. Deux facteurs déterminent si le marché intérieur est plus ou moins instable après le changement. Tout dépendra, premièrement, si les «chocs» intérieurs infligés à la production et à la consommation ont été compensés par les changements dans le volume du commerce ou non dans le passé et, deuxièmement, si les politiques en vigueur avant la réforme qui a autorisé uniquement les droits de douane ont eu pour effet d’isoler le marché intérieur. Sur le premier point, beaucoup de pays ont contrôlé leurs volumes commerciaux en utilisant, par exemple, des licences ou par le biais des organisations de commercialisation parapubliques. Alors qu’il n’y a rien dans les Accords de l’OMC qui demande aux pays de déréglementer leurs systèmes de commercialisation, il se peut que l’arbitrage international de nivellement des fluctuations des prix intérieurs soit plus simple ou plus efficace dans le cadre du régime postérieur au Cycle d’Uruguay. Deuxièmement, le passage à un régime basé uniquement sur des droits de douane devrait logiquement accroître la transmission des variations des prix extérieurs au marché intérieur. Beaucoup de gouvernements qui privilégiaient auparavant l’objectif de stabilité des prix ont adopté diverses politiques non tarifaires (prélèvements variables, contingents, etc.) pour y parvenir. Cependant, on verra plus loin que les nouveaux régimes postérieurs au Cycle d’Uruguay peuvent également être utilisés pour stabiliser les prix. Ainsi, les deux facteurs qui ont une influence sur la stabilité des prix résultant du passage à un système commercial plus ouvert, basé uniquement sur des droits de douane, produisent des effets contraires. Il est donc impossible de prévoir si l’instabilité des prix intérieurs augmentera ou non suite à l’ouverture des marchés.

Au cas où l’exposition à l’instabilité des cours mondiaux serait excessive, l’Accord sur l’agriculture contient un certain nombre de dispositions auxquelles un pays peut avoir recours pour se protéger en partie de l’instabilité née en dehors de ses frontières. Ces options sont la Clause de sauvegarde spéciale de l’AsA, qui permet d’imposer un droit additionnel dans certaines conditions; l’application de droits de douane variables (système appelé «échelle mobile des tarifs» dans la limite du plafond consolidé que le pays s’est engagé à ne pas dépasser); et, dans une certaine mesure, la détention de stocks à des fins de sécurité alimentaire.

10.2.5 Le commerce et l’accès à la nourriture

... et sur les revenus des ménages et le contenu du panier de la ménagère

Le troisième élément de la sécurité alimentaire est l’accès à la nourriture. De par son impact sur la croissance économique, sur les revenus et sur l’emploi, le commerce international a une influence majeure sur l’accès à la nourriture. On considère généralement que les politiques commerciales plus libérales contribuent à terme à la croissance économique, mais la principale question en matière de sécurité alimentaire est de savoir si les pauvres bénéficient des retombées de cette croissance économique. Si ce sont essentiellement les classes aisées qui tirent profit de la croissance due au commerce, de nombreux ménages peuvent voir leur sécurité alimentaire se détériorer même si les taux de croissance économique globaux sont plus élevés. Cependant, selon certaines indications, dans beaucoup de pays en développement, les industries axées sur l’exportation emploient plus de main d’œuvre que les industries de substitution des importations, et l’emploi tend à augmenter dans les économies tournées vers l’extérieur.

Cependant, il est évident que la situation varie suivant les pays et qu’il faut se garder de généraliser. Globalement, les liens entre le commerce, la croissance, l’emploi et la pauvreté ne sont pas clairs car chacune de ces variables est influencée par d’autres facteurs. L’impact du commerce sur la sécurité alimentaire des ménages s’inscrit dans le contexte plus large de l’impact de la modernisation et de la transformation de l’agriculture sur le bien-être et sur sa répartition. Le commerce offre de nouvelles possibilités de spécialisation et d’échange mais les ménages pauvres ne peuvent en tirer profit que s’ils ont accès aux ressources et s’ils bénéficient d’un appui de l’Etat. Lorsqu’un problème se pose, qui empêche les ménages pauvres de tirer pleinement parti des avantages du commerce, celui-ci relève plus souvent des distorsions induites par les politiques et des erreurs institutionnelles que du commerce lui-même.

Dans les pays en développement, les opportunités d’exportation sont souvent plus favorables aux cultures commerciales non vivrières. L’augmentation des opportunités commerciales pourrait induire une substitution des cultures vivrières par les cultures commerciales non vivrières. Lorsque les producteurs peuvent acheter de la nourriture sur les marchés locaux à des prix équitables, cette dynamique peut s’avérer être favorable à leur sécurité alimentaire. Celle-ci risque cependant d’être compromise si les faiblesses du système de commercialisation des produits alimentaires provoque un renchérissement des prix des produits alimentaires. En outre, il y a de nombreux exemples qui montrent que le développement des cultures commerciales d’exportation a aussi pu s’accompagner d’une augmentation de la production vivrière liée à l’amélioration générale de l’approvisionnement en intrants et en services à l’agriculture, et des effets rémanents sur les cultures vivrières de l’utilisation d’engrais sur les cultures commerciales.

Pour conclure, on peut dire que lorsque des politiques nationales sont en place pour redistribuer les bénéfices ou compenser les pertes, la libéralisation du commerce peut jouer un rôle important dans l’amélioration de l’accès à la nourriture. L’ajustement au nouveau régime commercial peut entraîner des problèmes. Les difficultés auxquelles les pays peuvent se heurter dans le cadre du processus de réforme ont été reconnues dans les négociations du Cycle d’Uruguay, et un traitement spécial et différencié a été accordé aux pays en développement qui bénéficient ainsi surtout de délais plus longs pour procéder aux ajustements nécessaires et d’engagements de réduction plus faibles. L’Acte final reconnaît également que, pendant la mise en œuvre du processus de réforme, les pays importateurs de produits alimentaires risquent de subir des effets négatifs pour ce qui est de disposer d’approvisionnements adéquats en produits alimentaires de base importés, suivant des modalités et à des conditions raisonnables. Les signataires de la Décision sur les mesures concernant les effets négatifs possibles du programme de réforme sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires se sont engagés à prendre des mesures pour atténuer ces effets.

10.3 Les politiques de sécurité alimentaire compatibles avec l’OMC

L’AsA affecte les politiques de sécurité alimentaire des pays en développement

Les engagements pris par chaque pays au titre de l’Accord sur l’agriculture (AsA) ont une incidence sur la gamme de politiques qu’ils pourront adopter à l’avenir. Du point de vue des pays en développement, il est important d’identifier les dispositions qui accroissent leur marge de manœuvre dans le domaine de la sécurité alimentaire mais aussi celles qui sont susceptibles de limiter leur action et qui pourraient nécessiter quelques ajustements. Dans cette section, on examinera les options dont ils disposent dans les trois principaux secteurs d’intervention de politique intérieure, à savoir la production, la consommation et la stabilité des marchés. Chacun de ces aspects est étudié de manière plus complète dans d’autres modules et n’a donc d’intérêt ici que dans le contexte de la sécurité alimentaire.

10.3.1 Les politiques de production

Les mesures à la frontière font maintenant l’objet de règles plus strictes...

En général, un pays dispose de deux grandes options pour soutenir sa production intérieure dans le cadre d’une stratégie axée sur la sécurité alimentaire: les mesures à la frontière, ou droits de douane, autorisés dans la mesure où ils ne dépassent pas le plafond auquel le pays s’est engagé vis-à-vis de l’OMC; et les mesures de soutien interne, consistant à fournir un soutien aux agriculteurs, lié ou non aux prix, là encore dans la limite des plafonds notifiés à l’OMC.

Droits de douane. De nombreux pays en développement ont consolidé leurs taux à des niveaux relativement élevés pour les produits alimentaires de base. Il est théoriquement possible d’appliquer des droits de douane jusqu’à concurrence des niveaux consolidés car les engagements de l’OMC le permettent, mais cette option a des possibilités d’application limitées dans la pratique, en particulier pour les pays en développement, dont la majorité sont importateurs de produits alimentaires. Une augmentation des droits de douane se traduit non seulement par une augmentation des prix payés aux producteurs du pays mais aussi par une augmentation des prix payés par les consommateurs nationaux. Cette option pourrait être irréalisable pour de nombreux pays en développement où vivent un grand nombre de ménages pauvres. Il existe cependant quelques remèdes pour résoudre ce dilemme: on peut par exemple utiliser les recettes douanières dérivant des droits pour les cibler sur les ménages en situation d’insécurité alimentaire, tout en permettant aux producteurs de tirer profit de l’augmentation des prix intérieurs (voir plus loin). Cependant, cette option demande un bon appareil administratif car il faut pouvoir identifier les ménages dans le besoin (et minimiser les «pertes»), ainsi que des infrastructures pour leur transférer les ressources dans de bonnes conditions de coût-efficacité.

... tout comme les autres mesures de soutien aux marchés...

Soutien interne. Tous les pays disposent de différentes options pour soutenir la production agricole nationale. Parmi ces politiques, certaines ont un effet de distorsion sur la production, et le soutien peut se rapporter ou non à un produit spécifique. Le soutien par produit implique en général l’achat par l’Etat à des prix administrés garantis. Le soutien autre que par produit prend généralement la forme de subventions au crédit et à certains intrants comme les engrais, l’irrigation, les semences etc., qui ont pour objet d’abaisser le coût de production mais ne sont pas explicitement ciblées sur des cultures spécifiques. Ces deux types de soutien sont disciplinés par la MGS et peuvent être adoptés par les pays qui ont déclaré dans leurs listes avoir pratiqué ce type de soutien pendant la période de base. S’ils ne l’ont pas fait, le plafond applicable aux pays en développement pour chacun de ces deux types de soutien est le niveau de minimis de 10 pour cent (ce qui signifie que ce soutien ne peut pas dépasser 10 pour cent de la valeur de la production à la sortie de l’exploitation).

... mais les politiques de la Boîte verte conservent une certaine flexibilité

Tous les pays peuvent également soutenir les producteurs agricoles par le biais de politiques de la Boîte verte, qui sont des politiques considérées comme ayant des effets de distorsion sur les échanges, et des effets nuls ou minimes sur la production. Font notamment partie de la Boîte verte: les services de caractère général dans le secteur agricole, tels que recherche, lutte contre les parasites et les maladies, etc.; les versements directs aux producteurs, tels que le soutien du revenu découplé, les programmes de garantie des revenus et les programmes établissant un dispositif de sécurité pour les revenus, etc. Cette catégorie comprend également les stocks détenus à des fins de sécurité alimentaire et les programmes d’aide alimentaire intérieure, que nous examinerons plus loin. Enfin, les pays en développement ont aussi accès à une catégorie spéciale de politiques de soutien de la production, au titre du Traitement spécial et différencié (TSD), à savoir: les subventions à l’investissement généralement disponibles pour l’agriculture, les subventions aux intrants agricoles qui sont généralement disponibles pour les producteurs qui ont de faibles revenus ou sont dotés de ressources limitées, et le soutien aux producteurs destiné à encourager le remplacement des cultures de plantes narcotiques illicites.

10.3.2 Politiques de consommation

Les politiques de soutien à la consommation alimentaire ne sont pas concernées...

En général, l’Accord sur l’agriculture est relativement permissif en ce qui concerne les politiques visant à soutenir la consommation. Ceci est compréhensible car, même si ce soutien fausse le commerce (il a généralement pour effet d’augmenter la consommation alimentaire totale), il le renforce et ne constitue donc pas une entrave pour les exportations des partenaires commerciaux. La principale disposition de l’Accord relative au soutien aux consommateurs est incluse dans les mesures de la catégorie de la Boîte verte, au paragraphe «aide alimentaire intérieure». Cette disposition stipule que le droit à bénéficier de l’aide alimentaire sera déterminé en fonction de critères clairement définis liés à des objectifs nutritionnels. Cependant une importante exemption à cette prescription générale est prévue en faveur des pays en développement, qui sont autorisés à fournir des produits alimentaires à des prix subventionnés, dans le but de «répondre aux besoins alimentaires des populations pauvres urbaines et rurales des pays en développement sur une base régulière à des prix raisonnables.» Cette clause est importante pour les pays qui fournissent des denrées subventionnées sur une base régulière dans des magasins à des prix raisonnables. Les dépenses (ou les recettes sacrifiées) se rapportant au soutien des consommateurs ne sont pas soumises aux engagements de réduction.

10.3.3 Politiques de stabilisation

... et il est possible de poursuivre des politiques de stabilisation des prix

En général, l’ouverture accrue du système des échanges commerciaux contribue à stabiliser les cours mondiaux, surtout si elle touche tous les pays. Toutefois, on a déjà vu que plusieurs facteurs influencent la stabilité du marché. Au moins à court terme, et jusqu’à ce que les marchés s’ajustent au nouveau régime commercial, l’instabilité risque d’augmenter. Les pays peuvent néanmoins avoir recours à plusieurs mesures compatibles avec les accords de l’OMC afin d’atténuer les effets de l’instabilité des marchés sur la sécurité alimentaire.

Stocks de sécurité alimentaire. L’utilisation de stocks de sécurité alimentaire comme instrument de stabilisation doit faire partie intégrante d’un programme de sécurité alimentaire défini dans la législation nationale et des dispositions spécifiques régissent les conditions de formation et d’écoulement de ces stocks. Dans la pratique, ces dispositions ont été appliquées avec une certaine souplesse. De nombreux pays, tant développés qu’en développement, ont déclaré leurs opérations relatives à la détention de stocks dans la catégorie de la Boîte verte, qui sont à ce titre exemptées du calcul de la MGS sans, jusqu’à présent, avoir rencontré d’opposition sérieuse de la part de leurs partenaires de l’OMC. Cette politique ne peut être efficace que si elle est combinée avec d’autres mesures à la frontière.

Sauvegardes. La Clause de sauvegarde spéciale (CSS) de l’Accord sur l’agriculture et l’ensemble des sauvegardes3 de l’OMC autorisent les pays à imposer des droits additionnels dans des circonstances spécifiques. Cependant, comme la Clause de sauvegarde spéciale est réservée aux produits soumis à la procédure de tarification que peu de pays en développement ont choisie pour consolider leurs droits de douane, elle a été peu utilisée dans la pratique. En outre, le recours à ces mesures ou remèdes, même à titre provisoire, est soumis à d’importantes formalités. En conséquence ils ont peu de succès auprès des pays en développement (voir le module II.6, Les mesures de protection spéciale).

3Accord sur les sauvegardes, Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, les Articles VI, sur les Droits antidumping et droits compensateurs, XII sur les Restrictions destinées à protéger l’équilibre de la balance des paiements, XVI sur les Subventions, XVIII sur l’Aide de l’Etat en faveur du développement économique, XIX sur les Mesures d’urgence concernant l’importation de produits particuliers, XX sur les Exceptions générales et XXI sur les Exceptions concernant la sécurité.
Tarifs. Les pays peuvent appliquer des droits de douane variables, inversement proportionnels au niveau des prix à l’importation, à condition que le taux maximal du droit ne dépasse pas le taux consolidé. Les pays qui ont consolidé les droits à un niveau élevé peuvent compenser les variations des prix à l’importation en réduisant les droits lorsque les prix montent et en les augmentant lorsque les prix baissent. Ceci peut être réalisé par une politique de «fourchette des prix», par laquelle les droits de douane ne sont ajustés que lorsque les prix à l’importation se trouvent hors de la fourchette des prix plafonds et des prix planchers. Si la fourchette de prix n’est pas trop étroite, le signal transmis par les prix mondiaux n’est pas entièrement annulé et les prix intérieurs continuent à varier en accord avec les prix mondiaux4.
4La conformité de cette politique «de fourchette des prix» reste à vérifier. D’un côté, les pays qui mettent en œuvre une telle politique peuvent faire valoir que, tant que leurs tarifs d’importation restent dans la limite des niveaux consolidés spécifiés dans leurs engagements, ils sont compatibles avec l’Accord sur l’agriculture. De l’autre, la note de bas de page de l’Article 4.2 de l’Accord sur l’agriculture interdit les «prélèvements variables à l’importation» et les mesures à la frontière similaires autres que les «droits de douane proprement dits». Il s’agit donc de savoir si le mécanisme de la fourchette des prix est considéré comme un «droit de douane proprement dit», légal selon l’OMC, ou comme un «prélèvement variable à l’importation», illégal selon l’OMC. Cette question ne peut être tranchée de façon définitive que par une procédure officielle, par exemple dans le cadre du mécanisme de règlement des différends de l’OMC. Mais, dans la pratique, il est peu probable qu’une politique de fourchette de prix soit contestée officiellement à l’OMC si elle est mise en œuvre de manière prévisible et transparente.
Prohibitions à l’exportation. L’autre disposition de l’Accord sur l’agriculture qui a une incidence sur la stabilité des marchés concerne les prohibitions à l’exportation. En cas de fortes hausses des cours mondiaux ou de forte augmentation de la demande d’un pays voisin, l’Article 12 de l’Accord sur l’agriculture autorise un pays à instituer des restrictions à l’exportation, sous réserve de prendre dûment en considération la sécurité alimentaire des pays (importateurs). Enfin, les pays peuvent envisager l’emploi d’instruments de gestion des risques qui atténuent les effets de l’instabilité des prix. Les instruments reposant sur les mécanismes du marché, comme les contrats à terme et les options sur contrats à terme, sont pleinement compatibles avec l’OMC.

10.3.4 Concilier les objectifs des producteurs et des consommateurs

Il ressort de ce qui précède que, dans l’ensemble, l’Accord sur l’agriculture laisse une grande marge de manœuvre. Les pays en développement disposent de différentes options pour soutenir les producteurs et les consommateurs, sans contrevenir à leurs obligations découlant des accords de l’OMC. Cependant, abstraction faite de ces obligations, il est toujours extrêmement difficile de concilier les intérêts des producteurs et des consommateurs dans une politique intérieure dans le secteur de l’alimentation et de l’agriculture lorsque l’objectif premier est la sécurité alimentaire. En général, on n’y parvient qu’avec une combinaison judicieuse d’instruments compatibles avec l’OMC, du type de celle décrite à la figure 1 pour les pays importateurs de produits alimentaires.

Figure 1: Les options dont disposent les pays importateurs de produits alimentaires pour soutenir les producteurs/consummateurs

En gros, le prix d’équilibre du marché intérieur sera déterminé par le prix du marché mondial augmenté d’un tarif douanier, dans la limite du plafond consolidé que le pays s’est engagé à ne pas dépasser. La plupart des pays importateurs appliquent en général des tarifs inférieurs aux plafonds les années où les prix sont normaux, et modifient ces tarifs les années où les cours mondiaux montent ou baissent. Toutefois, un régime reposant uniquement sur des droits de douane peut être trop imprécis pour atteindre tous les objectifs d’une politique alimentaire et agricole à l’échelle nationale, si bien qu’il doit parfois être complété par d’autres instruments. Par exemple, les prix effectivement payés aux agriculteurs peuvent être maintenus au-dessus des prix paritaires à l’importation, grâce à certains transferts compatibles avec l’OMC examinés plus haut et dans d’autres modules, comme le soutien par produit et le soutien autre que par produit (jusqu’à concurrence de la valeur de la MGS et des seuils de minimis), le TSD et les politiques de la Boîte verte. De même, si l’on considère que le prix du marché intérieur est trop élevé pour une certaine couche de la population, des interventions ciblées peuvent être mises en place pour que les ménages visés puissent acquérir le produit considéré à un prix raisonnable. Le recours à ces interventions ciblées et à d’autres transferts de revenus de portée générale permet aux pays de poursuivre des politiques de consommation qui ne contrarient pas les effets des incitations à la production.

10.4 Quelques questions restant à négocier

Les pays en développement ont besoin de flexibilité pour poursuivre leurs politiques de sécurité alimentaire

L’Article 20 de l’Accord sur l’agriculture stipule que les pays sont tenus de concourir à la réalisation de l’objectif de réductions progressives substantielles du soutien et de la protection des produits agricoles, et qu’en vue de la poursuite du processus de réforme, ils s’engagent à reprendre, en 1999, des négociations, compte tenu de considérations d’ordre commercial et autres liées à la mise en œuvre des engagements dérivant de l’Accord sur l’agriculture. Le préambule de l’Accord sur l’agriculture précise que les «considérations autres que d’ordre commercial» comprennent la sécurité alimentaire et la nécessité de protéger l’environnement. On ne trouve aucun autre détail dans l’Accord - ni sur la définition de ces termes ni sur la manière dont il doit être tenu compte de ces considérations. Ce sujet suscite des discussions croissantes dans les différentes tribunes sur le commerce international où d’autres considérations, notamment les modes de vie et la viabilité des communautés rurales ont également été ajoutées et sont examinées ensemble dans la rubrique «multifonctionnalité de l’agriculture». Ces attributs de l’agriculture sont considérés comme des externalités positives et des biens publics, produits en même temps que les aliments et les fibres, de sorte que l’on fait valoir que l’agriculture devrait être davantage soutenue et protégée en rétribution de ces services.

Ces autres fonctions sont certes toutes positives, mais, pour la majorité des pays en développement, la sécurité alimentaire est la fonction fondamentale de l’agriculture. Il est important de noter que l’Accord sur l’agriculture laisse aux pays en développement une latitude suffisante pour poursuivre leurs objectifs de sécurité alimentaire, sans recourir au concept plus large de la multi-fonctionnalité. Dans ce contexte, il faut identifier les dispositions de l’Accord sur l’agriculture qu’il conviendrait de renforcer dans le cadre des nouvelles négociations, afin que les pays en développement disposent d’une plus grande marge de manœuvre pour assurer leur sécurité alimentaire. Nous donnons ci-après quelques suggestions sur des questions importantes du point de vue de la sécurité alimentaire, pour les trois grandes rubriques de l’Accord, à savoir l’accès au marché, le soutien interne et les subventions à l’exportation.

10.4.1 Accès au marché

L’amélioration de l’accès aux marchés pourrait y aider...

Certains obstacles entravent encore l’accès au marché des exportations agricoles des pays en développement, qui voient diminuer leurs possibilités de poursuivre une stratégie alimentaire fondée sur l’autosubsistance, en tirant profit des possibilités offertes sur le marché international. Malgré les progrès accomplis pendant le CU, quelques problèmes subsistent sous des formes diverses: droits de douane prohibitifs, escalade des tarifs et dispersion des droits. Dans certains cas, les mesures non tarifaires prohibées par l’Accord sur l’agriculture (ex: le régime des prix minimaux à l’exportation pour certains produits) sont encore appliquées dans la pratique. Ces obstacles restants posent un gros problème car ils pénalisent les principaux secteurs de croissance du commerce des produits agricoles, à savoir les produits transformés et les marchés spécialisés de haut de gamme. Dans ce domaine, il serait souhaitable de prendre les mesures suivantes:

· nouvelle réduction des tarifs pour les produits susceptibles d’être exportés par les pays en développement;

· réduction de l’escalade des droits et de la dispersion des taux des droits;

· harmonisation multilatérale des normes pour réduire les coûts de leur application et éviter le protectionnisme déguisé;

· définir des principes pour la variabilité des droits dans la limite des plafonds consolidés; et

· accroître l’accès au marché pour les exportations agricoles des pays en développement.

Les pays en développement devraient avoir à l’esprit que les formules de réduction des tarifs seront appliquées de la même façon sur leurs propres tarifs ainsi que sur ceux de leurs principaux marchés d’exportation, sauf en cas d’accord d’un traitement spécial et différencié.

10.4.2 Sauvegardes

... ainsi qu’un accès plus aisé à la Clause de sauvegarde spéciale...

Etant donné que de nombreux pays en développement sont importateurs nets de denrées alimentaires dont les marchés sont encore soumis à d’importantes distorsions, la Clause de sauvegarde spéciale (CSS) peut être importante pour ces pays, surtout s’ils ont consolidé leurs droits de douane à de bas niveaux. Cependant, l’accès à la CSS n’est pas universel (ni en termes de produits ni en termes de pays) et la plupart des pays en développement ne peuvent pas l’invoquer, car elle est liée au processus de tarification. Dans ce domaine, les mesures suivantes seraient bénéfiques:

· rendre la CSS accessible à tous les pays et à plus de produits, en invoquant qu’il s’agit d’un «bien public» qui favorise une libéralisation accrue du commerce des produits agricoles;

· ou alors, autoriser la CSS pour un nombre limité de produits alimentaires de base sélectionnés (ayant une importance critique pour la sécurité alimentaire).

10.4.3 Soutien interne

... et que des exemptions plus généreuses dans la Boîte verte...

De nombreux pays en développement n’ont pas calculé systématiquement leur MGS et ont déclaré une valeur égale à zéro, ce qui peut leur interdire de mettre en œuvre certaines politiques de soutien à l’avenir. D’autres problèmes étaient liés à l’interprétation à donner à l’expression «production pouvant bénéficier de...» pour les calculs des MGS, au traitement à réserver à la MGS négative, ainsi qu’à des erreurs involontaires d’ordre méthodologique (période de base, monnaie de base, etc.). Dans ce domaine, les mesures suivantes pourraient être bénéfiques:

· autoriser les pays en développement à recalculer leur MGS et à réviser leurs listes;

· en cas d’impossibilité de réviser la MGS, relever leur pourcentage de minimis et/ou autoriser des niveaux de minimis plus élevés pour les produits alimentaires de base par rapport aux cultures non alimentaires;

· tenir compte des valeurs négatives de la MGS, aux fins de la sécurité alimentaire (par exemple pour soutenir la production de produits alimentaires de base);

· exempter les dépenses se rapportant exclusivement à la sécurité alimentaire (par ex: relatives aux stocks de sécurité alimentaire) des calculs de la MGS ou au titre du pourcentage de minimis; et

· corriger/expliquer les problèmes d’ordre méthodologique (ex: production «pouvant bénéficier...», inflation, monnaie de base).

Dans la catégorie de la Boîte verte, les pays en développement se heurtent à quelques problèmes, liés notamment à la définition des politiques remplissant les conditions requises pour être incluses dans la Boîte verte et, en particulier, à la signification de l’expression «effet minime sur la production et sur le commerce». Il existe des mesures actuellement classées dans la catégorie de la Boîte verte qui ne sont pas neutres pour la production et le commerce, et, surtout, la Boîte verte ne comprend pas certaines mesures que les pays en développement pourraient appliquer facilement, malgré leurs faibles capacités administratives. Dans ce domaine, il serait souhaitable de reclasser les mesures exemptées et de créer une catégorie de soutien spécifique pour que les pays en développement puissent résoudre leurs problèmes légitimes de sécurité alimentaire.

10.4.4 Concurrence à l’exportation

... et que des disciplines plus strictes en matière de subventions et de restrictions à l’exportation

La dépendance alimentaire peut aussi être induite par des pratiques commerciales inéquitables telles que le dumping ou des subventions excessives à l’exportation par des partenaires commerciaux qui apportent sur le marché national des produits alimentaires à bas prix avec lesquels les producteurs locaux ne peuvent supporter la concurrence. De tous les engagements de l’Accord, les disciplines relatives à la concurrence à l’exportation étaient considérées comme les plus contraignantes, même si elles ne l’ont guère été durant la période 1995-97 compte tenu des cours mondiaux élevés. Cependant les subventions à l’exportation potentielles demeurent élevées en particulier dans certains pays développés. Il y a un risque de contournement des règles, qui pourrait nuire à la compétitivité de nombreux pays en développement sur le marché d’exportation. Dans ce domaine, les mesures suivantes pourraient être bénéfiques:

· substantielles réductions supplémentaires des subventions aux exportations;

· resserrement des mesures anti-contournement;

· assurer la conformité des autres formes d’aide à l’exportation, telles que les crédits à l’exportation et les garanties des crédits à l’exportation, avec les règles générales sur les subventions à l’exportation; et

· resserrement des règles sur les restrictions à l’exportation des pays exportateurs.

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