Nous, Ministres et Pl�nipotentiaires repr�sentant 159 Etats, d�clarons notre d�termination � �liminer la faim et � r�duire toutes les formes de malnutrition. La faim et la malnutrition sont inacceptables dans un monde qui dispose � la fois des connaissances et des ressources voulues pour mettre fin � cette catastrophe humaine.
Tels sont les mots d'ouverture de la D�claration mondiale sur la nutrition adopt�e lors de la Conf�rence internationale sur la nutrition (CIN) organis�e conjointement par la FAO et l'Organisation mondiale de la sant� (OMS) � Rome en d�cembre 1992. Cette importante conf�rence (photo 1) a examin� la situation nutritionnelle dans le monde et a d�fini les conditions pour am�liorer sensiblement une situation inacceptable pour l'humanit�. Atteindre les objectifs de la CIN est possible. Une grande partie du travail devra �tre accomplie par les populations elles-m�mes, mais une coop�ration internationale et pluridisciplinaire est �galement essentielle.
Ce livre est destin� � favoriser cette marche vers la r�alisation des objectifs nobles de la CIN. Il dresse un panorama complet des probl�mes alimentaires, de leur nature, de leurs causes et des moyens d'y rem�dier. Un bref examen mettant en lumi�re les questions de l'alimentation et de la nutrition au niveau mondial contribuera � faire ressortir leurs aspects les plus importants.
La d�claration de la CIN poursuit en ces termes:
1. Nous reconnaissons qu'il existe dans l'ensemble du monde assez de nourriture pour tous; le principal probl�me est celui des conditions d'acc�s � cette nourriture qui ne sont pas �quitables. Au nom du droit � un niveau de vie d�cent, et notamment � une alimentation suffisante, �nonc� dans la D�claration universelle des droits de l'homme, nous nous engageons � agir en commun pour que le droit d'�tre � l'abri de la faim devienne une r�alit�. Nous prenons le ferme engagement d'œuvrer ensemble pour le bien-�tre nutritionnel durable de tous dans un monde en paix, juste et �cologiquement s�r.
2. Malgr� l'am�lioration sensible, dans le monde entier, de l'esp�rance de vie, de l'alphab�tisation des adultes et de l'�tat nutritionnel, nous consid�rons tous avec la plus profonde inqui�tude le fait inacceptable que pr�s de 780 millions d'habitants des pays en d�veloppement - soit 20 pour cent de leur population - n'ont toujours pas les moyens de se procurer chaque jour la ration alimentaire de base indispensable � leur bien-�tre nutritionnel.
3. Nous d�plorons particuli�rement la pr�valence �lev�e et le nombre toujours plus grand d'enfants de moins de 5 ans atteints de malnutrition, en Afrique, en Asie, en Am�rique latine et dans les Cara�bes. En outre, plus de 2 milliards de personnes, surtout des femmes et des enfants, pr�sentent une carence en un ou plusieurs micronutriments. Il y a encore des enfants qui naissent avec une arri�ration mentale par suite d'une carence en iode; d'autres enfants perdent la vue et meurent du fait d'une carence en vitamine A; et un nombre consid�rable de femmes et d'enfants souffrent d'une carence en fer. Des centaines de millions de personnes souffrent de maladies transmissibles et non transmissibles provoqu�es par des aliments et de l'eau contamin�s. En m�me temps, des maladies chroniques non transmissibles li�es � une alimentation excessive ou d�s�quilibr�e sont une cause fr�quente de d�c�s pr�matur�s dans les pays d�velopp�s comme dans les pays en d�veloppement.
La malnutrition prot�ino-�nerg�tique (MPE), la carence en vitamine A, les troubles de la carence en iode et les an�mies nutritionnelles - provenant principalement d'une carence en fer ou de pertes de fer - sont les probl�mes nutritionnels les plus courants et les plus importants rencontr�s dans presque tous les pays d'Asie, d'Afrique, d'Am�rique latine et du Proche-Orient.
L'�tude Nutrition et d�veloppement: une �valuation d'ensemble, pr�par�e par la FAO et l'OMS pour la CIN, a pass� en revue toutes les informations disponibles alors sur la pr�valence de la faim et de la malnutrition et les a estim�es au niveau mondial. Les estimations concernant les populations souffrant de sous-alimentation chronique ont �t� r�actualis�es par la FAO pour les besoins de la sixi�me Enqu�te mondiale sur l'alimentation et en pr�paration du Sommet mondial de l'alimentation (tableau 1); les estimations sur les carences en iode, en vitamine A et en fer ont �t�, elles, mises � jour en 1995 par l'OMS (tableau 2). Les chiffres montrent que, dans les pays en d�veloppement, une personne sur cinq souffre de sous-alimentation chronique, 192 millions d'enfants souffrent de MPE, et plus de 2 milliards de personnes pr�sentent des carences en micronutriments. En outre, des maladies non transmissibles li�es � l'alimentation telles que l'ob�sit�, les maladies cardiovasculaires, les accidents c�r�braux, le diab�te ou certains cancers existent ou commencent � devenir des probl�mes de sant� publique dans de nombreux pays en d�veloppement.
Malgr� ces tendances et ces chiffres alarmants, la pr�valence des probl�mes nutritionnels a recul�, et de nombreux pays ont remarquablement r�ussi � r�duire la faim et la malnutrition. Dans les pays en d�veloppement pris dans leur ensemble, le nombre absolu de personnes souffrant de sous-alimentation chronique a r�guli�rement diminu� depuis le d�but des ann�es 70. Entre 1969 et 1971, on comptait pr�s de 893 millions de personnes chroniquement sous-aliment�es, contre 809 millions entre 1990 et 1992, et le pourcentage est pass� de 35 � 20 pour cent de la population de ces pays. Le pari actuel, r�alisable, est de construire sur cette avanc�e et d'en acc�l�rer le rythme.
TABLEAU 1
Pr�valence de la sous-alimentation chronique dans les r�gions en d�veloppement
R�gion |
Pourcentage de la population |
Nombre (millions) | ||||
1969- |
1979- |
1990- |
1969- |
1979- |
1990- | |
1971 |
1981 |
1992 |
1971 |
1981 |
1992 | |
Am�rique latine et Cara�bes |
18 |
13 |
14 |
51 |
46 |
61 |
Proche-Orient et Afrique du Nord |
25 |
10 |
10 |
44 |
24 |
32 |
Afrique subsaharienne |
36 |
39 |
41 |
96 |
140 |
204 |
Asie de l'Est et du Sud-Est |
41 |
27 |
16 |
468 |
371 |
262 |
Asie du Sud |
33 |
33 |
22 |
233 |
297 |
250 |
Afrique continentale |
34 |
33 |
34 |
116 |
148 |
211 |
R�gions en d�veloppement |
35 |
27 |
20 |
893 |
878 |
809 |
TABLEAU 2
Population � risque et population souffrant de carences en micronutriments (millions)
R�gion1 |
Carence en iode |
Carence en vitamine A |
Carence en fer ou an�mie | ||
A risque |
Atteints (goitre) |
A risque2 |
Atteints (x�rophtalmie) |
||
Afrique |
181 |
86 |
31 |
1,0 |
206 |
Am�riques |
168 |
63 |
14 |
0,1 |
94 |
Asie du Sud-Est |
486 |
176 |
123 |
1,7 |
616 |
Europe |
141 |
97 |
B |
B |
27 |
M�diterran�e orientale |
173 |
93 |
18 |
0,2 |
149 |
Pacifique occidental3 |
423 |
141 |
42 |
0,1 |
1 058 |
Total |
1 572 |
655 |
228 |
3,1 |
2 150 |
1 R�gions OMS.
2 Enfants d'�ge pr�scolaire seulement.
3 Y Compris la Chine.
Les donn�es de la FAO et de l'OMS indiquent qu'entre 1980 et 1990 la situation nutritionnelle s'est am�lior�e en Asie et en Am�rique latine, mais d�t�rior�e en Afrique subsaharienne. Bien que la pr�valence d'enfants pr�sentant une insuffisance pond�rale soit rest�e pratiquement inchang�e en Afrique subsaharienne durant cette d�cennie, passant de 29 � 30 pour cent, les taux de pr�valence y sont bien meilleurs qu'en Asie du Sud, o�, en 1990, environ 59 pour cent des enfants, soit presque deux fois plus qu'en Afrique, pr�sentaient une insuffisance pond�rale (tableau 3). Toujours en 1990, on comptait cinq fois plus d'enfants en insuffisance pond�rale en Asie du Sud (101 millions) qu'en Afrique subsaharienne (19,9 millions).
TABLEAU 3
Pr�valence de l'insuffisance pond�rale chez les enfants de moins de 5 ans, par r�gion
R�gion |
Insuffisance pond�rale en pourcentage |
Insuffisance pond�rale en nombre (millions) | ||||
1980 |
1985 |
1990 |
1980 |
1985 |
1990 | |
Afrique subsaharienne |
28,9 |
29,9 |
29,9 |
19,9 |
24,1 |
28,2 |
Proche-Orient/Afrique du Nord |
17,2 |
15,1 |
13,4 |
5,0 |
5,0 |
4,8 |
Asie du Sud |
63,7 |
61,1 |
58,5 |
89,9 |
100,1 |
101,2 |
Asie du Sud-Est |
39,1 |
34,7 |
31,3 |
22,8 |
21,7 |
19,9 |
Chine |
23,8 |
21,3 |
21,8 |
20,5 |
21,1 |
23,6 |
Am�rique centrale/Cara�bes |
17,7 |
15,2 |
15,4 |
3,1 |
2,8 |
3,0 |
Am�rique latine |
9,3 |
8,2 |
7,7 |
3,1 |
2,9 |
2,8 |
Monde (pourcentage moyen et total) |
37,8 |
36,1 |
34,3 |
164 |
178 |
184 |
Source: UN ACC/SCN, 1992a.
1 L'insuffisance pond�rale est d�finie comme le rapport poids/�ge � moins de 2 �carts types de la moyenne.
De nombreuses statistiques recensent les personnes souffrant d'une carence manifeste, mais plus rares sont celles qui identifient les populations � risque. Or, en nutrition, comme en sant� publique, les personnes pr�sentant un risque de malnutrition sont celles auxquelles il faut accorder le plus d'attention. La pr�vention devient plus facile � mettre en œuvre et � rentabiliser si les groupes � risque et les causes de la malnutrition sont clairement identifi�s.
L'un des aspects le plus dramatique de la situation nutritionnelle dans le monde est l'�tendue de la famine, de la faim et de l'inanition. Bien que de grands progr�s aient �t� faits pour �carter la famine, en particulier en Asie, ces fl�aux persistent partout dans le monde. Ils sont g�n�ralement attribu�s � la s�cheresse ou d'autres catastrophes naturelles, alors que la guerre, les troubles civils et l'instabilit� politique en sont autrement plus responsables. Depuis le milieu des ann�es 90, la faim et la malnutrition dues � des conflits civils posent de s�rieux probl�mes dans de nombreuses r�gions, en Europe (ex-Yougoslavie), en Asie (Afghanistan), au Proche-Orient (Iraq), et surtout en Afrique. Souvent, la trag�die que sont les guerres civiles touche non seulement les pays en crise, mais �galement ceux qui offrent l'hospitalit� aux r�fugi�s fuyant leur pays dans la terreur. En 1994, la R�publique-Unie de Tanzanie a accueilli environ 500000 r�fugi�s en provenance du Rwanda, entr�s pour la plupart en moins d'une semaine. La population de cette r�gion pauvre en ressources, qui a accueilli les r�fugi�s du mieux qu'elle pouvait, a plus que doubl�. Cet afflux a provoqu� une pression �norme sur les ressources locales, et il a fallu recourir � l'aide internationale pour pr�venir une aggravation des probl�mes de nutrition et de sant� tant dans la population locale que parmi les r�fugi�s.
Les donn�es provenant du monde entier montrent que les causes de la plupart des probl�mes nutritionnels n'ont gu�re chang� durant ces 50 derni�res ann�es. La pauvret�, l'ignorance et la maladie, combin�es � des r�serves alimentaires inad�quates et � un environnement insalubre, ainsi que la pression et la discrimination sociales, favorisent la malnutrition. Toutefois, ce qui a �norm�ment chang� est la strat�gie mise en place pour combattre la malnutrition. A peu pr�s tous les 10 ans, on voit appara�tre une nouvelle panac�e ou une solution miracle cens�ment capable de r�duire le probl�me de la malnutrition en moins de 10 ans.
Dans les ann�es 50 et 60, le kwashiorkor et les carences en prot�ines �taient consid�r�s comme des probl�mes majeurs. Des rem�des miracle, tels que le concentr� prot�ique de poisson, la prot�ine d'organismes unicellulaires ou l'enrichissement en acides amin�s, ainsi que la production accrue d'aliments riches en prot�ines d'origine animale, �taient propos�s pour lutter contre la malnutrition dans les r�gions tropicales et subtropicales.
A la fin des ann�es 60 et dans les ann�es 70, le terme "malnutrition prot�ino-�nerg�tique" est entr� dans le jargon. Augmenter l'apport �nerg�tique et prot�ique chez les enfants �tait la solution adopt�e, et des centres de r�cup�ration nutritionnelle et des programmes de nutrition appliqu�e furent pr�sent�s comme �tant des strat�gies gagnantes.
Avec la Conf�rence mondiale de l'alimentation de 1974 commen�a la d�cennie de la macro-analyse: la planification de la nutrition d'abord, puis la surveillance nutritionnelle �taient parmi les strat�gies dominantes pour les pays le plus touch�s. Les �conomistes commenc�rent � l'emporter sur les nutritionnistes et les p�diatres dans la conception de nouvelles politiques, d�battant longuement de la s�curit� alimentaire nationale, et des institutions comme la Banque mondiale mirent l'accent sur l'importance de l'augmentation des revenus.
En 1985, Le Fonds mon�taire international commen�a � pousser les programmes d'ajustement structurel, et l'OMS et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) r�invent�rent les programmes de nutrition appliqu�e qu'ils rebaptis�rent "programmes mixtes de soutien nutritionnel". Au d�but des ann�es 90, les micronutriments rel�gu�rent au second plan la MPE lorsque les nutritionnistes, les organisations internationales et les universit�s tent�rent l'utilisation de rem�des miracle pour ma�triser les carences en vitamine A, l'an�mie et la carence en iode. Les micronutriments n'ont pas fini de faire parler d'eux, et il est probable que des sommes importantes seront encore vers�es par la Banque mondiale et l'Agency for International Development des Etats-Unis d'Am�rique (USAID), entre autres, pour r�soudre le probl�me de la "faim insoup�onn�e". Cet effort r�pond en partie aux objectifs fix�s par le Sommet mondial pour l'enfant de 1989 et la Conf�rence internationale sur la nutrition de 1992, qui �taient de faire dispara�tre avant la fin du si�cle l'avitaminose A et les troubles de la carence en iode.
Pour am�liorer la nutrition, il faut augmenter les financements. Cependant, on risque de voir les ressources disponibles, qui sont limit�es, d�tourn�es vers la mise au point de nouveaux rem�des miracle tenant lieu de strat�gies pour r�soudre le probl�me des carences en micronutriments. Les fonds seront alors insuffisants pour traiter les causes profondes de la malnutrition. Ces solutions rem�dient aux causes imm�diates du probl�me, mais elles n'ont pas d'effet durable.
Il est reconnu que des strat�gies de d�veloppement inadapt�es contribuent �galement au maintien des causes fondamentales de la faim dans de nombreux pays. Des r�formes politiques, des programmes de d�veloppement et des politiques macro�conomiques appropri�s sont pr�conis�s par beaucoup d'�conomistes pour am�liorer la nutrition. La CIN a �galement insist� sur le fait que les pays en d�veloppement doivent s'assurer que ces politiques et programmes sont con�us de mani�re � inclure des objectifs d'am�lioration nutritionnelle. De plus, dans les pays � faibles revenus et � d�ficit vivrier, o� vivent la plupart des personnes souffrant de malnutrition, la croissance �conomique et la lutte contre la pauvret� doivent �tre bas�es sur un meilleur d�veloppement des ressources agricoles et sur l'am�lioration des disponibilit�s alimentaires. Cette approche doit promouvoir un d�veloppement durable, cr�er des emplois et am�liorer l'acc�s � la nourriture pour les pauvres. Des �changes commerciaux libres et �quitables sont �videmment importants pour stimuler la croissance �conomique, et les prix des produits agricoles, primaires et transform�s, doivent �tre en ad�quation pour assurer un d�veloppement durable. Les producteurs doivent recevoir un juste prix en �change de leurs produits, de leur travail et de l'utilisation des ressources.
Il faut admettre qu'un transfert et une application inadapt�s de technologie ou certains volets de projets de d�veloppement ont parfois des cons�quences n�gatives sur la sant� et la nutrition dans les pays pauvres. Il est important que ces effets secondaires ind�sirables soient rapidement identifi�s et que des mesures soient prises pour les pr�venir ou en att�nuer les effets. Mieux vaut, sans doute, renforcer, lors de la pr�paration d'un projet, les volets qui apporteront un maximum de b�n�fices nutritionnels.
On assiste �galement � une plus grande prise de conscience du fait que les populations concern�es doivent �tre davantage associ�es dans la recherche de solutions � leurs probl�mes. On r�alise �galement que les causes de la malnutrition et les couches de la soci�t� touch�es varient selon les endroits. Les populations devraient pouvoir soulever les probl�mes en rapport avec leur situation, aux niveaux national, local ou m�me familial, et prendre conscience de la nature plurisectorielle du probl�me de la malnutrition. Elles pourront alors, en concertation avec des personnes de diff�rentes disciplines, sugg�rer des actions pouvant �tre engag�es � diff�rents niveaux. Depuis 10 ans, on a beaucoup �crit sur la participation de la population locale aux d�cisions concernant le d�veloppement et les programmes. La sagesse inn�e des paysans en mati�re d'agriculture et de tout autre sujet li� au d�veloppement, tels que la sant� ou la nutrition, a finalement �t� largement reconnue.
On reconna�t �galement l'influence que peuvent avoir les actions et politiques nationales et internationales sur l'�tat nutritionnel des populations rurales et de celles des bidonvilles des pays en d�veloppement. L'Etat fixe les taxes, contr�le les prix, dirige les institutions nationales et surveille le syst�me juridique. Tous ces �l�ments ont une influence sur les institutions formelles ou informelles de la soci�t�. Et ces institutions, � leur tour, influent de mani�re �vidente sur les causes de la malnutrition. Ainsi, la pr�sence ou l'absence, la pertinence et la qualit� d'institutions formelles locales telles que les services de conseils agricoles, les centres de sant�, les �coles primaires et les centres communautaires jouent un r�le crucial dans les domaines li�s � la nutrition. Des institutions moins formelles jouent �galement un r�le dans l'alimentation, la sant� et les soins: la famille en premier lieu, mais aussi les cercles d'amis, les groupes d'appartenance religieuse et les associations, sportives ou autres.
Affirmer que la malnutrition n'est pas seulement un probl�me de nutrition n'est pas nouveau, mais l'importance que l'on attache � l'alimentation, � la sant� et aux soins est, elle, r�cente. Il est primordial que ce concept continue de progresser r�guli�rement, plut�t que d'en inventer de nouveaux, en qu�te de nouvelles modes ou de financements. Pour une approche saine, il faut r��valuer le travail � accomplir dans les 10 ans � venir. Les anciennes strat�gies qui avaient une base solide et se sont montr�es performantes doivent �tre conserv�es et soutenues. De nouvelles politiques ne devraient �tre mises en place que si cela s'av�re n�cessaire. Cette approche, qui demande discipline et flexibilit�, est possible, et elle s'est montr�e efficace.
La malnutrition ou un �tat physique ind�sirable ou une maladie li�s � la nutrition peuvent �tre caus�s par une alimentation excessive ou au contraire insuffisante, ou par un r�gime d�s�quilibr� ne contenant pas tous les nutriments n�cessaires � un bon �tat nutritionnel. Dans ce livre, on a restreint le terme de "malnutrition"� la sous-alimentation ou insuffisance des apports en �nergie, en prot�ines et en micronutriments n�cessaires � la satisfaction des besoins de base de l'organisme pour son entretien, sa croissance et son d�veloppement.
Un pr�alable essentiel � la pr�vention de la malnutrition dans une communaut� est qu'elle dispose d'assez de nourriture pour subvenir aux besoins nutritifs de tous. Pour qu'il y ait des disponibilit�s alimentaires suffisantes, il faut obligatoirement une production alimentaire ad�quate ou bien des fonds suffisants aux niveaux national, local ou familial pour pouvoir acheter suffisamment de nourriture. La disponibilit� de nourriture n'est cependant qu'un aspect du probl�me. On reconna�t aujourd'hui que la malnutrition n'est que le sympt�me d'un malaise plus profond dans la soci�t�.
Un apport alimentaire inad�quat et les maladies, en particulier les infections, sont les causes imm�diates de la malnutrition. Il est �vident que chacun doit manger une quantit� ad�quate de nourriture saine et de bonne qualit� tout au long de l'ann�e pour satisfaire tous les besoins nutritionnels n�cessaires � une bonne condition physique, au travail et � la d�tente, ainsi qu'� la croissance et au d�veloppement des enfants. De m�me mani�re, chacun doit pouvoir dig�rer, absorber et assimiler les aliments et les nutriments de fa�on efficace. De mauvais r�gimes alimentaires et certaines maladies sont souvent le r�sultat d'une ins�curit� alimentaire au niveau des m�nages, de soins et de pratiques alimentaires inappropri�s ainsi que de soins de sant� inadapt�s. L'�quilibre entre ces trois facteurs contribuera � une bonne nutrition.
D'autres facteurs peuvent �galement contribuer au manque de ressources ou � leur insuffisance dans les familles touch�es. Chaque communaut� rurale ou soci�t� dispose de certaines ressources naturelles et humaines et d'un certain potentiel de production. De nombreux facteurs d�terminent la qualit� et la quantit� de nourriture qui sera produite, et la fa�on dont elle sera consomm�e et par qui. L'utilisation des ressources est affect�e non seulement par des contraintes �conomiques, sociales, politiques, techniques, �cologiques et culturelles, mais aussi par le manque d'outils ou de formation � leur usage, ou bien par le manque de connaissances, de comp�tences ou d'aptitudes. Le contexte culturel joue un r�le important dans l'utilisation des ressources et dans la cr�ation et le maintien des institutions, surtout au niveau local.
La malnutrition peut se r�v�ler un probl�me de sant�, et les professionnels de la sant� peuvent fournir certaines r�ponses; mais ils ne pourront pas, � eux seuls, r�soudre le probl�me. On demande aux agriculteurs et souvent aux professionnels de l'agriculture d'assurer une production alimentaire qui soit suffisante et appropri�e. On demande aux �ducateurs, qu'ils soient du secteur formel ou informel, d'aider les populations, en particulier les femmes, � assurer une bonne nutrition. Combattre la malnutrition exige souvent la contribution de professionnels de l'�conomie, du d�veloppement social, de la politique, du gouvernement, du mouvement ouvrier et de bien d'autres domaines.
La Conf�rence internationale sur la nutrition a d�fini neuf domaines communs d'action afin de promouvoir et prot�ger le bien-�tre nutritionnel des populations:
Le fait de les regrouper par th�mes facilite la compr�hension des probl�mes nutritionnels par les diff�rents secteurs et permet une approche plus ax�e sur la recherche de solutions. En adoptant cette approche th�matique, on s'assure que chaque facette du probl�me est prise en consid�ration, ce qui devrait permettre � chaque secteur ou � chaque institution de travailler au mieux. Ces aspects sont d�taill�s dans la partie V.
Si, au lieu d'une perspective purement sectorielle, on adopte une perspective multisectorielle et pluridisciplinaire, les causes de la malnutrition apparaissent sous un jour diff�rent, et on peut rechercher, plus que par le pass�, des solutions d'envergure. Les causes de la malnutrition et le domaine d'expertise � mettre en jeu varient, certes, selon les circonstances. N�anmoins, six facteurs de malnutrition sont particuli�rement importants, m�me si aucun d'eux n'est � lui seul la cause de la malnutrition, ni le seul secteur � �tre concern� par les strat�gies nutritionnelles. Ces six facteurs - les six "P"- sont:
La production alimentaire provient essentiellement de l'agriculture. La plupart des pays ont un minist�re de l'agriculture et un personnel agricole diversifi�, dont la contribution en mati�re de nutrition est tr�s importante. Mais une production nationale agricole et alimentaire ad�quate ne garantit pas obligatoirement un bon �tat nutritionnel pour tous. L'agriculture a connu un essor remarquable ces 40 derni�res ann�es (voir chapitre 2). Des vari�t�s � haut rendement pour les c�r�ales de base (riz, bl� et ma�s) ont �t� mises au point avec succ�s, et les rendements ont �norm�ment progress�. Pourtant, des pays autosuffisants en denr�es de base ont encore une pr�valence de malnutrition tr�s �lev�e. Les agriculteurs et les minist�res de l'agriculture ont un r�le vital � jouer dans l'am�lioration de l'�tat nutritionnel, mais ils ne peuvent gagner cette bataille sans l'intervention d'autres minist�res et d'autres comp�tences. Des facteurs tels que l'innocuit� des aliments, les pertes de denr�es alimentaires et l'entreposage influent �galement sur les disponibilit�s alimentaires Il faut prendre en compte la demande alimentaire autant que la production alimentaire.
Malgr� des progr�s remarquables en mati�re de production alimentaire au niveau mondial, environ la moiti� des habitants des pays en d�veloppement n'ont pas acc�s � une disponibilit� alimentaire ad�quate. En effet, une partie non n�gligeable des aliments produits est perdue avant d'�tre consomm�e. On estime qu'environ 25 pour cent du grain produit est perdu pour cause de traitement inad�quat apr�s r�colte, de d�t�rioration et d'infestation par les parasites. Les denr�es rapidement p�rissables telles que les fruits, les l�gumes et les racines subiraient des pertes de l'ordre de 50 pour cent. Environ 10 pour cent des aliments se perdent � la cuisine. Il faut donc s'assurer que des mesures de pr�vention des pertes durant la r�colte, le transport, l'entreposage, la transformation et la conservation soient int�gr�es dans les programmes mis en place pour pr�venir la malnutrition et am�liorer l'acc�s � la nourriture des populations des pays en d�veloppement. La transformation peut �galement ajouter une valeur non seulement nutritionnelle mais aussi �conomique aux aliments. Des mesures ad�quates concernant l'approvisionnement en aliments sains et de bonne qualit� doivent aussi �tre prises.
La question d�mographique et la relation entre fertilit�, planification familiale et nutrition sont trait�es au chapitre 5. La quantit� d'aliments disponibles par personne dans une famille, un district ou un pays est la quantit� de nourriture produite ou achet�e divis�e par le nombre de personnes qui y ont acc�s. Une famille de huit personnes qui produit et ach�te la m�me quantit� de nourriture qu'une famille de quatre personnes dispose de moins de nourriture par personne. Toutefois, dans les familles de producteurs, plus la famille est nombreuse, plus la productivit� familiale peut �tre importante.
Dans certains pays, le probl�me d�mographique est consid�r� comme un probl�me majeur, et la surpopulation, la taille des familles et l'espacement des naissances sont consid�r�s comme des facteurs d�terminants de malnutrition. Les d�mographes �tudient la population, et de nombreux pays ont une structure gouvernementale, souvent au sein du minist�re de la sant�, responsable de la planification familiale. L'espacement des naissances est une priorit�. Mais, tout comme en production, il serait na�f de croire qu'un contr�le des naissances ou une planification familiale r�ussie r�soudront, � eux seuls, les probl�mes de faim et de malnutrition dans un pays.
On dit souvent que n'est autre que la pauvret� la cause profonde de la malnutrition. Il est vrai que, dans la majorit� des pays, c'est surtout, voire uniquement, chez les pauvres que l'on trouve des enfants souffrant de MPE grave ou mod�r�e ou pr�sentant des signes �vidents de carence en vitamine A. Mais ce n'est pas vrai des an�mies nutritionnelles et des troubles de la carence en iode.
Les �conomistes charg�s d'�tudier la pauvret� et les revenus proposent des solutions d'ordre �conomique aux probl�mes de pauvret� qui sont li�s � la malnutrition. La plupart des gouvernements disposent d'un groupe d'�conomistes travaillant au minist�re des finances, parfois au minist�re de la planification �conomique.
L'exp�rience de nombreux pays en d�veloppement montre qu'une r�duction importante de la pauvret� a un impact significatif sur les taux de MPE dans la plupart des pays et des communaut�s. Les efforts d�ploy�s pour r�duire la pauvret�, augmenter les revenus, diminuer le prix des aliments et redistribuer les richesses, ainsi que bien d'autres politiques �conomiques, peuvent avoir des effets majeurs sur la nutrition. Mais tout comme les agronomes et les d�mographes ne peuvent pas � eux seuls r�gler les probl�mes nutritionnels d'une r�gion ou d'un pays, les actions �conomiques n'en viendront pas non plus � bout � elles seules. Dans certains cas, l'augmentation des revenus n'a pas r�duit de fa�on importante la malnutrition et encore moins entra�n� son �radication.
La pauvret� se manifeste de plusieurs mani�res: ce sont des m�nages aux revenus insuffisants, mais aussi des communaut�s ou des pays pauvres, qui n'ont pas de quoi construire et financer des �coles et des programmes de formation, ni d'am�liorer les syst�me de distribution d'eau et d'assainissement, ni de fournir les services sociaux et de sant� n�cessaires.
Tous les pays ont un m�canisme charg� de concevoir et de mettre en œuvre des politiques de d�veloppement. Les syst�mes varient d'un pays � l'autre mais, partout, l'agriculture, la sant�, l'�ducation et l'�conomie, en particulier, influencent fortement le bien-�tre des personnes, y compris leur �tat nutritionnel. Des gouvernements prennent leurs obligations au s�rieux, et quand ils garantissent le droit d'�tre � l'abri du besoin, ils garantissent aussi le droit d'�tre � l'abri de la faim, l'acc�s � des services sanitaires, le droit au logement, et ainsi de suite. Ces conditions d�pendent �galement des ressources du pays. L'id�ologie aussi peut avoir une influence significative sur la malnutrition, gr�ce � des actions que les gouvernements peuvent prendre pour assurer un certain niveau d'�quit�. Equit� ne veut pas dire �galit�, mais signifie simplement un acc�s raisonnable, ou relativement juste, des populations � des ressources vitales telles que le logement, l'�ducation, l'alimentation et les soins de sant�. Des politiques visant � am�liorer l'acc�s des femmes aux ressources pour g�n�rer des revenus, pour l'�ducation et pour les soins de sant� am�lioreraient sensiblement le bien-�tre nutritionnel de toute la famille.
La physiologie a trait au fonctionnement normal du corps, de ses organes et des cellules. La pathologie, elle, a trait au dysfonctionnement et � la maladie. Dans le monde, la malnutrition est bien souvent caus�e non seulement par le manque de nourriture mais aussi par la maladie.
La relation entre malnutrition et infection a �t� largement �tudi�e et document�e. Il n'y a pas de doute que des infections telles que la diarrh�e, les maladies respiratoires, les parasites intestinaux, la rougeole et le sida (syndrome d'immunod�ficience acquise) sont des causes importantes de malnutrition (voir chapitre 3). Certaines maladies non infectieuses, telles que divers syndromes de mauvaise absorption (l'organisme n'assimile pas correctement les nutriments), de nombreux cancers et certaines maladies psychologiques, peuvent �galement �tre � l'origine de malnutrition.
Les minist�res de la sant� et les professionnels de la sant� des secteurs public et priv� sont responsables du traitement des maladies mais aussi de la sant� publique et de la pr�vention. Dans de nombreux pays, les politiques en mati�re de nutrition sont du ressort du minist�re de la sant�, qui, souvent, a la tutelle des instituts nationaux de nutrition. Il est �vident que les mesures sanitaires de pr�vention des maladies, en particulier des infections, ainsi que les actions pour fournir les soins et les traitements m�dicaux, contribuent �norm�ment � r�duire de la malnutrition dans un pays ou une communaut�. Toutefois, les mesures sanitaires n'ont jamais pu, � elles seules, �radiquer la malnutrition.
Cette discussion autour des six facteurs "P", � savoir la production, les proc�d�s de transformation, la population, la pauvret�, la politique et la pathologie permet d'illustrer la complexit� � la fois des causes fondamentales de la malnutrition et des solutions qu'on peut y apporter. Elle montre bien que les agronomes, les industriels, les d�mographes, les �conomistes, les politiciens et le personnel de sant� ont tous un r�le important � jouer dans la lutte contre la malnutrition. Par ailleurs, il appara�t clairement qu'un seul minist�re ou qu'un seul groupe de professionnels ne peut � lui seul �liminer la faim et la malnutrition dans la soci�t�. Les nutritionnistes et les sp�cialistes des sciences des aliments, entre autres, travaillent dans tous ces domaines, et, dans une strat�gie nationale d'alimentation et de nutrition qui fonctionne correctement, ils collaboreront avec des professionnels de toutes les disciplines concern�es. Pour atteindre l'objectif d'une bonne nutrition, il peut aussi �tre n�cessaire de faire appel � des experts dans les domaines de l'anthropologie, de la sociologie et du d�veloppement communautaire. Par ailleurs, cela exige un bon syst�me de transport et de commercialisation. Il y aurait �galement un avantage �norme � tirer profit d'un syst�me �ducatif qui offre l'�cole � tous, aux femmes en particulier, et qui garantisse les meilleurs niveaux d'alphab�tisation. Il peut �galement �tre n�cessaire d'associer de nombreux autres acteurs. Les strat�gies nutritionnelles ne peuvent �tre que plurisectorielles, ce qui peut pr�senter des difficult�s au niveau national, plus qu'au niveau local ou communautaire. La participation de la communaut�, aid�e par des agents de diff�rents secteurs tels que l'agriculture, la sant�, l'�ducation et le d�veloppement communautaire pour ne citer que les plus importants, sera n�cessaire pour r�pondre � l'objectif d'une bonne nutrition pour tous. Les chapitres de ce livre ont �t� con�us pour permettre aux personnes des diff�rentes disciplines de comprendre la complexit� du probl�me de la nutrition, mais aussi de voir que diverses actions relativement simples peuvent contribuer � am�liorer la nutrition.
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Le pape Jean-Paul II prononce le discours d'ouverture de la Conf�rence internationale sur la nutrition