Dans toute l'histoire de l'humanité, presque toutes les mères ont toujours nourri leurs enfants de la façon la plus normale, la plus naturelle et la plus simple qui soit: au sein. La plupart des sociétés traditionnelles d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine ont une bonne connaissance de l'allaitement, même si les pratiques peuvent varier d'une culture à l'autre.
Le grand pédiatre Paul Gyorgy disait: "le lait de vache est bon pour le petit de la vache, le lait de femme est bon pour le nourrisson". Personne ne peut nier cette évidence. Il est donc de plus en plus admis que toute mère a le droit d'allaiter son bébé, et que tout bébé a le droit d'être nourri au sein. Tout ce qui fait obstacle à l'allaitement au sein est une atteinte à ces droits. Et pourtant, dans presque tous les pays, beaucoup d'enfants ne sont pas nourris au sein, ou ne sont nourris au sein que peu de temps.
Ces dernières années, l'intérêt pour l'allaitement au sein renaît. Cela tient en partie à la controverse, très médiatisée, sur le remplacement de l'alimentation au sein par l'alimentation au biberon et à la publicité agressive qui s'ensuivit de la part des firmes multinationales sur les substituts industriels du lait maternel. Depuis quelques années, on redécouvre en Europe, et en Amérique du Nord dans une moindre mesure, cet art exclusivement féminin qu'est l'allaitement maternel. Malheureusement, l'utilisation du biberon reste malgré tout importante et continue de progresser dans de nombreux pays non industrialisés du Sud. Ce passage du sein au biberon a de graves conséquences, dont les signes sont visibles dans les familles pauvres d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine.
Des études approfondies comparant la composition et les avantages relatifs du lait humain et de ses substituts ont été publiées durant ces 50 dernières années et tout particulièrement ces 10 dernières années. Les nouvelles recherches ont mis en avant les nombreux avantages de l'allaitement maternel par rapport aux autres méthodes d'alimentation du nourrisson. De nombreux chercheurs du monde entier recommandent vivement l'allaitement exclusif durant les six premiers mois de vie d'un bébé. Il est certain que, dans les pays en développement, les risques de l'alimentation d'appoint étant plus nombreux que ses éventuels avantages, il est préférable d'opter pour l'allaitement exclusif de l'enfant jusqu'à 6 mois.
Les avantages de l'allaitement maternel par rapport au biberon et les raisons pour lesquelles il est fortement recommandé sont ainsi résumés:
Les avantages de l'allaitement maternel sur la santé sont d'une évidence écrasante, comme le prouve la diminution de morbidité et de mortalité des enfants nourris au sein comparé à celui des enfants nourris au biberon. Ce sont principalement les deux tiers de la population mondiale vivant dans la pauvreté qui en tirent le plus de bénéfices, bien que des études aient aussi montré une diminution des taux de diarrhées et autres infections ainsi que d'hospitalisation, parmi les enfants nourris au sein dans les communautés plus aisées. Il a été démontré que les femmes qui allaitent naturellement leurs enfants ont moins de risques de cancer du sein, et probablement de l'utérus, que celles qui n'allaitent pas.
Un enfant qui n'est pas nourri au sein, ou même celui qui n'est pas exclusivement nourri au sein durant les six premiers mois de sa vie, perd tout ou partie des avantages de l'allaitement maternel (voir plus haut). L'allaitement maternel est le plus souvent remplacé par l'allaitement artificiel au biberon, avec une préparation pour nourrissons, mais souvent aussi avec du lait de vache ou d'autres liquides. Il est rare de trouver un enfant de moins de 6 mois nourri avec des aliments solides à la place du lait maternel. Certaines mères utilisent une tasse et une cuillère plutôt que le biberon pour faire boire le lait de vache, le lait de substitution ou la bouillie aux jeunes enfants. Nourrir son enfant à la petite cuillère présente quelques avantages sur le biberon, mais reste nettement moins satisfaisant que l'allaitement au sein.
Alors que le lait maternel a une action protectrice, les autres méthodes d'alimentation du nourrisson augmentent les risques d'infection, principalement parce que la contamination augmente l'ingestion d'organismes pathogènes. Une hygiène médiocre, surtout celle des biberons, est à l'origine de nombreuses gastroentérites et de diarrhées. Les préparations pour nourrissons et le lait de vache sont des véhicules et des bouillons de culture pour les organismes pathogènes. Il est pratiquement impossible de fournir une alimentation propre, stérile, à un enfant nourri au biberon dans les conditions suivantes:
L'allaitement artificiel au biberon contribue énormément au développement de la malnutrition protéino-énergétique ainsi qu'au marasme nutritionnel, pour deux raisons. Premièrement, comme nous l'avons déjà mentionné plus tôt, les laits maternisés sont plus susceptibles d'occasionner des infections du type diarrhéiques, favorisant ainsi un retard de croissance et une malnutrition protéino-énergétique chez le nourrisson et le jeune enfant. Deuxièmement, les mères ayant peu de revenus ont tendance à trop diluer la préparation. Le coût élevé des substituts du lait maternel fait que les familles n'en achètent pas suffisamment et essaient d'avoir le maximum de lait en utilisant moins de préparation en poudre que les doses recommandées. Le nombre de repas au biberon et la quantité de liquide recommandés peuvent être corrects, mais si les préparations sont trop diluées elles n'apportent pas la quantité énergétique et nutritionnelle nécessaire à une croissance optimale. La première conséquence est un retard de croissance, qui peut être suivi du lent développement d'un marasme nutritionnel (photos 7 et 8).
Un inconvénient majeur des préparations pour nourrissons est le coût qu'il représente pour la famille et pour le pays. Le lait maternel se trouve partout dans le monde, ce qui n'est pas le cas des préparations pour nourrissons. Ces laits industriels coûtent très cher et, si les pays doivent les importer, des devises étrangères sont inutilement dépensées. Choisir l'allaitement naturel au sein au lieu de l'allaitement artificiel au biberon confère des avantages économiques significatifs pour les familles et les pays pauvres.
Les préparations pour nourrissons (ou laits maternisés, ou laits infantiles) sont des produits de meilleure qualité que le lait frais de vache ou que le lait entier en poudre pour un bébé âgé d'1 mois. Le lait écrémé en poudre et le lait concentré sucré sont contre-indiqués. Le lait maternisé coûte cependant très cher pour le budget d'une famille pauvre d'un pays en développement. En Inde, en Indonésie et au Kenya, son achat représenterait au moins 70 pour cent du revenu moyen d'un paysan s'il voulait acheter les quantités adéquates d'un tel lait pour nourrir un bébé de 4 mois. L'achat d'un lait maternisé comme substitut au lait maternel détourne les ressources financières des familles modestes et accroît la pauvreté.
Un bébé entre 3 et 4 mois boit environ 800 ml de lait par jour ce qui fait environ 150 litres de lait durant les six à sept premiers mois de sa vie. Durant les quatre premiers mois, un nourrisson d'un poids moyen devrait consommer à peu près 22 kg, ou 44 livres, de boîtes de lait maternisé en poudre. Les agents de nutrition de tous les pays ainsi que les conseillers en alimentation du bébé devraient d'abord se renseigner sur les prix des laits maternisés dans les magasins et faire une estimation de son coût sur une période donnée (un ou six mois par exemple). Cette estimation serait affichée, rendue publique, mise à disposition des officiels et des parents et utilisée le plus souvent possible afin d'illustrer les conséquences économiques que ces laits engendrent pour les familles pauvres dont les mères n'allaitent pas naturellement leur bébé.
Pour les nombreux pays qui ne produisent pas ces laits maternisés, un déclin de l'allaitement maternel signifie une augmentation de l'importation de ces laits et de l'attirail nécessaire à l'utilisation des biberons. Ces importations peuvent alourdir encore le fardeau déjà énorme de la dette étrangère pour de nombreux pays en développement. Même quand le pays produit localement des laits maternisés, la production est contrôlée par des multinationales et les profits sont exportés. Préserver l'allaitement maternel ou réduire l'allaitement artificiel est donc d'un intérêt économique crucial pour les pays en développement. Les économistes et les politiciens peuvent être plus enclins à soutenir des programmes en faveur de l'allaitement naturel s'ils réalisent que de telles mesures favorisent leur commerce extérieur, les faits économiques ayant souvent plus d'impact sur eux que tous les arguments sanitaires en faveur de l'allaitement maternel.
Immédiatement après l'accouchement, la mère produit du colostrum dans chaque sein. La montée de lait survient les jours suivants, et la quantité de lait produite par la mère dépend principalement des besoins de son enfant, dont la succion stimule la sécrétion lactée. Plus le bébé tète, plus la mère produit de lait. En général, la quantité passe de 100 à 200 ml le troisième jour après la naissance à 400-500 ml quand le bébé a 10 jours. La production peut continuer d'augmenter jusqu'à atteindre 1 000 à 1 200 ml par jour. Un bébé sain de 4 mois qui croît normalement, et de poids moyen, recevra, s'il est exclusivement nourri au sein, 700 à 850 ml de lait maternel par 24 heures. S'il peut téter autant qu'il le désire, il prendra toujours suffisamment de lait. C'est probablement le seul moment dans la vie où chacun peut se nourrir à volonté et à n'importe quelle heure! S'alimenter à la demande - à n'importe quelle heure du jour et de la nuit - est ce qui se pratique traditionnellement avec la méthode de l'allaitement naturel. Il en sera ainsi si la mère est heureuse, détendue, confiante et libre de rester avec son bébé tout le temps. Dans ce cas de figure, la mère et le bébé ne forment plus qu'un.
Un litre de lait maternel fournit environ 750 kcal. Le lait de vache fournit environ trois fois plus de protéines et quatre fois plus de calcium, mais seulement 60 pour cent des glucides présents dans le lait de la femme (voir tableau 7).
La plupart des études indiquent clairement que les nutriments présents dans le lait d'une femme en bonne santé, et correctement nourrie, répondent aux besoins nutritionnels du bébé si ce dernier en consomme suffisamment. Même si le contenu en fer du lait maternel est bas, il y en a suffisamment pour prévenir toute anémie durant les six premiers mois de vie. Le lait de vache en contient encore moins et n'est pas très bien assimilé par le bébé. Les enfants nourris au lait de vache ont donc plus de risques de développer une anémie ferriprive.
Le lait maternel peut varier quelque peu d'une femme à l'autre et, dans une moindre mesure, selon les régions. Sa composition est également différente au début et à la fin de chaque tétée. Le lait clair du début de la tétée est plus aqueux et contient moins de matières grasses que le lait de la deuxième partie de la tétée qui est légèrement plus épais, plus blanc en apparence, et énergétiquement plus dense à cause des lipides qu'il contient.
TABLEAU 7
Teneur en nutriments de 100 g de lait maternel et de 100 g de lait de vache
Type de lait |
Energie |
Glucides |
Protéines |
Graisse |
Calcium |
Fer |
Vitamine A |
Folate |
Vitamine C |
|
(kcal) |
(g) |
(g) |
(g) |
(mg) |
(mg) |
(µg) |
(µg) |
(mg) |
Lait maternel |
70 |
7,0 |
1,03 |
4,6 |
30 |
0,02 |
48 |
5 |
5 |
Lait de vache (entier) |
61 |
5,4 |
3,3 |
3,3 |
119 |
0,05 |
31 |
5 |
1 |
La présence d'anticorps dans le colostrum et le lait maternel (absents dans les laits maternisés) est d'une importance capitale. Ils comprennent:
En clair, le lait maternel crée dans l'intestin du bébé un environnement hostile aux organismes pathogènes. Les selles d'un bébé nourri au sein diffèrent visiblement de celles d'un bébé nourri au biberon.
La science et l'industrie se sont associées pour fabriquer des préparations lactées se rapprochant le plus possible du lait maternel pour ce qui est des quantités de nutriments présents dans le lait de la mère. Ces produits, communément appelés préparations pour nourrissons (ou laits maternisés ou laits infantiles) sont la meilleure option pour nourrir les quelques nouveau-nés qui ne peuvent être alimentés au sein. Toutes ces préparations sont faites à partir de lait de mammifère, généralement du lait de vache. Mais ce lait n'est pas le même que le lait maternel. Il comporte effectivement les nutriments connus nécessaires à l'enfant, mais il ne contient pas les autres nutriments non encore identifiés. Il est donc impossible de savoir ce qui manque à un enfant nourri artificiellement au biberon. A vrai dire, les laits maternisés sont si différents du lait maternel qu'ils peuvent être au mieux inadaptés, et au pire dangereux. Ces laits industriels ne contiennent pas les propriétés anti-infectieuses et les cellules vivantes qui sont présentes dans le lait humain. Les produits industriels peuvent causer des problèmes de santé à l'enfant, que le lait maternel n'aurait jamais engendrés.
Le lait maternel, surtout grâce aux immunoglobulines qu'il contient, semble protéger le bébé contre les allergies. Au contraire, les protéines ne provenant pas de l'homme, ou celles qui viennent de la vache, présentes dans les laits de substitution, tout comme les autres substances entrant dans la composition de ces laits durant la fabrication, peuvent provoquer des allergies. Il en résulte au final un taux plus élevé d'eczéma, d'allergies diverses, de coliques et de mort subite du nourrisson chez les enfants nourris au lait artificiel.
Par-dessus tout, ces produits industriels sont très chers.
Le colostrum est la substance liquide jaunâtre que les seins sécrètent juste après la naissance du bébé. Il est hautement nutritif et riche en propriétés anti-infectieuses. Les cellules vivantes, les immunoglobulines et les anticorps présents dans le colostrum constituent la première immunisation de l'enfant. Dans de nombreuses sociétés, on différencie le colostrum du lait maternel du fait de sa couleur et de sa consistance crémeuse, mais sa grande valeur pour le bébé n'est pas universellement reconnue. Il y a des régions dans le monde où les mères ne donnent pas le colostrum à leur bébé. Elles attendent la vraie montée de lait avant de les nourrir. Certaines mères (et grands-mères) pensent qu'il faut donner au nouveau-né d'autres liquides ou d'autres aliments durant les tout premiers jours. Cela peut être du thé en Inde, du jamus en Indonésie (une potion médicinale traditionnelle), de l'eau sucrée ou des solutions de glucose dans de nombreux hôpitaux occidentaux. Ces aliments ne sont pas nécessaires, et ils sont même contre-indiqués. A la naissance, le bébé a de l'eau et des fluides corporels en quantités adéquates et suffisamment de nutriments. Par conséquent, durant les six premiers mois, la seule nourriture qui lui soit nécessaire est le colostrum suivi du lait maternel.
Le lait qui est dans les seins est produit dans un grand nombre de structures en forme de sac qui sont appelées les alvéoles. Il est ensuite transporté dans des conduits (les canaux lactifères) vers le mamelon. Le mamelon est parcouru de nerfs qui le rendent sensible aux stimuli. Il est entouré d'une zone pigmentée appelée l'aréole, sous laquelle se trouvent des glandes produisant une huile qui lubrifie et protège l'aréole et le mamelon. La production de lait est influencée par des hormones, la prolactine et l'ocytocine essentiellement, et par les réflexes.
La succion du mamelon par le bébé stimule la glande pituitaire antérieure du cerveau pour produire la prolactine qui, elle, va agir sur les alvéoles pour sécréter le lait. Ce mécanisme est parfois appelé "réflexe de sécrétion" du lait.
Mythes autour du lait maternelMythe: le lait maternel diffère d'une femme à l'autre Une croyance largement répandue est que la composition du lait maternel est très variable. Cela n'est pas vrai. La composition du lait humain est relativement constante. Mythe: chaque sein a un lait différent La composition du lait est identique dans chaque sein. Mythe: le lait maternel fermente dans les seins à la chaleur Quand le lait est dans la poitrine, il est parfaitement sain. Mythe: le lait maternel peut tourner dans les seins Tout comme il ne peut fermenter, le lait maternel ne peut en aucun cas tourner dans les seins. |
La succion influence aussi la glande pituitaire postérieure pour libérer l'ocytocine dans le sang. Elle se dirige vers la poitrine et provoque les contractions autour des alvéoles et des canaux, ce qui entraîne l'éjection ou la vidange du lait. L'effet produit par l'ocytocine est souvent appelé "réflexe d'éjection" du lait. Cette hormone a également une autre action, qui est celle de stimuler la contraction des muscles utérins. Ces contractions utérines diminuent les hémorragies après la délivrance. Elles permettent aussi l'involution utérine (retour de l'utérus à sa dimension normale, celui d'avant la grossesse); la mère retrouve ainsi plus facilement la silhouette qu'elle avait avant.
Le pourcentage des mères qui allaitent leurs enfants au sein et la durée de l'allaitement varient d'un pays à l'autre mais aussi à l'intérieur d'un même pays. L'allaitement maternel exclusif ou quasi exclusif durant les six premiers mois de vie suivi d'une alimentation mixte (allaitement au sein et introduction d'autres aliments) est ce qu'il y a de meilleur pour l'enfant d'après les scientifiques. Cette alimentation idéale n'est pourtant pas celle qui est adoptée dans les pays, qu'il soient du Nord ou du Sud.
La majorité des mères dans les sociétés traditionnelles, en particulier des zones rurales des pays en développement, continuent d'allaiter leurs enfants durant une longue période. Cependant, il y en a peu parmi elles qui pratiquent l'allaitement exclusif, et un grand nombre ne donne pas le colostrum à leurs bébés.
A l'opposé, de nombreuses mères en Europe et en Amérique du Nord n'allaitent pas leurs enfants. Ce rejet de l'allaitement fut très marqué dans les années 50 à 60, quand moins de 15 pour cent seulement des bébés américains âgés de 2 mois étaient nourris au sein. Durant cette période, on assista à un net déclin de l'allaitement dans des pays d'Asie et d'Amérique latine. Au milieu des années 90, il y eut une modeste résurgence de l'allaitement maternel dans les pays industrialisés du Nord, particulièrement parmi les femmes les plus instruites. Dans les pays pauvres d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, les taux de femmes allaitantes sont souvent plus bas dans les zones urbaines que dans les zones rurales, là où on a le moins d'instruction.
De nombreuses raisons expliquent le déclin de l'allaitement maternel et l'utilisation superflue des substituts du lait maternel, et ces raisons varient selon les pays. L'une d'elles est la promotion exagérée qu'en fait l'industrie. Les pratiques promotionnelles sont maintenant contrôlées dans de nombreux pays, mais les industriels continuent à contourner les codes de bonne conduite et à promouvoir leurs produits, même si de telles pratiques peuvent favoriser la morbidité infantile.
Le milieu médical est lui aussi responsable de la diminution de la pratique de l'allaitement maternel, car, de manière générale, les systèmes de soins de santé de la plupart des pays n'ont pas soutenu cette pratique. Même dans de nombreux pays en développement, les médecins et les professionnels de la santé ont fait diminuer le pourcentage des femmes pratiquant l'allaitement. La situation est en train de changer, mais il y a encore beaucoup de professionnels qui restent peu au fait de l'allaitement maternel.
La pratique de l'allaitement diminue souvent quand les femmes de milieu rural migrent vers les zones urbaines, là où les pratiques traditionnelles sont remplacées par des méthodes modernes ou bien influencées par l'urbanisation. Les femmes qui travaillent à l'usine ou au bureau peuvent penser qu'elles ne pourront pas combiner leur travail avec l'allaitement au sein. Les conditions et les lois du travail peuvent aussi faire qu'il est difficile pour une femme de garder son travail et d'allaiter son enfant.
La poitrine de la femme est mise en avant dans les livres et les magazines, par les médias (en particulier à la télévision), les industriels et les publicitaires de l'habillement féminin. La poitrine apparaît comme un symbole sexuel fort, faisant que les femmes ne désirent plus allaiter leur bébé en public. Elles peuvent aussi se mettre dans l'idée (fausse) qu'allaiter abîmera leur poitrine. En même temps, le sentiment qu'il est chic et sophistiqué de nourrir au biberon peut apparaître. On se met à voir dans l'allaitement au sein une pratique primitive et dans l'allaitement au biberon un symbole de statut social. La conséquence en est que, dans de nombreuses parties du monde, l'allaitement maternel tend à diminuer malgré tous les récents efforts menés en sa faveur.
Les pratiques traditionnelles de l'allaitement au sein ne sont pas compatibles avec les exigences des sociétés modernes, dans lesquelles les femmes ne restent pas à la maison avec leurs enfants durant de longues périodes, souvent à cause de leur travail. Bien que certains pays aient une législation du travail qui autorise des arrêts de travail pour allaiter, la distance entre le domicile et le lieu de travail ainsi que les problèmes de transport font qu'il est pratiquement impossible aux femmes de tirer profit de ces pauses autorisées. Ainsi, alors qu'il est possible pour une mère d'allaiter son bébé quand ils restent ensemble (généralement à la maison), un enfant qui est séparé de sa mère doit être nourri au biberon. La mère pourrait aussi extraire son propre lait et le laisser à une personne qui nourrirait le bébé au biberon ou à la petite cuillère, mais c'est une pratique peu usitée par les mères. Certaines considèrent qu'il est très contraignant d'extraire son lait (bien que cela soit très facile une fois la technique acquise) ou peu agréable, et d'autres s'interrogent sur la façon de conserver sainement le lait extrait.
Donner un lait de substitution aux très jeunes nourrissons est dangereux même si l'allaitement maternel se pratique en parallèle. Le remplacement précoce et inutile du lait maternel par un lait infantile engendre des risques et parfois des problèmes sérieux pour l'enfant, la mère et la famille.
Si possible, commencer l'allaitement quelques minutes après la délivrance (en tout cas, dans l'heure qui suit). Cette succion précoce présente des avantages, car elle augmente le taux d'ocytocine sécrétée dans le sang de la mère. Comme décrit plus haut, l'ocytocine provoque des contractions utérines qui aident à l'expulsion du placenta et jouent un rôle dans la diminution des saignements de suites de couches.
Immédiatement après l'accouchement, la mère et son bébé doivent être mis ensemble au lit, à la maison ou dans un service hospitalier (photo 9). Dans le passé, les hôpitaux modernes avaient pour principe de séparer l'enfant de la mère, l'un étant placé en pouponnière, l'autre en maternité. Cette pratique n'est pas du tout souhaitable. Là où cette pratique est courante, les procédures doivent changer. Il est tout à fait sain pour le bébé de dormir dans le même lit que sa maman. Il y a très peu de contre-indications au partage de la chambre et à l'allaitement, sauf une maladie grave de la mère ou de l'enfant.
Dans les jours suivant l'accouchement, alors que le bébé grandit, l'allaitement au sein devrait être fait à la demande, c'est-à-dire que le bébé devrait être allaité quand il le désire, et non, comme cela se pratique dans les pays occidentaux, selon un horaire établi, toutes les 3 ou 4 heures. Le poème épique La chanson de Lawino, du poète ougandais Okot p'Bitek, fait l'éloge de l'allaitement maternel à la demande, qu'on soit malade ou en bonne santé, et parodie la pratique généralement occidentale qui consiste à nourrir son enfant selon un rythme régulier, maintenant reconnue comme étant mauvaise:
Nourrir le bébé quand il en a envie stimule le mamelon et renforce la production de lait. Cela empêche également l'engorgement du lait dans la poitrine.
La durée des tétées peut varier et, de manière générale, ne doit pas être chronométrée. Habituellement, un bébé tète de 8 à 12 minutes, mais il y en a qui sont rapides et d'autres qui le sont moins. Dans les deux cas, il doit prendre une quantité adéquate de lait. Certaines mères pensent que le lait du sein gauche est différent de celui du sein droit; cela n'est pas vrai. Le bébé doit téter aux deux seins de manière à peu près égale.
Quelques jours après la naissance, les bébés perdent généralement du poids. Ainsi, un bébé qui pèse 3 kg à la naissance pourra peser 2,750 kg à 5 jours. Une perte de poids d'environ 10 pour cent est fréquente, mais les bébés doivent reprendre du poids ou dépasser leur poids de naissance une fois qu'ils ont 7 à 10 jours.
Presque tous les experts s'accordent à dire qu'un nourrisson doit être nourri exclusivement au sein durant les quatre à six premiers mois. Un gain adéquat de poids est le meilleur signe pour juger du régime alimentaire. Un bébé qui tète suffisamment de lait maternel n'aura pas besoin d'eau, de jus de fruits ou d'autres liquides, même en région tropicale chaude et humide ou sèche. Il suffira de l'allaiter plus souvent s'il a soif. Si un bébé a une diarrhée, il faut continuer l'allaitement, tout en lui donnant des solutions de réhydratation orale ou des préparations locales si nécessaire.
L'expérience des pays d'Afrique de l'Est, d'Asie et d'Amérique latine atteste que la plupart des mères vivant dans des familles élargies dans les sociétés traditionnelles mènent avec succès l'allaitement au sein et sont souvent très expertes dans ce domaine. Il est très rare que la lactation n'ait pas lieu. La vie familiale traditionnelle est capitale pour une mère allaitante débutante: les autres femmes de la famille soutiennent et réconfortent la jeune maman, surtout quand il y a des problèmes, alors que les Européennes ou les Américaines sont obligées de passer par des organisations telle que la Leche League.
A la clinique, on perd beaucoup de temps en leçons tirées de livres occidentaux sur l'allaitement maternel, y compris sur l'importance du rot, le temps des tétées ou le nettoyage fréquent des mamelons. Cette insistance sur les règles à respecter et les restrictions, plutôt que sur la relaxation et le plaisir, n'est bonne pour personne, nulle part. Il a été reconnu que cela avait de graves conséquences psychologiques, comme l'agalactie le plus souvent. Le faible taux de femmes ayant réussi leur allaitement aux Etats-Unis et en Europe occidentale démontre que l'allaitement en Occident, Scandinavie mise à part, n'est pas abordé de manière adéquate.
L'allaitement maternel ne devrait pas être une procédure compliquée et difficile. L'allaitement doit être un moment heureux pour la mère et l'enfant, et il peut l'être si de bons conseils de sécurité et des encouragements sont prodigués. Dans toutes les sociétés, certaines femmes ont quelques difficultés avec l'allaitement, mais, dans de nombreux cas, ces difficultés peuvent être surmontées. Il est important que les mères aient un accès facile aux conseils et qu'elles soient soutenues. De nombreux ouvrages traitant de la lactation et des problèmes qui en découlent sont disponibles et ils doivent être consultés. Les problèmes courants concernant l'allaitement sont:
Moins de 3 pour cent des mères connaissent un manque total ou presque de lactation. Si la mère a de sérieuses difficultés, et qu'elle recherche de l'aide et désire vraiment allaiter son nouveau-né, il faut employer les grands moyens pour qu'elle y parvienne. Il faut peut-être la placer dans un service de maternité où d'autres mamans allaitent avec succès. Elle, ainsi que son enfant doivent être examinés pour déterminer s'il y a inaptitude physique à l'allaitement au sein. Il faut que la maman boive beaucoup, y compris du lait. Tous ces moyens sont surtout des incitations d'ordre psychologique destinées à encourager la lactation. Certaines sociétés ont recours à des aliments locaux ou à des potions connues pour augmenter la sécrétion lactée. Il n'y a pas de danger à essayer ces substances. Un médecin ou un agent sanitaire expérimenté pourra prescrire un ou deux médicaments qui peuvent réellement stimuler la sécrétion lactée: le tranquillisant chlorpromazine, 25 mg, trois fois par jour par voie orale, ou un médicament plus récent, le métoclopramide, 10 mg trois fois par jour.
De manière générale, le traitement consiste essentiellement à aider la mère à se détendre, la seconder lors de la tétée et faire en sorte que le bébé ne perde de poids durant cette étape où l'on compte beaucoup sur la tétée au sein. Le dilemme vient du fait que plus l'enfant tète au sein, plus grande est la stimulation pour la production et l'évacuation du lait; alors que plus on lui donne d'aliments d'appoint, moins il voudra téter.
Si, au cours des trois premiers mois de l'enfant, l'allaitement échoue malgré tout, il faut apprendre à la mère à le nourrir avec un lait maternisé, soit à l'aide d'une petite cuillère et d'un bol, soit au biberon. Il est plus facile de garder propres une cuillère et un bol qu'un biberon et une tétine. Il faut trouver le moyen de fournir à la mère du lait maternisé, du lait frais ou du lait entier en poudre si elle ne peut pas les acheter, ce qui est souvent le cas. Le bébé doit être examiné régulièrement dans une clinique.
Cette méthode d'alimentation s'applique aussi à l'enfant dont la mère est décédée en couches. Il est alors souhaitable d'admettre à l'hôpital le nouveau-né et la parente ou la femme chargée de nourrir cet enfant, à moins de trouver une parente allaitante ou une amie qui soit disposée à servir de nourrice.
L'arrêt de la sécrétion lactée, ou le décès de la mère, quand le bébé a 4 mois exige un régime alimentaire différent. L'enfant peut manger un gruau léger à base de n'importe quel aliment de base local, auquel on ajoutera une quantité adéquate de lait ou de lait en poudre. Il est bon de rajouter un peu de matière grasse au régime alimentaire de l'enfant: un peu d'huile d'arachide, de sésame, de coton, de palme rouge, ou de toute autre huile alimentaire, augmentera de façon marquée l'apport énergétique du gruau sans avoir à trop augmenter la quantité de nourriture au bébé. Si le lait, ordinaire ou en poudre, n'est pas disponible, il faut faire consommer des aliments riches en protéines tels que des légumineuses, des ufs, de la viande hachée, du poisson ou de la volaille.
Le sentiment de ne pas produire assez de lait pour répondre aux besoins de leur bébé est très courant chez les mères, beaucoup plus que les cas d'incapacité à produire du lait. C'est un sentiment fréquent chez les mères occidentales, qui vient d'un tas de raisons, l'enfant pleure trop ou la mère a l'impression que son bébé ne grandit pas suffisamment par exemple. En médecine, cet état s'appelle "le syndrome d'insuffisance de lait". C'est avant tout un problème d'ordre psychologique, mais qui peut rapidement dégénérer en un vrai problème de lactation. Il arrive trop souvent que les médecins, les infirmières et les amis donnent exactement le conseil qu'il ne fallait pas à la mère qui s'inquiète de sa production de lait.
D'après de nombreuses études, l'insuffisance de lait est le prétexte le plus couramment avancé, en particulier dans les pays industrialisés, pour interrompre l'allaitement prématurément, ou pour pratiquer une alimentation d'appoint avant qu'elle ne s'impose, surtout avec des biberons de lait maternisé. Il est trop facile d'admettre que beaucoup de femmes sont incapables de produire du lait en quantité suffisante pour allaiter correctement leurs jeunes enfants. En face d'une maman qui se plaint de son insuffisance de lait, un praticien trop occupé va tout simplement lui conseiller de compléter avec des biberons. C'est exactement le conseil qu'il ne faut pas donner.
La succion du mamelon déclenche la décharge de prolactine. Le maintien de la sécrétion lactée dépend de la stimulation adéquate du mamelon qui est faite par la succion du bébé. Il est maintenant reconnu qu'une diminution de sécrétion lactée est le résultat d'une baisse de stimulation des seins. L'insuffisance de lait provient donc souvent du remplacement partiel du lait maternel par un autre mode d'alimentation. Par conséquent, conseiller de la remplacer ou de la compléter avec des biberons entraînera presque toujours une diminution de la sécrétion lactée. Les biberons de complément utilisés comme remède à une production insuffisante de lait sont en fait la cause même du problème.
Le traitement le plus approprié pour une mère souffrant du syndrome d'insuffisance de lait, mais qui désire allaiter son enfant, est de lui conseiller d'augmenter sa production de lait en mettant son enfant au sein plus souvent, de façon à augmenter la stimulation des mamelons. Le conseil médical le plus courant, qui est d'augmenter les repas au biberon, aggravera probablement la situation en entraînant une baisse plus importante, voir l'arrêt, de sécrétion lactée. Il ne s'agit pas de condamner l'alimentation d'appoint, surtout après les 6 mois, mais il faut être clair sur le fait qu'elle provoquera presque inévitablement une diminution de la sécrétion lactée.
Le travail de la mère en dehors de son domicile est souvent cité comme la raison la plus importante du déclin de l'allaitement maternel. Toutefois, d'après les études publiées, le travail est rarement cité comme une raison majeure pour n'avoir pas commencé l'allaitement ou pour initier un sevrage précoce. Il est clair qu'un travail de plusieurs heures par jour hors de la maison limite sérieusement la possibilité d'allaiter et donne un bon motif de recourir à l'alimentation d'appoint. Il peut donc être une cause de l'insuffisance de sécrétion lactée.
Les femmes actives peuvent continuer à allaiter leurs enfants avec succès et maintenir un bon niveau de production de lait dans les seins. La stimulation mammaire provenant d'une tétée adéquate durant le temps qu'elles passent avec leurs bébés est particulièrement importante. Il faudrait que les lois et les conditions du travail reconnaissent les besoins particuliers des femmes allaitantes. Si l'allaitement maternel était reconnu comme une nécessité et une pratique courantes par les gouvernements et les employeurs, on serait obligé de faire en sorte qu'une femme puisse rester près de son bébé durant les six premiers mois.
La promotion, passée et actuelle, des laits maternisés par les industriels a sans doute contribué aux problèmes de lactation des mères. Il était plus avantageux pour les fabricants de faire croire au grand public comme aux professionnels de santé que les biberons de complément étaient la solution à leur problème d'insuffisance de lait.
La meilleure façon, et la plus simple, de juger si un enfant a sa ration suffisante de lait est de peser l'enfant régulièrement. Un gain normal ou quasi normal de poids est la preuve que la sécrétion lactée de la mère est adéquate.
Allaiter réduit la probabilité d'une grossesse précoce: une croyance fort ancienne que la sagesse traditionnelle de nombreuses sociétés ne mettait pas en doute, mais souvent considérée comme une fable de vieilles femmes. La science prouve maintenant, que, sans nul doute, l'intensité, la fréquence, et la durée de l'allaitement ont des incidences positives sur la période d'aménorrhée post-partum, en bloquant l'ovulation et en diminuant la fertilité. Les mères qui allaitent intensément voient un certain temps s'écouler avant la réapparition de leurs règles. A l'opposé, l'intervalle entre l'accouchement et le retour des règles est court chez les femmes qui n'allaitent pas. Ce phénomène physiologique est en rapport avec les hormones produites par la stimulation des mamelons lors de la tétée.
Les implications de cette découverte sont importantes en matière de contrôle des naissances et de dynamique démographique. Dans de nombreux pays en développement, l'allaitement maternel joue maintenant un rôle plus important dans l'espacement des naissances et l'allongement de l'intervalle entre les grossesses que l'effet combiné de pilules contraceptives, stérilets, préservatifs, diaphragmes et autres contraceptifs modernes. Par conséquent, cet aspect de l'allaitement maternel est à rajouter à la liste des avantages de celui-ci.
Des données récentes provenant notamment du Kenya, laissent penser que les femmes qui continuent d'allaiter sur une longue période tout en ayant recours au biberon dès la naissance ont une aménorrhée post-partum plus courte que les femmes qui pratiquent un allaitement exclusif. L'utilisation des laits industriels durant les tout premiers mois de vie du bébé, diminue le temps de tétée au sein, ce qui entraîne une baisse du taux de prolactine qui favorise le retour précoce de l'ovulation et de la menstruation, même chez les mères qui allaitent durant un an ou plus. L'alimentation des bébés au biberon contribue donc aux risques de grossesses plus rapprochées.
Cette méthode naturelle de planification familiale, appelée "aménorrhée de la lactation", est maintenant largement répandue et utilisée avec succès. La mère d'un nourrisson de moins de 6 mois, en aménorrhée (aucune menstruation depuis l'accouchement, soit 56 jours), qui allaite exclusivement ou presque son bébé au sein a 98 pour cent de chances de ne pas retomber enceinte, et n'a pas donc pas besoin de recourir à des méthodes artificielles de planification familiale.
L'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) est, de nos jours, un problème de santé majeur partout dans le monde. L'infection par le VIH est suivie, souvent quelques années plus tard, d'une maladie évolutive et éventuellement de la perte d'immunité. Le résultat en est le syndrome d'immunodéficience acquise (sida) qui se caractérise par le développement de nombreuses infections, accompagnées souvent de diarrhées et d'une pneumonie, et de malignités telles que le sarcome de Kaposi, pouvant entraîner la mort. Dans de nombreux pays en développement, l'infection par le VIH atteint presque autant de femmes que d'hommes. Un nombre accru de bébés et de jeunes enfants semblent être infectés par leur mère. Le mécanisme exact de transmission de la mère au ftus ou à l'enfant n'est pas connu. La transmission pourrait se faire par le passage in utero du virus à travers le placenta; au moment de l'accouchement, par exposition aux sécrétions vaginales, ingestion de sang maternel ou transfusion entre la mère et le ftus durant le travail et la délivrance; par ingestion du virus via le lait maternel. Dans de nombreux pays, l'infection par le VIH touche 25 à 45 pour cent des nourrissons nés de mère séropositives.
Il a été démontré qu'une mère atteinte du VIH peut le transmettre à son enfant par son lait. On a pu isoler ce virus à partir de lait maternel humain. On a pensé que ce virus fragile pouvait être détruit par l'acide gastrique et les enzymes présents dans l'intestin du bébé, et que le système digestif de ce dernier pouvait faire barrière au virus. Cela est sans doute en partie vrai. La grande majorité des enfants nourris au sein de mères infectées par ce virus ne sont pas contaminés par le lait maternel. Il est difficile, cependant, de déterminer à quel moment un enfant peut être contaminé: avant l'accouchement, durant l'accouchement ou quand il est allaité par sa mère. Cette incertitude est en partie due au fait que les enfants contaminés, comme ceux qui ne le sont pas, fabriquent, de manière passive, des anticorps contre le VIH en réponse à l'infection de leur mère, mais la présence d'anticorps dans les tests standards VIH ne peuvent pas être interprétés comme un signe d'infection active.
Une femme enceinte ayant une carence en vitamine A est plus susceptible de passer son infection VIH à son ftus. La transmission par le lait maternel est sans doute un fait relativement rare. Des différences apparentes dans les taux de transmission parmi des groupes de femmes de plusieurs pays semblent liées, entre autres facteurs, à l'apport en vitamine A.
Une réunion d'experts de l'OMS (Organisation mondiale de la santé) et du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (OMS/UNICEF, 1992) a émis des recommandations très claires en la matière, et ce, bien qu'on ait la preuve de la transmission du VIH par le lait maternel:
Beaucoup d'enfants d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine vivent dans des milieux où les infections gastro-intestinales sont courantes, l'hygiène insuffisante et les approvisionnements en eau suspects. Dans ces conditions, les nombreux avantages de l'allaitement maternel l'emportent largement sur le risque que peut encourir un enfant qui tète sa mère infectée par le VIH. Le recours au biberon au lieu de l'allaitement au sein pour réduire les risques de contamination par le sida ne devrait être conseillé par les pouvoirs publics que dans les régions où les causes courantes de morbidité et de mortalité infantiles ne sont pas les maladies infectieuses. Chaque mère devrait, bien sûr, quand cela est faisable, être conseillée et mise en garde par un médecin ou un agent de santé formé sur les risques relatifs de l'allaitement pour le bébé ou sur le choix des méthodes d'alimentation en termes de maladie et de survie (photo 10). Ces conseils permettront à la mère de faire un choix avisé.
Principalement deux facteurs sont à l'origine du déclin de l'allaitement maternel: premièrement, la promotion des laits de substitution par les industriels, en particulier par les multinationales; et deuxièmement, l'échec de la profession médicale à défendre, protéger et promouvoir l'allaitement maternel. Dans les années 50 et 60, un petit groupe de médecins, de pédiatres et de nutritionnistes travaillant dans des pays en développement attirèrent l'attention sur les méfaits de l'alimentation au biberon et décrièrent l'industrie comme responsable du déclin de l'allaitement maternel. Dans les années 70, le public s'éleva vigoureusement contre la promotion agressive du lait de substitution par la publicité, les échantillons gratuits et autres tactiques de vente forcée. La plupart des médecins, au Nord et au Sud, étaient, au mieux, indifférents à la pression grandissante de l'opinion publique en faveur du ralentissement des activités promotionnelles, et au pire, ils se rangèrent du côté des industriels.
En 1979, l'OMS et l'UNICEF organisèrent à Genève une réunion à laquelle participèrent des experts, des représentants de l'industrie et d'organisations non gouvernementales (ONG) et des délégués de pays, pour discuter, ensemble, d'éventuelles réglementations pour contrôler la promotion des produits manufacturés de remplacement du lait maternel. A cette réunion les participants décidèrent d'élaborer un code de conduite et se mirent d'accord sur certains principes essentiels. Plusieurs réunions suivirent pour élaborer ce code. Le 21 mai 1981, l'Assemblée mondiale de la santé, adopta à l'unanimité le Code international de la commercialisation des substituts du lait maternel. En 1994, le Gouvernement des Etats-Unis décida enfin d'appuyer ce code, dont l'article le plus important déclare: "Il ne devrait y avoir aucune publicité ni autre forme de promotion auprès du grand public sur les produits entrant dans le champ d'application de ce code". Les autres articles concernent la fourniture d'échantillons sur les lieux de vente; le contact entre le personnel de vente et les mères; l'utilisation des établissements de santé pour la promotion des laits de substitution; et l'étiquetage et la qualité des produits.
Ce code est un compromis entre les industriels et ceux qui pensent que toute promotion des laits de substitution doit être interdite, et répond certainement aux exigences minimales. Ses dispositions sont les suivantes:
Les pays ne sont pas tenus d'appliquer ce code international. Mais il a pour but de suggérer aux gouvernements d'agir pour mettre en uvre ses principes et ses objectifs. De nombreux pays ont mis en place une législation basée sur ce code. L'utilisation des échantillons se fait encore, mais moins qu'avant. L'allaitement maternel est maintenant soutenu par de nombreux ministères de la santé, plus que par le passé. Néanmoins, on oublie souvent que ce code était un accord de compromis, et, comme tel, il ne répond qu'à une toute petite partie du problème et, comme tous les codes, il a ses points faibles.
Bien que la publicité dirigée au public ait cessé, les industriels continuent de faire la promotion auprès des professionnels de santé; et les firmes font maintenant de plus en plus de publicité auprès du public en faveur de leurs aliments de sevrage destinés aux très jeunes bébés. Nombreuses sont encore les firmes qui offrent des laits de substitution aux hôpitaux dans beaucoup de pays, et les hôpitaux remettent gracieusement ce lait ainsi que de la documentation aux nouvelles mamans quand elles quittent l'hôpital. Cela donne à la mère le sentiment d'un aval médical au lait de substitution.
L'adoption du Code international de la commercialisation des substituts du lait maternel et de certaines autres résolutions en faveur de l'allaitement maternel a créé un excès de confiance et abouti à l'idée que le problème était réglé. Ceux qui ont travaillé sur ce code savaient qu'il ne résoudrait, au mieux, qu'une partie du problème. Pourtant, le soutien pour des actions traitant d'autres causes importantes du déclin de l'allaitement maternel est maintenant plus difficile à obtenir. Actuellement, le besoin se fait sentir de renforcer et d'élargir le code, de le rendre applicable aux aliments de sevrage industriels comme aux laits de substitution et d'empêcher toute publicité auprès des professions médicales comme du grand public. Les ONG qui surveillent l'application de ce code et uvrent pour protéger, soutenir et promouvoir l'allaitement ont davantage besoin d'être appuyées.
L'attitude des professionnels de santé vis-à-vis de l'allaitement maternel s'est améliorée ces 20 dernières années. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour empêcher que le personnel médical et sanitaire n'ait une influence négative sur l'allaitement, comme cela est souvent le cas. Il faut d'abord former tous les futurs agents sanitaires sur l'allaitement maternel et les professionnels en activité. Cela implique que la formation des médecins, des infirmières, des sages-femmes, notamment, soit améliorée. Dans certains pays, des efforts importants sont déployés, grâce à des séminaires et à une formation permanente ayant pour but d'éduquer les agents de santé en activité sur les pratiques saines d'alimentation du bébé.
La stratégie d'un pays ou d'une communauté pour autonomiser les femmes et aider les mères et leurs nourrissons à jouir de leur droit à l'allaitement doit comprendre trois catégories d'activité:
Bien que ces trois catégories d'activités soient importantes, l'effort déployé dans chaque domaine doit dépendre de la situation dans les pays. Ainsi, là où les pratiques de l'allaitement maternel traditionnel sont courantes mais où le lait de substitution fait son apparition, les activités de protection deviennent primordiales. Au contraire, dans un pays où la majorité des femmes n'allaitent pas du tout, les efforts doivent surtout porter sur l'encouragement de l'allaitement maternel. En termes de médecine, on peut dire que la protection et le soutien sont des mesures préventives, alors que l'encouragement est une mesure curative.
La protection de l'allaitement est destinée à mettre en garde les femmes qui auraient normalement allaité avec succès leurs enfants contre les forces qui pourraient les faire changer d'avis. Toutes les actions qui préviennent ou restreignent la promotion des laits industriels, des biberons et des tétines auront cet effet. Un code qui est fort, correctement respecté, et dont l'application est contrôlée agira en faveur de l'allaitement. Il faut restreindre certaines formes de promotion des laits de substitution, notamment celles destinées aux professionnels de santé, la distribution d'échantillons, les calendriers et articles publicitaires, ainsi que les démarches commerciales qui sont faites dans les hôpitaux. Il faut peut-être prendre des mesures législatives pour mettre un frein à ces pratiques. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, le lait de substitution ne s'obtient que sur prescription médicale, ce qui protège l'allaitement maternel. De nouvelles mesures doivent être prises dans certains pays pour diminuer la promotion des aliments de sevrage industriels et de produits tels que les solutions de glucose pour l'alimentation de l'enfant. Ce qui est à faire pour soutenir l'allaitement maternel dans un pays dépend des facteurs ou des problèmes qui rendent l'allaitement plus difficile. Dans de nombreuses zones urbaines, un emploi rémunéré loin du domicile peut-être l'un de ces facteurs. Des actions qui permettent aux femmes à la fois de travailler en dehors de chez elle et d'allaiter leur bébé sont nécessaires. Un deuxième facteur se rapporte à la morbidité maternelle, y compris les problèmes de sein durant la lactation. A moins que les agents de santé ne soient en faveur de l'allaitement, il est courant de trouver des femmes ayant inutilement recours au lait de substitution quand elles se trouvent confrontées à de tels problèmes. Un troisième point important concerne les pratiques courantes des établissements de santé. Les médecins doivent comprendre qu'il y très peu de contre-indications médicales à l'allaitement maternel. Dans de nombreux pays industrialisés et non industrialisés, des organisations privées de volontaires et des ONG ont un rôle très utile dans le soutien de l'allaitement maternel. La Leche League et d'autres groupes d'information sur l'allaitement sont importants à cet égard.
L'encouragement de l'allaitement maternel passe par la motivation ou la rééducation des mères qui, sans cela, ne seraient pas disposées à le pratiquer. En théorie, l'encouragement est l'activité la plus difficile et certainement celle qui coûte le plus cher parmi les trois options. Cependant, une politique d'encouragement est essentielle dans certaines sociétés si on veut que l'allaitement maternel devienne la méthode préférée pour l'alimentation du bébé. L'approche la plus classique est celle qui fait appel aux médias et aux campagnes d'éducation pour faire connaître les inconvénients du lait pris au biberon et les avantages de l'allaitement maternel (photo 11). Il est important de connaître les facteurs qui sont à l'origine du déclin de l'allaitement maternel dans une région et de comprendre comment les femmes considèrent l'allaitement naturel au sein et celui de l'allaitement artificiel au biberon. L'absence de ces considérations a fait que de nombreuses campagnes d'encouragement ont échoué. Les techniques de marketing social, si elles sont correctement appliquées, ont plus de chances de réussir. L'encouragement doit porter aussi bien sur les avantages sanitaires qu'économiques et contraceptifs de l'allaitement maternel. Il est bien souvent nécessaire d'éduquer en premier lieu les politiciens sur ces aspects.
Une forte volonté politique ainsi que la capacité à mettre en uvre de nouvelles politiques sont nécessaires pour chaque programme destiné à protéger, soutenir et encourager l'allaitement maternel.
En 1992, l'UNICEF et l'OMS lancèrent une initiative dans le but de favoriser la protection, le soutien et l'encouragement de l'allaitement maternel en abordant les problèmes rencontrés à l'hôpital, les pratiques qui allaient à l'encontre de l'allaitement maternel (par exemple, séparer la mère de son bébé) et celles qui influençaient directement les mères en faveur de l'allaitement artificiel au biberon (par exemple, le don à la mère de paquets de lait maternisé). Les deux objectifs majeurs de l'initiative étaient de mettre un frein à la distribution gratuite ou à bas prix de lait maternisé, et de vérifier que les pratiques de l'hôpital allaient dans le sens de l'allaitement maternel.
L'initiative est peut-être moins pertinente dans les pays ou les communautés où la majorité des bébés ne naissent pas en milieu hospitalier. Son influence est également moindre dans les maternités des grandes villes des pays en développement, où l'on renvoie les nourrissons chez eux 24 à 36 heures après leur naissance.
Certains pays et des entreprises employant de la main-d'uvre féminine ont fait en sorte que les femmes qui travaillent puissent allaiter leur bébé. Ces cas sont malheureusement des exceptions, alors qu'ils devraient en être la règle. La Conférence internationale sur la nutrition organisée par la FAO et l'OMS, qui s'est tenue à Rome en 1992, reconnaissait "le droit à l'allaitement exclusif pour les mères et leurs enfants". Le Plan d'action pour la nutrition adopté lors de cette conférence déclare que les gouvernements ainsi que les parties concernées devraient "fournir un soutien aux mères et les encourager pour leur permettre d'allaiter et de s'occuper convenablement de leurs enfants, qu'elles soient employées dans le secteur formel ou informel ou qu'elles pratiquent une activité non rémunérée. Les conventions et les réglementations de l'Organisation internationale du travail (OIT) en rapport avec ce sujet peuvent être prises comme point de départ".
La Convention de protection maternelle adoptée par l'OIT reconnaît aux femmes le droit d'avoir un congé de maternité et le droit d'allaiter leurs enfants. Cependant, nombreux sont les pays qui mettent de sérieux obstacles aux droits des mères allaitantes. Parmi les plus courants, on peut citer la durée trop courte du congé de maternité, le refus de ce congé aux femmes employées occasionnellement, le licenciement pour celles qui ont pris ce congé, le manque d'établissements de soins pour enfants dans les endroits où un grand nombre de femmes sont employées, le refus d'accorder aux femmes des arrêts pour qu'elles puissent allaiter durant une longue période de travail, et un ciblage flagrant des femmes actives, par les fabricants de lait, pour les persuader de choisir l'alimentation artificielle au biberon plutôt que l'alimentation au sein.
Les 10 conditions pour le succès de l'allaitement maternelLa déclaration conjointe de l'OMS et de l'UNICEF concernant la protection, l'encouragement et le soutien de l'allaitement maternel: le rôle spécial des services liés à la maternité (OMS/UNICEF, 1989) énonçait "les 10 conditions pour le succès de l'allaitement maternel", que les hôpitaux et tous autres lieux offrant un service de maternité et de soins aux nouveau-nés étaient censés suivre pour être considérés comme amis des bébés:
|
Que faut-il faire? Premièrement, les gouvernements et le grand public doivent s'assurer, pour le moins, que les conditions de la Convention de protection maternelle sont bien respectées et ne sont jamais enfreintes, soit: 12 semaines de congé de maternité avec des avantages financiers représentant au moins 66 pour cent du dernier salaire; deux fois 30 minutes d'arrêt réservé à l'allaitement par jour de travail; et interdiction de licenciement durant un congé de maternité. D'autres mesures peuvent être prises pour:
La figure 4, tirée d'un dépliant élaboré par l'Action de l'alliance mondiale pour l'allaitement lors de la Semaine mondiale de l'allaitement de 1993, illustre les investissements nécessaires, en temps, en espace et en soutien, pour que les lieux de travail soient accueillants pour les mamans.
Entre 1981 et 1990, on a vu naître de nombreuses actions ou promesses au niveau international en faveur de l'allaitement maternel, par exemple: adoption du Code international de la commercialisation des substituts du lait maternel par l'Assemblée mondiale de la santé en 1981; Déclaration Innocenti sur la protection, l'encouragement et le soutien de l'allaitement maternel, adoptée par les planificateurs de l'OMS et de l'UNICEF lors d'une réunion sur l'allaitement intitulée "Une initiative mondiale" tenue à Florence (Italie) en 1990; et la Déclaration mondiale sur la nutrition et le Plan d'action pour la nutrition approuvés par la CIN en 1992.
PHOTO 7
Une maman asiatique avec ses jumeaux. Le bébé de gauche est un garçon: sa maman l'allaite, il est bien nourri et en bonne santé; le bébé de droite est un fille: elle est nourrie au biberon et souffre de dénutrition sévère (elle est morte le jour après)
PHOTO 8
Une mère et ses trois enfants. Le bébé de gauche est nourri au sein et se porte bien; les deux autres ont 3 et 4 ans et souffrent de malnutrition depuis qu'ils ne tètent plus
PHOTO 9
Partage du lit avec le nouveau-né
PHOTO 10
Conseils donnés durant la grossesse
PHOTO 11
Encouragement de l'allaitement maternel