Les caries dentaires ne sont pas une maladie carentielle mais sont la maladie la plus répandue dans le monde et l'une des plus coûteuses à prévenir et à traiter. C'est aussi la seule maladie qu'un médecin n'est pas formé à soigner et qui requiert un spécialiste bien particulier.
La fluorose résulte d'un apport excessif de fluor et non d'une carence, mais on l'abordera dans ce chapitre parce que c'est un problème dentaire et osseux lié à la nutrition. Les propriétés du fluor et son rôle dans la malnutrition ont été discutées au chapitre 10. La fluoration de l'eau, des pâtes dentifrices ou l'application directe sur les dents renforcent la résistance de l'émail aux caries.
Le terme de caries regroupe les altérations des dents, notamment les cavités. Elles débutent par une perte ou une destruction de la couche externe de l'émail qui aboutit à une perte de protéines puis à une cavité (photo 37). Ce délabrement entraîne une douleur, une destruction progressive de la dent et souvent une infection des tissus voisins (abcès). Les caries constituent un exemple de l'interaction de la nutrition et de l'infection.
Trois facteurs contribuent aux caries dentaires (figure 11):
La digestion des glucides produit des acides organiques comme l'acide lactique qui aboutit à la déminéralisation des dents. Naguère, le saccharose était considéré comme le grand coupable. Des études récentes ont en effet confirmé la corrélation entre consommation de saccharose et caries dentaires, mais uniquement lorsque l'hygiène dentaire est médiocre et la fluoration absente. On admet à présent que n'importe quel glucide fermentescible est cariogène.
La lutte contre les caries dentaires pourrait en théorie impliquer les trois facteurs de risque cités ci-dessus. Un apport suffisant de fluor rend la surface de la dent moins vulnérable aux caries dentaires; un rinçage antiseptique réduit la présence bactérienne; de bonnes habitudes alimentaires réduisent le contact des dents avec des sucres collants, tandis que le brossage enlève les sucres adhérant aux dents.
Les enquêtes comptent le nombre de dents cariées (D), manquantes (M) et obturées (F) chez chaque sujet examiné, le total étant l'indice dit DMF. Dans une enquête réalisée en République-Unie de Tanzanie en 1964, les écoliers de 6 à 14 ans avaient un indice de 0,2, ce qui signifie qu'un enfant sur cinq avait une seule dent abîmée. Aux Etats-Unis, par contre, une enquête effectuée dans 10 Etats en 1968, a abouti à un indice DMF de 7, ce qui signifie que chaque enfant avait en moyenne sept dents cariées, obturées ou manquantes.
Il y a 25 ans, il aurait été juste de dire que les caries dentaires étaient beaucoup plus fréquentes dans les pays industrialisés. Actuellement, à la suite de la fluoration de l'eau courante et des dentifrices associée à une amélioration de l'hygiène dentaire et de l'éducation, les caries dentaires ont diminué dans les pays occidentaux. Par contre, les modifications alimentaires, notamment la consommation plus fréquente de glucides fermentescibles, ont entraîné une augmentation de la prévalence des caries dentaires dans les pays en développement, surtout dans les zones urbaines.
De nombreux nutriments sont nécessaires au bon développement des dents et des structures voisines, notamment la vitamine D, le calcium et le phosphore, également indispensables à la croissance osseuse. Les protéines sont nécessaires à la croissance des dents et, comme nous l'avons vu, la vitamine C est nécessaire à la santé des gencives. Cependant, en termes de réduction des caries, le fluor est l'élément clé.
On a constat, dans les années 30 que les personnes qui avaient accès à une eau contenant 1 à 2 ppm de fluor avaient beaucoup moins de caries dentaires que les consommateurs d'eau moins riche en fluor. On a constaté ultérieurement que dans ces régions, l'ajustement du fluor à 1 ppm permettait de réduire les caries dentaires de 60 à 70 pour cent.
La figure 12 compare l'indice DMF de deux villes de l'Etat de New York: Kingston où il n'y avait pas de fluoration municipale, et Newburgh où la concentration de fluor était optimale. On voit qu'à l'âge de 10 ans, l'indice était de 5,5 en l'absence de fluoration, contre 2,5 avec fluoration. D'autres études, comme celle effectuée dans l'Etat du Colorado, ont montré des résultats encore plus spectaculaires (figure 13).
On admet actuellement que le taux optimal de fluor dans l'eau du robinet est d'environ 1 ppm, mais chaque municipalité devrait décider du seuil approprié à sa population.
Il ne fait aucun doute que la fluoration est une mesure de santé publique majeure. Tout le personnel de santé doit contribuer à la faire adopter quand elle est nécessaire. Il a été démontré que la fluoration était parfaitement sûre à 1 ppm, quels que soient l'âge et l'état de santé des consommateurs. Il ne s'agit pas d'un médicament mais de l'ajustement de la concentration d'un nutriment comme l'enrichissement en vitamines du pain. Ce n'est donc pas une violation des droits individuels.
Il existe des substituts à la fluoration de l'eau comme les comprimés de fluor, les dentifrices fluorés, etc., mais aucun d'eux n'atteint l'efficacité, la facilité d'emploi et la rentabilité de la fluoration de l'eau. Il faut se souvenir que l'augmentation des caries dentaires pénalise les gens trop pauvres pour recevoir des soins dentaires.
Une autre mesure consiste à éduquer les parents et les enfants à propos des aliments cariogènes, à promouvoir une meilleure hygiène dentaire (brossage et utilisation du fil dentaire ou, comme en Afrique, de bâtonnets traditionnels pour enlever les fragments alimentaires entre les dents).
Chez les personnes plus âgées, la principale cause de perte de dents est la maladie du parodonte ou des gencives. Celle-ci débute par la formation de plaque dentaire (appelée aussi tartre) par les bactéries qui survivent grâce aux glucides adhérant aux dents. La plaque, entre les dents et près des gencives, peut induire une infection secondaire, repousser et faire saigner les gencives et aboutir à la perte de l'os de soutien et de la dent. Le nettoyage des dents, le grattage de la plaque et la mastication d'aliments fibreux contribuent à réduire la maladie parodontale. Lors d'une étude réalisée auprès de femmes pauvres aux Etats-Unis, 40 pour cent de celles âgées de 40 à 50 ans avaient perdu toutes leurs dents, alors que dans les zones rurales d'Afrique, presque personne n'a de maladie parodontale assez grave pour aboutir à la perte des dents. Les alimentations traditionnelles sont en général protectrices vis-à-vis des caries dentaires, alors que l'alimentation occidentale est un facteur de risque.
Dans certaines parties du monde, dont des régions de l'Inde, du Kenya et de la République-Unie de Tanzanie, les sources d'eau naturelles ont un taux de fluor très élevé. Au-delà de 4 ppm, la consommation d'eau entraîne une fluorose dans la majorité de la population. Les dents se couvrent de marbrures et changent de couleur (photo 38). On voit d'abord des zones blanches crayeuses puis des taches brun terne. Ce n'est pas une maladie grave, mais elle est souvent mal perçue par les patients.
La fluorose du squelette, qui résulte de la consommation prolongée d'une eau contenant de 4 à 15 ppm, est par contre plus grave. Une enquête a montré la fréquence des anomalies osseuses chez des personnes âgées en République-Unie de Tanzanie qui avaient bu de l'eau très fluorée pendant de nombreuses années. Les os étaient très denses voire scléreux et il y avait des calcifications anormales dans les ligaments intervertébraux, les tendons et les zones interosseuses comme l'avant-bras (photo 39). La fluorose du squelette peut entraîner des douleurs et une rigidité du dos et des troubles neurologiques.
Dans la plupart des pays en développement, il y a trop peu de dentistes pour répondre aux besoins de la population. Le ratio de dentistes pour 100 000 habitants est généralement beaucoup plus élevé dans les grandes villes et très faible dans les zones rurales. Mais la plupart des pays admettent maintenant que la majeure partie des diagnostics et des traitements comme les obturations, les extractions et la suppression de la plaque dentaire ne requiert pas forcément un dentiste. La Nouvelle-Zélande a lancé les auxiliaires dentaires et de nombreux pays forment à présent des assistants dentaires. Leur formation est plus courte et leur salaire moins élevé, mais ils peuvent prendre en charge la majorité des problèmes. Les dentistes interviennent alors comme les spécialistes médicaux pour les cas difficiles ou compliqués. Dans de nombreux pays, les associations de dentistes ont tenté de s'opposer à cette innovation. Cette attitude est regrettable, car, même dans les pays riches comme les Etats-Unis, les gens pauvres n'ont pas les moyens de recevoir des soins dentaires corrects.
PHOTO 37
Caries dentaires
PHOTO 38
Marbrures des dents dans la fluorose
PHOTO 39
Radiographie de l'avant-bras chez un patient atteint de fluorose squelettique montrant une augmentation de la densité osseuse et des calcifications entre le radius et le cubitus