Le syst�me nerveux est un syst�me de communication tr�s �labor�. Son dysfonctionnement peut avoir des cons�quences graves. Il a besoin d'oxyg�ne et de nutriments et trouve son �nergie dans les glucides. Son fonctionnement est contr�l� par une s�rie d'enzymes qui sont des prot�ines dont l'activit� requiert la pr�sence de plusieurs vitamines. Il n'est donc pas surprenant que des carences nutritionnelles induisent des signes t�moignant de l�sions du syst�me nerveux.
La relation entre alimentation et syst�me nerveux n'est pas totalement �lucid�e et d�passe le cadre de ce livre. Il est n�anmoins important que tout le personnel de sant� garde � l'esprit la notion que tout trouble du syst�me nerveux peut avoir une origine nutritionnelle. Si l'on n'arrive pas � �tablir un diagnostic pr�cis, il faut conseiller au patient d'avoir une alimentation �quilibr�e.
Les vitamines du groupe B ont une importance particuli�re. On les trouve surtout dans les enveloppes des c�r�ales. Le raffinage les r�duit consid�rablement et explique la fr�quence de ces carences et des neuropathies qui en r�sultent. Une flamb�e de neuropathies a ainsi �t� caus�e dans une institution de Tanzanie par le remplacement, comme aliment de base, d'une farine de ma�s peu raffin�e par une farine hautement raffin�e.
Ces neuropathies peuvent se traduire par une faiblesse, des paresth�sies dans les pieds, des sensations de br�lure, une ataxie, une surdit� de perception, des troubles de la vision, une modification des r�flexes, etc. Les sympt�mes des diff�rentes affections se chevauchent et il est difficile de les classer.
Nous avons d�j� d�crit les signes neurologiques du b�rib�ri et de la carence en thiamine chez les alcooliques (polyneuropathie alcoolique et syndrome de Wernicke-Korsakoff) au chapitre 16, et le syndrome des pieds br�lants de la carence en acide pantoth�nique au chapitre 11. Ces affections touchent soit les nerfs p�riph�riques soit le syst�me nerveux central. Il est probable que le diagnostic sera plus difficile chez les patients pr�sentant une forme mixte. Il peut �tre difficile de distinguer les complications neurologiques r�sultant d'une carence nutritionnelle de celles dues � des toxines (par exemple le lathyrisme d�crit au chapitre 34) ou � des m�dicaments.
La carence en vitamine B6 secondaire au traitement d'une tuberculose par l'isoniazide induit une polyn�vrite. On n'a pas encore d�termin� la cause exacte d'une flamb�e de n�vrite optique et de neuropathie �pid�mique � Cuba. Il s'agissait probablement d'un d�ficit en thiamine. Le konzo est une maladie neurologique �pid�mique qui r�sulte de la consommation excessive de manioc contenant de l'acide cyanhydrique (chapitres 26 et 34).
Cette carence est tr�s r�pandue dans le monde entier. Une enqu�te men�e dans 12 Etats am�ricains a mis en �vidence un faible stock de riboflavine chez 12 pour cent des sujets et 27 pour cent des Noirs. Dans les pays pauvres, cette carence affecte souvent 40 pour cent de la population. Elle se traduit essentiellement par des l�sions de la bouche et ne met pas la vie en danger.
La manifestation la plus fr�quente est une stomatite angulaire (fissures de la peau partant des coins de la bouche) et une ch�ilite (fissures) des l�vres (photo 40). Les l�sions s'�tendent parfois aux muqueuses de l'int�rieur de la bouche. Les fissures sont � vif mais se colorent parfois en jaune lorsqu'elles s'infectent. Les fissures des l�vres sont souvent gonfl�es et � vif l� o� elles se touchent. Les l�sions sont rouges et douloureuses ou s�ches lorsqu'elles gu�rissent.
Il appara�t parfois une glossite, inflammation de la langue avec des zones d�nud�es, une atrophie des papilles et une couleur magenta; plusieurs carences nutritionnelles sont en cause.
Des carences exp�rimentales ont permis de d�crire une dermatite du scrotum et de la vulve qui sont le si�ge de d�mangeaisons intenses et de desquamation.
On peut voir aussi des troubles oculaires avec des yeux rouges, des vaisseaux visibles, une photophobie et un larmoiement. Parfois existent des troubles de la s�cr�tion de s�bum (dyss�bacie) autour du nez. G�n�ralement plusieurs de ces signes coexistent.
Lors des enqu�tes, l'�valuation du statut de la riboflavine est bas� sur l'excr�tion urinaire; on consid�re qu'il y a une carence en dessous de 30 �g par g de cr�atinine. Une meilleure �valuation consiste � mesurer l'activation de la glutathion r�ductase des globules rouges, mesure que peu de laboratoires des pays en d�veloppement peuvent effectuer.
Le traitement consiste en grosses doses orales de riboflavine (deux fois 10 mg par jour) pendant une semaine puis de doses plus faibles (4 mg par jour) � continuer plusieurs semaines selon la richesse de l'alimentation en riboflavine. Il faut essayer d'obtenir � partir des aliments, notamment du lait, 1 � 1,5 mg de riboflavine par jour.
Une carence primaire est tr�s rare, car m�me les alimentations les plus pauvres contiennent suffisamment de vitamine B6.
Dans les pays en d�veloppement, la carence est secondaire au traitement d'une tuberculose par l'isoniazide. Ce dernier a �t� utilis� d�s les ann�es 50, et son usage oral s'est r�pandu dans le monde entier car il rempla�ait avantageusement la streptomycine injectable. Il est toujours largement utilis� malgr� l'apparition de m�dicaments nouveaux. Dans les pays industrialis�s, la tuberculose en d�clin dans les ann�es 70 effectue actuellement une r�surgence avec de nombreux cas li�s au sida et r�sistant aux traitements. En Afrique et en Asie, elle est toujours rest�e une cause pr�occupante de morbidit� et de mortalit�.
L'isoniazide semble augmenter les besoins en vitamine B6 et pr�cipite les carences.
Cette carence se traduit par des troubles neurologiques dont une n�vrite p�riph�rique induisant de vives douleurs dans les extr�mit�s. En Afrique de l'Est, on a constat� que la douleur emp�chait les patients de marcher jusqu'au dispensaire.
Il est donc recommand� de donner aux patients sous isoniazide 10 � 20 mg de pyridoxine par voie orale chaque jour. Malheureusement, la vitamine B6 est beaucoup plus ch�re que l'isoniazide et cette mesure augmente consid�rablement le co�t du traitement.
On a sugg�r�, notamment en Tha�lande, que la carence en vitamine B6 augmentait le risque de calculs v�sicaux. En effet, la vitamine B6 accro�t l'excr�tion urinaire d'oxalates et, en cas de carence, ces oxalates non �limin�s pourraient former des calculs.
Les contraceptifs oraux, hormis les plus r�cents, induisent une carence en vitamine B6 et en folates. Il semble que la vitamine B6 r�duise les naus�es des premiers mois de grossesse.
Il existe enfin une maladie cong�nitale rarissime, appel�e �maladie g�n�tique r�pondant � la vitamine B6�, qui se traduit par une hyperirritabilit�, des convulsions et une an�mie d�s les premiers jours de vie. En l'absence de traitement pr�coce avec la vitamine B6, elle induit un grave retard mental chez l'enfant.
Les maladies nutritionnelles les plus graves viennent d'�tre vues et d�crites en termes de syndromes et non class�es en fonction de leur �tiologie. Il en existe d'autres, avec des signes physiques observables mais ne causant pas d'incapacit�, avec les m�mes signes que celles d�j� d�crites, avec parfois une �tiologie bien sp�cifique mais souvent de cause non �lucid�e malgr� leur fr�quence. Il faut toujours les rechercher, car elles am�nent le personnel de sant� � se pencher sur l'alimentation du patient et peuvent ainsi �viter l'apparition de carences plus graves. Il faut y penser surtout lors d'examens de routine de sujets en groupes (�coles, prisons, institutions diverses) ou lors des enqu�tes nutritionnelles communautaires. Ces troubles mineurs peuvent en effet servir d'indicateurs de l'�tat nutritionnel de la communaut�.
Un peau saine est lisse, satin�e et a un aspect lumineux. En cas de x�rose, elle devient s�che, r�che et squameuse. Elle desquame comme des pellicules sur le cuir chevelu. Ce probl�me semble d� surtout au manque de vitamine A mais peut-�tre aussi � un d�ficit en prot�ines et en lipides.
La peau des jambes, la plus souvent affect�e, ressemble � une terre argileuse dess�ch�e par le soleil: il reste des �lots de peau normale limit�s par des fissures superficielles et des bords desquamants ou �cailleux. On attribue ce trouble au manque de vitamine A et de prot�ines ainsi qu'� une exposition altern�e � la s�cheresse et � l'humidit� dans un climat chaud.
L'hyperk�ratose folliculaire de type I consiste en multiples petites papules si�geant souvent sur le dos du bras au niveau des follicules pileux. On l'attribue � une carence en vitamine A et peut-�tre en riboflavine.
L'hyperk�ratose folliculaire de type II touche les cuisses et le tronc; son aspect est similaire mais la peau est moins s�che et on voit du sang d�natur� brun au niveau des follicules. Il pourrait s'agir d'une carence en vitamine C.
Un d�ficit en riboflavine induirait l'apparition de ces bouchons de k�ratine jaun�tre sortant des follicules sur les ailes du nez, voire au-del�.
La peau est s�che et irrit�e, il peut y avoir un prurit intense, une desquamation et une infection secondaire. Il s'agit probablement d'une carence en riboflavine et peut-�tre d'autres vitamines du groupe B.
La langue est gonfl�e avec des entailles lat�rales correspondant aux dents, et les papilles pro�minentes. On l'attribue � un d�ficit en riboflavine et niacine.
La langue est plus lisse que normalement, d'un rouge dit magenta et d�pourvue de papilles, parfois douloureuse. Il s'agit sans doute d'un d�ficit en niacine et autres vitamines B.
Il existe des zones de desquamation en plaques, qui sont souvent de forme ovale, rouges et congestives. Cet �tat provient habituellement d'une carence en riboflavine et peut s'accompagner d'œd�me lingual.
On constate un gonflement, le plus souvent bilat�ral, juste en face et l�g�rement au-dessous de l'orifice auditif. On peut palper une surface ferme correspondant � la glande parotide. Ce gonflement peut dispara�tre compl�tement apr�s une p�riode de r�gime alimentaire �quilibr�. Cet �tat est peut-�tre en rapport avec une carence en prot�ines.
Ces ulc�res int�ressent la partie inf�rieure de la jambe. Il peut y en avoir un seul ou plusieurs. Ils sont chroniques, peuvent atteindre une grande taille et sont souvent tr�s infect�s. Leur cause n'est pas totalement �lucid�e mais pourrait �tre nutritionnelle, car ils sont rares chez les sujets bien nourris.
Tableau 29
Signes � rechercher lors d'un examen
nutritionnel
Organe |
Signes |
Cheveux |
Changement de couleur |
Changement de texture | |
Yeux |
Taches de Bitot |
X�rose et x�rophtalmie | |
K�ratomalacie | |
P�leur conjonctivale | |
N�ovascularisation de la corn�e | |
Bouche |
Stomatite angulaire |
Ch�ilite | |
Glossite | |
Langue atrophique | |
œd�me de la langue | |
Dents marbr�es | |
Dents cari�es | |
Gencives gonfl�es ou saignantes | |
Langue p�le | |
Peau |
œd�me |
Hyperk�ratose folliculaire | |
Aspect de dallage irr�gulier | |
S�che et squameuse | |
Hyperpigmentation | |
Ulc�res | |
H�morragies | |
Ongles p�les | |
Syst�me nerveux central |
Apathie |
Irritabilit� | |
Troubles de la sensibilit� | |
Mollet sensible | |
Anomalie de la d�marche | |
Perte des r�flexes | |
Retard mental | |
D�mence | |
Squelette |
D�formations (jambes arqu�es) |
Chapelet costal du rachitisme | |
Gonflement osseux | |
Fluorose | |
Autres |
Augmentation de taille de la thyro�de |
Tableau 30
Carences et signes correspondants
Carence |
Signes associ�s |
Carence |
Signes associ�s |
Vitamine A |
Hyperk�ratose folliculaire de type I |
Vitamine D |
D�formations: jambes arqu�es, jambes enX |
C�cit� cr�pusculaire |
Chapelet du rachitisme | ||
Taches de Bitot |
Gonflements osseux | ||
X�rose conjonctivale |
|||
X�rose corn�enne |
MPE |
Fonte musculaire | |
K�ratomalacie |
Apathie | ||
Eventuellement: peau s�che, squameuse et en dallage irr�gulier |
Irritabilit� œd�mes | ||
Riboflavine (ariboflavinose) |
Stomatite angulaire |
Dermatose | |
Ch�ilite des l�vres |
Modification des cheveux | ||
Dermatite scrotale/g�nitale |
Perte de poids | ||
Peut-�tre: hyperk�ratose folliculaire, |
|||
langue _d�mati�e, magenta ou tachet�e |
Retard statural | ||
N�ovascularisation de la corn�e |
Petit p�rim�tre brachial | ||
Thiamine |
œd�me |
Diminution du pli cutan� | |
Anesth�sie |
|||
Sensibilit� du mollet |
Iode |
Goitre | |
Anomalie de la d�marche |
Cr�tinisme | ||
Signes divers de troubles du syst�me nerveux central |
Surdimutit� Retard mental | ||
Niacine |
Hyperpigmentation |
||
Dermatite pellagreuse |
Fluor (d�ficit) |
Caries | |
Langue atrophique |
(exc�s) |
Dents marbr�es | |
Diarrh�e |
(exc�s) |
Alt�rations du squelette | |
Troubles mentaux |
|||
Fer |
An�mie | ||
Vitamine C |
Gencives gonfl�es ou saignantes |
P�leur conjonctivale | |
H�morragies cutan�es p�t�chiales ou autres |
P�leur de la langue | ||
Autres h�morragies |
P�leur des ongles | ||
Hyperk�ratose folliculaire de type II |
Croissance m�diocre | ||
Gonflement sous-p�riost� sensible |
App�tit faible |
L'examinateur doit recueillir les nom, sexe et �ge du sujet; si c'est une femme, noter si elle est enceinte ou allaite. Vous trouverez dans le tableau 29 les signes � rechercher.
Il faut �galement mesurer les �l�ments suivants:
Il est aussi important de noter tout ce qui peut avoir un rapport: parasitoses, taie corn�enne, etc.
Le tableau 30 liste tous les syndromes d�ficitaires.
PHOTO 40
Stomatite angulaire et ch�ilite dues � un d�ficit en riboflavine