La production et la demande alimentaires mobilisent en général l'attention dans le domaine de l'agriculture et de la nutrition. Il est bien clair que pour que chacun soit bien nourri, il faut que l'agriculture produise en quantité suffisante et que la population ait accès à cette nourriture en quantité également suffisante pour tous les membres de la famille; ces questions font l'objet de discussions dans d'autres chapitres. Mais ce qui reçoit beaucoup moins d'attention, qu'il s'agisse de publications, de formation ou d'interventions, c'est que la nourriture et l'eau doivent non seulement être suffisants mais aussi sûrs et de bonne qualité.
La majorité des pays industrialisés dispose de systèmes fiables qui garantissent un certain niveau de sécurité et de qualité. Dans les pays en développement, ces systèmes sont rudimentaires et doivent être renforcés. Pour qu'un système de ce type fonctionne correctement, tous ceux qui sont impliqués - de la production à la consommation en passant par la transformation et le marketing - doivent être sensibilisés au problème et agir dans ce sens. L'éducation des consommateurs fait partie de cet effort.
Les consommateurs, l'industrie alimentaire, les ministères et les organisations internationales ont tous des rôles importants et imbriqués dans l'obtention de la qualité et de l'innocuité des aliments. Les mesures de contrôle peuvent contribuer à réduire les pertes et le gaspillage, promouvoir des techniques de transformation appropriées et assurer la qualité et l'innocuité des aliments pour les consommateurs locaux, les marchés locaux et l'exportation.
Ces objectifs ambitieux nécessitent une législation, des règlements et des normes adéquats. La mise en uvre de ces derniers requiert une surveillance généralement basée sur des inspections et souvent des analyses en laboratoire. Les pays pauvres n'ont ni les structures ni le personnel formé pour faire ce travail correctement, si bien qu'ils se limitent souvent à essayer d'éviter les contaminations graves des aliments et les flambées épidémiques qui en résultent. Sans le soutien d'un laboratoire, les inspecteurs et le personnel de santé publique doivent se borner à inspecter visuellement la viande dans les abattoirs ou sur les marchés, chercher des aliments avariés dans les boutiques, et inspecter les restaurants, les hôtels et les échoppes qui vendent des aliments. Ils peuvent insister sur les critères d'hygiène à respecter.
Les autorités nationales compétentes devraient au minimum sensibiliser le public à la qualité et à l'innocuité des aliments afin de créer une demande de sa part. Elles pourraient commencer par éduquer les agriculteurs qui produisent les aliments et suivre la chaîne alimentaire jusqu'aux cuisines familiales, urbaines ou rurales. Il ne faut pas oublier les responsables de la transformation, qui doivent être conscients de l'existence de normes, de lois et de règlements et de la façon d'y adhérer.
Dans beaucoup de pays pauvres à urbanisation rapide, la vente, la transformation, la cuisson et même le service sont de plus en plus assurés par de petites entreprises comme des vendeurs de marchés ou des échoppes ambulantes dans la rue. Les pratiques de qualité et d'innocuité des aliments y sont souvent ignorées. Comme beaucoup d'écoliers en sont des clients réguliers, la qualité et l'innocuité des aliments devrait faire partie de l'éducation nutritionnelle et des programmes scolaires de façon à leur permettre de reconnaître des aliments douteux.
Bien que la plupart des pays pauvres dispose d'une législation, de normes et de règlements, il leur manque le personnel ou les institutions capables d'assurer la qualité et l'innocuité des aliments. Il serait judicieux que les gouvernements sollicitent l'aide internationale pour améliorer leurs capacités dans ce domaine. Les petits pays pauvres peuvent parfois, avec l'aide internationale, partager des laboratoires de microbiologie et de toxicologie. Les pays en développement plus vastes dits émergents ou à revenus intermédiaires devraient consacrer plus d'efforts à ce problème, et beaucoup pourraient se le permettre. Ces pays sont de plus en plus urbanisés et le commerce y fleurit. Les centres urbains ont un aspect occidental avec des gratte-ciel, des avenues asphaltées et l'eau courante pour toutes les familles. Mais juste à côté, il y a des bidonvilles et des installations sauvages où il n'y a ni eau potable ni système d'évacuation des déchets satisfaisant. La nourriture vendue dans ces quartiers a des chances d'être contaminée.
L'industrie alimentaire a un rôle important à jouer dans la qualité et l'innocuité des aliments à chaque étape des filières alimentaires depuis la production agricole. Par exemple, les engrais et pesticides doivent être correctement utilisés dans les champs; des méthodes appropriées de conservation et de stockage doivent être respectées; il faut adopter des techniques qui réduisent le coût sans altérer la qualité et l'innocuité des aliments.
Les organisations internationales peuvent offrir une assistance technique et des conseils sur les différents aspects de la qualité et de l'innocuité des aliments comme l'usage des additifs; le seuil d'acceptabilité des contaminants; et le suivi des règles d'hygiène élémentaire dans certaines industries.
La FAO et d'autres organisations internationales ont le rôle fondamental de conseiller les pays membres sur la législation et les règlements appropriés en matière de qualité et d'innocuité des aliments et d'étiquetage des denrées mises en vente. De nombreuses directives et des normes ont été élaborés par la Commission du Codex Alimentarius, institution conjointe de la FAO et de l'OMS, qui fournit des normes internationales destinées à protéger la santé et le bien-être du public tout en assurant des pratiques commerciales équitables en matière de commerce international. Depuis sa création il y a plus de 50 ans, la FAO a aidé les pays membres à améliorer la qualité et l'innocuité des aliments consommés par la population grâce à l'expertise de son personnel, à des réunions et des consultations d'experts, à de nombreuses publications, à une assistance dans l'élaboration de normes et de nombreuses autres activités. Mais, pour les pays eux-mêmes, l'adhésion à des normes et des codes qui contribuent à la sécurité alimentaire fait partie intégrante de la sécurité alimentaire nationale ou locale.
Une épidémie ou une maladie grave d'origine alimentaire peut compromettre le commerce intérieur ou international des denrées. L'épidémie de choléra qui a débuté au Pérou en 1991 s'est propagée aux pays andins puis à une grande partie de l'Amérique latine et des Caraïbes. Le Pérou est un grand exportateur de fruits de mer et ce commerce a été rapidement affecté, même à l'intérieur du pays. Les gens pauvres qui travaillaient dans le commerce des coquillages en ont subi les conséquences en premier, puis, à mesure que les restrictions augmentaient, toute la population impliquée dans l'industrie alimentaire a été touchée. Cet incident a amené le Pérou à accorder plus d'attention à l'adduction d'eau urbaine, à l'assainissement, à la manipulation des aliments et à leur vente sur la voie publique.
Dès qu'ils sont contaminés par des pathogènes, des toxines, des pesticides ou des poisons, l'eau et les aliments affectent la santé, parfois en quelques heures, parfois longtemps après leur consommation. La diarrhée est la conséquence la plus fréquente, qu'elle soit due à des virus, des bactéries, des parasites, des toxines ou des poisons. Un cancer peut, par contre, apparaître longtemps après la consommation d'aliments contaminés par des toxines cancérigènes.
Les aliments contaminés, consommés à domicile ou dans des lieux publics, peuvent avoir une apparence normale ou douteuse. Les aliments ont de grandes chances d'être contaminés si eux-mêmes ont l'air sale, si les boissons, la vaisselle et les ustensiles ont l'air sale, si l'odeur est déplaisante, si les aliments normalement consommés chauds sont servis froids ou tièdes, s'il y a des mouches, des cafards ou des rongeurs aux alentours ou si le personnel a les mains ou des vêtements sales.
Il est parfois difficile de refuser un aliment suspect. Certaines précautions peuvent être prises pour les consommateurs d'aliments de rue, par exemple:
Souvenez-vous d'un vieil adage très sensé: "Si vous ne pouvez ni le bouillir, ni le cuire, ni le peler, oubliez-le!".
Toutes les familles, surtout celles qui ne disposent pas d'un système d'assainissement idéal, devraient connaître un minimum à propos des maladies d'origine alimentaire, qui devraient faire partie de tous les programmes d'éducation sanitaire et des programmes scolaires. Peu de gens dans les pays en développement comprennent la pathogénèse des maladies infectieuses. C'est aux éducateurs qu'il appartient de leur faire comprendre qu'un organisme invisible peut causer une maladie.
En ce qui concerne la diarrhée, causée par toutes sortes de germes qui vont des excréta humains dans les aliments et l'eau, voici quelques mesures de prévention.
Latrines et évacuation des excréta
Une latrine est la pierre angulaire de l'assainissement familial. Il faut éviter que les excréta humains ne contaminent la maison et ses environs. Les jeunes enfants ne peuvent pas toujours se servir d'une latrine, mais leurs selles sont tout autant contaminantes; il faut donc s'en débarrasser proprement. Les excréta des animaux sont moins dangereux mais peuvent aussi transmettre des maladies.
Toute la famille doit comprendre les règles de base d'hygiène personnelle et les mettre en pratique: se laver les mains après usage des latrines et avant chaque repas et lors de la préparation des aliments. La propreté du corps et des vêtements a aussi un rôle, et l'accès à l'eau facilite évidemment l'hygiène.
Une troisième forme de protection consiste à assurer un bon niveau d'hygiène de la maison. Il est surtout important de garder propres les endroits où l'on entrepose, prépare et consomme les aliments et d'éviter la présence de mouches, de cafards et de rongeurs. Garder sa maison propre permet de limiter la contamination des aliments et les maladies qui en résultent.
Certains aspects ont été décrits au chapitre 32. A la maison, il faut faire tous les efforts possibles pour éviter la contamination des aliments. Si c'est chose relativement facile dans une famille aisée, c'est un combat quotidien pour une famille pauvre qui n'a pas de réfrigérateur, qui cuisine sur un feu de bois à l'extérieur, qui transporte l'eau d'une rivière douteuse pendant deux heures et ne possède qu'une latrine simple.
Les bactéries se multiplient rapidement dans beaucoup d'aliments, mais surtout dans les aliments d'origine animale qui sont tièdes et humides. La présence d'un peu de sucre favorise la multiplication bactérienne alors qu'une dose importante l'inhibe. Si le stockage n'est pas fait à basse température, des millions de bactéries vont naître. Un ragoût de viande se détériorera le plus vite, un porridge de maïs assez vite, et du pain moins vite. Des grains de riz non cuits se conserveront longtemps. Il faut comprendre que les ufs ou les kystes parasitaires ne se multiplient pas dans les aliments mais sont quand même à l'origine de maladies.
Bien qu'il soit déconseillé de garder des aliments longtemps hors du réfrigérateur, il peut être utile de les couvrir de gaze pour éviter les mouches. On peut aussi fabriquer un garde-manger à l'aide d'une boite en bois sur pieds avec un écran de plastique ou de métal sur les côtés. Les pieds sont posés dans des récipients remplis d'eau afin d'empêcher l'accès des fourmis et des cafards.
Quatre étapes pour améliorer l'hygiène des alimentsRespecter la propreté tout au long de la chaîne alimentaire est la mesure de prévention principale des maladies transmises par les aliments. Les règles suivantes devraient être respectées à la maison:
Ces conseils s'appliquent aussi aux petits vendeurs dans la rue, mais ils sont difficiles à imposer. |
Les germes sont des contaminants beaucoup plus fréquents que les toxines et les poisons. Plus de 25 pathogènes - virus, bactéries, parasites - provenant d'aliments contaminés sont susceptibles d'infecter l'homme. Il en existe beaucoup plus, mais heureusement tous ne sont pas à l'origine de maladies humaines.
De nombreux pathogènes sont éliminés avec les selles humaines et ils infectent une autre personne qui va les ingérer par le biais de mains sales, d'ustensiles sales ou par des aliments contaminés par les mouches. C'est ce qu'on appelle la transmission féco-orale.
La diarrhée peut résulter soit de la sécrétion de toxines par les germes, soit de l'invasion de la paroi intestinale par les germes. Mais le mode de transmission est identique. Voici ci-dessous les principaux germes.
On sait maintenant que de nombreuses flambées de diarrhée sont dues à des virus comme le rotavirus ou le virus Norwalk. Ils ne se multiplient pas dans les aliments mais dans l'intestin. Le virus de la rougeole peut aussi causer une diarrhée.
Il existe de nombreuses bactéries à l'origine de contaminations alimentaires et de diarrhée.
Dans certains pays, les salmonelles sont les premières causes d'intoxication alimentaire et il existe de nombreux sérotypes pathogènes. On les trouve souvent dans les ufs crus ou peu cuits ou sur les mains du personnel qui manipule les aliments. Les symptômes apparaissent en moins de 48 heures et disparaissent habituellement de façon spontanée en six jours. Salmonella typhi entraîne la fièvre typhoïde, beaucoup plus grave, qui associe fièvre, plaques d'urticaire, douleurs abdominales et asthénie persistante.
Le staphylocoque doré, ubiquitaire, peut induire une diarrhée et des vomissements. Les Clostridium (C. perfringens ou C. welchii), bactéries anaérobies, productrices de spores, sont souvent en cause dans des intoxications alimentaires. C. botulinum, qui peut contaminer des aliments ou des blessures, est à l'origine d'une forme grave, souvent fatale, car sa toxine attaque nerfs et muscles. La production de toxines par les clostridia a lieu dans les aliments, souvent de la viande conservée. La chaleur détruit les toxines mais pas les spores.
La dysenterie bacillaire est due à quatre sortes de Shigella: S. sonnei, S. flexneri, S. dysenteriae et S. boydii et se traduit par une diarrhée grave avec des selles souvent sanglantes et des vomissements.
Le choléra dû à Vibrio cholerae entraîne une diarrhée profuse et aqueuse liée à l'atteinte de l'intestin grêle, des vomissements et des douleurs abdominales avec une déshydratation qui peut être fatale en l'absence de traitement. La thérapie de réhydratation orale permet de sauver bien des patients.
On peut citer aussi certains sérotypes d'Escherichia coli (la majorité n'est pas pathogène), de Campylobacter, de Bacillus aureus et de Vibrio parahaemolyticus.
Les parasites peuvent être transmis par l'eau et les aliments. Le plus répandu est Ascaris lumbricoides (ver rond) qui infecte environ 1,2 milliard de personnes dans le monde. Les vers femelles qui se trouvent dans l'intestin produisent des milliers d'ufs qui sortent avec les selles. Si celles-ci ne sont pas évacuées proprement, les ufs se retrouvent dans l'environnement et dans la poussière; à partir de là, ils peuvent contaminer des aliments ou de nouveaux sujets. Trichuris trichuria et Giardia lamblia se répandent de la même manière.
D'autres parasites se transmettent après ingestion d'aliments crus ou insuffisamment cuits. Taenia solium infecte la viande de porc et cause la cysticercose, grave par ses complications et Taenia saginata infecte la viande de buf. Comme ces vers consomment la vitamine B12, ils peuvent aussi induire une anémie macrocytaire. Il en est de même pour le poisson d'eau douce parfois contaminé par Diphyllobothrium latum.
Ces substances toxiques peuvent être naturelles et contaminer des aliments comme les champignons, le lathyrus, le manioc et le poisson. Les autres sont les substances artificiellement ajoutées aux aliments lors de leur production comme les engrais, les herbicides, les insecticides et les fongicides. Des métaux comme le mercure ou le plomb peuvent aussi se retrouver accidentellement dans les aliments.
On trouvera ci-après un résumé des toxiques les plus importants.
On a découvert en 1960 que de la volaille consommant des arachides contaminées par une moisissure appelée Aspergillus flavus mourait. Cet incident a déclenché une vaste recherche qui a montré que cet aspergillus poussait sur de nombreux aliments, notamment des graines de céréales stockées en atmosphère humide sous les tropiques. Chez l'animal, l'aflatoxine entraîne des lésions du foie et des carcinomes. Le rôle des aflatoxines dans le cancer primitif du foie chez l'homme, très fréquent en Afrique, n'est pas encore élucidé; il semble que la responsabilité en incombe plus aux hépatites. L'aflatoxine est néanmoins dangereuse et certains pays envisagent de contrôler sa concentration dans les aliments. Il existe d'autres hépatotoxines dans les aliments, mais elles ont moins dangereuses.
Lathyrus sativus est une vesce qui pousse à l'état sauvage mais qui est aussi cultivée, notamment en Inde dans les champs de blé. Elle contient une neurotoxine qui, ingérée en grande quantité, induit une faiblesse et une spasticité des membres inférieurs qui peut aboutir à une paralysie. Le lathyrisme a fait l'objet de multiples discussions dans la littérature médicale indienne.
Certains champignons sont des aliments délicieux et parfaitement sains mais d'autres, qui ressemblent parfois aux précédents, sont très toxiques à la fois pour l'intestin et le rein. Par exemple, Claviceps purpura entraîne une maladie appelée ergotisme avec des nausées, des vomissements, des troubles neurologiques et vasculaires.
Certaines substances présentes dans les aliments peuvent inactiver les vitamines ou inhiber leur absorption intestinale. La thiaminase de certains poissons en est l'exemple le plus connu. Les animaux qui consomment ces poissons crus deviennent carencés en thiamine. On n'a pas démontré qu'il s'agissait d'un problème majeur chez l'homme. Par contre, on a vu des hémorragies dans du bétail nourri avec des aliments contenant du dicoumarol qui agit comme antivitamine K.
Le manioc, originaire d'Amérique du Sud, est maintenant largement consommé aussi en Afrique et en Asie, habituellement sans effets notables, soit parce qu'il s'agit d'une variété inoffensive soit parce que la méthode de préparation a enlevé la majeure partie de la toxine. Certaines variétés contiennent un glucoside cyanogène qui induit une toxicité aiguë parfois fatale. La toxicité peut aussi être neurologique, entraîner une paralysie ou être goitrigène et aggraver un déficit en iode. Plusieurs techniques, dont le trempage, le râpage, le séchage et l'épluchage, contribuent à réduire la quantité de toxine. La toxicité est moindre en Asie et en Amérique.
Il existe d'autres substances goitrigènes comme le thiocyanide qui réduit la concentration d'iode dans la thyroïde et le thiouracile qui diminue la sécrétion thyroïdienne. On les trouve dans des végétaux du genre Brassica comme le chou, le chou-fleur, la moutarde et le colza (voir chapitre 14).
De nombreuses personnes sont allergiques à des aliments. Les fruits de mer sont souvent en cause.
L'industrialisation, l'urbanisation et l'évacuation impropre des déchets d'usines ont introduit des métaux dans la chaîne alimentaire. Le mercure en est le meilleur exemple. Aux Etats-Unis, au début des années 70, plusieurs poissons dont l'anguille, ont été retirés de la vente parce que leur concentration en mercure dépassait le seuil admis de 0,5 ppm. La même chose s'est produite au Japon.
L'intoxication par le plomb est beaucoup plus répandue, surtout dans les pays pauvres. On en trouve dans des aliments d'origine animale comme la viande et le lait, dans l'eau qui circule dans des canalisations de plomb et dans certaines peintures anciennes. Il est aussi inhalé à partir de particules en suspension dans l'atmosphère. Sa toxicité est surtout neurologique et se traduit par un retard de développement psychologique chez l'enfant ainsi que par des anomalies osseuses.
D'autres métaux sont toxiques, comme le cadmium, l'arsenic et le sélénium. L'excès de fluor à l'origine de fluorose est décrit au chapitre 21.
La révolution verte a contribué à nourrir la population en expansion de la planète en augmentant notamment les rendements des céréales. Mais ces progrès sont liés à l'utilisation de pesticides destinés à contrôler les mauvaises herbes et toutes sortes d'animaux, des rongeurs aux singes et aux éléphants ainsi que tous les micro-organismes (parasites, moisissures, bactéries, virus). Les fermiers ont aussi recours à des insecticides et à des médicaments oraux ou injectables pour débarrasser leur bétail de tiques ou de vers intestinaux. Tous ces produits et leurs résidus se retrouvent dans les aliments et sont souvent dangereux. Les manuels de toxicologie couvrent ce sujet et quelques-uns sont mentionnés dans la bibliographie.
Le Comité conjoint d'experts sur les additifs alimentaires FAO/OMS (JECFA) est responsable de vérifier l'innocuité des résidus de médicaments vétérinaires dans les aliments consommés par l'homme et recommande de temps à autre des limites de sécurité. La Commission du Codex Alimentarius peut alors faire de ces limites des normes internationales.
Dans des conditions optimales, ces résidus chimiques ne présenteraient aucun danger ni pour les agriculteurs ni pour les consommateurs. Beaucoup de pays ont un règlement concernant l'usage de ces produits et certains pays ont un système de suivi. Les efforts de la réunion conjointe FAO/OMS sur les résidus des pesticides (JMPR) ont abouti à des révisions draconiennes de l'innocuité des pesticides agricoles. Le JMPR a revu dans la littérature leurs conséquences potentielles sur la santé et a recommandé des limites à adopter par le Codex Alimentarius et à disséminer dans les pays membres. Malheureusement, dans les pays pauvres, les règlements sont rarement respectés et le suivi passe à côté des problèmes potentiels ou réels.
Les agriculteurs sont les premiers touchés. Ils doivent avoir des instructions très claires pour le mode d'emploi des produits, porter des vêtements protecteurs et pouvoir laver leur corps et leurs vêtements facilement après usage.
Les pesticides sont également utilisés lors du stockage des aliments pour éviter leur altération, ce qui augmente le danger pour les consommateurs. Les règlements existent dans la plupart des pays, mais doivent être mis en vigueur et contrôlés. L'agence de protection de l'environnement américaine a établi une liste de concentrations maximales de résidus pour 90 pesticides dans les aliments humains. Le DDT (dichlorodiphényltrichloréthane) utilisé à la fois en agriculture et dans la lutte antipalustre a été interdit par de nombreux pays (et interdit par tous les pays pour son utilisation en agriculture), mais certains pays ont estimé que le risque palustre était supérieur au risque toxique. A présent, ce sont d'autres insecticides qui nous préoccupent: le PCB (biphényl polychlorés), les organophosphorés comme le malathion et le parathion largement utilisés en agriculture, la dieldrine, et l'herbicide chlorophenoxy acide. Dans de nombreux pays, la quantité journalière acceptable établie par la FAO et l'OMS via le JMPR sert de norme pour la surveillance. Les accidents aigus sont rares: il y a eu quelques cas d'ouvriers ayant reçu une vaporisation accidentelle de pesticide et des absorptions accidentelles par des enfants. Peu de cas de toxicité alimentaire aiguë ont été rapportés au JMPR.
L'adjonction d'additifs aux aliments humains a de multiples raisons: en premier lieu, les conserver, mais aussi changer leur couleur, leur goût ou une autre qualité. Certains pays ont des règles très strictes d'approbation de l'usage d'un nouvel additif par l'industrie alimentaire et établissent un seuil maximal pour ceux qui sont approuvés. C'est à nouveau le JECFA qui a établi ces limites qui ont ensuite été utilisées par la Commission du Codex Alimentarius. Les principaux risques des additifs sont leur caractère cancérigène et tératogène ou mutagène. Aux Etats-Unis, les additifs autorisés pour l'industrie alimentaire sont appelés "généralement considérés comme sûrs" ou GRAS. Cette liste comporte les additifs en usage avant 1958 dont l'innocuité a été démontrée et ceux introduits après 1958 dont l'innocuité, notamment en tant que carcinogènes, est testée sur des animaux de laboratoire. Le JECFA a préparé un recueil de caractéristiques techniques des additifs qui doit aider les gouvernements des pays membres à établir leur propre liste d'additifs autorisés (liste positive) et qui est aussi utilisé par l'industrie alimentaire.
La contamination des aliments par des retombées radioactives d'explosions de bombes atomiques ou d'accidents de centrales nucléaires est heureusement rare. L'accident de Tchernobyl en mai 1986 est le plus grave qui ait été décrit. La poussière radioactive est libérée dans l'atmosphère, poussée par les vents et retombe sur terre où elle peut contaminer les récoltes - céréales, fruits, légumes - mais aussi l'herbe consommée par le bétail. Le lait et la viande de ces animaux peuvent donc contenir des concentrations inacceptables de matériel radioactif. Après l'accident de Tchernobyl, on a rapporté des taux élevés de certaines maladies comme des cancers de la thyroïde (retombées probables d'iode 131) et autres, en particulier chez l'enfant.
Peu après, la FAO a réuni une commission d'experts qui a recommandé des seuils de contamination radioactive pour le commerce international, car il n'existait aucune directive jusque-là. En cas d'accident, la population locale doit éviter la consommation des aliments produits dans la région, notamment le lait et la viande, ainsi que des aliments produits ailleurs mais susceptibles d'avoir été exposés à la poussière radioactive. Seuls les aliments provenant de récipients hermétiques sont sûrs. Les autorités doivent au plus vite importer dans la région des denrées provenant de zones non affectées. Le monde entier doit être prévenu et savoir que les aliments habituels peuvent présenter un danger.
De nombreuses actions déjà exposées dans ce chapitre contribuent à protéger le consommateur. D'autres actions peuvent également aider les consommateurs, notamment l'étiquetage qui fait l'objet d'une attention renouvelée. La FAO a un rôle conducteur dans ce domaine.
Une consultation de la FAO en 1988 a permis d'établir des valeurs de référence de nutriments recommandés en vue de l'étiquetage. Ces informations utiles doivent expliquer simplement la quantité de nutriments de l'aliment concerné, par exemple en pourcentage de l'apport journalier recommandé pour chaque nutriment important et par ration: kcal, protéines, glucides et lipides. Dans les pays à forte prévalence de maladies cardiovasculaires, on peut affiner encore l'information en distinguant les différentes formes de lipides, le cholestérol et les fibres. On peut aussi indiquer les quantités d'additifs.
La publicité alimentaire devrait être honnête et les aliments potentiellement dangereux ne pas recevoir de publicité.
En 1981, lors de l'Assemblée mondiale de la santé à Genève, 118 pays ont voté en faveur du code international de commercialisation des substituts du lait maternel qui interdisait toute publicité et opération de promotion pour ces produits (seuls les Etats-Unis ont voté contre). De nombreux pays ont établi une législation limitant la promotion des laits en poudre pour enfants, car l'intérêt de l'allaitement maternel est universellement admis ainsi que l'impact négatif exercé par la publicité pour ses substituts. Cependant, les multinationales qui fabriquent ces produits continuent leur lutte acharnée en offrant des échantillons gratuits dans les maternités et en envoyant de la documentation aux médecins.
De nombreux pays possèdent une législation portant sur la sécurité et parfois la qualité des aliments depuis leur production jusqu'à leur vente au détail. Mais les agriculteurs, les industriels et les consommateurs ne sont pas toujours bien informés ou, pire, des commerçants malhonnêtes ignorent délibérément ces règles. Les consommateurs sont donc exposés à des aliments dangereux, contaminés, gâtés ou contenant des substances chimiques en excès des niveaux autorisés.
De nombreux pays ont désigné une institution (un bureau des normes ou un bureau du ministère de l'agriculture) pour assurer la qualité et l'innocuité des aliments. Ces mécanismes ont souvent besoin d'être renforcés et manquent souvent de personnel bien formé et de laboratoires bien équipés. Dans certains pays, il serait judicieux de créer un comité interministériel pluridisciplinaire pour examiner tous les domaines de la qualité et de l'innocuité des aliments, s'assurer que les aspects les plus importants sont couverts et suggérer des priorités. Les fonctions principales de ce comité seraient de promulguer et de mettre en place les normes, d'établir un système de surveillance par inspection, recueil d'échantillons et examens; de recommander un programme d'éducation pour l'industrie alimentaire et le public; et de trouver des moyens d'impliquer et d'obtenir l'assistance d'organisations internationales comme la FAO et l'OMS notamment (au sein de la Commission du Codex Alimentarius).
Voici quelques actions peu coûteuses, faisables et importantes qui pourraient être envisagées en priorité:
Ces efforts pour améliorer la qualité et l'innocuité des aliments contribuent à la bonne santé de la population des pays en développement. Ils profitent aussi à long terme aux commerçants. La Commission du Codex Alimentarius peut aider les pays à mettre en place des normes et des codes destinés à la protection des consommateurs et du commerce. La FAO peut aider les gouvernements à moderniser leurs règlements, à concevoir des systèmes de vérification de conformité, à former des inspecteurs et autres personnels, à améliorer les laboratoires d'analyse et à former leur personnel, et enfin à assurer un meilleur contrôle de qualité par les producteurs, les fabricants et l'industrie alimentaire. La protection doit s'exercer de la ferme jusqu'à la table du consommateur. La FAO peut aussi assister les pays dans l'évaluation scientifique des additifs, contaminants divers et médicaments. En effet, dans les années qui viennent, tous les pays devront se plier aux accords du GATT sur les règlements sanitaires, techniques et autres qui pourraient empêcher le commerce des aliments non conformes.
En conclusion, les consommateurs sont en droit d'attendre des aliments sains et inoffensifs, et l'industrie alimentaire comme les gouvernements se doivent d'honorer ce droit. Cela exige des connaissances de la part des fermiers, de l'industrie alimentaire et des consommateurs, et des activités de contrôle de l'innocuité alimentaire de la part de l'industrie alimentaire et des gouvernements. Le contrôle exige d'une part l'existence de lois, de règlements et de normes de qualité et d'innocuité des aliments et un système d'inspection et de surveillance pour assurer le respect de ces lois. Ce contrôle peut être assuré jusqu'à un certain point sans structures complexes, mais il faut au moins des laboratoires pour effectuer les analyses recommandées. On peut faire appel à la FAO et à d'autres organisations internationales pour une assistance technique. Il faut reconnaître les efforts majeurs de la FAO pour établir et renforcer les systèmes de contrôle au niveau international et particulièrement dans les pays membres. Son travail pendant toutes ces années a substantiellement contribué à améliorer la qualité et de l'innocuité des aliments consommés dans de nombreux pays, surtout dans les pays en développement.