Les très jeunes enfants ne sont bien nourris que si on s'en occupe. Il est évident que les soins sont bénéfiques pour tout le monde: la santé, l'état nutritionnel et le bien-être général s'épanouissent si on est entouré d'affection. Les soins sont particulièrement indispensables aux jeunes enfants, aux personnes âgées, aux malades et aux handicapés. La relation entre soins et nutrition est particulièrement forte pour les jeunes enfants. C'est donc à ce sujet que ce chapitre se consacre plus spécialement.
Jusqu'à 3 ans, les enfants sont totalement dépendants des autres pour se nourrir, donc pour être bien nourris. Entre 3 et 5 ans, les enfants peuvent, dans une certaine mesure, se servir, choisir ce qu'ils mangent et se nourrir, mais, dans la plupart des sociétés, les enfants d'âge préscolaire sont considérés comme devant être nourris. Les soins sont donc nécessaires même s'ils ne sont pas indispensables à la survie. Des soins appropriés auront toujours une influence positive sur l'état nutritionnel et le bien-être.
Des trois causes sous-jacentes de malnutrition, à savoir la nourriture, la santé et les soins (voir chapitre 1), c'est l'importance des soins qui a le moins fait l'objet d'investigations et est la moins bien comprise. On connaît depuis longtemps l'importante relation de la sécurité alimentaire (voir chapitre 2) et de la santé (voir chapitre 3) avec la nutrition, dont témoignent une vaste littérature et de nombreuses interventions. Par contre, peu de programmes destinés à améliorer la nutrition comprennent un volet lié aux soins.
Le mot anglais "care" est à la fois un nom et un verbe. Dans le dictionnaire d'Oxford, la définition du verbe inclut les sens suivants: "éprouver de l'intérêt, nourrir et offrir des soins à des enfants ou à des invalides, s'occuper de, subvenir aux besoins" et les sens du nom incluent: "sollicitude, anxiété, attention, prudence, garde et protection". En 1992, Engle a proposé une définition fonctionnelle des soins aux jeunes enfants. "Les soins consistent en un ensemble de comportements qui prodiguent des soins tels que l'allaitement, le diagnostic des maladies, la détermination du moment où un enfant doit recevoir des suppléments nutritionnels, la stimulation du langage et des autres capacités cognitives et le soutien émotionnel."
Dans la plupart des pays en développement, c'est la mère qui prodigue habituellement la majorité des soins aux jeunes enfants, mais, dans le contexte des familles élargies, les grand-mères, les frères et surs, le père, d'autres parents et des personnes extérieures à la famille contribuent souvent aux soins. A mesure que l'enfant grandit, les soins viennent le plus souvent de l'extérieur, comme une école maternelle ou une garderie.
Des soins adéquats sont importants non seulement pour la survie mais aussi pour un développement physique et mental optimal. Ils contribuent aussi au bien-être général de l'enfant et à son bonheur, c'est-à-dire à sa qualité de vie. Les soins ont une influence sur l'enfant et l'enfant a une influence sur les soins.
Les trois causes de la malnutrition - manque de nourriture, de santé et de soins - sont liés à des facteurs internationaux, nationaux, locaux et familiaux. Les facteurs internationaux comprennent les guerres, les embargos ou les facteurs mondiaux qui sont à l'origine de la pauvreté dans certains pays. Les facteurs nationaux comprennent la justice sociale et la disponibilité de bons services de santé et d'éducation. Les facteurs locaux comprennent la distribution des terres, le climat, les réserves d'eau et les soins de santé primaires. Les facteurs familiaux comprennent la présence d'autres membres de la famille, le type de logement, l'accès à l'eau, l'hygiène domestique et les connaissances de la mère.
Les comportements qui contribuent à une bonne nutrition, une bonne santé et un bien-être de l'enfant varient d'une culture et d'une société à l'autre. On peut cependant émettre l'hypothèse que presque toutes les sociétés tiennent à leurs enfants et souhaitent les voir devenir des adultes en bonne santé, intelligents et productifs. Une deuxième hypothèse, plus discutable, est que les sociétés ont des pratiques de soins traditionnelles déterminées par leur culture qui sont en majorité favorables au bon développement de l'enfant, y compris à son état nutritionnel.
En plus de ces deux hypothèses, on estime qu'en Afrique, ainsi que dans la majeure partie de l'Asie et de l'Amérique latine, les problèmes des années 90 résultent davantage d'une érosion des pratiques traditionnelles que du caractère éventuellement inapproprié de ces pratiques. Il y a bien sûr des exceptions, comme la meilleure qualité des soins prodigués aux garçons qu'aux filles dans certaines sociétés, notamment en Asie du Sud. La modernisation, l'occidentalisation et l'urbanisation croissante ont altéré les pratiques traditionnelles, le plus souvent en mal (voir chapitre 5). Le déclin de l'allaitement maternel, pratique favorable quasiment universelle, en est le meilleur exemple, et il a suscité une littérature abondante (voir chapitre 7). L'allaitement a subi les effets de l'occidentalisation, notamment de la publicité des fabricants de laits en poudre et des conceptions des médecins formés à l'occidentale.
Toute stratégie destinée à optimiser les soins et l'état nutritionnel devrait intégrer des actions destinées à protéger les bonnes pratiques contre les facteurs extérieurs qui contribuent à leur érosion. Dans une société où la majorité des mères allaitent leurs enfants jusqu'à 18 mois (photo 70) et leur donnent peu ou pas d'autres aliments avant l'âge de 4 ou 6 mois, la protection de cette pratique doit passer avant le soutien et la promotion. De même, d'autres pratiques favorables méritent d'être protégées: la stimulation des enfants, le fait de ne pas les laisser seuls mais de les porter sur le dos de la mère (photo 71), la participation fréquente des pères, grand-mères, frères et surs aînés et autres parents aux soins (photo 72), un aliment de sevrage comportant des arachides et/ou des légumes à feuilles vert foncé. Ces pratiques sont menacées par l'occidentalisation: l'acquisition d'un téléviseur peut détourner les parents de la stimulation de l'enfant; la publicité pour des aliments de sevrage prêts à l'emploi amène la mère à lui donner une nourriture médiocre et coûteuse; et le travail maternel éloigne souvent trop la mère de l'enfant.
Le soutien s'applique aux pratiques traditionnelles menacées par les changements sociaux et consiste en des activités qui aident à conserver ces pratiques dans un environnement changeant. Ce soutien regroupe toutes sortes d'activités visant à restaurer la confiance des mères dans les pratiques traditionnelles et à leur montrer que certaines pratiques modernes, en apparence supérieures, sont en fait moins bonnes. L'influence occidentale peut, par exemple, amener les mères à penser qu'il n'est pas convenable d'allaiter son enfant en public; que les petits pots sont meilleurs que les plats préparés à la maison; que les solutions salées-sucrées sont meilleures en cas de diarrhée bénigne que les soupes familiales et le lait maternel; qu'il est préférable pour un enfant de rester à la maison devant la télévision plutôt que d'accompagner sa mère au marché du village; qu'il vaut mieux manger avec une fourchette qu'avec les mains, même propres. Aucune de ces pratiques modernes n'est meilleure pour l'enfant que les coutumes traditionnelles.
Dans de nombreux pays en développement, le travail féminin à l'extérieur contribue largement à l'érosion des pratiques traditionnelles. Il a rendu l'allaitement plus difficile (voir chapitre 7). Pour soutenir les mères, il faudrait un congé de maternité de trois mois puis une garderie sur les lieux de travail. Quelques autres mesures seraient également bénéfiques: des groupes de soutien maternel; des systèmes de garde appropriés lorsque la mère travaille; des horaires de travail décalés pour les différents membres de la famille; et, enfin, une plus grande participation des pères aux soins des enfants.
La promotion s'applique surtout lorsqu'une partie des pratiques traditionnelles a été abandonnée. Elle consiste à motiver ou à rééduquer les mères, les familles ou les communautés entières. C'est la stratégie la plus difficile et la plus coûteuse.
Il est important de commencer par identifier les principaux facteurs du déclin des pratiques traditionnelles et d'avoir des preuves de la supériorité de ces dernières. Sans ces deux éléments, toute campagne de promotion est vouée à l'échec. On peut recourir aux méthodes et techniques de marketing. Il faut aussi une volonté et un engagement politiques. La promotion se fait surtout par l'éducation du public par le biais des médias.
L'allaitement maternel constitue à nouveau un bon exemple de pratique traditionnelle qui avait été peu à peu remplacée par le biberon et les laits en poudre. Les campagnes réalisées au Brésil dans les années 70 et au Honduras dans les années 80 ont eu un grand succès. La promotion s'applique aussi au traitement de la diarrhée bénigne par l'allaitement et la nourriture familiale; au portage des enfants sur le dos quand il a été remplacé par l'habitude de laisser l'enfant à la maison; et le recours aux plats de sevrage préparés à la maison plutôt qu'aux petits pots et farines prêts à l'emploi, onéreux et moins nutritifs.
La nutrition subit l'influence permanente des actions des mères, des pères, des familles, des communautés ainsi que des gouvernements et des institutions internationales dans les domaines de la nourriture, de la santé et des soins. Ces actions résultent de décisions quotidiennes et leur influence peut être positive, négative ou neutre.
La première chose à faire avant de protéger, soutenir ou promouvoir les pratiques favorables est d'évaluer les pratiques existantes. Dans la majorité des pays, on connaît assez bien la situation en matière de nutrition et de santé, mais il y a très peu de publications sur les soins qui influencent l'état nutritionnel. On trouve généralement des données sur l'allaitement et les aliments de sevrage, mais très peu de choses sur les pratiques qui influencent le développement moteur et psychosocial, les facteurs maternels (comme l'estime de soi des mères et leurs croyances et attitudes en matière de soins aux enfants) et les facteurs familiaux et communautaires. Il est parfois possible d'obtenir ces informations assez rapidement et cette recherche doit constituer la première étape.
Une bonne approche consiste à identifier les "déviants positifs" dans la communauté. Ce sont les jeunes enfants qui ont un bon état nutritionnel bien qu'ils appartiennent à des familles pauvres, aient des mères sans instruction, un accès limité à la nourriture et aux services de soins et vivent dans une communauté où la majorité des enfants sont mal nourris. Si l'on découvre que leurs mères ont des pratiques inhabituelles pour la communauté, on peut estimer que la majorité, sinon la totalité de ces pratiques sont favorables et méritent d'être protégées, soutenues et promues. On peut également les comparer à celles des mères des déviants négatifs.
On peut classer ces actions en trois groupes: prestation de services, développement d'un potentiel d'action et responsabilisation. Ces trois actions peuvent agir à différents niveaux de la société (du pays à la famille) et elles se renforcent mutuellement.
La prestation de services peut être axée sur les causes les plus immédiates et avoir un caractère plus curatif que préventif: la réhydratation orale en cas de diarrhée; le déparasitage et la renutrition des enfants mal nourris. Dans d'autres cas, elle peut partir du sommet et par exemple avoir un caractère préventif: la vaccination et les garderies. Il faut admettre que la prestation de services n'est pas durable ou, si elle l'est, elle doit rester en place longtemps, à moins que d'autres changements ne préviennent ou ne résolvent les problèmes au niveau de la société et non de l'enfant individuel. Par exemple, la réhydratation orale évite la mort de l'enfant en prévenant la déshydratation mais ne réduit pas l'incidence de la diarrhée dans la communauté. Pour qu'une action soit efficace, il est important de ne pas ignorer ses limites.
Le développement d'un potentiel d'action concerne plus les causes sous-jacentes de malnutrition; il est donc plus préventif que curatif et, de ce fait, plus durable. Ces actions ont plus de chances de succès si elles vont de la base au sommet et non l'inverse. C'est une stratégie fondamentale qui inclut la protection, le soutien et le promotion des pratiques favorables. On peut citer comme exemples: la transition sans heurts de l'allaitement exclusif à une alimentation diversifiée préparée à la maison; la stimulation du développement psychosocial; l'éducation sanitaire sur la prévention des maladies; et l'hygiène domestique pour prévenir la diarrhée et les parasites intestinaux.
La responsabilisation va au-delà des deux types d'action précédents. Les actions de responsabilisation des mères permettent en général de s'attaquer aux causes profondes de la malnutrition. La responsabilisation des femmes consiste à s'assurer qu'elles acquièrent des droits que certaines sociétés leur dénient. Chaque femme, dans tout pays, devrait avoir le droit de gagner de l'argent; de ne pas être surchargée de travail; d'allaiter librement et facilement; d'avoir un accès raisonnablement facile aux services, aux ressources et aux activités de développement de son potentiel. Les actions potentielles comprennent celles qui améliorent le revenu des mères ou leur contrôle du budget familial; qui favorisent l'accès des femmes et des enfants aux services de santé; qui facilitent l'accès à l'eau pour réduire la charge de travail des femmes; et aussi toutes celles qui diminuent la pauvreté et augmentent la justice sociale (y compris certaines politiques commerciales et la fixation des prix). Certaines actions vont du sommet à la base, d'autres de la base au sommet.
Toutes les enquêtes sur les pratiques favorables existantes, sur les influences qui les menacent et sur la manière de les protéger dans une société en plein changement méritent la priorité. Le soutien aux pratiques favorables est également important, mais moins prioritaire sur le plan de la recherche.
On sait assez peu de choses sur la nature des pratiques qui n'ont pas été adoptées par certaines familles et sur la manière de les promouvoir. Quand les pratiques de soins sont inadaptées et sont à l'origine de malnutrition, il faut entreprendre une recherche sur les solutions appropriées, les meilleures manières de les promouvoir et leur impact potentiel sur la nutrition.
Quelques recherches ont été effectuées sur le partage intrafamilial de la nourriture, la fréquence des repas, la densité énergétique des plats et autres sujets pratiques. Mais on sait très peu de choses sur les sujets suivants:
Les enfants du monde, ceux qui sont nés et ceux qui vont naître, ont besoin d'une réponse à ces questions.
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Mère allaitant son enfant au Bhoutan
PHOTO 71
Mère bhoutanaise portant son enfant sur le chemin du marché
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Grand-mère birmane cuisinant tout en s'occupant de son petit-fils