Plus de 30 micronutriments - vitamines et minéraux présents dans les aliments - sont essentiels à la santé humaine et à la croissance et au développement de l'enfant (voir chapitres 10 et 11 pour les propriétés des micronutriments et chapitres 12 à 22 pour les carences et les troubles). Les carences en micronutriments sont prévalents dans de nombreux pays, surtout dans les pays en développement. Les plus fréquentes sont les carences en vitamine A, en iode et en fer. Avec la MPE, ces carences constituent les quatre grands problèmes nutritionnels, dont la prévalence varie considérablement selon les régions.
Au début des années 90, presque tous les pays se sont engagés à tout faire pour éliminer les carences en vitamine A et en iode et à réduire substantiellement la carence en fer d'ici 2 000. Cette tâche est plus difficile pour certains pays, mais tous les pays concernés devraient avoir une politique et des stratégies de lutte. Cependant, il ne faut pas que ces initiatives sapent, remplacent ou réduisent les efforts de maîtrise de la MPE qui est un problème de santé publique beaucoup plus répandu et plus important. Dans certains pays, il existe d'autres carences en micronutriments qui peuvent constituer un problème de santé publique plus important que les carences en vitamine A, en iode et en fer. Dans chaque pays, il faut accorder la priorité aux carences en fonction de leur prévalence, de la morbidité qu'elles causent, de leur contribution à la mortalité, de leur signification en termes de santé publique et sociale et, enfin, de la faisabilité et du coût de leur contrôle. Se reporter aux chapitres 16, 17 et 18 pour les discussions sur les carences en thiamine, en niacine et en vitamine D.
Chaque pays et chaque communauté peut recourir à différentes stratégies pour pallier ces carences, mais il importe de coordonner toutes les stratégies et actions et de privilégier les stratégies qui affrontent à plusieurs problèmes à la fois.
Les politiques et programmes de lutte sont habituellement soit globaux soit ciblés. Une approche globale ou holistique de la carence en vitamine A comprendrait, par exemple, des mesures de santé publique, des activités maraîchères, le traitement et la prévention des maladies infectieuses, l'enrichissement des aliments et l'usage judicieux de suppléments de vitamine A conjugués à des actions nationales de lutte contre la pauvreté et d'amélioration de la sécurité alimentaire. Une approche étroitement ciblée consisterait en la distribution de gélules fortement dosées de vitamine A aux jeunes enfants présentant un risque élevé de carence.
On peut comparer l'approche globale à une arme automatique: les nombreuses balles frappent différentes cibles et balaient une large zone, alors que l'approche ciblée se comporte comme une carabine: elle tire une seule balle qui est fatale seulement si elle atteint sa cible. C'est pourquoi on l'appelle parfois l'approche de la "balle magique". Dans de nombreux problèmes de santé publique, l'approche holistique est philosophiquement et politiquement préférable et a plus de chances de durer que l'approche ciblée. Cette dernière est appropriée lorsqu'on fait face à un problème isolé ou à un individu.
L'approche holistique peut paraître plus intimidante, plus difficile et plus lente à atteindre son but, qui est de maîtriser les carences en micronutriments. Mais ce n'est pas nécessairement le cas, car l'approche holistique peut inclure une approche ciblée. Dans le cas de la carence en vitamine A, la distribution ciblée de hautes doses de vitamine A peut accompagner les actions visant à augmenter la production et la consommation d'aliments riches en carotène, l'enrichissement des aliments, l'éducation nutritionnelle et des mesures de santé publique plus larges. Le succès de l'approche holistique dépend largement d'un climat politique et social favorable et des probabilités d'obtenir une mobilisation sociale et une participation communautaire. Le développement économique est utile mais pas nécessaire.
Les objectifs d'éradiquer les carences en vitamine A et en iode et de réduire de façon significative le déficit en fer d'ici 2000 étaient ambitieux mais réalisables dans certains pays à condition d'accroître de façon aussi rapide que durable les activités pertinentes. Dans ce cas précis, c'est plus des actions que de la volonté politique que dépendent les résultats. Des organisations internationales, dont la FAO, l'UNICEF et l'OMS et de nombreuses ONG, ont apporté leur aide aux pays et aux experts nationaux dans cette lutte.
La première tâche, accomplie par certains pays, consistait à formuler un plan national avec des stratégies et des actions définies et à désigner des autorités compétentes. Dans la majorité des cas, un plan de lutte contre toutes les carences est souhaitable. Cependant, des carences spécifiques peuvent nécessiter des stratégies différentes, donc des plans d'action séparés associant d'autres secteurs professionnels.
On ne connaît pas toujours la prévalence des carences dans les différentes régions d'un pays ni leurs causes sous-jacentes. Il ne faut pas attendre les résultats des grandes enquêtes nutritionnelles pour agir, mais il peut être souhaitable de disposer de données plus détaillées sur les carences et leurs causes. Cette évaluation constitue également un point de départ à partir duquel on peut juger de l'efficacité des interventions. Outre ces informations, il est utile de connaître les apports alimentaires, les facteurs sociaux, culturels et économiques pertinents ainsi que la situation sanitaire.
Il existe quatre stratégie principales de lutte qui font partie intégrante de stratégies plus vastes d'amélioration de la qualité de vie d'une communauté ou d'un pays. Toutes les actions internationales, locales ou familiales qui améliorent la sécurité alimentaire des ménages et la santé et les soins dont bénéficient les individus ont un impact sur les carences en micronutriments et devraient toujours être prises en compte.
Ces quatre stratégies sont:
Ces quatre stratégies sont énumérées en ordre décroissant de pérennité. Il est clair, par exemple, qu'une alimentation variée a un effet plus durable sur une carence en micronutriments que la supplémentation. Les deux autres stratégies ont une pérennité intermédiaire. Parmi les mesures de santé publique, certaines restent en place, comme l'amélioration des connaissances en matière de santé, l'approvisionnement en eau et l'hygiène, alors que d'autres stratégies, comme la vaccination, requièrent une action continue. Il ne fait aucun doute que conférer les connaissances et les savoir-faire nécessaires pour produire, distribuer et consommer une alimentation appropriée est la façon la plus durable de prévenir les carences en micronutriments.
Il est clair que le but ultime en matière de sécurité alimentaire est d'assurer que les populations consomment une variété d'aliments qui leur procure de façon continue les quantités requises de tous les micronutriments essentiels. Cela devrait être la stratégie à long terme de tous les gouvernements confrontés à des problèmes de carence en vitamine A et en fer (comme nous l'avons dit ailleurs, la carence en iode est difficilement contrôlable de cette manière et l'iodation du sel reste la méthode recommandée). Pour le nourrisson, la meilleure protection consiste à protéger, soutenir et promouvoir l'allaitement maternel et à favoriser la santé et la nutrition de la mère. Pour prévenir ces carences chez l'adulte, il est essentiel de stimuler la production et la consommation d'aliments riches en micronutriments.
L'éducation nutritionnelle est une partie importante de cette stratégie, mais elle ne sera efficace que si les aliments nécessaires sont disponibles. Elle doit aller au-delà des méthodes anciennes qui exhortaient les populations à produire et à consommer tel ou tel aliment parce qu'il était "bon pour eux". Les programmes doivent être conçus pour susciter une transformation permanente du comportement alimentaire. En Thaïlande par exemple, un programme a utilisé avec succès les techniques du marketing social pour augmenter l'apport alimentaire en vitamine A dans le nord-est du pays, tandis que le Bangladesh à réussi à augmenter la production et la consommation familiales et villageoises d'aliments riches en carotène.
L'amélioration de la diversité des aliments est un élément des actions communautaires destinées à augmenter la sécurité alimentaire des familles, donc des enfants. Il s'agit souvent d'actions coopératives pouvant comprendre des activités agricoles, des projets scolaires et une assistance aux familles citadines et rurales.
Cette approche durable de la lutte contre les carences en micronutriments est souvent critiquée parce qu'elle est jugée trop difficile ou parce que c'est une stratégie à long terme. Cependant, des exemples récents venus du monde entier montrent que l'on peut obtenir de bons résultats assez rapidement. Les critiques viennent souvent des adeptes des méthodes "minute", généralement à orientation médicale et que l'on peut planifier de l'extérieur du pays et de la communauté. Mais la stratégie basée sur une transformation alimentaire est durable, et c'est la seule qui enraye le déficit en vitamine A de façon permanente.
Toute mesure qui réduit les maladies infectieuses et favorise une bonne santé contribuera à réduire la plupart des carences en micronutriments, surtout en vitamine A et en fer. La relation nutrition-infection a fait l'objet de discussions aux chapitres 3 et 37.
Les actions de santé spécifiques de la lutte contre les carences en micronutriments comprennent le dépistage précoce et le traitement. Une carence tôt reconnue et traitée correctement ne peut pas entraîner de conséquence grave. La constatation par les agents de santé que les jeunes enfants d'une communauté ont une cécité nocturne ou des taches de Bitot, que les écoliers ont de légers goitres ou que les femmes enceintes ont une hémoglobine basse peut susciter une action médicale et un traitement rapides. Ce constat peut faire partie des soins de santé primaires.
Ensuite viennent les actions de santé publique, surtout celles qui visent à combattre les maladies infectieuses: vaccinations, déparasitage de masse et mesures contre la transmission des parasites; amélioration de l'assainissement, de l'hygiène domestique et de la distribution d'eau potable. Enfin, la disponibilité de bons services de PMI, l'espacement des naissances, l'éducation nutritionnelle et sanitaire et l'hygiène domestique et environnementale contribuent à réduire la malnutrition.
Certaines de ces interventions sont pérennisables et auront un impact sur la nutrition et la santé au-delà des carences en micronutriments.
L'enrichissement est reconnu comme la stratégie la plus importante de la lutte contre les troubles de carence en iode. Il peut aussi contribuer à la maîtrise des carences en vitamine A et en fer dans des populations qui achètent leurs aliments et peuvent se permettre des aliments enrichis. Dans les pays industrialisés, de nombreux aliments sont enrichis en fer et en vitamine A. De nombreux Américains consomment plus que leurs besoins journaliers de vitamine A et de fer avec un seul grand bol de céréales enrichies et de toasts généreusement tartinés de margarine enrichie en carotène et vitamine A. On attribue à l'enrichissement la disparition dans les pays industrialisés de nombreuses carences graves en micronutriments répandues au début du XXe siècle.
L'enrichissement doit être poursuivi tant que le risque de carence existe et que d'autres méthodes, comme l'alimentation diversifiée, n'ont pas été mises en uvre. La pérennité d'un programme d'enrichissement dépend de la coopération de l'industrie alimentaire, du suivi et de l'application effective.
Malgré son succès dans de nombreux pays industrialisés, l'enrichissement à connu quelques déboires dans les pays en développement. En effet, un programme national requiert une action de persuasion, une volonté politique et un engagement multisectoriel; il requiert aussi la coopération de l'industrie alimentaire, dont l'opposition rendrait la tâche difficile, voire impossible. Pour assurer le succès d'un programme, il est judicieux de créer, dès le début, un comité interdisciplinaire comprenant des universitaires et des chercheurs qui ont effectué des recherches sur le sujet; des représentants des ministères de la santé, du commerce et de l'industrie, des finances, de l'éducation et de l'agriculture; et, enfin, des représentants de l'industrie alimentaire. On peut envisager d'enrichir plus d'un aliment habituellement consommé. On trouvera au chapitre 34 un aperçu des principaux facteurs à considérer dans un programme d'enrichissement.
La distribution de micronutriments par voie orale ou injectés est habituellement appelée "supplémentation", et non "supplémentation médicinale", bien que ces suppléments soient généralement fournis ou utilisés comme un médicament. (Le terme de "supplémentation nutritionnelle", par contre, signifie l'adjonction d'aliments plus nutritifs à l'alimentation de base, comme l'ajout de lait écrémé en poudre à une bouillie de maïs en situation d'urgence. L'aliment ajouté est alors un supplément de nourriture et non pas un supplément de nutriment; c'est une intervention alimentaire et non médicale.)
La supplémentation en vitamine A, en iode ou en fer est une mesure à court terme, pouvant être utilisée à long terme chez des sujets particulièrement vulnérables à cette carence. Les programmes de supplémentation devraient avoir pour but de pallier rapidement une carence, pendant que les interventions à long terme sont en cours de planification et de préparation.
Huit étapes vers le succès d'un enrichissement alimentaireUn programme d'enrichissement visant à compenser une carence en micronutriments considérée comme un problème national doit suivre une série d'étapes:
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Il arrive que la supplémentation soit la seule méthode possible, par exemple en cas de guerre ou de catastrophe naturelle, quand aucune autre stratégie n'est applicable dans l'immédiat.
La supplémentation est la stratégie la moins durable, car elle dépend, d'abord, d'un système de distribution qui atteint presque toute la population vulnérable, et, deuxièmement, d'une participation active, avec changement de comportement, de la population concernée, ou, dans le cas des enfants, de leurs parents. Ces deux conditions essentielles sont rarement pleinement réalisées, ce qui explique les fréquents échecs de la supplémentation.
Cependant, il y a une marge entre le rejet pur et simple de toute supplémentation et la décision de tenter un programme national de supplémentation en micronutriments (comme des doses élevées de vitamine A) à tous les enfants de 6 mois à 5 ans. Un moyen terme constitue le choix idéal et habituel, c'est-à-dire la supplémentation des personnes les plus vulnérables parallèlement à des programme plus larges; par exemple, la distribution d'iode oral aux femmes en âge de procréer pour protéger de la carence en iode les ftus à venir tandis que l'on introduit l'iodation du sel.
La supplémentation est plus efficace lorsqu'elle atteint la population à travers des systèmes de distribution existants, par exemple lorsque le fer est donné aux femmes enceintes en consultation prénatale, la vitamine A aux enfants mal nourris suivis au centre de PMI et l'iode aux adolescentes à l'école. On a suggéré de donner des doses massives de vitamine A aux enfants dans le cadre du programme de vaccinations de l'OMS, mais cette proposition ne devrait pas être recommandée. En effet, les enfants seraient des sujets "captifs" mais comme ils sont généralement allaités pendant les 6 premiers mois, les déficits en vitamine A sont rares à cet âge, et des doses élevées de vitamine A chez un nourrisson peuvent avoir des effets secondaires. De même, de plus en plus de projets visent à distribuer un anthelmintique aux écoliers une fois par an pour traiter les parasites intestinaux, et les adeptes de la vitamine A ont pensé à utiliser cette opportunité pour leur donner également une grosse dose de vitamine A. Mais, à nouveau, l'âge des écoliers ne correspond pas au pic de fréquence de la carence en vitamine A. Il faudrait cibler les sujets particulièrement vulnérables et non ceux qui sont faciles à atteindre mais peu vulnérables.
La réduction et la prévention de la carence en vitamine A dans la plupart des pays en développement où elle est prévalente requiert presque toujours une stratégie d'envergure. Une stratégie unique est rarement appropriée.
La République-Unie de Tanzanie fait partie des pays ayant opté pour une approche large. Les comités nationaux interdisciplinaires et interministériels des micronutriments ont mis en place diverses actions visant à augmenter l'apport d'aliments riches en vitamine A: activités horticoles et éducation nutritionnelle; diverses actions de santé publique; une exploration des différents aliments à enrichir; et un usage judicieux des suppléments de vitamine A en doses massives largement disponibles dans les services de santé. Parallèlement, le pays essaie, par sa politique économique et agricole notamment, d'améliorer la qualité de vie des pauvres de façon durable, ce qui, en cas de succès, réduira également la carence en vitamine A.
Chaque pays doit réfléchir aux quatre stratégies possibles et à la façon dont il souhaite les utiliser. Les communautés et les familles entreprennent leurs propres actions et participent à un degré variable aux stratégies nationales.
Dans les pays en développement, la majorité de la population trouve la vitamine A dans le carotène des végétaux et non sous forme de vitamine A préformée des aliments d'origine animale. C'est pourquoi les interventions consistent à augmenter l'apport d'aliments riches en carotène. Il y a certainement une place limitée, en fonction de la disponibilité de ces aliments et des revenus des personnes concernées, pour une promotion discrète des aliments animaux contenant de la vitamine A. Mais le thème principal reste la promotion des fruits et légumes riches en carotène. Dans certains pays, on trouve deux autres sources que sont l'huile de palme et le maïs jaune. Il faut aussi que l'alimentation contienne suffisamment de lipides qui favorisent l'absorption du carotène et de protéines qui permettent le transport du rétinol.
Pour augmenter l'apport d'aliments riches en carotène et en vitamine A, y compris le lait maternel (voir chapitre 7), il est souvent nécessaire de susciter des changements, d'abord dans la production et la disponibilité de ces aliments, puis dans leur consommation, surtout par les sujets vulnérables. On trouvera une description des méthodes appropriées aux chapitres 2 et 35 qui traitent de la production alimentaire et de la sécurité alimentaire des ménages, et au chapitre 38, qui discute les stratégies de promotion d'une alimentation appropriée, dont l'éducation nutritionnelle et la communication.
Justification de la supplémentationLa FAO (1993, a) a proposé une série de questions auxquelles il convient de répondre pour justifier la supplémentation:
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Plusieurs projets ont abouti à une amélioration des connaissances, attitudes et pratiques en matière de consommation d'aliments riches en vitamine A et dans certains cas à une amélioration de l'état nutritionnel relatif à la vitamine A. En Thaïlande et en Indonésie, le marketing social, entre autres méthodes, a été utilisé avec succès pour augmenter la consommation d'aliments riches en vitamine A. Au Bangladesh, l'accent a été mis sur la production domestique d'aliments riches en carotène et sur la consommation par les enfants de plus de légumes à feuilles vert foncé et de fruits riches en carotène. Ce projet s'accompagnait d'un effort pour faire connaître aux familles la relation entre cécité nocturne et carence en vitamine A, la diminution de la première illustrant le succès du projet. Aux Philippines et en Indonésie, différents projets communautaires ont tenté d'augmenter la consommation par les enfants d'aliments riches en carotène et d'aliments suffisamment riches en lipides. En République-Unie de Tanzanie, la stratégie repose notamment sur l'information, l'éducation et la communication visant à faire connaître au public le problème de la vitamine A et à stimuler l'augmentation de production et de consommation d'aliments riches en vitamine A; cette stratégie fait largement appel à la radio et aux journaux. L'amélioration des pratiques horticoles en relation avec le contrôle du déficit en vitamine A fait l'objet d'efforts particuliers. Enfin, la production et le marketing de l'huile de palme sont à l'ordre du jour.
Le lait maternel, y compris le colostrum, protège le bébé allaité exclusivement pendant 4 à 6 mois et continue à apporter une bonne quantité de vitamine A de 6 à 24 mois. La protection, le soutien et la promotion de l'allaitement maternel constituent donc une stratégie fondamentale de contrôle de la carence en vitamine A. La quantité de vitamine A du lait maternel dépend bien sûr de l'apport alimentaire de la mère; il faut donc non seulement promouvoir la consommation d'aliments riches en vitamine A par les enfants mais aussi par les femmes en âge de procréer et allaitantes.
Au niveau communautaire, l'agent de santé, l'instituteur, l'employé des services de vulgarisation agricole ou le travailleur social doivent mettre l'accent sur le besoin d'aliments riches en vitamine A pour les enfants et les femmes enceintes et allaitantes. Les familles doivent savoir quels sont les aliments riches en carotène parmi ceux qui sont abordables et que les enfants mangeront volontiers. Les enfants préfèrent souvent les mangues, les papayes, les patates douces et le potiron aux légumes à feuilles vert foncé. Quand l'huile de palme ou le foie sont disponibles, on devrait les donner en priorité aux enfants. On peut aider les familles à cultiver des plantes riches en vitamine A et à les conserver. On peut aussi expliquer aux familles comment préparer des repas riches en vitamine A pour les enfants (voir chapitre 40). Le contenu de ces repas varie selon le pays, mais des légumes à feuilles vert foncé cuits, avec un peu d'huile ou des arachides pilées ou bien du potiron, des patates douces ou des carottes écrasés seront souvent parfaits.
Cette stratégie d'amélioration de la production et la consommation d'aliments riches en vitamine A est la seule pérennisable et devrait être prioritaire.
La première chose à faire est de s'assurer que tous les agents de santé, surtout ceux qui voient des enfants en consultation externe ou à l'hôpital au sein du système de soins de santé primaires, reconnaissent facilement la xérophtalmie et connaissent les situations à risque de la carence en vitamine A. Ils doivent aussi pouvoir fournir le traitement approprié, généralement une dose massive de vitamine A orale. Il est important aussi d'administrer systématiquement une dose de vitamine A à tous les enfants atteints de rougeole (100 000 UI avant 2 ans et le double au-delà).
La seconde mesure consiste à traiter et surtout à prévenir les maladies infectieuses dont la majorité exacerbe la carence en vitamine A et la fait basculer vers une xérophtalmie avérée. La vaccination contre la rougeole est une mesure de prévention de la carence en vitamine A et l'administration de vitamine A pendant la rougeole réduit considérablement le risque de décès. Les infections agissent en réduisant l'appétit, donc l'apport alimentaire de nourriture et de vitamine A. Les infections intestinales virales, bactériennes et parasitaires agissent en diminuant son absorption ou la conversion du carotène en rétinol. Enfin, la MPE, presque toujours présente chez les enfants atteints de xérophtalmie, aggrave les maladies infectieuses.
La troisième mesure consiste à prévenir la maladie et à promouvoir la santé. Le déparasitage des enfants, le traitement et la prévention de la diarrhée et des infections respiratoires aiguës, les vaccinations, l'amélioration de l'assainissement et de la distribution d'eau jouent tous un rôle.
Le soutien à l'allaitement maternel et l'éducation nutritionnelle et sanitaire contribuent également. Au niveau communautaire, il est fondamental de motiver les familles à vacciner leurs enfants, à consulter rapidement, à contrôler les infections et à améliorer l'hygiène domestique, personnelle et alimentaire.
L'enrichissement paraît séduisant, surtout si on le compare à la supplémentation, car la distribution relève du marché. Quand un ou plusieurs aliments habituels sont enrichis, il n'est pas nécessaire de changer les comportements ni d'envoyer des agents de santé faire du porte à porte pour distribuer des capsules de vitamine A ni pour les gouvernements d'engager les dépenses afférentes. L'enrichissement est généralement peu coûteux pour l'Etat. Une fois en place, il doit simplement être maintenu et peut-être dévolu à l'industrie alimentaire par une disposition législative. C'est donc une intervention durable par rapport à la supplémentation. Les autorités peuvent se contenter d'effectuer un suivi.
Les techniques de l'enrichissement en vitamine A sont bien connues, et des centaines d'aliments ont été enrichis, surtout dans les pays industrialisés, sans cibler particulièrement une population à risque. Les céréales du petit déjeuner (qu'il s'agisse de maïs, riz, blé ou avoine), la margarine, les laitages sont tous enrichis. Les techniciens, qui avaient il y a longtemps mis au point des méthodes d'adjonction de vitamine A aux matières grasses, savent maintenant le faire avec d'autres aliments. Dans les pays en développement, les aliments enrichis sont le glutamate de sodium, le sucre, le thé ou la margarine.
Autrefois, les pays en développement avaient tendance à enrichir seulement un aliment largement consommé. Mais, comme actuellement on peut enrichir de nombreux aliments, il paraît préférable d'en sélectionner plusieurs pour obtenir une meilleure couverture. Il faut cependant tenir compte du risque de toxicité surtout là où le contrôle de qualité est difficile à effectuer. Des pays industrialisés comme les Etats-Unis enrichissent de nombreux aliments et ne font pas état de problèmes de toxicité majeurs.
L'enrichissement n'est pas une stratégie facile à mettre en place et à maintenir dans les pays en développement. En effet, la carence en vitamine A touche surtout les enfants qui consomment essentiellement des aliments locaux et peu d'aliments transformés, donc susceptibles d'être enrichis. L'autre problème réside dans le coût de ces aliments, qui ne les rend pas accessibles aux plus pauvres, c'est-à-dire aux plus vulnérables.
Néanmoins, les comités nationaux responsables du développement des stratégies de lutte contre les carences en micronutriments qui doivent atteindre les objectifs définis par le Sommet mondial des enfants et la Conférence internationale sur la nutrition doivent envisager sérieusement l'enrichissement en vitamine A. Ils peuvent recourir à une assistance technique extérieure, notamment des Nations Unies, mais les scientifiques et les techniciens alimentaires locaux doivent participer à l'effort et étudier les possibilités d'enrichissement. Il leur faut donc voir quels sont les aliments couramment consommés par les pauvres et considérer les conditions requises pour l'enrichissement (voir chapitre 32). Il faut ensuite choisir la forme de vitamine A, puis la concentration, le coût et les modalités et le lieu du premier essai. Après cet essai, il faut décider si une législation est nécessaire, comment assurer le suivi et le contrôle de qualité et déterminer qui supportera les coûts.
Ce sont souvent les consommateurs qui supportent le coût: si tout le glutamate ou tout le sucre vendu dans le pays est enrichi, on augmente très légèrement le prix de vente. C'est généralement la meilleure option. Au cours d'un essai aux Philippines, on a ajouté de la vitamine A et un auxiliaire technologique à du glutamate (MSG). Les consommateurs achetaient habituellement des paquets de 2,4 g pour mettre dans de la soupe ou des ragoûts. On a alors décidé d'ajouter 0,1 g de prémixe et de réduire le MSG à 2,3 g pour conserver le poids habituel du paquet. Comme le MSG coûte plus cher que la vitamine A, on a pu vendre le paquet au même prix. Ce n'est pas un problème que les familles consomment un peu moins de sel, de sucre ou de MSG par jour.
Les problèmes rencontrés dans plusieurs pays sont liés à des contraintes politiques ou à l'opposition des industriels, ou parfois à l'opposition de groupes mal informés refusant le principe de l'enrichissement et le recours à un véhicule alimentaire. La fluoration de l'eau à connu les mêmes aléas.
Une fois l'enrichissement en vitamine A mis en uvre, on peut envisager d'enrichir simultanément les mêmes aliments avec du fer ou d'autres micronutriments.
La vitamine A est soluble dans les graisses; une fois absorbée, elle n'est excrétée que très lentement et une grande partie d'une dose massive reste dans l'organisme quelques temps. On peut donc donner ces doses à intervalles éloignés.
On a constaté, il y a 30 ans, qu'une dose de 200 000 UI protégeait les enfants de 1 à 5 ans pendant plusieurs semaines. La majorité des programmes les distribuent tous les six mois, mais, en six mois, le taux sérique de vitamine A redescend à un niveau insuffisant. Il est donc préférable d'en administrer tous les quatre mois.
Les gouvernements qui ont recours à la supplémentation essaient quelquefois d'instaurer une supplémentation universelle visant tous les enfants d'une tranche d'âge dans le pays ou dans certaines régions. Mais cette approche a rarement atteint ses objectifs, s'est avérée coûteuse, a exigé un système de distribution complexe, a vu sa couverture chuter rapidement après la première dose et n'a pas atteint les enfants les plus vulnérables. Des pays très peuplés comme l'Inde, l'Indonésie et le Bangladesh ont tenté la supplémentation universelle au moins dans certaines régions. Ces programmes ont certainement été bénéfiques pour certains enfants, mais poursuivre la supplémentation universelle n'est plus justifié. En Indonésie, la nette diminution de la xérophtalmie a résulté davantage de l'amélioration générale du niveau de vie des pauvres, de meilleurs logements, d'une amélioration de la sécurité alimentaire, de meilleurs services de santé, d'une économie plus prospère et de plus d'attention accordée aux problèmes nutritionnels. Une diminution importante de la mortalité infantile et de la mortalité des enfants de moins de 5 ans ainsi que du marasme est survenue simultanément.
De nombreux pays ciblent maintenant des groupes vulnérables ou mettent la supplémentation à disposition de ces derniers quand ils entrent en contact avec les services de santé. Des suppléments gratuits ou subventionnés sont distribués aux centres de santé, aux dispensaires et aux hôpitaux. Cette stratégie présente plusieurs avantages par rapport à la supplémentation universelle.
Les groupes cibles comprennent tous les cas de xérophtalmie, les rougeoles, les MPE bénignes ou modérées, les diarrhées et quelques autres maladies infectieuses. Dans quelques pays, l'administration de vitamine A est liée à d'autres interventions comme les vaccinations, approche qui devrait être limitée aux enfants de plus de 6 mois. On pourrait aussi la combiner au déparasitage ou au suivi de croissance des enfants mal nourris. Il faut aussi donner des suppléments aux enfants des camps de réfugiés ou en cas de sécheresse ou de famine. Par contre, il vaut mieux éviter d'en donner aux femmes avant la grossesse à cause du risque de malformations ftales.
Quand on introduit la supplémentation sélective, il convient de suivre l'exemple de la République-Unie de Tanzanie et de former les agents de soins de santé primaires à l'utilisation des suppléments. Des cours d'une ou deux journées, conduits par une équipe de formateurs itinérants, permettent de distribuer un aide-mémoire, de réviser les signes de xérophtalmie et de présenter une liste de cas justifiant la supplémentation en vitamine A.
Dans tout programme de supplémentation, il faut mettre en place un système d'enregistrement pour limiter le risque d'administrations trop fréquentes et de toxicité.
Ces programmes doivent s'accompagner d'activités destinées à améliorer l'apport alimentaire et de mesures de santé publique visant à réduire les carences en vitamine A. Il faut aussi envisager le recours à l'enrichissement.
Il n'est, par contre, pas recommandé de fournir des suppléments de vitamine A à des enfants qui ne présentent pas de carence pour réduire leur mortalité.
La carence en iode est la plus facile des trois à traiter. La stratégie la plus recommandée est l'enrichissement du sel ou iodation du sel et non l'augmentation de l'apport alimentaire. Les mesure de santé publique ne constituent pas une stratégie importante pour le contrôle de la carence en iode, mais la supplémentation peut jouer un rôle dans les zones hyperendémiques, surtout comme mesure à court terme pendant que l'iodation du sel est mise en place.
L'iode est vital mais n'est nécessaire qu'en très faible quantité: 100 à 200 µg par jour pour un adulte, ce qui correspond à une cuillère tous les 50 ans.
L'éducation nutritionnelle et les autres méthodes de modification des comportements ne s'appliquent pas au contrôle de la carence en iode parce que le contenu en iode des aliments dépend plus de leur origine géographique que des aliments eux-mêmes. Le contenu en iode des végétaux dépend de celui du sol où ils poussent. C'est pourquoi la majorité des végétaux cultivés dans des sols pauvres en iode, c'est-à-dire surtout les aires de hauts plateaux ou de montagnes, sont déficients en iode. Les végétaux qui poussent dans les sols pauvres en iode des Andes ou l'Himalaya contiennent beaucoup moins d'iode que ceux cultivés dans le delta de l'Amazone ou du Gange. Il est donc illusoire de promouvoir la consommation de certains aliments locaux. Les fruits de mer et les algues sont riches en iode à cause de la richesse de la mer en iode, mais on ne peut pas les promouvoir loin à l'intérieur des terres.
On peut recourir à l'éducation nutritionnelle et aux méthodes comportementales pour limiter la consommation d'aliments goitrigènes comme le chou et d'autres végétaux de l'espèce Brassica ainsi que certaines formes de manioc. Dans les pays où coexistent du sel ordinaire et iodé, il faut encourager la consommation de ce dernier par les groupes vulnérables. L'éducation nutritionnelle peut aussi servir à expliquer la cause du problème et à stimuler une demande auprès du gouvernement ou d'autres actions.
Il n'y a pas de mesure spécifique de santé publique dans le contrôle de la carence en iode. Cependant, de bons soins de santé et de bons services médicaux sont utiles au diagnostic de goitre, d'hypothyroïdie, de crétinisme et de problèmes neurologiques et métaboliques d'enfants dont les mères étaient carencées en iode pendant leur grossesse. Un goitre nodulaire volumineux qui ne répond pas au traitement médical peut nécessiter une intervention chirurgicale.
Pratiquement tout le monde admet que l'enrichissement est la meilleure stratégie de lutte contre la carence en iode. On a avec succès ajouté de l'iode à l'eau, au pain, au lait, à diverses sauces et aliments préparés, et au sel. La recherche récente s'est intéressée à l'iodation de l'eau de boisson, mais l'iodation du sel est la stratégie la plus recommandée pour éliminer la carence d'ici 2 000.
Dans les climats tempérés, c'est l'iodure de potassium qui est le plus utilisé mais, dans les climats tropicaux, on recommande l'iodate de potassium. On le mélange facilement au sel à raison de 40 à 100 mg d'iode par kg de sel. Il est plus stable et moins sensible à la chaleur et à l'humidité. La concentration d'iode varie d'un pays à l'autre et se base sur deux éléments: la consommation moyenne journalière des populations vulnérables et l'existence d'autres sources d'iode dans la nourriture.
La technique d'iodation est connue depuis longtemps; elle est simple, relativement peu coûteuse et ne change ni la couleur ni le goût du sel.
On estime que lorsqu'un gouvernement à réussi à mettre l'iodation en place et à la maintenir par une législation appropriée, elle constitue la meilleure solution à la carence en iode pour ceux qui consomment le sel, et cette maîtrise devrait être durable. De nombreux pays industrialisés ont maintenu cette technique pendant des décennies et éradiqué la carence.
Dans les pays en développement, par contre, l'iodation n'a pas été un succès dans de nombreux pays, même avec une législation appropriée, pour diverses raisons, dont certaines ne sont pas encore élucidées. Ce n'est pas la technique qui était en cause. En effet, pour que cette stratégie fonctionne, il faut non seulement une volonté mais aussi une action politique et gouvernementale; des gens honnêtes et incorruptibles à tous les niveaux, des autorités jusqu'aux techniciens de base; un personnel bien formé; un soutien social, et enfin, un financement adéquat. La lutte contre la carence en iode est une intervention pour laquelle les pays pauvres peuvent assez facilement obtenir le soutien d'organisations comme la FAO, l'UNICEF, l'OMS, la Banque mondiale et de l'aide bilatérale. En effet, à raison de 0,05 dollar des Etats-Unis par personne et par an, c'est une intervention très bon marché.
Il faut noter que l'on dispose maintenant d'une solution qui, ajoutée au sel, le colore s'il est iodé et rend le suivi beaucoup plus facile. Il s'agit, bien sûr, d'un test qualitatif et non quantitatif.
Dans les pays où l'iodation a été tentée sans succès et ceux où la mise en uvre a été émaillée de difficultés, il est primordial d'évaluer les problèmes et les points de résistance. Le sel est un produit commercial rentable, et on peut assurer le succès de l'intervention en créant un partenariat entre le gouvernement, l'industrie du sel, les revendeurs et les consommateurs.
Une distribution médicale d'iode permet de traiter les troubles de la carence en iode, de les prévenir et de diminuer la taille des goitres. La distribution large de doses orales ou injectables a été utilisée dans les zones à risque élevé et peut constituer une stratégie correcte pour diminuer rapidement la carence en iode pendant l'introduction du sel iodé. Malheureusement, il se passe souvent beaucoup plus de temps que prévu avant que le sel iodé ne soit disponible et largement consommé.
Les Six étapes d'un programme national de lutte contre les troubles de la carence en iodeLa figure 22 illustre les six étapes de la mise en place d'un programme d'iodation du sel.
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La préparation la plus largement disponible est le Lipiodol, qui fournit 480 mg d'iode par ml d'huile, utilisable par voie orale ou injectable. Une dose orale suffirait aux besoins en iode d'un ou deux ans et une dose injectable durerait trois ou quatre ans. Mais cela reste à confirmer.
Chez les jeunes enfants, l'injection doit être faite dans les fesses ou les cuisses; chez les grands enfants ou les adultes, le bras est préférable. Les doses orales sont sous forme de gélules ou de liquide délivré à l'aide d'une seringue, de préférence sans toucher les lèvres ou la langue.
L'iode oral présente plusieurs avantages: il peut être administré par du personnel non formé aux injections; il coûte donc moins cher; l'administration est plus rapide; on peut donc traiter plus de monde en une heure. Enfin et surtout, il n'y a pas de risque de transmission du sida ou d'autres infections avec le matériel d'injection.
Une solution de rechange à ces doses massives consiste à donner des doses physiologiques beaucoup plus fréquemment, comme une solution iodée de Lugol. Une goutte de solution pure contient 6 mg d'iode; on peut la diluer autant que nécessaire pour obtenir par exemple 1 mg par semaine. Si l'on met 1 goutte dans 30 ml d'eau, 1 cuillère à café contiendra environ 1 mg d'iode.
L'anémie par carence en fer est la plus prévalente des trois principales carences en micronutriments, la seule qui soit fréquente également dans les pays industrialisés et la plus difficile à traiter. C'est pourquoi l'objectif pour l'an 2000 était de la réduire et non de l'éliminer.
La physiologie du fer est plus complexe que celle des autres micronutriments (voir chapitres 10 et 13). Le fer alimentaire existe sous forme héminique et non héminique, dont l'absorption et l'utilisation sont différentes. Plusieurs aliments influencent négativement ou positivement (c'est le cas de la vitamine C) son absorption intestinale. Contrairement à la vitamine A et à l'iode, le fer subit des pertes liées notamment à une parasitose répandue, l'ankylostomiase, qui affecte environ 800 millions de personnes, surtout dans les pays en développement, et entraîne des pertes intestinales de sang et donc de fer. La schistosomiase induit également des pertes de sang urinaires ou fécales, et donc une anémie par carence en fer. Comme pour la vitamine A, les infections contribuent aux pertes, mais moins que l'ankylostomiase. Le traitement des parasitoses constitue donc une stratégie majeure dans la lutte contre l'anémie par carence en fer en zone tropicale et subtropicale (voir le paragraphe sur les actions de santé publique ci-dessous).
La diversité et l'équilibre alimentaires sont particulièrement importants. Un petit apport d'aliments d'origine animale est très utile, qu'il s'agisse de viande, de volaille ou de poisson (surtout le foie), mais n'est pas absolument indispensable. Dans les pays en développement, le fer provient surtout des céréales et des légumineuses, ce qui fait qu'il est non héminique et mal absorbé. Il faut aussi augmenter l'apport de folates et de vitamine C qui accroissent l'absorption du fer.
Plusieurs aliments recommandés pour lutter contre l'anémie par carence en fer sont également utiles pour lutter contre la carence en vitamine A, comme les légumes à feuilles vert foncé et les fruits. Les efforts de promotion d'une alimentation plus diversifiée servent donc la prévention des deux carences. Les légumes à feuilles vert foncé en sont un excellent exemple: ils apportent à la fois du fer, de la vitamine C qui favorise son absorption et du carotène.
Une autre mesure consiste à réduire la consommation aux repas de substances comme les tanins, présents dans le thé par exemple, qui entravent l'absorption ou l'utilisation du fer.
Le fer du lait maternel est très bien absorbé, surtout si on le compare au lait de vache, naturel ou en poudre, notamment celui destiné aux biberons. La protection, le soutien et la promotion de l'allaitement maternel sont donc des stratégies de prévention de l'anémie pendant l'allaitement maternel exclusif, puis pendant la période qui suit où l'allaitement maternel est complété par des plats familiaux jusqu'à 18-24 mois. De plus, l'allaitement maternel retarde la reprise de la menstruation, source de perte de fer chez la mère. L'allaitement maternel protège donc aussi la mère de la carence en fer, car la perte de fer par la menstruation est supérieure à la perte due à l'allaitement.
De nombreuses mesures de santé publique peuvent contribuer à la réduction des anémies nutritionnelles, notamment de l'anémie par carence en fer. Les pratiques obstétricales traditionnelles favorisent le passage de sang, donc d'hémoglobine de la mère au bébé: le bébé est placé plus bas que sa mère juste après l'expulsion; le cordon n'est coupé que lorsqu'il a cessé de battre. La mise au sein dans les 30 minutes qui suivent favorise la contraction utérine et réduit ainsi la perte de sang de la mère, qui est souvent déjà anémique (voir ci-dessous le problème de la supplémentation en fer pendant la grossesse).
Une autre mesure importante est le contrôle des ankylostomiases ainsi que des schistosomiases (urinaire à S. haematobium ou intestinales à S. mansoni ou S. japonicum) et du paludisme qui induit une anémie hémolytique (destruction des globules rouges).
Le contrôle de l'ankylostomiase en tant que stratégie de réduction de l'anémie par carence en fer à été relativement négligée jusqu'ici, bien qu'une dose unique d'anthelmintique comme l'albendazole la guérisse, alors qu'il faut des centaines de doses de fer pour traiter une anémie par carence en fer. La distribution est beaucoup plus simple et il n'y a pas de problèmes de suivi du traitement. De plus, le déparasitage favorise aussi l'appétit et la croissance des enfants. En zone d'endémie, ce traitement doit être administré une fois par an pendant que d'autres mesures de santé publique, comme l'éducation sanitaire, l'assainissement et l'approvisionnement en eau, sont mises en place pour limiter la transmission.
La prévalence des anémies nutritionnelles est également influencée par la disponibilité des services de planification familiale puisque la grossesse et l'accouchement augmentent les besoins en fer. Ainsi, l'abstinence, les préservatifs et la pilule contribuent à la prévention de l'anémie par carence en fer. Par contre, d'autres moyens contraceptifs comme le stérilet augmentent le flux menstruel chez la plupart des femmes et d'autres pertes utérines et majorent l'anémie.
La supplémentation en fer et en folates constitue donc une mesure de santé publique au même titre que l'éducation nutritionnelle.
L'enrichissement de divers aliments a été utilisé depuis plusieurs décennies. Dans les pays industrialisés, ce sont surtout les produits à base de céréales qui sont enrichis. Malheureusement, l'enrichissement est beaucoup moins courant dans les pays en développement, où l'anémie par carence en fer est la plus prévalente.
Si l'on veut vraiment réduire l'anémie par carence en fer, il faut envisager sérieusement l'enrichissement en association avec d'autres stratégies. Il est peut-être nécessaire de faire des études et des enquêtes pour déterminer les rôles respectifs de l'apport alimentaire en fer, de sa biodisponibilité et d'autres facteurs dans la genèse de l'anémie et de sélectionner les aliments transformés le plus consommés et le plus aptes à l'enrichissement. On peut enrichir plusieurs aliments en parallèle (contrairement à l'iode qu'il est préférable de n'ajouter qu'au sel), mais il faut assurer un suivi attentif et un contrôle de qualité régulier.
Il n'est pas facile d'enrichir un aliment en fer sous une forme facile à utiliser par l'organisme et qui ne modifie pas la qualité de l'aliment, c'est-à-dire son goût, sa couleur, sa texture, etc. Malheureusement, le sulfate ferreux, qui est bon marché et bien absorbé, modifie souvent la couleur. Ce n'est pas le cas du phosphate de fer, mais celui-ci est mal absorbé. Le fer associé à l'EDTA (éthylènediaminetétraacétate) sodique vient d'être utilisé avec succès au Guatemala notamment, ajouté à du sucre. Il semble n'avoir aucun des inconvénients des autres produits tout en étant bien absorbé.
On peut enrichir les aliments suivants: blé, farine de blé et produits de pâtisserie, riz, farine de maïs, sel, sucre, condiments (sauce de poisson en Thaïlande par exemple) et les aliments transformés. Au Mexique, on a utilisé avec succès le lait chocolaté et enrichi en fer pour les enfants.
Il y a 30 ans, deux projets de recherche tanzaniens, l'un destiné à rechercher les causes de l'anémie et l'autre à évaluer les cantines scolaires, ont eu recours à un aliment à base de viande en poudre fabriqué au Kenya. Cette méthode avait été plus ou moins abandonnée jusqu'à ce que l'on suggère à nouveau d'utiliser l'hémoglobine animale comme additif alimentaire. Son avantage principal réside dans le fait que de petites quantités de fer héminique augmenteront largement l'absorption du fer non héminique contenu dans une alimentation à base de céréales.
Les nutritionnistes et les agents de santé publique intéressés par la réduction de la carence en fer devraient plaider en faveur de l'enrichissement des aliments en fer et peut-être aussi en folates, vitamine C et vitamine A. En Amérique latine, on a estimé que l'enrichissement en fer coûtait 0,20 dollar par personne et par an.
La supplémentation en fer constitue la stratégie principale de lutte contre la carence en fer dans de nombreux pays. La plupart du temps, le programme se limite à fournir du fer aux femmes enceintes, parfois aux femmes allaitantes, mais seulement lors de la première visite qui suit l'accouchement. Ce type de programme exclut les femmes enceintes qui ne vont pas aux consultations prénatales, celles qui sont en début de grossesse avant la première consultation, la majorité des femmes allaitantes, les femmes vulnérables avant leur première grossesse et entre deux grossesses et tous les autres, notamment les enfants et les hommes adultes. En effet, la carence en fer ne se cantonne pas aux femmes, comme en témoigne une étude kenyane qui a mis en évidence des taux de 50 pour cent d'anémie chez les écoliers et de 40 pour cent chez des ouvriers du bâtiment.
La majorité des programmes dans le monde recourt au sulfate ferreux qui est bon marché et bien absorbé, sous forme de comprimés qui apportent 60 mg de fer. On recommande aux femmes enceintes d'en prendre trois par jour pendant toute la grossesse. Cette distribution est quelquefois associée à une éducation sanitaire et nutritionnelle destinée à encourager la fréquentation des dispensaires. Ce sulfate ferreux est souvent combiné aux folates et fourni par l'UNICEF.
Le suivi du traitement pose quelques problèmes. Beaucoup de femmes abandonnent le traitement à cause d'effets secondaires, comme une constipation, des douleurs abdominales et des selles noires. De plus, les centres de santé et de PMI sont souvent en rupture de stock ou bien le personnel oublie de les fournir bien qu'ils fassent partie des médicaments essentiels.
Il faut élargir la population cible du traitement par fer aux femmes allaitantes, aux femmes non encore enceintes ou entre deux grossesses, aux bébés prématurés ou de petit poids et, selon les circonstances, aux enfants d'âge préscolaire ou scolaire et aux hommes.
Deux avancées récentes pourraient changer les recommandations dans ce domaine. La première et la moins importante est la disponibilité récente de gélules à libération intestinale prolongée, généralement de sulfate ferreux. La prise est quotidienne et non plus triquotidienne, et les effets secondaires sont réduits.
La seconde avancée résulte d'études limitées réalisées en 1993 qui autorisent à penser qu'une prise hebdomadaire est aussi efficace qu'une prise triquotidienne. Il est possible que ce rythme devienne bientôt la recommandation officielle. Si un comprimé de 60 mg de fer élément chaque semaine devrait suffire, la supplémentation serait plus facile, plus acceptable et beaucoup moins coûteuse.
La lutte contre le paludisme contribue également à la réduction de la carence en fer, mais il ne sera pas discuté ici car ce n'est pas une intervention strictement nutritionnelle. Le paludisme est le problème le plus grave dans de nombreux pays tropicaux et il induit des anémies non nutritionnelles, dues à l'invasion et à la destruction des globules rouges par les parasites. La prévention et le traitement du paludisme constituent une priorité et on trouvera des détails sur ce sujet dans des manuels de médecine tropicale.
Les efforts de traitement simultané de plusieurs carences présentent un grand intérêt. Les efforts de base visant à augmenter la variété des aliments consommés et quelquefois leur quantité contribuent à lutter contre toutes les carences. Toutes les stratégies à base alimentaire ont des bénéfices multiples, ce qui explique pourquoi des interventions comme le maraîchage familial, l'amélioration de la transformation locale des aliments et l'éducation nutritionnelle sont les approches de choix.
Les trois sujets suivants méritent également d'être envisagés plus longuement.
On sait depuis longtemps que la carence en vitamine A est associée à une anémie et qu'elle induit une anémie chez l'animal. On a de plus en plus de preuves actuellement dans les pays en développement que la carence en vitamine A est une cause importante d'anémie chez l'homme. La prévalence des deux carences est généralement similaire dans chaque pays. La recherche montre que pour obtenir une augmentation correcte de l'hémoglobine, il faut donner du fer et de la vitamine A. Les programmes de lutte contre l'anémie dans les pays en développement devraient donc fournir de la vitamine A en même temps que du fer, aux femmes enceintes notamment.
Une étude récente a montré que les parasites intestinaux réduisaient l'absorption de l'huile iodée orale. On suggère donc de déparasiter avant de donner des suppléments d'iode.
Dans les pays industrialisés, les carences en micronutriments ont été maîtrisées en combinant une amélioration de la disponibilité d'aliments et une augmentation du niveau des revenus et de l'instruction. Cependant, certains problèmes comme le rachitisme ont été éliminés par l'emploi des suppléments comme l'huile de foie de morue. La majorité des suppléments contenaient de la vitamine A et D. Les parents les obtenaient des services de santé ou les achetaient dans une pharmacie ou une épicerie et en donnaient régulièrement aux enfants. Il est possible - et les essais sont en cours - de fabriquer un mélange de micronutriments destiné à aromatiser le lait ou l'eau. Une prise quotidienne ou hebdomadaire fournirait approximativement les apports recommandés en fer, en vitamine A, en iode et en autres micronutriments reconnus comme déficients au sein de la communauté concernée. Si ces arômes étaient disponibles auprès des services de santé ou dans le commerce, les parents pourraient prévenir à domicile les carences en micronutriments, comme c'était le cas il y a 60 ans avec l'huile de foie de morue.