Pour les décisions en matière d'investissement industriel
Jean-Paul Lanly
JEAN-PAUL LANLY est chef de la section de l'évaluation des ressources forestières, Département des forêts, FAO.
La connaissance des ressources forestières est une condition indispensable à leur bonne mise en valeur et, ainsi, l'inventaire forestier apparaît comme le premier stade, dans le temps, de l'aménagement forestier. Aux nombreuses combinaisons possibles de niveau et d'horizon de planification, d'étapes de décision, de dimensions des unités de gestion et de formes de mise en valeur, correspondent différents types d'inventaire forestier. Il n'y a donc pas, pour une zone forestière donnée, un inventaire mais, tous problèmes techniques mis à part, une multitude d'inventaires possibles. Il nous paraît opportun de commencer une dissertation sur le thème de l'inventaire forestier par ce truisme qui n'est malheureusement pas une évidence pour tous.
Le sujet de ce mémoire se limite à un certain type de ressources forestières - les forêts tropicales humides - et à une certaine forme de mise en valeur, à savoir la transformation industrielle de la matière première bois. Il convient bien sûr de garder présents à l'esprit les autres produits et services que peuvent fournir également les forêts tropicales humides - conservation des sols et autres fonctions d'environnement, récréation, produits forestiers secondaires pouvant donner lieu éventuellement à une transformation industrielle.
En effet, les décisions en matière d'investissement industriel dans les régions forestières tropicales humides peuvent être prises à tous les niveaux et horizons de planification, en différentes étapes et peuvent concerner des unités élémentaires de gestion de toute taille. Ce serait une erreur, à notre avis, de se limiter au seul problème de l'installation d'un ensemble industriel dans une zone forestière donnée, et de ne considérer ainsi que le cas des inventaires forestiers dits de préinvestissement. Un investissement industriel aussi important soit-il doit être vu dans le contexte plus général d'une politique d'industrialisation forestière dépassant le cadre limité de la zone considérée. Cette politique à son tour ne peut s'élaborer valablement que si, aux différents échelons de gestion forestière - districts, régions ou provinces, Etat, nation - l'information est disponible. Sans aller jusqu'à prétendre que l'existence d'un inventaire forestier national doive nécessairement constituer le cadre préalable des inventaires de préinvestissement - de nombreux pays en développement n'ont pas encore pu mettre en place la structure élaborée d'un inventaire forestier national, et ne peuvent refuser dans l'intervalle les possibilités locales de mise en valeur qui s'offrent à eux - il convient de bien réaliser que la politique d'industrialisation forestière doit constituer un ensemble cohérent et équilibré à tous les niveaux et que, par suite, la nécessité d'une information adéquate pour les décisions dans ce domaine existe aussi aux différents niveaux.
Les objectifs d'un inventaire forestier doivent refléter le niveau et l'horizon de la planification considérée, l'étape de la décision - s'agit-il, par exemple, seulement de décider d'entreprendre une étude détaillée de préinvestissement ou, à la suite de celle-ci, de décider l'investissement lui-même - et la nature et les dimensions de l'unité de gestion. Ils doivent se traduire en termes de paramètres recherchés et de précision sur ces paramètres à un certain niveau de risque d'erreur accepté.
Avant d'analyser en détail quels devraient être les paramètres à . déterminer dans les différents cas de décision d'investissement, il convient de discuter en général le problème des objectifs qui en sont la traduction.
Qu'une définition claire et complète des objectifs doive précéder la recherche de l'information et la mise en route d'une opération d'inventaire est une deuxième évidence qu'il ne devrais pas être nécessaire de rappeler. Pourtant nombreux sont ceux qui, ne faisant pas le lien entre inventaire et décision, font réaliser des inventaires sans définition préalable des objectifs. Pour de trop nombreux responsables, le fin du fin de la définition des objectifs des opérations d'inventaire qu'ils ont lancées consiste à indiquer le taux d'intensité des sondages au sol. Ce qui n'est en fait qu'une caractéristique méthodologique de peu de signification sert à beaucoup, malheureusement, de substitut à la définition des objectifs.
Un problème épineux est celui de l'évolution possible des objectifs, c'est-à-dire, en fait, souvent de l'adjonction de nouveaux paramètres à ceux indiqués au commencement de l'inventaire. Il arrive fréquemment, par suite du changement du contexte socio-économique local ou international ou par suite du changement de politiques forestières, que de nouveaux plans soient établis après que l'évaluation des ressources a commencé, rendant incomplètes les informations déjà collectées. Parce que la croyance est bien enracinée chez beaucoup qu'un type d'inventaire forestier peut procurer toutes les informations recherchées, il est souvent difficile de faire admettre qu'un complément d'inventaire est indispensable dans une zone déjà inventoriée. Il est ainsi arrivé qu'un inventaire réalisé dans une conception purement «minière» de mise en valeur d'une zone forestière, et fournissant des informations sur un nombre limité d'essences et de classes de diamètres, apparaisse très insuffisant lorsqu'il s'agit d'élaborer les mesures devant assurer une certaine pérennité des ressources forestières. Il est toujours possible d'adapter au fur et à mesure l'opération d'inventaire aux nouvelles exigences, en particulier dans le cadre d'une opération de caractère permanent, mais l'utilisateur doit comprendre qu'il en résulte obligatoirement un surcroît de coût. Le changement des objectifs peut également se traduire par un changement de la taille et de la localisation des unités de gestion, c'est-à-dire, en fait, des unités de référence de l'inventaire («populations» au sens statistique). Une façon de pallier cette difficulté est de considérer un dispositif d'inventaire unique et uniforme sur l'ensemble de la zone à l'étude, tel qu'un dispositif systématique à un degré, permettant sans difficulté de fournir des résultats pour des divisions différentes. (Les inventoristes forestiers refusent souvent les dispositifs systématiques simples invoquant la difficulté d'estimation des erreurs dans ce type de dispositif, bien que ceux-ci soient la règle générale dans d'autres types de prospection de ressources naturelles telles que les prospections minières). Une chose est certaine: on ne saurait entreprendre une opération d'évaluation de ressources forestières de grande envergure qui ne comporterait pas une liste type minimale d'informations à recueillir et de résultats à obtenir. L'époque des inventaires de forêts humides tropicales dits «d'exploitation» destinés à la connaissance des volumes de dimensions exploitables d'un nombre restreint d'essences commerciales, réalisés généralement dans des zones à ouvrir à l'exploitation, devrait être révolue. Outre que de tels inventaires ne permettent en aucune façon l'élaboration de règles d'exploitation ou de plans d'aménagement, le danger est trop grand de se priver des informations utiles à une mise en valeur plus complète intégrant plus d'espèces et plus de classes de dimensions.
Une manière d'éviter le risque d'une définition trop étroite des objectifs consiste à réunir et à faire travailler ensemble, avant la mise en route de l'inventaire, utilisateurs des résultats de l'inventaire et spécialistes des différentes disciplines, y compris l'inventoriste lui-même bien sûr, afin qu'ils s'accordent sur les objectifs et le modèle correspondant d'inventaire. Laisser la définition détaillée des objectifs au seul inventoriste c'est finalement lui rendre un mauvais service, car il sera le premier désolé de l'inutilité éventuelle ou du peu d'utilité de son travail. Les exemples sont malheureusement trop nombreux où l'absence de travail d'équipe a finalement abouti à des opérations coûteuses dont les documents ont encombré sans utilité pour personne les rayonnages et tiroirs de nombreux services forestiers, ou qui n'ont pu être que très partiellement utilisées. D'importantes dépenses - et surtout beaucoup d'efforts et de difficultés - auraient pu être évitées si la décision de réaliser des opérations d'inventaire forestier n'avait pas résulté du seul dialogue entre un service forestier aux intentions imprécises et de bons «vendeurs» d'opérations d'inventaire. Dans certains cas, une information plus utile aurait pu être fournie dès le départ pour la même somme d'argent; dans d'autres cas, au contraire, on aurait pu surseoir à une opération intensive pour se limiter à une simple reconnaissance, ou encore on aurait pu aisément conclure à l'inutilité pure et simple d'une opération d'inventaire.
Un autre point important concernant les objectifs d'une opération d'inventaire est celui des priorités entre objectifs, c'est-à-dire des priorités entre les différents paramètres à déterminer (chaque paramètre étant considéré avec la marge d'incertitude acceptée). Là encore, l'expérience passée en matière d'inventaire forestier tropical n'est pas toujours exemplaire.
Nombreux sont les dispositifs d'inventaire dont les caractéristiques ont été basées sur la connaissance précise d'un paramètre sans intérêt pour leur mise en valeur: très loin des sites possibles d'usines de pâte à papier, à une époque où l'utilisation des bois feuillus tropicaux pour la fabrication de la pâte n'était même pas envisagea, des rapports d'inventaire ont fait état avec fierté des faibles marges d'incertitude obtenues sur le volume brut total de toutes les essences au-dessus de 10 centimètres de diamètre, laissant dans l'ombre les intervalles d'erreur inacceptables sur les volumes de dimensions exploitables des espèces ou groupes d'espèces de bois d'uvre. C'est là un exemple de priorités mal établies.
Carte montrant les contours des Philippines.
L'information permettant de quantifier l'accessibilité des ressources forestières a été, jusqu'à ce jour, très rarement recueillie et interprétée. Cet objectif prioritaire n'a souvent pas été pris en considération. A la décharge de l'inventoriste, il convient de rappeler la quasi-impossibilité où il se trouve de concevoir une opération d'inventaire qui respecte complètement la hiérarchie des priorités des différents paramètres à estimer. On peut, en effet, essayer d'optimiser une opération d'inventaire par rapport au paramètre le plus important, mais l'opération ainsi conçue ne saurait être optimale également pour les dizaines d'autres paramètres importants. Ce n'est que par approximations successives, et en ne respectant que grossièrement la hiérarchie des paramètres les plus importants, que l'inventoriste peut espérer parvenir à la solution la moins mauvaise pour ce qui est des priorités entre objectifs.
Des remarques d'ordre général sur le contexte des opérations d'inventaire en forêt tropicale humide par comparaison avec celui des opérations en zone tempérée sont également nécessaires avant d'aborder le fond de la question. Celle qui vient immédiatement à l'esprit a trait aux contraintes physiques de l'environnement forestier tropical. Inhospitalité du milieu (humidité, insectes de toutes sortes, densité du sous-bois et fréquence des «flats» marécageux gênant la progression et le travail), absence dans de nombreux cas de zones de végétation plus agréables interrompant l'inhospitalité de grandes surfaces forestières, accessibilité difficile, sont autant de contraintes et d'obstacles à la réalisation d'opérations efficaces et valables d'évaluation des ressources forestières. Certaines conséquences négatives sont bien connues: refuge dans les études en chambre (menant, par exemple, à un raffinement exagéré - et finalement entaché de subjectivité - des travaux de photo-interprétation et de cartographie), trop faible fréquence des visites de contrôle sur le terrain par le personnel responsable et, pour les équipes de terrain physiquement et psychologiquement abandonnées a elles-mêmes, désir d'expédier au plus vite des travaux fatigants qu'il faudrait, au contraire, réaliser posément et minutieusement. Insuffler de l'enthousiasme aux équipes de terrain et montrer l'exemple par des visites fréquentes sont parmi les meilleures actions que les responsables des inventaires forestiers tropicaux puissent prendre pour assurer la validité des données de base recueillies sur le terrain. Mais plus encore peut-être que l'inhospitalité et l'inaccessibilité, c'est - quelque peu paradoxalement - la faiblesse de l'occupation humaine et le manque conséquent d'une tradition d'économie forestière qui créent les contraintes les plus difficiles. Certes, certains groupes sociaux autochtones ont de tous temps évolué à leur aise dans le milieu forestier et ont établi avec celui-ci un équilibre d'économie de cueillette et de culture itinérante à longue jachère. Mais la majorité des populations vivant actuellement dans les pays de forêt dense tropicale humide et qui doivent mettre en uvre et profiter d'une économie forestière basée sur l'industrialisation sont originaires d'autres zones de vie et ont encore à trouver les termes d'un équilibre et d'une tradition du développement forestier qui font défaut dans la majorité des cas.
Il s'ensuit deux conséquences importantes dans le domaine de l'évaluation des ressources forestières. La première est l'absence d'une connaissance intensive et intime du milieu forestier: la faible densité de la population habitant les zones forestières et son intérêt limité pour les choses forestières font que la forêt n'est plus parcourue. La seconde conséquence est l'absence d'un bagage suffisant de connaissances dendrologiques et dendrométriques, qui pourraient servir aux évaluations des ressources forestières. Les meilleurs compteurs restent encore les habitants des groupes autochtones traditionnels. Cependant, des différences taxonomiques existent entre leurs appellations et les espèces et genres de la botanique systématique et, malheureusement, leur relève en de nombreux pays tropicaux n'est pas encore assurée qui permettrait dans les opérations futures d'inventaire forestier une certaine sécurité des identifications botaniques. Le tableau n'est pas beaucoup plus rose en matière de dendrométrie. Certes, des relations volumétriques quantitatives ont été déterminées en grand nombre ces dernières années, les études de qualité interne et externe des bois sur pied se sont aussi développée s. mais une quantité énorme de recherche reste à faire, par exemple, dans le domaine de la dendrochronologie et des études de croissance des arbres. De plus, certains concepts et méthodes mis au point pour les forêts tempérées ne sont pas transposables aux forêts tropicales; et il convient d'en développer de nouveaux pour éclairer les problèmes spécifiques des forêts tropicales. Comment évaluer, par exemple, le volume de bois utile d'un tronc à l'intérieur des contreforts d'un arbre tropical? Quels seront, pour de nombreux arbres, la hauteur de souche ou le diamètre à hauteur d'homme? Cette difficulté à transposer des concepts des pays tempérés qui bénéficient à l'heure actuelle pour leur recherche forestière de moyens considérablement plus importants que ceux des pays de forêt tropicale humide, et la nécessité d'élaborer des concepts et des techniques nouveaux mieux adaptés aux problèmes de mesure des ressources forestières tropicales sont une troisième difficulté importante de l'évaluation des ressources forestières tropicales.
Une définition classique de l'inventaire forestier en relation avec les décisions d'investissement, généralement acceptée et souvent reproduite, est la suivante (N.E. Nilsson): «Combien de bois d'oeuvre et d'industrie de chaque espèce, de chaque catégorie de dimensions, de chaque classe de qualité peut être disponible durant certaines périodes à des emplacements possibles d'industries de transformation dans différentes fourchettes de coût de revient à l'unité de volume?»
Cette définition a le mérite de prendre en considération le facteur temps («durant certaines périodes») et le problème d'accessibilité, c'est-à-dire les coûts de production des bois délivrés à l'usine ou aux usines de transformation, deux éléments par trop négligés dans la grande majorité des inventaires forestiers tropicaux réalisés à ce jour. Bien que, comme toutes les définitions, elle ne puisse couvrir explicitement toutes les facettes possibles du problème - on ne voit pas, par exemple comment l'élément «évaluation du site forestier» intervient même implicitement - et bien qu'elles aient été mises au point en zone tempérée, elles nous paraissent constituer un très bon point de départ pour tenter d'analyser l'information à fournir par l'inventaire forestier tropical pour les décisions d'investissement.
«Combien de bois d'oeuvre et d'industrie de chaque espèce, de chaque catégorie de dimensions, de chaque classe de qualité peut être disponible... à des emplacements possibles d'industries de transformation...?» On pourrait croire que tous les inventaires forestiers tropicaux ont fourni cette information. Il n'en est rien. Certes, en mettant à part les erreurs d'identification, les biais dans les mesures et dans l'estimation des volumes et les erreurs subjectives dans l'estimation de la qualité, beaucoup d'inventaires forestiers tropicaux fournissent des volumes bruts ou nets par espèce, catégorie de dimensions et classe de qualité. Mais la réalité «industrielle» de ces volumes n'est généralement pas démontrée et cela pour deux raisons: D'une part, l'évaluation de la qualité des bois laisse souvent de côté la détection et la mesure du volume de pourriture interne d'arbres dont on ignore l'âge et, partant, la probabilité de pourriture interne. Or, chacun sait que la proportion de pourriture interne invisible de l'extérieur est grande pour certaines espèces commerciales notamment en Amazonie et en Asie du Sud-Est où le taux d'arbres de dimensions exploitables et pourris sur pied peut être supérieur à 50 pour cent (sur 676 Shorea abattus, distribués sur 1300000 hectares de forêt à Sarawak, 413, soit 61 pour cent montraient une pourriture interne et pour plus des deux tiers de ceux-ci la pourriture s'étendait tout au long du fût). L'évaluation de la qualité des bois sur pied, éventuellement complétée par une perforation à la tarière destinée à détecter une pourriture à la base, est utile pour permettre une classification des bois sur pied - une «stratification» au sens statistique du terme - laquelle permettra une meilleure précision de l'étude ultérieure de rendement des bois à l'exploitation («récolement»). D'autre part, tous les arbres qui pourraient être théoriquement abattus ne le sont pas - cette sélection des arbres sur pied par l'utilisateur ayant parfois des causes difficiles à prévoir ou à quantifier: «prévision» d'une pourriture trop forte, arbre dont l'abattage serait dangereux, arbre endommagé durant l'abattage d'un autre arbre, arbre qui risque de tomber dans une position rendant le débardage impossible, etc. Enfin, une partie non négligeable du bois abattu est laissée en forêt pour des raisons toutes aussi peu «scientifiques» - bois éclatés à l'abattage, billes endommagées à terre par la chute d'un autre arbre, billes qu'il est finalement impossible d'extraire. Pour toutes ces raisons tenant, entre autres choses, à la grande liberté laissée au personnel d'abattage et aux formes d'intéressement déterminées parfois au détriment d'une utilisation plus complète du bois sur pied, il apparaît définitivement illusoire de déterminer à partir de mesures et de qualifications des arbres sur pied durant l'inventaire les volumes effectivement extraits de la forêt et susceptibles d'être utilisés par l'usine. C'est pourquoi, dans l'absence d'aménagement et de contrôle intensif qui prévaut actuellement dans la majorité des forêts tropicales humides, il apparaît essentiel d'effectuer, en liaison avec l'inventaire proprement dit, des études de «récolement» permettant d'estimer à partir des volumes bruts déterminés objectivement, et éventuellement «stratifiés» en classes de qualité sur pied à partir de qualifications, le pourcentage des volumes effectivement extraits par classes de qualité commerciale.
Un autre élément qui différencie les estimations de volume dans les inventaires forestiers en zone tempérée d'une part et en zone tropicale de l'autre concerne la ventilation des résultats par espèces. La situation clans ce domaine est à la fois plus difficile et plus facile en forêt tropicale qu'en forêt tempérée. Plus difficile car le très grand nombre d'espèces, la taxonomie botanique encore en pleine évolution et le manque qui s'aggrave de compteurs compétents rendent l'identification des arbres souvent douteuse et la nécessité du contrôle plus grande. Plus facile, parce qu'il est très souvent possible de regrouper les espèces, par groupes de qualité technologique et d'utilisation semblables. Des familles botaniques entières présentent des caractéristiques très voisines, et les essences correspondantes peuvent être regroupées sans inconvénient (exemple des irvingriacées). Dans d'autres cas, des groupements sont possibles à l'intérieur d'une même famille: ainsi en Cote d'ivoire 8 espèces sur 9 de méliacées (acajous) pouvaient être avantageusement regroupées en deux groupes, à savoir «bois rouges principaux» (5) et «bois rouges secondaires» (3). Les marges d'incertitude sur les résultats correspondant à ces groupes d'espèces sont en général plus faibles que sur les résultats de chaque essence prise individuellement du fait d'une variabilité plus faible (erreur statistique moindre) et d'une possibilité de compensation des erreurs d'identification sur des essences à l'apparence voisine (erreur de mesure et biais plus faible).
EQUIPE SURVEILLANCE FORESTIÈRE REMONTANT L'AMAZONE Apprendre comment accéder à la forêt
Peut-être est-ce le facteur temps finalement qui a été le plus négligé jusqu'à présent dans les inventaires forestiers tropicaux. La très grande majorité de ces opérations ont consisté à évaluer avec plus ou moins de bonheur la situation présente des forêts étudiées mais, du fait de leur durée limitée et de l'impossibilité acceptée comme telle des mesures d'accroissement, elles ont été incapables de quantifier même sommairement l'évolution du peuplement en termes de volume (croissance, mortalité, passage à la futaie et exploitations déjà réalisées). Une certaine confusion règne d'ailleurs dans ce domaine. On cherche ici et là dans la littérature à donner des chiffres de croissance par hectare des forêts tropicales humides qui auraient une certaine universalité. On oublie en général de préciser que chaque forêt ou type de forêt se trouve à un certain stade de reconstitution et d'évolution vers la forêt climax, laquelle a une croissance en volume approximativement égale à zéro, où le volume des arbres morts est compensé par celui de la régénération. On néglige également l'importance de la modification spécifique (c'est-à-dire en termes d'essences dominantes) des peuplements en cours d'évolution, et on a tendance à considérer, en général faussement, que par un type d'exploitation et de traitement sylvicole approprié on pourrait maintenir une production continue des mêmes espèces utiles. Enfin et surtout, on ne connaît pas grand-chose de la croissance en volume par espèce ou groupes d'espèces après le passage de différents types d'exploitation.
Ce n'est que par des mesures de croissance, soit à partir de carottes d'accroissement, soit à partir de comparaisons d'inventaires répétés (inventaire forestier continu), jointes aux résultats des inventaires statiques qu'il sera possible d'établir des règlements d'exploitation et des plans d'aménagement prévoyant la production et l'extraction dans le temps par le calcul de la quotité annuelle des coupes (ou possibilité-volume). Des mesures d'accroissement faites durant le premier inventaire ou pendant la période précédant l'exploitation peuvent se révéler suffisamment précises si l'exploitation est limitée à l'abattage d'un ou deux arbres par hectare. Cependant, une utilisation plus intensive de la forêt tendra à devenir la règle, et ces mesures d'accroissement devront se faire sur un certain nombre d'années après l'exploitation pour évaluer la réaction des arbres à l'éclairement provoqué par celle-ci.
Le contrôle régulier des potentiels dans le temps n'est pas seulement affaire d'estimation de l'accroissement des arbres, du «passage à la futaie», de la mortalité et de l'exploitation. Il est aussi, et avant tout sous les tropiques, la surveillance continue des surfaces forestières convoitées très souvent par les formes permanentes ou itinérantes d'agriculture et de pâturage. On peut estimer que cela ne représente pas un problème crucial lorsqu'il s'agit d'une zone forestière réservée comme source d'approvisionnement pour un complexe industriel donné, et dont la protection puisse être assurée facilement (encore que le réseau de routes d'exploitation favorise toujours l'immigration d'agriculteurs et qu'il est souvent difficile et peu rentable politiquement de s'opposer à leur établissement). Au moins la surveillance continue des surfaces forestières est-elle une nécessité pour une planification forestière valable au niveau de l'ensemble d'un pays ou d'une de ses régions qui tienne compte des tendances et/ou des décisions en matière d'utilisation des terres et de propriété des sols. Lorsque le taux de déboisement annuel atteint comme dans certains pays un pourcentage aussi élevé que 3 pour cent de la couverture forestière totale, il est difficile de planifier l'économie forestière si l'on ne connaît pas au fur et à mesure les changements qui interviennent dans la couverture forestière. D'ailleurs, cette information ne comprend pas seulement des données sur l'importance et la localisation des déboisements, mais consiste aussi à étudier et quantifier les surfaces aux différents stades de la dégradation et de la reconstitution forestières. La recherche systématique de cette information est encore très peu développée, et rares sont les gouvernements qui peuvent indiquer avec suffisamment de précision ne serait-ce que le taux de déboisement de la couverture forestière.
Les données sur l'accessibilité sont indispensables à tous les niveaux de planification, tant pour le propriétaire de la forêt que pour l'exploitant. En effet, si l'évaluation de l'accessibilité permet à l'exploitant/investisseur de calculer le coût du bois rendu à l'usine, il permet également au propriétaire/gouvernement de déterminer un prix de vente du bois sur pied (stumpage fee). Ces données peuvent se classer en trois catégories:
- Valeurs des paramètres physiques caractérisant les arbres, les peuplements, les terrains, les sols, le climat et la localisation par rapport à l'infrastructure existante.- Données sur les types et les rendements de l'exploitation dépendant des méthodes en usage d'abattage, de débardage, de transport et de construction de routes.
- Enfin, valeurs des paramètres socio-économiques relatifs à la main-d'uvre, aux matériels utilisés et aux différents lois, règlements, conventions fixant les normes de travail dans un pays ou une région donnée.
Parce que le personnel chargé de l'évaluation des ressources forestières est souvent le seul à sillonner les zones forestières étudiées et à disposer des moyens logistiques nécessaires, il est conseillé et logique qu'il prenne à sa charge la collection des données sur les paramètres physiques d'accessibilité, et dépasse, ce faisant, la conception étroite de l'inventaire forestier limité aux données dendrologiques et dendrométriques. Des codifications et/ou quantifications des paramètres physiques d'accessibilité ont été établies par l'IUFRO ainsi que par le Comité mixte FAO/CEE/OIT des techniques de travail en forêt et de formation des ouvriers forestiers. Ces essais reflètent surtout les conditions de travail dans les zones tempérées, et des tentatives similaires restent à faire qui «collent» mieux aux conditions tropicales. Par exemple, les paramètres permettant le calcul des coûts d'abattage devraient recevoir moins d'importance compte tenu de leur incidence relativement faible dans le coût total d'exploitation en zone tropicale. Par contre, il faudrait insister sur la localisation de sites de carrière, compte tenu de l'importance relative du coût de construction des routes par unité de volume en foret tropicale. Des études d'accessibilité récentes ont permis d'identifier des paramètres d'accessibilité particulièrement utiles, car en corrélation étroite avec le coût de l'exploitation. Ainsi on a pu mettre à jour l'importance des paramètres caractérisant le «morcellement du terrain» (en plus des paramètres de pente proprement dits), tels que le nombre d'inversions de pente par unité de longueur ou encore la densité du chevelu hydrographique. En conclusion, on peut dire que certains paramètres physiques d'accessibilité significatifs pour les forêts tropicales humides sont connus, mais que d'autres restent à préciser et qu'il y a là un domaine important de recherche.
Les données sur les sols et la topographie ne sont pas seulement utiles pour la détermination des conditions d'accessibilité et des coûts d'exploitation. Elles sont indispensables également pour la détermination de l'indice de qualité du site et pour la représentation cartographique correspondante de celui-ci. Dans un schéma d'approvisionnement en bois comportant, après un premier passage de l'exploitation de la forêt naturelle, une relève partielle ou totale par des reboisements artificiels, il est fondamental que des informations pédologiques régulièrement distribuées sur l'ensemble de la zone permettent d'estimer la possibilité des plantations futures. La densité et le niveau d'investigation des sondages pédologiques résulteront d'un compromis entre les exigences d'une prospection pédologique intensive et les caractéristiques techniques logistiques du dispositif d'inventaire prévu. Le coût additionnel des sondages pédologiques devra être analysé en fonction de la valeur et de l'importance des résultats attendus.
On ne saurait terminer cet aperçu des données d'inventaire nécessaires aux décisions d'investissement. sans dire quelques mots de la forme que les résultats provenant de l'utilisation de ces données doivent revêtir. On a même pu écrire à juste raison qu'un responsable d'inventaire ne devrait jamais concevoir et commencer une opération d'inventaire sans une connaissance précise des tableaux de résultats et des cartes qui devraient traduire les objectifs de l'opération. Il n'y a pas lieu de s'étendre sur les merises comparés de l'information pictoriale et de l'information chiffrée. Les deux types d'information sont utiles en même temps et: ont des avantages complémentaires et, d'ailleurs, L'informatique se charge de plus en plus de les combiner sous la forme de listings où chaque parcelle sur le terrain est indiquée avec la valeur correspondante du ou des paramètres étudiés. Les cartes résultant de L'interprétation des documents de la télédétection doivent avoir une échelle correspondant à la fois à la précision du travail d'interprétation et à la précision nécessaire à l'étude de préinvestissement effectuée. Alors que des échelles opérationnelles pour l'exploitation proprement dite oscillent entre 1/5000 et 1/10000, on peut considérer qu'une échelle au 1/50 000 est, en général, suffisante pour une étude de factibilité de quelque envergure. Dans tous les cas, des cartes forestières produites par la photo-interprétation doivent pouvoir être reliées aux autres types de résultats. Elles devront, en particulier, reproduire les strates et autres divisions forestières utilisées dans la présentation des, résultats chiffrés, et si possible, l'emplacement des différentes classes d'accessibilité. Les exemples sont malheureusement trop nombreux d'inventaires forestiers où, par suite de la division du travail entre deux experts, deux compagnies ou deux sections ou institutions différentes, les cartes produites ne peuvent que très superficiellement être reliées aux données et résultats de l'inventaire au sol. Dans cet ordre d'idées, il importe d'insister sur l'utilité, dans la grande majorité des inventaires autres que des reconnaissances, de replacer sur les cartes forestières ou sur le simple fond planimétrique existant la situation aussi exacte que possible des points de sondage au sol. Si de surcroît le dispositif au sol utilisé est systématique, on est en mesure de cartographier à petite échelle les classes de valeur d'un paramètre mesuré au sol (par exemple nombre de tiges de diamètre exploitable d'un groupe d'essences commerciales donné). En matière de photo-interprétation et d'estimation des surfaces, très souvent, le choix existe entre interpréter les documents de la télédétection en chaque point d'une grille placée sur la zone étudiée, ou réaliser une cartographie par l'interprétation complète des photographies, et le transfert sur les cartes des limites des différentes classes prises en considération. La première solution est souvent plus sûre. Certes, elle ne permet pas une cartographie complète, mais elle permet d'obtenir une estimation par sondage des surfaces des différentes classes qui ne soit pas biaisée, ou qui le soit moins que dans la deuxième solution où se pose le problème de la délimitation des zones de transition.
Les rapports d'évaluation des ressources forestières sont souvent trop difficiles à utiliser car les spécialistes d'inventaire forestier, à l'aise avec les techniques d'estimation et avec les chiffres, ne réalisent pas toujours la nécessité d'une présentation claire et simplifiée des résultats. Une exposition confuse et touffue de résultats surabondants peut facilement contribuer à une approche négative de la part des «décideurs» quand bien même le projet présenté serait particulièrement intéressant. En plus d'un effort vers plus de clarté et de simplicité, on devrait recommander systématiquement aux responsables des opérations d'inventaire de rédiger, en plus du rapport proprement dit, une note de synthèse à l'usage des décideurs exposant brièvement les principaux résultats sous forme. de tableaux clairs et justifiant succinctement les principales conclusions à tirer de l'étude des chiffres obtenus.
Si l'on fait la revue des «outils» scientifiques et technologiques dont peuvent en 1976 disposer les forestiers, on ne peut s'empêcher d'estimer qu'ils sont très loin d'avoir été pleinement utilisés dans le domaine de l'évaluation des ressources forestières tropicales. Les outils mathématiques statistiques, de recherche opérationnelle, de théorie de la décision, etc., sont encore peu employés. Dans le domaine statistique, par exemple, certaines techniques conventionnelles, telles que les techniques de sondage, d'analyse de variance et de régression multivariable sont certes utilisées, parfois mal. Cependant, des outils statistiques plus adaptés et plus puissants sont pratiquement négligés. Les théories des processus stochastiques ou des variables régionalisées («géostatistique») utilisées respectivement dans les enquêtes socio-économiques et dans les prospections minières sont pratiquement ignorées des inventoristes forestiers travaillant sous les tropiques. Pourtant, les avantages offerts par ces techniques en matière de prospection forestière sont très utiles: outre la possibilité d'une estimation adaptée de l'erreur dans des dispositifs de sondage systématiques - que la théorie des sondages ne fait qu'approcher la géostatistique permet une cartographie automatique des paramètres étudiés (par exemple, volume d'une essence particulièrement importante) à partir de l'analyse des résultats du sondage et de la distribution de cette espèce (détermination du «variogramme»). Des études sont en cours sur l'essence Aukoumea klaineana (okoumé) dans les forêts du Gabon, et il faut espérer qu'elles permettront de déboucher sur une utilisation opérationnelle de ces techniques en inventaire forestier. La statistique non paramétrique, notamment certains types d'analyse multivariable comme l'analyse en composantes principales ou l'analyse factorielle des correspondances, de même que les techniques de classification automatique ont un champ d'application très varié d'utilisation dans le domaine de l'inventaire forestier et de la dendrométrie. On peut, par exemple, citer l'utilisation de la classification automatique pour le regroupement du grand nombre d'essences d'une forêt tropicale en vue de la construction d'un nombre restreint de tarifs de cubage, ou encore l'identification et la sélection de deux ou trois paramètres d'accessibilité physique les plus importants par une analyse en composantes principales telle qu'elle a été pratiquée récemment au Gabon. Ces deux derniers exemples réels ne doivent pas faire oublier que l'utilisation de ces outils statistiques puissants est encore malheureusement trop rare dans le domaine qui nous intéresse.
Les formes nouvelles de la télédétection sont mieux connues du forestier et du public en général et bénéficient souvent d'un préjugé favorable que ne justifie pas toujours nécessairement l'état actuel de leur applicabilité dans tel ou tel domaine de l'évaluation des ressources naturelles. La détection radar (SLAR) est peut-être l'outil récent le plus utilisé par les inventoristes en forêt tropicale. Elle a permis très rapidement une première cartographie forestière sommaire de très nombreuses zones de forêt tropicale humide sur lesquelles on ne disposait d'aucun document photographique aérien du fait de la persistance du couvert nuageux. Les photographies dans le visible et le proche infrarouge prises à partir des satellites ERTS (LANDSAT) sont encore très peu utilisées en matière forestière tropicale. Il est vrai qu'une importante recherche est nécessaire avant que l'on puisse considérer leur utilisation intensive en inventaire forestier tropical par les moyens de l'interprétation automatisée.
L'informatique est beaucoup moins utilisée qu'elle ne pourrait l'être. Certes, les ordinateurs ne sont pas toujours disponibles pour le dépouillement des données d'inventaires forestiers tropicaux. La faible capacité de la majorité des ordinateurs qui pourraient être disponibles n'est pas un inconvénient dirimant. La preuve a été faite qu'une capacité d'unité centrale aussi petite que 8K mots pouvait permettre le traitement d'un fichier de données de 50 000 cartes. Et pourtant, la sécurité et la flexibilité du traitement informatique, la possibilité de détecter systématiquement les erreurs du fichier, de raffiner les modèles dendrométriques utilisés, de présenter un plus grand nombre de résultats et de les combiner sont autant de facteurs qui permettraient à beaucoup d'inventaires forestiers tropicaux de gagner en valeur et en utilité aux yeux des décideurs.
Parmi les outils de base en matière d'inventaire forestier tropical, il faut aussi ranger la botanique et la dendrométrie tropicales. Là, ce n'est pas tant le défaut d'application que le caractère incomplet de ces deux disciplines qu'il faut mettre en cause. On a déjà vu que certains concepts manquaient en matière dendrométrique du fait, par exemple, de certaines particularités des arbres tropicaux, telles que l'abondance des arbres surannés pourris, les contreforts et les racines aériennes, et des efforts de conception surtout d'harmonisation sont nécessaires en matière de dendrométrie tropicale. Quant à la botanique forestière tropicale, elle évolue chaque jour, ce qui complique encore un peu plus la tâche des inventoristes tropicaux par rapport à leurs collègues des zones tempérées.
Ce n'est pourtant pas tant au niveau des outils de base et de la recherche fondamentale qu'il faut rechercher les causes de l'inadéquation des résultats des inventaires forestiers tropicaux, laquelle apparaît due bien plutôt au manque de concertation entre inventoristes et utilisateurs et parfois aussi à l'insuffisance des recherches d'application dans le domaine forestier tropical. Des exemples de cet état de choses peuvent être pris dans trois secteurs clés de l'inventaire d'investissement, à savoir, l'estimation des volumes effectivement utilisés, l'évaluation de l'accessibilité et l'estimation des changements des potentiels forestiers dans le temps.
Ainsi, il y a eu une transposition pure et simple des méthodes d'estimation des volumes nets et d'estimation de la qualité des bois sur pied des pays tempérés aux pays tropicaux, sans tenir compte du fait que les conditions étaient totalement différentes. On peut très facilement comprendre pourquoi l'estimation des volumes nets, ou la cotation des arbres sur pied en fonction des produits escomptés et même l'estimation directe sur les arbres sur pied du volume des produits escomptés, ont caractérisé les inventaires forestiers dans les zones tempérées. Ces méthodes étaient des méthodes d'estimation traditionnelles, appliquées dans des peuplements aménagés avec quelques essences seulement par des gens ayant pendant plusieurs générations aménagé, exploité ou transformé les mêmes ressources forestières. Par suite, leur connaissance du rendement des essences et des catégories de diamètre à l'exploitation et à la transformation était plus que suffisante pour leur permettre de jongler avec ces concepts de volumes nets et de qualité du produit final. Rien de tel en zone forestière tropicale: économie forestière récente, absence d'aménagement (d'où présence de nombreux arbres surannés pourris), grandes fluctuations du marché international des bois tropicaux, modification progressive de l'accessibilité, abondance des espèces; tous ces facteurs interdisent d'évaluer sur pied avec une précision acceptable les volumes susceptibles d'être extraits et leur qualité commerciale. |I suffira, par exemple, d'une amélioration du marché des bois tropicaux - et les événements de ces dernières années prouvent que la conjoncture est très changeante - ou encore de l'ouverture d'une route d'accès publique pour que la sélection des arbres et des qualités devienne beaucoup moins sévère et que les estimations de volume données par l'inventoriste perdent toute valeur. Il est donc indispensable que partant d'une base aussi objective que possible - par exemple, les volumes «fût» bruts définis à partir de critères objectifs et éventuellement classés par classe de qualité de bois sur pied (et non classe d'utilisation escomptée) - une étude de rendement des bois à l'exploitation soit faite sur le chantier se trouvant à proximité et reflétant les conditions du moment en matière de réglementation, d'exploitation, d'accessibilité, de marché, etc. Le résultat de cette étude sera la détermination des coefficients à appliquer par essence ou groupement d'essences aux volumes bruts de manière à avoir une estimation réaliste des volumes susceptibles d'être extraits. Si une (ou plusieurs) de ces conditions vient à changer d'une manière significative, une autre étude similaire devra être faite, de manière à déterminer les nouveaux coefficients à appliquer aux mêmes volumes bruts. Cette procédure a de nombreux avantages:
- Pour le propriétaire et l'aménagiste qui peuvent connaître ainsi le niveau d'utilisation probable de la forêt et peuvent tirer des conclusions en matière de cahier des charges et d'aménagement.- Pour l'exploitant et l'industriel qui peuvent connaître finalement le produit qu'ils vont effectivement tirer de la forêt.
- Pour les deux groupes ensemble qui vont pouvoir calculer, en partie grâce à ces volumes, le coût d'exploitation des bois et faire leur compte des bénéfices possibles pour les uns, du niveau de taxe imposable pour les autres.
Ces études de récolement ne font appel à aucune technique particulièrement évoluée et ne nécessitent qu'objectivité, bon sens et précision dans les mesures. Et cependant, bien qu'elles répondent adéquatement à l'une des questions de base posées en matière d'investissement elles ne sont que très rarement entreprises, et les rapports d'inventaire continuent a être encombrés de chiffres de volumes nets, de volumes qualité «sciage» ou «déroulage», établis souvent avec grand soin mais qui ne traduisent pas la réalité de l'exploitation car ils ne procèdent pas d'une comparaison directe avec cette réalité. Dans une étude de, récolement réalisée, il est vrai, en période de marasme du marché des bois tropicaux, n'avait-on pas trouvé que pour les essences les plus recherchées le volume extrait et commercialisé n'était que de 56 pour cent du volume «fût net industriel»? A quoi sert de calculer avec une précision de 11) pour cent au seuil 0,95 un volume net: et le livrer aux économistes si l'on ignore par ailleurs que le volume extrait dans les conditions du moment doit être en fait réduit de 44 pour cent?
Dans le domaine de l'évaluation de l'accessibilité et du coût d'exploitation, il y a souvent un manque de concertation entre l'inventoriste et les utilisateurs; mais il faut convenir aussi que la recherche fait défaut qui permettrait de déterminer les meilleurs indicateurs de l'accessibilité physique, leur quantification et celle de leurs relations avec les différents coûts d'exploitation. Certes, des relations très grossières ont été établies pour des forêts tropicales humides entre des coûts d'abattage, de débardage, de transport, de construction de routes et des indicateurs chiffrés ou codés des facteurs de terrain et de milieu. Mais un gros effort de recherche reste à faire pour affiner les concepts et les relations coût/facteurs du milieu avant que l'on puisse dresser pour l'inventoriste les paramètres de milieu qu'il doit tâcher d'enregistrer sur le terrain et sur les photographies aériennes. Cependant, cet état de choses ne doit pas justifier l'inaction des responsables d'inventaire forestier et des spécialistes d'exploitation qui doivent au contraire s'essayer à quantifier ensemble l'accessibilité.
Un troisième domaine clé est celui de l'estimation des changements dans le temps. Il semble que trop d'immobilisme ait caractérisé le forestier dans la question de l'accroissement en volume en forêt tropicale Pendant trop longtemps, on a accepté comme un fait inéluctable que l'«on ne pouvait pas lire les cernes des arbres feuillus tropicaux». Or, des recherches récentes ont montré qu'il n'en était rien, au moins pour quelques essences commerciales très importantes comme, par exemple, l'okoumé et le limbe (Terminalia superba). Ainsi la proportion des mesures de cernes de l'okoumé faites sans difficulté et sans erreur à partir de carottes prises à la tarière de Pressler s'est trouvée égale à 95 pour cent. Certes, des recherches restent à faire sur de nombreuses autres essences mais on ne voit pas a priori pourquoi il devrait en être autrement que pour ces quelques essences. Il ne devrait pas non plus exister de grandes difficultés à la généralisation de l'utilisation des rubans dendromètres fixés en permanence sur les arbres et lus à intervalles réguliers (si ce n'est bien sûr l'inconvénient de la subtilisation de ces colliers métalliques à des fins autres que forestières par des emprunteurs indélicats), de même qu'à la généralisation de l'installation de placettes permanentes. D'ailleurs, des chiffres de plus en plus nombreux parviennent maintenant sur la croissance des essences de forêt tropicale humide, soit en forêt intacte, soit en forêt soumise à différents régimes d'exploitation et/ou de traitement sylvicole (Malaisie péninsulaire et Sarawak par exemple). Ces résultats dispersés traduisent un souci plus grand de l'étude de l'évolution des peuplements de forêt tropicale humide qui devrait aboutir, il faut l'espérer, à la généralisation sous les tropiques du concept de l'inventaire forestier continu à tous les niveaux de planification forestière. Des méthodes de sondage éprouvées existent en zone tempérée - comme celle de l'échantillonnage avec certains ajustements pratiques aux forêts tropicales et devraient permettre aux investisseurs de déterminer la croissance et le potentiel à escompter 5 à 15 ans après une première exploitation.
CONSTRUCTION D UNE ROUTE DANS UNE RÉGION ÉCARTÉE EN BOLIVIE tout inventaire doit commencer par là
Dans le domaine de l'évolution des surfaces boisées, laquelle au niveau national et provincial intéresse surtout les gouvernements, les outils des techniques de sondage et de l'interprétation des documents de la photo-interprétation permettent d'assurer une surveillance périodique tant sur le plan quantitatif de l'évaluation des surfaces dont la couverture végétale se modifie que sur le plan qualitatif de la nature des changements. On n'insistera jamais assez sur l'importance de cette surveillance périodique au niveau national ou provincial et sur le coût négligeable de couvertures photographiques aériennes nouvelles complètes ou partielles au regard des pertes considérables entraînées indirectement par une méconnaissance des phénomènes de déforestation et un laissez-faire en matière de politique d'utilisation des terres.
On a pu voir dans les paragraphes précédents que les outils et méthodes existent pour répondre aux questions clés de l'inventaire forestier d'investissement sous les tropiques, encore que dans certains domaines, comme ceux de la botanique, de l'utilisation des photographies par satellite, de la lecture des cernes d'accroissement et des relations quantitatives en matière d'accessibilité, des recherches restent à faire. Dans l'ensemble donc, il n'y a pas d'impossibilité caractérisée à obtenir dans le cadre des opérations d'inventaire forestier les informations nécessaires aux décisions en matière d'investissement industriel, et les insuffisances constatées dans ce domaine sont à imputer beaucoup plus à un manque de concertation en temps opportun entre les responsables des opérations d'inventaire forestier d'une part, et les spécialistes des autres disciplines, les utilisateurs et les décideurs d'autre part.
La possibilité qu'ont ainsi les inventaires forestiers tropicaux à apporter les réponses aux questions que leur posent les décideurs en matière d'investissement doit les faire considérer comme des activités préparatoires indispensables dans la très grande majorité des programmes d'études d'investissement. On doit regretter que les moyens leur soient souvent chichement mesurés et que, par suite, elles soient exécutées incomplètement et hâtivement. Le coût d'une opération d'inventaire forestier tropical ne représente jamais à l'unité de volume extraite, qu'une fraction dérisoire de son coût de revient une fois rendue à l'usine (souvent de l'ordre de 1 pour mille) et, si l'investissement escompté ne se réalise pas sur le moment, la masse d'informations rassemblées pourra servir partiellement ou totalement dans un avenir plus ou moins rapproché lorsque, entre autres choses, les conditions d'accessibilité se seront améliorées. On peut regretter dans ces conditions que tant les gouvernements que les compagnies industrielles renâclent à consacrer les sommes nécessaires et soient souvent conduits à des décisions risquées pour des économies négligeables au regard des investissements considérés.
Enfin, on ne saurait terminer une dissertation sur le thème de l'inventaire forestier sans rappeler avec force l'importance qu'il y a, pour tous les pays forestiers tropicaux, de mettre en uvre des opérations permanentes d'inventaire au niveau national, qui permettent de faire le point à tout instant sur la situation des ressources forestières et puissent ainsi servir de guide à toutes les décisions en matière de politique forestière.