Comme lont mentionné les chapitres précédents, les causes profondes de la dénutrition chronique sont multiples, de sorte quune amélioration durable de létat nutritionnel peut exiger le déploiement simultané dactions dans différents domaines.
Dans de nombreux cas, ces causes sous-jacentes sont la pauvreté et laccès difficile à la nourriture. Il faut donc commencer par ouvrir aux pauvres un meilleur accès à la nourriture pour amorcer le processus visant à la sécurité alimentaire des ménages. Cela peut se faire en augmentant la production et la disponibilité alimentaires, les revenus et les biens de capital des nécessiteux, ou en leur assurant la protection de la sécurité sociale.
Laxe de la sécurité alimentaire des familles rurales pauvres se situe au niveau de la petite agriculture et de la transformation artisanale des aliments, quil faut donc promouvoir. Ces activités sont génératrices de nourriture, demploi et de revenu.
En général, une augmentation du revenu réel se traduit par un progrès de la consommation alimentaire et de létat nutritionnel. Les gains obtenus en combinant des cultures de rapport et lélevage peuvent aussi filtrer jusque dans la communauté et fournir des opportunités demplois non agricoles. Louverture du crédit aux pauvres, et particulièrement aux femmes et aux autres personnes non solvables, peut déclencher une création de revenus et améliorer la sécurité alimentaire des ménages. Les femmes ont une propension certaine à dépenser une part de tout revenu additionnel pour lalimentation et les autres nécessités de base de leur famille.
ENCADRÉ 61 |
Cet aide-mémoire propose une série de thèmes à discuter avec la communauté. Il doit être adapté ou modifié pour chaque communauté. Il devra être utilisé plutôt pour stimuler le dialogue que comme questionnaire. Les systèmes alimentaires locaux et leur évolution
Production pour la consommation familiale
Habitudes alimentaires, préférences et croyances
Préparation et utilisation des aliments
Etat nutritionnel
Aspects sociaux
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Source: Daprès FAO, 1994b. |
Les projets agricoles et lindustrie alimentaire à forte composante de maindoeuvre sont souvent riches en opportunités de développement socio-économique et social et, par voie de conséquence, damélioration durable de létat nutritionnel et de la sécurité alimentaire des pauvres.
Dans le passé, le fait de navoir pas incorporé des objectifs nutritionnels dans les politiques et les programmes de développement agricole a généralement fait manquer loccasion dinscrire les efforts pour renforcer la sécurité alimentaire des ménages et améliorer le bien-être dans un cadre de développement durable. Les améliorations soutenues de létat nutritionnel peuvent sobtenir de la meilleure façon possible en accélérant la production agricole, en augmentant la production alimentaire, en intégrant des considérations nutritionnelles dans les politiques, les programmes et les grands projets de développement agricole, en exécutant des interventions nutritionnelles ciblées et, enfin, en aidant les communautés locales à sattaquer à leurs propres problèmes alimentaires et nutritionnels.
Dans une communauté où les indicateurs anthropométriques de lévaluation nutritionnelle montrent que lIMC des adultes est satisfaisant mais que la croissance des enfants est médiocre, il est nécessaire de favoriser aussi léducation nutritionnelle, le contrôle des maladies infectieuses et la prise en charge parentale, plutôt que de se limiter à améliorer la productivité agricole et la situation économique. Une analyse critique de la répartition des aliments à lintérieur de la famille peut également se révéler pertinente.
Si la mortalité et la morbidité des enfants de moins de cinq ans sinscrivent parmi les problèmes majeurs, lattention doit sans doute se tourner vers la promotion de lallaitement maternel et dun sevrage bien conduit. Lorsque le faible poids du nouveau-né saffiche comme le signe le plus évident dune malnutrition, il faut se soucier daméliorer létat de santé et de nutrition des femmes, et notamment évaluer limportance de lanémie ferriprive et la traiter. Cependant, il nest pas possible de prévenir la dénutrition chronique en prescrivant des interventions spécifiques; il faut ajuster les interventions à la nature précise des problèmes et les concevoir, les analyser et les choisir en concertation permanente avec les communautés concernées.
Lappellation de carences en micronutriments se rapporte principalement aux trois déficiences minérales et vitaminiques qui constituent un problème de santé publique: la carence en fer, la carence en iode et la carence en vitamine A. Ces carences affectent sérieusement létat nutritionnel, la santé et le développement dune partie importante de la population de nombreux pays industrialisés ou en développement. Elles contribuent au retard de croissance, à la morbidité, à la mortalité, au dommage cérébral et à la réduction des capacités intellectuelles et de travail des adultes et des enfants.
Certains aspects de la biochimie du fer dans le métabolisme de lhomme ont été étudiés au chapitre 7 à propos de la disponibilité et de lassimilation du fer hématique et non hématique des aliments. Les effets importants de linteraction de certains composants alimentaires avec le fer ont été mis en lumière. Il sagit spécialement de la vitamine C, qui augmente la disponibilité du fer non hématique. Les besoins particuliers des femmes et des enfants ont été identifiés, ainsi que les effets des parasitoses et des infections sur létat du fer dans lorganisme.
Lanémie par carence en fer, ou anémie ferriprive, réduit le potentiel de lindividu et exerce des effets négatifs sur lapprentissage, la productivité et les profits. Lanémie conduit à la baisse de lactivité physique et du rendement du travail, à cause de la diminution de loxygène transporté des poumons vers les tissus et de lanhydride carbonique dans lautre sens. Une carence en fer peut également mener au dysfonctionnement musculaire.
Mis au régime pauvre en fer, un individu normalement nourri commence par épuiser ses réserves tissulaires. On est de plus en plus certain que le fer stocké peut jouer un rôle dans la prédisposition aux infections et dans la morbidité quelles entraînent.
Dans un grand nombre de pays en développement, lanémie, avec la malnutrition, fait partie des causes majeures de morbidité et de mortalité infantiles. Lanémie qui frappe le nourrisson ou le jeune enfant ouvre la porte à la perte daptitudes cognitives, à la diminution de lactivité physique et à la réduction de la résistance aux infections. Ladministration de suppléments de fer aux écoliers touchés par une carence se traduit par des progrès dans les tests sur lapprentissage et le rendement scolaire. La supplémentation en fer peut aussi augmenter lappétit des enfant dénutris et, par suite, accélérer leur rétablissement de la malnutrition et leur croissance physique.
La carence en fer chez la femme en âge de procréer augmente les risques associés aux complications de la grossesse, à la prématurité et à linsuffisance pondérale du nouveau-né; elle fait entrer ce dernier dans la vie avec des réserves de fer en dessous de loptimum. Les grossesses fréquentes aggravent souvent ces problèmes et compromettent encore plus létat de santé et de nutrition de la mère et de ses enfants à venir.
Estimation de la prévalence et des causes de lanémie
Lestimation de la prévalence de lanémie dans une communauté sappuie souvent sur lexamen des femmes et des enfants, qui forment les groupes à plus haut risque. La figure 32 présente une illustration de la prévalence de lanémie chez la femme enceinte à léchelle mondiale. On estime que plus de 60 pour cent des femmes enceintes et 45 pour cent des femmes non enceintes sont anémiques dans les pays en développement (figure 33).
FIGURE 32 |
Source: OMS, 1992 (cité dans ONU CAC/SCN, 1992). |
Les symptômes de lanémie sont très variés et peuvent relever dautres causes quune carence en fer. La manière la plus pratique destimer la prévalence de lanémie dans une communauté consiste à déterminer le taux dhémoglobine sanguine de ses membres. Les taux dhémoglobine en deçà desquels il est admis que les différents membres de la famille accusent une anémie sont indiqués au tableau 54. Le taux dhémoglobine dépasse rarement 16 g pour 100 ml. Les prélèvements sanguins sont normalement effectués en clinique et font partie des examens de routine de la femme enceinte. Il arrive que les enfants soient examinés à lécole dans le cadre denquêtes spéciales ou avant que ne soit défini un programme de lutte contre certains désordres nutritionnels.
On peut analyser les causes de lanémie à partir denquêtes alimentaires dont les résultats permettront détablir le niveau et le type du fer ingéré, couplées avec lanalyse de la situation sanitaire pour déterminer les causes des pertes de fer ou de sa mauvaise assimilation lors de la digestion. Lanalyse peut aussi comporter létude de lenvironnement et de la situation sociale, y compris le niveau dinstruction et de revenu de la population, ainsi que des conditions sanitaires locales, particulièrement en ce qui concerne la disponibilité deau potable et lusage des latrines.
FIGURE 33 |
Source: DeMaeyer et al., 1989. |
A partir de cette analyse, on peut proposer un certain nombre dactivités, dans les limites des ressources disponibles. Dans la mesure du possible, il faut associer la communauté concernée à toutes les étapes de lidentification et de lanalyse de ses problèmes nutritionnels. Il appartient aussi à la communauté de faire la sélection définitive des actions à entreprendre, avec les conseils du personnel du programme et des organisations locales.
TABLEAU 54 |
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Taux dhémoglobine dans lanémie |
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Groupe |
Taux dhémoglobinea |
Enfants de 6 mois à 5 ans |
11 |
Enfants de 6 à 14 ans |
12 |
Hommes |
13 |
Femmes (non enceintes) |
12 |
Femmes (enceintes) |
11 |
a Un taux dhémoglobine inférieur à ces niveaux indique quil y a anémie.
Légère: taux inférieur aux valeurs données mais supérieur à 10. Modérée: de 7 à 10. Sévère: au-dessous de 7.
Source: ONU CAC/SCN, 1991.
Sélection des interventions curatives et préventives de lanémie ferriprive
Léducation sanitaire et nutritionnelle est une des principales stratégies dintervention qui peut être mise en oeuvre pour augmenter lapport daliments riches en fer, folate et vitamine C et pour réduire la consommation de substances interférentes. Dans un programme déducation nutritionnelle, les sujets qui devraient être étudiés à propos de la prévention de lanémie ferriprive du jeune enfant comprennent la promotion de lallaitement maternel et la préparation domestique des aliments de sevrage appropriés. Parmi dautres activités de soutien, il convient de mentionner la supplémentation, cest-à-dire la fourniture de fer médicinal à lindividu et lenrichissement, cest-à-dire laddition dun micronutriment, en loccurence le fer, à un aliment déterminé (encadré 62). Dans les régions où les parasitoses et le paludisme font partie des causes majeures de lanémie, la lutte contre ces maladies doit constituer un élément important de la stratégie densemble. Si lankylostomiase sévit, des campagnes périodiques et répétées de déparasitage aideront à réduire les pertes de fer.
Selon létendue du problème, un programme de supplémentation médicale peut se justifier. Cependant, une supplémentation de grande ampleur doit sappuyer sur un véritable programme logistique, qui peut se révéler coûteux. Un programme de supplémentation peut être réalisable sur une courte période sil est financé par un projet, mais il faut lincorporer dans le système de santé publique de la communauté pour quil puisse se prolonger dans le temps. Sinon, il risque de seffondrer dès que les fonds du projet sont épuisés. Il faut aussi veiller à ce que le supplément de fer soit effectivement pris pendant les quatre à six mois du traitement, comme il est souvent prescrit: cest un autre défi de la supplémentation.
Lamélioration des apports alimentaires, qui est une approche à plus long terme et qui peut entraîner un changement durable de la situation, constitue en fait la stratégie de choix. La production et la consommation daliments végétaux riches en fer et en folate, comme les légumes à feuilles vertes, doit être encouragée en même temps que celle des fruits riches en vitamine C, qui favorisent labsorption du fer. Il faut, si possible, encourager aussi la production et la consommation des produits laitiers, et plus généralement des produits dorigine animale. Toutefois, une piètre alimentation est plus souvent le résultat de la pauvreté que de lignorance, et la solution finale repose sur les mesures économiques et sociales qui peuvent garantir une répartition plus équitable des ressources, y compris de la nourriture.
ENCADRÉ 62 |
· Supplémentation. Il sagit en général dun supplément médicinal fourni à des groupes à risques, tels que les femmes enceintes ou les mères allaitantes, les enfants et parfois les travailleurs. · Enrichissement en fer ou acide ascorbique, ou les deux. Il convient didentifier un aliment approprié et de mettre au point une préparation nutritionnelle satisfaisante. · Education nutritionnelle et sanitaire. Elle est plus difficile avec le fer quavec certains autres nutriments. · Lutte contre les parasites. Traitement des individus parasités par des ankylostomes, par Schistosoma haematobium, S. mansoni ou S. japonicum, ou par dautres parasites; amélioration des conditions dhygiène, de lapprovisionnement en eau et des connaissances sur la transmission de linfection. · Mesures économiques et sociales. Interventions visant à améliorer les conditions économiques et le niveau de vie. |
Source: OMS, 1977. |
A moyen terme, lenrichissement des aliments est lintervention la plus efficace (par rapport à son coût) qui puisse être mise en oeuvre pour faire reculer lanémie ferriprive dans les milieux urbains et ruraux. Cette stratégie implique lidentification dun aliment déjà consommé régulièrement par la majorité des membres du groupe cible et qui servira à véhiculer le fer. En Inde, par exemple, on a fortifié le sel en fer. Un avantage considérable de cette approche est quaucun système spécial de distribution nest requis, puisque la distribution du produit fortifié se fait à travers les réseaux commerciaux existants.
Lencadré 63 décrit brièvement le programme national de lutte contre lanémie nutritionnelle de la République-Unie de Tanzanie