Objectif
Points clés
3.1 Introduction
3.2 Protection des produits chimiques pour lagriculture conférée par un brevet: Articles 70.8 et 70.9
3.3 Indications géographiques: Article 22-24
3.4 Reconnaissance des innovations «officielles» et «non officielles»
Bibliographie
R. Silva Repetto et M. Cavalcanti
Bureau juridique
Lobjectif de ce module est dexposer les dispositions et principes de lAccord ADPIC qui concernent lagriculture, afin de permettre aux Etats de mieux sacquitter de leurs obligations au titre de lAccord et de se préparer aux négociations multilatérales en vue de son réexamen.
· Laccord ADPIC autorise des exceptions transitoires à lobligation de protection par brevet des produits pharmaceutiques et chimiques pour lagriculture, si certaines conditions sont remplies.· Plusieurs pays ont différé la mise en application des dispositions de lAccord parce que linnovation venant des populations autochtones et les droits des agriculteurs sont insuffisamment protégés.
· Les indications géographiques pourraient améliorer le revenu des communautés rurales, bien que les exemptions accordées risquent de limiter ces bénéfices si elles sont interprétées de manière trop souple.
· La nécessité de protéger les savoirs autochtones par le biais de létablissement des droits des agriculteurs est à présent largement reconnue, ainsi que lidée que cela requiert des structures légales différentes des mécanismes de DPI courants destinés à protéger les innovations officielles produites dans le cadre dune économie de marché.
· LAccord ADPIC nexclut pas lintroduction dun système de reconnaissance des droits des agriculteurs et des communautés indigènes, dans la mesure où une protection suffisante des variétés végétales existe.
Le présent module est le premier des deux modules qui examinent les dispositions de lAccord ADPIC concernant lagriculture. La section 3.2 de ce premier module fait référence en particulier à la protection par brevets des produits chimiques destinés à lagriculture. Dans la section 3.3, il est question du potentiel de protection des indications géographiques. La section 3.4 explique les différences entre les différents niveaux de reconnaissance et de protection de linnovation «officielle» et de linnovation «non officielle» et décrit les droits relatifs à ces catégories.
Dans le cadre des négociations de lAccord, la question relative à la protection de la propriété intellectuelle des produits pharmaceutiques et des produits chimiques pour lagriculture a fait lobjet de vives controverses. Vu limportance de ces produits pour les secteurs de lagriculture et de lalimentation des pays en développement, la plupart de ces derniers ont redouté une flambée des prix du fait que ces produits sont souvent importés de pays développés.
Des mesures transitoires pour les produits pharmaceutiques et chimiques pour lagriculture
Au titre de lArticle 27 de lAccord, les Membres sont tenus doctroyer des brevets à toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques. Reconnaissant les controverses dont ces questions font lobjet, lArticle 70.8 prévoit des exceptions transitoires à ce principe obligatoire pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour lagriculture. En vertu de cette disposition, les Membres qui naccordent pas à ce jour une protection juridique pour les produits en question seront tenus détablir un système désigné sous le nom de «boîte postale» où pourront être déposées les demandes de brevet les concernant. Cette procédure permet dune part aux inventeurs de demander un brevet, fixant ainsi des dates de priorité qui servent à prouver la nouveauté de leurs inventions, et dautre part, au pays de différer loctroi effectif du brevet à la date où la procédure a été mise au point. Après une période de temps établie, le pays devra retirer les demandes de sa «boîte postale», évaluer la brevetabilité des produits et octroyer la protection à ceux qui sont conformes aux critères requis.
Droits exclusifs de commercialisation
En outre, en vertu de lArticle 70.9 de lAccord, les Membres sont tenus daccorder des droits exclusifs de commercialisation aux déposants de demandes. Ce droit est sujet à deux conditions préalables:
· la délivrance dun brevet dans un autre Etat Membre de lOMC pour le produit faisant lobjet de la demande déposée dans la boîte postale; et· lobtention dune approbation de commercialisation du produit dans lEtat Membre qui a reçu la demande.
En principe, les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour lagriculture obtiennent par ce moyen une protection au titre de la loi sur les brevets dans des pays où cette loi nexiste pas encore.
En raison de divergences dinterprétation, ces dispositions nont pas toujours été appliquées. LInde, par exemple, a soutenu quil nétait pas nécessaire quun système existe déjà pour conférer des droits exclusifs de commercialisation à des produits couverts par le dépôt de la demande de brevet dans la boîte postale, et quil suffisait daccorder ces droits après quun produit avait été breveté dans un autre Membre de lOMC et autorisé à être commercialisé en Inde1. Ce point de vue se justifie lorsque lon considère les coûts institutionnels élevés de la mise en place dun système national de «boîte postale». En outre, lInde ne voyait aucun motif justifiant lexistence préalable dun système semblable denregistrement puisquaucun déposant ne remplissait les conditions énoncées à lArticle 70.9.
1 http://www.ejil.org/journal/vol9/No1/srlf-04.html.
Les délais de mise en place
Le nombre de pays qui ont adhéré aux dispositions témoigne de la complexité du problème. Toutefois, le manque de connaissances sur cette question juridique, ainsi que divers autres éléments, sont responsables du retard dans sa mise en application.
Les populations craignent que les droits liés aux savoirs ancestraux ne soient pas respectés
La plupart des pays en développement hésitent à sacquitter des obligations prévues aux Articles 70.8 et 70.9 afin déviter des situations dinjustice. En effet, ils estiment que la notoriété des propriétés pharmaceutiques de plusieurs espèces végétales, exploitées aujourdhui par les industries pharmaceutiques, découle de leur utilisation pendant des siècles par les populations autochtones qui ont hérité leur savoir des générations précédentes. Les scientifiques ont exploité ces connaissances pour «créer» des produits pharmaceutiques qui sont désormais commercialisés dans le monde entier. Les fournisseurs effectifs de ces connaissances craignent de devoir payer des redevances sur des produits qui ont, de tout temps, fait partie de leur culture. Pour garantir lexploitation équitable des produits en question, il sera nécessaire dinstaurer un mécanisme juridique de partage équitable des avantages, et de concrétiser les droits des agriculteurs. Ces mêmes conditions sappliquent aux produits chimiques pour lagriculture.
Néanmoins, les Membres sont tenus de respecter les dispositions des Articles 70.8 et 70.9. On pourra chercher à régler les controverses soit dans le cadre du réexamen de lAccord, soit en instaurant des systèmes nationaux de droits de propriété intellectuelle où, à laide des moyens prévus par lArticle 27, les inquiétudes mentionnées plus haut sont prises en compte et incorporées dans un cadre juridique.
2 Voir également le module IV.2, point 2.3.3 c).
Le rôle des indications géographiques
Comme on la vu dans le module IV.2, la Section 3 de lAccord ADPIC est consacrée aux indications géographiques. Ce type de protection de la propriété intellectuelle vise à sauvegarder une description ou une présentation spécifique relative aux produits, utilisée pour indiquer leur origine géographique. Par origine géographique on entend un pays, une région, une localité ou une caractéristique déterminée auxquels attribuer le produit du fait quil y est habituellement récolté ou fabriqué.
Ce type de protection profitera probablement davantage aux producteurs de pays ou régions qui ont déjà établi la réputation de leurs produits. Les autres bénéficiaires en seront les consommateurs, avantagés par une recherche moins coûteuse et qui éviteront la confusion pouvant entourer lorigine et la qualité réelles des produits.
Un profit probable pour les communautés rurales...
Du moment que les indications géographiques les plus courantes concernent généralement les produits agricoles, il est probable que létablissement dun système mondial de DPI lié à ce moyen de protection favorisera davantage les pays à économie rurale, où les revenus des agriculteurs et leurs investissements dans la production ou la commercialisation de ces produits saccroîtront et seront garantis. Cette situation profitera à plusieurs pays en développement dont les produits portent déjà des indications géographiques reconnues, du fait que cette production et cette industrie locales représentent souvent le secteur principal de léconomie nationale.
... mais les exemptions accordées pourraient limiter les avantages...
Des problèmes pourraient se poser lorsque les exceptions prévues à la protection de la propriété intellectuelle sappliquent à des cas spécifiques. Etant donné que les consommateurs des différents pays pourraient préférer certaines indications à dautres, la protection des indications géographiques risque de susciter des controverses, voire des différends, entre les pays. En effet, si dans un pays les informations sur un produit servent usuellement à indiquer certaines caractéristiques, notamment pour désigner une qualité supérieure, dans un autre pays cette même définition pourrait nêtre quun terme générique se limitant à décrire le produit. Ce dernier cas nétant pas compatible avec les exigences de lAccord relatives à la protection de la propriété intellectuelle, une telle situation est destinée à provoquer des tensions. Les pays intéressés par ce scénario devraient rechercher une solution équitable, en soulignant notamment cette préoccupation lors des négociations en vue du réexamen de lAccord.
... et demanderaient à être revues
Un autre élément de débat est la deuxième exception à la protection de la propriété intellectuelle prévue par lAccord pour les indications géographiques. LArticle 24.5 établit que la protection ne sera pas accordée si elle entre en contradiction avec des droits préalablement assignés. La plupart des pays développés se prévalent de la loi sur les marques de fabrique ou de commerce au titre de leur législation interne sur les droits de propriété intellectuelle, et ont attribué des droits à des produits industriels locaux qui ont été commercialisés grâce à des indications géographiques utilisées longtemps par les agriculteurs ou collectivités autochtones des pays en développement. Ces pays, se sentant lésés, sopposeront au nom de leurs agriculteurs ou de leurs collectivités à létablissement dun système de droits de propriété international qui donne un statut définitif à des droits de propriété intellectuelle que les pays développés se sont assignés sur la base de définitions acquises par des actes de «piraterie». La mise en uvre de lAccord dans les pays développés se heurtera à des obstacles de taille dans lharmonisation de ces aspects conflictuels. Eu égard à létroitesse des possibilités dinterprétation du texte, il faudra rechercher des solutions dans le cadre des négociations en vue du réexamen de lAccord.
Le commerce mondial et les autres types dinteraction économique internationale ont considérablement augmenté au cours de ces dernières décennies. Les pays qui bénéficient de technologies de pointe et de structures économiques solides ont, manifestement, cherché à renforcer leur position sur le marché pour maintenir leurs gains économiques. Dans ce contexte, les connaissances techniques dans tous les domaines sont un facteur clé, car elles représentent la principale source de développement et de croissance économique.
La protection de la propriété intellectuelle, qui a pour fonction dabriter cette «colonne vertébrale» de léconomie, sest donc régulièrement renforcée dans un monde où linteraction et la concurrence économiques sont particulièrement intenses. Il nest pas étonnant non plus que les mécanismes de DPI aient été conçus à lorigine pour les besoins des pays industrialisés.
Les systèmes de DPI sont issus des économies de marchés...
Dans les pays développés, les connaissances techniques sont largement le résultat de méthodes de recherche et de développement à but lucratif promues par des entreprises industrielles privées et des institutions publiques (universitaires pour lessentiel). Le développement se fonde principalement sur les connaissances qui sont exploitables au plan économique. La recherche est entreprise et financée surtout lorsquelle est susceptible de générer des gains monétaires. La valeur essentielle de ces résultats est proportionnelle à leur potentiel commercial. Dans un tel système, orienter le rendement financier de ces produits vers leur promoteur - quil sagisse dun particulier, dune société privée ou dune institution publique - devient le principal objectif à poursuivre par lentremise de linstrument juridique quest la protection de la propriété intellectuelle. Comme on la vu, les brevets, les indications géographiques et les autres DPI sont établis en vue de répondre à cette exigence. Daprès la loi sur la propriété intellectuelle, pour avoir droit à une protection légale, les connaissances innovatrices doivent se conformer à certaines exigences, si bien que les procédés novateurs sont inévitablement institutionnalisés par les besoins dun cadre juridique. Linnovation finit par devenir une procédure «officielle», qui nest reconnue que si elle respecte des paramètres juridiques donnés. Dès lors, la recherche et le développement dans les pays développés entrent dans la catégorie définie désormais comme «innovation officielle», qui convient aux sociétés modernes tournées vers le marché.
Pour ce qui est notamment des domaines de la biotechnologie, dans le cadre des relations commerciales mondiales et de lintroduction dun système international normalisé de DPI, les pays se sont trouvés face à des problèmes complexes auparavant négligés. Limportance croissante de la biodiversité et de linformation génétique dans les industries alimentaires, pharmaceutiques et cosmétiques a déclenché une lutte pour la protection des connaissances innovatrices associées au matériel biologique. Les industries ont été accusées de «biopiraterie» non seulement vis-à-vis des ressources mais aussi des connaissances indigènes.
... et ne sont pas conçus pour protéger les savoirs traditionnels
Les populations autochtones et les agriculteurs ont toujours vécu en relation étroite avec leurs terres et leur environnement. Ces éléments qui sont indispensables pour leur survie leur procurent des aliments et des produits «médicinaux». La mise au point et lamélioration de ces derniers répondent à des besoins quotidiens et sont souvent intimement liées aux structures sociales et religieuses des collectivités. Pendant des générations, une gamme étendue despèces végétales ont été sélectionnées afin daccroître leur résistance à certains ravageurs ou simplement daugmenter les rendements. Les propriétés curatives de nombreuses plantes ont été découvertes et développées au fil des ans pour soigner des maladies propres à la collectivité. Toute amélioration des connaissances ou de la diversité biologique avait pour objectif le bien-être de la société et les agriculteurs et les collectivités autochtones nont jamais estimé quil était nécessaire de protéger leurs connaissances. Ces innovations, qui échappent aux structures juridiques, sont désignées sous le nom d«innovations non officielles».
Toutefois, un très grand nombre de ces découvertes locales ont une importance primordiale pour les disponibilités alimentaires mondiales et la préparation de nombreux produits pharmaceutiques et cosmétiques, attirant lattention des secteurs industriels correspondants. Ceux-ci ont, en toute logique, profité du manque de protection pour exploiter le savoir et la diversité biologique autochtones sans rémunérer, dans la plupart des cas, les populations concernées. En outre, de nombreux pays développés ont déjà conféré des droits de propriété intellectuelle en vertu de leur propre législation à des industries nationales ou étrangères pour des connaissances et des produits tirés pour lessentiel de l«innovation non officielle». Si lon ne reconnaît que les DPI sur des produits connus et bien établis au niveau international, les populations autochtones courent le risque de les acheter à des prix élevés ou de payer des redevances pour leur utilisation bien quils les aient eux-mêmes mis au point, améliorés, utilisés et protégés pendant des siècles.
Le savoir traditionnel fait ainsi désormais lobjet dune dévaluation et les droits locaux sont assignés à dautres. La contribution culturelle et intellectuelle des populations autochtones peut se perdre à jamais. Les répercussions sur la biodiversité, la sécurité alimentaire et lenvironnement en général sont imprévisibles dans le détail mais pourraient savérer préjudiciables.
La nécessité de nouveaux mécanismes de protection des droits des agriculteurs
Eu égard à ces risques, la communauté internationale a reconnu le besoin et limportance de protéger le savoir autochtone par des droits. Cependant, les normes relatives aux «innovations officielles», et qui pour cette raison prédominent dans les lois sur la propriété intellectuelle, se fondent essentiellement sur le principe que linnovation est le produit de particuliers. En partageant les fruits de leur génie avec la société, ces personnes mériteraient les droits conférés par lEtat au nom de cette société. Ce principe ne peut sappliquer aux communautés autochtones. La reconnaissance de leurs droits impose la création de régimes spéciaux. En effet, la complication juridique vient du fait que les contributions sont souvent le fait de collectivités entières et quelles ne peuvent donc être attribuées à des groupes distincts ou à des particuliers. Lorsquune connaissance donnée, indispensable pour le succès dun nouveau produit, provient de différentes régions ou communautés, on ne peut établir de priorité en termes de reconnaissance et de rémunération, ni identifier le titulaire du droit et lui accorder lexclusivité de lutilisation de connaissances qui ont déjà été partagées et font partie désormais du domaine public.
Un autre problème vient du fait que pour acquérir et défendre des droits de propriété intellectuelle dans le cadre des systèmes actuels, il faut pouvoir accéder aux informations, et bénéficier de conseils juridiques et de crédits. Les instruments juridiques de protection, tels quils existent à lheure actuelle, sont bien souvent hors de portée de nombreuses populations autochtones.
Les mécanismes de DPI en vigueur étant inadaptés aux populations autochtones des pays en développement, ces populations ainsi que les agriculteurs locaux ont exprimé le désir que leur soient reconnus des droits spécifiques, fondés sur leur statut particulier. La communauté mondiale se doit, dès lors, de créer de nouvelles structures juridiques aux plans national et international, par le truchement desquelles ces spécificités seront prises en compte et traitées de manière équitable.
3.4.1 La reconnaissance de l«innovation non officielle» au moyen des indications géographiques
Un certain nombre de pays ont proposé, entre autres, dutiliser le mécanisme des indications géographiques pour reconnaître et protéger l«innovation non officielle».
Les indications géographiques sont un moyen de protéger linnovation non officielle
En effet, la définition de certains produits est souvent liée à leur origine géographique et ethnique. Notamment, les produits indigènes réalisés à laide de méthodes traditionnelles établies de longue date prennent parfois les noms de la région où ils sont normalement fabriqués ou des communautés qui les utilisent. Ces noms font partie de la langue locale et sont rarement connus dans le reste du pays ou à létranger. La reconnaissance axée sur lindication géographique, telle que définie dans lAccord, pourrait sappliquer aux produits dont la définition comprend des traits spécifiques ou des normes de qualité qui leur appartiennent exclusivement.
Le principal avantage des indications géographiques comme moyen de protéger linnovation non officielle réside dans l«impersonnalité relative» du droit; cest-à-dire que lélément protégé est lié au produit lui-même (attributs et définition) et ne dépend pas dun titulaire de droits particulier. A lopposé, les DPI sappliquent nécessairement à un titulaire unique ou clairement reconnaissable.
Cependant, il faut admettre quil existe des lacunes dans le champ dapplication de la protection. Seuls certains produits sont basés sur des indications dusage traditionnel et tout nouveau produit ne remplira pas les conditions prévues par la loi sur la propriété intellectuelle pour obtenir la protection.
3.4.2 La reconnaissance de l«innovation non officielle» dans le cadre de lAccord ADPIC et dautres conventions
LAccord ADPIC cherche à imposer des normes internationales minima pour la protection de la propriété intellectuelle. Elles se fondent largement sur les notions qui prédominent dans des systèmes de DPI déjà existants et qui ont été mis en place dans des pays où de grandes structures économiques ont imposé la protection de la propriété intellectuelle sur une base juridique.
Comme on la vu plus haut, les mécanismes de DPI ne sont pas à même doffrir une protection efficace aux populations autochtones et aux «droits des agriculteurs»3, et ne satisfont pas aux exigences qui se sont fait jour dans ce domaine dans le cadre international.
3 Voir le module IV.6, section 6.3.6.
LAccord ADPIC permet lélaboration dautres systèmes de protection des variétés végétales
LAccord ADPIC, tout en privilégiant les systèmes établis, prévoit à lArticle 27.3(b) la mise en place dun mécanisme sui generis de protection de variétés végétales comme solution de rechange ou en sus dun système de brevets.
Lidée exprimée dans lavant-dernière phrase de lArticle 27.3(b) est de créer un mécanisme de DPI qui, tout en assurant une protection suffisante, constitue un système de brevets efficace. En fait cette disposition vise avant tout à protéger les techniques et les connaissances en matière de sélection génétique. Néanmoins, elle ne paraît pas écarter une solution plus souple que les brevets aux fins de protéger les variétés végétales concernées, tout en permettant une ample utilisation de la diversité biologique des plantes par les agriculteurs locaux, les obtenteurs non industriels et les communautés autochtones de manière à encourager ces groupes à contribuer davantage à la préservation et à lamélioration des ressources phytogénétiques.
Le rôle de lUnion internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV)
LUnion internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) a soutenu en certaines occasions que cétait elle qui représentait le système sui generis prévu par lAccord. Elle a invoqué pour cela le fait que lAccord a été négocié lorsquelle existait déjà. Mais si les parties contractantes avaient estimé que la Convention de lUPOV était effectivement léquivalent du système sui generis mentionné dans lAccord ADPIC, elles auraient introduit une disposition à cette fin dans le texte juridique rendant obligatoire le choix de lUPOV et lexclusion dautres solutions. Du moment que tel nest pas le cas, il faudra considérer lUPOV comme une possibilité parmi dautres de système sui generis. En outre, la Convention de lUPOV ayant pour objectif de protéger les obtenteurs «officiels»; la reconnaissance et la rémunération de l«innovation non officielle» seront logiquement exclues de ses dispositions. Il convient de rappeler ici quen vertu de la résolution 4/89 de la Conférence de la FAO, «les droits des obtenteurs, tels quils sont reconnus par lUPOV, ne sont pas incompatibles avec lEngagement international sur les ressources phytogénétiques».
Des initiatives récentes pour proposer un système de protection de linnovation «non officielle»
Plusieurs tentatives ont été faites dans le cadre dautres accords et cycles de négociations internationaux pour introduire un système assurant la protection des droits des agriculteurs et des communautés autochtones. La Convention sur la diversité biologique (CBD) reconnaît limportance des savoirs traditionnels et du rôle des agriculteurs dans la préservation et le développement ultérieur de la biodiversité. Elle reconnaît en outre limportance détablir un mécanisme de partage des avantages pour rémunérer les agriculteurs et les populations autochtones pour les contributions quelles ont apportées à la mise en valeur des ressources phytogénétiques. LAgenda 21 encourage également les Etats à réaliser ces mêmes objectifs (voir le module IV.5).
Une initiative encourageante a été récemment prise lors de la huitième session ordinaire de la Commission des ressources génétiques pour lalimentation et lagriculture (CRGAA) en vue de la révision de lEngagement international sur les ressources phytogénétiques. Les Parties contractantes ont mis au point un texte concerté pour les «droits des agriculteurs» quils ont approuvé. Bien quils naient pas identifié le mécanisme de mise en application de ces droits ni le moyen de les concrétiser, la voie a été clairement tracée et des solutions juridiques plus équitables ont été envisagées.
LAccord ADPIC nexclut pas lintroduction dun système de reconnaissance des droits des agriculteurs et des populations autochtones ni dun mécanisme de partage des avantages à condition que soit garantie une protection suffisante aux variétés végétales. Les Etats Membres pourraient souhaiter incorporer ces éléments dans un système sui generis national.
3.4.3 La reconnaissance de l«innovation non officielle» dans la législation nationale
Des initiatives nationales pour développer une protection de linnovation «non officielle»
De nombreux gouvernements élaborent à lheure actuelle leur propre système sui generis pour se conformer aux dispositions de lAccord ADPIC tout en protégeant les droits des agriculteurs et des obtenteurs et ce, dans le but de promouvoir la recherche technique et le développement dune part, et la productivité agricole et la diversité biologique de lautre.
LInde
LInde a formulé un acte relatif aux variétés végétales en vertu duquel les législateurs indiens reconnaissent les droits des obtenteurs; lacte contient des clauses spécifiques où sont énoncés de manière explicite les droits des agriculteurs et des communautés rurales. Notamment, le droit des agriculteurs de vendre et déchanger le produit de leur récolte a été préservé dans cet acte. Ce fait a été estimé nécessaire pour protéger les échanges inter-régionaux à petite échelle de semences entre agriculteurs, une activité cruciale pour la structure économique du pays et dune grande importance pour la préservation et le développement ultérieurs de la diversité biologique nationale.
La version finale de cette proposition dun acte relatif aux variétés végétales, présenté devant le Parlement indien à la fin de lannée 1999, formalise les droits des agriculteurs en ces termes: «Rien de ce que contient cet Acte ne pourra attenter au droit traditionnel dun agriculteur à conserver, utiliser, échanger, partager ou vendre une variété végétale produite dans sa ferme et protégée par cet Acte, sauf sil sagit dune vente sous contrat commercial dont lobjectif est la reproduction». LActe fait une proposition de mise en uvre spécifique et détaillée pour lenregistrement des droits collectifs des communautés.
LAfrique
Un certain nombre de pays africains ont organisé des ateliers en vue de mettre au point une législation sur les droits des agriculteurs et des populations autochtones. En janvier 1999 à Lusaka, en Zambie, les chefs de gouvernement des 62 pays membres de lOrganisation de lUnité Africaine (OUA) sont parvenus à un accord pour restreindre les brevets sur les variétés végétales jusquà ce quun système de DPI applicable à toute lAfrique ait été mis en place. Ce système a pour but de rémunérer à la fois les obtenteurs de végétaux et les communautés locales qui auraient contribué à la conservation et à lamélioration des espèces primitives. Dans le sens de cet accord, lOUA a produit un document détaillé: Modèle de législation africaine pour la reconnaissance et la protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs de variétés végétales, et pour la régulation de laccès aux ressources biologiques.4
4 En février 1999, cependant, lors dune réunion du Bureau des Brevets en République centrafricaine, des représentants officiels des Etats Membres de lOrganisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), 15 pays de lAfrique francophone - desquels cinq sont considérés comme faisant partie des pays les moins avancés - ont recommandé la dernière version de la Convention de lUPOV. Cette décision a été largement critiquée dans la mesure où, selon laccord de Lusaka, la position africaine commune devrait sauvegarder les intérêts vitaux des communautés locales à protéger, conserver et contrôler laccès et lusage de leur diversité biologique, incluant le droit des agriculteurs à échanger et conserver des semences pour les replanter. Après les déclarations faites par les autorités de lOUA, la décision adoptée à Lusaka par les chefs dEtat et de gouvernement de lOrganisation demeure valable. Le problème qui a surgi en République centrafricaine fut que les détails de cette décision nétaient pas encore parvenus aux Bureaux des brevets.
Le Brésil
Le gouvernement brésilien examine une proposition de loi qui vise à protéger et à faire respecter les organisations sociales, coutumes, langues, croyances et traditions des populations autochtones ainsi que leurs droits sur leurs territoires et possessions. Lune des sections traite de la propriété intellectuelle et des populations indigènes. Parmi les dispositions importantes relatives aux droits des collectivités autochtones figurent: le droit de maintenir le caractère secret du savoir traditionnel; le droit de refuser laccès au savoir traditionnel; le droit de demander la protection des DPI qui, dans le cas de savoirs collectifs, sera accordé au nom de la communauté ou de la société; le droit à linformation et au consentement préalables (à conférer par écrit) pour laccès aux connaissances traditionnelles et à leur exploitation et application; le droit de copropriété des données de la recherche, des brevets et des produits obtenus grâce à la recherche; et le droit des populations de demander lannulation de brevets obtenus par lexploitation illégale de leur savoir.
Le Pérou
Le gouvernement péruvien a préparé et soumis à débat public un document de travail contenant des propositions de lois pour créer un «Régime pour la protection du savoir collectif des peuples indigènes» et un «Régime daccès aux ressources génétiques». Ces deux propositions accordent une valeur intellectuelle aux connaissances de milliers de communautés péruviennes, concernant les ressources génétiques, offrant par là la possibilité de leur assurer des avantages économiques tirés de la commercialisation de ces ressources. Lun des objectifs du Projet sur les droits des communautés est la création de droits de propriété intellectuelle dans le cadre de traités internationaux dans lesquels le Pérou est impliqué. Avec ces nouveaux droits, les connaissances de milliers de peuples indigènes seraient enregistrées et donc reconnues, dans le cas où elles seraient utilisées dans un but commercial par des chercheurs ou des laboratoires pharmaceutiques, quils soient nationaux ou étrangers. De surcroît, la création de ce nouveau registre de DPI permettrait, non seulement à des groupes identifiés mais finalement à toutes les communautés, de profiter des avantages économiques quils pourraient tirer dun usage commercial de leurs savoirs traditionnels. Dans ce but, le document propose la création dun Fonds de développement des peuples indigènes (FONDEPI) qui serait administré par les communautés elles-mêmes sous le contrôle du bureau des DPI et qui appuierait le développement des peuples indigènes en finançant des projets. Le Fonds percevrait un pourcentage sur toutes les ventes résultant dun usage commercial des savoirs traditionnels.5
5 INCODEPI (1999).
Ci-après, on trouvera quelques exemples de législations sui generis non conformes à la Convention UPOV qui ont été rassemblés par GRAIN (Genetic Resources Action International).6
6 GRAIN (1999).
Le Nicaragua
Au Nicaragua, un texte de compromis fut adopté par le Parlement en juillet 1999. Entre autres dispositions, il établit que: les découvertes ne peuvent pas être protégées; le matériel transgénique doit faire lobjet dune législation spécifique sur la biosécurité; la portée de la définition dun «sélectionneur» et de la «sélection» est étendue: elle couvre quiconque utilise des techniques damélioration végétale; il reconnaît que les droits prioritaires basés sur la réciprocité, aux termes de lUPOV, sont en conflit avec le régime du traitement national de lAccord sur les ADPIC de lOMC et donc ne les inclut pas; il différencie la protection des variétés végétales de la propriété industrielle et par conséquent entend se conformer à lUPOV de 1978 qui interdit expressément la double protection; les droits sur lobtention végétale ne peuvent pas êtres étendus à une variété lorsque celle-ci est utilisée pour la consommation ou semée directement par les paysans ou lorsquelle est utilisée par des agriculteurs en fermage, des coopératives ou tout autre entité possédant une terre; lenregistrement dune variété nécessite: une preuve de conformité avec les Articles 8(j) et 15 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) (en particulier, le dédommagement aux pays et aux communautés dorigine) et une preuve scientifique de la supériorité de la variété sur les cultivars utilisés dans le pays grâce à des évaluations comparatives sur au moins deux cycles de production; des licences obligatoires plus souples. En conformité avec ses dispositions, cette loi serait subordonnée aux droits et aux engagements énoncés par la Convention sur la diversité biologique.
Le Costa Rica
Le Costa Rica na pas encore de loi sur lobtention végétale, mais des projets sont à létude pour en adopter une dici à la fin de lannée afin de se conformer avec lAccord sur les ADPIC. Une chose est sûre, la loi sur la protection des variétés végétales sera subordonnée aux obligations du pays vis-à-vis des dispositions de la CDB que le Costa Rica a rendu officielle, en mai 1998, par un texte législatif no 7788, intitulé «Loi sur la Biodiversité». Cette loi décrète (Article 82) que les communautés sont les titulaires des droits intellectuels communautaires sui generis. Ceux-ci sont désormais reconnus et protégés par lEtat en raison du simple fait de lexistence de traditions culturelles et des savoirs relatifs aux ressources génétiques et biochimiques. Ces droits qui couvrent «le savoir, les pratiques et les innovations des peuples indigènes et des communautés locales, relatifs à lutilisation des éléments de la biodiversité et du savoir qui y est associé», ne pourront pas êtres remis en questions par des Droits sur lobtention végétale (DOV), des brevets ou tout autre forme de propriété intellectuelle pouvant sappliquer à la biodiversité et au savoir qui y est associé.
Au Costa Rica, nimporte quelle demande dinscription dun droit à lobtention végétale doit recevoir une autorisation provenant du Bureau Technique de la Commission administrant la Loi sur la Biodiversité afin de sassurer que cette demande nest pas en contravention avec les droits intellectuels de la communauté, même si ceux-ci ne sont pas officiellement déposés. Au Costa Rica, la reconnaissance de droits intellectuels communautaires «entraîne obligatoirement une réponse négative du Bureau Technique pour toute consultation en vue de reconnaître des droits industriels ou intellectuels sur un même élément [de la biodiversité] ou sur un même savoir» (Article 84).
La Zambie
Le gouvernement zambien tient fortement à lidée que son régime de loi sui generis sur le DOV doit reconnaître et rémunérer linnovation des peuples indigènes et des communautés locales afin de satisfaire les droits et les obligations aux termes de la CDB. A cet effet, leur loi, qui est en train dêtre rédigée avec la participation de tous les acteurs intéressés, définit linnovation comme étant: «nimporte quel apport inventif en rapport avec les ressources génétiques réalisé de manière collective au cours des générations et pendant une période de temps.»
La Thaïlande
Le projet de loi thaïlandais sur la protection des variétés végétales, également présenté au Parlement en 1999 définit plusieurs catégories de variétés végétales avec des droits et responsabilités spécifiques pour chacune delles: des variétés végétales locales, des nouvelles variétés végétales, des variétés végétales courantes du pays, et des variétés végétales sauvages. Les variétés transgéniques sont soumises à des évaluations de biosécurité spécifiques. La restriction du droit sur lobtention végétale ne sétend pas aux pratiques des paysans (ceux-ci ont plus de latitude pour utiliser du matériel génétique protégé). Un Fonds pour la protection des variétés végétales est créé dont le but est de promouvoir la recherche, la conservation et le développement des variétés végétales. Un partage des bénéfices est requis dans les cas de variétés végétales courantes et sauvages, les revenus de ce mécanisme iront grossir les réserves du Fonds.
Le Bangladesh
La Loi sur lObtention Végétale du Bangladesh, rédigée et approuvée par le Comité national sur les ressources phytogénétiques, fait actuellement lobjet dun débat public. Selon le projet de loi, la création dune variété ne peut justifier à elle seule des avantages commerciaux. La variété à protéger doit fournir «des bénéfices directs et immédiats importants pour la population du Bangladesh». Aucune protection ne sera accordée à une variété végétale pouvant entraîner une érosion génétique ou culturelle; les plantes transgéniques feront lobjet dune législation ultérieure. Le pays dorigine du matériel génétique utilisé pour développer la variété végétale devra être dévoilé lors de la demande de protection; un quart des revenus provenant de la commercialisation dune variété protégée devra être réparti lorsque, pour le développement de celle-ci, on aura utilisé une variété communautaire, indigène ou sauvage. Les Droits des communautés et les droits des agriculteurs sont bien protégés et un Fonds pour le développement des variétés végétales est mis en place pour soutenir les communautés dans leurs efforts pour conserver et développer des variétés végétales.
Les pays qui se prévalent de fortes structures agricoles et dune riche diversité biologique pour appuyer leur économie interne devront protéger leurs agriculteurs et leurs communautés rurales en leur conférant des droits adaptés à leurs spécificités. LAccord laisse suffisamment de marge pour la mise en place dun système de protection des variétés végétales associé à la protection de ces agriculteurs et de ces communautés.
GRAIN. 1999. Au-delà de lUPOV: Exemples de pays en voie de développement préparant des systèmes sui generis de protection des variétés végétales en conformité avec laccord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC) http://www.grain.org/publications/french/upov3.htm
National Institute for the Defence of Competition and Protection of Intellectual Property (INCODEPI). 1999. Proposed Regime for the Protection of Traditional Knowledge. http://www.Incodepi.gob/prensa/RecurGeneticos.html