Objectif
Points clés
4.1 Introduction
4.2 Les principes de base du GATT et de lOMC
4.3 Le traitement de lagriculture dans le cadre du GATT
4.4 Le «désordre» des marchés agricoles mondiaux
4.5 Les négociations agricoles dans le Cycle dUruguay
Bibliographie
R. Sharma
Division des produits et du commerce international
Lobjectif de ce module est de présenter un bref bilan de la manière dont lagriculture a été prise en compte dans le cadre du GATT puis des négociations du Cycle dUruguay, de façon à bien comprendre les dispositions de lAccord sur lagriculture.
· Le GATT repose sur les principes de bases suivants: la non-discrimination, la réciprocité, la transparence et, pour les mesures de protection, lutilisation de tarifs douaniers plutôt que de mesures de contingentement.· Dans le cadre du GATT, lagriculture a fait lobjet dun traitement spécifique présenté sous de nombreux intitulés dont les principaux traitaient de mesures de subvention et de contingentements. La multiplicité de ces exceptions signifiait quil ny avait guère de règles en matière de politique agricole, en particulier dans les pays développés. Les marchés agricoles mondiaux étaient par conséquent livrés au désordre.
· Les difficultés de parvenir à un accord sur lagriculture sont lune des principales raisons pour lesquelles la conclusion des négociations du Cycle dUruguay a été retardé. Parmi les étapes importantes des négociations, on peut citer lexamen à mi-parcours davril 1989, la présentation du Projet Dunkel en 1991 et lAccord bilatéral de Blair House de novembre 1993 entre les Etats-Unis et lUnion européenne.
· LAccord sur lagriculture signifie que, sans être encore pleinement intégré, le secteur agricole est dorénavant soumis aux règles générales du GATT sur le commerce des biens manufacturés.
LAccord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) a été mis en place en 1947 à Genève, afin de créer un cadre réglementaire aux échanges internationaux. Dans le même esprit, la Banque mondiale et le FMI avaient été créés en 1944 afin de soccuper des questions de développement et de finances internationales. Au départ, il était prévu détablir une charte pour instituer une Organisation internationale du commerce mais les Etats Membres ne lont jamais ratifiée. Le GATT a par conséquent continué dêtre régi selon des règles «provisoires» et «temporaires» et est resté sous forme dun accord dépourvu de lorganisation formellement chargée de le mettre en uvre. Ces dispositions provisoires ont duré jusquen 1994, année où lAccord du Cycle dUruguay a été conclu et où lOrganisation mondiale du commerce (OMC) a été instituée.
Le traitement particulier de lagriculture dans le cadre du GATT
Lhistorique du secteur agricole au sein du GATT a toujours été difficile. Le GATT ne dit pas grand chose concernant spécifiquement lagriculture ce qui, en théorie, signifiait que le commerce des produits agricoles devait pour lessentiel être traité comme le commerce des autres marchandises. Quelques articles du GATT prévoyaient toutefois un traitement spécial pour les produits agricoles, ce qui indique que les rédacteurs de lAccord étaient parfaitement conscients du statut politique particulier dont jouissait alors le secteur agricole dans les grandes économies de lépoque. Mais sans être totalement oubliée - tous les cycles de négociations successifs ont attiré lattention sur ce secteur - la question agricole navait guère de succès. Parallèlement, lagriculture était à lorigine de nombreux différends commerciaux. Cest finalement dans le cadre du Cycle de négociations dUruguay que cette question agricole a été abordée au GATT.
Le présent module a pour objet de présenter un bref compte rendu historique du traitement réservé à lagriculture dans le cadre du GATT jusquà la conclusion des négociations du Cycle dUruguay. Il porte sur quatre thèmes:
· Les principes de base du GATT et de lOMC.
· Le traitement de lagriculture dans le cadre du GATT.
· Le «désordre» sur les marchés agricoles mondiaux.
· Les négociations agricoles dans le Cycle dUruguay.
Les objectifs du GATT de 1947 étaient dinstaurer un ensemble de règles cohérentes et transparentes à lintérieur duquel les obstacles au commerce pourraient être progressivement réduits et le commerce international pourrait se développer. Dans ce but, lAccord contenait certaines règles et des principes fondamentaux qui ont été repris dans les cycles de négociations ultérieurs. Les quatre principes clés sont résumés dans lencadré 1.
La pratique des cycles de négociations
Le principal mécanisme mis en uvre au sein du GATT afin de faire avancer la libéralisation des échanges commerciaux a été lorganisation de cycles périodiques de négociations multilatérales. Au total, il y a eu huit cycles de négociations, le premier étant le Cycle de Genève en 1947, qui a institué le GATT, et le dernier le Cycle dUruguay qui sest achevé en décembre 1993 et a institué lOMC1. Les cycles avaient pour thèmes centraux la promotion de réductions multilatérales des droits de douane, et lextension des réductions convenues à tous les membres, conformément à la clause de la NPF.
1 Les huit cycles de négociations sont ceux de Genève (1947), dAnnecy (1949), de Torquay (1950), de Genève (1956), de Dillon (1960-61), de Kennedy (1962-67), de Tokyo (1973-79) et dUruguay (1986-93).
Encadré 1: Les principes fondamentaux du GATT
Le traitement de la nation la plus favorisée
(NPF) La réciprocité La transparence La consolidation et la réduction des droits de
douane |
Les règles conçues pour autoriser les politiques agricoles conduites par les principaux pays producteurs...
Les différences que lon peut noter dans le GATT, entre lapproche adoptée pour les produits agricoles et celle suivie pour les produits industriels, sont fondamentales pour comprendre le rôle particulier quy joue lagriculture. A cette fin, il importe dexaminer attentivement le contexte des politiques agricoles des principaux pays exportateurs de cette période. Aux Etats-Unis, qui étaient le principal pays exportateur de produits agricoles lors de linstitution du GATT, la Loi édictée en 1933 et portant sur laménagement de lagriculture (lAgricultural Adjustment Act), était pleinement opérationnelle en 1947. Cette loi permettait aux autorités de recourir aux mécanismes de droits de douane, de restriction quantitative des importations et de subventions des exportations, si cela savérait nécessaire pour stabiliser les prix intérieurs à la production. A cette même époque, la Communauté européenne nexistait pas encore et sa Politique agricole commune (PAC) na véritablement atteint son plein régime quau début des années 60. La majorité des autres pays qui jouent maintenant un grand rôle dans le commerce international, se relevaient de la guerre ou navaient que récemment acquis leur indépendance. Certains dentre eux, comme lAustralie, ont toutefois pris une part active aux débats et négociations.
Les pressions politiques et sociales intérieures ont, dans une large mesure, aussi incité certaines parties contractantes à solliciter des exemptions pour les produits agricoles. Dans les pays les plus riches, lagriculture était en déclin alors que lindustrie connaissait une expansion rapide. La préservation du revenu agricole et le maintien des populations agricoles relevaient dès lors de questions difficiles soulevant des problèmes politiques délicats. Lagriculture apparaissait ainsi comme un secteur à part de léconomie qui, pour diverses raisons dont notamment la sécurité alimentaire des pays, ne pouvait être traité comme les autres.
... sont à lorigine des principales exemptions du secteur agricole
Selon un analyste, dans ce contexte, non seulement lagriculture a bénéficié dun «traitement spécial» au sein du GATT mais ce traitement semble avoir été taillé sur mesure pour les programmes agricoles alors opérationnels aux Etats-Unis2.
2 Hathaway (1987).
Quelques dispositions exemptaient les produits agricoles des règles du GATT. Elles nétaient pas nombreuses mais cela suffisait pour maintenir le secteur agricole en dehors des règles générales. Les deux domaines où ce contraste est le plus frappant concernent les subventions et les restrictions quantitatives.
4.3.1 Les subventions dans le GATT
Lagriculture nest pas concernée par linterdit général des subventions aux exportations...
Laccord initial du GATT ne contenait quune seule section qui obligeait les parties contractantes à notifier aux autres parties toute subvention, y compris toute forme de soutien des revenus ou des prix, qui a directement ou indirectement pour effet daccroître les exportations dun produit du territoire de ladite partie contractante, ou de réduire les importations de ce produit sur son territoire. A lorigine, les subventions intérieures ou à lexportation nétaient donc pas interdites. Cette disposition constitue lArticle XVI:1 actuel. Ce nest que plus tard que linterdiction des subventions à lexportation des produits autres que les produits primaires3 a été ajoutée, en tant quArticle XVI:4.
3 Lexpression «produits primaires» recouvre tout produit de lagriculture, des forêts ou des pêches et tout minéral, que ce produit soit sous sa forme naturelle ou quil ait subi la transformation quexige communément la commercialisation en quantités importantes sur le marché international (voir définition dans lAddenda à lArticle XVI du GATT).
Il a fallu attendre 1955 pour que lArticle XVI soit complété. Le paragraphe 2 reconnaissait que les subventions à lexportation pouvaient avoir des conséquences préjudiciables. Il est immédiatement suivi par le célèbre paragraphe 3 énoncé comme suit:
...si elles ne sont pas employées pour accroître les parts de marchés...
«les parties contractantes devraient sefforcer déviter daccorder des subventions à lexportation des produits primaires. Toutefois, si une partie contractante accorde directement ou indirectement, sous une forme quelconque, une subvention ayant pour effet daccroître lexportation dun produit primaire en provenance de son territoire, cette subvention ne sera pas octroyée de façon telle que ladite partie contractante détiendrait alors plus quune part équitable du commercial mondial dexportation dudit produit, compte tenu des parts détenues par les parties contractantes dans le commerce de ce produit pendant une période représentative antérieure, ainsi que de tous facteurs spéciaux qui peuvent avoir affecté ou qui peuvent affecter le commerce en question.»
Linsertion dans le GATT de lArticle XVI:4 qui interdit les subventions à lexportation des produits autres que les produits primaires, a finalement complété le traitement spécial de lagriculture.
...mais la règle est sujette à de multiples interprétations
Des tentatives ont eu lieu ultérieurement afin de préciser les dispositions de lArticle XVI. Le Cycle de Tokyo (achevé en 1979) a ainsi essayé de définir les formules telles que «part équitable du commerce mondial dexportation» et «période de base représentative». Ni cette tentative, ni les autres nont toutefois apporté damélioration significative.
4.3.2 Les restrictions quantitatives à limportation
La règle du GATT qui discipline cette question est la deuxième grande source dexemption des règles générales pour les produits agricoles. Quatre Articles du GATT traitent des restrictions quantitatives:
· LArticle XI interdit lutilisation des quotas (à quelques exceptions près).· LArticle XII prévoit une exception à lArticle XI en vue de préserver léquilibre de la balance des paiements.
· LArticle XIII précise la réglementation des quotas (sur les importations et les exportations).
· LArticle XIV prévoit des exceptions à lArticle III dans certaines situations de la balance des paiements.
Deux de ces quatre articles justifiaient les restrictions quantitatives en cas de difficultés de la balance des paiements. Mais ils navaient guère dintérêt pour les pays les plus riches, étant donné que ceux-ci ne pouvaient pas recourir aux exceptions au titre de la balance des paiements. Plusieurs pays en développement ont par contre invoqué cette exception, mais il est peu probable que cela ait provoqué des distorsions significatives sur les marchés internationaux compte tenu de la faible part de ces pays dans le commerce mondial. LArticle XI et lArticle XIII ont donc été les principales sources dexemptions. LArticle XI:2 prévoit certaines exceptions pour les produits agricoles et notamment:
· La possibilité dappliquer des restrictions à lexportation pour prévenir ou atténuer les pénuries de produits alimentaires ou dautres produits essentiels pour les pays exportateurs.· La possibilité de recourir à des restrictions à limportation ou à lexportation pour permettre «lapplication de normes ou de réglementations concernant la classification, le contrôle de la qualité ou la commercialisation de produits destinés au commerce international».
Les quotas dimportations sont permis dans certains cas...
· La possibilité dappliquer des restrictions à limportation de tout produit de lagriculture ou des pêches quelle que soit la forme sous laquelle ce produit est importé, quand elles sont nécessaires à lapplication de mesures gouvernementales qui visent à:- restreindre la production ou la commercialisation du produit national similaire ou dun produit national qui est un substitut proche;- résorber un excédent temporaire dun produit national similaire en mettant cet excédent à la disposition de groupes de consommateurs du pays à titre gratuit ou à des prix réduits;
- restreindre les quantités produites de tout produit dorigine animale dont la production dépend directement, en totalité ou pour la plus grande partie, du produit importé.
...ainsi que dans la dérogation de la Section 22...
Daprès Hathaway, ces dispositions ont été rédigées sur mesure pour le programme agricole des Etats-Unis. Malgré cela, les Etats-Unis se sont vite rendus compte quelles nétaient pas suffisantes. En 1951, le Congrès des Etats-Unis a donc déclaré dans la Section 22 de la Loi portant aménagement de lagriculture (Agricultural Adjustment Act) que «aucun accord commercial ne pourrait être appliqué dune manière qui soit incompatible avec la présente section». Enfin, en 1955, les Etats-Unis ont insisté et fini par obtenir la fameuse dérogation spéciale, après avoir menacé de quitter le GATT si elle ne leur était pas accordée4. Cette dérogation «temporaire» est restée en vigueur pendant près de 40 ans et a été utilisée pour restreindre les importations de sucre, de cacahuètes et de produits laitiers jusquau Cycle dUruguay.
4 Hathaway (1987).
La dérogation était une exception aux exceptions. Alors que lArticle XI autorisait toutes les parties contractantes à prendre des mesures de restriction du commerce à partir du moment où des politiques étaient en place pour limiter la production ou la commercialisation dun produit national, cette dérogation autorisait les Etats-Unis à appliquer des restrictions à limportation indépendamment de ces règles. Cette dérogation, qui constituait donc une discrimination à lencontre des autres pays, a été une des principales sources de mécontentement et a servi dargument pour démontrer que les Etats-Unis ne visaient pas vraiment la libéralisation du commerce.
...des raisons pour lesquelles lagriculture ne faisait pas partie du GATT
A elles deux, ces exceptions ont suffi pour maintenir «avec succès» lagriculture hors du GATT. Fondamentalement, elles ont permis aux économies nationales de: subventionner leurs agriculteurs au niveau quelles souhaitaient; assurer à la frontière la protection désirée; et exporter lexcédent résultant des politiques de subventions des exportations. Il ny a donc rien détonnant à ce que ce soient précisément les trois domaines visés par lAccord sur lagriculture (AsA) du Cycle dUruguay.
Le terme «désordre» a été propagé par le Professeur D. Gale Johnson, de lUniversité de Chicago, dans un ouvrage publié en 1973 qui décrit les distorsions des marchés agricoles mondiaux5. Ces distorsions dériveraient principalement des diverses exemptions dont bénéficient les produits agricoles en vertu du GATT, et en particulier de la possibilité de limiter les échanges et doffrir aux producteurs des subventions qui génèrent dénormes excédents qui doivent ensuite être écoulés sur le marché mondial à laide des subventions à lexportation. Pour des raisons évidentes, ces distorsions étaient dautant plus manifestes dans le cas des aliments typiques des zones tempérées qui sont produits et exportés par les pays les plus riches. Les pays en développement navaient par contre, en majorité, guère de moyens daccorder ces subventions.
5 Johnson (1973).
La distorsion des marchés mondiaux
Un certain nombre de caractéristiques des marchés agricoles mondiaux, repérées durant les années 70 et 80, sont utilisées pour décrire le «désordre» qui régnait sur «les marchés mondiaux»6.
6 De nombreux analystes ont «modélisé» ces distorsions de façon à démontrer les effets de leur éventuelle réduction ou suppression. Les résultats les plus courants étaient les suivants: augmentation des cours mondiaux; stabilisation des prix des produits concernés; et déplacement de la production et des exportations depuis les zones de subventions vers les zones sans subventions, ce qui, en définitive, est cohérent avec la théorie des avantages comparatifs. Voir par exemple, Valdez et Zietz (1980) et Tyers et Anderson (1992).· Le niveau élevé du soutien interne aux producteurs - environ 60 pour cent de la valeur de la production dans les pays de lOCDE en 1986-88 - payé par les contribuables et par les consommateurs, du fait à la fois des mesures de soutien interne et de protection à la frontière, a débouché sur la production en hausse dexcédents qui, dès lors, ne pouvaient plus être écoulés sur les marchés mondiaux quavec des subventions à lexportation.
· Lorsque les prix intérieurs nétaient pas directement liés aux cours internationaux, loffre et la demande ne sadaptaient pas à ces évolutions si bien quelles ne contribuaient pas non plus à atténuer les fluctuations des cours mondiaux. Ces derniers nen sont devenus que plus instables. Les prélèvements variables à limportation de la CE, en vertu desquels les droits de douane varient inversement aux fluctuations des cours mondiaux afin de maintenir un prix intérieur fixe, sont un bon exemple de ces politiques «isolationnistes». Sur quelques grands marchés dimportation, les entreprises commerciales publiques majorent les prix des importations pour obtenir des effets analogues.
· Lutilisation à grande échelle de subventions à lexportation, du fait principalement des Etats-Unis et de la CE et dans le but découler leurs propres excédents, a eu tendance à faire baisser les cours des marchés mondiaux et à accroître leur instabilité car les subventions dépendaient essentiellement de décisions politiques et nétaient donc guère prévisibles. Cette pratique a causé des préjudices aux autres pays producteurs et exportateurs des produits considérés. Durant la deuxième moitié des années 80, les deux principaux exportateurs, qui luttaient pour maintenir leurs parts de marchés, se sont en effet livré à une «guerre des subventions».
· En ce qui concerne les pays ne pratiquant pas les subventions (soit la plupart des pays en développement), le protectionnisme agricole équivalait également à taxer implicitement les agriculteurs. Le maintien à un cours artificiellement bas des prix mondiaux a en outre fait plonger les prix intérieurs. Dès lors, non seulement la production agricole sest retrouvée compromise par les effets dissuasifs de ces prix mais les moyens de subsistance de vastes couches de la population tributaires de lagriculture ont été menacés et de nombreux pays en développement ont vu croître leur dépendance à légard de produits alimentaires importés à bas prix. Qui plus est, ces effets ont été souvent accentués par des politiques agricoles nationales qui taxaient bel et bien les producteurs.
· Les pays qui disposaient dun avantage comparatif dans la production et lexportation de produits agricoles commercialisables se sont en outre trouvés dans limpossibilité de produire et dexporter autant quils lauraient fait dans le cadre dun régime commercial plus libéral. De fait, ils ont donc été privés de substantielles recettes dexportation. Dans le même temps, de nombreux pays dotés de moindres avantages comparatifs ont pu produire dans des conditions très peu rentables à laide de très forts soutiens publics.
· Les tensions et les litiges internationaux à propos du commerce des produits agricoles sont dès lors devenus de plus en plus fréquents. On a bien fait appel aux institutions du GATT pour tenter de résoudre ces différends mais sans grand succès, car les règles étaient rendues inapplicables par les innombrables exemptions. De fait, 60 pour cent des litiges commerciaux soumis à lorgane de règlement des différends du GATT entre 1980 et 1990 concernaient des produits agricoles.
Les faits saillants
Au risque de simplifier à lexcès les multiples questions examinées et négociées pendant huit ans (1986-93), les sections suivantes synthétisent les principaux faits saillants des négociations sur lagriculture sous trois intitulés: la Déclaration de Punta del Este qui a lancé le Cycle dUruguay; les principaux acteurs et intérêts des négociations sur lagriculture; et enfin les événements clés qui ont abouti au Projet Dunkel de 1991 et à lActe final de décembre 1993.
4.5.1 La Déclaration de Punta del Este lance le Cycle dUruguay
Il est dans les attributions du Cycle de porter sur les politiques agricoles intérieures
Le Cycle dUruguay a été lancé en 1986 par la Déclaration ministérielle de Punta del Este, qui énonçait les objectifs du cycle de négociations. Lencadré 2 reproduit les points fondamentaux de cette Déclaration. Il y est explicitement reconnu que les politiques agricoles intérieures ont des effets sur le commerce international. Et il est décidé que le Cycle ne porterait pas seulement sur la question de la protection aux frontières et des subventions à lexportation mais aussi sur un large éventail de questions de politique agricole intérieure.
4.5.2 Les principaux acteurs et intérêts des négociations sur lagriculture
Des vues divergentes sur les résultats escomptés
Au risque, là encore, de simplifier à lexcès, il est possible de résumer les intérêts et positions respectives défendus durant les négociations agricoles, en fonction des pays ou groupes de pays suivants: les Etats-Unis, la CE, le Groupe de Cairns, le Japon et la République de Corée, les pays en développement importateurs daliments et les autres pays en développement7.
7 Ingersent, Rayner et Hine (1994) décrivent en détail la position de tous les acteurs clés des négociations.
Encadré 2: Extraits de la Déclaration de Punta del Este sur le Cycle dUruguay (1ère partie - Négociations sur le commerce des marchandises)
D. Les thèmes de négociations: les
produits tropicaux Les PARTIES CONTRACTANTES reconnaissent limportance du commerce des produits tropicaux pour un grand nombre de parties contractantes moins développées et conviennent que les négociations devront accorder une attention spéciale à ce domaine, notamment en termes de calendrier des négociations et de mise en uvre des résultats ainsi quil est prévu à la section B(ii). D. Les thèmes de négociations:
lagriculture Par le biais des mesures ci-après, les négociations viseront à libéraliser davantage le commerce des produits agricoles et à subordonner toutes les mesures touchant laccès à limportation et la concurrence à lexportation, à des règles et disciplines du GATT renforcées et plus opérationnelles compte tenu des principes généraux régissant les négociations: (i) amélioration de laccès aux marchés, au moyen notamment de la réduction des obstacles aux importations; Pour parvenir aux objectifs susmentionnés, le Groupe de
négociations ayant la responsabilité première de tous les
aspects de lagriculture sappuiera sur les Recommandations que les
PARTIES CONTRACTANTES ont adoptées lors de leur quarantième
session et qui ont été élaborées conformément
au Programme de travail ministériel du GATT de 1982, et il tiendra compte
des approches suggérées dans le cadre des travaux du Comité
du commerce des produits agricoles, sans préjudice des autres options qui
pourraient permettre datteindre les objectifs des
négociations. |
Source: Croome (1999) Annex - Ministerial Declaration on the Uruguay Round.· Les Etats-Unis étaient très enclins à promouvoir une libéralisation accrue du commerce agricole et souhaitaient vivement réduire la protection et lappui dont bénéficiaient les producteurs de la CE, au titre de la PAC.
· La Communauté européenne était nettement moins favorable à une libéralisation mais elle souhaitait ardemment parvenir à un compromis acceptable, qui puisse faire partie intégrante du GATT, de façon à minimiser déventuelles frictions ultérieures avec les Etats-Unis. La CE était fortement opposée à des réformes de portée générale et souhaitait négocier les concessions produit par produit.
· En tant quexportateurs nets de produits agricoles, les pays du Groupe de Cairns8 partageaient un intérêt commun qui était la libéralisation accrue du commerce des produits agricoles; ils étaient nettement favorables à une réduction du protectionnisme et des mesures de soutien dans les pays développés.
8 Le Groupe de Cairns comprenait 14 pays, développés et en développement, à savoir: lArgentine, lAustralie, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, les Iles Fidji, la Hongrie, lIndonésie, la Malaisie, la Nouvelle Zélande, les Philippines, la Thaïlande et lUruguay.· Le Japon et la République de Corée se caractérisaient par une agriculture extrêmement protégée, en particulier sur le commerce du riz, et une forte opposition intérieure à toute réforme du secteur. Ils souhaitaient donc vivement protéger leurs agriculteurs de la concurrence internationale, en particulier dans le secteur rizicole, pour lequel ils sollicitaient et bénéficiaient dun traitement spécial.
· Les pays en développement nappartenant pas au Groupe de Cairns avaient également dimportants intérêts en jeu même sils ont eu moins dinfluence sur les discussions. Un groupe de pays en développement importateurs nets de produits alimentaires se préoccupait des effets négatifs possibles du processus de réforme sur les factures dimportations alimentaires. Grâce à leurs efforts, le Cycle dUruguay a inclus une Décision ministérielle en leur faveur (et en faveur des pays les moins avancés) qui prévoit quelques aménagements pour corriger les effets négatifs possibles.
· Les autres pays en développement, ainsi que le dernier groupe, espéraient voir sélargir leur accès aux marchés dimportation des pays développés et soutenaient par conséquent les réformes sur laccès aux marchés. Ils demandaient aussi un traitement spécial et différencié, en soulignant que lagriculture joue un rôle majeur dans leur développement économique et que les nouvelles règles et disciplines du GATT ne devraient pas freiner la croissance agricole en imposant des restrictions excessives aux politiques publiques de soutien.
4.5.3 Les événements clés ayant abouti au Projet Dunkel et à lActe final9
9 On trouve dexcellents comptes-rendus sur lhistoire des négociations du Cycle dUruguay dans Croome (1999) et Josling, Tangerman et Warley (1996).
Lexamen à mi-parcours
Après le lancement du nouveau Cycle de négociations en 1986, le premier pas important a été lexamen à mi-parcours, qui a eu lieu à Montréal à la fin de 1988. Deux ans après le début des négociations, les membres du groupe de négociations sur lagriculture avaient des positions aussi éloignées quau début et nétaient même pas parvenus à rédiger de texte provisoire de discussion. Dans le même temps, le Groupe de Cairns refusait dapprouver les projets de textes des 14 autres groupes de négociations portant sur les autres secteurs tant quil ny aurait pas de texte sur lagriculture.
Un progrès décisif a été accompli avec la reprise de lexamen à mi-parcours en avril 1989. Celui-ci a abouti à lAccord de Genève, par lequel les négociateurs des Etats-Unis renonçaient à leur revendication de loption «double zéro», et qui conduisait à ladoption dune série de mesures à court terme, notamment celles qui concernaient le gel, aux niveaux actuels, des mesures de soutien interne, des subventions à lexportation et des protections à limportation. Les membres ont alors proposé de poursuivre les négociations en cherchant à obtenir des engagements distincts, sur chacun de ces trois domaines.
La Communauté européenne et quelques autres pays hésitaient toutefois à adopter cette approche. La CE était en particulier opposée à toute réduction significative de ses subventions à lexportation. Les pourparlers se sont poursuivis, dans lespoir de parvenir à un accord avant décembre 1990, date initialement fixée pour la conclusion du Cycle dUruguay. Le texte présenté a toutefois été rejeté par la CE de sorte que la date butoir a été dépassée sans parvenir à un accord. Il a fallu attendre 1991 pour que les négociateurs arrivent enfin à un consensus par lequel les pays acceptaient de faire des concessions dans les trois domaines ci-dessus. Après cet accord de principe, létape suivante consistait à déterminer le niveau des concessions spécifiques, ce qui a encore demandé deux ans de négociations acharnées.
Le Projet Dunkel
En décembre 1991, dans le but de hâter la conclusion du Cycle, le Directeur-général du GATT a présenté un Projet dActe final complet, connu sous le nom de Projet Dunkel. Le Projet englobait lagriculture et tous les autres domaines en négociation. Il contenait le premier texte complet sur lagriculture, avec des propositions chiffrées pour les concessions concernant chacune des trois grandes disciplines. Mais trois jours plus tard, la CE rejetait le Projet car elle estimait que certaines parties devraient être renégociées. Dans lintervalle, ladoption par la CE de la réforme de la PAC, en mai 1992, a constitué un progrès important car elle a facilité les négociations. Cette réforme rapprochait en effet significativement la politique agricole de la CE des objectifs énoncés dans le projet Dunkel. Dans le cadre des négociations en cours, sa caractéristique la plus importante était de remplacer une partie des mesures de soutien interne des prix intérieurs par des paiements directs aux producteurs agricoles.
Deux questions continuaient cependant à faire traîner les négociations. La CE était toujours hostile à une réduction substantielle de ses subventions à lexportation et il restait en outre à déterminer si les paiements directs dans le cadre de la nouvelle PAC seraient assujettis aux engagements de réduction en matière de soutien interne.
LAccord de Blair House
Cest dans ce contexte que les négociateurs des Etats-Unis et de la CE ont entrepris une série de discussions bilatérales qui a débouché sur un accord connu sous le nom dAccord de Blair House. Ces réunions ont porté sur les amendements nécessaires à apporter au Projet Dunkel. Ces amendements, qui sont dorénavant inclus dans lActe Final, sont les suivants:
· Le volume autorisé des exportations subventionnées a été réduit à 21 pour cent alors que le volume initialement proposé était de 24 pour cent.· La période de base utilisée pour établir le niveau à partir duquel les subventions à lexportation seraient réduites, a été assouplie, ce qui a eu pour effet initial délever le niveau des subventions à lexportation autorisées.
· Les versements directs de revenus au titre de programmes de limitation de la production, comme ceux effectués dans le cadre de la réforme de la PAC de la CE, ainsi que les primes de complément versées par les Etats-Unis, ont été exemptés des engagements de réduction en matière de soutien interne.
· Les engagements de réduction du soutien interne par produit ont été remplacés par un engagement de réduction du soutien global au secteur agricole.
LAccord
LAccord de Blair House a dès lors permis au groupe de négociations sur lagriculture de sortir de limpasse si bien que le Cycle dUruguay a pu être conclu en décembre 1993. Avec lincorporation de lAccord sur lagriculture dans lActe final reprenant les résultats des négociations commerciales multilatérales du Cycle dUruguay, le commerce des produits agricoles sest finalement - après plus de 46 ans - fortement rapproché de la discipline générale du GATT. Encore faut-il souligner quil ne sagit que dun «rapprochement» car lAccord autorise toujours lapplication de subventions à la production intérieure et aux exportations.
Croome, J. 1999. Reshaping the World Trading System: A History of the Uruguay Round. Kluwer Law International for WTO.
FAO. 1998. Les conséquences de lAccord sur lAgriculture du Cycle dUruguay pour les pays en développement - Un manuel de formation, par S. Healy, R. Pearce & M. Stockbridge. Rome.
Hathaway, Dale. 1997. Agriculture and the GATT: Rewriting the Rules. Policy Analysis in International Economics. Institute for International Economics, Washington, DC.
Ingersent, K.A, Rayner, A. et Hine, R. 1994. Agriculture in the Uruguay Round. St. Martins Press, New York.
Johnson, D. G. 1973. World Agriculture in Disarray. Fontana/Collins, Londres.
Josling, T, Tangerman, S. et Warley, T.K. 1996. Agriculture in the GATT. Macmillan Press Ltd, Londres.
Tyers, R. et Anderson, K. 1992. Disarray in World Food Markets: A Quantitative Assessment. Cambridge University Press, Cambridge.
Valdes, A. et Zietz, J. 1980. Agricultural protection in OECD countries: its costs to less developed countries, IFPRI Research Report Number 21. IFPRI, Washington, DC.