Sylvia Tognetti, Consultant, Takoma Park, Maryland, Etats-Unis dAmérique, avec la contribution de Thorgeir Lawrence, Consultant, Rome, Italie |
INTRODUCTION
Un atelier électronique intitulé «Relations terres-eau dans les bassins versants ruraux» sest tenu du 18 septembre au 27 octobre 2000. Ses objectifs étaient les suivants:
examiner les relations entre lutilisation des terres et les ressources en eau dans le cadre dun bassin versant et la manière dont elles influencent les groupes intéressés damont et daval;
identifier les domaines et recommandations méritant dêtre approfondis en matière de gestion des terres et des eaux, notamment la répartition des coûts et avantages entre les utilisateurs de la ressource en amont et en aval;
établir une instance pour léchange des connaissances et informations concernant les mécanismes et instruments aptes à relier la gestion des terres et celle des eaux grâce à une répartition plus équitable des coûts et avantages entre utilisateurs damont et daval.
Les questions de fond analysées au cours de latelier ont été présentées dans une note dintroduction. Les textes dappui comprenaient deux documents de travail, cinq documents de base et 31 études de cas. Les participants à latelier étaient au nombre de 471, dont 38 ont offert des contributions, commentaires et suggestions pour les activités futures. Les interventions ont été résumées en quatre occasions à mesure que se déroulait latelier. La documentation intégrale de latelier est comprise dans le CD-ROM joint au présent document.
Ce rapport sinspire du matériel pertinent tiré des différents interventions, études de cas et documents de base. Bien que les questions de fond présentées dans la note dintroduction constituent les grands axes du présent rapport, certaines ont été regroupées pour mieux souligner les domaines qui ont suscité le plus de débats. Elles sont réunies en deux grandes catégories: la Perspective biophysique, qui porte sur les impacts biophysiques et la Perspective socioéconomique qui concerne les avantages et coûts pour les utilisateurs de la ressource en amont et en aval, et les instruments économiques et politiques à mettre en oeuvre pour les répartir plus équitablement et pour créer des incitations visant à réduire les impacts.
PREMIÈRE PARTIE: RELATIONS TERRES-EAU - LA PERSPECTIVE BIOPHYSIQUE
Les relations entre la terre et leau sont très complexes car elles consistent en de nombreux processus simultanés qui varient en fonction des échelles spatiales et temporelles, ne sont pas linéaires et se produisent dans des bassins versants aux caractéristiques hétérogènes[1]. En outre, les impacts de lutilisation des terres dépendent, dans une large mesure, des interactions entre les caractéristiques biophysiques propres au site, ainsi que de facteurs socioéconomiques. Lévaluation de ces impacts et la formulation de stratégies de réponse appropriées exigent donc une bonne compréhension de ce contexte. Outre lidentification des impacts eux-mêmes, il faut une connaissance approfondie de leurs causes pour concevoir des stratégies adaptées qui vont des mesures de gestion aux incitations socioéconomiques les influençant. Les deux points qui suivent analysent les aspects biophysiques des impacts de lutilisation des terres sur les ressources en eau et les stratégies de gestion, et met laccent sur les problèmes irrésolus, suivant la typologie proposée dans le document de travail 1, ainsi que sur des questions relatives à leur évaluation.
Session 1: Comprendre et classer les relations terres-eau
Classification des impacts
Le document de travail 1 propose une typologie des impacts de lutilisation des terres sur les ressources en eau qui peut servir à en évaluer les effets biophysiques. Sur la base de débats et dobservations, une catégorie a été ajoutée pour tenir compte de la reconstitution des réserves dhumidité du sol, ainsi que des impacts sur les écosystèmes et les ressources halieutiques:
1. Impacts de lutilisation des terres sur les processus liés à lhydrologie et à la sédimentation
a. Écoulement de surface moyen
b. Débit de pointe/crue
c. Écoulement de base/débit de saison sèche
d. Réalimentation de la nappe souterraine
e. Reconstitution des réserves dhumidité du sol
f. Érosion et charge sédimentaire
2. Impacts de lutilisation des sols sur la qualité de leau
g. Nutriments et matière organique
h. Agents pathogènes
i. Pesticides et autres polluants organiques persistants
j. Salinité
k. Métaux lourds
l. Évolution du régime thermique
3. Impacts sur les écosystèmes et les ressources halieutiques
En plus de la distinction à faire entre les disponibilités en eau de surface et en eau souterraine, il est important de tenir compte de lhumidité du sol, qui est généralement plus importante que leau superficielle dans les milieux semi-arides, encore que les impacts dont elle fait lobjet aient des conséquences hors site moins marquées. Dans les pays semi-arides, comme ceux dAfrique, les coefficients découlement sont généralement moins élevés quaux États-Unis et en Europe (10 pour cent contre 40-50 pour cent), ce qui montre aussi le risque dénoncer des généralisations basées sur des paramètres estimés importants ailleurs[2].
Le document de travail 1 et les documents de base 2 et 3 offrent une perspective plus approfondie des impacts de lutilisation des terres et des pratiques de gestion sur lhydrologie et la qualité de leau. On trouve des exemples de ces impacts, et des problèmes rencontrés dans leur évaluation, dans toutes les études de cas. Du fait que l«impact» nest tel que par rapport à son importance relative pour différents groupes intéressés, ces problèmes sont analysés de manière plus fouillée dans les sections sur lestimation et lévaluation des relations terres-eau.
Identification des impacts de lutilisation des terres sur les ressources en eau
Le principal paramètre servant à déterminer les impacts pourrait consister dans les gammes de variabilité des précipitations, de lécoulement et des débits, en particulier dans les zones arides[3]. Cela vient du fait que de nombreux impacts hydrologiques sont dominés par des événements extrêmes encore quexceptionnels. Le charriage des sédiments et dautres polluants a lieu de façon très inégale lors de ces événements car il est lié à des augmentations du volume et de la vitesse. Etant donné leur grande variabilité, les taux moyens annuels ne jouent quun rôle négligeable dans la prédiction des taux effectifs de sédimentation[4].
Le changement climatique est un autre paramètre important, car il peut accroître la fréquence des événements extrêmes, y compris les sécheresses locales, lintensité des pluies accompagnées dune érosion du sol et dun écoulement accrus, les inondations, la hausse du niveau de la mer et les inondations côtières[5].
Dans lidentification des impacts hydrologiques, une autre distinction importante à faire est celle entre les écoulements le long des versants et les réseaux hydrographiques qui les reçoivent. Ces écoulements jouent un rôle plus important dans les petits bassins versants, et là où des interventions structurelles, comme les barrages, ont altéré leur échelle temporelle. En raison de leur topographie plus diversifiée, leur interaction avec les précipitations est plus complexe. Létude de cas 2 présente une méthodologie pour faire la distinction entre les écoulements le long des versants et le réseau hydrographique de plaine, et létude de cas 3 donne un exemple du rapport entre les impacts hydrologiques et les modèles géographiques dans un bassin versant amont[6].
Les participants ont fourni des exemples de mesures structurelles appliquées en amont pour améliorer lhydrologie en aval, y compris les suivants:
petits projets dhydraulique en amont pour prolonger la vie des barrages en aval[7];
construction de micro-barrages à faible coût pour réduire les dommages causés par lécoulement de surface, diminuer la pollution et favoriser la réalimentation de la nappe[8];
construction de réservoirs pour renforcer les débits daval[9];
relance des systèmes traditionnels de collecte de leau comme les Paals en Inde[10].
On a également examiné la possibilité doptimiser lemplacement des terrasses plantées en riz en fonction du temps de réponse de leau dans le bassin versant pour réduire linondation[11].
Variation des impacts de lutilisation des terres sous différentes conditions agro-écologiques et pratiques de gestion
Limportance de limpact de lutilisation des terres dépend aussi des pratiques de gestion, ainsi que des conditions agro-écologiques et socioéconomiques qui déterminent la vulnérabilité et la capacité dintervention; ce dernier thème sera examiné ci-dessous dans la section sur lévaluation des relations terres-eau. En ce qui concerne la gestion et les conditions agro-écologiques, le document de base 1 fournit un examen exhaustif du rôle des pratiques de gestion et dautres paramètres à prendre en considération pour déterminer sil est vrai ou non que les forêts maîtrisent lérosion, réduisent les inondations, régularisent les débits, accroissent les écoulements et améliorent la qualité de leau, facteurs qui dépendent tous de processus interdépendants ou concurrentiels propres au site[12]. On en trouvera un exemple dans lencadré 1.
ENCADRÉ 1: LES FORÊTS ET LES DÉBITS DE SAISON SÈCHE DANS UN MILIEU SEMI-ARIDE Ce sont les capacités dinfiltration du sol et les conditions climatiques qui déterminent dans quelle mesure les forêts peuvent ou non accroître les débits de saison sèche. La plantation despèces exotiques de pins et deucalyptus dans un climat semi-aride comme celui de lAfrique du Sud a non seulement réduit ces débits, mais aussi provoqué le tarissement des cours deau, causant des déficits très profonds dhumidité dans le sol. Les débits et la réalimentation de la nappe souterraine en subissaient encore limpact cinq ans après labattage des arbres[13]. |
Pour savoir si les forêts accroissent ou réduisent lécoulement annuel général il faut aussi tenir compte de lâge de la forêt et, partant, de létendue du couvert et des systèmes racinaires, de la lumière et de la régénération, et de leur effet sur la matière organique du sol et sur la litière: dune manière générale, à lexception des forêts de brouillard, les forêts réduisent davantage le volume de lécoulement que les cultures agricoles qui contiennent moins de biomasse. Les forêts anciennes peuvent favoriser lécoulement en raison de leur faible régénération. Parmi les facteurs qui influencent la capacité des forêts de lutter contre lérosion figurent: la présence dun sous-étage, le pâturage (qui peut déterminer le compactage du sol et lélimination du sous-bois), la construction de routes, les techniques dexploitation, les activités de drainage préalables à la plantation, le poids des arbres et la taille de leurs feuilles qui, en modifiant la dimension des gouttes de pluie, conditionnent lampleur de lérosion par éclaboussement. Il est estimé que labourage, le drainage, la construction de routes et le compactage des sols pendant lexploitation ont davantage dinfluence sur la survenance dinondations que la simple présence ou non de forets. Lévaluation sur place est donc nécessaire pour formuler des stratégies appropriées visant à combattre ces impacts.
Part relative des causes dorigine humaine et des processus naturels
Pour comprendre les conséquences de certaines utilisations des terres et mettre au point des mesures appropriées, il faut faire la distinction entre les impacts dorigine humaine et les processus naturels, et tenir compte de leur variabilité. Cela sapplique notamment aux problèmes associés à lérosion et aux taux de sédimentation au sujet desquels plusieurs études de cas, qui illustrent aussi leurs répercussions pour la gestion, ont été examinées. Lexemple suivant pourra expliquer cet aspect: si lampleur de lérosion provoquée dans un barrage par les pratiques agricoles est négligeable par rapport à lérosion naturelle, le changement de pratiques ne modifiera pas le volume de sédiments présents dans le barrage. Le problème pourrait être dû tout simplement au fait que le barrage a été conçu et placé de façon inadaptée dans une zone aride ou semi-aride caractérisée par une forte érosion - comme dans le cas du Zimbabwe (voir encadré 6)[14]. Dautres facteurs qui rendent difficile la distinction entre les causes dorigine humaine et les processus naturels comprennent: les variations climatiques et les modèles de précipitations; le laps de temps prolongé qui sécoule entre la cause et leffet, notamment dans les grands bassins versants; et la réticence à investir dans des terres déjà dégradées. Ces facteurs sont décrits dans les expériences relatives au Maroc (voir encadré 2) et à la Fédération de Russie (voir encadré 3).
ENCADRÉ 2: MAROC - CAUSES NATURELLES ET HUMAINES DE LA SÉDIMENTATION[15] Lors de létape préparatoire dun projet daménagement des bassins versants de grande envergure au Maroc, il a été demandé aux hydrologues dévaluer leffet éventuel du projet sur la réduction de la sédimentation des réservoirs. La sédimentation est un problème grave pour les grands barrages du Maroc, qui représentent la principale source dapprovisionnement en eau des périmètres dirrigation et des villes. En 1994, huit pour cent de leur capacité totale avaient déjà été perdus. La zone occupée par les bassins versants est comprise entre 1 000 et 50 000 km2, avec une variation dans lapport de sédiments allant de 300 à 3 000 t/km2/an, suivant la géologie du bassin versant. Il était escompté que les hydrologues auraient pu établir dans quelle mesure les pratiques de conservation des terres proposées réduiraient la sédimentation des réservoirs, et que ces impacts auraient pu ensuite être évalués et pris en compte dans lanalyse financière globale du projet. Cependant, les observations des hydrologues ont montré que limpact sur la sédimentation des réservoirs serait négligeable, indépendamment de la superficie des terres objet du programme. Les principales raisons étaient les suivantes:
Pour conclure, les hydrologues nont pu quantifier avec précision limpact des activités de gestion des bassins versants sur la sédimentation dans les réservoirs. Dans dautres zones où les bassins versants sont plus limités et les conditions géologiques diverses, les résultats auraient pu être différents, mais, dans ce cas particulier, chaque raison décrite plus haut suffisait, à elle seule, à écarter lexistence dune relation précise entre la gestion des terres et les ressources en eau. |
ENCADRÉ 3: FÉDÉRATION DE RUSSIE - DÉGRADATION DES PETITS COURS DEAU DANS LES ZONES AGRICOLES[16] A lUniversité étatique de Moscou, une équipe a étudié le problème de la dégradation des petits cours deau dans différentes zones de la Russie, où la superficie labourée a augmenté de 50 pour cent ou davantage par rapport à la superficie totale du territoire au cours des 300 dernières années. Lexistence de vieilles cartes dexcellente qualité a permis à léquipe de comparer les changements survenus dans la longueur des cours deau à différents moments de la campagne dagriculture intensive. Il a été observé que la longueur totale du réseau de petits cours deau avait subi une diminution nette de 30 à 50 pour cent pendant cette période, en raison des variations de lécoulement de surface et de laccroissement dans les vallées des apports de sédiments provenant des versants cultivés. Les fluctuations naturelles des précipitations étaient sans doute les responsables principales de la dégradation du réseau car elles étaient liées à celles du niveau de la mer Caspienne. Cependant, le volume accru des sédiments provenant des versants cultivés et qui colmataient les lits des petits cours deau ont contribué de manière significative à la dégradation. Dans cet exemple, on observe quune combinaison de causes dorigine humaine et naturelle a accru la dégradation des ressources en eau. Pour évaluer au plan quantitatif linfluence des facteurs naturels et humains, il faut une analyse spatiale et temporelle détaillée. Cette expérience souligne la nécessité de mener des recherches visant à établir les taux de dégradation spécifiques dans les petits bassins versants, étant donné les différents chemins quempruntent les apports solides depuis les terres agricoles jusquaux cours deau. |
Changement dans la part relative des impacts suivant la taille du bassin versant: les questions déchelle
Comme on le voit dans les exemples du Maroc et du Zimbabwe, léchelle est un paramètre fondamental dans la détection des impacts de lutilisation des terres. Les nombreux mythes créés autour de ces impacts se fondent sur lextrapolation aux petits bassins versants des effets observés dans de grands bassins, mythes dont le plus répandu est lattribution des graves inondations qui ont frappé lInde orientale et le Bangladesh au déboisement dans lHimalaya (voir encadré 4).
ENCADRÉ 4: LÉLIMINATION DES FORÊTS DANS LES MONTAGNES CAUSE-T-ELLE DES INONDATIONS DANS LES PLAINES? LE CAS DU BASSIN GANGE-BRAHMAPOUTRE[17] Lun des grands titres publiés dans les médias pour cette région déclare que: «les graves inondations qui ont frappé lInde orientale et le Bangladesh ne sont pas dues à une catastrophe naturelle, mais à lexploitation anarchique pratiquée pendant des siècles dans les forêts de lHimalaya». Des titres comme celui-ci se fondent sur lhypothèse selon laquelle le couvert forestier de lHimalaya fait lobjet dune réduction accélérée, ce qui nest vrai que pour certaines zones, comme lHimalaya occidental du Pakistan. Ces titres affirment aussi quil existe une relation directe entre lélimination de la forêt dans lHimalaya et linondation des plaines du réseau hydrographique formé par le Gange et le Brahmapoutre, et quen raison de leurs pratiques daménagement forestier les populations montagnardes sont responsables des inondations survenant dans les plaines - un constat très discutable. Lannonce du journal fait sienne lhypothèse erronée, mais encore très répandue, suivant laquelle les relations terres-eau observées dans les petits et moyens bassins versants peuvent être extrapolées aux grands. Il ressort de nombreuses études que, si dans les petits bassins versants limpact humain sur les influences terres-eau est prédominant, dans les bassins versants de taille moyenne il est déjà difficile de faire la distinction entre les impacts dorigine humaine et ceux dorigine naturelle sur ces relations. Dans les grands bassins, les facteurs naturels (pluies torrentielles et importants glissements de terrain, par exemple) sont de toute évidence les liens dominants entre la terre et leau. Certes, on ne peut nier limportante contribution aux inondations du débit de base sécoulant des bassins versants de montagne du Brahmapoutre et du Gange, mais cet apport nest quun élément parmi bien dautres et nest pas susceptible de provoquer des inondations. Les taux naturels daltération et dérosion dans cette zone à fortes déclivité et activité tectonique sont élevés, et le transport des matériaux solides est un processus dominant indépendamment de la couverture végétale. Certes, des pratiques dutilisation des sols impropres pourraient avoir des conséquences néfastes dans un bassin versant de montagne, mais il ne faut pas sattendre à ce que les mesures de conservation empêchent les inondations dans les vallées. |
Les conséquences de ces mythes sont analysées dans la section ci-après qui porte sur lévaluation et le traitement de lincertitude.
Dune manière générale, comme il ressort du tableau 1, les impacts de lutilisation des terres sur les processus hydrologiques et biophysiques ne peuvent être vérifiés que dans les petits bassins versants et, de fait, la plupart des études de cas portent sur ces derniers. Dans les grands bassins, ce sont les processus naturels qui prédominent, doù la difficulté de reconnaître les changements apportés par les mesures de conservation, notamment à brève échéance. Les impacts sur la qualité de leau sont observables à des échelles bien supérieures et, dans certains cas, ont été bien documentés et quantifiés même dans des bassins de grandes dimensions. Cependant, en présence de multiples sources de différents polluants, les relations individuelles entre les causes et les effets restent souvent indéterminées.
TABLEAU 1: Impacts mesurables des effets de lutilisation des terres par taille de bassin
Type de limpact
|
Taille du bassin [km2] |
||||||
0,1 |
1 |
10 |
102 |
103 |
104 |
105 |
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Débit moyen |
x |
x |
x |
x |
- |
- |
- |
Débit de pointe |
x |
x |
x |
x |
- |
- |
- |
Débit de base |
x |
x |
x |
x |
- |
- |
- |
Réalimentation de la nappe souterraine |
x |
x |
x |
x |
- |
- |
- |
Charge sédimentaire |
x |
x |
x |
x |
- |
- |
- |
Nutriments |
x |
x |
x |
x |
x |
- |
- |
Matière organique |
x |
x |
x |
x |
- |
- |
- |
Agents pathogènes |
x |
x |
x |
- |
- |
- |
- |
Salinité |
x |
x |
x |
x |
x |
x |
x |
Pesticides |
x |
x |
x |
x |
x |
x |
x |
Métaux lourds |
x |
x |
x |
x |
x |
x |
x |
Régime thermique |
x |
x |
- |
- |
- |
- |
- |
Légende: x = Impact mesurable; - = Impact non mesurable
Source: Document de travail 1
Les informations sur léchelle à laquelle les pratiques dutilisation des terres exercent un impact vérifiable sur la disponibilité et la qualité des ressources hydriques sont indispensables pour décider si la création de mécanismes de partage des avantages entre les usagers damont et daval est réaliste. De toute évidence, lorsque les impacts de lutilisation des terres ne vont pas au-delà du niveau de la parcelle, il serait déraisonnable de parler daccords de partage des avantages à léchelle du bassin versant. Lorsque ces impacts transcendent la parcelle, cest la mesure dans laquelle les causes en amont peuvent être reliées aux effets en aval, et le degré dincertitude, qui détermineront les accords de partage des coûts et des avantages entre les deux groupes intéressés.
Les avis sont donc partagés sur lutilité ou non de limiter les futures recherches sur les interactions terres-eau aux petits et moyens bassins versants ne dépassant pas quelques centaines de kilomètres carrés. Il est vrai que les interactions ne sont facilement mesurables que sur une petite échelle. Alors quil pourrait être possible de minimiser la sédimentation dun micro-barrage dans un bassin versant de cinq kilomètres carrés, il serait vain de tenter daméliorer laménagement des terres, par exemple, en Ethiopie, dans lespoir dagir sur le barrage dAssouan[18]. De même, encourager lentretien des réservoirs en Inde déterminera des améliorations mesurables dans leau souterraine locale, mais ninfluencera pas les inondations au Bangladesh. La remise en état est plus rapide dans les petits bassins versants[19]. Cependant, les gestionnaires des ressources naturelles sont souvent tenus de prendre des décisions sur des cas complexes et à très grande échelle. En tout état de cause, léchelle appropriée dépendra du type dimpact en jeu.
Nos connaissances et notre compréhension des processus biophysiques sont-elles satisfaisantes?
Nombreuses sont les connaissances sur les processus environnementaux qui influencent les relations terres-eau. Daprès lun des intervenants, ces connaissances sont suffisantes pour venir à bout de 90 pour cent environ des problèmes inhérents à lutilisation des terres dans les bassins versants du monde, et pour les dix pour cents restants il suffit simplement daffiner les techniques[20]. Les méthodes permettant détudier les sols, la géologie, la végétation, le climat et la démographie sont bien connues. Les systèmes dinformation géographique et les programmes informatisés facilitent la création de modèles de variations pour différents contextes. Cependant, il faut bien se rendre compte quaprès des années, voire des siècles, de manipulation dun bassin versant sans en appréhender le tableau général ou sy intéresser, ou après avoir souffert des conséquences de systèmes dexploitation traditionnels et difficiles à modifier, des années defforts et de pratiques améliorées seront sans doute nécessaires pour prèveniz ou atténuer la dégradation.
Dautres intervenants soutiennent que les connaissances existantes se fondent davantage sur la sagesse traditionnelle ou le mythe que sur la science, ce qui peut conduire à une affectation très inadaptée des ressources. Cette situation se présente souvent lorsque lon tente dappliquer les résultats obtenus dans un petit bassin versant à un autre plus grand, ou quand on essaie dinterpréter des phénomènes qui caractérisent des régions arides ou semi-arides à partir dobservations faites dans des régions humides tempérées[21]. Outre limportance dune recherche fondamentale plus approfondie dans les régions arides et semi-arides, cette situation souligne la nécessité de disposer de plus dinformations propres au lieu, ce qui pourrait exiger davantage de recherche et de suivi participatifs. De nombreuses études de cas mettent laccent sur cette approche.
Les connaissances ne suffisent pas toujours à déterminer les interventions qui influenceront la disponibilité en eau en aval, ce qui rend difficile la négociation. On trouve un exemple de cela dans létude de cas concernant le bassin versant de Rio Paute dans les Andes méridionales de lEquateur[22], où sont analysés les effets de lutilisation des terres sur la capacité de rétention du sol (voir encadré 5). Parmi les autres domaines où une recherche plus approfondie serait souhaitable figurent les facteurs qui agissent sur les eaux souterraines, et les changements dans les relations terres-eau à différentes échelles spatiales et temporelles.
ENCADRÉ 5: IMPACTS DE LUTILISATION DES TERRES SUR LA CAPACITÉ DE RÉTENTION DES SOLS DANS LES ANDES MÉRIDIONALES Dans le bassin versant du Rio Paute dans les Andes méridionales en Equateur, les sols ont une haute capacité de rétention de leau et de régularisation des débits en raison de la présence dargile amorphe qui forme des pores où semmagasine leau. Bien quil soit notoire que le labourage nuit aux propriétés hydrophysiques, on ignore dans une large mesure les phénomènes qui régissent la rétention et la libération de leau (cest-à-dire si elle est retenue dans le sol, la végétation, les couches de matière organique, les marécages, les lacs ou les forêts, etc.). Les méthodes analytiques traditionnelles ne paraissent pas convenir puisquelles se fondent sur des concepts déquilibre entre forces gravitationnelles, capillaires et hygroscopiques - dautres forces étant actives dans les andosols. Il est donc difficile de déterminer avec précision les actions des groupes intéressés qui influenceront la disponibilité deau en aval. |
Les scientifiques ne sont pas à labri des intérêts qui dictent les politiques de leurs institutions. Un des intervenants a émis lhypothèse suivant laquelle loccultation favorise ces intérêts, de même que les intérêts des consultants et scientifiques dont lexistence et les revenus dépendent de la promotion de scénarios de crise et de la conception et de la réalisation de plans damélioration souvent injustifiables économiquement[23]. Cest ainsi que le bien-fondé et les avantages économiques des programmes de conservation des sols, largement promus en Afrique et en Asie, sont maintenant mis en cause.
Etant donné la complexité et lincertitude qui caractérisent les relations terres-eau, il nest pas toujours possible dobtenir des informations exhaustives, ou den attendre de nouvelles avant de prendre des décisions cruciales. Le manque de connaissances pourrait ne se manifester quau moment dune catastrophe quand émergent de nouveaux problèmes qui transcendent le domaine des expériences passées. Doù la nécessité dune approche adaptative de la gestion, plus souple et moins étroite quun cadre technique où il est établi implicitement que des informations exhaustives sont disponibles. De grands progrès peuvent être réalisés grâce à un processus dévaluation qui identifie les informations existantes ayant une incidence pour la prise de décisions et qui les fournit aux parties prenantes. Il faut aussi mettre davantage laccent sur le suivi continu car on ne connaît pas assez tous les facteurs nécessaires pour formuler des prédictions fiables à longue échéance[24].
Session 2: Evaluer et percevoir les relations terres-eau
Lévaluation est le processus qui relie les connaissances aux prises de décision. Elle consiste à choisir les informations pertinentes et à mener la recherche adaptée. La pertinence dépend des objectifs politiques. Elle pourrait porter sur des questions techniques spécifiques issues dune seule discipline ou bien, à laide dune approche plus intégrée et participative, synthétiser linformation tirée de disciplines tant biophysiques que socioéconomiques, et encourager les parties prenantes à définir leurs problèmes, à fournir des informations sur le contexte local et à identifier les différentes options offertes à la gestion.
Outils et méthodes servant à évaluer les relations entre lutilisation des terres et les ressources en eau
Il a été observé que de nombreux outils dévaluation ne permettent pas dappréhender les interactions complexes qui se produisent entre la terre et leau, quand bien même la triangulation des résultats de mesures prises à divers moments, échelles et endroits, et lemploi de différentes méthodologies pourraient rendre évidentes les incohérences et les lacunes. Cest ainsi que de nombreuses estimations de lérosion, fondées sur des essais menés au niveau de la parcelle, ne mesurent que la quantité de terre déplacée. Cependant, une grande partie de cette terre reste à lintérieur du bassin versant. Dans une étude portant sur le Zimbabwe oriental, il a été noté que la quantité de sédiments extraite de la tête dun petit bassin versant ne dépassait jamais 5 t/ha, bien que, daprès les essais menés sur la parcelle, il sagirait en réalité de 70-100 t/ha[25]. Dans létude de cas sur les Andes (encadré 5), les auteurs se demandent sil est possible, à partir de méthodes normalisées, dénoncer des généralisations permettant didentifier les facteurs clés qui régissent la rétention et la libération de leau dans les sols, en raison des différences existant entre, dune part, les propriétés hydrophysiques réelles des sols andins examinés dans létude et, dautre part, les hypothèses. Les auteurs estiment que ce problème pourrait sappliquer aussi à dautres sols[26].
La complexité des processus qui interviennent dans les interactions terres-eau suggère le recours à des modèles détaillés propres au site. On pourrait améliorer la compréhension des effets de lutilisation des terres sur les débits de saison sèche, par exemple, à laide de modèles qui tiennent compte de la végétation, des propriétés physiques du sol, y compris la conductivité hydraulique et la teneur en eau du sol, ainsi que leur répartition dans lespace. On pourrait mieux comprendre lérosion en tenant compte de linfluence du type de végétation, comme la taille des feuilles qui détermine celle de la goutte, et en adoptant des techniques de conservation du sol en fonction du type de végétation, des sols et de la déclivité du terrain[27].
Les méthodes dévaluation fournies dans les études de cas vont de techniques particulières servant à élucider les processus inhérents aux bassins versants, à des approches plus intégrées et participatives, y compris les suivantes:
comparaisons entre les résultats des mesures et des modèles, et emploi de modèles pour comparer les conclusions dans le cadre de différents scénarios de gestion[28];
mesures des débits superficiels prises dans des endroits donnés pour faire la distinction entre les écoulements le long des versants et les débits de plaine[29];
emploi des dépôts disotopes de césium comme marqueur pour étudier la distribution des sédiments dans lensemble du bassin versant[30];
analyse chimique de leau damont et daval provenant de sources de contamination, et engagement de la communauté à les mesurer, moyennant des mécanismes de suivi faciles à opérer[31];
analyse statistique des corrélations existantes entre les données sur la pêche dans les réservoirs et les cartes de lutilisation des terres dans les bassins versants[32];
étude de la provenance des sédiments transportés vers le bassin versant pour identifier les sources individuelles qui y contribuent le plus, comme les routes non goudronnées[33];
étude des résultats des enquêtes auprès des ménages pour comparer leur opinion sur la pollution de leau par les nitrates avec les résultats des analyses déchantillons prélevés dans les puits, et les bilans de lazote[34];
processus participatif de classification et de cartographie de lutilisation des terres pour identifier les pratiques traditionnelles appliquées, et encourager les populations locales à prendre des initiatives personnelles en matière de gestion des ressources[35];
cadre intégré de gestion du bassin versant pour associer les aspects techniques aux aspects sociaux, et pour générer des informations et des outils pouvant servir de base commune pour les prises de décisions[36];
inspection des ressources en eau pour unifier les données provenant dun large éventail de sources, et pour mettre en évidence les contradictions éventuelles entre les données scientifiques et les connaissances locales sur des problèmes donnés[37];
diagnostic participatif des aspects biophysiques et socioéconomiques pour comprendre les perceptions et préoccupations des communautés concernant la qualité de leau, et pour promouvoir leur participation à lélaboration dindicateurs pertinents et au suivi[38].
Certaines observations formulées dans cette dernière étude montrent que la participation de la communauté accroît la prise de conscience des problèmes et, partant, la probabilité que les résultats de la recherche auront un impact sur les politiques. Bien quelle soit lente et coûteuse à lancer, cette approche assure des avantages à plus long terme. Dans le cas en question, les indicateurs ont été incorporés dans le plan de gestion des ressources naturelles du gouvernement local et font, de ce fait, partie intégrante dun programme en cours de suivi citadin de la qualité de leau. Limprécision et la partialité qui caractérisent souvent le suivi réalisé par la communauté devront être jaugées vis-à-vis des avantages de simplicité, de mobilité, déconomie et de pertinence quoffre la perception locale. Ces facteurs devront être comparés avec les résultats obtenus par les chercheurs. En outre, la recherche pourrait contribuer à identifier des domaines prioritaires pour les activités de remise en état, et permettrait déviter la longue attente de données scientifiques complètes[39].
Paramètres et indicateurs faciles à mesurer
Lélaboration dindicateurs performants de la qualité de leau, faciles à faire mesurer par des volontaires de la communauté et les autorités locales, était le principal objectif du document de base 3. Les critères utilisés pour le choix des indicateurs exigeaient que ces derniers soient fondés sur des méthodes scientifiquement valables, adaptés à la communauté, pratiques et relativement peu coûteux. Les paramètres choisis étaient les suivants:
perceptions, souvenirs et expériences de la communauté - obtenus par le diagnostic participatif des aspects biophysiques et socioéconomiques;
sols érodés et envasement des cours deau - obtenus par la mesure des solides totaux en suspension pendant les débits de base et juste avant et pendant des précipitations désignées;
débits de cours deau altérés et charge sédimentaire - des techniques douces ont été mises au point pour lestimation de la profondeur, de la superficie et de la vitesse du cours deau afin dindiquer laltération des débits; ces données ont été associées à celles sur les solides totaux pour estimer la charge sédimentaire;
contamination bactérienne de leau - une nouvelle méthode à coût relativement faible a été appliquée pour analyser leau de quatre grands affluents et leau potable distribuée par les robinets communautaires dans toute la municipalité;
démographie et utilisation des sols - ces renseignements provenaient dun recensement public et de données de télédétection, et ont servi à établir des comparaisons avec dautres données collectées et à identifier des modèles; une corrélation a été trouvée, par exemple, entre lamenuisement du couvert forestier et la dégradation de la qualité de leau.
Dautres indicateurs des changements biophysiques mentionnés qui pourraient être facilement mesurés étaient les suivants[40]:
accumulation de terre dans une plaine alluviale, indiquée par lenterrement de la base des racines de petits arbres et arbustes;
preuves visibles de la réduction de lécoulement et du pic des inondations, comme le rétrécissement et la stabilisation des cours deau (avec moins de dépôts et plus de végétation) et la fréquence et lampleur réduites des inondations;
changements observés dans lhabitat et les populations de poissons et dorganismes aquatiques, indiquant une variation de la qualité de leau, une charge sédimentaire plus élevée, linstabilité des lits des cours deau, et des inondations plus fréquentes et violentes;
estimation de la charge sédimentaire en provenance de petits bassins versants damont en mesurant les volumes de sédiments accumulés dans des barrages ruraux dâge connu[41].
Deux études de cas ont examiné les impacts de lutilisation des terres sur la pêche, en mettant laccent sur ceux qui influencent les revenus des populations locales, et les impacts pouvant être incorporés dans une analyse coûts/avantages. En raison de leur complexité, les écosystèmes pourraient constituer un enjeu plus important, même dans des programmes à longue échéance et bien financés.
Contraintes techniques et financières à lévaluation
Une approche qui englobe lensemble du bassin versant porte, par définition, sur de grandes superficies et affronte des problèmes complexes qui sont insolubles dans un cadre étroit et strictement technique, pour des raisons aussi bien financières que techniques. Une étude de cas a mentionné le programme exécuté dans le Fouta Djallon en Guinée, qui comprenait initialement des bassins versants de référence, aux fins dévaluer les activités réalisées dans des bassins versants pilotes. Les bassins versants de référence ont été rapidement abandonnés, et le suivi des impacts sest avéré compliqué faute de données de base. Dans de nombreux cas, il nest guère réaliste de sattendre à des impacts mesurables en aval étant donné lexiguïté de la superficie couverte par les interventions de projet par rapport à la superficie totale du bassin versant. Néanmoins, ces impacts en aval sont souvent mentionnés comme justification du développement rural réalisé en amont[42].
Ces limitations sont dues, dans une large mesure, aux politiques et accords institutionnels concernant la répartition des avantages et des coûts entre les parties prenantes. Laccent mis de façon croissante sur les approches participatives dans le suivi, lévaluation et la prise de décisions traduit non seulement les contraintes financières, mais aussi les limites des connaissances techniques permettant de résoudre des problèmes complexes, et la nécessité dexprimer des jugements de valeur. Par ailleurs, il démontre limportance du savoir local que les intéressés apportent au processus. Un rôle important qui échoit aux chercheurs et aux organisations est la constitution de partenariats avec les communautés et la fourniture dun appui technique et financier à leurs efforts. Comme le souligne le document de base 3, sil est vrai que cette approche entraîne des coûts élevés payables davance, elle est néanmoins susceptible dassurer des avantages plus durables et savère en outre rentable.
Variabilité, incertitude et mythes concernant les relations terres-eau
Vu la complexité des processus biophysiques et le temps qui sépare la cause de leffet, lincertitude est inhérente à toutes les conclusions scientifiques et hypothèses concernant les interactions terres-eau. Cette incertitude est à la base de nombreuses généralisations ou mythes relatifs à ces interactions (voir document de travail 1 et document de base 1). Ces généralisations peuvent avoir des impacts négatifs lorsquelles servent à justifier des politiques et des actions ou à déterminer laffectation de crédits. Cette situation est mentionnée dans de nombreuses études de cas. Cest ainsi que la déclaration générale selon laquelle «tout sédiment est polluant», à la base des travaux entrepris pour réduire les sédiments au Colorado, Etats-Unis dAmérique, a eu pour résultat de provoquer une plus grande agressivité de leau vis-à-vis des berges[43]. Daprès une autre généralisation très répandue, le boisement en amont cause des inondations et lenvasement en aval des grands bassins versants (voir encadré 4 concernant les liens supposés entre le déboisement dans lHimalaya et les inondations à laval du bassin Gange-Brahmapoutre).
Le choix dun facteur déterminé dans une gamme complexe de causes sert, dans certains cas, à appuyer des intérêts institutionnels et à attribuer des dégâts environnementaux à des populations pauvres et minoritaires vivant souvent dans des zones marginalisées de montagne Sur les hauteurs de Chittagong au Bangladesh, par exemple, lagriculture itinérante, qui nest pratiquée que sur quelque quatre à six pour cent de la superficie, va en décroissant car sa productivité réduite ne lui permet plus dêtre considérée comme une utilisation durable. Dautres facteurs contribuant à lérosion comprennent le climat de mousson, les pentes raides, le déboisement étendu, et la pression croissante sur les terres due à limmigration[44]. Ce choix partial dimpacts fondamentaux sert aussi à justifier des projets structurels plus populaires mais inopérants, et à éviter des mesures moins populaires comme limposition de licences et de redevances aux usagers. Parmi les projets structurels inefficaces figurent la construction de barrages de sédimentation pour contrecarrer lépuisement de leau souterraine, et les initiatives damélioration de lefficacité de leau en irrigation, qui ne font souvent quétendre les surfaces irriguées et accélérer les pénuries deau[45].
Aux généralisations sur les causes biophysiques, viennent sajouter celles relatives aux intéressés: dans la gestion dun bassin versant, faut-il considérer des millions de petits agriculteurs comme des «goulets détranglement» qui ont «besoin dêtre éduqués en matière de gestion»[46]? Bien quapparemment inoffensives, ces métaphores jouent un rôle moteur dans le façonnement des politiques et programmes. Elles permettent aussi aux experts de fonder leurs avis sur des hypothèses invérifiables.
Lincertitude inhérente aux conclusions et hypothèses concernant les interactions terres-eau devrait être exprimée de façon très claire afin déviter lutilisation de mythes. Dans le cas du Zimbabwe (encadré 6), sil est vrai que lhypothèse qui associe la diminution des sédiments à des cycles climatiques de 20 ans ne peut être prouvée sans une étude de longue haleine, et quelle contient dès lors une dose dincertitude, il nen demeure pas moins quelle est cohérente avec les informations disponibles.
ENCADRÉ 6: ZIMBABWE: LES CAUSES DE LA SÉDIMENTATION[47] Une étude menée dans le sud-est du Zimbabwe décrit le mythe suivant lequel les pratiques agricoles impropres en amont accroissent le colmatage des réservoirs. Au Zimbabwe, les grandes plantations de canne à sucre établies dans les plaines sont de gros utilisateurs agro-industriels deau, et sont irriguées grâce à une importante série de barrages situés au milieu du bassin versant et menacés de colmatage. On attribue souvent cette augmentation de la sédimentation aux systèmes dexploitation impropres adoptés localement, y compris le déboisement et le surpâturage dont seraient responsables les agriculteurs indigènes et de subsistance vivant en amont. A la suite de la sécheresse catastrophique qui a sévi au début des années 1990, dans certaines plantations industrielles de canne à sucre ont été organisés des programmes de vulgarisation pour aider les agriculteurs en amont à améliorer la gestion de leurs terres. A la fin des années 1990, les paysans participant aux programmes de vulgarisation ont fait état des résultats positifs quils avaient obtenus: les solides en suspension entrant dans leurs barrages avaient diminué de façon spectaculaire. Or, un observateur désintéressé aurait du mal à croire que des changements dans la gestion en amont puissent déterminer de si fortes baisses dans la sédimentation en aval. Le programme de vulgarisation était réalisé à très petite échelle et le bassin versant était très vaste. La recherche a également révélé un modèle cyclique de précipitations supérieures et inférieures à la moyenne se reproduisant tous les dix ans et qui pouvait être associé au phénomène El Niño. Les années 1980, qui ont culminé avec une sécheresse, étaient parmi les plus sèches jamais enregistrées. La combinaison de la recherche et des opinions des agriculteurs locaux permet détablir un scénario bien différent de celui présenté par les exploitants de canne à sucre. Il suggère que, pendant les longues périodes sèches, les niveaux de leau baissent, les arbustes et les graminées meurent et le bétail (avant de périr) exacerbe le problème en broutant toute la végétation existante, transformant la zone en un désert. Pendant cette période, les sédiments saccumulent et sont vulnérables à lérosion, car la végétation nintercepte pas les maigres averses qui tombent. Notamment, les grands orages qui éclatent à la fin de la période sèche peuvent déplacer des quantités énormes de terre «emmagasinée». Cependant, lorsquune période plus humide sinstaure, le couvert herbacé et agricole se reconstitue rapidement, grâce au nombre plus exigu danimaux brouteurs, et lérosion tend à sarrêter - jusquau prochain cycle de sécheresse. Comme le scénario présenté par les exploitants de canne à sucre, le tableau qui précède tient davantage de la narration que du compte rendu scientifique. Les preuves, dans ce cas, imposeraient le suivi des charges sédimentaires et dautres paramètres clés pendant un cycle complet de 20 ans. Cependant, il correspond aux connaissances sur lérosion relatives à dautres zones arides et semi-arides. Les photographies prises sur le site de létude dans les années 1990 montrent une étendue nue de terre rouge, qui nest aucunement comparable à la végétation luxuriante «humide» observée depuis 1994. Les sédiments mesurés provenant dun petit bassin versant amont, où aucun programme de vulgarisation na été réalisé et où est pratiquée lagriculture de subsistance, nont jamais dépassé 5 t/ha - chiffre très inférieur aux 70-100 t/ha signalées par un si grand nombre dessais sur parcelle. |
Il ressort des conclusions de létude sur le Zimbabwe que les oscillations climatiques aussi bien que les changements daffectation des terres peuvent influencer le taux dérosion et la sédimentation, même si lon ne connaît guère les relations entre les facteurs dorigine humaine et les processus naturels responsables de la distribution des sédiments dans les bassins hydrographiques.
On peut aussi conclure que les hypothèses concernant les interactions terres-eau doivent être constamment vérifiées et révisées à la lumière des nouvelles informations. Etant donné que les problèmes liés aux bassins versants sont souvent associés à des cycles bien plus long que les 20 ans cités et à des événements extrêmes moins fréquents, les mythes permettent de forger un modèle de relations à long terme qui seraient autrement difficiles à percevoir. Cependant, ils constituent souvent un obstacle à la formulation de politiques rationnelles concernant les relations terres-eau, si on sen sert comme base de décisions et dengagements institutionnels, car ils réduisent la souplesse et la capacité de réponses adaptatives.
Lun des participants craignait que le concept des «mythes forestiers» puisse donner à entendre que la conservation et le reboisement ne jouent quun rôle négligeable dans la stabilisation des bassins versants[48]. Les décideurs sattendent à recevoir des avis clairs sur les solutions à adopter et les mesures à prendre. Si le message contient un doute implicite, il peut porter à des confusions et ouvrir la porte à davantage de compromis.
Il a été suggéré quil appartient aux scientifiques de chercher et de dénoncer les mythes pseudo-scientifiques sur lesquels une grande partie des politiques de gestion des terres et des eaux se fonde actuellement, et qui continuent à faire en sorte que les crédits destinés au développement vont à des projets aux objectifs irréalisables[49]. Il leur incombe aussi de renoncer à «vendre» à tout prix des théories aux responsables des politiques, encore que leur message ne soit pas toujours interprété dans le sens voulu[50].
DEUXIÈME PARTIE: LA PERSPECTIVE SOCIOÉCONOMIQUE
Caractéristique distinctive de la gestion dun bassin versant est le fait que les coûts et avantages qui en découlent sont partagés entre les populations damont et daval et, au fil du temps, entre le présent et lavenir. Il est donc difficile de les évaluer, opération pourtant nécessaire pour assurer leur répartition équitable entre les intéressés, et pour créer des incitations à multiplier les utilisations correctes des terres et à décourager celles qui sont incompatibles avec léchelle du bassin versant. Il faudra donc concevoir et mettre en place de nouveaux instruments économiques et de régulation, ainsi que des accords sociaux et institutionnels.
En ce qui concerne la typologie, certains débats ont porté sur lemploi du terme «gestion» plutôt que «mise en valeur» du bassin versant. Toutefois, après quelques élucidations, il a été convenu que le terme «gestion» traduisait aussi bien les intérêts socioéconomiques que les aspects biophysiques, et quil englobait donc, en principe du moins sinon toujours en pratique, aussi les moyens dexistence des utilisateurs[51].
Session 3: Évaluer les relations terres-eau: les avantages et les coûts
Usages directs et indirects des ressources en eau pouvant être influencés par lutilisation des terres
Les principaux usages des ressources en eau pouvant être influencés par lutilisation des terres en amont sont ceux associés à lagriculture, à la production hydroélectrique et à la consommation domestique dans les zones urbaines. Dautres usages peuvent être liés à la foresterie, à la pisciculture et aux activités récréatives. En outre, parmi les usages indirects figurent la maîtrise des crues, la rétention des sédiments, la qualité de leau, les transports, la régularisation des débits, la pêche et la stabilisation du climat. Les usages liés à la consommation, qui sont associés principalement aux utilisations agricoles, domestiques et, dans quelques cas, industrielles, influencent la quantité et la qualité de leau car ils en privent les autres usagers[52]. Cest ainsi que lirrigation, qui consomme de leau, peut influencer davantage les intéressés en aval que la production hydroélectrique qui exploite le débit sans consommer leau. La consommation na pas nécessairement des impacts économiques défavorables. Dans le cas du Japon, lutilisation deau pour la production de riz a procuré des avantages importants en aval, favorisant la maîtrise des crues, la réalimentation de la nappe, la lutte contre lérosion et la sauvegarde du paysage et de la biodiversité (voir encadré 7). Les ressources halieutiques et les zones riveraines remplissent souvent aussi dimportantes fonctions autres que lutilisation, comme réservoirs de la biodiversité.
ENCADRÉ 7: LES AVANTAGES DE LA PRODUCTION DE RIZ AU JAPON[53] Les avantages économiques de la production de riz au Japon comprennent:
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Evaluation des avantages et des coûts pour les utilisateurs en aval
Il est plus facile dévaluer directement les coûts et avantages dune utilisation particulière des terres lorsque les relations entre les causes et les effets sont bien comprises, ce qui nest souvent pas le cas dans le cadre dun bassin versant. Vu cette incertitude, il est important de reconnaître que les résultats obtenus grâce aux informations disponibles sont la meilleure forme de jugement, et quils ne sappliquent quà une période limitée. En outre, il est essentiel de bien définir et documenter le but de lanalyse coûts/avantages. Les coûts et avantages non monétaires, à linstar de ceux qui ne se matérialisent quau bout dune longue période de temps, ne sont pas pris en compte normalement dans ce type danalyse pour des raisons de difficultés méthodologiques, et leur inclusion nest pas toujours nécessaire pour justifier la protection dun bassin versant. Dans le projet Loukkos, par exemple, (voir encadré 8) lérosion des berges et les glissements de terrain pouvant être influencés par lutilisation des terres nont pas été considérés, ce qui indique que le taux élevé de rentabilité était le résultat dune évaluation prudente. La correction administrative et sociale pourrait imposer linclusion de tous les coûts et avantages, même les moins tangibles et les plus incertains[54].
Lévaluation exige lestimation et la comparaison des avantages nets en aval, avec ou sans une intervention particulière, et deux exemples sont fournis à cette fin dans le document de base 5 (voir encadrés 8 et 9)[55]. Les facteurs clés pris en compte dépendront des coûts et avantages relatifs à lutilisation considérée, et des changements environnementaux auxquels ils sont associés. Sil sagit de lapprovisionnement en eau, par exemple, le facteur clé sera la variation du débit de saison sèche. Lestimation de cette variation servira ensuite à estimer les changements survenus dans les rendements des cultures irriguées ou la baisse potentielle du niveau des réservoirs et de la capacité de produire de lénergie hydroélectrique. Sil sagit de la maîtrise des crues, le facteur clé sera lévolution du débit de pointe. Les changements dans le régime des débits devront alors être liés aux changements daffectation des terres. Cest ainsi que les perturbations causées par les incendies, les cyclones et lexploitation sélective influenceront le régime des débits dune manière autre que la conversion à lagriculture[56].
ENCADRÉ 8: EVALUATION ÉCONOMIQUE DU PROJET RELATIF AU BASSIN VERSANT DU LOUKKOS DANS LE NORD DU MAROC[57] Le bassin versant du fleuve Loukkos (1 820 km2) alimente le réservoir de lOued El Makhazine qui fournit de leau pour lirrigation de 25 200 ha, produit de lénergie hydroélectrique, assure lapprovisionnement en eau et contribue à la maîtrise des crues. Environ la moitié de la superficie occupée par le bassin versant présente les signes dune forte érosion. Les mesures de conservation mises en oeuvre par le projet comprenaient: le reboisement, la gestion des pâturages, létablissement de plantations doliviers et darbres fruitiers, la stabilisation des lits des cours deau, la lutte contre le ravinement et la construction de routes. Suivant le niveau de sédimentation dans le réservoir, et les pertes annuelles en sol estimées, le taux de sédimentation a été évalué à 39 pour cent. Les hypothèses émises pour estimer le rôle de la végétation dans la réduction de la sédimentation ont permis dévaluer la diminution des pertes en cultures irriguées. Lanalyse tenait compte aussi des avantages tirés de la production dolives et de fruits. Cette évaluation a montré que le projet aurait un taux de rentabilité de 15,9 pour cent et une valeur actuelle nette de 18,8 millions de dollars EU. Les avantages de la réduction des pertes en nutriments du sol, et de la productivité accrue de lélevage et de la biomasse nont pas été pris en compte. |
ENCADRÉ 9: EVALUATION ÉCONOMIQUE DES ACTIVITÉS DE DÉVELOPPEMENT DU BASSIN VERSANT DU FLEUVE KONTO DANS LEST DE JAVA, INDONÉSIE[58] La zone du bassin versant occupée par le cours supérieur du fleuve Konto (232 km2) se déverse dans le réservoir de Selorejo, qui fournit de lénergie hydroélectrique et de leau pour lirrigation de 5 700 ha en aval. Les mesures de conservation mises en oeuvre par un projet de développement du bassin versant visant à stopper la dégradation des terres comprenaient: le reboisement, le rajeunissement des caféiers, la construction de terrasses, la lutte contre le ravinement et la plantation dherbages. Lévaluation des coûts et avantages des activités du projet sest fondée sur le calcul des effets favorables de laccroissement de la couverture végétale et de la meilleure infiltration de leau qui pouvaient augmenter potentiellement les débits de saison sèche et réduire ceux de la saison des pluies. Une méthode similaire à celle décrite plus haut (voir encadré 8) a été utilisée pour estimer les bienfaits de la conservation des sols. Pour estimer les avantages des changements dans les débits, il a fallu aussi tenir compte de lévapotranspiration, de linfiltration et de lécoulement direct pour chaque type dutilisation des terres, à savoir la forêt naturelle, la forêt ouverte, les formations arbustives, les plantations de café, les cultures pluviales correctement terrassées ou non, les terres irriguées et les zones construites. Lécoulement a été calculé pour la saison sèche et la saison des pluies, et il a été estimé comment il serait influencé par les changements daffectation des terres. Suivant les évaluations, les débits de saison sèche saccroîtraient de façon minimale alors que la baisse des débits de saison des pluies, bien que limitée, réduirait de 5 à 10 pour cent les dommages causés annuellement par les crues. Cette dernière estimation se fondait sur lampleur des dégâts déterminés par les crues dans le passé. Ensemble, les avantages découlant de la maîtrise des crues et de la réduction de la sédimentation étaient comparables à ceux procurés localement par la production de bois et de café. |
Les changements dans les taux de sédimentation peuvent avoir des effets économiques aussi bien positifs que négatifs, suivant lendroit où se déposent les sédiments. Sils se déposent dans des zones agricoles ils peuvent être favorables. En revanche, sils saccumulent derrière un barrage, ils risquent de réduire la durée de ce barrage qui pourrait être irremplaçable, faute de lieux appropriés pour en construire de nouveaux, et de limiter la capacité de production dénergie hydroélectrique[59].
Une méthodologie suggérée pour estimer les changements dans la production de biomasse, les débits et la sédimentation en aval liés à lutilisation des terres, et pour faciliter le suivi, consiste à subdiviser le bassin versant damont en sous-unités hydrologiques en fonction des conditions agroclimatiques. Une subdivision ultérieure en parties haute, moyenne et basse suivant laltitude et les caractéristiques physiques est aussi possible. Les informations obtenues pourront alors être associées à celles sur lutilisation des terres et aux données technologiques afin de calculer le bilan hydrologique pour différents scénarios et périodes de temps, et pour évaluer les changements advenus dans lérosion, la sédimentation et la production.[60] Une autre méthodologie suggérée, qui est actuellement mise à lessai sur le Zambèze, consiste à créer un modèle qui met laccent sur les taux de reproduction des ressources renouvelables et qui décrit les changements survenus dans le système. Dans ce cas, lanalyse économique pourrait porter sur un état quelconque du système[61].
Une étude de cas décrit une évaluation économique des impacts de lirrigation sur les ressources halieutiques fondée sur une enquête menée auprès des familles concernant lemploi de ces ressources, la valeur des captures et la mesure dans laquelle ces valeurs ont été affectées[62].
Session 4: Partage des avantages et des coûts découlant des relations terres-eau
Les résultats de lévaluation économique peuvent servir à identifier les incitations financières dont bénéficient certains usagers pour la mise en oeuvre des mesures de conservation. Cette information peut améliorer lapprentissage et la négociation, favorisant par là lidentification de moyens plus efficaces et équitables de réduire les coûts et de partager les avantages des effets de lutilisation des terres sur les ressources en eau. La création de nouvelles incitations impose la prise en compte de questions institutionnelles, réglementaires et économiques. Les bassins versants fournissent un cadre de référence élargi pour lexamen de tous ces facteurs et pour une meilleure prise de conscience des relations amont-aval. Les points qui suivent décrivent différents types de mécanismes et instruments, comment ils ont été utilisés, et les contraintes relatives, autant de facteurs qui doivent être évalués dans le choix de lapproche adaptée à un contexte particulier.
Mécanismes de partage des avantages entre les utilisateurs damont et daval
Les mécanismes et instruments permettant le partage des avantages entre utilisateurs damont et daval et la réduction des coûts de gestion dun bassin versant comprennent un grand nombre dapproches: instruments de régulation, instruments économiques, mécanismes favorisant laccès aux marchés, mesures éducatives et de sensibilisation, arrangements organisationnels et approches participatives. On a aussi mentionné les approches qui puisent dans le savoir local et les coutumes traditionnelles. Ces approches se basent sur la mise en application de mesures biophysiques et structurelles efficaces et appropriées visant à atténuer les problèmes de la dégradation des bassins versants. Dans la plupart des cas, on recourt à une combinaison de plusieurs instruments.
Les instruments économiques comportent généralement différentes formes de transfert de paiements entre utilisateurs damont et daval, mais ils peuvent aussi prévoir des transferts entre ces utilisateurs et le reste de la société, comme les subventions publiques qui influencent lextension des utilisations foncières ou qui visent le développement économique des zones marginalisées en amont du bassin versant[63]. Les exemples dinstruments économiques particuliers présentés et examinés au cours de latelier ont porté sur: la réforme des prix et de la distribution de leau moyennant létablissement de redevances et de droits commercialisables sur leau, ou de permis de pollution; la suppression ou la correction des subventions; les accords de partage des coûts pour couvrir les dépenses relatives aux opérations en cours et à lentretien, où les contributions sont versées par les bénéficiaires en aval par le biais dimpôts et de redevances[64]; et laccès amélioré au marché pour les agriculteurs en amont. Ce dernier instrument peut consister soit en accords conclus avec les industries qui achètent auprès des producteurs participant aux plans de gestion soit en la promotion des denrées quils produisent.
De nombreuses initiatives sont encore trop neuves pour que lon puisse en évaluer lefficacité aux fins de la conservation, mais beaucoup dautres paraissent prometteuses puisque les groupes intéressés y ont souscrit et assuré leurs soutien et coopération Suivent quelques exemples de celles qui ont obtenu les meilleurs résultats:
plan instituant des redevances pour leau à Baden Württemberg, Allemagne, au titre duquel les recettes tirées de ces redevances financent les paiements versés aux agriculteurs pour les dédommager des restrictions imposées sur lemploi dengrais dans des zones soumises à un régime de protection des eaux[65];
dégrèvement fiscal allant jusquà 80 pour cent pour la préparation et la mise en oeuvre dun plan de gestion des forêts dans le bassin versant de New York;
achat de droits de développer ou compensation pour la mise hors production de certaines terres particulières dans le bassin versant de New York;
vente à prix réduits des produits de la pêche des zones daval aux agriculteurs en amont (voir encadré 10);
établissement dun fonds pour les activités de conservation en amont financé par les redevances des consommateurs daval, comme dans le cas de la vallée de Cauca en Colombie[66] et à Quito, Equateur (encadré 11)[67].
ENCADRÉ 10: TRANSFERT DE PAIEMENTS À DES FINS ENVIRONNEMENTALES DANS LA PROVINCE DE ZAMBOANGA, MINDANAO, PHILIPPINES[68] Dans une région où, pendant environ 8 ans, les agriculteurs damont avaient appliqué une technologie spéciale pour les terres agricoles en pente, ainsi que dautres méthodes de conservation des sols et de leau, la qualité et la quantité des stocks de poisson en aval, qui sétaient presque entièrement épuisés, ont haussé considérablement. Les pêcheurs ont observé le fort accroissement des plantes aquatiques et la baisse de niveau des sédiments. Un forestier de la zone en amont a réuni les associations dagriculteurs et celles de pêcheurs pour conclure avec eux un accord: reconnaissant leffet favorable des systèmes de gestion des terres en amont, qui avaient permis de réduire lérosion, les pêcheurs acceptaient de vendre leur poisson aux membres de lassociation des agriculteurs à des prix réduits (de 75 à 80 pour cent du prix du marché). Laccord est en vigueur depuis 1997 et les deux associations, encouragées par le personnel du projet, ont tenu depuis lors des réunions trimestrielles. |
ENCADRÉ 11: FONDS POUR LA PROTECTION DES BASSINS VERSANTS VISANT LA CONSERVATION DE LEAU POTABLE À QUITO, EQUATEUR[69] Une étude de cas sur le Fonds pour la protection de leau et des bassins versants, comme mécanisme de conservation des réserves naturelles de Cayambe-Coca et dAntisana en Equateur, décrit le mécanisme de financement envisagé pour les activités de protection de leau et des bassins versants en amont de la ville de Quito, Equateur. Des organismes locaux (compagnies des eaux) et internationaux contribueront à ce fonds. Une commission formée de représentants des compagnies des eaux et de lélectricité locales, des usagers, des autorités locales, des communautés et dorganisations non gouvernementales sera chargé de la gestion du fonds. Il servira à financer des activités de conservation visant à assurer des disponibilités fiables en eau propre. |
Des critères environnementaux régissent laffectation dun pourcentage des revenus tirés des impôts - dans lÉtat de Paraná, Brésil, une partie des revenus dégagés dun impôt sur la vente est versée aux municipalités des bassins versants situés en amont de sources deau potable publiques pour accroître les financements destinés à la protection de lenvironnement et à lamélioration de la qualité de leau[70].
Parmi les autres instruments pouvant entrer dans la catégorie des instruments économiques, même sils ne sont pas monétaires, sont les systèmes dincitation traditionnels en vigueur au sein des communautés. Cest ainsi quà Konso, une zone semi-aride dans le sud-ouest de lEthiopie, un homme est tenu de construire une terrasse avant davoir le droit de se marier, opération qui paraît fournir lincitation requise. Cette zone est densément peuplée et la pression sur les terres y est très forte mais lérosion est moins visible que dans la zone du nord avoisinante[71].
Les instruments de régulation consistent en une large gamme de restrictions qui peuvent frapper lutilisation des ressources en terres et en eau, et qui vont de lemploi limité de pesticides et dengrais à létablissement de zones où certaines pratiques sont permises et dautres interdites. Il est souvent difficile dappliquer les règlements car ils entraînent des pertes économiques potentielles pour les usagers des ressources, qui pourraient devoir être compensés suivant leur situation individuelle. Cependant, si les incitations économiques ne remplacent pas toujours les règlements elles les complètent parfois. Cest ainsi que loctroi de permis commercialisables est subordonné à létablissement dun seuil réglementaire pour les émissions polluantes ou pour lextraction de la ressource. La participation aux mécanismes du marché peut également être motivée par la crainte de devoir se soumettre à des règlements. En outre, pour quils soient efficaces il faut la capacité nécessaire pour les mettre en vigueur.
Les mesures économiques ou réglementaires ont plus de force si elles sont appliquées dans le cadre dapproches holistiques qui comprennent léducation et les activités de sensibilisation. Lintérêt et la participation actifs de la communauté favorisent lapplication des mesures dans de grands bassins versants, ce qui nest pas toujours le cas sil sagit dune approche centralisée de commande-contrôle laquelle dépend de lexistence dun cadre organisationnel qui fournit les occasions de participation.
On trouve un exemple des approches qui prévoient léducation et la sensibilisation dans le cas du bassin versant de New York, où les autorités entreprennent des vérifications dans les exploitations et identifient les sources de pollution avec la participation des agriculteurs auxquels sont offertes, parallèlement, des incitations à réduire la pollution[72]. Une approche participative, qui prévoyait lintervention des agriculteurs dans le centre ouest du Brésil, a permis de multiplier les micro-barrages construits pour réduire les écoulements pollués et promouvoir la réalimentation de la nappe sur lensemble dun micro-bassin[73].
La participation se fait souvent par le biais dassociations de bassin versant en vue de réduire les coûts des transactions dans les négociations entre parties prenantes. Il est important de tenir compte des différents intérêts existant à différentes échelles; si ces intérêts sinscrivent dans un cadre organisationnel approprié, la participation publique en sera renforcée. A plus grande échelle, la participation est un enjeu car il est plus difficile de mobiliser la totalité des personnes concernées dans lensemble des communautés touchées. Dans ces cas, ce sont les gouvernements régionaux et nationaux qui auront un rôle important à jouer. La constitution de groupes dentraide au-dessous du niveau du village permettra de fournir une base aux associations de bassin versant qui représentent de multiples villages[74] et garantira aussi que ces intérêts locaux seront pris en compte dans les négociations touchant des problèmes de grande envergure.
Dautres éléments indispensables pour les accords organisationnels sont lautonomie des prises de décision des associations, et la transparence dans la gestion et laffectation des crédits. On en trouve un exemple dans le cas de la vallée de Cauca, Colombie, où les grands exploitants en aval versent une redevance pour la fourniture de leau à des associations dusagers, lesquelles agissent en qualité de fondations privées pour la mise en oeuvre de projets de conservation des bassins versants. Lautorité locale surveille les aspects techniques, travaille avec ces associations et facilite même leurs démarches monétaires, mais les ressources sont gérées indépendamment par chaque association[75].
Enfin, ces différents types dinstruments devraient être considérés comme éléments dune approche intégrée qui comprend la gestion de lagriculture, les politiques agricoles et des prix des récoltes, les mesures macropolitiques et le changement structurel[76], et qui poursuit lobjectif de réduire la pauvreté et daméliorer les niveaux de vie en amont de manière compatible avec la protection du bassin versant.
Les approches intégrées régionales et au niveau de lensemble du bassin versant passent souvent dune vision étroite à une perspective élargie, comme on le voit dans les exemples du Lac Laguna et du bassin de lAgno (voir encadré 12). Ces exemples décrivent lévolution dun mandat qui, partant de la gestion dune simple masse deau, a ensuite été étendu à toute la zone drainée, avec la participation des usagers en amont et en aval. Ils montrent aussi que les parties prenantes peuvent être ralliées autour dune même vision et dun même plan stratégique, que la planification au niveau du bassin versant peut promouvoir un développement plus équitable pour les usagers damont et daval, et enfin que la coordination entre les organismes gouvernementaux est indispensable.
ENCADRÉ 12: LÉVOLUTION DES APPROCHES INTÉGRÉES QUI TIENNENT COMPTE DE LENSEMBLE DU BASSIN VERSANT AUX PHILIPPINES - LE LAC LAGUNA ET LE BASSIN DE LAGNO[77] Après léchec de plusieurs initiatives visant à instituer des organismes de planification régionaux et au niveau du bassin versant, le gouvernement des Philippines a décidé de renforcer les capacités de lOffice pour la mise en valeur du lac Laguna et de la Commission pour le développement du bassin de lAgno. Le lac Laguna est la principale source deau de la capitale, Manille. LOffice avait reçu des pouvoirs réglementaires pour lutilisation du lac et les activités de mise en valeur régionales, a mis au point un plan-cadre prévoyant des stratégies pour sa réalisation, et a adopté une politique favorisant les usages multiples, où la promotion de la pêche cédait la place à la protection de lenvironnement et à la lutte contre la pollution du bassin versant. LOffice avait également mis en oeuvre un système de redevances pour la fourniture de leau, encouragé la participation multisectorielle pour arrêter la dégradation dans 21 réseaux hydrographiques déversant leurs eaux dans le lac Laguna, et commandé des études et projets pertinents. La Commission na pas de pouvoirs exécutifs mais repose sur lengagement et la participation dorganismes apparentés, et fournit une orientation pour un programme de planification et de gestion stratégiques au niveau du bassin versant. Au cours de ses activités, elle a conçu un plan-cadre détaillé qui a été intégré dans les plans locaux et régionaux et les programmes dinvestissement. Les activités connexes comprennent la coordination de la mise en oeuvre de projets et dun programme de mise en valeur, lexamen de propositions de projets et la formulation des recommandations relatives, lidentification et la proposition daméliorations des politiques, la coordination du suivi, des mesures de prévention de lérosion du sol et de réduction de la sédimentation, la maîtrise des crues et létablissement dun système dinformation. |
Un exemple venant de lInde (voir encadré 13) décrit une démarche dextension des activités qui, partant dinitiatives locales et ciblées, a abouti à des programmes nationaux et intersectoriels bénéficiant dune ample collaboration, et qui souligne le rôle important que les ONG pourraient jouer dans cette démarche.
ENCADRÉ 13: INDE: LE RÔLE DES ONG DANS LE PROCESSUS DEXPANSION Les activités de gestion des bassins versants en Inde ont débuté, il y a plus de deux décennies, en tant que mesures spéciales de conservation des sols et de leau mais elles se sont muées en une approche intersectorielle intégrée et participative au niveau national, bénéficiant damples crédits pour la remise en état et le développement des micro-bassins versants. Un facteur clé qui a influencé cette évolution a été le succès de certaines initiatives locales prises par les ONG. Lexpansion a eu lieu officiellement, par les crédits publics alloués à la mise en oeuvre des programmes, et officieusement par lapprentissage dans les deux sens entre ONG et communautés villageoises. Les ONG ont donc joué un rôle important dans ce processus en contribuant à la réalisation des programmes et à la création de capacités institutionnelles |
A plus grande échelle, dans les bassins versants internationaux, il est nécessaire quaux accords souscrivent tous les États riverains. Vu les difficultés de relier les causes aux effets à cette échelle, les conflits et préoccupations portent généralement sur la question de la fourniture de leau. Cest ainsi que dans le bassin du Niger, les utilisateurs redoutent que les opérations de mise en valeur dans les États riverains en amont mènent au détournement de leau à des fins dirrigation. La planification de lensemble du bassin pourrait prévoir la prise de mesures concertées pour combattre la sécheresse et les effets des changements climatiques. En labsence dune autorité centralisée, les négociations au niveau du bassin tendent à se transformer en une coopération économique générale qui transcende la mise en valeur des ressources hydriques. Le suivi hydrologique et les systèmes de prévision au niveau de lensemble du bassin versant assureront un appui plus efficace à la gestion intégrée des ressources[78].
Contrainte à la mise en place de mécanismes de partage des avantages
De nombreuses contraintes apparaissent souvent au moment de la mise en place des mécanismes examinés plus haut. Elles vont du besoin de réconcilier les intérêts conflictuels concernant la répartition des coûts et avantages, aux enjeux institutionnels et aux coûts payés à lavance quentraîne la mobilisation des groupes intéressés pendant les phases initiales de la planification; aux droits de propriété faibles ou inexistants qui ne convainquent pas les populations quelles jouiront des avantages promis, et au manque de perception du problème.
Des désaccords se manifestent souvent dans le choix des objectifs et dans létablissement des limites juridiques. Au niveau le plus général, on observe souvent un conflit entre les objectifs visant le soutien des niveaux de vie à court terme et ceux prônant la protection des ressources. Le programme sud-africain de promotion des ressources hydriques qui, outre les mesures visant à interdire lintroduction de végétaux exotiques qui consomment de fortes quantités deau, fournit une formation et des emplois, représente aussi une tentative de réconcilier ces objectifs[79]. Un mécanisme idéal pour les harmoniser consisterait à fournir une eau propre et abondante à tous les usagers, en laissant au gouvernement la tâche détablir des cadres réglementaires grâce auxquels lentreprise privée bénéficiera de la fourniture améliorée deau de meilleure qualité, de protéger la santé humaine et environnementale et dharmoniser les intérêts. En réalité, les gouvernements sacquittent rarement de ces obligations de base, même dans des situations de catastrophe, et les mécanismes sont souvent manipulés au profit des intérêts les plus puissants[80].
Certains mécanismes prévoient différentes façons de répartir les coûts et les avantages, non seulement entre les usagers damont et daval, mais aussi au sein des communautés où les tâches pénalisent souvent le plus lourdement certains segments de la population, comme les femmes et les groupes minoritaires. Cest ainsi que la fermeture dune forêt communale et linterdiction à des fins de régénération dexploiter les pâturages peut porter gravement atteinte aux moyens dexistence des ménages sans terre et des éleveurs, ou réduire laccès des femmes au bois de feu et au fourrage[81]. Les communautés ne respecteront que les accords sur les coûts et avantages quelles estiment justes. Il est également important de charger un organisme acceptable de leur application et de leur suivi[82]. Il faudra donc faire clairement la distinction entre les bénéficiaires des interventions éventuelles et ceux qui les financent.
En ce qui concerne léquité, une préoccupation particulière a été exprimée à propos de lusage dinstruments économiques et, notamment, du danger que le transfert des paiements aux utilisateurs des terres en amont, en vue de les inciter à appliquer des mesures de conservation, naille à lencontre du principe du «pollueur paie». Cette situation pourrait finir par rendre plus attrayante lagriculture en amont au lieu dencourager de nouvelles stratégies de création de revenus[83]. En principe, les utilisateurs en amont devraient accepter de partager les coûts de la pollution dont ils sont responsables, et il a été recommandé que les subventions octroyées pour ladoption de certaines infrastructures et pratiques de gestion soient accompagnées à lavenir dun impôt sur les polluants[84]. Cependant, il a également été reconnu que les revenus sont plus faibles en zone rurale, ce qui pourrait tenir à dautres problèmes déquité. On trouve dans les politiques agricoles françaises un exemple de la manière dont cette question peut être réglée (voir encadré 14).
ENCADRÉ 14: LES MULTIPLES FONCTIONS DE LAGRICULTURE FRANÇAISE[85] En France, il est estimé que lagriculture remplit de multiples fonctions et elle est soutenue et réglementée par des politiques et des lois appliquées à plusieurs niveaux politiques et administratifs. Pour récompenser leurs efforts en faveur de la sécurité alimentaire, la sauvegarde du paysage et la qualité de lenvironnement, les exploitants sattendent à réaliser un revenu acceptable. Les consommateurs, quant à eux, sont disposés de façon croissante à payer pour ces services directement ou par lintermédiaire de leurs impôts. En vertu dun instrument créé récemment en France, des incitations financières sont octroyées pour ladoption des meilleures pratiques et pour la préservation du bien public quest le paysage; cet instrument est également alimenté par les redevances pour leau et les taxes écologiques. Le partage direct des avantages se fait par le biais de létiquetage qui indique la qualité ou la provenance, du tourisme et de lallocation des recettes tirées des redevances aux utilisateurs en amont pour les inciter à prendre des mesures en faveur de lenvironnement. En revanche, les politiques en vigueur auparavant, qui visaient à réduire la pollution azotée causée par lindustrie de lélevage, se sont avérées inefficaces car les incitations nétaient pas accompagnées de sanctions contre la pollution. |
Dautres contraintes sopposant à la mise en place des mécanismes de partage des avantages consistaient dans la faiblesse ou labsence de droits de propriété, et le manque de capacité institutionnelle de promouvoir une action concertée, deux facteurs indispensables pour la gestion des bassins versants où les pratiques daménagement transcendent le niveau de lexploitation individuelle, et où les avantages tendent à ne se concrétiser quà longue échéance. Ces mécanismes peuvent ainsi contribuer à résoudre les problèmes dordre spatial et temporel. Cependant, les relations ne sont pas toujours simples car les programmes dattribution de titres fonciers peuvent diminuer la sécurité de ceux qui nont ni linstruction ni les relations nécessaires pour obtenir un titre officiel. Il est aussi prouvé que, souvent, les accords basés sur le régime foncier coutumier promettent assez de sécurité pour inciter les gens à investir, même sils ne sont pas toujours reconnus par le gouvernement. Dans le sud de Mindanao, le régime foncier sest avéré un facteur clé dans ladoption de techniques de conservation du sol (voir encadré 15). Diverses raisons motivent laction concertée; les gens participent soit pour instaurer de bonnes relations soit parce que cest «la chose à faire»[86].
ENCADRÉ 15: PHILIPPINES: LE RÔLE DU RÉGIME FONCIER DANS LADOPTION DE MESURES DE CONSERVATION DES SOLS[87] Dans le sud de Mindanao, Philippines, ladoption par les agriculteurs de techniques de conservation du sol a été longue à se concrétiser, mais le taux dadoption était plus élevé parmi les propriétaires que parmi les exploitants à bail. Les contraintes sopposant à ladoption de ces techniques portaient sur le fait que les exploitants étaient obligés de consacrer une surface importante de leurs terres agricoles à la plantation darbres ou de haies, ce qui accroissait aussi leurs besoins en main-doeuvre. Même lorsquils recevaient des subventions, les exploitants agroforestiers nentretenaient pas leurs haies. Il est aussi improbable que la perte de terres cultivables aurait été compensée par des rendements accrus, même si les agriculteurs pouvaient sattendre à un gain financier au bout de 3 à 5 ans. Les subventions sont donc nécessaires sil faut recourir à ces mesures pour inverser le processus de dégradation des terres. |
La participation des parties prenantes aux mesures est, en définitive, une question de gouvernance. Garantir aux utilisateurs que leurs intérêts seront représentés et pris en compte au niveau de lensemble du bassin versant augmentera les chances dune action concertée. Parmi les contraintes sopposant à une plus ample application des mécanismes, et révélées par les évaluations et les consultations entre organismes gouvernementaux, ONG et donateurs, figuraient les suivantes: la participation insuffisante et inefficace de la communauté résidant dans le bassin versant; le manque dintégration des questions relatives au genre et à léquité; labsence de coordination inter-départementale; le manque dinsistance sur le renforcement des capacités du personnel et des membres de la communauté et labsence de mécanismes de suivi. En outre, les besoins des femmes et des groupes à faible revenu sont souvent négligés dans la mise en oeuvre, sils ne participent pas à la planification. Un mise en oeuvre échelonnée a été préconisée, laccent portant davantage sur lorganisation communautaire dans la première phase, et sur la réalisation des ouvrages matériels dans la deuxième[88].
La contrainte la plus évidente réside dans le financement qui, dans certains cas, est limité à certains usages particuliers et qui ne tient pas compte des problèmes les plus pressants. Si, par exemple, des problèmes de sédimentation, dus à linstabilité des pentes, aux glissements de terrain et à lérosion des berges qui en sont la conséquence, imposaient la prise de mesures structurelles, les crédits exigus alloués aux petites initiatives participatives laisseraient irrésolus les problèmes les plus urgents[89]. Au niveau des ménages, la pauvreté exige souvent ladoption de solutions appelant un investissement dont les avantages sont à long terme, doù la nécessité de privilégier les mesures qui apportent des bienfaits immédiats et directs aux populations locales.
Critères de succès de la mise en oeuvre de mécanismes de partage des avantages
Un certain nombre de commentaires ont porté sur les critères de succès proposés dans le document de travail 2.
1. «Limpact des utilisations des terres en amont sur les ressources en eau en aval est bien compris».
Il nen est pas nécessairement ainsi au début dun programme car les groupes tendent à sorganiser autour des questions et occasions prioritaires. Cependant, pour arriver à un accord, il faut sassurer que les coûts et les avantages répondent à la perception des parties prenantes, laquelle pourrait évoluer avec une meilleure compréhension. Les coûts et les avantages pourraient aussi changer en fonction de la gamme dactivités choisies et des conditions extérieures[90], comme dans le cas de la province de Zamboanga à Mindanao, Philippines, où les stocks de poisson ont augmenté huit ans environ après lapplication par les agriculteurs en amont de méthodes de conservation des sols. Un accord a pu être conclu entre les associations de ces deux groupes au titre duquel le poisson était vendu à un prix réduit aux agriculteurs en amont (encadré 10)[91]. Ce critère pourrait être modifié comme suit: «Il existe un certain niveau de compréhension et dentente entre les parties prenantes concernant les impacts des utilisations des terres en amont sur lutilisation de leau en aval, ainsi que la conscience de lincertitude».
2. «Limpact des utilisations des terres sur les ressources en eau prédomine nettement sur les impacts naturels ou dorigine humaine».
Ce critère pourrait être considéré comme faisant partie du critère 1[92].
3. «Les groupes intéressés en amont et en aval sont en nombre limité et bien organisés».
Ce critère a été jugé important. En fonction des débats sur les associations de bassin versant qui peuvent se composer de nombreux adhérents, il devrait être modifié comme suit: «Les groupes intéressés en amont et en aval sont normalement en nombre limité et/ou bien organisés».
4. «Limpact économique des utilisations des terres sur les consommateurs en aval est quantifiable».
Les marges derreur nexcluent pas nécessairement les bons résultats car les paiements ne doivent couvrir que leffort supplémentaire qui, autrement, ne serait pas compensé par les avantages se réalisant sur place, et les consommateurs en aval ne seront disposés à payer que pour les avantages supplémentaires reçus. Il nest donc pas si important de connaître les impacts exacts[93]. Le critère devrait être modifié pour indiquer la possibilité de quantification «approximative» des impacts.
5. «Les incitations offertes aux utilisateurs damont et daval par les instruments de partage des avantages sont suffisamment importantes pour que les utilisateurs les préfèrent à dautres solutions».
Ce constat paraît superflu car cest un critère normal convenant à nimporte quelle option et qui najoute pratiquement rien aux critères relatifs au partage des avantages[94].
6. «Il existe un engagement politique à établir des liaisons amont-aval».
Cela pourrait être nécessaire à de très grandes échelles. Au niveau du petit bassin versant où les impacts sont normalement le plus apparents, les intéressés peuvent agir et négocier en dehors du cadre administratif. Laide extérieure pourrait encore servir à fournir des données et une formation en matière de liaisons physiographiques et hydrologiques, et pour appuyer les négociations. Même à cette échelle, des modifications du cadre juridique et institutionnel pourraient savérer nécessaires en présence dobstacles à la mise en oeuvre des transferts de paiement. Ce critère pourrait être amendé ainsi: «Il existe un engagement politique à établir des relations amont-aval, soit par des accords contractuels soit par des cadres administratifs, et une base technique pour ce faire».
7. «Il existe un cadre institutionnel et juridique fort, y compris un régime foncier, qui peut faciliter ou entraver la mise en place dinstruments de partage des avantages».
Ce point est ambigu. Il a été fait remarquer, dans le cas de Zamboanga, Philippines, (voir encadré 10) que les agriculteurs avaient reçu des titres fonciers en échange de ladoption de certaines conditions dutilisation, et que lon ne comprenait pas pourquoi les pêcheurs devaient les dédommager. On pourrait expliquer cela par les problèmes dapplication des règlements fonciers, ce qui laisserait entendre que les avantages reçus compensaient le manque dun cadre institutionnel et juridique fort. Dautres exemples sont nécessaires pour élucider cette question.
En ce qui concerne les nouveaux critères, les suggestions étaient les suivantes:
«Ceux qui paient et ceux qui profitent devraient être dotés dun pouvoir décisionnel autonome, et il faudrait mettre en place un mécanisme transparent pour déterminer laffectation des crédits».
Ce critère a été suggéré sur la base de lexpérience de la vallée Cauca en Colombie, où les gros exploitants en aval verseront une redevance aux associations dusagers de leau qui investissent ces recettes dans des projets de conservation du bassin versant. Les ressources sont gérées indépendamment par chaque association, bien quune autorité locale pourrait surveiller les aspects techniques[95].
«Les interventions de gestion et les associations de bassin versant devraient être compatibles avec la taille du bassin».
La taille du bassin versant est un paramètre qui joue un rôle important dans lefficacité et la pénétration des interventions de gestion. Les bassins moyens de 100 à 500 km2 situés dans des circonscriptions bien définies au niveau étatique ou national paraissent les plus performants[96].
«Les traités relatifs aux bassins versants devraient être acceptables par tous les riverains aux fins de leur usage équitable, de leur protection et de la gestion des ressources en eau»[97].
Ce critère paraît fondamental si lon veut transformer les programmes de conservation et de mise en valeur des bassins versants en accords négociés, volontaires et appliqués librement, ainsi que pour la coopération dans les bassins versants couvrant plus dune circonscription et qui transcendent les frontières[98].
«Linformation sur les impacts et leurs coûts et avantages potentiels doit être communiquée de manière accessible».
Le concept de zones agroclimatiques, par exemple, est aisément et largement compris, et permettrait aussi dévaluer et dextrapoler les utilisations des terres et la production, la capacité de gestion et les dangers environnementaux effectifs et potentiels[99].
[1] Cudennec, Intervention
7 [2] Moriarty, Intervention 39 [3] Peters and Meybeck, Document de base 2 [4] Faurès, Intervention 4 [5] Fairchild, Intervention 34 [6] Cudennec, Intervention 7 [7] Mechergui, Étude de cas 18 [8] Cordoval de Barros, Étude de cas 25 [9] Davidson, Intervention 16 [10] van Etten, Intervention 18 [11] Cudennec, Intervention 7 [12] Calder, Document de base 1 [13] Calder, Document de base 1 [14] Moriarty, Intervention 26 [15] Faurès, Intervention 4 [16] Golosov, Intervention 19 [17] Hofer, Intervention 5 [18] Moriarty, Intervention 26 [19] Stevens, Intervention 32 [20] Stevens, Intervention 32 [21] Calder, Document de base 1 [22] Buytaert et al., Étude de cas 29 [23] Calder, Intervention 11 [24] de Graaff, Intervention 44 [25] Moriarty, Intervention 26 [26] Buytaert, Intervention 29 [27] Calder, Document de base 1 [28] Cepuder et al., Étude de cas 1; Armour, Étude de cas 6 [29] Cudennec et al., Étude de cas 2 [30] Golosov and Belyaev, Étude de cas 9 [31] McGregor et al., Étude de cas 16 [32] de Silva, Étude de cas 21 [33] Ziegler et al., Étude de cas 28 [34] Cortez Lara, Étude de cas 27 [35] Puginier, Étude de cas 4 [36] Bowden, Étude de cas 8 [37] Batchelor et al., Étude de cas 12 [38] Deutsch et al., Document de base 3 [39] Deutsch et al., Document de base 3 [40] Bunning, Intervention 40 [41] Conacher, Intervention 43 [42] Facon, Intervention 14 [43] Kimsey, Intervention 9 [44] Hopkins, Intervention 45 [45] Facon, Intervention 49 [46] Stevens, Intervention 53 [47] Moriarty, Intervention 26 [48] Echavarría, Intervention 50 [49] Calder, Intervention 68 [50] Hafner, Intervention 56 [51] de Graaff, Intervention 33; Stevens, Intervention 53 [52] Echavarría, Document de base 4 [53] Facon, Intervention 14 [54] Appelgren, Intervention 54 [55] de Graaff, Document de base 5 [56] de Graaff, Document de base 5 [57] de Graaff, Document de travail 5 [58] de Graaff, Document de travail 5 [59] de Graaff, Document de base 5 [60] de Graaff, Document de base 5 [61] van Wesenbeeck et Albersen, Intervention 46 [62] Lorenzen, Intervention 20 [63] Kiersch, Document de travail 2 [64] Feehan, Étude de cas 22 [65] Kiersch, Document de travail 2 [66] Echavarría, Document de base 4 [67] Echavarría, Étude de cas 30 [68] Agostini, Intervention 52 [69] Echavarría, Étude de cas 30 [70] Echavarría, Document de base 4 [71] Hopkins, Intervention 45 [72] Kiersch, Document de travail 2 [73] Cordoval de Barros, Étude de cas 25 [74] Lorenzen, Intervention 20 [75] Echeverría, Intervention 50 [76] Appelgren, Intervention 6 [77] Facon, Intervention 57 [78] El-Khodari, Intervention 10 [79] Calder, Intervention 42 [80] Kehrig, Intervention 55 [81] Meinzen-Dick, Intervention 37 [82] Davidson, Intervention 16 [83] Agostini, Intervention 52 [84] Facon, Intervention 49 [85] Facon, Intervention 49 [86] Meinzen-Dick, Intervention 76 [87] Hopkins, Intervention 45 [88] Pangare, Intervention 66 [89] Facon, Intervention 14 [90] Dixon, Intervention 48 [91] Agostini, Intervention 52 [92] Agostini, Intervention 52 [93] Agostini, Intervention 52 [94] Agostini, Intervention 52 [95] Echavarría, Intervention 50 [96] Appelgren, Intervention 54 [97] El-Khodari, Intervention 10 [98] Appelgren, Intervention 27 [99] Appelgren, Intervention 54 |