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Chapitre 3

Nutrition et infections, santé et maladies

L'interaction ou synergie de la malnutrition et des infections est la première cause de morbidité et de mortalité des enfants dans la plupart des pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Le nombre d'infections virales, bactériennes et parasitaires tend à augmenter et chaque type d'infection peut avoir des répercussions négatives sur l'état nutritionnel des enfants et des adultes. Une situation similaire existait en Amérique du Nord et en Europe entre 1900 et 1925; les maladies infectieuses courantes ont eu un impact sur la nutrition et ont entraîné des taux élevés de mortalité.

La synergie entre malnutrition et maladies infectieuses est maintenant reconnue et a été prouvée par les expérimentations sur les animaux. La présence simultanée de la malnutrition et de l'infection a des conséquences plus sérieuses pour l'hôte que si les deux fonctionnent séparément. Les infections aggravent la malnutrition et une mauvaise nutrition accentue la gravité des maladies infectieuses.

EFFETS DE LA MALNUTRITION SUR LES INFECTIONS
Le système immunitaire

Le corps humain peut résister à presque tous les types d'organismes ou toxines pouvant endommager les tissus et les organes: on appelle cela l'immunité. L'immunité est constituée en grande partie d'un système immunitaire particulier qui comprend les anticorps et les lymphocytes sensibilisés qui attaquent et détruisent les organismes spécifiques ou les toxines. Ce type d'immunité est appelé "immunité acquise". Une autre partie de l'immunité provient des réactions générales de défense de l'organisme: c'est l'immunité innée. Elle est due à:


Questions et réponses

Pourquoi les taux de mortalité concernant la rougeole sont-ils 200 fois plus élevés dans les pays en développement pauvres que dans les pays industrialisés ?

La raison principale vient du fait que l'enfant souffrant de malnutrition est souvent impuissant face à l'infection, tandis que l'enfant bien nourri peut la combattre et survivre.

Pourquoi tant de cas de kwashiorkor se développent-ils suite à une maladie infectieuse et tant de cas de marasme nutritionnel suite à une gastroentérite ?

Il est reconnu que les infections provoquent une perte accrue en azote et que la diarrhée diminue l'absorption des nutriments venant de l'appareil intestinal.

Il y a deux types d'immunités acquises élémentaires, elles sont étroitement apparentées. Dans l'une, le corps développe des anticorps circulants, les immunoglobulines capables d'attaquer les agents envahisseurs et de les détruire.

Ce type d'immunité est appelé "immunité humorale". Les anticorps circulent dans le sang et peuvent y rester un certain temps, de sorte qu'une seconde infection avec le même organisme est immédiatement maîtrisée. C'est le fondement même de certaines formes d'immunisation, conçues pour stimuler la production d'anticorps.

La deuxième forme d'immunité acquise est obtenue grâce à la fabrication d'un grand nombre de lymphocytes hautement spécialisés, spécifiquement sensibilisés contre les invasions d'agents étrangers. Ces lymphocytes sensibilisés ont la capacité d'attaquer les agents étrangers et de les détruire. Ce type d'immunité est appelé "immunité cellulaire". C'est un processus hautement élaboré sollicitant de nombreux organes du corps (la rate, le thymus, le système lymphatique et la moelle osseuse, entre autres) mais aussi des fluides corporels, en particulier le sang et ses composants, et la lymphe.

L'étude du système complexe immunitaire est appelée "immunologie".

Effets de la malnutrition sur la résistance aux infections

Un nombre considérable d'ouvrages et d'études documentés sur des animaux de laboratoire et sur des être humains démontrent que les maladies de carences alimentaires peuvent réduire la résistance de l'organisme face aux infections et avoir un impact négatif sur le système immunitaire.

Chez un sujet souffrant de malnutrition, certains mécanismes de défenses naturelles de l'organisme sont altérés et ne fonctionnent donc pas correctement. Des enfants atteints de kwashiorkor, par exemple, sont incapables de fabriquer des anticorps suite à une vaccination contre la typhoïde ou la diphtérie toxoïde. Après une thérapie protéique, ils peuvent à nouveau réagir correctement. De la même façon, les enfants souffrant de malnutrition protéique ont une réaction immunitaire défectueuse quand on leur inocule le vaccin contre la fièvre jaune. Les enfants souffrant de kwashiorkor et de marasme nutritionnel montrent une inhibition de réaction agglutinante face à l'antigène du choléra. Ces études démontrent assez clairement qu'un organisme souffrant de malnutrition est moins apte à se défendre contre l'infection.

Un autre mécanisme de défense en rapport avec la nutrition a été étudié: la leucocytose (production accrue de globules blancs) et la phagocytose (destruction des bactéries par les globules blancs). Les enfants souffrant de kwashiorkor ont un taux de leucocytes plus bas que la normale en présence d'une infection.

Plus importante encore, est la diminution chez les sujets souffrant de malnutrition de l'efficacité de la phagocytose par les leucocytes polynucléaires supposés réagir en cas d'attaques bactériennes. Dans les cas de malnutrition, ces cellules semblent avoir une capacité bactéricide intracellulaire moindre.

Bien que les enfants atteints de malnutrition aient fréquemment des taux d'immunoglobulines élevés (sans doute liés à la récurrence des infections), ils peuvent aussi avoir un affaiblissement de l'immunité à médiation cellulaire. Dans une étude récente, l'importance de cet affaiblissement était directement lié à la gravité de la malnutrition Protéino-énergétique. Les taux de transférrines sériques sont également bas chez ceux qui souffrent d'une malnutrition protéino-énergétique avancée, et ils mettent souvent beaucoup de temps à retrouver un taux normal, même après un régime alimentaire correct.

Un tout autre type d'interaction entre nutrition et infection peut être observé dans les effets de certaines maladies de carence sur l'intégrité des tissus. La réduction de l'intégrité de certaines surfaces épithéliales, et de façon notable la peau et les membranes muqueuses, diminue la résistance aux invasions et favorise l'accès aux organismes pathogènes. C'est le cas de la chéilite et de la stomatite angulaire que l'on rencontre chez les sujets carencés en riboflavine, des gencives saignantes et de la fragilité capillaire chez les carencés en vitamine C, de la dermatose écailleuse et de l'atrophie intestinale chez ceux qui ont une carence protéique avancée, et des lésions oculaires graves chez les carencés en vitamine A.

EFFETS DES INFECTIONS SUR L'ÉTAT NUTRITIONNEL

L'infection affecte l'état nutritionnel de différentes façons. La plus importante est sans doute l'infection bactérienne et les autres infections qui entraînent une perte accrue en azote de l'organisme. Cette répercussion a d'abord été démontrée dans les cas d'infections graves comme la fièvre typhoïde, puis elle a été remarquée dans des cas d'infections bénignes comme l'otite moyenne, l'angine, la varicelle et les abcès.

La perte en azote est le résultat de plusieurs mécanismes. Le plus important est sans doute la destruction accélérée des protéines tissulaires et la mobilisation des acides aminés, du muscle en particulier. L'azote est excrété dans les urines et entraîne une fonte musculaire flagrante.

La guérison complète dépend de la réintégration de ces acides animés sur les tissus une fois que l'infection est maîtrisée. Il faut pour cela que l'apport protéique soit supérieur aux normes d'entretien, durant la période post-infectieuse. Les enfants dont le régime alimentaire est faible en protéines ou ceux qui sont déjà en carence protéique verront leur croissance retardée pendant et après les infections. Dans les pays en développement, les enfants des familles pauvres ont davantage d'infections multiples et répétées durant la période qui suit le sevrage.

L'anorexie ou perte d'appétit est un autre facteur intervenant dans la relation infection/nutrition. Les infections, surtout si elles s'accompagnent de fièvre, entraînent souvent une perte d'appétit et donc une diminution de la ration alimentaire. Certaines maladies infectieuses provoquent généralement des vomissements, ce qui revient au même. Dans de nombreuses sociétés, les mères, mais aussi le personnel de santé dans bien des cas, pensent qu'il est préférable de ne pas donner à manger à un enfant qui a une infection et de le mettre au régime liquide.

Un tel régime peut être composé d'eau de riz, de soupes très diluées, d'eau uniquement, ou d'autres liquides pauvres en densité calorique et habituellement pauvres en protéines et autres nutriments essentiels. Le vieil adage "affamer une fièvre" est d'une validité douteuse, et cette pratique peut avoir des conséquences terribles pour l'enfant dont l'état nutritionnel est déjà précaire.

Dans certaines communautés, le traitement traditionnel de la diarrhée, est de prescrire un purgatif ou lavement. La gastro-entérite peut déjà avoir entraîné une baisse d'absorption des nutriments par les aliments, et ce traitement peut donc aggraver cet état.

Ces exemples montrent comment des maladies comme la rougeole, les infections respiratoires des voies hautes et les infections gastro-intestinales peuvent contribuer au développement de la malnutrition. La relation entre parasites intestinaux, diarrhée, rougeole et nutrition est traitée ci-après.

Infestations parasitaires

Les infestations parasitaires, surtout les infestations intestinales helminthiques, sont extrêmement courantes et leurs effets néfastes sur l'état nutritionnel est de plus en plus démontré, particulièrement chez ceux qui en sont très atteints. Les ankylostomes (Ancylostoma duodenale et Necator americanus) contaminent plus de 800 millions de personnes, principalement les pauvres des pays tropicaux et subtropicaux. Le parasite avait pour effet de provoquer un grand nombre de maladies débilitantes dans le sud des Etats-Unis. Les ankylostomes provoquent des hémorragies intestinales et, bien qu'il semble qu'une partie des protéines, malgré les hémorragies, soit absorbée plus bas dans l'appareil intestinal, la perte en fer est considérable.

Les ankylostomes sont à l'origine de nombreuses anémies ferriprives dans un grand nombre de pays. L'importance de la perte en sang et en fer suite aux infestations par ankylostomes a fait l'objet d'une étude (Layrisse et Roche, 1966): l'hémorragie fécale par N. americanus s'élevait à 0,031±0,015 ml par jour. On a estimé qu'environ 350 ankylostomes dans l'intestin pouvaient causer une perte de 10 ml de sang par jour, soit 2 mg de fer. Il n'est pas rare de trouver des densités infectieuses plus élevées.

Au Venezuela, ou une grande partie de cette étude a été réalisée, les pertes en fer supérieures à 3 mg par jour provoquaient une anémie chez l'homme adulte; des pertes deux fois moindres entraînaient fréquemment une anémie chez la femme en âge de procréer et chez le jeune enfant.

Dans le monde, l'ascaris (Ascaris lumbricoides) est le parasite intestinal le plus répandu. On estime qu'environ 1,2 milliard de personnes (un quart de la population mondiale) sont infestées par des ascaris. Comme l'ascaris est long (15 à 30 cm), ses propres besoins métaboliques doivent être considérables. On trouve des densités élevées de parasites surtout chez les enfants vivant dans un milieu où l'assainissement est médiocre. Des complications (ascaridiose) peuvent apparaître, comme l'obstruction intestinale, ou encore la présence de parasites dans des endroits étonnants tels que le canal cholédoque. Dans certains pays, il est une cause d'urgence chirurgicale chez les enfants, mais nombreux sont ceux qui meurent d'occlusion. Toutefois, chez la plupart des enfants souffrant de malnutrition, on constate qu'un déparasitage améliore leur croissance.

Le trichocéphale (Trichuris trichiura) loge dans le gros intestin et touche environ 600 millions de personnes dans le monde. C'est un parasite de petite taille qui peut provoquer des diarrhées et des douleurs abdominales chez les enfants particulièrement infestés.

Beaucoup d'enfants vivant dans des conditions sanitaires insalubres souffrent d'infestations multiparasitaires. Quand ces trois types de parasites cohabitent chez les enfants souffrant de malnutrition, un déparasitage améliore la croissance, diminue les problèmes de malnutrition et augmente leur appétit. On observe aussi un effet positif sur la condition physique et peut-être sur le développement psychologique.

La bilharziose, ou schistosomiase, est une infestation courante dans certains pays. Elle a aussi pour conséquence une dénutrition, un petit appétit et un retard de croissance. Les trois agents responsables de la schistosomiase (Schistosoma haematobium, S. mansoni et S. japonicum) sont des furcocercaires (larves) plutôt que des parasites ordinaires.

La relation existant entre les parasitoses intestinales protozoaires et la nutrition est moins connue. Mais les amibes à l'origine de graves dysenteries et d'abcès hépatiques sont des organismes hautement pathogènes; une infestation par Giardia lamblia peut entraîner une mauvaise assimilation des aliments et des douleurs abdominales.

Le bothriocéphale ou ténia du poisson (Diphyllobothrium latum) est un parasite avide de vitamine B12 pouvant entraîner une carence chez son hôte; une anémie mégaloblastique peut alors apparaître. La diphyllobothriose est courante chez les populations de zones géographiques précises, principalement dans les zones tempérées où l'on consomme fréquemment du poisson insuffisamment cuit.

Dans de nombreux pays industrialisés du Nord, un déparasitage régulier est pratiqué sur les animaux d'élevage et domestiques comme les chats et les chiens. Il a été démontré que les porcs recevant régulièrement un anti-helminthique avaient une meilleure croissance. Maintenant qu'il existe des médicaments à large spectre d'action antiparasitaire, comme l'albendazole et le mébendazole, efficaces et relativement peu onéreux, un déparasitage systématique de masse devrait être pratiqué dans les pays où les populations sont touchées par les parasitoses et où les cas de malnutrition protéino-énergétique et les anémies sont courantes. De même, les efforts réguliers pour soigner les enfants atteints de schistosomiase avec du métrifonate ou du praziquantel semblent préférables pour éliminer d'éventuelles pathologies graves et pour améliorer leur état nutritionnel. Une plus grande attention doit être portée aux populations soignées par chimiothérapie pour ces infections. Elle doit s'accompagner d'une intensification de mesures de santé publique notamment, afin de limiter leur transmission, ce qui inclut bien sûr l'amélioration de l'assainissement et des approvisionnements en eau. De tels efforts amélioreraient la santé et l'état nutritionnel de millions d'enfants dans le monde.

Effets de la diarrhée

De nombreuses études ont montré que les infections gastro-intestinales, et particulièrement les diarrhées, aggravent sérieusement la malnutrition protéino-énergétique. La diarrhée est courante chez le jeune enfant, et elle peut lui être fatale. Les enfants nourris au sein bénéficient souvent d'une protection durant les premiers mois de la vie; la diarrhée est donc souvent caractéristique de la période de sevrage. La diarrhée de sevrage est extrêmement courante dans les communautés pauvres partout dans le monde, aussi bien dans les zones tropicales que tempérées. L'agent responsable varie d'un cas à l'autre et n'est pas souvent identifié. Jusqu'au début du XXe siècle, la diarrhée était une cause majeure de décès chez les enfants dans les pays industrialisés.

Plusieurs études ont montré que les cas de malnutrition augmentent l'été, quand la diarrhée est la plus fréquente. Par exemple, selon une étude effectuée en République islamique d'Iran, deux fois plus de cas de malnutrition protéino-énergétiques sont hospitalisés durant la saison chaude qu'en hiver. L'incidence des maladies diarrhéiques suivait le même schéma.

Des études faites dans les hôpitaux et les communautés indiquent que souvent les gastro-entérites et d'autres maladies infectieuses comme la rougeole ou la varicelle aggravent les cas de xérophtalmie et de kératomalacie. La xérophtalmie est la cause principale de cécité dans plusieurs pays d'Asie; elle est aussi courante dans certaines parties d'Afrique, d'Amérique latine et du Proche-Orient.

Les parasitoses favorisent les diarrhées et l'avitaminose A. Le mécanisme exact de cette relation de cause à effet n'est pas établi, mais il est probable que de nombreuses infections ont pour conséquence de réduire l'absorption de vitamine A, et que certaines d'entre elles entraînent une baisse de consommation d'aliments contenant de la vitamine A et du carotène.

La diarrhée peut avoir une issue fatale, car elle entraîne habituellement une déshydratation sévère (voir chapitre 37). On peut considérer la diarrhée - et la déshydratation qui peut l'accompagner - comme étant une forme de malnutrition. La déshydratation est une "carence" en eau et en électrolytes minéraux dans le corps; l'apport de ces éléments en quantités adéquates suffit à soigner cette carence. Cet état porte le nom de "malnutrition en électrolytes liquides". Un apport en eau et en minéraux adéquats puisés dans la nourriture préparée à la maison, l'allaitement maternel ou l'administration par voie orale de liquides de réhydratation est de nos jours le traitement le plus courant. Cette forme de traitement permet vraiment à l'organisme de reconstituer ses réserves alimentaires. Toutefois, la prévention exige des mesures et des interventions susceptibles de réduire les infections, la pauvreté et la malnutrition. Elles sont essentielles dans les pays où l'on veut réduire les effets de la diarrhée.

Mortalité due à la rougeole et d'autres maladies infectieuses

Une illustration frappante de l'effet de la malnutrition sur les infections est fournie par les taux de mortalité suite aux maladies courantes de l'enfance telles que la rougeole. La rougeole est une maladie grave, responsable d'environ 15 pour cent des décès dans de nombreux pays pauvres. La raison en est que les jeunes enfants qui développent cette maladie ont un mauvais état nutritionnel, une résistance physique amoindrie et une santé précaire. Au Mexique, le taux de mortalité dû à la rougeole est 180 fois plus élevé qu'aux Etats-Unis; il est 268 fois plus élevé au Guatemala, et 480 fois plus élevé en Equateur. En Amérique du Nord, en Europe et dans d'autres pays industrialisés, le taux de mortalité dû à la rougeole a diminué de façon radicale au cours du XXe siècle.

L'écart dans la gravité clinique et les taux de mortalité de la rougeole entre pays développés et pays en développement est dû non seulement aux différences dans la virulence du virus mais aussi aux différences dans l'état nutritionnel des hôtes. Par exemple, durant une épidémie de rougeole en République-Unie de Tanzanie causant une mortalité considérable parmi les enfants des familles les plus pauvres, on a pu observer que les décès dus à la maladie étaient extrêmement rares dans les familles à revenus moyens (employés d'hôpitaux, par exemple). La rougeole peut aussi être responsable de la carence en vitamine A. Il a été démontré qu'une supplémentation en vitamine A aux enfants atteints de rougeole et carencés en vitamine A augmentait leurs chances de survie. La vaccination contre la rougeole s'avère très efficace, et dans de nombreux pays les cas de rougeole ont nettement diminué.

D'autres maladies infectieuses courantes, comme la coqueluche, la diarrhée et les infections respiratoires, ont des conséquences beaucoup plus graves chez les enfants souffrant de malnutrition que chez ceux qui sont correctement nourris. Les statistiques montrent que ces maladies transmissibles sont une cause majeure de décès dans la plupart des pays en développement. On a observé dans plusieurs pays d'Afrique, à la fin de la famine au Sahel, que très peu d'enfants mouraient d'inanition ou de malnutrition; mais le nombre de décès dus à la rougeole, aux infections respiratoires et autres maladies infectieuses restait encore très supérieur à celui d'avant la famine. Il est clair qu'un grand nombre, voire la majorité de ces décès avait pour cause la malnutrition. Cela peut paraître discutable pour des parents affligés mais, pour le planificateur et le responsable de la santé publique, il est important de savoir dans quelle mesure les taux de mortalité et de morbidité sont liés à la dénutrition.

Une enquête interaméricaine sur la mortalité infantile dans 10 pays a montré que sur 35000 décès d'enfants de moins de 5 ans, la malnutrition était, dans 57 pour cent des cas, à l'origine du décès. On a découvert que la carence nutritionnelle était le problème de santé le plus grave, et elle était souvent associée à des maladies infectieuses courantes.

Infection par le VIH et le sida

Aucune maladie, sans doute, n'a une action aussi manifeste et dramatique sur l'état nutritionnel que le sida; c'est une maladie causée par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Elle a été longtemps appelée "la maladie de la maigreur" en Ouganda parce que sa manifestation la plus visible était l'extrême maigreur. Bien que les mécanismes par lesquels le sida entraîne une malnutrition sévère n'aient pas été démontrés, il n'y a aucun doute sur le fait que la maladie et les infections secondaires qui lui sont associées peuvent provoquer une anorexie flagrante, des diarrhées, une mauvaise assimilation des nutriments ainsi que des pertes accrues en azote. Les infections et les conditions qui font partie du système complexe des maladies du sida étaient connues pour affecter l'état nutritionnel bien avant que ne soit identifié le virus du sida: la tuberculose a longtemps été associée à la cachexie et à la perte de poids, et les cancers tels que le sarcome ont longtemps été connus pour entraîner un état de dépérissement.

Le chapitre 7 traitera de la relation du sida et l'allaitement.

LES MALADIES CHRONIQUES ET LA VIEILLESSE

Il existe une relation entre certaines maladies chroniques et l'immunoréaction. Il a été clairement démontré que la réaction immunologique est plus faible chez les personnes âgées, et la dénutrition aggrave ce déclin. L'association du diabète et d'autres infections est bien connue, et l'on sait que, dans le diabète, la réaction cellulaire est souvent affaiblie. Certains cancers sont également liés à une immunoréaction affaiblie (voir chapitre 23).

LES ÉTUDES D'INTERVENTION

Relativement peu d'études sur le terrain ont été faites pour démontrer les effets de régimes alimentaires améliorés sur les infections ou les effets nutritionnels de la lutte contre les maladies infectieuses. Une étude menée dans le village de Candelaria en Colombie a montré qu'une alimentation complémentaire des enfants entraînait une nette diminution des diarrhées. Une étude similaire menée dans un village du Guatemala a montré que l'introduction journalière d'un supplément nutritif chez les enfants d'âge préscolaire entraînait une diminution significative de la mortalité et de la morbidité provoquées par certaines maladies courantes.

Une étude classique dirigée à Narangwal au Punjab (Inde) a démontré de façon indéniable la valeur d'un programme qui associe soins nutritionnels et soins de santé. Les enfants ont été divisés en quatre groupes. Le premier groupe a reçu des suppléments alimentaires; le deuxième, des soins de santé; le troisième, des suppléments alimentaires et des soins de santé; et le quatrième a servi de groupe témoin. Pour ce qui est de l'état nutritionnel et de certains autres paramètres de santé, le traitement combiné a donné les meilleurs résultats; la seule supplémentation nutritionnelle a également donné de bons résultats. Par rapport au groupe témoin, on n'a observé aucune amélioration de l'état nutritionnel du groupe qui ne recevait que des soins de santé, sans supplément alimentaire.

NUTRITION, INFECTIONS ET DÉVELOPPEMENT NATIONAL

Il existe un lien manifeste et très importante entre l'état nutritionnel et les infections et entre les infections et la malnutrition. La majorité des enfants des pays en développement souffrent de malnutrition avant d'avoir atteint l'âge de 5 ans. Les problèmes d'infection et de malnutrition sont étroitement liés, et pourtant les programmes de lutte contre les maladies transmissibles et les programmes d'amélioration de la nutrition sont souvent entrepris indépendamment les uns des autres. Il serait beaucoup plus efficace d'attaquer les deux problèmes en même temps.

Si l'on veut améliorer la santé et faire baisser la mortalité infantile, il faut à la fois lutter contre les maladies infectieuses et améliorer les rations alimentaires des enfants et les soins qu'ils reçoivent. Il apparaît de plus en plus que les parents sont davantage désireux de contrôler la taille de leur famille quand les enfants qui naissent ont de meilleures chances d'atteindre l'âge adulte, sans compter la nécessité d'apporter un environnement stimulant à l'enfant qui grandit.

Il y a un siècle, la situation dans les plus grandes villes industrielles d'Europe et d'Amérique du Nord était comparable à celle que l'on trouve aujourd'hui dans les pays en développement les plus pauvres. A New York pendant l'été de 1892, le taux de mortalité infantile était de 340 pour mille, la diarrhée étant responsable de la moitié de ces décès. Les améliorations en matière de nutrition, par le biais de stations laitières notamment, et la diminution des maladies infectieuses ont contribué à réduire de moitié ces taux de mortalité en moins de 25 ans. Au Royaume-Uni, au début du XXe siècle, le rachitisme associé à d'autres maladies infectieuses faisait des ravages dans les banlieues insalubres et enfumées des villes industrielles, et la rougeole a été très souvent fatale pour les enfants des familles pauvres, sans doute à cause d'une alimentation pauvre elle aussi.

La combinaison malnutrition/infections met en péril la santé de la plupart des populations mondiales en situation de précarité. Ce péril permanent menace particulièrement les enfants de moins de 5 ans. Beaucoup d'enfants meurent parmi ceux qui souffrent à la fois d'infections et de malnutrition. Ils sont continuellement remplacés en réponse au désir puissant des parents, et souvent par nécessité, d'avoir des enfants qui survivent. Les enfants qui vivent au-delà de 5 ans ne sont pas tant ceux qui ont échappé à la malnutrition ou aux maladies infectieuses que ceux qui ont survécu, mais ils échappent rarement aux séquelles permanentes de leurs antécédents sanitaires précoces. Ils sont souvent retardés dans leur développement physique, psychologique ou comportemental; ils peuvent aussi présenter d'autres handicaps qui affectent leur capacité de réagir comme des adultes normaux et diminuent probablement leur espérance de vie. Le manque de stimulation du milieu et une foule d'autres privations liés à la pauvreté sont d'autres facteurs qui influencent le développement de ces enfants. Le pari des agents sanitaires, des économistes du développement, des gouvernements et des institutions internationales est de réduire au mieux la morbidité, la mortalité et les séquelles résultant de l'interaction entre malnutrition et infections. Les responsables politiques doivent se convaincre que l'attention portée à ces problèmes est non seulement hautement souhaitable mais aussi politiquement avantageuse.

La lutte contre les maladies infectieuses et les projets destinés à fournir des aliments de qualité en quantité suffisante aux populations sont des actions totalement justifiées et des volets importants de tout plan de développement. Ces actions peuvent contribuer à l'augmentation de la productivité et à des vies meilleures. Une diminution du taux de mortalité infantile et des répercussions de la maladie, et une population mieux nourrie sont probablement de meilleurs indicateurs de développement que les moyennes nationales du nombre de téléphones ou d'automobiles, ou même que les revenus en dollars ou en pesos par habitant. La lutte contre les maladies infectieuses et l'amélioration de la nutrition méritent tous deux une place importante dans les programmes de développement et les politiques d'assistance bilatérale ou multilatérale en faveur des pays à faibles revenus. Les efforts doivent porter conjointement sur les deux domaines, de manière coordonnée, parce qu'ils se renforceront mutuellement et seront plus rentables que s'ils sont accomplis séparément. Il faut également fournir un environnement stimulant à l'enfant en croissance. L'histoire et l'épidémiologie sont là pour montrer que la réduction de la mortalité infantile et juvénile ainsi que les améliorations en matière de santé et d'état nutritionnel peuvent être des conditions préalables à la réussite des efforts de planification familiale. L'espacement des naissances est un point crucial, particulièrement pour les femmes qui sont déjà surchargées de travail et sous-alimentées. Il faudrait aider les parents à décider du nombre d'enfants qu'ils désirent, et ce, quel que soit le pays. Aussi alarmante que soit la situation de malnutrition et d'infections chez les enfants, on a tendance, en général, à oublier ces conditions chez les adultes. Et pourtant un état de faiblesse, de léthargie, d'absentéisme, une productivité faible et le stress peuvent avoir des répercussions sociales et économiques sur l'individu, la famille et la communauté.

Recommander des programmes coordonnés visant ces trois objectifs que sont la lutte contre les maladies infectieuses, l'amélioration de la nutrition et la mise à disposition du plus grand nombre des services de planification familiale semblent être d'une logique inattaquable. Ces efforts peuvent se renforcer mutuellement.

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