1.1 Les opérateurs économiques
1.2 La consommation
1.3 Lorganisation spatiale
1.4 Les aspects institutionnels
1.5 Les aspects sanitaires
Lapparition des activités de préparation et de commerce des aliments dans les villes africaines nest pas un phénomène récent. Par exemple, bien avant la colonisation européenne, les populations des villes comme Tombouctou et Kano étaient approvisionnées en aliments divers par des commerçants et artisans. Partout dans la région, ces activités se sont amplifiées et transformées à partir des années 60 avec le développement et lexplosion démographique des centres urbains. On peut rappeler quen Afrique, les migrants ruraux représentent lessentiel de la croissance annuelle de la population urbaine (5 à 8 pour cent sur 7 à 10 pour cent daugmentation totale). A ces chiffres, il faut ajouter la part des migrants saisonniers. Seulement à Dakar, on les estime à environ 100 000 par an.
La création demplois dans le secteur formel ne suit pas cet accroissement de main-duvre disponible en ville qui soriente alors vers les petits métiers du secteur artisanal urbain, y compris lalimentation de rue, la plupart sous une économie informelle. Le secteur de lalimentation de rue est donc souvent informel dans le sens où ces micro-entreprises se sont constituées spontanément et quelles ne répondent pas aux obligations réglementaires officielles. La complexité et le large éventail de situations rencontrées font quil est difficile de fixer un niveau dirrégularité de lalimentation de rue et quil y a diverses formes dinformalité dans ce secteur. Ce nest pas linformalité qui est le facteur le plus caractéristique, cest bien le caractère social et économique de lalimentation de rue qui est important: elle correspond à un marché et répond à des besoins essentiellement urbains.
Dans beaucoup de villes de pays en développement, le quart des actifs, notamment les femmes, vivent de la vente des aliments de rue (voir tableau 1). Elles choisissent un secteur où elles sont traditionnellement compétentes (préparation des aliments) et qui présente certains avantages non négligeables, comme ceux de nécessiter peu dinvestissement (elles utilisent les équipements déjà disponibles dans leur «cuisine»), de leur permettre de concilier leurs travaux domestiques avec lartisanat marchand et de nourrir à coût réduit leur famille. Les vendeurs sont donc souvent des vendeuses et on observe une spécialisation sexuelle marquée selon les produits vendus: le grillage des viandes est plutôt le domaine des hommes, la préparation de repas plutôt celui des femmes, dautres activités comme la préparation du lait caillé, des sucettes glacées ou la préparation des beignets peuvent être exercées indifféremment par des hommes ou des femmes. Une spécialisation ethnique est parfois notée: les Peuhls, Maures et Haoussas sont largement majoritaires dans le grillage des viandes, par exemple.
Lâge moyen des vendeurs est de 35 ans et les opérateurs emploient souvent des aides qui sont généralement beaucoup plus jeunes. Très souvent, la famille entière participe aux divers stades de lachat des produits et matières premières, à la préparation des aliments et à leur vente. Nombre denfants assurent la vente ambulante des aliments. Le niveau déducation formelle des opérateurs est très bas dans lensemble, avec environ 58 pour cent dillettrés, taux non sans rapport avec les taux et niveaux de scolarisation dans les pays de la région.
Les aliments vendus sur la voie publique savèrent aussi une source de revenu sûre et importante (voir tableau 2). Les revenus obtenus servent principalement à renouveler les stocks de matières premières et les équipements et à assurer certaines dépenses au niveau du ménage (logement, nourriture, habillement, frais de santé et de scolarité). Les bénéfices sont épargnés par le système traditionnel de tontine ou par le système dépargne modulé. Cependant, les fonds ainsi épargnés sont plus utilisés pour des dépenses sociales (fêtes communautaires, mariage, décès, etc.) que pour un investissement productif dans le secteur. Les opérateurs du secteur travaillent environ dix heures par jour, six jours sur sept et ne bénéficient pas de congés annuels. Leur ancienneté est généralement faible dans les structures mobiles mais peut atteindre jusquà quinze ans dans les structures fixes. Limportance économique et sociale du secteur informel de lalimentation est facilement illustrée par quelques chiffres: un chiffre daffaires journalier de francs CFA 140 millions a été calculé pour la seule ville de Ouagadougou, il est estimé à francs CFA 9 milliards annuellement à Cotonou, il sélève à francs CFA737millions pour le secteur de lalimentation de rue situé autour des écoles à Bamako.
Si le secteur de lalimentation de rue non seulement se maintient mais continue à se développer dans les villes, cest quil répond à une forte demande des populations urbaines. Il propose des aliments à la fois traditionnels à base de produits locaux et aussi des plats nouveaux adaptés aux conditions de vie urbaine et aux revenus faibles de nombreux résidents urbains.
Ce secteur offre aux populations des villes des aliments prêts à être consommés, au goût populaire et à des coûts acceptables. En effet, de par labsence de moyens de transport adéquats et de temps, de nombreux travailleurs, employés, étudiants, écoliers, etc., ne peuvent rentrer chez eux pour les repas. Par manque de système efficace de restauration collective, comme les cantines sur les lieux de travail, ils achètent dans la rue de quoi se nourrir à peu de frais par rapport à ce que leur coûterait un repas au restaurant ou même à la maison. Les conditions dhébergement précaire dans certaines zones urbaines, en particulier celles des familles les plus défavorisées, ne permettent pas toujours la préparation des repas à la maison et les conduisent à dépendre de lalimentation de rue. Certaines opérations de préparation daliments traditionnels ne sont plus compatibles avec le travail des femmes à lextérieur ou avec les conditions dhabitat (pas de possibilité de pilage dans les appartements ou pas de cour intérieure par exemple). La demande croissante de mets et daliments préparés et vendus sur la voie publique sexplique aussi par les phénomènes de migration qui entraînent laugmentation du nombre de personnes vivant seules, souvent en situation difficile et avec de bas revenus. Consommer ses repas dans les rues, le matin ou à mid,i devient un lieu commun en Afrique. Les hommes célibataires de moins de trente ans sont les consommateurs les plus nombreux et assidus, y compris les écoliers et les étudiants (voir tableau 3). Le montant consacré à lachat daliments de rue varie suivant les pays et les catégories socio-professionnelles des consommateurs. En effet, 20 pour cent du budget alimentaire à Dakar et en Côte dIvoire est consacré à la restauration hors domicile et seulement 5 pour cent à Bamako.
Spatialement, le secteur de lalimentation de rue sépanouit avec souplesse dans les zones de forte activité économique et de forte concentration démographique: quartiers daffaires, zones portuaires, zones industrielles et artisanales, centres administratifs, marchés, gares, etc. Il est également perceptible le soir dans les zones dhabitat, en relation avec les activités de détente. La structure du tissu urbain des pays africains, conçue sur des trames durbanisme occidentales se révèlent inadaptées à laccueil du secteur de rue qui prolifère dans tous les interstices et les espaces de respiration de la ville. Le centre colonial est structuré en réseaux assainis, découpant nettement les espaces selon des concepts importés: espace public/privé, caché/montré, propre/sale, commandement/exécution, marginalisation des quartiers indigènes. Lespace collectif semi-public nexiste pas et le secteur informel a colonisé les espaces publics. Les trottoirs en terre battue encrassée ou en dalles défoncées sont envahis de stands vétustes, couverts de vieilles tôles ou de toiles plastiques qui risquent de senflammer, sans mobilier, ou précaire et sans protection. Ils sont le symbole de la vie animée de la rue en Afrique, mais au-delà de cet espace coloré qui crée le réel coeur de la ville de jour comme de nuit, se cache linstabilité et la précarité due à la non reconnaissance juridique du secteur et de ses acteurs.
Tableau 2 - LES REVENUS JOURNALIERS PROVENANT DE LALIMENTATION DE RUE
|
Bénin (Cotonou) |
FCFA |
1 500 - 15 000 |
|
|
Burkina Faso |
FCFA |
7 102 |
|
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Congo |
FCFA |
2 000 - 20 000 |
|
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Côte dIvoire (Abidjan) |
FCFA |
3 000 - 10 000 (22 000 mensuel)* |
|
|
Madagascar |
eq.FF |
71 - 143/mois |
|
|
Malawi |
MK |
60 - 250/mois |
|
|
Mali |
FCFA |
1 000 - 3 000 |
|
|
Maroc (Rabat-Salé) |
DH1 |
1 715 (DH 800/jour)* |
|
|
Mauritanie (Nouakchott) |
Ouguiya |
200 - 5 000 (salaires publics inférieurs) |
|
|
Nigeria |
|||
|
|
(Ibadan) |
éq. $EU |
25/mois* |
|
|
(Kaduna) |
éq. $EU |
3,5 |
|
|
(Lagos) |
éq. $EU |
2,5 |
|
Tanzanie |
éq. $EU |
3,5 |
|
|
Togo |
T Sh |
120 (T Sh 24/jour)* |
|
|
Ouganda (Kampala) |
éq. $EU |
10 (éq. 50 $EU/mois) |
|
Source: Documents et rapports de projets sur le secteur informel de lalimentation, 1989-1996. FAO.* Salaire minimum garanti par le pays.
1 50% des vendeurs de nuit ont un revenu supérieur à celui dun enseignant de lécole secondaire.
Malgré lénorme activité économique engendrée par la vente daliments sur la voie publique et malgré son rôle pour répondre aux besoins alimentaires, socio-économiques et culturels de la communauté, ce secteur nest pas reconnu comme tel dans de nombreux pays et continue à être traité comme un «commerce parallèle». Certains espèrent même le voir disparaître avec le développement du pays; or, lexpérience tant en Asie quen Amérique latine, montre que ce nest pas le cas.
Dans les pays africains, plusieurs structures interviennent dans la gestion du secteur de lalimentation de rue: services dhygiène au niveau des
Tableau 3 - LATYPOLOGIE DES CONSOMMATEURS PAR RAPPORT AU TOTAL DU GROUPE CONSIDÉRÉ (%)
|
Pays |
Hommes |
Célibataires |
Moins de 30 ans |
Fréquentation |
||
|
|
|
|
|
1 fois/jour |
2 fois/jour |
|
|
Côte dIvoire |
74 |
66 |
35 |
52 |
- |
|
|
(Abidjan) |
|
|
|
|
|
|
|
Ghana (Accra) |
65 |
71 |
75 |
36 |
44 |
|
|
Mali (Bamako) |
- |
- |
60 |
58 |
- |
|
|
Maroc (Rabat-Salé) |
(majorité) |
(majorité) |
60 |
- |
- |
|
|
Nigeria |
||||||
|
|
(Ibadan) |
58 |
49 |
70 |
40 |
34 |
|
|
(Kaduna) |
62 |
66 |
75 |
43 |
14 |
|
|
(Lagos) |
70 |
31 |
56 |
46 |
26 |
|
Ouganda (Kampala) |
76 |
58 |
77 |
- |
- |
|
|
Zaíre (Kinshasa) |
95 |
53 |
(âge moyen 38 ans) |
- |
- |
|
Source: Documents et rapports de projets sur le secteur informel de lalimentation, 1989-1996. FAO.Municipalités et du Ministère de la santé, services vétérinaires du Ministère de lagriculture ou équivalents municipaux, contrôle des prix par le Ministère du commerce, service des pêches, etc. Différents contrôles sappliquent: contrôle de la qualité des aliments (observation directe, prise déchantillons, etc.), contrôle des prix, surveillance sanitaire des personnels et structures de préparation et de vente (certificat de santé, autorisation municipale, etc.). Cependant, la faiblesse des institutions, leur manque de coordination, leur manque de ressources en moyens humains et financiers, linadéquation des structures et des méthodes de travail, ne permettent pas aux différents services concernés de sacquitter efficacement de leurs tâches de contrôle, déducation ou de répression.
(-) pas dinformation disponible.
N.B.: Ce tableau a été dressé à partir détudes plus ou moins ponctuelles effectuées de 1987 à 1995 avec des objectifs divers et selon des méthodologies différentes. Ces chiffres sont donc indicatifs et ne peuvent que difficilement être comparés entre eux.
Dans lensemble, labsence de surveillance officielle de la vente ambulante des aliments préparés sur la voie publique entraîne toutes sortes de problèmes mettant directement en jeu la santé des consommateurs.
Les études entreprises à ce jour font état de lutilisation de matières premières et ingrédients de mauvaise qualité microbiologique, voire en état de décomposition, deau non potable sous forme de boissons diverses ou sous forme de glace, dadditifs alimentaires non autorisés ou en quantité inappropriée, de vaisselles et emballages impropres au contact avec les aliments ou insuffisamment nettoyés. De mauvaises techniques de préparation, demballage, de conservation et de vente des aliments dans un environnement précaire (manque deau potable, proximité de voies dévacuation des eaux usées, des égouts et tas dordures, chaleur ou ensoleillement excessif) risquent aussi dêtre à lorigine de contamination microbiologique. Dautre part, les fraudes et falsifications sont nombreuses dans le secteur informel de lalimentation, à savoir lomission dingrédients essentiels ou la réduction en teneur de certains ingrédients (par exemple des jus de fruits sans fruits, des sauces à la viande où seuls les os sont présents, etc.). Quelques données ponctuelles ont été obtenues sur les types de contamination microbiologique. Des cas dintoxications alimentaires causés par les aliments de rue ont été reportés dans plusieurs pays et la presse sen fait souvent lécho lorsque les cas sont particulièrement nombreux ou mortels.
Finalement, on ne saurait ignorer les conséquences sur lenvironnement urbain de la préparation et la vente des aliments sur la voie publique. Elles ont pour noms: fumées des «cuisines», obstructions des réseaux dassainissement, encombrement et dégradation des voies de circulation (rues et trottoirs), ordures et eaux usées jetées sur la voie publique, aggravant ainsi la situation déjà précaire de linfrastructure des villes des pays africains, caractérisées principalement par le manque dadduction en eau potable et de moyens dévacuation des déchets et eaux usées. Signalons encore les risques daccidents de la circulation générés par lencombrement des espaces de la chaussée ou des trottoirs, la tension et la compétition sauvage pour disposer des espaces marchands ou des points deau selon des modalités qui cèdent volontiers à la violence et à la brutalité. Les principales conséquences du manque dinfrastructure et daménagement dhygiène sont linsalubrité, linconfort et linsécurité. Ces problèmes dépassent les aspects techniques et sanitaires et relèvent du domaine socio-juridique. Il est impossible dassurer un service adapté à des usagers qui nexistent pas officiellement, et il est difficile de leur demander de respecter un environnement qui ne les sert pas alors que des taxes sont malgré tout régulièrement prélevées.