4.1 Repenser lespace urbain
4.2 Réévaluer les partenaires institutionnels
4.3 Motiver les opérateurs de lalimentation de rue
Lalimentation de rue, et le commerce de rue en général, font dériver la ville africaine vers le chaos. Force est de constater que les formes traditionnelles de gestion et dintervention, à caractère technocratique et unilatéral, montrent aujourdhui leur impuissance.
En se basant sur les conclusions et recommandations des experts et participants que la FAO a réuni à loccasion de diverses réunions régionales et internationales sur le secteur informel de lalimentation et lévaluation des résultats obtenus dans les projets, il apparaît que diverses mesures permettraient daméliorer la situation de lalimentation de rue, à savoir lactualisation et lapplication de la réglementation adéquate, lamélioration des techniques et méthodes de préparation, de manipulation et de conservation des aliments, la formation des vendeurs dans ces techniques et autres notions dhygiène alimentaire, et léducation des consommateurs.
En fait, les leçons tirées des programmes détude du secteur sont nombreuses, à savoir, dune part, que tout activité visant à promouvoir le secteur tend à condamner progressivement et implicitement son informalité ou marginalité, dautre part, lévolution des approches danalyse de lalimentation de rue fournit une méthodologie testée sur le terrain qui a permis de mieux cerner le secteur et didentifier des mesures concrètes pour le promouvoir, tout en le contrôlant.
En effet, les premières études se limitaient à analyser la qualité des aliments circulant dans les rues sur la base dun échantillonnage représentatif permettant didentifier déventuelles contaminations microbiologiques ou chimiques. Cette approche a permis de cerner les contaminants les plus courants et les aliments les plus susceptibles de contamination ou dadultération. Les limites de cette approche tenaient principalement aux budgets qui conditionnent la taille de léchantillon et, par conséquent, la représentativité de certaines études.
La deuxième approche a consisté à affiner les résultats obtenus précédemment. Les études se focalisaient sur certains aliments ou sur certains contaminants des plus courants. On a ainsi pu obtenir, avec des budgets semblables, des indications plus représentatives des contaminations sur tel ou tel type daliment. Cependant, cette approche ne permettait pas didentifier les causes de la contamination.
La troisième approche se concentrait sur létude de toutes les étapes de la filière (achat des matières premières, transformation, cuisson, stockage, conservation, transport, vente, etc.) dun type daliment. Elle a permis didentifier plus aisément les bonnes pratiques de préparation à appliquer dans le secteur de lalimentation de rue, les innovations technologiques réplicables et les pratiques dhygiène des aliments à mettre en uvre. Cependant, là encore, cette approche sest avérée limitée dans la mesure où les méthodes permettant lamélioration de la qualité dans la filière étaient peu appliquées par des opérateurs difficiles à motiver et, en général, mal comprises par les consommateurs.
La quatrième approche a donc incorporé, non seulement des enquêtes de type traditionnel pour mieux connaître les opérateurs du secteur, mais aussi des méthodes de type participatif avec les opérateurs du secteur et des enquêtes auprès des consommateurs afin didentifier les contraintes des préparateurs/vendeurs, dune part, et de mieux comprendre lattitude du consommateur et ses attentes, de lautre.
Ces diverses approches ont aidé à faire évoluer les concepts sur le secteur de lalimentation de rue. Parties de considérations purement scientifiques et techniques sur les contaminants et la préparation des aliments, les études couvrent aujourdhui des aspects culturels, juridiques, fonciers, réglementaires, socio-économiques, urbanistiques, etc. La nécessité dune action multidisciplinaire dans lapproche du secteur et son amélioration savère donc incontournable par lexpérience.
Lintégration à terme du secteur de lalimentation de rue au tissu économique et urbanistique de villes africaines passe par une réévaluation des fonctions de la ville, de son organisation spatiale et de sa gestion.
Le commerce de rue est devenu un composant de la ville africaine. Cela implique la mise en place dune réflexion pluridisciplinaire dans le domaine de lurbanisme africain. Dune façon générale, les responsables sont en devoir dévaluer les besoins nécessaires pour absorber et accompagner ce nouveau service quest la restauration de rue.
Si, faute de cantines, les travailleurs urbains sont des consommateurs de rue, il faut adapter la ville à ce phénomène qui paraît inéluctable, à moins dobliger les entreprises ou autres établissements publics ou privés (écoles, universités, hôpitaux, gares, etc.) à construire et gérer leurs propres restaurants collectifs, ce qui paraît irréaliste dans un futur, même à moyen terme. Dès lors, il faut trouver des espaces urbains, collectifs, semi-publics, ouverts, etc. et y mettre en place des infrastructures pour lalimentation de rue. Quelle autorité sera responsable de ces espaces? Qui devra planifier cette organisation spatiale? Ce sont là des questions préliminaires quil faut se poser pour agir.
Ne pouvant nier le phénomène de lalimentation de rue, on doit évaluer ses besoins en termes de services et dinfrastructures. Actuellement, les ingénieurs ne prévoient, pour des installations de raccordement à leau et à lassainissement, que des systèmes fondés sur la propriété riveraine. Or, les besoins en eau et assainissement paraissent ponctuels, collectifs et mouvants dans lalimentation de rue. Comment rendre compte techniquement, économiquement et juridiquement de ces besoins? De même, on doit approfondir la réflexion sur les systèmes de ramassage des ordures, sur la gestion des effluents, et lapprovisionnement en eau des villes africaines. Quels sont ces besoins? Qui doit payer leur installation et la consommation? Comment financer ces travaux?
En second lieu, la capacité deffectuer des choix dans la gestion de la ville repose sur la capacité à bien connaître les besoins sociaux et la réalité sociale de tous les acteurs de lalimentation de rue. Pour améliorer la situation sociale et sanitaire des villes et du secteur informel de lalimentation en particulier, il ny a pas de solutions techniques et financières simples, mais un éventail de mesures souples et dinterventions multisectorielles. Il convient de trouver léchelon de compétence qui puisse faire le triple lien entre lanalyse du social, du politique et des solutions techniques et juridiques. Sur le terrain et au niveau institutionnel, il faudra impliquer tous les partenaires pour améliorer lalimentation de rue. Pour cela, il faudra les identifier et écouter leurs aspirations et obligations respectives. Faire se concerter les multiples intervenants pour établir entre eux de nouvelles modalités de gestion et de fonctionnement de la ville en croissance apparaît comme lessentiel des interventions. Il faudra aussi définir quelles institutions seront responsables et devront mettre en uvre cette politique de transformation de lalimentation de rue.
Lexpérience montre que le phénomène de décentralisation des responsabilités administratives, dans la plupart des pays, donne de plus en plus de compétence aux Autorités locales et communales. Les Municipalités sont donc les premières concernées par lalimentation de rue. On constate que relèvent des Municipalités, la police administrative de la salubrité et de la sécurité publique, lassainissement et lentretien de la voirie, lurbanisation, la politique domaniale et spatiale, la gestion des services publics de ramassage des déchets, la distribution de leau, les actions sociales de proximité et léducation, la gestion des taxes, les marchés, etc. Louverture du partenariat aux Autorités locales ne doit pas pour autant conduire les Administrations nationales à se désengager de leurs responsabilités globales vis-à-vis des programmes dassistance au développement comme celui de lamélioration de lalimentation des populations. Leur rôle de coordonnateur dune politique nationale dans ce domaine pour harmoniser laction de Collectivités locales est à souligner.
Laccent devra être mis des systèmes et règlements appropriés pour lintégration du secteur des aliments de rue au secteur formel, tout en évitant quun excès de réglementation ne fasse disparaître les avantages socio-économiques et nutritionnels considérables que ce secteur crée en faveur des masses urbaines (et rurales) à bas revenus. Cette réglementation et son application devraient faire lobjet dopérations de vulgarisation et dinformation pour que ces règles concertées, édictées, sintègrent dans les représentations sociales des populations.
En résumé, il faut définir les rôles respectifs et coordonner les interventions des Administrations centrales et locales. Dans de nombreux pays, les services étatiques devront continuer à soccuper de lalimentation de rue en attendant que les Administrations locales soient en mesure de gérer elles-mêmes ce secteur. Mais cest bien un service de proximité qui est nécessaire pour gérer le phénomène de lalimentation de rue. Il faudrait donc favoriser le renforcement du corps dinspection sanitaire municipal en le dotant dun statut et dune formation adéquate. La propagation des règles dhygiène auprès des acteurs du secteur formulée directement par les agents municipaux, familiers dans une action personnalisée sur le long terme, est plus efficace que dinfliger aux vendeurs des sanctions qui ne seraient pas accompagnées dactivités de formation connexes. Il faut aussi penser à léducation du consommateur en hygiène. Un client conscient et vindicatif sera autant écouté par les opératrices que linspecteur municipal. Il est donc le meilleur allié des instances nationales et municipales dans lamélioration du secteur.
Pour des raisons de concurrence déloyale, le secteur officiel, dans certains pays, est déstabilisé par le secteur dit informel car il décourage linvestissement et encourage la fraude fiscale, entre autres. La formalisation de leur activité apporterait des garanties aux opérateurs. Elle devrait amener un mouvement dentreprise, dynamiser les circuits économiques et les revenus publics.
Les opérateurs du secteur de lalimentation de rue nont ni droits ni garanties. Cette vulnérabilité et irresponsabilité est préjudiciable aux investissements et rendent les mesures de police inapplicables. La reconnaissance de droits subjectifs aux acteurs de lalimentation de rue pourrait être un facteur de socialisation et de régulation du secteur en renforçant le sentiment de responsabilité des différents acteurs. Cela implique dencourager ladoption du statut de commerçant, la reconnaissance de la propriété commerciale par usage, la délivrance de licences diverses et de titre explicite doccupation temporaire ou non de lieux publics ou privés, la formalisation de contrats commerciaux, de baux, de contrats dentreprise ou de conventions doccupation, etc. Ces diverses démarches administratives et autres modalités dinscription devraient faire lobjet dune concertation afin den faciliter laccès aux opérateurs du secteur de lalimentation de rue. Leur simplicité, voire leur gratuité, seraient des éléments à prendre en compte.
Enfin, la formation des opérateurs est un élément essentiel à lamélioration du secteur. La formation à la gestion des équipements collectifs, leur bon usage, leur gestion collective ont des retombées certaines sur la gestion de la micro-entreprise, différenciée de la gestion familiale. Il serait important que les opérateurs reçoivent une formation à la gestion de leurs micro-entreprises. Une formation spécifique sur les aspects technologiques de leurs tâches est aussi indispensable, en particulier pour lapplication de bonnes pratiques de préparation et de manipulation des aliments. La formation orale et gestuelle sadapte bien au contexte sanitaire et de gestion du secteur. Finalement, la solidarité existe dans linformel. Elle peut être un facteur positif quand il sagit dêtre représentée comme interlocuteur avec les autres intervenants du secteur. Il serait donc important de favoriser les associations dopérateurs, en particulier des opératrices, car les associations de femmes, fortes de lhéritage associatif des sociétés traditionnelles, ont montré leur aptitude à produire, à gérer et aussi à épargner et intervenir.