Page précédente Table des matières Page suivante


2. Le consommateur urbain et les SADA


2.1 La diversité des modèles de consommation en milieu urbain
2.2 La pauvreté et l’accès à l’alimentation en ville
2.3 Le rôle croissant de l’alimentation de rue
2.4 La transformation alimentaire: Un secteur clé qui offre des produits adaptés aux modes de vie des consommateurs urbains
2.5 Le problème aigu de la qualité des aliments
2.6 De l’acteur individuel à l’acteur collectif: L’émergence des associations de consommateurs

Quelles sont les variables pertinentes pour la connaissance du consommateur urbain? Mais peut on parler du ou d’un consommateur urbain? L’urbanité a-t-elle produit un consommateur «nouveau»? Distingue-t-on, au-delà de la diversité des situations, certaines tendances majeures caractérisant l’évolution des modes de consommation en milieu urbain en Afrique subsaharienne aujourd’hui? Comment ces évolutions se traduisent-elles sur les SADA? Voilà quelques-unes des interrogations qui ont été soulevées.

La communication d’I. Dia introduit la problématique: «La demande urbaine étant un facteur déterminant des comportements des différents acteurs de l’approvisionnement et de la distribution alimentaires et, par conséquent, de la dynamique de l’offre, dès lors la connaissance du consommateur urbain est un élément clé de toute stratégie de développement des SADA».

L’enjeu est double:

2.1 La diversité des modèles de consommation en milieu urbain

L’approche conceptuelle des consommateurs urbains a été profondément renouvelée: tout en intégrant les variables classiques économiques (revenus, dépenses) et nutritionnelles, elle fait une large place aujourd’hui aux paramètres socioculturels et met en évidence l’importance de l’analyse des comportements d’achats, des modes de gestion de l’alimentation au sein du ménage, des modes d’approvisionnement en milieu urbain, de la part respective de l’alimentation familiale versus extrafamiliale, etc. Cette approche des styles alimentaires permet de cerner au plus près la diversité des modèles de consommation. On constate que plusieurs modèles socioculturels de consommation coexistent en ville:

Comme le souligne M. Padilla, la population urbaine n’est pas segmentée entre ces différents modèles. Chacun des individus les incorpore et les active tour à tour selon les moments de la journée ou de la semaine. Il n’existe donc pas un consommateur mais des consommateurs urbains. L’évolution en cours, selon I. Dia, est celle d’un compromis entre le modèle de consommation individuelle et la préparation domestique collective, la structure sociale et le revenu faisant pencher la balance d’un côté ou de l’autre.

2.2 La pauvreté et l’accès à l’alimentation en ville

La pauvreté urbaine est indéniable, tangible, multidimensionnelle mais l’évaluation quantitative en est difficile. Si l’auto-approvisionnement (production, échanges famililaux) pour certains produits existe toujours en milieu urbain, il ne concerne qu’une part mineure de la consommation des ménages. C’est l’achat qui est la forme déterminante de l’approvisionnement. L’accès monétaire constitue alors le principal obstacle à la sécurité alimentaire pour des ménages qui consacrent les deux tiers, voire plus, de leurs revenus à l’alimentation. L’aggravation des conditions de vie touche toutes les catégories sociales en milieu urbain. Peut-on identifier des groupes à risque? Cinq types de ménages seraient, d’après les auteurs, particulièrement vulnérables: les néo-urbains d’origine rurale qui ont des problèmes d’intégration dans un milieu nouveau, les femmes seules avec enfants à charge, les petits fontionnaires qui ont vu leur salaire différé du fait des difficultés de trésorerie de l’Etat, les ménages qui vivent de petites activités informelles, les handicapés, les malades et les personnes âgées sans soutien familial. Il est difficile de les quantifier, de les localiser, de les cibler dans des actions de lutte contre la pauvreté urbaine. Les auteurs mettent en évidence les stratégies d’adaptation des ménages pour préserver leur niveau de vie et, en particulier, leur niveau de consommation: elles sont multiples; elles touchent directement à la consommation par la diminution du nombre de repas journaliers, la substitution entre produits, souvent au détriment de l’équilibre nutritionnel de la ration alimentaire (les premiers touchés sont les enfants); elles impliquent toujours un recours accru aux ressources des femmes et conduisent celles-ci à se lancer dans de nouvelles activités afin d’assurer une part croissante des charges familiales. Enfin, le recours à l’alimentation de rue est un élément déterminant des stratégies de survie des ménages pauvres.

2.3 Le rôle croissant de l’alimentation de rue

Le développement de l’alimentation hors domicile est à mettre en relation d’abord avec les changements de conditions de vie en ville (éloignement du lieu de travail, développement des activités professionnelles des femmes). Mais d’autres facteurs sont à prendre en considération: à Cotonou, par exemple, un modèle de consommation individualiste dominant, une chaîne cohérente de transformation artisanale offrant à des prix abordables des plats préparés à partir des produits vivriers locaux, expliquent l’importance de la consommation hors domicile pour toutes les catégories de la population. Ainsi, pour la population défavorisée, ce mode d’alimentation constitue un moyen de se nourrir à faible coût. A Dakar, au contraire, l’alimentation de rue dans les petits restaurants semble encore un luxe pour beaucoup, en raison du prix assez élevé des plats préparés. D’autres formes d’organisation (collectives et non individuelles) de prise de repas se mettent en place, notamment sur le lieu de travail. Cependant, comme le constate I. Dia, d’occasionnelle, l’alimentation de rue tend à devenir un mode «normal» pour certaines catégories dans des villes comme Dakar et Ouagadougou, alors qu’elle est entrée dans les traditions à Cotonou.

2.4 La transformation alimentaire: Un secteur clé qui offre des produits adaptés aux modes de vie des consommateurs urbains

Le thème de l’alimentation de rue met en évidence le rôle crucial occupé par les activités de transformation: elles permettent, en effet, aux citadins d’avoir accès à des produits locaux sous une forme particulièrement bien adaptée à leurs modes de vie. Dans ce domaine également, l’importance des activités de transformation et les produits qui sont concernés varient beaucoup d’une ville à l’autre comme le démontrent les différents cas traités. Une chose est certaine: les opérateurs de ce secteur, en particulier les multitudes d’artisanes qui l’animent, sont rarement prises en compte dans les stratégies alimentaires. Pourtant, le rôle prépondérant de ce secteur dans la valorisation des produits agricoles locaux et son importante contribution à la valeur ajoutée dans les filières vivrières en matière d’emplois et de revenus méritent que son développement soit appuyé. D’où la nécessité d’étudier les tendances à la diversification alimentaire en ville, d’examiner, en particulier dans cette perspective, quels sont les produits locaux qui seraient les plus susceptibles de se prêter à la diversification après transformation. C’est dire l’importance de la prise en compte du facteur technologique dans cette évolution et des modalités d’accès (formation, crédits) à de nouveaux procédés de transformation pour les artisanes4.

2.5 Le problème aigu de la qualité des aliments

Pour M. Padilla, la qualité de l’alimentation urbaine est telle que les modalités d’utilisation et de consommation sont «des bombes à retardement» pour la santé des individus. Contaminations et intoxications sont des lieux communs. Assurer une plus grande maîtrise de la qualité des aliments (bruts, transformés, locaux ou importés) devient alors une nécessité urgente dans tous les pays. Or, d’une part, ce problème de santé publique n’est pas inscrit dans les priorités des ministères de la santé qui mènent une politique curative plus que préventive et qui ne sont pas sensibilisés à la nutrition et ses relations avec l’Etat de santé (M. Padilla); d’autre part, l’examen des dispositifs existant dans les divers pays révèle que les actions en matière de contrôle de qualité sont, d’une manière générale, éparpillées entre diverses structures sans aucune coordination entre elles. Enfin, il faut noter l’absence de textes législatifs spécifiquement consacrés à la question de la qualité des aliments et adaptés au contexte africain5.

Les exigences des consommateurs urbains en matière de qualité et d’hygiène des aliments sont encore mal connues: si l’on constate l’émergence d’une nouvelle conscience des consommateurs dans ce domaine, celle-ci est encore peu répandue et plus souvent développée par les associations de consommateurs que par les individus eux-mêmes. Comme le relève I. Dia, les populations démunies des quartiers pauvres sont plus préoccupées par la sécurité de l’approvisionnement et la maîtrise des prix que par les questions de qualité. Cet auteur souligne un autre aspect important de l’évolution actuelle: l’alimentation de rue est encore perçue comme une alimentation de complément (ou d’entre deux repas) alors qu’elle est devenue la principale forme pour certaines couches et certains repas. Ce décalage entre la perception et la réalité pourrait expliquer la faible exigence des consommateurs par rapport aux aliments de rue.

On discerne ainsi le champ très vaste des interventions nécessaires à la mise en place d’une véritable politique de maîtrise de la qualité, à la fois institutionnelles (qui concernent tant les collectivités locales que les autorités centrales), réglementaires, de formation, d’information et d’éducation en direction des différents acteurs des SADA, tout particulièrement des consommateurs urbains et de leurs associations.

2.6 De l’acteur individuel à l’acteur collectif: L’émergence des associations de consommateurs

L’émergence extrêmement rapide des associations de consommateurs, ces dernières années en Afrique (elles étaient au nombre de six dans six pays en 1990, aujourd’hui on en compte plus de 100 dans 45 pays en Afrique) est en effet un phénomène marquant de la scène urbaine. A l’origine, les préoccupations de ces associations (généralement créées par des intellectuels issus des classes moyennes) étaient axées sur les problèmes de la qualité des produits et leurs interventions basées sur les revendications et le lobbying à l’image des mouvements de consommateurs européens. Poussées par la nécessité d’ancrer leurs actions dans la réalité sociale des plus larges couches des consommateurs urbains et, notamment, de prendre en compte les exigences des catégories les plus défavorisées, les actions de ces associations ont profondément évolué: elles s’orientent aujourd’hui en effet vers la mise en place de centrales d’achat ou de stocks de sécurité implantés dans les quartiers populaires. Pour I. Dia les évolutions auxquelles on assiste sont donc propices à l’émergence d’une conscience nouvelle quant à la nécessité d’impliquer les consommateurs à travers leurs organisations dans toutes les discussions concernant l’approvisionnement et la distribution des aliments. C’est pourquoi, comme le souligne l’auteur, il est important de se rendre compte que la frontière entre les fonctions de consommation et celles d’approvisionnement, qui confinerait les consommateurs dans la revendication et le lobbying, n’est pas opérationnelle dans le contexte africain d’insécurité et de règles imparfaites.

Répondant à une demande sociale réelle, l’action de ces associations est primordiale bien qu’elle soit entravée par de nombreuses contraintes (manque de compétences, actions encore trop dispersées et pas assez ciblées, faible reconnaissance de leur rôle par les pouvoirs publics, accès difficile au crédit pour mener leurs opérations d’achat et de stockage, etc.). Celles-ci devraient être étudiées de façon approfondie dans toute stratégie d’amélioration des SADAafin que soient définies des mesures propres à les appuyer.


Page précédente Début de page Page suivante