3.1 Lapprovisionnement des villes en produits alimentaires
3.2 a distribution alimentaire en milieu urbain
La demande urbaine jouera un rôle moteur du changement agricole à condition que les circuits dapprovisionnement et de transport soient efficients et que les coûts de transaction soient aussi réduits que possible.
Dans quelles conditions fonctionnent les SADA dans les grandes villes en Afrique, quelles sont les stratégies des acteurs dans les circuits amont (lapprovisionnement) comme aval (la distribution en milieu urbain), quelles sont les principales contraintes entravant leur organisation, comment alors améliorer lefficacité des services dintermédiation afin daugmenter leur capacité à satisfaire une demande alimentaire urbaine croissante? Ces différents thèmes et questionnements ont été abordés par plusieurs communications sous des perspectives diverses. On en soulignera les aspects majeurs en différenciant ceux ayant trait au système dapprovisionnement (la chaîne de commercialisation jusquau stade gros) et ceux concernant la distribution finale alimentaire en milieu urbain, en privilégiant la question des marchés de détail.
3.1.1 La disponibilité physique des aliments en ville est correctement assurée par les SADA
3.1.2 Le risque commercial, les contraintes et les stratégies des acteurs
3.1.3 Des coûts de commercialisation élevés largement grevés par le transport
3.1.4 Améliorer le maillon urbain des systèmes dapprovisionnement: Le rôle des marchés de gros
La capacité dadaptation, ainsi que le dynamisme des acteurs des SADA, sont aujourdhui largement reconnus: partout, la disponibilité physique des aliments est assurée. Quand elle ne lest pas ou de façon insuffisante, lexplication doit en être recherchée dans les contraintes propres aux systèmes de production (en particulier pour les marchés légumiers caractérisés par lalternance des périodes de pénurie relative et dengorgement), dans labsence quasi totale dinfrastructures routières spécifiques à certains pays, ou encore dans les conditions politiques (guerres).
Si, de manière générale, les systèmes de commercialisation ont assuré par le passé et assurent aujourdhui lapprovisionnement régulier des villes, avec quelle efficacité le font-ils et à quels coûts?
Le facteur risque est un élément clé pour lanalyse du fonctionnement des SADA, notamment en ce qui concerne les marchés vivriers et pour la compréhension des stratégies adoptées en conséquence par les acteurs commerciaux.
Lenvironnement économique du commerce des produits vivriers se caractérise par un niveau élevé de risque et dincertitude: en amont, il sagit des risques dus aux aléas de la collecte compte tenu dune offre agricole dispersée et irrégulière, au manque dinformation sur la disponibilité des produits, aux insuffisances de loffre de transport, à son irrégularité et à son prix. En aval, les risques découlent de la conjoncture du marché, de la concurrence permanente de nouveaux arrivants, des fluctuations des prix et de la demande sous leffet de différents facteurs non prévisibles.
Lenvironnement institutionnel, quant à lui, se caractérise par lexistence de pratiques réglementaires inadaptées et tatillonnes, de taxations abusives et fréquemment arbitraires. A ces différentes contraintes sajoutent celles propres aux commerçants - de capital, daccès au crédit -, pour ne citer que les deux plus importantes (L. Wilhelm).
Les contraintes pesant sur le fonctionnement des SADA sont par conséquent nombreuses: N. Terpend et K. Kouyaté en dressent le recensement général en se plaçant du point de vue des différents intervenants de la filière dapprovisionnement des villes: opérateurs privés directs (les producteurs, commerçants, transporteurs et consommateurs), indirects (les banques), les intervenants publics (les administrations centrales et spécialisées, les chambres consulaires et les collectivités locales). Les problèmes relevés par ces acteurs touchent à des domaines multiples: les contraintes principales sont dordre économique, administratif et législatif; elles tiennent aux déficiences et à linadéquation des infrastructures et des équipements marchands en milieu urbain; elles sont organisationnelles, enfin humaines et sociales.
Ces contraintes affectent tous les commerçants, façonnent leurs comportements, orientent leurs choix et fixent leurs stratégies. Pour se prémunir contre les risques et linstabilité des marchés qui caractérisent les marchés vivriers, les commerçants adoptent des comportements anticoncurrentiels.
Ce sont des pratiques dachat et de vente basées sur des relations personnalisées pour fidéliser à la fois les vendeurs et les acheteurs, des contrats et des commandes anticipées pour réguler lapprovisionnement, des systèmes de crédit pour sécuriser lapprovisionnement et garantir lécoulement des marchandises, la constitution dassociations entre commerçants visant à limiter la concurrence sur les marchés dachat ou sur les marchés de vente, et à restreindre laccès au crédit des «outsiders» (L. Wilhelm).
Lensemble des imperfections des marchés vivriers, laddition des dysfonctionnements constatés à tous les niveaux de la chaîne dapprovisionnement aboutissent à des coûts de commercialisation élevés qui pénalisent fortement les ménages urbains (E. Tollens).
Une importance particulière doit être alors accordée au problème du transport dans toute analyse des SADAdes villes en Afrique.
J. Lombard met en évidence, à partir de lexemple du Sénégal, la forte segmentation du secteur des transports. Dans la plupart des pays, lorientation des flux et la hiérarchisation des services de transport sont polarisés par les capitales et par la commercialisation des produits de rente. Cest le marché des produits de rente (le fret «riche») qui conditionnent très largement loffre de transport et ses prix, et définit des axes privilégiés entre zones de production et lieux dexportation ou de transformation (villes portuaires, unités de transformation agro-industrielles). Dans la commercialisation des produits vivriers (le fret «pauvre»), latomisation de loffre, les déficiences particulières des infrastructures routières (en particulier les pistes rurales) exercent de fortes contraintes sur lactivité de transport. Les services de transport pour la collecte primaire sont irréguliers et souvent insuffisants. La profession de transporteurs de produits vivriers est assurée par de petits opérateurs disposant dun faible capital, en général peu spécialisés, la diversification de leurs activités étant une réponse au risque du métier.
Il faut relever à cet égard une loi générale du transport que nombre détudes spécialisées sur le camionnage en Afrique comme dans dautres pays ont mise en évidence, notamment lInstitut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS). Les coûts de transport ne sont pas proportionnels à la distance mais au contraire varient en fonction inverse de celle-ci et des quantités transportées. Le transport de quantités unitaires faibles sur de courtes distances revient toujours beaucoup plus cher que celui de gros tonnages sur des véhicules lourds et sur longue distance. Par ailleurs, les coûts de transport sur une même distance sont étroitement corrélés à la qualité des infrastructures.
Léloignement des zones dapprovisionnement des marchés urbains nest donc pas, en soi, un facteur de renchérissement du coût du transport. Sont plutôt en cause les deux facteurs suivants: dune part, les niveaux existants dorganisation des activités de production du monde rural, leur orientation plus ou moins spécialisée pour lapprovisionnement des marchés facilitant ou non le groupage (cette organisation dépend alors grandement du système dinformation sur les prix); dautre part, les déficiences propres de loffre de transport: dans les zones vivrières, les marchands camionneurs exercent un pouvoir de monopsone qui tend à réduire les prix des produits agricoles quoffrent les cultivateurs. Un tel pouvoir sexplique par le fait que les transporteurs commerçants sont en petit nombre face à une multitude de producteurs individuels, que la concurrence entre eux ne joue guère par conséquent, enfin que les producteurs ne possèdent généralement pas ou très peu dinformations sur les prix des produits en vigueur sur les marchés terminaux (E. Tollens).
S. Snrech note que les analyses disponibles sur la structure des coûts de mise en marché montrent, quen ce qui concerne le transport, les gains ny sont pas faciles: les marges commerciales dans ce secteur sont faibles (de lordre de cinq pour cent) et lamortissement des matériels de transport est à peine assuré.
Une réduction des prix de transfert passe donc par une amélioration des infrastructures de transport, réduction qui doit être mise en regard du coût élevé de la mise en place des infrastructures routières mais aussi de leur entretien (S. Snrech).
3.1.4.1 Labsence déquipements et dinfrastructures adpatés au commerce de gros
3.1.4.2 La création de marchés de gros: Un outil pour lamélioration des SADA des villes en Afrique
3.1.4.3 Une concertation nécessaire avec les usagers professionnels du marché de gros
Les conditions dans lesquelles sexerce la fonction de gros pénalisent la chaîne dapprovisionnement toute entière et représentent en définitive un facteur important du renchérissement des produits pour les consommateurs urbains. A lexception du marché de gros de poissons de Dakar et de celui, en construction, de Bouaké en Côte dIvoire, on constate en effet que le commerce de gros des produits alimentaires, et tout spécialement celui des produits périssables, ne dispose ni daménagement ni dinstallations spécifiques dans les villes en Afrique.
Les espaces urbains sur lesquels les grossistes exercent leurs activités sont, dune manière générale, dispersés au sein de la ville: on observe la concentration de grossistes aux abords, voire au sein même des grands marchés centraux; les flux dapprovisionnement, les stationnements de véhicules occasionnent alors de nombreux problèmes de circulation et de congestion de quartiers entiers; on trouve aussi des concentrations de grossistes aux points de rupture de charge des grands axes routiers pénétrant dans la ville. Partout, les conditions de fonctionnement sont gravement défectueuses: absence ou insuffisance des équipements de stockage, mauvaises conditions de conservation, manque de place pour le stationnement des véhicules, les opérations de déchargement, problèmes dhygiène et dinsécurité. Les coûts quentraîne cette situation ne sont pas seulement environnementaux, ils sont aussi et principalement économiques (L. Wilhelm). Pour tous les produits vivriers périssables, il en résulte un niveau de pertes élevé doù un renchérissement des produits. Enfin, la dispersion des activités de gros dans le tissu urbain ne permet pas une confrontation aisée de loffre et de la demande et ne favorise donc pas la formation dun prix déquilibre.
La situation est alarmante: des villes millionnaires sont ainsi approvisionnées chaque jour grâce à des milliers dagents dans des conditions de désorganisation qui ont atteint leurs limites et surtout à un coût économique élevé pour la collectivité toute entière.
Il faut alors souligner le rôle que de véritables marchés de gros - au sens déquipements physiques spécialement destinés à cet effet - peuvent jouer dans lamélioration de lapprovisionnement et de la distribution alimentaire des grandes villes6.
E. Tollens en décrit les principaux avantages économiques. Ils se situent à différents niveaux: celui de la formation des prix qui est favorisée et rendue plus transparente, ce qui entraîne une diminution des coûts de transaction (les coûts encourus par les opérateurs pour obtenir les informations sur les prix des marchés); celui de la réduction des coûts de lensemble des services de commercialisation par la réduction des coûts de transport et de manutention, lobtention déconomies déchelle, la réduction des pertes, la facilitation du triage et du classement des qualités, une plus grande utilisation de poids et mesures standards et un gain de temps pour les détaillants. La spécialisation des activités des opérateurs que permet la séparation physique des activités de gros et de détail est source de gains de productivité. Un dernier avantage est à prendre en compte: la création de marchés de gros organise une meilleure articulation des structures de distribution modernes existant dans les grandes villes (les supermarchés) avec la production vivrière locale par la garantie dun approvisionnement régulier, en quantité et de meilleure qualité.
Un projet de création de marché de gros nécessite que soient analysées de façon approfondie les questions liées:
Le succès dun marché de gros dépend en effet largement de la volonté des opérateurs dy participer et de développer leurs activités dans ce cadre nouveau (L. Wilhelm). Il apparaît alors indispensable de les impliquer dès le démarrage du projet. Il est important de relever à cet égard les expériences qui ont cours dans les deux seuls équipements de gros modernes existant aujourdhui: à Bouaké, la mise en place dun Comité technique consultatif a permis dassocier très tôt les grossistes aux différentes phases du projet (A. G. Aguié); à Dakar, après la construction du marché de gros de poissons, les mesures dadaptation aux besoins des divers opérateurs en matière déquipements et de services proposés, sont à mettre au crédit du processus de concertation permanente mené entre le gestionnaire du marché et les professionnels7.
En définitive, comme le souligne E. Tollens, la création dun véritable marché de gros nentraîne pas ipso facto lamélioration du fonctionnement des circuits dapprovisionnement des produits vivriers, mais il peut être un outil important dans une stratégie globale de mise en place dun meilleur approvisionnement alimentaire des villes en quantité et en qualité.
3.2.1 es marchés: Un rôle prépondérant dans lapprovisionnement des citadins
3.2.2 Des marchés en nombre insuffisant et de nombreux dysfonctionnements
3.2.3 Une nécessité: Améliorer le fonctionnement et lorganisation de la distribution alimentaire en ville
La distribution alimentaire dans les villes est assurée par de multiples réseaux et opérateurs, formes dorganisation et de vente qui tous contribuent à lapprovisionnement des consommateurs: commerce et restauration de rue, ventes ambulantes livrant à domicile les plats et les produits souhaités, magasins, supermarchés et supérettes, marchés publics enfin. Les marchés de détail jouent encore un rôle prépondérant dans lapprovisionnement des citadins et cest par leur canal que lessentiel de la distribution alimentaire seffectue en ville.
Dans toutes les grandes villes, laccroissement de la population et lextension corrélative des zones habitées avec le développement dun secteur populaire, largement lié au commerce alimentaire, exercent une pression croissante sur le secteur des marchés.
3.2.2.1 Linsuffisance des équipements marchands
3.2.2.2 Les défauts de conception, les carences des infrastrutures de base et les dysfonctionnements
3.2.2.3 Une gestion des marchés défaillante
Lexamen de la situation de ce secteur révèle de nombreuses carences et dysfonctionnements.
Les déficiences constatées concernent en premier lieu linsuffisance des équipements marchands. Le problème se situe à deux niveaux: dune part, la construction de marchés sest révélée insuffisante pour desservir correctement lensemble des zones urbanisées, dautre part, laugmentation considérable du nombre des vendeurs sur les marchés existants na pas été accompagnée dune augmentation significative de la capacité de ceux-ci. Ces deux facteurs conjugués sont en large partie à lorigine de la situation actuelle qui se caractérise par la saturation, la désorganisation et linsalubrité des équipements existants, ainsi que par loccupation généralisée des emprises de la voirie par les vendeurs et la multiplication de marchés spontanés dans les quartiers mal desservis (L. Wilhelm).
Les marchés, qui ont été construits ou modernisés par les pouvoirs publics, présentent souvent des défauts de conception, et ce tant par manque de concertation avec les usagers commerçants que par une insuffisante connaissance du fonctionnement des circuits dapprovisionnement et de distribution alimentaires en milieu urbain: on note ainsi des installations non fonctionnelles ne répondant pas aux besoins des commerçants et qui ne sont jamais utilisées, la construction de marchés à un étage qui ont demandé un effort financier important des autorités et qui restent à moitié vides, la non prise en compte lors de la construction du marché des zones de débarquement et de déchargement nécessaires à lapprovisionnement des commerçants, ce qui conduit à la congestion des abords des marchés et souvent du quartier tout entier (A. Gnammon-Adiko).
Les infrastructures de base (eau, électricité et réseaux de drainage) font défaut ou ne fonctionnent que très imparfaitement sur la plupart des marchés. Lentretien des marchés et les services étant défaillants, ce sont généralement les organisations de commerçants qui se substituent aux missions des pouvoirs publics pour en assurer un accès minimum aux usagers, commerçants comme consommateurs (nettoyage, gardiennage, police, approvisionnement en eau). Pour ces différentes raisons, le fonctionnement actuel des marchés est loin de pouvoir garantir lhygiène et la salubrité nécessaires à la vente de produits destinés à la consommation ainsi que la sécurité des usagers.
Il sétablit ainsi un cercle vicieux: les commerçants estiment que lensemble des services pour lorganisation desquels ils payent déjà et auxquels ils ont droit, ne leur sont pas rendus. Ils considèrent donc que la taxe perçue sur les marchés est une ponction fiscale injustifiée et sacquittent imparfaitement de leurs droits de place. De leur côté, les pouvoirs publics se montrent hésitants alors à améliorer substantiellement le recouvrement de ces droits (a fortiori de les augmenter) dont les recettes sont pourtant essentielles à leur budget. Ceci limite dautant leurs possibilités de modernisation, dextension ou de création déquipements marchands. On constate, par ailleurs, de nombreuses dérives dans la gestion des marchés: taxations souvent abusives des petites détaillantes, ententes avec les plus grands commerçants, fraudes multiples de la part de collecteurs insuffisamment rémunérés et insuffisamment formés.
Lensemble des dysfonctionnements constatés dans le secteur des marchés ont de lourdes conséquences pour les consommateurs, à la fois économiques (en alourdissant les prix finaux des produits), sanitaires et sociales.
Il faut alors créer de nouveaux marchés, moderniser ceux existants, augmenter leurs capacités daccueil, améliorer les infrastructures de base et les services, reformuler les règles de gestion, imaginer des solutions pour créer un cadre dactivité satisfaisant pour le commerce de rue (hygiène, salubrité, mais aussi prise en compte de son rôle), organiser et orienter les flux dapprovisionnement par la création déquipements spécifiques (marchés de gros): le chantier est immense et urgent.
Cette analyse met alors en relief le rôle décisif que peuvent jouer les autorités locales dans lamélioration des conditions de la distribution alimentaire.