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PARTIE II. POLITIQUE DE PROMOTION DE L’AQUACULTURE COMMERCIALE DURABLE


CHAPITRE 5. POLITIQUES SECTORIELLES NON SPÉCIFIQUES
CHAPITRE 6. POLITIQUES SECTORIELLES SPÉCIFIQUES AU NIVEAU MACRO-ÉCONOMIQUE
CHAPITRE 7. POLITIQUES SECTORIELLES SPÉCIFIQUES AU NIVEAU DE LA FERME

Parmi les conditions préalables au succès de l’aquaculture commerciale discutées aux chapitres précédents, quelques-unes ne sont pas du ressort des gouvernements, ni des décideurs; ce sont les variables non-politiques. Il s’agit de facteurs culturels, comme les prédispositions à l’entrepreunariat et à la prise de risques, et les caractéristiques de la demande, comme la taille du marché et la concurrence de produits de substitution. D’autres conditions par contre peuvent être influencées par les gouvernements. Ce sont les variables politiques. Certaines de celles-ci que les gouvernements peuvent mettre en place pour favoriser le développement du secteur sont de pertée générale. Elles visent à réduire les risques et abaisser les coûts pour l’ensemble des activités commerciales en créant un climat favorable à l’investissement privé, y compris en aquaculture. De telles politiques qui favorisent tous les investissements sont considérées comme des politiques sectorielles non spécifiques. En plus, il existe des politiques sectorielles spécifiques qui visent la promotion d’un secteur particulier tel que l’aquaculture commerciale. Ces deux types de politiques sont discutés dans cette deuxième partie.

CHAPITRE 5. POLITIQUES SECTORIELLES NON SPÉCIFIQUES


Bonne gouvernance
Politiques d'ouverture au marché et de croissance macro-économique
Accent sur le secteur privé comme créateur de richesses

Les politiques appropriées visent à créer un climat de confiance parmi les investisseurs. Les politiques sectorielles non spécifiques visant à le soutenir du point de vue économique comprennent la bonne gouvernance, l’ouverture au marché et à la croissance macro-économique, et mettent l’accent sur l’investissement privé.

Bonne gouvernance

Le terme "gouvernance" regroupe les politiques qui traitent des problèmes d’instabilité politique, d’incertitude sur les droits de propriété, de corruption et d’affaiblissement des facteurs institutionnels, tels que les lois sur la faillite et le respect des contrats (Hong et al., 1999). Dans une enquête menée en Afrique sur des entreprises, celles appartenant à des étrangers ont classé au premier rang la stabilité politique pour investir sur le Continent, cette stabilité étant l'une des causes principales de succès ou d’échec de l’investissement. Les entreprises locales ont également considéré le risque politique comme important, mais après d'autres facteurs comme les impôts et les infrastructures. Dans la majorité des vingt pays étudiés au sud du Sahara, les entrepreneurs se sont plaints de l’instabilité politique, de l’application des lois et règlements, et de la capacité des gouvernements à honorer leurs contrats (World Economic Forum, 1998). La stabilité politique et sociale ont été des facteurs essentiels du succès de la production commerciale de tilapia au Costa Rica (Porras, 2000).

Les droits de propriété sont importants car ils incitent les producteurs à prendre en compte les dégâts à l’environnement. La décision d’investir et la possibilité de polluer dépendent des droits de propriété. Dans les régions côtières de l'Honduras, l’industrie de la crevette a été handicapée par la concurrence pour le droit du sol (Morales, 2000). Dans l’ouest Bengale en Inde, les fermiers citent la multipropriété comme la majeure contrainte en aquaculture (Bhatta, 1999). Afin d’assouplir cette contrainte, certains gouvernements d’Etats ont étendu les droits de bail sur de plus longues durées. De même dans les îles du Pacifique, la propriété privée peut être incompatible avec le régime de communauté des zones marines côtières (Adams et al., 2000). En Thaïlande, l’absence d’un régime foncier clair était une contrainte majeure à l’investissement dans la distribution de l’eau et dans l’amélioration de sa gestion. Le trop grand nombre de fermes d'élevage de crevette a conduit à proposer l’irrigation à partir d’eau de mer, mais pour que l’investissement soit rentable, il fallait de grandes exploitations (Tokrisna, 1999). Le manque de clarté dans les droits de propriété a handicapé le projet.

En Afrique subsaharienne existe une grande variabilité du droit foncier. Parfois, ces droits ne sont pas clairement définis. Cela peut s’avérer coûteux et peu économique pour les investisseurs, car ceci augmente le prix de la terre et peut créer des conflits fonciers. De même, dans la plupart des cas, le processus d’acquisition d’un terrain est généralement long et frauduleux (Platteau, 1992; Ezenwa, 1994). Quelques pays, comme par exemple la Côte d’Ivoire, ont des titres de propriété individuels sans restrictions. D’autres, comme le Kenya et le Malawi, imposent des restrictions. Au Mozambique, au Nigeria et en Zambie, la terre appartient à l’Etat; on ne peut obtenir qu’un droit d’occupation et d'usufruit. Les investisseurs étrangers craignent qu’un titre de propriété ne soit pas validé et que les occupants soient peu disposés à louer le terrain lorsque les droits sont cédés au nouvel usager. La propriété librement négociable apporte de la mobilité, de la motivation et des garanties. Cependant, les questions relatives aux droits fonciers sont très sensibles, et un titre de propriété peut se révéler moins important en aquaculture commerciale que la garantie de pouvoir occuper et utiliser le terrain pendant un nombre d’années fixé. Au Bangladesh, la location d’étangs a augmenté ces dernières années, et depuis 1994-1995, la Chine a autorisé le transfert de propriété sur de plus longues périodes. A Madagascar, l’élevage de la crevette se fait dans des Zones Franches Industrielles (ZFI) qui appartiennent au domaine public. Les investisseurs étrangers peuvent seulement louer des terrains ZFI. Néanmoins, la terre est louée pour des durées assez longues (20 à 50 ans, renouvelables) pour favoriser l’investissement (Hishamunda, 2000c; Razafitseheno, 2000). Et l’usufruit est cessible.

L’investissement privé est aussi inversement lié à la corruption. L’investissement étranger, tout particulièrement, réagit très négativement à celle-ci (Alesina et Weder, 1999). Ceci est en particulier le cas pour des types irréversibles d’investissements étrangers tels que ceux faits en agriculture ou en élevage. La corruption fait monter le prix des transactions en incitant les entreprises à négocier en dehors du cadre formel de la réglementation et en obligeant les gestionnaires à dépenser du temps et de l’argent auprès des représentants du gouvernement. Lorsque les représentants haut placés cherchent à louer à un monopole, le secteur privé peut être enfermé dans un dilemme où la stratégie dominante est de corrompre (Klitgaard, 1998). Un équilibre de corruption est atteint, mais au prix d’un coût social élevé (Mauro, 1996).

Jusqu’à un certain point, la corruption est liée négativement aux conditions macro-économiques d’un pays. Lorsque les officiels ne sont pas payés, ou insuffisamment pour vivre, la corruption peut leur fournir des moyens de survie. Une croissance économique supérieure devrait impliquer de meilleurs salaires et moins de corruption. Celle-ci est aussi liée positivement au pouvoir monopolistique et discrétionnaire (et inversement liée au niveau de responsabilité). La réduction de l’autorité arbitraire de réglementation, un ensemble de réformes structurelles, permettent de combattre la corruption. La Direction de la Corruption et des Crimes Economiques au Botswana a également montré que l’éducation publique peut être une arme efficace et une force de dissuasion contre la corruption (Transparency International, 1999; Fombad, 1999).

Les facteurs institutionnels sont déterminants pour l’investissement privé. D’une part, ils peuvent encourager les investisseurs à avoir des vues à long terme. D’autre part, ils peuvent les dissuader si ces facteurs réduisent leur compétitivité, représentent une perte de temps et encouragent la corruption. Dans certains pays au sud du Sahara, des industriels mentionnent que les règlements sont imprécis et font peser une lourde charge sur leur esprit de compétition. Dans d’autres pays, près du quart du temps d’un dirigeant est passé à obtenir ou négocier des permis et des règlements (World Economic Forum, 1998). Le renforcement des institutions peut être obtenu grâce à l’établissement d’une réglementation et à son application.

Politiques d'ouverture au marché et de croissance macro-économique

Des politiques favorables à l’économie prendraient aussi en compte l’ouverture au marché et la croissance macro-économique. Les deux sont des facteurs déterminants pour l’investissement privé. La recherche a montré que la croissance économique peut être accélérée par l’ouverture au marché, l’attraction d’investissements étrangers, des investissements dans les secteurs de la santé et de l’éducation, et les investissements dans le secteur privé domestique (Sachs, 1998). Ces politiques sont aussi importantes en Afrique qu’ailleurs. Le flux en capital d’investissement est faible en Afrique subsaharienne. Le rapport de l'investissement total au PNB, qui est d’environ 17 pour cent, est inférieur à celui des pays asiatiques en voie de développement (29 pour cent) et des pays de l’Ouest (22 pour cent). De plus, l’investissement privé, qui est plus productif que l’investissement public, reste faible. Le rapport de l'investissement privé à l'investissement public dans la région est bien en dessous de celui observé en Asie et en Amérique latine. Cet accès relativement limité à des capitaux privés est une des contraintes majeures au développement économique de la région (World Economic Forum, 1998). Au niveau international, l’Afrique court le risque d’être marginalisée. La part de l’Afrique dans le commerce mondial est diminuée de 4 pour cent au début des années 80 à 2 pour cent en 1996. Le Continent n’attire que 1,3 pour cent du total mondial des investissements étrangers, avec près des trois-quarts de ceux-ci dans les pays exportateurs de pétrole (Sachs, 1998). Les pays au sud du Sahara qui ne sont pas exportateurs de pétrole voient donc leur part de ces investissements proche de zéro (0,3 pour cent).

D’un point de vue historique, les conditions macro-économiques n’ont pas été favorables en Afrique subsaharienne. La croissance de l’économie a été proche de zéro dans les années 70 et négative dans les années 80 (Calamitsis, 1999). Parmi les 48 pays les plus pauvres à la fin des années 90, 33 étaient en Afrique. Au sud du Sahara, le PNB réel est resté pratiquement au même niveau entre 1992 et 1994, avec même des baisses en terme de PNB réel par habitant (Ouattara, 1999). Pendant ces années, les taux moyens d’inflation se sont situés entre 44 et 61 pour cent. Cependant, les années 1995 à 1999 ont vu une amélioration des performances macro-économiques dans les pays au sud du Sahara. Les taux de croissance réels ont atteint en moyenne 5 pour cent entre 1995 et 1998; le taux d’inflation est retombé à 10 pour cent en 1998, tandis que les déficits des comptes courants et les déficits budgétaires rapportés au PNB ont chuté. Ces indicateurs sont même plus positifs si l'on exclut le Nigeria et l’Afrique du sud qui représentent à eux seuls environ la moitié du PNB de la région (Ouattara, 1999).

Des réformes administratives ont été entreprises avec la libéralisation du secteur agricole, une meilleure ouverture au marché et un moindre interventionnisme de l’Etat. Des réformes structurelles ont été mises en place, comprenant le démantèlement des monopoles d’Etat, l’établissement de taux d’intérêt dictés par le marché et la privatisation de certaines entreprises étatiques (Hernández-Catá, 1999). Malheureusement, des groupes de pression et des intérêts politiques personnels n’ont pas toujours bien accueilli le démantèlement du contrôle de l’Etat au bénéfice du secteur privé. Le rythme des réformes en Afrique subsaharienne a été déterminé autant par cet opportunisme politique que par la rationalité économique (Rotberg, 1998). Cependant, la conduite politique dans certains pays a montré que des réformes peuvent être mises en place et résulter en des progrès à long terme dans la croissance économique et dans la compétitivité (World Economic Forum, 1998).

Les mesures qui permettent de maintenir constant le taux de change réel et de conserver sa stabilité sont également des mesures politiques importantes pour favoriser la croissance macro-économique. Des taux de change inadéquats produisent des effets négatifs sur la confiance et la viabilité du commerce. S’il est surévalué, il pénalise les exportations; il encourage aussi l’importation de biens de consommation. En de nombreux pays au sud du Sahara, la production de l’aquaculture commerciale est en concurrence avec le poisson de pêche importé. Ainsi, un taux de change surévalué réduit la compétitivité de la production aquacole par la baisse des prix du poisson importé et vendu localement. Un exemple de l’effet d’un taux de change surévalué a été l’arrivée massive du "Banga Mary", un poisson d’estuaire originaire de Guyana et importé en Jamaïque au milieu des années 90. La monnaie jamaïcaine s’appréciait alors à cause de taux d’intérêts élevés. La surévaluation du dollar jamaïcain a permis d’importer le Banga Mary à un prix moitié de celui du tilapia produit localement. En 1997 le Banga Mary était considéré comme un poisson bon marché, supplantant un quart d la commercialisation de tilapia dans les restaurants. Incapable de vendre sa production, l’industrie jamaïcaine du tilapia a alors stagné (Carberry, 2000). Avec la dévaluation rampante, le tilapia a retrouvé plus tard sa part du marché.

Dans la zone africaine du CFA, non seulement le franc CFA a été surévalué jusqu’en 1994, mais le régime de taux de change fixe a impliqué une politique fiscale en récession de façon à maintenir l’équilibre macro-économique. Ainsi, la réduction des parts de marché pour les produits de l’aquaculture, causée par la concurrence des produits importés, a été compensée par une baisse des revenus réels. Avec une élasticité de revenus positive pour la demande en poisson, la baisse des revenus a eu un impact négatif sur la demande de poisson d’élevage. Une politique favorable éviterait les fluctuations et mettrait en place une politique de taux de change réaliste. La dévaluation de 300 pour cent du dollar de Costa Rica en 1981-1982 a obligé les fermes qui avaient des crédits en dollars à arrêter leurs activités plutôt que de faire face aux coûts en devises. La dévaluation a entraîné également la fermeture d’un projet d’élevage de tilapia en cages car il dépendait d’aliments importés (Porras, 2000).

Accent sur le secteur privé comme créateur de richesses

Les politiques traditionnelles de développement ont souligné les échecs au niveau du marché et la nécessité pour les gouvernements d'intervenir. Cependant, cette approche a été de plus en plus source d’inefficacité et de blocages administratifs. L'on a ignoré les mesures d'encouragement et souvent les résultats ont été à l’opposé des prévisions. Au cours des années 80 et 90, les approches de développement économique se sont détournées de l’appui des gouvernements, mettant de plus en plus l'accent sur le secteur privé. Les nouveaux paradigmes de développement utilisent les théories néoclassiques de libre marché afin de mieux cibler les allocations de ressources. Dans le cas du développement de l’aquaculture en Afrique subsaharienne, où la fourniture publique d’intrants est mise en danger par la réduction des dépenses de l’Etat, le modèle de marché serait apporté par la privatisation de la production d'alevins et des stations piscicoles, ainsi que par la production et la distribution d’aliments aquacoles par le secteur privé. Peu de pays peuvent se permettre de subventionner les aliments, quel qu’en soit le bien-fondé (Entsuah-Mensah et al., 1999).

Un autre facteur au-delà d’un plus grand appui sur le secteur privé, a été la pression apportée sur les dépenses gouvernementales. Pour certains pays d’Afrique subsaharienne, la pression pour diminuer les dépenses des gouvernements a été imposée par le Fonds Monétaire International dans le cadre de programmes d’ajustement structurel. Ces programmes se sont penchés sur les déficits budgétaires et les déficits des comptes courants. Ils ont eu des répercussions plus importantes en Afrique qu’en Asie (FAO, 1995). A la fin de 1996, le nombre total de programmes d’ajustement structurel en Afrique subsaharienne était de 163 (Diabré, 1998). Dans d’autres pays, un taux de change fixe et surévalué par rapport au franc français, qui a seulement été dévalué en 1994, a obligé les gouvernements à diminuer les dépenses. Le taux de change fixe a mis la pression sur les dépenses de l’Etat en étant un moyen politique utilisé pour maintenir la stabilité macro-économique et celle des taux de change.

CHAPITRE 6. POLITIQUES SECTORIELLES SPÉCIFIQUES AU NIVEAU MACRO-ÉCONOMIQUE


Cadres réglementaire/juridique, administratif, économique et d’autorégulation
Politiques sectorielles spécifiques dictées par l’offre et la demande

Les politiques sectorielles spécifiques peuvent être définies aux niveaux macro-économique et micro-économique. Ce chapitre aborde les politiques spécifiques à l’aquaculture, et qui visent à guider le développement de ce secteur dans son ensemble. On les intitule politiques sectorielles spécifiques au niveau macro-économique A ce niveau, les politiques peuvent avoir un aspect réglementaire ou juridique, administratif et économique; le secteur peut également s’autoréguler. Ces politiques ont pour objectif de faciliter un développement ordonné du secteur. Elles peuvent aussi être définies en réponse à des problèmes existants ou perceptibles concernant les aspects d'offre et de demande du secteur. On les intitule alors politiques guidées par l'offre et la demande.

Cadres réglementaire/juridique, administratif, économique et d’autorégulation

L’objectif de réglementer l’aquaculture est de fournir à son développement un environnement ordonné et durable. La réglementation permet de réduire les impacts négatifs tels que la pollution ou les conflits sur l’accès aux ressources en eau, à la terre ou aux fonds marins, tous conflits créés par les régimes de libre accès à la propriété. Alternativement, la réglementation peut viser à rendre positives les interventions, comme c’est le cas d’octroi de permis pour l’élevage du saumon en Norvège. Le but de ces permis a été de prévenir une concentration des élevages et de permettre à des entreprises du secteur de la pêche ou de l'agriculture de prendre part aux élevages artisanaux. Ces permis ont également été attribués à un niveau régional, pour favoriser le développement sur les côtes des régions du Nord.

La réglementation sur la gestion et le contrôle du milieu est prédominante pour minimiser les effets négatifs de l’aquaculture sur l’environnement. Comme l’aquaculture utilise des terres et des ressources en eau du domaine public, elle peut représenter un danger pour les autres utilisateurs. Dans le nord ouest de l’Espagne, l’élevage en cage de saumon (Salmo salar) et de turbot (Scophthalmus sp.) concurrence les élevages de moule (Mytilus edulis) sur radeaux. Dans l’est du Canada, les sites des fermes de saumon concurrencent ceux utilisés pour la pêche au hareng (Clupea harengus). Le système juridique permet de résoudre parfois ce genre de conflits, mais une approche plus générale est la création par le gouvernement de zones réservées et de permis d’exploitation (Millar et Aiken, 1995). Il existe même un système pour classer l’utilisation de l’eau. Au large du nord ouest de l’Espagne, où les eaux peu profondes ont tendance à stagner, les cages d'élevage de saumon ont dû être déplacées vers des zones plus éloignées. Au Chili, des secteurs marins distincts sont délimités pour l’élevage du saumon et pour la pêche. En Zambie, des zones protégées ont été délimitées à cause de problèmes de conservation de l’eau, tandis qu'en Équateur, c'est pour des raisons de défense du territoire. Dans d'autres pays, comme au Malawi, l'on fait la distinction entre plan d'eau privé et plan d'eau public. L’objectif est d’assurer que le développement de l’aquaculture sera durable des points de vue économique, social et environnemental.

Un trait commun à la réglementation aquacole est l’obligation d’acquérir un permis avant d’installer une ferme. Ces permis représentent un moyen de réglementer l’industrie grâce au droit d’utilisation, et de diminuer les risques de conflits sur l’utilisation de la terre ou de l’eau. Les permis sont également utiles pour récolter des données. A la délivrance d’un permis pourrait être liée l’obligation de fournir des chiffres de production et des données techniques. Aux Philippines, certains producteurs doivent fournir chaque trimestre un rapport sur la production (Bonucci et al., 1993). Cependant, les coûts de suivi et de contrôle du respect du règlement peuvent être prohibitifs. Au Costa Rica, afin de faciliter la planification du secteur, les fermes doivent être enregistrées auprès d’INCOPESCA. On attend des fermes qu’elles fournissent au Registre, les détails des ventes, des intrants, des dates de récoltes et des méthodes de production (Porras, 2000). Cependant le Registre n’a pas encore été mis en place. Il n’y a aucune amende pour ceux qui ne sont pas enregistrés. Il n’y a pas non plus assez de personnel pour faire appliquer le règlement. De même en Thaïlande, le système d’enregistrement des fermes de crevette n’a pas été complètement mis en place. Une des raisons en est le manque de clarté des titres de propriété et aussi l’inquiétude sur le système d’imposition (Toskrina, 1999). Afin d’obliger les fermiers à remplir leurs obligations, il serait possible de lier le renouvellement du permis à la fourniture de données.

Il existe différentes procédures d’obtention des permis d’exploitation. Pour accorder les permis, la plupart des pays demandent des renseignements sur les aspects administratifs et économiques de l'élevage et sur sa localisation, ainsi que des informations techniques comme l’espèce à élever. Au Chili, au Mexique, au Mozambique, aux Philippines et au Venezuela, une étude d’impact environnemental est nécessaire avant de délivrer le permis. Cette exigence peut être réservée à des fermes dépassant une certaine taille, ce qui pourrait ignorer les effets cumulatifs de nombreuses fermes de petite taille. L'on peut également ne pas être d'accord pour exiger une étude d’impact environnemental non seulement pour son coût, mais aussi parce que ce coût pourrait décourager l’investisseur ou réduire la compétitivité du secteur. Au Chili, un plan de développement sur cinq ans est également demandé lors du dépôt du dossier. D’autres pays demandent des informations sur la nationalité, le Mexique et les Philippines limitant les permis à leurs ressortissants, et la France aux ressortissants de l’Union Européenne (Bonucci et al., 1993). La France exige aussi de prouver ses compétences en aquaculture. En général, la demande est adressée au ministère des pêches ou à un service similaire, mais cela varie suivant que la demande concerne un élevage marin ou un élevage en eau douce. La majorité des pays ont un permis commun à toutes les espèces, mais quelques-uns uns (France, Nouvelle Zélande et Philippines) demandent différents permis suivant les espèces ou pour des techniques d'élevage particulières.

L’obtention des différents permis peut faire intervenir divers services; cela nécessite du temps et peut même décourager certains investisseurs potentiels. Les réglementations ne doivent donc pas être trop contraignantes. Elles couvrent en général la jouissance des terres du domaine public, le droit d’eau, le rejet des eaux usées et même la qualité de l’eau. Parfois comme en République Populaire du Congo, l’autorisation d’installer un établissement aquacole garantit en même temps le droit d’utilisation de la terre et de l’eau. Dans d’autres pays, on demande des permis distincts. Au minimum, la réglementation devrait comporter quelques informations juridiques essentielles, telles que la place de l’aquaculture dans le système juridique, l'accès à la terre et à l’eau, ainsi que des règlements concernant l’environnement, l’importation de poissons vivants et l’introduction d’espèces étrangères (Andreasson, 1997).

La durée de validité des permis est variable, mais en général ils sont valables plusieurs années. Les permis de courte durée, par exemple un an seulement à Singapour, peuvent être insuffisants pour encourager les investissements dans le secteur (De Voe, 1991). Dans l’Ouest de l’Australie, les baux aquacoles peuvent être étendus jusqu’à 21 ans, mais des permis sont nécessaires et ne sont valables que pour douze mois. Des permis de courte durée permettent de contrôler les installations, tandis que des baux plus longs offrent le temps aux fermiers d’amortir leur investissement.

Dans certains pays, les permis sont négociables ce qui favorise l’efficacité et la consolidation de l’entreprise. Les fermes les plus performantes peuvent acquérir des permis tandis que les moins prospères vendent le leur et s’orientent vers d’autres activités. Néanmoins, la protection de l’intérêt public peu impliquer l’approbation de ces transferts, comme c’est le cas en Nouvelle Zélande et à Madagascar. Cela permet au gouvernement d’empêcher de trop fortes concentrations de fermes aquacoles. Cela permet également de mettre fin au bail si la réglementation n’est pas appliquée. Au Chili, les permis sont octroyées pour une durée indéterminée et sont négociables. Cependant, les bénéfices engendrés par les élevages de saumon ont favorisé le négoce spéculatif de permis, et le gouvernement a été obligé d’imposer un moratoire sur la délivrance de nouveaux permis (Bjorndal et Aarland, 1999).

La réglementation peut conduire à de l’inefficacité et à des rigidités bureaucratiques, ce qui est nuisible au développement et à son expansion; de plus, elle peut s’avérer difficile à appliquer. L’inefficacité et la rigidité peuvent avoir comme causes un chevauchement des lois, règlements et juridictions. Des chevauchements des juridictions rendent compliquée leur application et ont un effet dissuasif sur le développement de l’aquaculture. Ce danger est important dans les états fédéraux. Au Canada, afin de clarifier les responsabilités, le gouvernement fédéral exerce sa juridiction sur le domaine maritime, tandis que les gouvernements provinciaux sont responsables du domaine continental. Malgré cela, une des priorités du Canada est de rationaliser la législation aquacole afin de réduire l’ensemble juridique qui pèse sur l’industrie (Canadian International Development Agency, 2000). Lorsque la loi sur la pêche a été préparée, il n'y avait pas d'industrie aquacole. A présent, il existe 17 départements et agences fédéraux (en plus des départements provinciaux) qui exercent des responsabilités dans le secteur (INFOFISH, 1999). La duplication de la réglementation est inévitable. Dès lors, une revue complète de la législation aquacole est prévue. Dans d’autres états fédéraux comme en Allemagne, en Inde, au Nigeria et aux Etats-Unis, la responsabilité de l’aquaculture existe au niveau local, mais la réglementation concernant l’environnement et le transport de poisson au-delà des limites territoriales dépend de la juridiction fédérale. En Malaisie, l’aquaculture marine est en premier lieu réglementée par le gouvernement fédéral alors que l’aquaculture côtière (y compris l’élevage de crevette) est essentiellement sous la responsabilité des Etats (Van Houtte-Sabbatucci, 1999).

Lorsque les règlements sont nombreux, les demandeurs peuvent être aidés par un bureau unique où l’information est facilement accessible. En Inde, l’Aquaculture Authority, qui a été établie par la Cour Suprême en 1996 et qui a la responsabilité de l’aquaculture côtière, a largement diffusé dans les journaux et en langues locales, l’intégralité de la réglementation ainsi que les formulaires de demande pour la création d'élevages de crevette (Sakthivel, 1998). Elle a également publié des recommandations sur la densité d'élevage souhaitable pour les crevettes, les aliments et la conception des étangs. L’objectif (pas toujours couronné de succès) a été d’accélérer le traitement des demandes. En Jamaïque, plusieurs agences gouvernementales réglementent l’aquaculture, mais pour faciliter le traitement des demandes, une agence (la Jamaica Promotions Limited) a publié une brochure expliquant précisément ce qui était nécessaire. Cette brochure donnant les informations sur les procédures à suivre, a facilité le processus d’acceptation des dossiers, et tout particulièrement pour les investisseurs étrangers (Wint, 1991). En l’absence d’un document unique contenant la réglementation complète, l'on peut regrouper le personnel de différents services/agences en seul lieu. Aux Philippines, les investisseurs potentiels peuvent obtenir le détail de toute la réglementation dans un bureau unique. Au Canada, des guichets communs ont été créés pour aider les investisseurs et les guider entre les juridictions provinciales et fédérales. Le "guichet unique" joue le même rôle à Madagascar.

Dans certains pays, l'application de la demande peut prendre des années car chaque permis est réétudié complètement par chaque département (Filho, 1997). Cette lente approbation a constitué un obstacle au développement de l’industrie du saumon au Chili. En 1997, seules 15 pour cent des demandes déposées en 1995 avaient été traitées (Bjorndal et Aarland, 1999). A Porto Rico, l’aquaculture est un secteur prioritaire et on accorde aux fermes des moratoires et des prêts. Cependant, une nouvelle entreprise nécessite en moyenne deux à trois ans pour acquérir vingt permis différents (Wint, 1991). Cela montre qu’une fois les demandes déposées, la procédure d’approbation devrait être aussi rapide et transparente que possible. Cela réduit la marge de corruption et augmente la possibilité de voir se réaliser l’investissement. Des dates limites devraient être fixées et chaque agence ne devrait traiter que les dossiers de sa compétence. En plus, comme le suivi et l’application du règlement représentent du temps et de l’argent, le cadre réglementaire devrait être réduit à son minimum. En fait, un faible respect de la réglementation plutôt que son absence, peut être un élément important sinon essentiel, conduisant en aquaculture à des situations non durables (FAO, 1999c). Il arrive qu’il n’y ait pas de budget pour le suivi ou qu’il y ait des chevauchements de juridictions dans les différents départements. De simples classifications peuvent alors être suffisantes dans les pays ayant des budgets limités et un personnel insuffisant (Neiland et al., 1999). Idéalement, le suivi et le contrôle de l'application de la réglementation devraient être peu coûteux et la procédure de demande devrait être rapide.

Il existe de nombreux exemples en Afrique subsaharienne où l’aquaculture dépend de plus d’un département. Cela a conduit à des duplications, des rivalités et du gaspillage (Coche et al.,1996). Au Zimbabwe par exemple, la vulgarisation aquacole dépend de l’agriculture, mais le développement de l'aquaculture dépend du ministère du tourisme. Il serait préférable de disposer d’une agence gouvernementale unique, responsable du développement de l’aquaculture. Cette agence serait informée des activités des autres départements responsables de la production alimentaire et des ressources naturelles, et elle coordonnerait le secteur. Au Costa Rica, INCOPESCA a été responsable du développement, de la réglementation et de la recherche aquacoles depuis 1994. Au Honduras, DIGEPESCA non seulement réglemente le secteur mais prépare aussi le plan de développement aquacole.

Ce qui aggrave le problème de chevauchements de juridictions administratives est le manque fréquent d’un cadre juridique propre à l’aquaculture. Cela est dû au fait que dans plusieurs pays, celle-ci en est aux premiers stades de développement et qu’elle joue un rôle encore mineur dans les économies nationales. Un cadre juridique complet pour l'aquaculture existe dans la plupart des pays développés, quelques pays d’Europe de l’Est et en Asie (les Philippines par exemple). De nombreux pays africains n’ont pas de législation aquacole, ou une législation peu développée. Au début des années 90, seuls trois pays sur douze étudiés en Afrique subsaharienne possédaient une législation spécifique (Kenya, Madagascar et Nigeria); trois autres avaient une législation limitée (Malawi, Tanzanie et Zimbabwe), et d’autres n’en avaient pas du tout (Cameroun, RCA, Congo, Côte d’Ivoire et Zambie) - (Coche et al., 1996). Il existe en fait une autorité permettant de réglementer l’industrie, et des lois et règlements édictés sans faire référence à l’aquaculture sont appliqués. Il est fréquent que l’administration charge une personne, par exemple le Directeur des Pêches, d’établir la réglementation aquacole. En Zambie, ce pouvoir est confié au Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Pêches dans le cadre d'un décret de 1974 (Mudenda, 2000). Au Malawi, l’aquaculture est régie par la loi sur les pêches de 1973 (Bonucci et al., 1993; Kapeleta, 2000).

Cette absence de réglementation spécifique fait aussi que l’aquaculture est généralement administrée dans le cadre des pêches de capture (Andreasson, 1997). En fait, un cadre légal plus approprié à l’aquaculture, au moins pour les productions à terre, pourrait être celui de l’agriculture. Comme celle-ci, l’aquaculture produit des aliments, la différence essentielle étant que le milieu de production est l’eau plutôt que la terre. Les problèmes d’accès à la terre ou à l’eau, et le traitement des effluents, sont les mêmes. Dès lors, un cadre agricole semblerait mieux convenir, en particulier pour l'aquaculture en étang. Cependant un tel cadre pourrait ne pas convenir à l’aquaculture pratiquée dans des zones côtière, dans des plans d'eau continentaux ou en milieu marin, à cause des problèmes de libre accès à la propriété. En plus, l’élevage en eau saumâtre, comme la production de crevette, peut créer des dommages irréversibles et justifier des règlements spéciaux visant à protéger les régions côtières. Dans certains cas comme en France et en Espagne, la mariculture et l'aquaculture continentale dépendent de différentes législations et dans d’autres pays, comme l’Equateur, seules certaines zones (les zones côtières pour la culture de crevettes) sont réglementées.

L’absence d’un statut juridique pour l’aquaculture, qui reconnaît légalement l’utilisation de la terre et/ou de l’eau en aquaculture, peut gêner le développement du secteur. Dans une enquête menée sur neuf pays du Proche Orient, l'on a cité comme principal obstacle au développement de l’aquaculture, une législation faible, tout particulièrement sur la protection de l’environnement et le mouvements d’animaux aquatiques (El Gamal, 2000). Ce manque de cadre juridique était rendu plus contraignant encore par une lourde bureaucratie et le manque de coopération entre les services en charge de l’aquaculture. D’autre part, les bénéfices attendus d’un cadre juridique trop complexe peuvent ne pas justifier son coût. En 1984, des consultants ont produit un document complet de 250 pages proposant une législation aux Bahamas. Mais au début des années 90, aucune des propositions n’était édictée, car l’aquaculture était encore une activité trop marginale (Thompson, 1991).

Des mesures complémentaires pour orienter et contrôler les techniques d’élevage peuvent être des motivations d’ordre économique, et des mesures d’autoréglementation prises par le secteur. Les motivations d’ordre économique reposent sur les prix qui sont un élément déterminant pour guider les comportements des producteurs (William, 1999). Elles permettent d’éviter quelques-unes des dépenses de suivi et d’application de la réglementation. Comme exemple d’incitation positive, l'on peut citer l’Equateur qui propose des dispenses d’impôts aux entreprises qui traitent les effluents; d'autres pays imposent une taxe sur l’eau usée (FAO, 1999c). D’autres motivations comprennent des obligations ou des versements obligatoires qui sont remboursés si l’environnement ne subit pas de dégradations. Les impôts sur l’utilisation abusive de substances nocives pour l’environnement, comme les antibiotiques, peuvent avoir de l’effet si la demande pour les produits aquacoles est élastique par rapport aux prix. Des subventions peuvent aussi être utiles, bien qu’elles aient l’inconvénient de représenter un coût pour le gouvernement (ou le donateur). Au Sri Lanka, des prêts alloués à des taux d’intérêt préférentiels sont offerts pour l’installation de systèmes de traitement de l’eau.

L’autorégulation sous la pression du milieu professionnel lui-même, en particulier pour les fermiers qui investissent à long terme, peut également être efficace. Les "Meilleures pratiques de gestion" représentent des codes de gestion autorégulée qui peuvent avoir pour origine le gouvernement ou être adaptées d’une organisation de producteurs (FAO, 1999c). A Yokohama, le respect des pratiques de bonne gestion est basé sur les communautés (Hideyuki,1999). Les pisciculteurs sont encouragés à conduire leurs élevages d’une manière responsable, et ont plus tendance à gérer à leur niveau les atteintes à l’environnement que beaucoup d’autres secteurs industriels, car celles-ci conditionnent directement leur propre production. Dans leur propre intérêt, les éleveurs sont encouragés à réduire la pollution. L’utilisation d’antibiotiques dans les élevages de saumon norvégiens a fortement baissé depuis 1987 pour tomber actuellement à un niveau proche de zéro. Cette utilisation avait un impact négatif non seulement sur l’environnement mais aussi sur l’image (et les marchés) du saumon d'élevage norvégien (Bjorndal et al., 2000).

Un autre exemple d’autoréglementation est la baisse des dégâts causés à l’environnement par les déperditions d’aliments. Les aliments comptent pour près de 50 pour cent des coûts totaux dans les fermes de saumon norvégiennes. La charge des coûts élevés des aliments et la baisse des rendements due à la pollution résultant d’un excès d’alimentation a incité les producteurs à diminuer les quantités distribuées (Asche et al., 1999). Ainsi, des taux d’alimentation plus bas ont réduit le gaspillage et les dégâts à l’environnement qui en résultaient.

Politiques sectorielles spécifiques dictées par l’offre et la demande

Abandon des stations d’État

Une des caractéristiques de l’aquaculture en Afrique subsaharienne est l’existence de stations piscicoles d’Etat, dont beaucoup sont abandonnées. Elles ont plusieurs rôles. D’abord, elles produisent des alevins, qui sont distribués gratuitement ou à un prix subventionné. Ensuite, elles produisent des poissons de consommation. En troisième lieu, elles permettent de démontrer des techniques aquacoles. Ceci est important dans les régions où la gestion de l’eau et les méthodes d’élevages sont des concepts récents. En plus, elles servent de centres de formation et de recherche.

Construites par des donateurs pour vulgariser les connaissances, elles ont été abandonnées une fois les fonds des donateurs épuisés. Les coûts d’exploitation ne pouvant être couverts par les budgets du gouvernement. Parfois, l’absence de budget a obligé les responsables à devenir entrepreneurs et à vendre les production sur le marché. Mais une telle pratique peut ne pas être acceptée par les responsables en haut lieu. Les gérants ont alors dû verser le montant des ventes de poisson au département, ce qui a diminué leur motivation. De plus, cette pratique de vente de poisson produit dans des stations publiques n’offre pas une concurrence loyale aux producteurs privés. Compte tenu de la situation précaire de certaines stations, il existe un remède qui est de les transférer au secteur privé. De fait, certaines recommandations indiquent que le nombre des stations d’Etat devrait être divisé par deux en cinq ans, à partir de 1999 (FAO/Regional Office for Africa, 1999). Tandis que certains rôles de ces stations, qui ont été décrits plus haut, pourraient et devraient être transférés au secteur privé, d’autres, tels la recherche et la formation, appartiennent au secteur public. À cause du résultat incertain de la recherche et de l’impossibilité de s'approprier exclusivement de tous ses résultats positifs, la recherche n’attire pas le secteur privé, au moins dans les premières étapes du développement du secteur. De même, le maintien de la qualité des géniteurs nécessite des stations publiques si la production privée d'alevins recherche davantage la productivité que la qualité (Little, 1998). Au Costa Rica, les stations d’Etat ont mené le gros de la recherche sur le tilapia et les résultats ont pu être appliqués par la société Aquacorporación. Cette expérience incite à conserver quelques stations publiques pour mener les travaux de recherche.

L’avantage de la privatisation, lorsqu’elle est possible, est qu’elle allège les gouvernements des coûts opérationnels. La privatisation tend aussi à développer une gestion efficace. Cela a été vérifié lors de la privatisation de fermes agricoles d'État (Cleaver, 1993). Si les investisseurs ne manifestent pas d’intérêt à acquérir une ferme d’Etat, au moins la gestion pourrait être privatisée. Avec une bonne gestion, la station pourrait engendrer des bénéfices et éveiller l’intérêt d’investisseurs locaux.

La privatisation présente aussi des inconvénients. Elle conduira, du moins au début, à augmenter le prix des alevins. Cela est à peu près inévitable, au moins dans les premiers temps. Ensuite cependant, ces prix plus élevés pourraient provoquer l’intérêt d'investisseurs, augmenter la production puis refaire baisser les prix. Cela a été constaté à Madagascar lorsque toute la production d'alevins a été privatisée. La privatisation peut aussi créer des pertes d’emploi parce que le secteur privé n’emploie de la main-d’œuvre que si elle est rentable. Cependant, les employés maintenus recevront de meilleurs salaires, ce qui en partie compense la perte d’emplois.

La procédure de privatisation pourrait suivre celle utilisée par les institutions agricoles para-étatiques, plusieurs d’entre elles ayant été transmises au secteur privé à travers des programmes de restructuration (Cleaver, 1993). La première étape est d’établir les responsabilités et souvent de réorganiser la gestion. L’objectif est d’éponger les dettes et de présenter une entreprise rentable avant de la vendre ou d’établir un bail. S’il doit y voir des pertes d’emplois, les travailleurs doivent être licenciés par le gouvernement avant la vente ou le bail. Cela écarte le soupçon porté sur la nouvelle entreprise privée. Quant à la vente, plusieurs possibilités existent. L'une consiste à ce que le gouvernement fixe le prix. S’il y a une évaluation, la transparence est importante; les banquiers gérants de portefeuilles privés sont souvent mieux à même que les gouvernements pour évaluer l’actif et préparer la privatisation. Une autre voie est la vente par enchères. Ces deux procédures créent des risques pour les petits fermiers. L’alternative est de donner un droit de premier refus aux petits fermiers locaux et de les inciter à acquérir des stations sous forme coopérative, comme cela a été le cas à Madagascar. Une autre possibilité est de créer d’abord une opération conjointe gouvernememt/secteur prive, le gouvernement vendant ensuite ses parts petit à petit. Cela demande moins de fonds propres des investisseurs et peut être une bonne approche pour développer la propriété locale. Cela donne également du temps aux gestionnaires pour se familiariser avec la gestion et c’est un moyen de réduire les risques. Cela suppose cependant qu’il y ait un engagement de totale privatisation future.

Privatisation des services de formation et de vulgarisation

Une aquaculture commerciale durable ne peut se passer de services de vulgarisation, mais peut en modifier les sources de financement. Une partie peut venir du secteur privé. Au Costa Rica, les services de vulgarisation ont mis en place un programme de recherche sur les sites et sur les espèces. Le savoir-faire a été transmis à Aquacorporación. Cela s’est avéré fondamental pour la réussite de l’entreprise (Porras, 2000). En Jamaïque, les services publics de vulgarisation ont contribué à la mise en place d'élevages industriels de tilapia grâce à la fourniture de services tels l’évaluation de sites, le calendrier de récolte et la fourniture d’alevins (Carberry, 2000). Une fois le secteur bien installé, l’Université des West Indies a de plus en plus organisé des sessions de formation technique. De son côté, la plus grande ferme (Aquaculture Jamaica Ltd), fournit des conseils techniques aux métayers et des lignes de crédit pour appuyer les services publics de vulgarisation. Aux Philippines et en Thaïlande, les fabricants d'aliments fournissent des conseils techniques aux éleveurs. A Samut Sakhon (Thaïlande), une compagnie de Taiwan (Province de Chine) a installé une usine d’aliments puis introduit l’élevage de crevettes. La fourniture de conseils aux fermiers sur les aspects techniques des élevages et sur la gestion des étangs a fortement augmenté le nombre de fermes en même temps que la demande d’aliments dans les années 80 (Tokrisna, 1999).

Il existe une alternative qui est le conseil payant: les fermiers payent pour des services de vulgarisation en fonction de leur utilisation. Ceci présente l’avantage de rationaliser une situation de pénurie en personnel et en budget. Ceci incite également à améliorer la qualité des services techniques. En plus, le secteur privé peut aider les services de vulgarisation, tout spécialement en développant la formation de son personnel et des éleveurs. Aux Philippines, les usines d'aliments forment les éleveurs de tilapia. Evidemment, cela n’est pas désintéressé, mais les éleveurs y trouvent aussi leur intérêt. La méthode de "l’utilisateur paie" a des implications sur les budgets et sur leur répartition: elle décharge le secteur public de certains coûts, permettant aux services de vulgarisation publics de se concentrer davantage sur le secteur artisanal. Cela peut être particulièrement indiqué en Afrique subsaharienne où il existe un risque que les compétences techniques en aquaculture soient diluées lorsque les pressions budgétaires obligeront les services de vulgarisation aquacole à fusionner avec ceux plus importants de l’agriculture afin de ne plus former qu'un service unifié (Entsua et al., 2000).

Promotion des fermes de grande taille

Pour se développer, l’aquaculture commerciale nécessite des infrastructures et des intrants qui ne sont pas toujours disponibles sur place. A Madagascar, l’élevage de crevettes a montré que pour bien fonctionner il lui fallait des écloseries, des installations de prégrossissement, des chaînes de transformation et, soit l’équipement pour fabriquer les aliments, soit les installations pour stocker l’aliment importé. Afin de faire face à ces contraintes, la stratégie de Madagascar a été de faciliter l’installation de grandes fermes (Kasprzyk et al.,1993). Seules celles-ci avaient les ressources financières et les compétences nécessaires, et pouvaient investir dans de telles infrastructures à bon escient.

Les grandes fermes peuvent également contribuer à accélérer l'acquisition des connaissances nécessaires et, par leur exemple, inciter d’autres investisseurs à entrer dans le secteur. Même si le tilapia a été introduit en Honduras en 1932, la production n’a pas atteint 200 tonnes par an jusqu’en 1990. L’installation de trois grandes fermes en 1991 a permis au secteur de se développer; la production a augmenté jusqu'à dépasser 1 500 tonnes en 1995 (Morales, 2000). Dans les îles de Pacifique, la culture d’huîtres perlières semble avoir bénéficié de la présence de gros producteurs. Les producteurs artisanaux avaient des difficultés au niveau de la commercialisation. Les gros producteurs ont ouvert le marché et développé le secteur grâce à des productions importantes et régulières de perles de qualité. Afin d’obtenir les avantages d’accès au marché fournis par les grandes sociétés en Polynésie française, les nombreux petits producteurs de perles marines ont fourni du naissain aux grandes sociétés (Tisdell, 1998).

Un autre exemple de l’importance des fermes de grande taille dans le développement de l’industrie est la production commerciale de tilapia en Jamaïque. Au départ, les stratégies de développement de l’aquaculture se sont concentrées sur l’aquaculture rurale artisanale. Ce développement était lent parce que les fermiers voulaient produire pour créer du profit (Wint, 1996). Le gouvernement ensuite s’est concentré sur les grandes fermes. Au début des années 80, se sont installées deux fermes de grande taille. Tollgate était une opération conjointe entre la National Investment Bank de Jamaïque et un groupe israélien et Aquaculture Jamaica Ltd (AJL), une filiale de Jamaica Broilers Group. La principale motivation de cette dernière était de se diversifier pour obtenir des devises en exportant du tilapia (Carberry, 2000). Plus tard, le Jamaica Broilers Group a acquis Tollgate. A présent, sa production représente près de 90 pour cent de la production annuelle nationale qui atteint 3 600 tonnes. La compagnie a pu gérer les à-coups, grâce à sa taille. En 1998, lorsque le prix des aliments a fortement augmenté, AJL a pu amortir cet impact grâce à des reports d’achats (Carberry, 2000). Il lui a été aussi possible de développer un réseau de commercialisation à travers Jabexco, sa filiale chargée de l’exportation; cela lui a permis d’exporter près de la moitié de sa production aux Etats-Unis, au Canada, en Grande Bretagne, en Allemagne et en Belgique. Sa position dominante n’a pas produit d’effets néfastes sur le secteur; l’effet semble même avoir été positif. La société s’est créé une réputation de qualité dans les cinq pays clients, ce qui a eu des effets positifs sur la réputation des autres produits jamaïcains (Wint, 1996). Cela a aussi encouragé d’autres investisseurs à produire du tilapia. Afin d'augmenter ses exportations, AJL a signé des contrats avec des fermes de petite et moyenne taille, sur l’exemple de ses contrats pour la production de volaille. Actuellement, 11 fermes sous contrat produisent 850 tonnes de tilapia par an (Carberry, 2000). Les fermiers perçoivent un prix plus bas que le prix de détail, mais ils ont une garantie d’intrants et de marché. AJL fournit également aux fermiers sous contrat des services de vulgarisation en les faisant profiter de ses méthodes d’élevage et de ses connaissances techniques. De plus, AJL a, grâce à son succès, stimulé l’intérêt d’autres grands groupes pour l’aquaculture commerciale.

Promotion de l’investissement étranger

En cas d’absence d’engagement ou d’engagement local limité dans l’aquaculture commerciale, comme c’est le cas en Afrique subsaharienne, il existe une stratégie qui est d’attirer directement l’investissement étranger. Ceci accélère le processus d’acquisition de technologie et d’expertise et peut donner de l’élan à tout le secteur. Les opérations conjointes peuvent être encouragées; elles apportent des capitaux étrangers et de l’expertise tout en offrant aux investisseurs locaux la possibilité d’être partie prenante et d’acquérir des connaissances techniques.

Cependant, les investisseurs étrangers demandent des garanties sur le rapatriement des bénéfices et du capital, ainsi que l’absence de restriction sur le change des monnaies. Le rapatriement des bénéfices est une question particulièrement sensible aux investisseurs étrangers (World Economic Forum, 1998). Les investisseurs peuvent aussi s’attendre à des exemptions d’impôts ainsi qu’à d’autres encouragements, comme des swaps de capital contre dettes et des moratoires. Dans l’Union Européenne, les investisseurs en aquaculture peuvent obtenir le remboursement par l’Union Européenne et par leur gouvernement national des coûts des coûts d'investissement à hauteur de 40 pour cent. En plus, ils peuvent obtenir des taux d’intérêt subventionnés. A moins que les bénéfices ne soient suffisamment élevés pour compenser les risques d’investir dans la région, et pour le capital additionnel investi, des mesures d'incitation peuvent être nécessaires. Celles-ci ont un coût économique. De plus, elles peuvent avoir un coût social, dû au ressentiment contre la domination du secteur par des étrangers. Cela s’est vérifié au Chili dans la Dixième Région suite aux investissements étrangers dans des élevages de saumon, bien que l’augmentation des salaires ait compensé cette situation dans une région où la main-d’œuvre était rare (Ridler, 1994). Les investisseurs étrangers peuvent aussi employer des gestionnaires étrangers, réservant à la main-d’œuvre locale les emplois non qualifiés. La possibilité existe aussi que la recherche et le développement soient menés au niveau des bureaux-mères et non pas dans le pays d’accueil. Ces coûts doivent être comparés aux bénéfices tirés de l’acquis technologique, des rentrées de devises et du développement d'un secteur en expansion.

Le Chili a montré que l’aquaculture commerciale pouvait se développer en favorisant l’investissement étranger. Au début des années 90, la propriété des fermes de saumon était principalement locale, mais les plus grandes entreprises étaient surtout étrangères. En plus de Marine Harvest (Unilever), il y avait Salmones Antartica (japonais), et Mainstream (britannique). La Norvège, les Etats-Unis, les Pays Bas et la Nouvelle Zélande étaient aussi présents. Les investisseurs étrangers avaient le droit de rapatrier leurs bénéfices à tout moment, et leur capital après trois ans (Chocair, 1991). Un accord sur la dette et le capital a été mis au point, afin d’encourager la participation étrangère dans l'élevage de saumon, des primes en peso chilien étant versées contre la dette en devises. En rachetant au second marché la dette chilienne libellée en devises, les investisseurs étrangers étaient remboursés de la valeur nominale en pesos. Non seulement cette politique a réduit la dette extérieure en devises du Chili, mais en plus, cela a accéléré le développement du secteur. L’industrie est devenue source de devises, plus 90 pour cent de la production de saumon étant destinés à l’exportation10. En attirant de grands groupes à investir dans ce secteur, le Chili a évité de devoir aider financièrement les producteurs nationaux. Les risques inhérents à la création d’une industrie nouvelle ainsi que les coûts d’acquisition de technologie et de savoir-faire ont ainsi été supportés par le secteur privé.

Le Costa Rica aussi a développé son aquaculture commerciale en encourageant l’investissement étranger. Comme au Chili, la plus grosse partie de la production est exportée. Une société étrangère européenne (Aquacorporación Internacional) domine la production de tilapia. La demande en aliments de cette compagnie était suffisamment grande que pour stimuler la production d'aliments aquacoles par des usines locales. La compagnie a aussi suscité l’intérêt des producteurs locaux pour l’élevage, encourageant ainsi l’émulation du secteur (Porras, 2000).

En Honduras, l’élevage du tilapia a été introduit en 1936 à partir de géniteurs importés du Salvador. L’objectif était de développer le secteur artisanal. Cependant, l’industrie n’a pu se développer avant 1990, date à laquelle l’intérêt s’est porté sur des élevages à l'échelle commerciale afin d’encourager les investissements étrangers dans ce secteur. De même, le développement de l’industrie de la crevette a été accéléré par la politique gouvernementale sur les investissements étrangers. En 1999, l’aquaculture représentait le quatrième poste d’exportation après la banane, le café et l’huile de palme. En moyenne, elle rapporte à l'économie nationale 90 millions de dollars EU bruts par an (Morales, 2000). En 1997, les exportations de crevettes ont rapporté 164 millions de dollars US (Hishamunda, 2000a).

En Afrique, la crevetticulture se développe rapidement à Madagascar parce que le gouvernement a établi une politique attractive pour les investissements étrangers. Au Mozambique, une des trois fermes d'élevage de crevette appartient à un ressortissant national; les deux plus grandes appartiennent à des investisseurs français. L’investissement étranger semble aider le démarrage de l’aquaculture commerciale tout en contribuant à la création d’emplois, au transfert de technologie et à la diversification des exportations. L’industrie aquacole s’est également développée au Nigeria, l'un des plus gros producteurs de poisson en Afrique subsaharienne, grâce aux investissements étrangers.

Politiques d’introduction d’espèces étrangères

L'une des questions les plus importantes pour un éleveur ou un décideur intéressé dans le développement de l'aquaculture est de savoir quelle espèce devrait être cultivée (Sandifer, 1991). Comme déjà mentionné, trois facteurs devraient guider le choix des espèces à élever commercialement. Le premier facteur est le marché. Le produit peut-il être vendu? Quels sont ses avantages face aux produits locaux et le marché peut-il changer? Le deuxième facteur est d’ordre technique? Sait-on produire cette espèce? Le troisième facteur est le choix entre une espèce indigène et une espèce introduite. Ce dernier facteur se présente si, pour être viable économiquement, l’aquaculture commerciale doit introduire une espèce exotique. Il faut alors peser les avantages (bénéfices possibles) et les inconvénients (dangers pour l’environnement). On trouve la même approche en agriculture où les principales productions viennent d’espèces importées.

Dans sa Base de données sur les introductions d’espèces aquatiques, la FAO possède des données sur 3 150 introductions concernant 654 espèces. Il est clair que si les effets négatifs de l'introduction de nouvelles espèces pour l'aquaculture sont l’exception, il y en a eu cependant, surtout en aquaculture continentale (Bartley et Casal, 1999). L’espèce introduite peut devenir nuisible, en créant des dégâts non seulement à l’environnement mais aussi à l’élevage d’autres espèces. L’introduction de crevettes malades à Taiwan (Province de Chine) a eu des effets négatifs sur l’industrie de la crevette de mer. L’introduction de l’huître du Pacifique en Australie a créé des dommages dans les élevages de l’espèce Sydney rock, en déplaçant cette dernière (Tisdell, 1998). Les espèces qui s’échappent des élevages modifient aussi l’écosystème. Afin de se protéger des maladies, la plupart des pays possèdent une réglementation sur les importations de poissons vivants et l’introduction d’espèces exotiques. La Zambie requiert une autorisation pour l’importation de poissons vivants et le Malawi interdit les mouvements de poissons vivants, ce qui affecte le secteur aquacole (Bonucci et al., 1993).

Cependant, dans de nombreux pays, l’aquaculture commerciale qui a réussi, s’est développée grâce à l’importation d’une espèce reconnue sur le marché. C’est le cas au Costa Rica, en Jamaïque, en Zambie et au Zimbabwe avec O. niloticus. Dans ces pays, les espèces existantes n’étaient pas appréciées des consommateurs, mais l’introduction de O. niloticus et un marketing astucieux ont donné un essor à l’industrie. En fait, le choix du tilapia comme espèce cible en Jamaïque a été un facteur déterminant dans le succès du secteur (Carberry, 2000). Les salmonidés ne sont pas endémiques au Chili. Cependant, la production s’y est développée à partir d’importations d’œufs. En 1992, le Chili est devenu le deuxième producteur mondial de saumon d’élevage avec plus de 50 000 tonnes, en comparaison des 3 000 tonnes produites cinq ans plus tôt. Comme l’élevage du saumon de l’Atlantique (Salmo salar) était plus intéressant que celui du saumon du Pacifique à cause de taux de mortalité plus bas, de plus fortes densités d’élevage en cages et de meilleures ouvertures sur le marché des Etats-Unis, le Chili a abandonné le saumon du Pacifique au profit du saumon de l’Atlantique. En 1992, le Chili produisait davantage de saumon de l’Atlantique que du Pacifique. Malgré l’accès libre d’œufs importés, la Chili a eu la chance jusqu’à présent d’éviter les effets négatifs. Les bénéfices en termes d’emploi, de revenus et de devises ont été considérables.

Ces informations montrent que les décideurs devraient évaluer les coûts et bénéfices avant de décider d’introduire ou non une nouvelle espèce d’élevage, en portant une attention particulière à l’évaluation a priori des risques et en suivant les recommandations à ce sujet. Les bénéfices économiques de l’introduction d’une nouvelle espèce peuvent dépasser les risques écologiques, l'introduction d'une espèce exotique présentant de nets bénéfices. Cependant, la gestion du risque implique qu’une attention toute particulière soit portée au principe de précaution, les espèces exotiques ne devant être introduites qu’en dernier ressort. La FAO a publié des directives pour l'introduction d'espèces exotiques.

Politiques de marché

En plus de fournir des facilités à l’investissement étranger, les gouvernements peuvent donner le coup d’envoi de l’aquaculture commerciale grâce au développement des marchés. Ils peuvent choisir d’installer un marché pour que le poisson soit manipulé et vendu dans de bonnes conditions d’hygiène. La Fish Marketing Organisation du marché central de Bangkok est une entreprise étatique en charge de la commercialisation du poisson. Le poisson est vendu par des agents qui doivent être enregistrés au Département des Pêches. Avec le développement du secteur industriel, le rôle de commercialisation est passé rapidement à des marchés privés (Piumsombun, 1999). En Chine, le gouvernement a joué un rôle actif en investissant dans les marchés. Il en existe plus de 300 situés à la fois dans les zones de production et dans celles de consommation (Huang, 1999). Cependant, comme en Thaïlande, le secteur privé remplace progressivement le secteur public dans ce secteur. En Jamaïque, le gouvernement a nommé un fonctionnaire responsable de la commercialisation, avec pour objectif de développer le marché du poisson d’élevage. Des tests de dégustation ont été proposés lors de réunions officielles; le gouvernement a aussi publié des livres de recettes et réalisé des démonstrations culinaires pour la radio et la télévision (Wint, 1996). Pour faciliter la logistique, l’Unité des pêches continentales a fourni aux gros acheteurs des moyens de transport et de la glace. Cette aide a diminué au fur et à mesure que l’industrie s’est développée, le transport et la commercialisation étant graduellement assurés par le secteur privé au fur et à mesure que de plus grandes sociétés investissaient dans l'aquaculture commerciale.

Promotion des associations de producteurs

Dans la plupart des pays, l’aquaculture ne pèse pas économiquement autant que l’agriculture, ni même que la pêche. Ainsi, l’intérêt qui y est porté est souvent négligeable. Les organisations de producteurs peuvent être utiles, simplement comme groupes de pression. Elles sont aussi souvent utilisées comme un moyen d’échanger de l’information et de transmettre des connaissances techniques. Pour les espèces commerciales, un des rôles majeurs des associations de producteurs est d’accroître la part de marché en diversifiant ses produits. La commercialisation de marques pour différencier les produits, peut-être dans un environnement économique exceptionnel, est une tentative de s’éloigner des prix de base pour tendre vers la concurrence monopolistique et le système de fixation des prix. De plus, les associations de producteurs peuvent collaborer à l’augmentation de la demande grâce aux produits génériques. Des producteurs concurrents du Canada, du Chili et des États Unis ont, à travers leurs associations, mené une campagne de commercialisation sur trois ans pour faire la promotion du saumon d’élevage aux États Unis, leur principal marché. Environ 30 millions de consommateurs ont été joints dans un grand nombre de villes-cibles. Les résultats montrent clairement que cette campagne a été couronnée de succès auprès des consommateurs jeunes et ayant un revenu supérieur à 50 000 dollars par an (Infante, 1999). La consommation de saumon d’élevage dans les villes-cibles a augmenté de 9 pour cent de plus que dans les villes-témoins où il n’y avait pas eu de campagne pour ce produit. Les prévisions indiquent que le marché américain du saumon de l’Atlantique d'élevage va plus que doubler entre 2000 et 2005 (Kontali Analyse, 1999).

Sous sa forme la plus efficace, une organisation de producteurs commercialise ses produits avec l’assurance que la qualité soit toujours élevée, qu’elle opère un auto-contrôle de la réglementation et que des fonds soient même alloués à la recherche. On peut citer plusieurs exemples d’associations qui offrent une gamme de tels services: l’Association chilienne des producteurs de truite et de saumon, la Fundación Chile et TILACOOP au Costa Rica. Au Chili, la commercialisation a été l'un des outils essentiels de promotion du secteur, mais à travers des associations de producteurs. En 1986, lors de la création de l’Association chilienne des producteurs de truite et de saumon, la production atteignait 1 000 tonnes et les exportations s’élevaient à 5 millions de dollars. Les producteurs cotisaient à niveau de 3 cents par kilo. En retour, l’Association garantissait les normes HACCP (Système d'analyse des risques - points critiques pour leur maîtrise) et se chargeait de la publicité. Ces normes avaient pour objectif de garantir pour tous les produits exportés une qualité élevée et constante, ce qui rassurait les acheteurs. En 1989, l’Association dépensait en frais de commercialisation 2,8 pour cent du montant des ventes; ce qui, en pourcentage, était plus que la Norvège et l’Ecosse réunies. En 1998, la production avait atteint plus de 200 000 tonnes et les exportations représentaient 714 millions de dollars (Shaw et Gabbott, 1999).

Au fur et à mesure que l'industrie atteignait son stade de maturité, l’Association chilienne qui avait été active en commercialisations de marque et générique, et qui avait maintenu des normes de qualité, a encouragé l’autoréglementation du secteur de façon à réduire l’intervention du gouvernement. Cela se fait grâce à l’application de l’équivalent d'un Code de conduite pour une aquaculture responsable. Elle a également financé de la recherche sur des questions d’environnement et sur la pathologie aquacole, et encouragé le transfert de technologie à travers son Institut de Technologie du Saumon, fondé en 1993.

La Fundación Chile a été un instrument de promotion de l’élevage du saumon en installant des fermes qui ont été vendues ensuite; elle a activement favorisé le transfert de technologie. Les recherches actuelles portent sur la pathologie et la nutrition (Bjorndal et Aarkland, 1999). Au Costa Rica, les éleveurs de tilapia au niveau artisanal ont créé une coopérative, TILACOOP. Elle est financée grâce à une part de la production. Ses services comprennent la fourniture d'alevins, l’approvisionnement en aliments meilleur marché, la coordination de l’assistance technique et la conduite des recherches souhaitées par les producteurs. Comme son homologue au Chili, TILACOOP commercialise localement et exporte.

En Afrique subsaharienne, une étude menée au début des années 90 a montré que rien qu'au Nigeria qu’il existait près de 4 000 coopératives, la plus ancienne datant de 1907. Cependant, bien que nombreuses, elles n’ont, généralement pas eu beaucoup de succès à cause d’une mauvaise gestion et d'influences politiques (Turtianen et Hussi, 1992). Au moins au Ghana, au Kenya et au Nigeria, la législation sur les coopératives a nécessité une révision pour les libérer de la gestion étatique et les autoriser à vendre elles-mêmes leurs productions. L’expérience des associations agricoles a montré qu’avec l’autonomie de gestion et une orientation vers le commerce, elles peuvent avoir autant de succès que les coopératives caféières au Kenya (Cleaver, 1993). En étant indépendantes financièrement et en payant des intérêts au prix du marché, les associations de fermiers au Kenya et au Nigeria ont très bien réussi la gestion de l’eau et la diffusion de techniques de transformation des produits. Il existe aussi des associations coopératives d’épargne et de crédit. Au Bénin, au Burundi, au Cameroun et au Ghana, elles ont rencontré un vif succès, mobilisant l’épargne des fermiers et octroyant des prêts à des taux incluant les coûts de gestion et les risques (Cleaver, 1993).

Il est possible que des groupes de producteurs et des fermiers modèles soient davantage impliqués dans la formation et la vulgarisation (FAO/Regional Office for Africa, 1999). De plus en plus, en Afrique subsaharienne, le coût élevé de services de vulgarisation spécifiques pour l’agriculture et l’aquaculture fait envisager la fusion de ces deux services en un seul. L’inconvénient d'un service de vulgarisation unifié est que le personnel peut ne pas être aussi bien au courant des problèmes du secteur le moins important, l’aquaculture. Pour la fourniture d’une assistance technique adéquate tout en minimisant les dépenses publiques, l’utilisation de services de vulgarisation ciblés sur des groupements de fermiers et des fermiers modèles pourrait avoir des avantages.

Politiques de recherche et de développement technique

La recherche aquacole présente deux aspects principaux: la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Le stade de développement des espèces élevées et les procédures d'allocation des fonds devraient guider les dépenses et l’origine des fonds à imputer à la recherche.

Les essais sur les espèces et les techniques de production peuvent durer des dizaines d’années, et ne sont pas toujours couronnés de succès. On définit généralement trois étapes. Au cours de l’étape de développement initial d’une espèce, s’ils sont positifs, les bénéfices financiers de la recherche sont en général minimes. Pendant cette période, la recherche a surtout un financement public, et elle est le plus souvent peu importante. Cela est dû en partie à la nouveauté de l’activité et au peu de poids que l’aquaculture a dans l’économie nationale. Aux Philippines, l'importance de la recherche, calculée sur les dépenses qui y sont consacrées par rapport à la valeur de la production, est voisine de 0,3 pour cent (Olalo, 1999). En Australie, ce chiffre atteint 0,5 pour cent (Ogburn et Evans, 1998).

A ce stade, les financements sont surtout publics. Et cela parce que la recherche présente un caractère de propriété commune. Les résultats ne peuvent être conservés par seulement l’agence qui les finance. Comme les fermes qui financent la recherche ne peuvent être propriétaires des résultats et que celles qui ne contribuent pas peuvent en bénéficier gratuitement, le secteur privé n’a pas ou peu d’intérêt à investir dans la recherche à ce stade (Bjorndal et al., 2000). La raison pour laquelle le gouvernement doit financer la recherche est d’encourager l’installation d’entreprises qui bénéficieront des résultats positifs. Au Costa Rica, pour installer ses fermes, Aquacorporación a appliqué les résultats de recherches sur la qualité des sols, les marchés et l’élevage du tilapia produits par la recherche publique (Porras, 2000). Également, Aquacorporación ainsi que d’autres fermes commerciales plus petites ont adopté la culture de tilapia monosexe qui avait été développée avec des fonds publics par INCOPESCA (Instituto Costarricense de Pesca y Acuacultura).

En plus du budget alloué à la recherche, les décideurs peuvent influer sur les résultats des dépenses11. En Afrique subsaharienne, alors que l’aquaculture est une activité récente, elle a été étudiée dans certains pays au moins depuis les années 40 ou 50 (Entsuah-Mensah et al., 1999). Cependant, l’impact de la recherche, vu à travers la production, a été limité. Le faible niveau de production peut être attribué en partie aux faibles avantages économiques consentis aux producteurs. Cependant, la raison réside aussi en partie dans le faible niveau de coordination de la recherche et les difficultés à en diffuser les résultats en Afrique subsaharienne (Coche, 1996). Une des solutions proposée a été de créer un réseau régional d’information (Coche et Collins, 1997). Une autre raison a été le manque de recherche initiée par les utilisateurs des résultats (Entsuah-Mensah et al., 1999). Si les programmes de recherche sont définis dans une approche du sommet vers la base, les compétences existantes et les intérêts personnels orientent la recherche publique, et cela n’est pas uniquement le cas en Afrique. En Asie, une étude menée sur plus de douze pays a montré que la majorité du personnel de recherche était des biologistes, ce qui a donné une place prépondérante à la recherche biologique et technique (FAO et NACA, 1997). Les programmes ont été établis sur l’offre, ce qui n’était pas dans l’intérêt du secteur. Sur 330 projets de recherche étudiés, plus de 80 pour cent ont été dirigés vers les techniques aquacoles et les systèmes d’élevage. Moins de 3 pour cent du total restant ont été consacrés aux politiques de développement, à la planification, à la socio-économie et à la gestion. Pour obtenir des programmes de recherche dictés par la base, le secteur privé devrait être impliqué, soit comme source de financement, soit comme l'un des partis intéressés définissant les programmes de recherche.

Après l’étape initiale, il peut se produire une baisse relative de la recherche publique, les entreprises commerciales privées prenant les coûts à leur compte. A mesure que l’industrie se développe et que les prix baissent, il est de plus en plus important pour le secteur industriel de conserver sa part de marché et de tirer la demande vers le haut. L’objectif de la recherche peut alors évoluer vers la commercialisation. Cette recherche est généralement le fait d’entreprises privées. De plus, la recherche et le développement technologique sont des moyens de faire face à une baisse de la demande. Lorsque la demande pour un produit est élastique par rapport au prix, une baisse de la demande augmentera les profits12 si les coûts de production diminuent (Kinnucan, 1995).

Suivant la théorie des cycles de production, le développement initial d’industries demandant un savoir-faire pointu et qui produisent des biens marchands, se produit dans les pays industrialisés (Vernon, 1987). C’est en particulier le cas pour les biens destinés aux revenus élevés parce que seuls ces pays ont une classe de consommateurs à revenus moyens suffisante pour développer un marché. Par la suite cependant, la technologie devient de plus en plus dépendante de l’équipement et elle se diffuse vers d’autres pays, y compris des pays en voie de développement. Cette diffusion de la technologie favorise la production dans les pays où les coûts sont plus bas, en particulier dans les pays en développement car la main-d’œuvre y est bon marché. Enfin, en cas de stagnation technologique, les pays en développement y trouvent des avantages relatifs. Cela suppose qu’une recherche et un développement continus peuvent contredire le cycle d’un produit et conserver un avantage au leader.

Un exemple concret est celui du saumon d'élevage norvégien. Le saumon d’élevage est un bien de consommation international. Cependant, la baisse de production en Norvège, telle que montrée par le modèle de cycle de produit, n’est pas arrivée. La plupart des éleveurs norvégiens ne se sont pas expatriés vers des pays en développement. Ils ont continué à produire localement grâce aux avances technologiques continuelles. La Norvège a continué à concentrer la recherche sur la productivité du travail et sur la réduction des coûts de production par la diminution des taux de mortalité, par l'amélioration des coefficients de conversion des aliments et par les améliorations génétiques. Ceci a permis à la Norvège de maintenir et même d’augmenter sa production. Des données préliminaires suggèrent que celle-ci a dépassé les 390 000 tonnes en 1999, et son potentiel (même avec les sites existants) est estimé à 740 000 tonnes (Hempel, 1995). Les progrès techniques ont suffisamment abaissé les coûts de production pour que la Norvège maintienne son avance, la productivité passant de 50 à 300 tonnes par homme et par an. Le coût réel de production et de transformation des saumons d'élevage a été divisé par plus de deux entre 1987 et 1998 (Kontali Analyse, 1999). Même une baisse d’encore un tiers des prix de vente à la ferme permettrait à l’industrie de faire des bénéfices (Hempel, 1995).

La concentration du secteur industriel est un facteur qui accélère le financement de la recherche privée. En Norvège, de plus de 1 000 fermes de saumon dans les années 80, le nombre est tombé à 230 dans le milieu des années 90 (Hempel, 1995). Depuis lors, cette concentration s’est poursuivie et à présent quatre producteurs dominent les exportations. Au cours de la même période, le nombre de sociétés concernées par l'élevage du saumon Atlantique a été divisé par environ deux au Chili et cette tendance a encore été plus rapide au Canada et en Grande Bretagne (Muir et al., 1996). En se concentrant, les entreprises ont davantage financé la recherche. Les structures industrielles dans lesquelles les fermes offrent une compétitivité parfaite ou monopolistique manquent de budget pour la recherche. A l’équilibre, les revenus moyens de la ferme typique sont égaux aux coûts moyens et les bénéfices sont nuls. De plus, les fermes parfaitement compétitives peuvent vendre tout ce qu’elles souhaitent à un prix donné; elles ont peu d’intérêt à innover. A l'opposé, des fermes monopolistiques et de celles parfaitement compétitives, les fermes oligopolistiques ont à la fois les moyens de financer la recherche et l’intérêt d’innover. Souvent, la recherche ne peut être menée que sur de grandes unités discrètes et les oligopoles dégagent des bénéfices pour financer la recherche privée. De plus lorsqu’elle est issue de la demande, la recherche peut fournir des avancées technologiques et des avantages au premier qui les utilise.

Planification stratégique

Comme la promotion de l’aquaculture suppose une approche holistique, il est utile de mettre en place un plan stratégique. Il fournit un ensemble complet de politiques pour atteindre des objectifs visés et il assure que les relations entre les secteurs, comme l’agriculture et les pêches sont incluses, que les problèmes d’environnement, tels que l’accès à la terre et à l’eau y sont abordés, et que l’ensemble des politiques est cohérent (Corbin et Young, 1997). L'un des avantages d'un plan stratégique est de compenser les chevauchements institutionnels des différentes juridictions. Lorsqu'il existe plusieurs institutions en charge de l’aquaculture avec les rivalités inhérentes et la duplication, un plan sectoriel permet de dégager un consensus sur les objectifs et les stratégies.

Compte tenu du caractère marginal de l’aquaculture dans la majorité des pays subsahariens, il n’est pas surprenant qu’ils n’aient pour la plupart pas de plan stratégique. Une étude menée au début des années 90, a montré que la plupart des pays de la zone SADC (alors au nombre de dix) n’avaient pas de plan de développement de l’aquaculture (ALCOM, 1994). Une étude plus récente sur quelques pays subsahariens a montré, à l’exception de Madagascar, qu’il y a avait très peu de planification aquacole (FAO/Regional Office for Africa, 1999).

Un plan peut être qualifié de "bon" s’il présente une stratégie dynamique de développement du secteur industriel; il devrait être réaliste et concret, présenter différents scénarios et différentes options politiques. Dans quelques juridictions, il existe une planification indicative pluriannuelle dans laquelle des prévisions de production aquacole sont inscrites ainsi que les grandes lignes d'une stratégie de développement (OCDE, 1989). En indiquant des objectifs, un plan stratégique aide les décideurs à évaluer les progrès réalisés et indique où sont les goulots d’étranglement. A Madagascar, on prévoit les productions (en quantités), ce qui aide le décideurs dans l’évaluation des progrès. Le Schéma directeur de l’aquaculture en Tunisie ne décrit pas seulement la production attendue des espèces cultivées, mais développe aussi une stratégie pour la commercialisation de ces espèces sur le marché local et sur le marché d’exportation (Gazbar, 1996).

Un plan devrait, en général, présenter les caractères suivants. Être pertinent et orienté vers l’industrie; être ouvert aux autres agences de développement et parties intéressées; avoir des objectifs définis; tout en décrivant les problèmes et les contraintes pour atteindre ces objectifs et pour traiter les problèmes; définir les actions pour régler les problèmes et atteindre les objectifs; détailler le calendrier des actions; être étendu et souple. Un exemple hypothétique de plan de développement est indiqué dans le Tableau 2 ci-après (FAO et NACA, 1997).

Tableau 2. Plan hypothétique de développement

Catégorie du problème

Problème

Contrainte

Action nécessaire

Echéancier

Administratif et institutionnel

Faible application des règlements

Personnel

S’appuyer plus sur les associations de producteurs

Moyen terme

Technique

Insuffisance d’aliments de qualité

Pas d’usines d’aliments
Meilleure formule inconnue

Baisser les tarifs des ingrédients;
Recherche sur les aliments

Court terme Long terme

Socio-économique

Manque de crédit

Manque de garanties
Banques convaincues des trop grands risques

Développer les titres de propriété;
Donner des garanties de prêts

Long terme Moyen terme

Physique

Manque de sites appropriés

Terres et eau limités

Améliorer la productivité sur les sites existants;
Développer les élevages en cages

Moyen terme Moyen terme

Environnemental

Pollution


Zonage

Moyen terme

Ressources humaines

Manque de gestionnaires compétents

Formation trop onéreuse

Développer les programmes de formation coopérative

Moyen terme
Long terme


Pour réaliser l’ouverture, deux approches différentes sont possibles: l’approche du haut vers le bas et du bas vers le haut. La majorité des pays asiatiques utilisent la première. Dans ce cas, les agences gouvernementales décident des problèmes à traiter et des besoins pour l’industrie (FAO et NACA, 1997). Dans la seconde approche, les parties prenantes sont encouragées, grâce à un processus participatif, à discuter des problèmes et des objectifs. Au Bangladesh, qui utilise cette seconde approche, les consultations sont menées avec les instituts de recherche, les ONG et les associations de producteurs. Aux Philippines, les espèces sont distinctes (e.g. crevettes, tilapia et algues marines) et les consultations avec les parties intéressées sont menées en fonction de l'espèce. L’avantage de l’approche du bas vers le haut est que les parties prenantes peuvent identifier les contraintes et les besoins. Un autre avantage est que le plan de développement a plus de chances d’être mis en œuvre parce qu’il provient des utilisateurs finaux (Neiland et al., 1998). Cependant, l’approche de la base vers le haut est plus coûteuse en budget, en personnel et en temps.

Lors de la formulation d'une stratégie de développement, il est nécessaire de faire une analyse objective des avantages et des contraintes du secteur. Cela permet à une juridiction de cerner les secteurs les plus compétitifs. A Hawaii, ce processus est appelé ADN (Aquaculture Development Niche) (State of Hawaii, 1993). ADN est défini comme un large groupe d’opportunités d’affaires ayant des caractéristiques et un potentiel de développement communs. L’ADN examine les possibilités de développement des espèces et évalue ses contraintes. Toutes les pré-conditions nécessaires au développement de l’aquaculture commerciale, telles que décrites plus haut, sont évaluées. Cela est illustré dans le diagramme suivant (Figure 1).

Figure 1. Illustration d'une Niche de développement aquacole (ADN)

L’avantage de cette approche est qu’elle intègre tous les aspects de l’aquaculture. L'on ne se pose pas simplement la question du comment on peut produire suffisamment de poisson pour satisfaire la demande croissante, mais aussi la question de savoir si cette production peut être durable. Une approche holistique prenant en compte les aspects écologiques réduit les chances de conflit pour la ressource ou l’épuisement de cette ressource (Greenpeace International, 1999). Un zonage peut être mis en place, ainsi que des limitations au développement des élevages s’il dépasse le potentiel d’une zone déterminée. Avec l’aide de ADN, Hawaii a évalué le secteur aquacole, depuis les étangs en terre jusqu'à la mariculture et l’exploitation géothermique. Les espèces potentielles ont aussi été sélectionnées suivant les critères décrits ci-dessus.

La même approche holistique à la planification aquacole est adoptée en Australie, où non seulement il existe un plan national, mais aussi des plans au niveau de chaque État et à l'intérieur de ceux-ci. Le plan national intègre l’aquaculture au contexte de l’industrie alimentaire, des ressources et des contraintes, et définit les objectifs et les politiques (Commonwealth of Australia, 1994). Le Comité pour l'aquaculture révise régulièrement le plan afin d’identifier les nouvelles priorités13 (Gillespie, 1998). Cela montre que la planification est un processus permanent.

Il existe des plans semblables à l'intérieur des Etats, comme le plan pour les régions de Gascoyne et Kimberley dans l’ouest du pays (Government of Western Australia, 1999). Le potentiel aquacole est étudié avec une priorité donnée à certaines espèces. Pour chacune, sont résumées les techniques de production afin de l’adapter localement. Le besoin ou non de recherche est aussi indiqué. L’analyse de marché couvre la sensibilité aux prix, la concurrence d’autres produits alimentaires et le potentiel de marché. Les aspects économiques incluent le prix des intrants et les économies d’échelle. Enfin, l’espèce potentielle est évaluée dans son ensemble. Si elle est d’une grande priorité, les politiques de promotion sont alors recommandées. Un exemple est donné dans le Tableau 3.

Tableau 3. Exemple d’approche holistique de planification aquacole.

Espèce

Technologie

Système cultural

Potentiel de marché

Potentiel économique

Remarques/perspectives

Anguille
(Anguilla sp)

Bien établie; dépend des juvéniles sauvages

Eau douce.
Tous les systèmes
Etangs/bacs.

Pas de marché local
Marché limité d'exportation

Bénéfices potentiels limités.
Potentiel pour l’anguille fumée.

Besoin de développer les marchés
Faible potentiel

Argyle bream
(H. jenkinsis)

Quelques recherches nécessaires

Eau douce.
Tous les systèmes
Etang/bacs.
Polyculture

Très bon marché local.
Exportation
Elasticité au prix.

Inconnu mais probablement bon.
Marché asiatique très élastique au prix

Très bonne espèce.
Coûts de production bas
Se congèle bien
Espèce robuste


Pour l’Afrique subsaharienne, un plan similaire se concentrerait sur l’évaluation des opportunités et des contraintes. Parmi les avantages, il existe dans presque tous les pays des espèces indigènes dont la technologie d'élevage est connue le plus souvent. Il existe aussi des sites favorables de sol et de bonnes conditions climatiques (Oswald et al., 1996). Cependant, comme déjà mentionné, les contraintes sont très importantes dans la plupart des pays. Parmi celles-ci, la gouvernance, les infrastructures comme le transport, la disponibilité en aliments et semences de qualité, et l’accès au crédit. De plus, dans de nombreux pays, les coûts de construction sont élevés, ainsi que les taux d’intérêt réels. Les politiques traitant du premier groupe de contraintes ont déjà été abordées précédemment. La dernière contrainte indique que le choix technologique devrait avoir comme objectif l’efficacité aussi bien technique qu’économique.

Un autre avantage est que la demande locale en poisson n’est pas satisfaite. La région importe près d’un million de tonnes de poisson par an. Une demande croissante pourrait augmenter ce déficit à l’avenir. L’élasticité des revenus pour la demande en poisson est positive en Afrique subsaharienne bien qu’inférieure à un (Delgado et McKenna, 1997). Si la croissance économique par habitant se maintient à des taux historiquement hauts, la demande totale de poisson pourrait croître de 2,7 pour cent par an, ce qui est supérieur à la croissance mondiale de 2 pour cent. Des prix réels de substitution plus élevés augmenteraient encore cette demande. De plus, il existe un facteur démographique. Avec un taux de croissance de la population de 2,4 pour cent par an, l’Afrique pourrait atteindre 1,36 milliards d’habitants en 2025, contre 750 millions en 1998 (United Nations, 1998). Cet accroissement de population fera augmenter la demande en poisson. Les importations pourraient ainsi doubler et atteindre 2 millions de tonnes d’ici 2010, compte tenu de la demande en expansion et du potentiel de croissance limité à la fois pour les pêches maritimes et les pêches continentales, et cela sans augmenter la consommation par habitant (FAO, 1996).

Alors que le marché principal des poissons d'élevage en Afrique subsaharienne est le marché urbain local, il existe un potentiel à l’exportation vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Pour les produits commercialisables sur les marchés internationaux, les coûts de transport sont déterminants dans l’évaluation des avantages comparatifs. Le prix des produits livrés comprennent les coûts de production et de transport. Des coûts élevés de transport ont été un facteur qui a empêché l’exportation de filets de tilapia frais de Fiji aux États Unis. Et cela en dépit d’excellentes conditions de croissance pour le tilapia (Costa-Pierce, 1998). L’Afrique subsaharienne souffre de son éloignement des marchés européens et nord américains. D’autres éléments handicapent le secteur comme les taux de charge, la concurrence et la fréquence des vols. Le coût de transport par avion de filets frais de tilapia est 8 à 40 pour cent plus cher de l’Afrique vers l’Europe que de la Jamaïque vers l’Europe (Carberry, 2000).

Cependant, les coûts de transports internationaux ne représentent pas un handicap insurmontable. Malgré des coûts élevés de transport, le saumon d’élevage chilien a un coût livré aux États Unis plus bas que celui de son concurrent canadien, car les coûts de production au Chili sont plus bas et compensent largement les coûts de transport aérien14 (Ridler, 1994). De plus, avec la transformation du poisson, les filets frais ont un bonus de 30 pour cent sur les filets congelés, ce qui diminue les problèmes de fret. La société Lake Harvest Aquaculture au Zimbabwe exporte 10 à 12 tonnes de filets frais de tilapia vers l’Europe chaque semaine et espère atteindre 50 tonnes à l’avenir. Ainsi, l’Afrique subsaharienne présente un inconvénient majeur à exporter le tilapia entier, mais un avantage pour l’exporter en filets frais.

Ceci permet de penser qu’une stratégie de facilitation des coûts de transport en Afrique subsaharienne devrait avoir pour objectif une ou plusieurs des options suivantes. La première est l’élevage d’espèces chères qui pourraient absorber les coûts de transport vers les principaux marchés d'Europe ou des États Unis. C’est le cas de la crevette d'élevage de Madagascar qui peut être exportée par avion vers l'Europe à cause de son prix de vente élevé; la possibilité de l'exporter aux: États Unis est à l’étude. La deuxième option est de produire une seule espèce. C’est le cas de l’huître à perle noire exportée de la Polynésie française vers le Japon. Une autre option est le transport maritime, moins coûteux, d'un produit transformé. Ceci est possible pour des produits congelés ou séchés. La quatrième options serait un produit qui perd du poids au cours de sa transformation. C’est le cas des filets (par exemple la perche du Nil dans le cas d’une espèce pêchée) pour lesquels les frais de transport par avion sont moins élevés, ce qui permet de les exporter à l'état frais.

CHAPITRE 7. POLITIQUES SECTORIELLES SPÉCIFIQUES AU NIVEAU DE LA FERME


Rationalité d’une intervention gouvernementale au niveau de la ferme
Politiques de démarrage
Politiques de développement
Politique de promotion à l’exportation
Résumé

Rationalité d’une intervention gouvernementale au niveau de la ferme

Tandis que l’intervention de l’Etat dans l’aquaculture commerciale au niveau macro-économique s’explique facilement, la question se pose de savoir si le gouvernement doit intervenir dans le secteur au niveau de la ferme d'élevage. Les productions commerciales issues des élevages privés ne sont pas du domaine public: Elles appartiennent aux producteurs. Un bien public est par exemple le poisson stocké en rivière où il n’y a pas de droit de pêche privée. Un particulier, qui ne peut être privé de pêcher dans les eaux du domaine public, n’est pas motivé pour payer les coûts d’élevage ou d'empoissonnement. Les gouvernements doivent ainsi assurer ces coûts. Si les gouvernements ne fournissaient pas ces services de réempoissonnement, les plans d'eau pourraient ne plus produire de poisson. En ce qui concerne l’aquaculture commerciale, la question de l'intervention du gouvernement au niveau de la ferme est plus complexe. Comme décrit plus haut, l’aquaculture peut créer des dommages comme la pollution ou des conflits avec d’autres usagers du plan d'eau ou des terres. Ceux-ci ne sont pas pris en considération dans le bilan de l’entreprise, mais ils ont un coût élevé pour la société.

Si les droits de propriété étaient clairement définis et les coûts de transaction assez bas, les dommages créés pourraient être résolus sans intervention du gouvernement. Les responsables de ces dégâts compenseraient ceux qui les subiraient (par exemple en cas de pollution). Ces compensations seraient évaluées et appliquées dans le cadre du règlement du litige. Souvent cependant, les conditions de Coase15 ne s'appliquent pas. La responsabilité d’un dommage est difficile à établir dans le cas d’une pollution diffuse et les coûts de transaction sont souvent prohibitifs. Dès lors, les préjudices sont difficile à régler en justice et l’intervention du gouvernement devient donc nécessaire. De même, les effets bénéfiques produits par l’aquaculture commerciale (versements d’impôts, entrée de devises, création d'emplois, infrastructures sociales) incitent les gouvernements à intervenir.

Cette intervention au niveau de la ferme aquacole a plusieurs aspects. Dans certains pays, cela comprend des aides directes aux producteurs sous la forme de prêts de démarrage pour donner un élan au secteur. Dans d’autres, les politiques aident l’industrie à se développer. Ailleurs, les gouvernements interviennent pour protéger la production locale contre la concurrence extérieure et aide le secteur à devenir compétitif au niveau international. Cependant, il faut noter que, bien qu’efficaces, beaucoup de ces mesures impliquent des coûts. Certaines peuvent être si onéreuses qu'elles ne soient pas applicables dans le contexte d’austérité fiscale au sud du Sahara. D’autres mesures n’impliquent pas de dépenses directes, même si elles ont un coût d’opportunité. Elles peuvent être plus appropriées à la région. Ces politiques devraient donc être utilisées à bon escient.

Politiques de démarrage

L’étendue et le genre d’intervention publique dans le secteur industriel dépendent en partie du stade de développement de ce secteur. Comme discuté dans le chapitre précédent, l’aquaculture commerciale se développe normalement en trois ou quatre étapes (Poxton, 1992). La progression d'une étape à l'autre est évaluée d'après la production totale. Elle va du stade de démarrage au stade de croissance, de maturité et parfois de déclin (Csavas, 1994). Dans le premier stade, qui dure normalement de 10 à 15 ans, de petits projets sont développés avec souvent très peu de capital. C’est une phase de recherche et développement. Graduellement, si les conditions biologiques et commerciales sont un succès, la production entre dans le deuxième stade. Si l’espèce élevée est vendue sur le marché international, la technologie sera diffusée à d’autres pays qui deviennent des concurrents potentiels. Pendant ce troisième stade, il se produit une expansion rapide, suivie d’une croissance plus lente. La phase finale peut être une baisse de production, la diminution des prix obligeant les opérations les moins rentables à abandonner le secteur.

L’assistance financière du gouvernement, sous la forme d’aide au démarrage, peut être déterminante dans les premier et deuxième stades. La raison d'une telle assistance est qu’à ses débuts, l’aquaculture peut avoir besoin d’aide jusqu’à ce qu’elle atteigne une situation compétitive. La nécessité de l'aide au démarrage était déjà reconnue par Hamilton au XVIII ème siècle. Si l’industrie apprend par l’exemple, ses coûts baissent avec cette expérience, ce qui justifie l’aide au démarrage. Cette aide peut prendre la forme de recherche, de coûts d’installation, de tarifs préférentiels. Au stade de maturité, naissent les économies d’échelle et la compétitivité internationale. Alors, en théorie, l’assistance du gouvernement devrait s’arrêter.

Un argument supplémentaire pour une telle assistance est l’impossibilité pour une industrie naissante d’avoir accès au crédit. Les organismes de financement sont naturellement prudents. Face aux incertitudes d'ordres biologique et autre, ils refusent le crédit aussi longtemps que les risques ne sont pas mieux définis. Et sans prêt bancaire, le développement est lent. L’aide du gouvernement n’est donc pas un remplacement de celle des banques, car celles-ci interviennent seulement lorsque le secteur atteint le stade de maturité.

Pour diminuer les contraintes financières, le financement de démarrage est souvent fourni aux éleveurs sous forme de dons en espèces. C’est le cas dans l’élevage du saumon pour lequel la plupart des pays ont consenti un financement de démarrage. En Norvège, ces dons ont été alloués au niveau régional. Il y a eu aussi une dispense d’impôts équivalente à 40 000 dollars EU par an et par ferme (Heen, 1993). Cela a encouragé le développement, permettant à la Norvège de garder son avance dans le secteur. Dans l’Est du Canada, 21 fermes d'élevage de saumon ont reçu chacune près de 50 000 dollars EU de dons en espèces pour augmenter leur capital propre. Elles ont également reçu de l’aide des services publics de vulgarisation et de recherche. Une évaluation ex-post a montré que ce genre d'aides en espèces était pertinente (Ridler, 1998). Cependant, de nombreux pays d’Afrique subsaharienne manquent de ressources pour fournir des dons de démarrage et pour payer le personnel nécessaire à leur gestion.

Une alternative à de tels dons en espèces est l'émission d’obligations. Le financement d’obligations par le gouvernement présente l’avantage de ne pas grever immédiatement son budget. Dans le Connecticut (États Unis), l'élevage commercial d'huître s'est développé en 1987 grâce à ce mécanisme (Volk, 1998). Les éleveurs ont obtenu leur concessions par appels d’offres. L’argent issu des émissions d'obligations a permis d'ensemencer les concessions. En plus de ces fonds, les fermiers ont contribué 10 pour cent de la valeur de la production afin de financer les ensemencements. Les bénéfices en termes d’emploi et de revenu ont largement dépassé les sommes que le gouvernement devait repayer sur les obligations (Volk, 1998). Ce système est une option possible dans certains pays d’Afrique subsaharienne.

Politiques de développement

Une fois l’aquaculture démarrée, les éleveurs ont souvent des difficultés à prendre de l’expansion. En Afrique subsaharienne, plusieurs contraintes empêchent le secteur de l’aquaculture commerciale de se développer. Les plus importantes sont la disponibilité et le coût élevé des intrants, comme les aliments, les alevins et le capital. Il existe des politiques spécifiques que les gouvernements peuvent mettre en place pour résoudre ces problèmes.

Politiques traitant des intrants non disponibles

L’absence ou la disponibilité limitée des intrants indispensables peut être un sérieux problème pour le développement de l’aquaculture. Cela est souvent plus grave que leur coût. Les politiques gouvernementales qui ont pour objectif d'assurer les éleveurs à résoudre ce problème devraient viser un meilleur approvisionnement des intrants limités ou manquants.

La disponibilité d’aliments aquacoles de qualité est importante parce que dans la majorité des unités commerciales, l’aliment représente plus de la moitié des coûts opérationnels. Dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne, la demande limitée pour des aliments piscicoles et les coûts élevés des sous-produits agricoles ont été un handicap au développement de l’industrie des aliments aquacoles, malgré quelques exceptions (Entsuah-Mensah, 1999). Au Nigeria, au Malawi et en Zambie, les grandes fermes produisent leurs propres aliments. Une politique de développement de ce secteur est d’encourager l’investissement en aquaculture à partir des grandes fermes. De par sa taille, Aquacorporacion au Costa Rica a garanti un marché assez étendu justifiant une production d’aliments rentable, et les usines d’aliments se sont développées. A Man, en Côte d’Ivoire, existe un plan visant à créer une demande en aliments assez forte des aquacultures de petite et moyenne dimensions que pour justifier l’installation d’une usine d’aliments. Cependant, ce projet est financé par des capitaux étrangers; la stratégie comptant sur des fermes de petite taille pour créer une demande d’aliments de qualité n’est peut être pas transférable à une aquaculture non financée par un donateur.

Une politique alternative est d’encourager les compagnies d’élevage animal à se diversifier vers l’aquaculture et la production d’aliments. En Jamaïque, le Jamaica Broilers Group a opéré cette diversification du poulet vers le poisson. En Thaïlande, deux grandes compagnies produisant des aliments pour volailles, CP et Laem Thong, se sont diversifiées de l'élevage de poulet vers celui de crevettes. Non seulement elles ont commencé à produire des aliments pour crevette, mais aussi elles ont étendu leur expérience dans les élevages sous contrat de la volaille vers la crevette (Tokrisna, 1999). A Madagascar, une entreprise spécialisée en aliments du bétail produit expérimentalement des aliments pour crevette.

Si les aliments peuvent être importés, mais en devises, des politiques de substitution peuvent être souhaitables. Aux Philippines, une industrie d’aliment travaillant avec des produits locaux a pu se développer grâce à des taxes sur les aliments et sur les ingrédients importés. Afin d'encourager la production locale, ces taxes atteignaient 30 et 10 pour cent respectivement. Comme ces taxes ont fait augmenter les coûts de production, on a craint de voir les exportations de tilapia chuter. Donc, ces taxes ont été ensuite abaissées à 10 et 3 pour cent respectivement, de façon à diminuer les prix des aliments. Cependant, et c’est courant avec les politiques protectionnistes, les nouveaux producteurs d'aliments locaux ont résisté à la suppression complète de ces taxes (Olalo, 1999).

Comme pour les aliments, en Afrique subsaharienne le problème de la disponibilité en semences, tout spécialement en alevins, se pose en quantité et en qualité. Le tilapia se reproduit facilement en captivité et ceci sans technologie pointue. Au départ, le poisson-chat nécessitait des écloseries, mais à présent des techniques simples peuvent être utilisées (FAO/Regional Office for Africa., 1999). Afin d’assurer un approvisionnement suffisant en semences et de maintenir la qualité des alevins, une politique appropriée consisterait à inciter des éleveurs à se spécialiser dans la production de semences et de les former aux techniques modernes d’écloserie. Initialement, quelques stations d’Etat pourraient être utilisées pour fournir des géniteurs mais ensuite le secteur privé devra prendre le relais pour fournir les alevins aux pisciculteurs artisanaux et aux fermes commerciales.

L’aquaculture commerciale a de gros besoins en capital. Dans le cas des fermes industrielles, les besoins sont au démarrage. Un fonds de roulement peut aussi être utile en cas de problèmes de trésorerie. Malheureusement, en Afrique subsaharienne, les institutions financières rechignent à financer l’aquaculture. Un des arguments contre les prêts à l’aquaculture est que c’est une activité nouvelle ou inconnue dans la majorité des pays et que les risques ne sont pas clairement définis. Le problème est aggravé par les échecs passés. Par exemple au Ghana dans les années 80, le gouvernement, pour encourager le développement de la pisciculture, a demandé aux banques de prêter des fonds pour construire des étangs. Malheureusement, une mauvaise gestion et des techniques d’élevage inadaptées ont empêché de nombreuses fermes de rembourser le crédit. Les répercussions se faisaient encore sentir dans les années 90, les banquiers exigeant alors des biens matériels comme garantie. Le montant de la garantie étant au moins égal au montant du prêt (Wijkström, 1990). Le manque de garanties reste pour les éleveurs aquacoles un des grands facteurs de blocage d’accès au crédit16. Dans d’autres pays, le manque de projets fiables a dissuadé les banques de prêter de l’argent aux aquaculteurs. Des consultants peu scrupuleux sont alors apparus pour aider à formuler des projets d'investissement qui se sont révélés peu fiables. Il en est résulté un haut degré de scepticisme parmi les prêteurs17. Le crédit a aussi souvent été politisé, avec des taux réels d’intérêt négatif, et un faible souci de remboursement (Cleaver, 1993).

Il existe nombre d’options politiques pour améliorer l’accès des fermes commerciales au crédit bancaire. L'une est de démontrer aux banques que des fermes commerciales financièrement viables existent. La démonstration du profit réel permet de créer une attitude positive et d’encourager le crédit. Les banques visées devraient être celles qui ont une part élevée de leur crédit en agriculture, et sont prêtes à se diversifier. Celles qui financent l’agriculture diversifiée semblent être le plus à même de prêter de l’argent à l’aquaculture commerciale (Bacon et al., 1998). Cela a réussi en Chine, au Japon et en Corée (Cleaver, 1993).

Une politique alternative ou complémentaire consiste à évaluer, par des responsables du gouvernement, les projets industriels suivant leurs mérites du point de vue technique. Cela rassure les banquiers qui manquent de connaissances en aquaculture. Cette méthode a donné de bons résultats à Madagascar. Une autre politique consiste à intégrer les banquiers depuis le début du projet, plutôt qu’au moment de demander le prêt (Mellac, 1995).

Si les institutions financières sont peu disposées à prêter, il est possible d’obtenir des prêts garantis par le gouvernement. Ils résolvent le problème de garantie. Avec ce genre de prêt, le risque de non remboursement par l’emprunteur est en effet transmis des banques aux contribuables. Parmi les pays de l’OCDE, le Canada, les Pays-Bas et l’Espagne ont développé l’aquaculture commerciale avec des emprunts garantis par le gouvernement (OECD, 1989).

Politiques traitant des coûts élevés d’intrants

Si le coût élevé, davantage que la disponibilité en intrants, est la principale contrainte de viabilité du secteur commercial, l'industrie pourrait ne jamais être durable. Le secteur peut être une illustration du manque d’avantages absolus vis-à-vis d’autres pays concurrents. Dans le cas d’un produit internationalement vendu comme la crevette d’élevage, des coûts élevés des larves et des aliments peuvent placer l’Afrique subsaharienne dans une situation désavantageuse par rapport aux producteurs asiatiques. En ce qui concerne le tilapia, l’Afrique subsaharienne est désavantagée par rapport à l’Amérique latine sur les coûts d’aliments. Subventionner les intrants peut s’avérer coûteux et inefficace. Aux Philippines, la production d’engrais est subventionnée depuis les années 70, mais le coût fiscal élevé a créé des distorsions qui ont obligé à abandonner ce système. Les subventions peuvent aussi démotiver le secteur privé. Les stations d’Etat qui fournissent des alevins gratuits ou subventionnés créent une démotivation de l’investissement privé dans les écloseries. Cependant, si la conclusion est qu’après l'aide de démarrage pendant le stade de développement initial les coûts vont diminuer, à cause peut-être d'économies d’échelle ou d'intérêts, les subventions à l’achat d’intrants peuvent provisoirement être dirigées vers le secteur industriel. Les politiques qui conduisent à l’augmentation de la fourniture d'aliments ou de semences peuvent également diminuer le problème de coûts élevés.

Un intrant qui a généralement été subventionné est le crédit financier. Le capital n’est pas seulement rare en Afrique subsaharienne, mais il est également cher. Avec la réforme de l’économie, les distorsions sur les marchés financiers ont été réduites, avec des taux d’intérêt artificiellement bas remplacés de plus en plus par des taux de crédit reflétant la rareté du capital et l’inflation attendue. Les taux d’intérêt, nominaux et réels, peuvent ainsi être élevés en particulier pour les entreprises comme l’aquaculture, pour lesquelles les risques ne sont pas souvent connus. En plus de fournir des fonds de démarrage pour éliminer ou diminuer le recours à l’emprunt, la politique qui a été largement suivie a été de mettre en place des taux d’intérêt subventionnés. C’est le cas de la France, de la Grèce, de la Jamaïque, du Portugal et de l’Espagne, qui ont utilisé cette politique pour développer l'aquaculture. En Jamaïque, la Inland Fisheries Unit a au début fourni aux producteurs des fonds à taux réduits pour encourager la construction d’étangs. Cependant, les producteurs et les commerçants ou bien les producteurs et les fournisseurs d'intrants se sont ensuite entendus sur le crédit (Wint, 1996). Un coût social indirect des taux d’intérêt subventionnés est de biaiser le choix des techniques de production. Lorsqu'il y une élasticité de substitution technologique, abaisser le coût du capital (vis-à-vis des autres coûts), peut conduire au choix d’une technique plus intensive où les rapports capital:travail sont plus élevés. Cependant, les taux d’intérêt subventionnés sont préférables aux dons en espèce parce que la charge en cas de non remboursement tombe non seulement sur le producteur mais aussi sur le contribuable.

Politique de promotion à l’exportation

Le développement de l’aquaculture peut être international (si l’espèce est vendue internationalement) et peut créer une évolution dynamique des parts du marché international. Après les cages en bois et l’aliment humide, des taux de mortalité élevés et de mauvais taux de conversion, la salmoniculture s’est, dans l’ensemble, développée, donnant naissance à des avancées technologiques continuelles. En général, au cours de cette phase de développement, l’assistance directe du gouvernement a peu de place. Cependant, son intervention peut être nécessaire pour que le secteur industriel maintienne son rang sur le marché international.

Si elles sont acceptées au niveau des conventions internationales sur le commerce, les politiques d’encouragement à l’exportation présentent moins de distorsions que les politiques de substitution des importations18. Elles consistent essentiellement en incitations économiques comme l’exemption d’impôts, de moratoires et de droits de douanes. Bien que ces incitations économiques soient surtout utilisées pour attirer l’investissement étranger, elles peuvent en même temps, stimuler les exportations. Bien que les impôts soient classés après la gouvernance et la stabilité comme éléments de décision pour investir en Afrique, ils représentent un grief important (Sachs, 1998). Interrogés sur cette question, des dirigeants d’entreprises en Afrique citent les impôts comme étant le plus grand problème (cas des compagnies locales) ou venant en deuxième position (compagnies étrangères). Ainsi, l’allègement d’impôts peut être un encouragement efficace. Pour les gouvernements, l’allègement d’impôts présente l’avantage de ne pas créer de dépenses directes même s’il représente une perte de revenus.

De telles incitations peuvent avoir un caractère obligatoire si les pays en concurrence offrent des exemptions d’impôts. Au contraire de plusieurs pays sud-américains, l’Equateur n’offre pas aux éleveurs de crevette d’exemptions sur les intrants, ce qui les désavantage sur le plan de la concurrence (Camera Nacional, 1999). Afin de fournir un "terrain de jeu acceptable" à ses exportateurs, l’Equateur a exempté 43 fermes d'élevage de crevette d'une partie des impôts sur les sociétés.

Les gouvernements peuvent donner aux sociétés des périodes de grâce avant que ces impôts ne soient levés. On parle alors de moratoire. Au Costa Rica, les sociétés, y compris la société étrangère Aquacorporación Internacional, sont exemptées d’impôts locaux pendant dix à quinze ans (Hishamunda, 2000a). A Porto Rico où l’aquaculture est un secteur prioritaire, les fermes ont un moratoire de 90 pour cent jusqu’à 20 ans (Wint, 1991). En Iran où le secteur privé joue un rôle croissant dans la production de carpes et de truites arc-en-ciel, les 80 fermes privées de truite opérationnelles en 1996 ont reçu non seulement des prêts à des taux préférentiels et des subventions pour l’achat d’aliments, mais aussi une exemption d’impôts pour 20 ans (Rana, 1997).

Au Sri Lanka, l’aquaculture est récente et sans production significative jusqu’en 1980 (Siriwardena, 1999). Quelques grandes multinationales et quelques fermes artisanales ont commencé l’élevage de crevette au début des années 80; au milieu des années 90, plus de 3 000 tonnes étaient exportées. Cependant en 1996, une épidémie a obligé 90 pour cent des élevages à fermer. Seulement 25 pour cent d'entre eux ont repris et le gouvernement a offert des facilités pour ranimer le secteur: un moratoire de 5 ans, suivi d’une remise d’impôts pendant 15 ans. Les fermes bénéficient également d’exemptions de taxes sur les importations et sur le chiffre d’affaires. Pour être exemptées, les fermes doivent exporter au moins 90 pour cent de leur production. La stratégie est donc de revitaliser le secteur et d'encourager l’exportation. A Madagascar, les entreprises d'élevage de crevette tournées vers l’exportation et opérant généralement dans des zones franches, ont de nombreux avantages. Elles ne paient pas de taxes à l’importation, ni de taxes sur la consommation, sur les transactions et à l’exportation, ni taxes professionnelles. Elles bénéficient d’un moratoire de 15 ans sur les dividendes et paient ensuite 10 pour cent sur la production (Hishamunda, 2000c).

Les exemptions peuvent être étendues aux taxes sur les intrants importés Elles peuvent occasionner une remise sur les permis d’exploitation. Au Honduras, pour stimuler le secteur, l’aquaculture est exemptée de taxes à l'importation d’équipement, de géniteurs, d'aliments pour larves et d'engrais. Les usines de conditionnement ne paient pas d’impôts, ni sur les importations, ni sur les exportations (Morales, 2000). Au Costa Rica, les sociétés qui exportent en dehors de l’Amérique centrale bénéficient d’un grand nombre d’exemptions, comme les taxes sur les ventes, les droits de douane et les taxes locales. Aquacorporación Internacional a également bénéficié de ce régime, la société recevant 15 pour cent du prix fob des exportations (Porras, 2000). Aux Philippines, où la politique en faveur de l’aquaculture vise plus l’export que les ventes locales, l’investissement est favorisé si la production est orientée vers les marchés d’exportation. Les sociétés aquacoles qui possèdent plus de 40 pour cent de capitaux étrangers bénéficient de facilités, si au moins 70 pour cent de leur production est exportée (Olalo, 1999). Pour les compagnies nationales, ce minimum est de 50 pour cent. En plus, les taxes à l’exportation et le coût des permis d'exploitation sont réduits.

Résumé

Cette partie du rapport a discuté des politiques non spécifiques et des politiques spécifiques au secteur, qui peuvent être mises en place pour promouvoir l’aquaculture commerciale. Dans le premier groupe, on reconnaît que la gouvernance est un élément clé d’attraction des investisseurs vers l’aquaculture commerciale et qu’elle a une influence sur la croissance économique à long terme. La bonne gouvernance rassure les investisseurs sur la sécurité de leur capital et les encourage à augmenter leurs investissements. La stabilité politique ainsi que celle des politiques est un sujet particulier d’inquiétude pour les investisseurs en Afrique subsaharienne. Les politiques permettant de garantir si non la propriété du moins les droits d’utilisation des terres, ainsi qu'un taux de change correct sont des facteurs favorisant l’investissement. Des données récentes montrent que les pays d’Afrique subsaharienne qui ont mis en place des réformes administratives, ont vu leur croissance augmenter. Quelques-unes de ces réformes ont inclus l’ouverture au marché et souligné le rôle du secteur privé comme source de création de richesses.

Il existe des politiques spécifiques que des gouvernements d’Afrique subsaharienne pourraient utiliser pour réglementer le développement du secteur. Les principales comprennent le zonage et l’obligation d’acquérir des permis pour installer des fermes aquacoles. Un principe général est de disposer d’un cadre juridique compatible avec les contraintes de suivi et de respect de la réglementation, tout en assurant la durabilité des conditions environnementales. Il faut éviter une sur-réglementation qui peut être nuisible au secteur et fiscalement coûteuse.

La majorité des pays en Afrique subsaharienne manquent de législation spécifique à l’aquaculture. Cette absence peut être dissuasive pour les investisseurs parce qu’elle crée des conditions incertaines. Le problème est aggravé lorsque pour obtenir une autorisation d’investir, les procédures administratives sont compliquées. En l’absence de législation, des lois concernant l’accès à la terre et à l’eau pour l’aquaculture en étang peuvent être calquées sur les lois utilisées en agriculture.

Pour administrer le secteur, une agence de coordination semble la plus appropriée. Compte tenu de la nature marginale de l’aquaculture au sud du Sahara, une telle agence spécialisée n’est pas plausible. Un comité de coordination composé de personnel de différents départements/services peut remplir momentanément cette fonction. Il pourrait préparer une liste d’informations décrivant les formalités d’obtention de permis d’exploitation et le lieu d’obtention des formulaires. Le comité pourrait être en charge de traiter les demandes tout en allégeant les procédures. Des incitations économiques et l'autorégulation pourraient compléter la maîtrise et le contrôle du développement aquacole.

Chaque fois que cela sera possible, la recherche et le développement/vulgarisation devraient être menés par le secteur privé et coordonnés par des associations de producteurs. L’avantage de ces dernières coordonnant la recherche est que les résultats peuvent être adoptés par tous les membres, ce qui les incite à contribuer au financement de cette recherche.

Dans beaucoup d’Etats au sud du Sahara, de nombreuses stations piscicoles publiques ont été abandonnées, ce qui a incité de nombreux experts à recommander de les priver de leur rôle de producteur d’alevins, de producteurs de poisson de consommation et de centres de démonstration. La production d'alevins passerait sous la responsabilité du secteur privé. La méthode de privatisation doit être équitable et efficace. Un système d’enchères ou de vente directe peut exclure des communautés locales. Lorsque celles-ci sont intéressées, une méthode préférable est la création de sociétés conjointes comprenant un calendrier programmé de désengagement du gouvernement.

Lorsque l’accès au crédit bancaire est difficile, il existe une stratégie qui consiste à encourager l’investissement par de grandes fermes. De fait, lorsque l’aquaculture rencontre nombre de difficultés, les gros investissements semblent essentiels pour appuyer les élevages artisanaux. Ces investissements peuvent être réalisés par une industrie alimentaire qui possède le savoir-faire pour produire ses propres aliments et pour exporter sa production. Son succès attire de nouveaux candidats ou peut au moins développer le métayage. Ces grandes fermes peuvent être nationales ou étrangères.

Plusieurs associations de producteurs ont été politisées et mal gérées, pourtant elles peuvent être un moyen de développer le secteur. Il faut encourager les associations de producteurs, bien gérées et fiables. Elles représentent un groupe de pression et sont un moyen de diffuser le savoir-faire technique. Elles devraient aussi servir à développer le marché et à réaliser le suivi du respect de l'environnement par l'autorégulation.

Ces politiques, ainsi que d’autres, sont résumées dans le Tableau 4. La liste n’est pas exhaustive mais couvre quelques-unes des politiques de promotion de l’aquaculture les plus populaires. Plusieurs impliquent des dépenses complémentaires et, bien qu’elles soient efficaces, elles peuvent s’avérer peu réalistes dans le contexte d’austérité en Afrique subsaharienne. D’autres politiques ne demandent pas de budget additionnel, bien qu’elles présentent des coûts d’opportunité comme la perte de revenus fiscaux pour l’Etat; celles-ci apparaissent les plus indiquées pour la région. Comme il faut indiquer les échéances dans un plan de développement, la liste des politiques indique si leur impact sur la production est immédiat (dans l’année), à moyen terme (1 à 5 ans) ou à long terme (au-delà de 5 ans).

Tableau 4. Liste indicative des politiques possibles pour promouvoir l’aquaculture commerciale.


INSTRUMENTS DE POLITIQUE

Contrainte/problème

Dépenses supplémentaires

Impact

Sans dépenses supplémentaires

Impact

Réduire la duplication administrative

Agence responsable
Plan sectoriel

Long à moyen terme

Cadre juridique pour l'aquaculture

Moyen terme

Faciliter l'obtention de permis



Améliorer l'accès à la réglementation
Accélérer le traitement des demandes

Moyen terme
Moyen terme

Favoriser un environnement durable



Législation sur la terre et l’eau
Législation sur l’importation d’espèces exotiques
Etude d’impact environnemental
Autorégulation Incitations économiques
Zonage

Long terme
Long terme
Long terme
Moyen terme
Long terme

Disponibilité en aliments

Usines d'aliments subventionnées

Long terme

Attirer une grande entreprise afin d'augmenter la demande en aliment
Encourager les sociétés d’élevage animal à se diversifier
Encourager la production locale par des avantages financiers

Long terme
Moyen terme
Moyen terme

Disponibilité en semences

Utilisation des stations piscicoles publiques

Court terme

Privatiser les stations d’Etat

Moyen terme

Disponibilité en terres

Domaines aquacoles

Moyen terme

Zonage
Systèmes culturaux autres que l'élevage en étang (si possible)

Moyen terme
Court terme

Disponibilité en crédit bancaire

Prêts garantis (la défaillance implique des coûts)
Aides aux transactions
Information sur les bénéfices de l’aquaculture: la produire et la diffuser

Moyen terme
Moyen terme
Moyen terme

Impliquer les banques au démarrage du projet
Plans de développement crédibles
Personnel au niveau du département pour accepter les plans de développement
Droits à la terre garantis (pour garantie)

Moyen terme
Moyen terme
Moyen terme
Moyen terme

Coût du crédit bancaire

Don au démarrage
Prêt bonifié

Court terme
Moyen terme



Coût des aliments/semences

Aides
Dons en espèce

Court terme
Court terme

Exemption de taxes sur les ventes et droits de douane à l’importation d’intrants

Moyen terme

Promotion de l’investissement

Don au démarrage
Aides à l’exportation

Court terme
Moyen terme

Moratoires
Allégement des taxes sur les importations
Allégements des autres taxes

Moyen terme
Moyen terme
Moyen terme

Encourager les investisseurs étrangers



Monnaie convertible
Rapatriement capital/bénéfices
Swaps dette/capital
Sociétés conjointes
Exemptions d'impôts

Moyen terme
Moyen terme
Moyen terme
Moyen terme
Moyen terme

Commercialisation

Responsables du marché
Vente directe
Débouchés
Introduction d'espèces

Moyen terme
Moyen terme
Long terme
Moyen terme

Promotion des produits par les associations de producteurs

Moyen terme

Recherche

Intensifier la recherche
Améliorer la diffusion et les réseaux

Long terme
Long terme

Augmenter la recherche commandée par la demande
Augmenter la part du secteur privé dans la recherche

Moyen terme
Moyen terme

Formation et vulgarisation

Vulgarisation à partir de fermiers modèles
Formation dans les universités et écoles professionnelles

Moyen terme
Long terme

Formation/vulgarisation par les sociétés d'intrants
Formation/vulgarisation par les associations de producteurs
Utilisation d’assistance technique payée par les producteurs

Moyen terme
Moyen terme
Moyen terme


10 Le rôle du gouvernement chilien a été de faciliter les opérations. Le taux de change était à la baisse pour éviter une surévaluation et faciliter les exportations. A l’exception des règlements sur les distances entre fermes, les autres (y compris ceux concernant l’importation d’œufs de saumon) étaient réduits au minimum.

11 L’estimation de l’efficacité de la recherche implique le calcul des surplus du consommateur et du producteur, ainsi que l'étude des modifications au niveau du marché qui peuvent être attribuées à la recherche (Kabir et Ridler, 1989). Cela est lié à l’élasticité de l’offre et de la demande pour l'espèce, à la pénétration de l’espèce sur le marché et à la diffusion des résultats de la recherche.

12 A la suite d'un mouvement de la courbe de l'offre vers le bas.

13 Le Plan a identifié dix domaines de développement stratégique: structure industrielle et organisation; relations entre aquaculture et pêche; cadre gouvernemental; gestion de l’environnement; planification des terres et de l’eau; recherche et développement; commercialisation et développement des produits; éducation et formation; services de vulgarisation; quarantaine et mouvements d'organismes aquatiques vivants.

14 Les coûts de main-d’œuvre, d'aliments et d'alevins sont bas au Chili; ils compensent les frais de transport.

15 Coase considère que les droits de propriété et des coûts de transaction peu élevés évitent l’intervention du gouvernement en réduisant les dommages. Ces deux conditions sont appelées «Conditions de Coase».

16 Dans certains pays comme au Canada, cette aversion à prêter de l’argent a été aggravée par la législation qui a empêché de considérer des animaux aquatiques comme garantie.

17 Ces problèmes de crédit bancaire ne sont pas particuliers à l’aquaculture. De nombreux cas existent en agriculture, en particulier avec les institutions de crédit para-étatiques.

18 Les lecteurs/utilisateurs de ce document sont conseillés de consulter les rapports de l’Organisation Mondiale du Commerce traitant des subventions et des mesures fiscales compensatoires.


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