CHAPITRE 5. POLITIQUES SECTORIELLES NON SPÉCIFIQUES
CHAPITRE 6. POLITIQUES SECTORIELLES SPÉCIFIQUES AU NIVEAU MACRO-ÉCONOMIQUE
CHAPITRE 7. POLITIQUES SECTORIELLES SPÉCIFIQUES AU NIVEAU DE LA FERME
Parmi les conditions préalables au succès de laquaculture commerciale discutées aux chapitres précédents, quelques-unes ne sont pas du ressort des gouvernements, ni des décideurs; ce sont les variables non-politiques. Il sagit de facteurs culturels, comme les prédispositions à lentrepreunariat et à la prise de risques, et les caractéristiques de la demande, comme la taille du marché et la concurrence de produits de substitution. Dautres conditions par contre peuvent être influencées par les gouvernements. Ce sont les variables politiques. Certaines de celles-ci que les gouvernements peuvent mettre en place pour favoriser le développement du secteur sont de pertée générale. Elles visent à réduire les risques et abaisser les coûts pour lensemble des activités commerciales en créant un climat favorable à linvestissement privé, y compris en aquaculture. De telles politiques qui favorisent tous les investissements sont considérées comme des politiques sectorielles non spécifiques. En plus, il existe des politiques sectorielles spécifiques qui visent la promotion dun secteur particulier tel que laquaculture commerciale. Ces deux types de politiques sont discutés dans cette deuxième partie.
Bonne gouvernance
Politiques d'ouverture au marché et de croissance macro-économique
Accent sur le secteur privé comme créateur de richesses
Les politiques appropriées visent à créer un climat de confiance parmi les investisseurs. Les politiques sectorielles non spécifiques visant à le soutenir du point de vue économique comprennent la bonne gouvernance, louverture au marché et à la croissance macro-économique, et mettent laccent sur linvestissement privé.
Le terme "gouvernance" regroupe les politiques qui traitent des problèmes dinstabilité politique, dincertitude sur les droits de propriété, de corruption et daffaiblissement des facteurs institutionnels, tels que les lois sur la faillite et le respect des contrats (Hong et al., 1999). Dans une enquête menée en Afrique sur des entreprises, celles appartenant à des étrangers ont classé au premier rang la stabilité politique pour investir sur le Continent, cette stabilité étant l'une des causes principales de succès ou déchec de linvestissement. Les entreprises locales ont également considéré le risque politique comme important, mais après d'autres facteurs comme les impôts et les infrastructures. Dans la majorité des vingt pays étudiés au sud du Sahara, les entrepreneurs se sont plaints de linstabilité politique, de lapplication des lois et règlements, et de la capacité des gouvernements à honorer leurs contrats (World Economic Forum, 1998). La stabilité politique et sociale ont été des facteurs essentiels du succès de la production commerciale de tilapia au Costa Rica (Porras, 2000).
Les droits de propriété sont importants car ils incitent les producteurs à prendre en compte les dégâts à lenvironnement. La décision dinvestir et la possibilité de polluer dépendent des droits de propriété. Dans les régions côtières de l'Honduras, lindustrie de la crevette a été handicapée par la concurrence pour le droit du sol (Morales, 2000). Dans louest Bengale en Inde, les fermiers citent la multipropriété comme la majeure contrainte en aquaculture (Bhatta, 1999). Afin dassouplir cette contrainte, certains gouvernements dEtats ont étendu les droits de bail sur de plus longues durées. De même dans les îles du Pacifique, la propriété privée peut être incompatible avec le régime de communauté des zones marines côtières (Adams et al., 2000). En Thaïlande, labsence dun régime foncier clair était une contrainte majeure à linvestissement dans la distribution de leau et dans lamélioration de sa gestion. Le trop grand nombre de fermes d'élevage de crevette a conduit à proposer lirrigation à partir deau de mer, mais pour que linvestissement soit rentable, il fallait de grandes exploitations (Tokrisna, 1999). Le manque de clarté dans les droits de propriété a handicapé le projet.
En Afrique subsaharienne existe une grande variabilité du droit foncier. Parfois, ces droits ne sont pas clairement définis. Cela peut savérer coûteux et peu économique pour les investisseurs, car ceci augmente le prix de la terre et peut créer des conflits fonciers. De même, dans la plupart des cas, le processus dacquisition dun terrain est généralement long et frauduleux (Platteau, 1992; Ezenwa, 1994). Quelques pays, comme par exemple la Côte dIvoire, ont des titres de propriété individuels sans restrictions. Dautres, comme le Kenya et le Malawi, imposent des restrictions. Au Mozambique, au Nigeria et en Zambie, la terre appartient à lEtat; on ne peut obtenir quun droit doccupation et d'usufruit. Les investisseurs étrangers craignent quun titre de propriété ne soit pas validé et que les occupants soient peu disposés à louer le terrain lorsque les droits sont cédés au nouvel usager. La propriété librement négociable apporte de la mobilité, de la motivation et des garanties. Cependant, les questions relatives aux droits fonciers sont très sensibles, et un titre de propriété peut se révéler moins important en aquaculture commerciale que la garantie de pouvoir occuper et utiliser le terrain pendant un nombre dannées fixé. Au Bangladesh, la location détangs a augmenté ces dernières années, et depuis 1994-1995, la Chine a autorisé le transfert de propriété sur de plus longues périodes. A Madagascar, lélevage de la crevette se fait dans des Zones Franches Industrielles (ZFI) qui appartiennent au domaine public. Les investisseurs étrangers peuvent seulement louer des terrains ZFI. Néanmoins, la terre est louée pour des durées assez longues (20 à 50 ans, renouvelables) pour favoriser linvestissement (Hishamunda, 2000c; Razafitseheno, 2000). Et lusufruit est cessible.
Linvestissement privé est aussi inversement lié à la corruption. Linvestissement étranger, tout particulièrement, réagit très négativement à celle-ci (Alesina et Weder, 1999). Ceci est en particulier le cas pour des types irréversibles dinvestissements étrangers tels que ceux faits en agriculture ou en élevage. La corruption fait monter le prix des transactions en incitant les entreprises à négocier en dehors du cadre formel de la réglementation et en obligeant les gestionnaires à dépenser du temps et de largent auprès des représentants du gouvernement. Lorsque les représentants haut placés cherchent à louer à un monopole, le secteur privé peut être enfermé dans un dilemme où la stratégie dominante est de corrompre (Klitgaard, 1998). Un équilibre de corruption est atteint, mais au prix dun coût social élevé (Mauro, 1996).
Jusquà un certain point, la corruption est liée négativement aux conditions macro-économiques dun pays. Lorsque les officiels ne sont pas payés, ou insuffisamment pour vivre, la corruption peut leur fournir des moyens de survie. Une croissance économique supérieure devrait impliquer de meilleurs salaires et moins de corruption. Celle-ci est aussi liée positivement au pouvoir monopolistique et discrétionnaire (et inversement liée au niveau de responsabilité). La réduction de lautorité arbitraire de réglementation, un ensemble de réformes structurelles, permettent de combattre la corruption. La Direction de la Corruption et des Crimes Economiques au Botswana a également montré que léducation publique peut être une arme efficace et une force de dissuasion contre la corruption (Transparency International, 1999; Fombad, 1999).
Les facteurs institutionnels sont déterminants pour linvestissement privé. Dune part, ils peuvent encourager les investisseurs à avoir des vues à long terme. Dautre part, ils peuvent les dissuader si ces facteurs réduisent leur compétitivité, représentent une perte de temps et encouragent la corruption. Dans certains pays au sud du Sahara, des industriels mentionnent que les règlements sont imprécis et font peser une lourde charge sur leur esprit de compétition. Dans dautres pays, près du quart du temps dun dirigeant est passé à obtenir ou négocier des permis et des règlements (World Economic Forum, 1998). Le renforcement des institutions peut être obtenu grâce à létablissement dune réglementation et à son application.
Des politiques favorables à léconomie prendraient aussi en compte louverture au marché et la croissance macro-économique. Les deux sont des facteurs déterminants pour linvestissement privé. La recherche a montré que la croissance économique peut être accélérée par louverture au marché, lattraction dinvestissements étrangers, des investissements dans les secteurs de la santé et de léducation, et les investissements dans le secteur privé domestique (Sachs, 1998). Ces politiques sont aussi importantes en Afrique quailleurs. Le flux en capital dinvestissement est faible en Afrique subsaharienne. Le rapport de l'investissement total au PNB, qui est denviron 17 pour cent, est inférieur à celui des pays asiatiques en voie de développement (29 pour cent) et des pays de lOuest (22 pour cent). De plus, linvestissement privé, qui est plus productif que linvestissement public, reste faible. Le rapport de l'investissement privé à l'investissement public dans la région est bien en dessous de celui observé en Asie et en Amérique latine. Cet accès relativement limité à des capitaux privés est une des contraintes majeures au développement économique de la région (World Economic Forum, 1998). Au niveau international, lAfrique court le risque dêtre marginalisée. La part de lAfrique dans le commerce mondial est diminuée de 4 pour cent au début des années 80 à 2 pour cent en 1996. Le Continent nattire que 1,3 pour cent du total mondial des investissements étrangers, avec près des trois-quarts de ceux-ci dans les pays exportateurs de pétrole (Sachs, 1998). Les pays au sud du Sahara qui ne sont pas exportateurs de pétrole voient donc leur part de ces investissements proche de zéro (0,3 pour cent).
Dun point de vue historique, les conditions macro-économiques nont pas été favorables en Afrique subsaharienne. La croissance de léconomie a été proche de zéro dans les années 70 et négative dans les années 80 (Calamitsis, 1999). Parmi les 48 pays les plus pauvres à la fin des années 90, 33 étaient en Afrique. Au sud du Sahara, le PNB réel est resté pratiquement au même niveau entre 1992 et 1994, avec même des baisses en terme de PNB réel par habitant (Ouattara, 1999). Pendant ces années, les taux moyens dinflation se sont situés entre 44 et 61 pour cent. Cependant, les années 1995 à 1999 ont vu une amélioration des performances macro-économiques dans les pays au sud du Sahara. Les taux de croissance réels ont atteint en moyenne 5 pour cent entre 1995 et 1998; le taux dinflation est retombé à 10 pour cent en 1998, tandis que les déficits des comptes courants et les déficits budgétaires rapportés au PNB ont chuté. Ces indicateurs sont même plus positifs si l'on exclut le Nigeria et lAfrique du sud qui représentent à eux seuls environ la moitié du PNB de la région (Ouattara, 1999).
Des réformes administratives ont été entreprises avec la libéralisation du secteur agricole, une meilleure ouverture au marché et un moindre interventionnisme de lEtat. Des réformes structurelles ont été mises en place, comprenant le démantèlement des monopoles dEtat, létablissement de taux dintérêt dictés par le marché et la privatisation de certaines entreprises étatiques (Hernández-Catá, 1999). Malheureusement, des groupes de pression et des intérêts politiques personnels nont pas toujours bien accueilli le démantèlement du contrôle de lEtat au bénéfice du secteur privé. Le rythme des réformes en Afrique subsaharienne a été déterminé autant par cet opportunisme politique que par la rationalité économique (Rotberg, 1998). Cependant, la conduite politique dans certains pays a montré que des réformes peuvent être mises en place et résulter en des progrès à long terme dans la croissance économique et dans la compétitivité (World Economic Forum, 1998).
Les mesures qui permettent de maintenir constant le taux de change réel et de conserver sa stabilité sont également des mesures politiques importantes pour favoriser la croissance macro-économique. Des taux de change inadéquats produisent des effets négatifs sur la confiance et la viabilité du commerce. Sil est surévalué, il pénalise les exportations; il encourage aussi limportation de biens de consommation. En de nombreux pays au sud du Sahara, la production de laquaculture commerciale est en concurrence avec le poisson de pêche importé. Ainsi, un taux de change surévalué réduit la compétitivité de la production aquacole par la baisse des prix du poisson importé et vendu localement. Un exemple de leffet dun taux de change surévalué a été larrivée massive du "Banga Mary", un poisson destuaire originaire de Guyana et importé en Jamaïque au milieu des années 90. La monnaie jamaïcaine sappréciait alors à cause de taux dintérêts élevés. La surévaluation du dollar jamaïcain a permis dimporter le Banga Mary à un prix moitié de celui du tilapia produit localement. En 1997 le Banga Mary était considéré comme un poisson bon marché, supplantant un quart d la commercialisation de tilapia dans les restaurants. Incapable de vendre sa production, lindustrie jamaïcaine du tilapia a alors stagné (Carberry, 2000). Avec la dévaluation rampante, le tilapia a retrouvé plus tard sa part du marché.
Dans la zone africaine du CFA, non seulement le franc CFA a été surévalué jusquen 1994, mais le régime de taux de change fixe a impliqué une politique fiscale en récession de façon à maintenir léquilibre macro-économique. Ainsi, la réduction des parts de marché pour les produits de laquaculture, causée par la concurrence des produits importés, a été compensée par une baisse des revenus réels. Avec une élasticité de revenus positive pour la demande en poisson, la baisse des revenus a eu un impact négatif sur la demande de poisson délevage. Une politique favorable éviterait les fluctuations et mettrait en place une politique de taux de change réaliste. La dévaluation de 300 pour cent du dollar de Costa Rica en 1981-1982 a obligé les fermes qui avaient des crédits en dollars à arrêter leurs activités plutôt que de faire face aux coûts en devises. La dévaluation a entraîné également la fermeture dun projet délevage de tilapia en cages car il dépendait daliments importés (Porras, 2000).
Les politiques traditionnelles de développement ont souligné les échecs au niveau du marché et la nécessité pour les gouvernements d'intervenir. Cependant, cette approche a été de plus en plus source dinefficacité et de blocages administratifs. L'on a ignoré les mesures d'encouragement et souvent les résultats ont été à lopposé des prévisions. Au cours des années 80 et 90, les approches de développement économique se sont détournées de lappui des gouvernements, mettant de plus en plus l'accent sur le secteur privé. Les nouveaux paradigmes de développement utilisent les théories néoclassiques de libre marché afin de mieux cibler les allocations de ressources. Dans le cas du développement de laquaculture en Afrique subsaharienne, où la fourniture publique dintrants est mise en danger par la réduction des dépenses de lEtat, le modèle de marché serait apporté par la privatisation de la production d'alevins et des stations piscicoles, ainsi que par la production et la distribution daliments aquacoles par le secteur privé. Peu de pays peuvent se permettre de subventionner les aliments, quel quen soit le bien-fondé (Entsuah-Mensah et al., 1999).
Un autre facteur au-delà dun plus grand appui sur le secteur privé, a été la pression apportée sur les dépenses gouvernementales. Pour certains pays dAfrique subsaharienne, la pression pour diminuer les dépenses des gouvernements a été imposée par le Fonds Monétaire International dans le cadre de programmes dajustement structurel. Ces programmes se sont penchés sur les déficits budgétaires et les déficits des comptes courants. Ils ont eu des répercussions plus importantes en Afrique quen Asie (FAO, 1995). A la fin de 1996, le nombre total de programmes dajustement structurel en Afrique subsaharienne était de 163 (Diabré, 1998). Dans dautres pays, un taux de change fixe et surévalué par rapport au franc français, qui a seulement été dévalué en 1994, a obligé les gouvernements à diminuer les dépenses. Le taux de change fixe a mis la pression sur les dépenses de lEtat en étant un moyen politique utilisé pour maintenir la stabilité macro-économique et celle des taux de change.
Cadres réglementaire/juridique, administratif, économique et dautorégulation
Politiques sectorielles spécifiques dictées par loffre et la demande
Les politiques sectorielles spécifiques peuvent être définies aux niveaux macro-économique et micro-économique. Ce chapitre aborde les politiques spécifiques à laquaculture, et qui visent à guider le développement de ce secteur dans son ensemble. On les intitule politiques sectorielles spécifiques au niveau macro-économique A ce niveau, les politiques peuvent avoir un aspect réglementaire ou juridique, administratif et économique; le secteur peut également sautoréguler. Ces politiques ont pour objectif de faciliter un développement ordonné du secteur. Elles peuvent aussi être définies en réponse à des problèmes existants ou perceptibles concernant les aspects d'offre et de demande du secteur. On les intitule alors politiques guidées par l'offre et la demande.
Lobjectif de réglementer laquaculture est de fournir à son développement un environnement ordonné et durable. La réglementation permet de réduire les impacts négatifs tels que la pollution ou les conflits sur laccès aux ressources en eau, à la terre ou aux fonds marins, tous conflits créés par les régimes de libre accès à la propriété. Alternativement, la réglementation peut viser à rendre positives les interventions, comme cest le cas doctroi de permis pour lélevage du saumon en Norvège. Le but de ces permis a été de prévenir une concentration des élevages et de permettre à des entreprises du secteur de la pêche ou de l'agriculture de prendre part aux élevages artisanaux. Ces permis ont également été attribués à un niveau régional, pour favoriser le développement sur les côtes des régions du Nord.
La réglementation sur la gestion et le contrôle du milieu est prédominante pour minimiser les effets négatifs de laquaculture sur lenvironnement. Comme laquaculture utilise des terres et des ressources en eau du domaine public, elle peut représenter un danger pour les autres utilisateurs. Dans le nord ouest de lEspagne, lélevage en cage de saumon (Salmo salar) et de turbot (Scophthalmus sp.) concurrence les élevages de moule (Mytilus edulis) sur radeaux. Dans lest du Canada, les sites des fermes de saumon concurrencent ceux utilisés pour la pêche au hareng (Clupea harengus). Le système juridique permet de résoudre parfois ce genre de conflits, mais une approche plus générale est la création par le gouvernement de zones réservées et de permis dexploitation (Millar et Aiken, 1995). Il existe même un système pour classer lutilisation de leau. Au large du nord ouest de lEspagne, où les eaux peu profondes ont tendance à stagner, les cages d'élevage de saumon ont dû être déplacées vers des zones plus éloignées. Au Chili, des secteurs marins distincts sont délimités pour lélevage du saumon et pour la pêche. En Zambie, des zones protégées ont été délimitées à cause de problèmes de conservation de leau, tandis qu'en Équateur, c'est pour des raisons de défense du territoire. Dans d'autres pays, comme au Malawi, l'on fait la distinction entre plan d'eau privé et plan d'eau public. Lobjectif est dassurer que le développement de laquaculture sera durable des points de vue économique, social et environnemental.
Un trait commun à la réglementation aquacole est lobligation dacquérir un permis avant dinstaller une ferme. Ces permis représentent un moyen de réglementer lindustrie grâce au droit dutilisation, et de diminuer les risques de conflits sur lutilisation de la terre ou de leau. Les permis sont également utiles pour récolter des données. A la délivrance dun permis pourrait être liée lobligation de fournir des chiffres de production et des données techniques. Aux Philippines, certains producteurs doivent fournir chaque trimestre un rapport sur la production (Bonucci et al., 1993). Cependant, les coûts de suivi et de contrôle du respect du règlement peuvent être prohibitifs. Au Costa Rica, afin de faciliter la planification du secteur, les fermes doivent être enregistrées auprès dINCOPESCA. On attend des fermes quelles fournissent au Registre, les détails des ventes, des intrants, des dates de récoltes et des méthodes de production (Porras, 2000). Cependant le Registre na pas encore été mis en place. Il ny a aucune amende pour ceux qui ne sont pas enregistrés. Il ny a pas non plus assez de personnel pour faire appliquer le règlement. De même en Thaïlande, le système denregistrement des fermes de crevette na pas été complètement mis en place. Une des raisons en est le manque de clarté des titres de propriété et aussi linquiétude sur le système dimposition (Toskrina, 1999). Afin dobliger les fermiers à remplir leurs obligations, il serait possible de lier le renouvellement du permis à la fourniture de données.
Il existe différentes procédures dobtention des permis dexploitation. Pour accorder les permis, la plupart des pays demandent des renseignements sur les aspects administratifs et économiques de l'élevage et sur sa localisation, ainsi que des informations techniques comme lespèce à élever. Au Chili, au Mexique, au Mozambique, aux Philippines et au Venezuela, une étude dimpact environnemental est nécessaire avant de délivrer le permis. Cette exigence peut être réservée à des fermes dépassant une certaine taille, ce qui pourrait ignorer les effets cumulatifs de nombreuses fermes de petite taille. L'on peut également ne pas être d'accord pour exiger une étude dimpact environnemental non seulement pour son coût, mais aussi parce que ce coût pourrait décourager linvestisseur ou réduire la compétitivité du secteur. Au Chili, un plan de développement sur cinq ans est également demandé lors du dépôt du dossier. Dautres pays demandent des informations sur la nationalité, le Mexique et les Philippines limitant les permis à leurs ressortissants, et la France aux ressortissants de lUnion Européenne (Bonucci et al., 1993). La France exige aussi de prouver ses compétences en aquaculture. En général, la demande est adressée au ministère des pêches ou à un service similaire, mais cela varie suivant que la demande concerne un élevage marin ou un élevage en eau douce. La majorité des pays ont un permis commun à toutes les espèces, mais quelques-uns uns (France, Nouvelle Zélande et Philippines) demandent différents permis suivant les espèces ou pour des techniques d'élevage particulières.
Lobtention des différents permis peut faire intervenir divers services; cela nécessite du temps et peut même décourager certains investisseurs potentiels. Les réglementations ne doivent donc pas être trop contraignantes. Elles couvrent en général la jouissance des terres du domaine public, le droit deau, le rejet des eaux usées et même la qualité de leau. Parfois comme en République Populaire du Congo, lautorisation dinstaller un établissement aquacole garantit en même temps le droit dutilisation de la terre et de leau. Dans dautres pays, on demande des permis distincts. Au minimum, la réglementation devrait comporter quelques informations juridiques essentielles, telles que la place de laquaculture dans le système juridique, l'accès à la terre et à leau, ainsi que des règlements concernant lenvironnement, limportation de poissons vivants et lintroduction despèces étrangères (Andreasson, 1997).
La durée de validité des permis est variable, mais en général ils sont valables plusieurs années. Les permis de courte durée, par exemple un an seulement à Singapour, peuvent être insuffisants pour encourager les investissements dans le secteur (De Voe, 1991). Dans lOuest de lAustralie, les baux aquacoles peuvent être étendus jusquà 21 ans, mais des permis sont nécessaires et ne sont valables que pour douze mois. Des permis de courte durée permettent de contrôler les installations, tandis que des baux plus longs offrent le temps aux fermiers damortir leur investissement.
Dans certains pays, les permis sont négociables ce qui favorise lefficacité et la consolidation de lentreprise. Les fermes les plus performantes peuvent acquérir des permis tandis que les moins prospères vendent le leur et sorientent vers dautres activités. Néanmoins, la protection de lintérêt public peu impliquer lapprobation de ces transferts, comme cest le cas en Nouvelle Zélande et à Madagascar. Cela permet au gouvernement dempêcher de trop fortes concentrations de fermes aquacoles. Cela permet également de mettre fin au bail si la réglementation nest pas appliquée. Au Chili, les permis sont octroyées pour une durée indéterminée et sont négociables. Cependant, les bénéfices engendrés par les élevages de saumon ont favorisé le négoce spéculatif de permis, et le gouvernement a été obligé dimposer un moratoire sur la délivrance de nouveaux permis (Bjorndal et Aarland, 1999).
La réglementation peut conduire à de linefficacité et à des rigidités bureaucratiques, ce qui est nuisible au développement et à son expansion; de plus, elle peut savérer difficile à appliquer. Linefficacité et la rigidité peuvent avoir comme causes un chevauchement des lois, règlements et juridictions. Des chevauchements des juridictions rendent compliquée leur application et ont un effet dissuasif sur le développement de laquaculture. Ce danger est important dans les états fédéraux. Au Canada, afin de clarifier les responsabilités, le gouvernement fédéral exerce sa juridiction sur le domaine maritime, tandis que les gouvernements provinciaux sont responsables du domaine continental. Malgré cela, une des priorités du Canada est de rationaliser la législation aquacole afin de réduire lensemble juridique qui pèse sur lindustrie (Canadian International Development Agency, 2000). Lorsque la loi sur la pêche a été préparée, il n'y avait pas d'industrie aquacole. A présent, il existe 17 départements et agences fédéraux (en plus des départements provinciaux) qui exercent des responsabilités dans le secteur (INFOFISH, 1999). La duplication de la réglementation est inévitable. Dès lors, une revue complète de la législation aquacole est prévue. Dans dautres états fédéraux comme en Allemagne, en Inde, au Nigeria et aux Etats-Unis, la responsabilité de laquaculture existe au niveau local, mais la réglementation concernant lenvironnement et le transport de poisson au-delà des limites territoriales dépend de la juridiction fédérale. En Malaisie, laquaculture marine est en premier lieu réglementée par le gouvernement fédéral alors que laquaculture côtière (y compris lélevage de crevette) est essentiellement sous la responsabilité des Etats (Van Houtte-Sabbatucci, 1999).
Lorsque les règlements sont nombreux, les demandeurs peuvent être aidés par un bureau unique où linformation est facilement accessible. En Inde, lAquaculture Authority, qui a été établie par la Cour Suprême en 1996 et qui a la responsabilité de laquaculture côtière, a largement diffusé dans les journaux et en langues locales, lintégralité de la réglementation ainsi que les formulaires de demande pour la création d'élevages de crevette (Sakthivel, 1998). Elle a également publié des recommandations sur la densité d'élevage souhaitable pour les crevettes, les aliments et la conception des étangs. Lobjectif (pas toujours couronné de succès) a été daccélérer le traitement des demandes. En Jamaïque, plusieurs agences gouvernementales réglementent laquaculture, mais pour faciliter le traitement des demandes, une agence (la Jamaica Promotions Limited) a publié une brochure expliquant précisément ce qui était nécessaire. Cette brochure donnant les informations sur les procédures à suivre, a facilité le processus dacceptation des dossiers, et tout particulièrement pour les investisseurs étrangers (Wint, 1991). En labsence dun document unique contenant la réglementation complète, l'on peut regrouper le personnel de différents services/agences en seul lieu. Aux Philippines, les investisseurs potentiels peuvent obtenir le détail de toute la réglementation dans un bureau unique. Au Canada, des guichets communs ont été créés pour aider les investisseurs et les guider entre les juridictions provinciales et fédérales. Le "guichet unique" joue le même rôle à Madagascar.
Dans certains pays, l'application de la demande peut prendre des années car chaque permis est réétudié complètement par chaque département (Filho, 1997). Cette lente approbation a constitué un obstacle au développement de lindustrie du saumon au Chili. En 1997, seules 15 pour cent des demandes déposées en 1995 avaient été traitées (Bjorndal et Aarland, 1999). A Porto Rico, laquaculture est un secteur prioritaire et on accorde aux fermes des moratoires et des prêts. Cependant, une nouvelle entreprise nécessite en moyenne deux à trois ans pour acquérir vingt permis différents (Wint, 1991). Cela montre quune fois les demandes déposées, la procédure dapprobation devrait être aussi rapide et transparente que possible. Cela réduit la marge de corruption et augmente la possibilité de voir se réaliser linvestissement. Des dates limites devraient être fixées et chaque agence ne devrait traiter que les dossiers de sa compétence. En plus, comme le suivi et lapplication du règlement représentent du temps et de largent, le cadre réglementaire devrait être réduit à son minimum. En fait, un faible respect de la réglementation plutôt que son absence, peut être un élément important sinon essentiel, conduisant en aquaculture à des situations non durables (FAO, 1999c). Il arrive quil ny ait pas de budget pour le suivi ou quil y ait des chevauchements de juridictions dans les différents départements. De simples classifications peuvent alors être suffisantes dans les pays ayant des budgets limités et un personnel insuffisant (Neiland et al., 1999). Idéalement, le suivi et le contrôle de l'application de la réglementation devraient être peu coûteux et la procédure de demande devrait être rapide.
Il existe de nombreux exemples en Afrique subsaharienne où laquaculture dépend de plus dun département. Cela a conduit à des duplications, des rivalités et du gaspillage (Coche et al.,1996). Au Zimbabwe par exemple, la vulgarisation aquacole dépend de lagriculture, mais le développement de l'aquaculture dépend du ministère du tourisme. Il serait préférable de disposer dune agence gouvernementale unique, responsable du développement de laquaculture. Cette agence serait informée des activités des autres départements responsables de la production alimentaire et des ressources naturelles, et elle coordonnerait le secteur. Au Costa Rica, INCOPESCA a été responsable du développement, de la réglementation et de la recherche aquacoles depuis 1994. Au Honduras, DIGEPESCA non seulement réglemente le secteur mais prépare aussi le plan de développement aquacole.
Ce qui aggrave le problème de chevauchements de juridictions administratives est le manque fréquent dun cadre juridique propre à laquaculture. Cela est dû au fait que dans plusieurs pays, celle-ci en est aux premiers stades de développement et quelle joue un rôle encore mineur dans les économies nationales. Un cadre juridique complet pour l'aquaculture existe dans la plupart des pays développés, quelques pays dEurope de lEst et en Asie (les Philippines par exemple). De nombreux pays africains nont pas de législation aquacole, ou une législation peu développée. Au début des années 90, seuls trois pays sur douze étudiés en Afrique subsaharienne possédaient une législation spécifique (Kenya, Madagascar et Nigeria); trois autres avaient une législation limitée (Malawi, Tanzanie et Zimbabwe), et dautres nen avaient pas du tout (Cameroun, RCA, Congo, Côte dIvoire et Zambie) - (Coche et al., 1996). Il existe en fait une autorité permettant de réglementer lindustrie, et des lois et règlements édictés sans faire référence à laquaculture sont appliqués. Il est fréquent que ladministration charge une personne, par exemple le Directeur des Pêches, détablir la réglementation aquacole. En Zambie, ce pouvoir est confié au Ministre de lAgriculture, de lAlimentation et des Pêches dans le cadre d'un décret de 1974 (Mudenda, 2000). Au Malawi, laquaculture est régie par la loi sur les pêches de 1973 (Bonucci et al., 1993; Kapeleta, 2000).
Cette absence de réglementation spécifique fait aussi que laquaculture est généralement administrée dans le cadre des pêches de capture (Andreasson, 1997). En fait, un cadre légal plus approprié à laquaculture, au moins pour les productions à terre, pourrait être celui de lagriculture. Comme celle-ci, laquaculture produit des aliments, la différence essentielle étant que le milieu de production est leau plutôt que la terre. Les problèmes daccès à la terre ou à leau, et le traitement des effluents, sont les mêmes. Dès lors, un cadre agricole semblerait mieux convenir, en particulier pour l'aquaculture en étang. Cependant un tel cadre pourrait ne pas convenir à laquaculture pratiquée dans des zones côtière, dans des plans d'eau continentaux ou en milieu marin, à cause des problèmes de libre accès à la propriété. En plus, lélevage en eau saumâtre, comme la production de crevette, peut créer des dommages irréversibles et justifier des règlements spéciaux visant à protéger les régions côtières. Dans certains cas comme en France et en Espagne, la mariculture et l'aquaculture continentale dépendent de différentes législations et dans dautres pays, comme lEquateur, seules certaines zones (les zones côtières pour la culture de crevettes) sont réglementées.
Labsence dun statut juridique pour laquaculture, qui reconnaît légalement lutilisation de la terre et/ou de leau en aquaculture, peut gêner le développement du secteur. Dans une enquête menée sur neuf pays du Proche Orient, l'on a cité comme principal obstacle au développement de laquaculture, une législation faible, tout particulièrement sur la protection de lenvironnement et le mouvements danimaux aquatiques (El Gamal, 2000). Ce manque de cadre juridique était rendu plus contraignant encore par une lourde bureaucratie et le manque de coopération entre les services en charge de laquaculture. Dautre part, les bénéfices attendus dun cadre juridique trop complexe peuvent ne pas justifier son coût. En 1984, des consultants ont produit un document complet de 250 pages proposant une législation aux Bahamas. Mais au début des années 90, aucune des propositions nétait édictée, car laquaculture était encore une activité trop marginale (Thompson, 1991).
Des mesures complémentaires pour orienter et contrôler les techniques délevage peuvent être des motivations dordre économique, et des mesures dautoréglementation prises par le secteur. Les motivations dordre économique reposent sur les prix qui sont un élément déterminant pour guider les comportements des producteurs (William, 1999). Elles permettent déviter quelques-unes des dépenses de suivi et dapplication de la réglementation. Comme exemple dincitation positive, l'on peut citer lEquateur qui propose des dispenses dimpôts aux entreprises qui traitent les effluents; d'autres pays imposent une taxe sur leau usée (FAO, 1999c). Dautres motivations comprennent des obligations ou des versements obligatoires qui sont remboursés si lenvironnement ne subit pas de dégradations. Les impôts sur lutilisation abusive de substances nocives pour lenvironnement, comme les antibiotiques, peuvent avoir de leffet si la demande pour les produits aquacoles est élastique par rapport aux prix. Des subventions peuvent aussi être utiles, bien quelles aient linconvénient de représenter un coût pour le gouvernement (ou le donateur). Au Sri Lanka, des prêts alloués à des taux dintérêt préférentiels sont offerts pour linstallation de systèmes de traitement de leau.
Lautorégulation sous la pression du milieu professionnel lui-même, en particulier pour les fermiers qui investissent à long terme, peut également être efficace. Les "Meilleures pratiques de gestion" représentent des codes de gestion autorégulée qui peuvent avoir pour origine le gouvernement ou être adaptées dune organisation de producteurs (FAO, 1999c). A Yokohama, le respect des pratiques de bonne gestion est basé sur les communautés (Hideyuki,1999). Les pisciculteurs sont encouragés à conduire leurs élevages dune manière responsable, et ont plus tendance à gérer à leur niveau les atteintes à lenvironnement que beaucoup dautres secteurs industriels, car celles-ci conditionnent directement leur propre production. Dans leur propre intérêt, les éleveurs sont encouragés à réduire la pollution. Lutilisation dantibiotiques dans les élevages de saumon norvégiens a fortement baissé depuis 1987 pour tomber actuellement à un niveau proche de zéro. Cette utilisation avait un impact négatif non seulement sur lenvironnement mais aussi sur limage (et les marchés) du saumon d'élevage norvégien (Bjorndal et al., 2000).
Un autre exemple dautoréglementation est la baisse des dégâts causés à lenvironnement par les déperditions daliments. Les aliments comptent pour près de 50 pour cent des coûts totaux dans les fermes de saumon norvégiennes. La charge des coûts élevés des aliments et la baisse des rendements due à la pollution résultant dun excès dalimentation a incité les producteurs à diminuer les quantités distribuées (Asche et al., 1999). Ainsi, des taux dalimentation plus bas ont réduit le gaspillage et les dégâts à lenvironnement qui en résultaient.
Abandon des stations dÉtat
Une des caractéristiques de laquaculture en Afrique subsaharienne est lexistence de stations piscicoles dEtat, dont beaucoup sont abandonnées. Elles ont plusieurs rôles. Dabord, elles produisent des alevins, qui sont distribués gratuitement ou à un prix subventionné. Ensuite, elles produisent des poissons de consommation. En troisième lieu, elles permettent de démontrer des techniques aquacoles. Ceci est important dans les régions où la gestion de leau et les méthodes délevages sont des concepts récents. En plus, elles servent de centres de formation et de recherche.
Construites par des donateurs pour vulgariser les connaissances, elles ont été abandonnées une fois les fonds des donateurs épuisés. Les coûts dexploitation ne pouvant être couverts par les budgets du gouvernement. Parfois, labsence de budget a obligé les responsables à devenir entrepreneurs et à vendre les production sur le marché. Mais une telle pratique peut ne pas être acceptée par les responsables en haut lieu. Les gérants ont alors dû verser le montant des ventes de poisson au département, ce qui a diminué leur motivation. De plus, cette pratique de vente de poisson produit dans des stations publiques noffre pas une concurrence loyale aux producteurs privés. Compte tenu de la situation précaire de certaines stations, il existe un remède qui est de les transférer au secteur privé. De fait, certaines recommandations indiquent que le nombre des stations dEtat devrait être divisé par deux en cinq ans, à partir de 1999 (FAO/Regional Office for Africa, 1999). Tandis que certains rôles de ces stations, qui ont été décrits plus haut, pourraient et devraient être transférés au secteur privé, dautres, tels la recherche et la formation, appartiennent au secteur public. À cause du résultat incertain de la recherche et de limpossibilité de s'approprier exclusivement de tous ses résultats positifs, la recherche nattire pas le secteur privé, au moins dans les premières étapes du développement du secteur. De même, le maintien de la qualité des géniteurs nécessite des stations publiques si la production privée d'alevins recherche davantage la productivité que la qualité (Little, 1998). Au Costa Rica, les stations dEtat ont mené le gros de la recherche sur le tilapia et les résultats ont pu être appliqués par la société Aquacorporación. Cette expérience incite à conserver quelques stations publiques pour mener les travaux de recherche.
Lavantage de la privatisation, lorsquelle est possible, est quelle allège les gouvernements des coûts opérationnels. La privatisation tend aussi à développer une gestion efficace. Cela a été vérifié lors de la privatisation de fermes agricoles d'État (Cleaver, 1993). Si les investisseurs ne manifestent pas dintérêt à acquérir une ferme dEtat, au moins la gestion pourrait être privatisée. Avec une bonne gestion, la station pourrait engendrer des bénéfices et éveiller lintérêt dinvestisseurs locaux.
La privatisation présente aussi des inconvénients. Elle conduira, du moins au début, à augmenter le prix des alevins. Cela est à peu près inévitable, au moins dans les premiers temps. Ensuite cependant, ces prix plus élevés pourraient provoquer lintérêt d'investisseurs, augmenter la production puis refaire baisser les prix. Cela a été constaté à Madagascar lorsque toute la production d'alevins a été privatisée. La privatisation peut aussi créer des pertes demploi parce que le secteur privé nemploie de la main-duvre que si elle est rentable. Cependant, les employés maintenus recevront de meilleurs salaires, ce qui en partie compense la perte demplois.
La procédure de privatisation pourrait suivre celle utilisée par les institutions agricoles para-étatiques, plusieurs dentre elles ayant été transmises au secteur privé à travers des programmes de restructuration (Cleaver, 1993). La première étape est détablir les responsabilités et souvent de réorganiser la gestion. Lobjectif est déponger les dettes et de présenter une entreprise rentable avant de la vendre ou détablir un bail. Sil doit y voir des pertes demplois, les travailleurs doivent être licenciés par le gouvernement avant la vente ou le bail. Cela écarte le soupçon porté sur la nouvelle entreprise privée. Quant à la vente, plusieurs possibilités existent. L'une consiste à ce que le gouvernement fixe le prix. Sil y a une évaluation, la transparence est importante; les banquiers gérants de portefeuilles privés sont souvent mieux à même que les gouvernements pour évaluer lactif et préparer la privatisation. Une autre voie est la vente par enchères. Ces deux procédures créent des risques pour les petits fermiers. Lalternative est de donner un droit de premier refus aux petits fermiers locaux et de les inciter à acquérir des stations sous forme coopérative, comme cela a été le cas à Madagascar. Une autre possibilité est de créer dabord une opération conjointe gouvernememt/secteur prive, le gouvernement vendant ensuite ses parts petit à petit. Cela demande moins de fonds propres des investisseurs et peut être une bonne approche pour développer la propriété locale. Cela donne également du temps aux gestionnaires pour se familiariser avec la gestion et cest un moyen de réduire les risques. Cela suppose cependant quil y ait un engagement de totale privatisation future.
Privatisation des services de formation et de vulgarisation
Une aquaculture commerciale durable ne peut se passer de services de vulgarisation, mais peut en modifier les sources de financement. Une partie peut venir du secteur privé. Au Costa Rica, les services de vulgarisation ont mis en place un programme de recherche sur les sites et sur les espèces. Le savoir-faire a été transmis à Aquacorporación. Cela sest avéré fondamental pour la réussite de lentreprise (Porras, 2000). En Jamaïque, les services publics de vulgarisation ont contribué à la mise en place d'élevages industriels de tilapia grâce à la fourniture de services tels lévaluation de sites, le calendrier de récolte et la fourniture dalevins (Carberry, 2000). Une fois le secteur bien installé, lUniversité des West Indies a de plus en plus organisé des sessions de formation technique. De son côté, la plus grande ferme (Aquaculture Jamaica Ltd), fournit des conseils techniques aux métayers et des lignes de crédit pour appuyer les services publics de vulgarisation. Aux Philippines et en Thaïlande, les fabricants d'aliments fournissent des conseils techniques aux éleveurs. A Samut Sakhon (Thaïlande), une compagnie de Taiwan (Province de Chine) a installé une usine daliments puis introduit lélevage de crevettes. La fourniture de conseils aux fermiers sur les aspects techniques des élevages et sur la gestion des étangs a fortement augmenté le nombre de fermes en même temps que la demande daliments dans les années 80 (Tokrisna, 1999).
Il existe une alternative qui est le conseil payant: les fermiers payent pour des services de vulgarisation en fonction de leur utilisation. Ceci présente lavantage de rationaliser une situation de pénurie en personnel et en budget. Ceci incite également à améliorer la qualité des services techniques. En plus, le secteur privé peut aider les services de vulgarisation, tout spécialement en développant la formation de son personnel et des éleveurs. Aux Philippines, les usines d'aliments forment les éleveurs de tilapia. Evidemment, cela nest pas désintéressé, mais les éleveurs y trouvent aussi leur intérêt. La méthode de "lutilisateur paie" a des implications sur les budgets et sur leur répartition: elle décharge le secteur public de certains coûts, permettant aux services de vulgarisation publics de se concentrer davantage sur le secteur artisanal. Cela peut être particulièrement indiqué en Afrique subsaharienne où il existe un risque que les compétences techniques en aquaculture soient diluées lorsque les pressions budgétaires obligeront les services de vulgarisation aquacole à fusionner avec ceux plus importants de lagriculture afin de ne plus former qu'un service unifié (Entsua et al., 2000).
Promotion des fermes de grande taille
Pour se développer, laquaculture commerciale nécessite des infrastructures et des intrants qui ne sont pas toujours disponibles sur place. A Madagascar, lélevage de crevettes a montré que pour bien fonctionner il lui fallait des écloseries, des installations de prégrossissement, des chaînes de transformation et, soit léquipement pour fabriquer les aliments, soit les installations pour stocker laliment importé. Afin de faire face à ces contraintes, la stratégie de Madagascar a été de faciliter linstallation de grandes fermes (Kasprzyk et al.,1993). Seules celles-ci avaient les ressources financières et les compétences nécessaires, et pouvaient investir dans de telles infrastructures à bon escient.
Les grandes fermes peuvent également contribuer à accélérer l'acquisition des connaissances nécessaires et, par leur exemple, inciter dautres investisseurs à entrer dans le secteur. Même si le tilapia a été introduit en Honduras en 1932, la production na pas atteint 200 tonnes par an jusquen 1990. Linstallation de trois grandes fermes en 1991 a permis au secteur de se développer; la production a augmenté jusqu'à dépasser 1 500 tonnes en 1995 (Morales, 2000). Dans les îles de Pacifique, la culture dhuîtres perlières semble avoir bénéficié de la présence de gros producteurs. Les producteurs artisanaux avaient des difficultés au niveau de la commercialisation. Les gros producteurs ont ouvert le marché et développé le secteur grâce à des productions importantes et régulières de perles de qualité. Afin dobtenir les avantages daccès au marché fournis par les grandes sociétés en Polynésie française, les nombreux petits producteurs de perles marines ont fourni du naissain aux grandes sociétés (Tisdell, 1998).
Un autre exemple de limportance des fermes de grande taille dans le développement de lindustrie est la production commerciale de tilapia en Jamaïque. Au départ, les stratégies de développement de laquaculture se sont concentrées sur laquaculture rurale artisanale. Ce développement était lent parce que les fermiers voulaient produire pour créer du profit (Wint, 1996). Le gouvernement ensuite sest concentré sur les grandes fermes. Au début des années 80, se sont installées deux fermes de grande taille. Tollgate était une opération conjointe entre la National Investment Bank de Jamaïque et un groupe israélien et Aquaculture Jamaica Ltd (AJL), une filiale de Jamaica Broilers Group. La principale motivation de cette dernière était de se diversifier pour obtenir des devises en exportant du tilapia (Carberry, 2000). Plus tard, le Jamaica Broilers Group a acquis Tollgate. A présent, sa production représente près de 90 pour cent de la production annuelle nationale qui atteint 3 600 tonnes. La compagnie a pu gérer les à-coups, grâce à sa taille. En 1998, lorsque le prix des aliments a fortement augmenté, AJL a pu amortir cet impact grâce à des reports dachats (Carberry, 2000). Il lui a été aussi possible de développer un réseau de commercialisation à travers Jabexco, sa filiale chargée de lexportation; cela lui a permis dexporter près de la moitié de sa production aux Etats-Unis, au Canada, en Grande Bretagne, en Allemagne et en Belgique. Sa position dominante na pas produit deffets néfastes sur le secteur; leffet semble même avoir été positif. La société sest créé une réputation de qualité dans les cinq pays clients, ce qui a eu des effets positifs sur la réputation des autres produits jamaïcains (Wint, 1996). Cela a aussi encouragé dautres investisseurs à produire du tilapia. Afin d'augmenter ses exportations, AJL a signé des contrats avec des fermes de petite et moyenne taille, sur lexemple de ses contrats pour la production de volaille. Actuellement, 11 fermes sous contrat produisent 850 tonnes de tilapia par an (Carberry, 2000). Les fermiers perçoivent un prix plus bas que le prix de détail, mais ils ont une garantie dintrants et de marché. AJL fournit également aux fermiers sous contrat des services de vulgarisation en les faisant profiter de ses méthodes délevage et de ses connaissances techniques. De plus, AJL a, grâce à son succès, stimulé lintérêt dautres grands groupes pour laquaculture commerciale.
Promotion de linvestissement étranger
En cas dabsence dengagement ou dengagement local limité dans laquaculture commerciale, comme cest le cas en Afrique subsaharienne, il existe une stratégie qui est dattirer directement linvestissement étranger. Ceci accélère le processus dacquisition de technologie et dexpertise et peut donner de lélan à tout le secteur. Les opérations conjointes peuvent être encouragées; elles apportent des capitaux étrangers et de lexpertise tout en offrant aux investisseurs locaux la possibilité dêtre partie prenante et dacquérir des connaissances techniques.
Cependant, les investisseurs étrangers demandent des garanties sur le rapatriement des bénéfices et du capital, ainsi que labsence de restriction sur le change des monnaies. Le rapatriement des bénéfices est une question particulièrement sensible aux investisseurs étrangers (World Economic Forum, 1998). Les investisseurs peuvent aussi sattendre à des exemptions dimpôts ainsi quà dautres encouragements, comme des swaps de capital contre dettes et des moratoires. Dans lUnion Européenne, les investisseurs en aquaculture peuvent obtenir le remboursement par lUnion Européenne et par leur gouvernement national des coûts des coûts d'investissement à hauteur de 40 pour cent. En plus, ils peuvent obtenir des taux dintérêt subventionnés. A moins que les bénéfices ne soient suffisamment élevés pour compenser les risques dinvestir dans la région, et pour le capital additionnel investi, des mesures d'incitation peuvent être nécessaires. Celles-ci ont un coût économique. De plus, elles peuvent avoir un coût social, dû au ressentiment contre la domination du secteur par des étrangers. Cela sest vérifié au Chili dans la Dixième Région suite aux investissements étrangers dans des élevages de saumon, bien que laugmentation des salaires ait compensé cette situation dans une région où la main-duvre était rare (Ridler, 1994). Les investisseurs étrangers peuvent aussi employer des gestionnaires étrangers, réservant à la main-duvre locale les emplois non qualifiés. La possibilité existe aussi que la recherche et le développement soient menés au niveau des bureaux-mères et non pas dans le pays daccueil. Ces coûts doivent être comparés aux bénéfices tirés de lacquis technologique, des rentrées de devises et du développement d'un secteur en expansion.
Le Chili a montré que laquaculture commerciale pouvait se développer en favorisant linvestissement étranger. Au début des années 90, la propriété des fermes de saumon était principalement locale, mais les plus grandes entreprises étaient surtout étrangères. En plus de Marine Harvest (Unilever), il y avait Salmones Antartica (japonais), et Mainstream (britannique). La Norvège, les Etats-Unis, les Pays Bas et la Nouvelle Zélande étaient aussi présents. Les investisseurs étrangers avaient le droit de rapatrier leurs bénéfices à tout moment, et leur capital après trois ans (Chocair, 1991). Un accord sur la dette et le capital a été mis au point, afin dencourager la participation étrangère dans l'élevage de saumon, des primes en peso chilien étant versées contre la dette en devises. En rachetant au second marché la dette chilienne libellée en devises, les investisseurs étrangers étaient remboursés de la valeur nominale en pesos. Non seulement cette politique a réduit la dette extérieure en devises du Chili, mais en plus, cela a accéléré le développement du secteur. Lindustrie est devenue source de devises, plus 90 pour cent de la production de saumon étant destinés à lexportation10. En attirant de grands groupes à investir dans ce secteur, le Chili a évité de devoir aider financièrement les producteurs nationaux. Les risques inhérents à la création dune industrie nouvelle ainsi que les coûts dacquisition de technologie et de savoir-faire ont ainsi été supportés par le secteur privé.
Le Costa Rica aussi a développé son aquaculture commerciale en encourageant linvestissement étranger. Comme au Chili, la plus grosse partie de la production est exportée. Une société étrangère européenne (Aquacorporación Internacional) domine la production de tilapia. La demande en aliments de cette compagnie était suffisamment grande que pour stimuler la production d'aliments aquacoles par des usines locales. La compagnie a aussi suscité lintérêt des producteurs locaux pour lélevage, encourageant ainsi lémulation du secteur (Porras, 2000).
En Honduras, lélevage du tilapia a été introduit en 1936 à partir de géniteurs importés du Salvador. Lobjectif était de développer le secteur artisanal. Cependant, lindustrie na pu se développer avant 1990, date à laquelle lintérêt sest porté sur des élevages à l'échelle commerciale afin dencourager les investissements étrangers dans ce secteur. De même, le développement de lindustrie de la crevette a été accéléré par la politique gouvernementale sur les investissements étrangers. En 1999, laquaculture représentait le quatrième poste dexportation après la banane, le café et lhuile de palme. En moyenne, elle rapporte à l'économie nationale 90 millions de dollars EU bruts par an (Morales, 2000). En 1997, les exportations de crevettes ont rapporté 164 millions de dollars US (Hishamunda, 2000a).
En Afrique, la crevetticulture se développe rapidement à Madagascar parce que le gouvernement a établi une politique attractive pour les investissements étrangers. Au Mozambique, une des trois fermes d'élevage de crevette appartient à un ressortissant national; les deux plus grandes appartiennent à des investisseurs français. Linvestissement étranger semble aider le démarrage de laquaculture commerciale tout en contribuant à la création demplois, au transfert de technologie et à la diversification des exportations. Lindustrie aquacole sest également développée au Nigeria, l'un des plus gros producteurs de poisson en Afrique subsaharienne, grâce aux investissements étrangers.
Politiques dintroduction despèces étrangères
L'une des questions les plus importantes pour un éleveur ou un décideur intéressé dans le développement de l'aquaculture est de savoir quelle espèce devrait être cultivée (Sandifer, 1991). Comme déjà mentionné, trois facteurs devraient guider le choix des espèces à élever commercialement. Le premier facteur est le marché. Le produit peut-il être vendu? Quels sont ses avantages face aux produits locaux et le marché peut-il changer? Le deuxième facteur est dordre technique? Sait-on produire cette espèce? Le troisième facteur est le choix entre une espèce indigène et une espèce introduite. Ce dernier facteur se présente si, pour être viable économiquement, laquaculture commerciale doit introduire une espèce exotique. Il faut alors peser les avantages (bénéfices possibles) et les inconvénients (dangers pour lenvironnement). On trouve la même approche en agriculture où les principales productions viennent despèces importées.
Dans sa Base de données sur les introductions despèces aquatiques, la FAO possède des données sur 3 150 introductions concernant 654 espèces. Il est clair que si les effets négatifs de l'introduction de nouvelles espèces pour l'aquaculture sont lexception, il y en a eu cependant, surtout en aquaculture continentale (Bartley et Casal, 1999). Lespèce introduite peut devenir nuisible, en créant des dégâts non seulement à lenvironnement mais aussi à lélevage dautres espèces. Lintroduction de crevettes malades à Taiwan (Province de Chine) a eu des effets négatifs sur lindustrie de la crevette de mer. Lintroduction de lhuître du Pacifique en Australie a créé des dommages dans les élevages de lespèce Sydney rock, en déplaçant cette dernière (Tisdell, 1998). Les espèces qui séchappent des élevages modifient aussi lécosystème. Afin de se protéger des maladies, la plupart des pays possèdent une réglementation sur les importations de poissons vivants et lintroduction despèces exotiques. La Zambie requiert une autorisation pour limportation de poissons vivants et le Malawi interdit les mouvements de poissons vivants, ce qui affecte le secteur aquacole (Bonucci et al., 1993).
Cependant, dans de nombreux pays, laquaculture commerciale qui a réussi, sest développée grâce à limportation dune espèce reconnue sur le marché. Cest le cas au Costa Rica, en Jamaïque, en Zambie et au Zimbabwe avec O. niloticus. Dans ces pays, les espèces existantes nétaient pas appréciées des consommateurs, mais lintroduction de O. niloticus et un marketing astucieux ont donné un essor à lindustrie. En fait, le choix du tilapia comme espèce cible en Jamaïque a été un facteur déterminant dans le succès du secteur (Carberry, 2000). Les salmonidés ne sont pas endémiques au Chili. Cependant, la production sy est développée à partir dimportations dufs. En 1992, le Chili est devenu le deuxième producteur mondial de saumon délevage avec plus de 50 000 tonnes, en comparaison des 3 000 tonnes produites cinq ans plus tôt. Comme lélevage du saumon de lAtlantique (Salmo salar) était plus intéressant que celui du saumon du Pacifique à cause de taux de mortalité plus bas, de plus fortes densités délevage en cages et de meilleures ouvertures sur le marché des Etats-Unis, le Chili a abandonné le saumon du Pacifique au profit du saumon de lAtlantique. En 1992, le Chili produisait davantage de saumon de lAtlantique que du Pacifique. Malgré laccès libre dufs importés, la Chili a eu la chance jusquà présent déviter les effets négatifs. Les bénéfices en termes demploi, de revenus et de devises ont été considérables.
Ces informations montrent que les décideurs devraient évaluer les coûts et bénéfices avant de décider dintroduire ou non une nouvelle espèce délevage, en portant une attention particulière à lévaluation a priori des risques et en suivant les recommandations à ce sujet. Les bénéfices économiques de lintroduction dune nouvelle espèce peuvent dépasser les risques écologiques, l'introduction d'une espèce exotique présentant de nets bénéfices. Cependant, la gestion du risque implique quune attention toute particulière soit portée au principe de précaution, les espèces exotiques ne devant être introduites quen dernier ressort. La FAO a publié des directives pour l'introduction d'espèces exotiques.
Politiques de marché
En plus de fournir des facilités à linvestissement étranger, les gouvernements peuvent donner le coup denvoi de laquaculture commerciale grâce au développement des marchés. Ils peuvent choisir dinstaller un marché pour que le poisson soit manipulé et vendu dans de bonnes conditions dhygiène. La Fish Marketing Organisation du marché central de Bangkok est une entreprise étatique en charge de la commercialisation du poisson. Le poisson est vendu par des agents qui doivent être enregistrés au Département des Pêches. Avec le développement du secteur industriel, le rôle de commercialisation est passé rapidement à des marchés privés (Piumsombun, 1999). En Chine, le gouvernement a joué un rôle actif en investissant dans les marchés. Il en existe plus de 300 situés à la fois dans les zones de production et dans celles de consommation (Huang, 1999). Cependant, comme en Thaïlande, le secteur privé remplace progressivement le secteur public dans ce secteur. En Jamaïque, le gouvernement a nommé un fonctionnaire responsable de la commercialisation, avec pour objectif de développer le marché du poisson délevage. Des tests de dégustation ont été proposés lors de réunions officielles; le gouvernement a aussi publié des livres de recettes et réalisé des démonstrations culinaires pour la radio et la télévision (Wint, 1996). Pour faciliter la logistique, lUnité des pêches continentales a fourni aux gros acheteurs des moyens de transport et de la glace. Cette aide a diminué au fur et à mesure que lindustrie sest développée, le transport et la commercialisation étant graduellement assurés par le secteur privé au fur et à mesure que de plus grandes sociétés investissaient dans l'aquaculture commerciale.
Promotion des associations de producteurs
Dans la plupart des pays, laquaculture ne pèse pas économiquement autant que lagriculture, ni même que la pêche. Ainsi, lintérêt qui y est porté est souvent négligeable. Les organisations de producteurs peuvent être utiles, simplement comme groupes de pression. Elles sont aussi souvent utilisées comme un moyen déchanger de linformation et de transmettre des connaissances techniques. Pour les espèces commerciales, un des rôles majeurs des associations de producteurs est daccroître la part de marché en diversifiant ses produits. La commercialisation de marques pour différencier les produits, peut-être dans un environnement économique exceptionnel, est une tentative de séloigner des prix de base pour tendre vers la concurrence monopolistique et le système de fixation des prix. De plus, les associations de producteurs peuvent collaborer à laugmentation de la demande grâce aux produits génériques. Des producteurs concurrents du Canada, du Chili et des États Unis ont, à travers leurs associations, mené une campagne de commercialisation sur trois ans pour faire la promotion du saumon délevage aux États Unis, leur principal marché. Environ 30 millions de consommateurs ont été joints dans un grand nombre de villes-cibles. Les résultats montrent clairement que cette campagne a été couronnée de succès auprès des consommateurs jeunes et ayant un revenu supérieur à 50 000 dollars par an (Infante, 1999). La consommation de saumon délevage dans les villes-cibles a augmenté de 9 pour cent de plus que dans les villes-témoins où il ny avait pas eu de campagne pour ce produit. Les prévisions indiquent que le marché américain du saumon de lAtlantique d'élevage va plus que doubler entre 2000 et 2005 (Kontali Analyse, 1999).
Sous sa forme la plus efficace, une organisation de producteurs commercialise ses produits avec lassurance que la qualité soit toujours élevée, quelle opère un auto-contrôle de la réglementation et que des fonds soient même alloués à la recherche. On peut citer plusieurs exemples dassociations qui offrent une gamme de tels services: lAssociation chilienne des producteurs de truite et de saumon, la Fundación Chile et TILACOOP au Costa Rica. Au Chili, la commercialisation a été l'un des outils essentiels de promotion du secteur, mais à travers des associations de producteurs. En 1986, lors de la création de lAssociation chilienne des producteurs de truite et de saumon, la production atteignait 1 000 tonnes et les exportations sélevaient à 5 millions de dollars. Les producteurs cotisaient à niveau de 3 cents par kilo. En retour, lAssociation garantissait les normes HACCP (Système d'analyse des risques - points critiques pour leur maîtrise) et se chargeait de la publicité. Ces normes avaient pour objectif de garantir pour tous les produits exportés une qualité élevée et constante, ce qui rassurait les acheteurs. En 1989, lAssociation dépensait en frais de commercialisation 2,8 pour cent du montant des ventes; ce qui, en pourcentage, était plus que la Norvège et lEcosse réunies. En 1998, la production avait atteint plus de 200 000 tonnes et les exportations représentaient 714 millions de dollars (Shaw et Gabbott, 1999).
Au fur et à mesure que l'industrie atteignait son stade de maturité, lAssociation chilienne qui avait été active en commercialisations de marque et générique, et qui avait maintenu des normes de qualité, a encouragé lautoréglementation du secteur de façon à réduire lintervention du gouvernement. Cela se fait grâce à lapplication de léquivalent d'un Code de conduite pour une aquaculture responsable. Elle a également financé de la recherche sur des questions denvironnement et sur la pathologie aquacole, et encouragé le transfert de technologie à travers son Institut de Technologie du Saumon, fondé en 1993.
La Fundación Chile a été un instrument de promotion de lélevage du saumon en installant des fermes qui ont été vendues ensuite; elle a activement favorisé le transfert de technologie. Les recherches actuelles portent sur la pathologie et la nutrition (Bjorndal et Aarkland, 1999). Au Costa Rica, les éleveurs de tilapia au niveau artisanal ont créé une coopérative, TILACOOP. Elle est financée grâce à une part de la production. Ses services comprennent la fourniture d'alevins, lapprovisionnement en aliments meilleur marché, la coordination de lassistance technique et la conduite des recherches souhaitées par les producteurs. Comme son homologue au Chili, TILACOOP commercialise localement et exporte.
En Afrique subsaharienne, une étude menée au début des années 90 a montré que rien qu'au Nigeria quil existait près de 4 000 coopératives, la plus ancienne datant de 1907. Cependant, bien que nombreuses, elles nont, généralement pas eu beaucoup de succès à cause dune mauvaise gestion et d'influences politiques (Turtianen et Hussi, 1992). Au moins au Ghana, au Kenya et au Nigeria, la législation sur les coopératives a nécessité une révision pour les libérer de la gestion étatique et les autoriser à vendre elles-mêmes leurs productions. Lexpérience des associations agricoles a montré quavec lautonomie de gestion et une orientation vers le commerce, elles peuvent avoir autant de succès que les coopératives caféières au Kenya (Cleaver, 1993). En étant indépendantes financièrement et en payant des intérêts au prix du marché, les associations de fermiers au Kenya et au Nigeria ont très bien réussi la gestion de leau et la diffusion de techniques de transformation des produits. Il existe aussi des associations coopératives dépargne et de crédit. Au Bénin, au Burundi, au Cameroun et au Ghana, elles ont rencontré un vif succès, mobilisant lépargne des fermiers et octroyant des prêts à des taux incluant les coûts de gestion et les risques (Cleaver, 1993).
Il est possible que des groupes de producteurs et des fermiers modèles soient davantage impliqués dans la formation et la vulgarisation (FAO/Regional Office for Africa, 1999). De plus en plus, en Afrique subsaharienne, le coût élevé de services de vulgarisation spécifiques pour lagriculture et laquaculture fait envisager la fusion de ces deux services en un seul. Linconvénient d'un service de vulgarisation unifié est que le personnel peut ne pas être aussi bien au courant des problèmes du secteur le moins important, laquaculture. Pour la fourniture dune assistance technique adéquate tout en minimisant les dépenses publiques, lutilisation de services de vulgarisation ciblés sur des groupements de fermiers et des fermiers modèles pourrait avoir des avantages.
Politiques de recherche et de développement technique
La recherche aquacole présente deux aspects principaux: la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Le stade de développement des espèces élevées et les procédures d'allocation des fonds devraient guider les dépenses et lorigine des fonds à imputer à la recherche.
Les essais sur les espèces et les techniques de production peuvent durer des dizaines dannées, et ne sont pas toujours couronnés de succès. On définit généralement trois étapes. Au cours de létape de développement initial dune espèce, sils sont positifs, les bénéfices financiers de la recherche sont en général minimes. Pendant cette période, la recherche a surtout un financement public, et elle est le plus souvent peu importante. Cela est dû en partie à la nouveauté de lactivité et au peu de poids que laquaculture a dans léconomie nationale. Aux Philippines, l'importance de la recherche, calculée sur les dépenses qui y sont consacrées par rapport à la valeur de la production, est voisine de 0,3 pour cent (Olalo, 1999). En Australie, ce chiffre atteint 0,5 pour cent (Ogburn et Evans, 1998).
A ce stade, les financements sont surtout publics. Et cela parce que la recherche présente un caractère de propriété commune. Les résultats ne peuvent être conservés par seulement lagence qui les finance. Comme les fermes qui financent la recherche ne peuvent être propriétaires des résultats et que celles qui ne contribuent pas peuvent en bénéficier gratuitement, le secteur privé na pas ou peu dintérêt à investir dans la recherche à ce stade (Bjorndal et al., 2000). La raison pour laquelle le gouvernement doit financer la recherche est dencourager linstallation dentreprises qui bénéficieront des résultats positifs. Au Costa Rica, pour installer ses fermes, Aquacorporación a appliqué les résultats de recherches sur la qualité des sols, les marchés et lélevage du tilapia produits par la recherche publique (Porras, 2000). Également, Aquacorporación ainsi que dautres fermes commerciales plus petites ont adopté la culture de tilapia monosexe qui avait été développée avec des fonds publics par INCOPESCA (Instituto Costarricense de Pesca y Acuacultura).
En plus du budget alloué à la recherche, les décideurs peuvent influer sur les résultats des dépenses11. En Afrique subsaharienne, alors que laquaculture est une activité récente, elle a été étudiée dans certains pays au moins depuis les années 40 ou 50 (Entsuah-Mensah et al., 1999). Cependant, limpact de la recherche, vu à travers la production, a été limité. Le faible niveau de production peut être attribué en partie aux faibles avantages économiques consentis aux producteurs. Cependant, la raison réside aussi en partie dans le faible niveau de coordination de la recherche et les difficultés à en diffuser les résultats en Afrique subsaharienne (Coche, 1996). Une des solutions proposée a été de créer un réseau régional dinformation (Coche et Collins, 1997). Une autre raison a été le manque de recherche initiée par les utilisateurs des résultats (Entsuah-Mensah et al., 1999). Si les programmes de recherche sont définis dans une approche du sommet vers la base, les compétences existantes et les intérêts personnels orientent la recherche publique, et cela nest pas uniquement le cas en Afrique. En Asie, une étude menée sur plus de douze pays a montré que la majorité du personnel de recherche était des biologistes, ce qui a donné une place prépondérante à la recherche biologique et technique (FAO et NACA, 1997). Les programmes ont été établis sur loffre, ce qui nétait pas dans lintérêt du secteur. Sur 330 projets de recherche étudiés, plus de 80 pour cent ont été dirigés vers les techniques aquacoles et les systèmes délevage. Moins de 3 pour cent du total restant ont été consacrés aux politiques de développement, à la planification, à la socio-économie et à la gestion. Pour obtenir des programmes de recherche dictés par la base, le secteur privé devrait être impliqué, soit comme source de financement, soit comme l'un des partis intéressés définissant les programmes de recherche.
Après létape initiale, il peut se produire une baisse relative de la recherche publique, les entreprises commerciales privées prenant les coûts à leur compte. A mesure que lindustrie se développe et que les prix baissent, il est de plus en plus important pour le secteur industriel de conserver sa part de marché et de tirer la demande vers le haut. Lobjectif de la recherche peut alors évoluer vers la commercialisation. Cette recherche est généralement le fait dentreprises privées. De plus, la recherche et le développement technologique sont des moyens de faire face à une baisse de la demande. Lorsque la demande pour un produit est élastique par rapport au prix, une baisse de la demande augmentera les profits12 si les coûts de production diminuent (Kinnucan, 1995).
Suivant la théorie des cycles de production, le développement initial dindustries demandant un savoir-faire pointu et qui produisent des biens marchands, se produit dans les pays industrialisés (Vernon, 1987). Cest en particulier le cas pour les biens destinés aux revenus élevés parce que seuls ces pays ont une classe de consommateurs à revenus moyens suffisante pour développer un marché. Par la suite cependant, la technologie devient de plus en plus dépendante de léquipement et elle se diffuse vers dautres pays, y compris des pays en voie de développement. Cette diffusion de la technologie favorise la production dans les pays où les coûts sont plus bas, en particulier dans les pays en développement car la main-duvre y est bon marché. Enfin, en cas de stagnation technologique, les pays en développement y trouvent des avantages relatifs. Cela suppose quune recherche et un développement continus peuvent contredire le cycle dun produit et conserver un avantage au leader.
Un exemple concret est celui du saumon d'élevage norvégien. Le saumon délevage est un bien de consommation international. Cependant, la baisse de production en Norvège, telle que montrée par le modèle de cycle de produit, nest pas arrivée. La plupart des éleveurs norvégiens ne se sont pas expatriés vers des pays en développement. Ils ont continué à produire localement grâce aux avances technologiques continuelles. La Norvège a continué à concentrer la recherche sur la productivité du travail et sur la réduction des coûts de production par la diminution des taux de mortalité, par l'amélioration des coefficients de conversion des aliments et par les améliorations génétiques. Ceci a permis à la Norvège de maintenir et même daugmenter sa production. Des données préliminaires suggèrent que celle-ci a dépassé les 390 000 tonnes en 1999, et son potentiel (même avec les sites existants) est estimé à 740 000 tonnes (Hempel, 1995). Les progrès techniques ont suffisamment abaissé les coûts de production pour que la Norvège maintienne son avance, la productivité passant de 50 à 300 tonnes par homme et par an. Le coût réel de production et de transformation des saumons d'élevage a été divisé par plus de deux entre 1987 et 1998 (Kontali Analyse, 1999). Même une baisse dencore un tiers des prix de vente à la ferme permettrait à lindustrie de faire des bénéfices (Hempel, 1995).
La concentration du secteur industriel est un facteur qui accélère le financement de la recherche privée. En Norvège, de plus de 1 000 fermes de saumon dans les années 80, le nombre est tombé à 230 dans le milieu des années 90 (Hempel, 1995). Depuis lors, cette concentration sest poursuivie et à présent quatre producteurs dominent les exportations. Au cours de la même période, le nombre de sociétés concernées par l'élevage du saumon Atlantique a été divisé par environ deux au Chili et cette tendance a encore été plus rapide au Canada et en Grande Bretagne (Muir et al., 1996). En se concentrant, les entreprises ont davantage financé la recherche. Les structures industrielles dans lesquelles les fermes offrent une compétitivité parfaite ou monopolistique manquent de budget pour la recherche. A léquilibre, les revenus moyens de la ferme typique sont égaux aux coûts moyens et les bénéfices sont nuls. De plus, les fermes parfaitement compétitives peuvent vendre tout ce quelles souhaitent à un prix donné; elles ont peu dintérêt à innover. A l'opposé, des fermes monopolistiques et de celles parfaitement compétitives, les fermes oligopolistiques ont à la fois les moyens de financer la recherche et lintérêt dinnover. Souvent, la recherche ne peut être menée que sur de grandes unités discrètes et les oligopoles dégagent des bénéfices pour financer la recherche privée. De plus lorsquelle est issue de la demande, la recherche peut fournir des avancées technologiques et des avantages au premier qui les utilise.
Planification stratégique
Comme la promotion de laquaculture suppose une approche holistique, il est utile de mettre en place un plan stratégique. Il fournit un ensemble complet de politiques pour atteindre des objectifs visés et il assure que les relations entre les secteurs, comme lagriculture et les pêches sont incluses, que les problèmes denvironnement, tels que laccès à la terre et à leau y sont abordés, et que lensemble des politiques est cohérent (Corbin et Young, 1997). L'un des avantages d'un plan stratégique est de compenser les chevauchements institutionnels des différentes juridictions. Lorsqu'il existe plusieurs institutions en charge de laquaculture avec les rivalités inhérentes et la duplication, un plan sectoriel permet de dégager un consensus sur les objectifs et les stratégies.
Compte tenu du caractère marginal de laquaculture dans la majorité des pays subsahariens, il nest pas surprenant quils naient pour la plupart pas de plan stratégique. Une étude menée au début des années 90, a montré que la plupart des pays de la zone SADC (alors au nombre de dix) navaient pas de plan de développement de laquaculture (ALCOM, 1994). Une étude plus récente sur quelques pays subsahariens a montré, à lexception de Madagascar, quil y a avait très peu de planification aquacole (FAO/Regional Office for Africa, 1999).
Un plan peut être qualifié de "bon" sil présente une stratégie dynamique de développement du secteur industriel; il devrait être réaliste et concret, présenter différents scénarios et différentes options politiques. Dans quelques juridictions, il existe une planification indicative pluriannuelle dans laquelle des prévisions de production aquacole sont inscrites ainsi que les grandes lignes d'une stratégie de développement (OCDE, 1989). En indiquant des objectifs, un plan stratégique aide les décideurs à évaluer les progrès réalisés et indique où sont les goulots détranglement. A Madagascar, on prévoit les productions (en quantités), ce qui aide le décideurs dans lévaluation des progrès. Le Schéma directeur de laquaculture en Tunisie ne décrit pas seulement la production attendue des espèces cultivées, mais développe aussi une stratégie pour la commercialisation de ces espèces sur le marché local et sur le marché dexportation (Gazbar, 1996).
Un plan devrait, en général, présenter les caractères suivants. Être pertinent et orienté vers lindustrie; être ouvert aux autres agences de développement et parties intéressées; avoir des objectifs définis; tout en décrivant les problèmes et les contraintes pour atteindre ces objectifs et pour traiter les problèmes; définir les actions pour régler les problèmes et atteindre les objectifs; détailler le calendrier des actions; être étendu et souple. Un exemple hypothétique de plan de développement est indiqué dans le Tableau 2 ci-après (FAO et NACA, 1997).
Tableau 2. Plan hypothétique de développement
Catégorie du problème |
Problème |
Contrainte |
Action nécessaire |
Echéancier |
Administratif et institutionnel |
Faible application des règlements |
Personnel |
Sappuyer plus sur les associations de
producteurs |
Moyen terme |
Technique |
Insuffisance daliments de qualité |
Pas dusines daliments |
Baisser les tarifs des ingrédients; |
Court terme Long terme |
Socio-économique |
Manque de crédit |
Manque de garanties |
Développer les titres de
propriété; |
Long terme Moyen terme |
Physique |
Manque de sites appropriés |
Terres et eau limités |
Améliorer la productivité sur les sites
existants; |
Moyen terme Moyen terme |
Environnemental |
Pollution |
|
Zonage |
Moyen terme |
Ressources humaines |
Manque de gestionnaires compétents |
Formation trop onéreuse |
Développer les programmes de formation
coopérative |
Moyen terme |
Lors de la formulation d'une stratégie de développement, il est nécessaire de faire une analyse objective des avantages et des contraintes du secteur. Cela permet à une juridiction de cerner les secteurs les plus compétitifs. A Hawaii, ce processus est appelé ADN (Aquaculture Development Niche) (State of Hawaii, 1993). ADN est défini comme un large groupe dopportunités daffaires ayant des caractéristiques et un potentiel de développement communs. LADN examine les possibilités de développement des espèces et évalue ses contraintes. Toutes les pré-conditions nécessaires au développement de laquaculture commerciale, telles que décrites plus haut, sont évaluées. Cela est illustré dans le diagramme suivant (Figure 1).
Figure 1. Illustration d'une Niche de développement aquacole (ADN)
Lavantage de cette approche est quelle intègre tous les aspects de laquaculture. L'on ne se pose pas simplement la question du comment on peut produire suffisamment de poisson pour satisfaire la demande croissante, mais aussi la question de savoir si cette production peut être durable. Une approche holistique prenant en compte les aspects écologiques réduit les chances de conflit pour la ressource ou lépuisement de cette ressource (Greenpeace International, 1999). Un zonage peut être mis en place, ainsi que des limitations au développement des élevages sil dépasse le potentiel dune zone déterminée. Avec laide de ADN, Hawaii a évalué le secteur aquacole, depuis les étangs en terre jusqu'à la mariculture et lexploitation géothermique. Les espèces potentielles ont aussi été sélectionnées suivant les critères décrits ci-dessus.
La même approche holistique à la planification aquacole est adoptée en Australie, où non seulement il existe un plan national, mais aussi des plans au niveau de chaque État et à l'intérieur de ceux-ci. Le plan national intègre laquaculture au contexte de lindustrie alimentaire, des ressources et des contraintes, et définit les objectifs et les politiques (Commonwealth of Australia, 1994). Le Comité pour l'aquaculture révise régulièrement le plan afin didentifier les nouvelles priorités13 (Gillespie, 1998). Cela montre que la planification est un processus permanent.
Il existe des plans semblables à l'intérieur des Etats, comme le plan pour les régions de Gascoyne et Kimberley dans louest du pays (Government of Western Australia, 1999). Le potentiel aquacole est étudié avec une priorité donnée à certaines espèces. Pour chacune, sont résumées les techniques de production afin de ladapter localement. Le besoin ou non de recherche est aussi indiqué. Lanalyse de marché couvre la sensibilité aux prix, la concurrence dautres produits alimentaires et le potentiel de marché. Les aspects économiques incluent le prix des intrants et les économies déchelle. Enfin, lespèce potentielle est évaluée dans son ensemble. Si elle est dune grande priorité, les politiques de promotion sont alors recommandées. Un exemple est donné dans le Tableau 3.
Tableau 3. Exemple dapproche holistique de planification aquacole.
Espèce |
Technologie |
Système cultural |
Potentiel de marché |
Potentiel économique |
Remarques/perspectives |
Anguille |
Bien établie; dépend des juvéniles
sauvages |
Eau douce. |
Pas de marché local |
Bénéfices potentiels limités. |
Besoin de développer les marchés |
Argyle bream |
Quelques recherches nécessaires |
Eau douce. |
Très bon marché local. |
Inconnu mais probablement bon. |
Très bonne espèce. |
Un autre avantage est que la demande locale en poisson nest pas satisfaite. La région importe près dun million de tonnes de poisson par an. Une demande croissante pourrait augmenter ce déficit à lavenir. Lélasticité des revenus pour la demande en poisson est positive en Afrique subsaharienne bien quinférieure à un (Delgado et McKenna, 1997). Si la croissance économique par habitant se maintient à des taux historiquement hauts, la demande totale de poisson pourrait croître de 2,7 pour cent par an, ce qui est supérieur à la croissance mondiale de 2 pour cent. Des prix réels de substitution plus élevés augmenteraient encore cette demande. De plus, il existe un facteur démographique. Avec un taux de croissance de la population de 2,4 pour cent par an, lAfrique pourrait atteindre 1,36 milliards dhabitants en 2025, contre 750 millions en 1998 (United Nations, 1998). Cet accroissement de population fera augmenter la demande en poisson. Les importations pourraient ainsi doubler et atteindre 2 millions de tonnes dici 2010, compte tenu de la demande en expansion et du potentiel de croissance limité à la fois pour les pêches maritimes et les pêches continentales, et cela sans augmenter la consommation par habitant (FAO, 1996).
Alors que le marché principal des poissons d'élevage en Afrique subsaharienne est le marché urbain local, il existe un potentiel à lexportation vers lEurope et lAmérique du Nord. Pour les produits commercialisables sur les marchés internationaux, les coûts de transport sont déterminants dans lévaluation des avantages comparatifs. Le prix des produits livrés comprennent les coûts de production et de transport. Des coûts élevés de transport ont été un facteur qui a empêché lexportation de filets de tilapia frais de Fiji aux États Unis. Et cela en dépit dexcellentes conditions de croissance pour le tilapia (Costa-Pierce, 1998). LAfrique subsaharienne souffre de son éloignement des marchés européens et nord américains. Dautres éléments handicapent le secteur comme les taux de charge, la concurrence et la fréquence des vols. Le coût de transport par avion de filets frais de tilapia est 8 à 40 pour cent plus cher de lAfrique vers lEurope que de la Jamaïque vers lEurope (Carberry, 2000).
Cependant, les coûts de transports internationaux ne représentent pas un handicap insurmontable. Malgré des coûts élevés de transport, le saumon délevage chilien a un coût livré aux États Unis plus bas que celui de son concurrent canadien, car les coûts de production au Chili sont plus bas et compensent largement les coûts de transport aérien14 (Ridler, 1994). De plus, avec la transformation du poisson, les filets frais ont un bonus de 30 pour cent sur les filets congelés, ce qui diminue les problèmes de fret. La société Lake Harvest Aquaculture au Zimbabwe exporte 10 à 12 tonnes de filets frais de tilapia vers lEurope chaque semaine et espère atteindre 50 tonnes à lavenir. Ainsi, lAfrique subsaharienne présente un inconvénient majeur à exporter le tilapia entier, mais un avantage pour lexporter en filets frais.
Ceci permet de penser quune stratégie de facilitation des coûts de transport en Afrique subsaharienne devrait avoir pour objectif une ou plusieurs des options suivantes. La première est lélevage despèces chères qui pourraient absorber les coûts de transport vers les principaux marchés d'Europe ou des États Unis. Cest le cas de la crevette d'élevage de Madagascar qui peut être exportée par avion vers l'Europe à cause de son prix de vente élevé; la possibilité de l'exporter aux: États Unis est à létude. La deuxième option est de produire une seule espèce. Cest le cas de lhuître à perle noire exportée de la Polynésie française vers le Japon. Une autre option est le transport maritime, moins coûteux, d'un produit transformé. Ceci est possible pour des produits congelés ou séchés. La quatrième options serait un produit qui perd du poids au cours de sa transformation. Cest le cas des filets (par exemple la perche du Nil dans le cas dune espèce pêchée) pour lesquels les frais de transport par avion sont moins élevés, ce qui permet de les exporter à l'état frais.
Rationalité dune intervention gouvernementale au niveau de la ferme
Politiques de démarrage
Politiques de développement
Politique de promotion à lexportation
Résumé
Tandis que lintervention de lEtat dans laquaculture commerciale au niveau macro-économique sexplique facilement, la question se pose de savoir si le gouvernement doit intervenir dans le secteur au niveau de la ferme d'élevage. Les productions commerciales issues des élevages privés ne sont pas du domaine public: Elles appartiennent aux producteurs. Un bien public est par exemple le poisson stocké en rivière où il ny a pas de droit de pêche privée. Un particulier, qui ne peut être privé de pêcher dans les eaux du domaine public, nest pas motivé pour payer les coûts délevage ou d'empoissonnement. Les gouvernements doivent ainsi assurer ces coûts. Si les gouvernements ne fournissaient pas ces services de réempoissonnement, les plans d'eau pourraient ne plus produire de poisson. En ce qui concerne laquaculture commerciale, la question de l'intervention du gouvernement au niveau de la ferme est plus complexe. Comme décrit plus haut, laquaculture peut créer des dommages comme la pollution ou des conflits avec dautres usagers du plan d'eau ou des terres. Ceux-ci ne sont pas pris en considération dans le bilan de lentreprise, mais ils ont un coût élevé pour la société.
Si les droits de propriété étaient clairement définis et les coûts de transaction assez bas, les dommages créés pourraient être résolus sans intervention du gouvernement. Les responsables de ces dégâts compenseraient ceux qui les subiraient (par exemple en cas de pollution). Ces compensations seraient évaluées et appliquées dans le cadre du règlement du litige. Souvent cependant, les conditions de Coase15 ne s'appliquent pas. La responsabilité dun dommage est difficile à établir dans le cas dune pollution diffuse et les coûts de transaction sont souvent prohibitifs. Dès lors, les préjudices sont difficile à régler en justice et lintervention du gouvernement devient donc nécessaire. De même, les effets bénéfiques produits par laquaculture commerciale (versements dimpôts, entrée de devises, création d'emplois, infrastructures sociales) incitent les gouvernements à intervenir.
Cette intervention au niveau de la ferme aquacole a plusieurs aspects. Dans certains pays, cela comprend des aides directes aux producteurs sous la forme de prêts de démarrage pour donner un élan au secteur. Dans dautres, les politiques aident lindustrie à se développer. Ailleurs, les gouvernements interviennent pour protéger la production locale contre la concurrence extérieure et aide le secteur à devenir compétitif au niveau international. Cependant, il faut noter que, bien quefficaces, beaucoup de ces mesures impliquent des coûts. Certaines peuvent être si onéreuses qu'elles ne soient pas applicables dans le contexte daustérité fiscale au sud du Sahara. Dautres mesures nimpliquent pas de dépenses directes, même si elles ont un coût dopportunité. Elles peuvent être plus appropriées à la région. Ces politiques devraient donc être utilisées à bon escient.
Létendue et le genre dintervention publique dans le secteur industriel dépendent en partie du stade de développement de ce secteur. Comme discuté dans le chapitre précédent, laquaculture commerciale se développe normalement en trois ou quatre étapes (Poxton, 1992). La progression d'une étape à l'autre est évaluée d'après la production totale. Elle va du stade de démarrage au stade de croissance, de maturité et parfois de déclin (Csavas, 1994). Dans le premier stade, qui dure normalement de 10 à 15 ans, de petits projets sont développés avec souvent très peu de capital. Cest une phase de recherche et développement. Graduellement, si les conditions biologiques et commerciales sont un succès, la production entre dans le deuxième stade. Si lespèce élevée est vendue sur le marché international, la technologie sera diffusée à dautres pays qui deviennent des concurrents potentiels. Pendant ce troisième stade, il se produit une expansion rapide, suivie dune croissance plus lente. La phase finale peut être une baisse de production, la diminution des prix obligeant les opérations les moins rentables à abandonner le secteur.
Lassistance financière du gouvernement, sous la forme daide au démarrage, peut être déterminante dans les premier et deuxième stades. La raison d'une telle assistance est quà ses débuts, laquaculture peut avoir besoin daide jusquà ce quelle atteigne une situation compétitive. La nécessité de l'aide au démarrage était déjà reconnue par Hamilton au XVIII ème siècle. Si lindustrie apprend par lexemple, ses coûts baissent avec cette expérience, ce qui justifie laide au démarrage. Cette aide peut prendre la forme de recherche, de coûts dinstallation, de tarifs préférentiels. Au stade de maturité, naissent les économies déchelle et la compétitivité internationale. Alors, en théorie, lassistance du gouvernement devrait sarrêter.
Un argument supplémentaire pour une telle assistance est limpossibilité pour une industrie naissante davoir accès au crédit. Les organismes de financement sont naturellement prudents. Face aux incertitudes d'ordres biologique et autre, ils refusent le crédit aussi longtemps que les risques ne sont pas mieux définis. Et sans prêt bancaire, le développement est lent. Laide du gouvernement nest donc pas un remplacement de celle des banques, car celles-ci interviennent seulement lorsque le secteur atteint le stade de maturité.
Pour diminuer les contraintes financières, le financement de démarrage est souvent fourni aux éleveurs sous forme de dons en espèces. Cest le cas dans lélevage du saumon pour lequel la plupart des pays ont consenti un financement de démarrage. En Norvège, ces dons ont été alloués au niveau régional. Il y a eu aussi une dispense dimpôts équivalente à 40 000 dollars EU par an et par ferme (Heen, 1993). Cela a encouragé le développement, permettant à la Norvège de garder son avance dans le secteur. Dans lEst du Canada, 21 fermes d'élevage de saumon ont reçu chacune près de 50 000 dollars EU de dons en espèces pour augmenter leur capital propre. Elles ont également reçu de laide des services publics de vulgarisation et de recherche. Une évaluation ex-post a montré que ce genre d'aides en espèces était pertinente (Ridler, 1998). Cependant, de nombreux pays dAfrique subsaharienne manquent de ressources pour fournir des dons de démarrage et pour payer le personnel nécessaire à leur gestion.
Une alternative à de tels dons en espèces est l'émission dobligations. Le financement dobligations par le gouvernement présente lavantage de ne pas grever immédiatement son budget. Dans le Connecticut (États Unis), l'élevage commercial d'huître s'est développé en 1987 grâce à ce mécanisme (Volk, 1998). Les éleveurs ont obtenu leur concessions par appels doffres. Largent issu des émissions d'obligations a permis d'ensemencer les concessions. En plus de ces fonds, les fermiers ont contribué 10 pour cent de la valeur de la production afin de financer les ensemencements. Les bénéfices en termes demploi et de revenu ont largement dépassé les sommes que le gouvernement devait repayer sur les obligations (Volk, 1998). Ce système est une option possible dans certains pays dAfrique subsaharienne.
Une fois laquaculture démarrée, les éleveurs ont souvent des difficultés à prendre de lexpansion. En Afrique subsaharienne, plusieurs contraintes empêchent le secteur de laquaculture commerciale de se développer. Les plus importantes sont la disponibilité et le coût élevé des intrants, comme les aliments, les alevins et le capital. Il existe des politiques spécifiques que les gouvernements peuvent mettre en place pour résoudre ces problèmes.
Politiques traitant des intrants non disponibles
Labsence ou la disponibilité limitée des intrants indispensables peut être un sérieux problème pour le développement de laquaculture. Cela est souvent plus grave que leur coût. Les politiques gouvernementales qui ont pour objectif d'assurer les éleveurs à résoudre ce problème devraient viser un meilleur approvisionnement des intrants limités ou manquants.
La disponibilité daliments aquacoles de qualité est importante parce que dans la majorité des unités commerciales, laliment représente plus de la moitié des coûts opérationnels. Dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne, la demande limitée pour des aliments piscicoles et les coûts élevés des sous-produits agricoles ont été un handicap au développement de lindustrie des aliments aquacoles, malgré quelques exceptions (Entsuah-Mensah, 1999). Au Nigeria, au Malawi et en Zambie, les grandes fermes produisent leurs propres aliments. Une politique de développement de ce secteur est dencourager linvestissement en aquaculture à partir des grandes fermes. De par sa taille, Aquacorporacion au Costa Rica a garanti un marché assez étendu justifiant une production daliments rentable, et les usines daliments se sont développées. A Man, en Côte dIvoire, existe un plan visant à créer une demande en aliments assez forte des aquacultures de petite et moyenne dimensions que pour justifier linstallation dune usine daliments. Cependant, ce projet est financé par des capitaux étrangers; la stratégie comptant sur des fermes de petite taille pour créer une demande daliments de qualité nest peut être pas transférable à une aquaculture non financée par un donateur.
Une politique alternative est dencourager les compagnies délevage animal à se diversifier vers laquaculture et la production daliments. En Jamaïque, le Jamaica Broilers Group a opéré cette diversification du poulet vers le poisson. En Thaïlande, deux grandes compagnies produisant des aliments pour volailles, CP et Laem Thong, se sont diversifiées de l'élevage de poulet vers celui de crevettes. Non seulement elles ont commencé à produire des aliments pour crevette, mais aussi elles ont étendu leur expérience dans les élevages sous contrat de la volaille vers la crevette (Tokrisna, 1999). A Madagascar, une entreprise spécialisée en aliments du bétail produit expérimentalement des aliments pour crevette.
Si les aliments peuvent être importés, mais en devises, des politiques de substitution peuvent être souhaitables. Aux Philippines, une industrie daliment travaillant avec des produits locaux a pu se développer grâce à des taxes sur les aliments et sur les ingrédients importés. Afin d'encourager la production locale, ces taxes atteignaient 30 et 10 pour cent respectivement. Comme ces taxes ont fait augmenter les coûts de production, on a craint de voir les exportations de tilapia chuter. Donc, ces taxes ont été ensuite abaissées à 10 et 3 pour cent respectivement, de façon à diminuer les prix des aliments. Cependant, et cest courant avec les politiques protectionnistes, les nouveaux producteurs d'aliments locaux ont résisté à la suppression complète de ces taxes (Olalo, 1999).
Comme pour les aliments, en Afrique subsaharienne le problème de la disponibilité en semences, tout spécialement en alevins, se pose en quantité et en qualité. Le tilapia se reproduit facilement en captivité et ceci sans technologie pointue. Au départ, le poisson-chat nécessitait des écloseries, mais à présent des techniques simples peuvent être utilisées (FAO/Regional Office for Africa., 1999). Afin dassurer un approvisionnement suffisant en semences et de maintenir la qualité des alevins, une politique appropriée consisterait à inciter des éleveurs à se spécialiser dans la production de semences et de les former aux techniques modernes décloserie. Initialement, quelques stations dEtat pourraient être utilisées pour fournir des géniteurs mais ensuite le secteur privé devra prendre le relais pour fournir les alevins aux pisciculteurs artisanaux et aux fermes commerciales.
Laquaculture commerciale a de gros besoins en capital. Dans le cas des fermes industrielles, les besoins sont au démarrage. Un fonds de roulement peut aussi être utile en cas de problèmes de trésorerie. Malheureusement, en Afrique subsaharienne, les institutions financières rechignent à financer laquaculture. Un des arguments contre les prêts à laquaculture est que cest une activité nouvelle ou inconnue dans la majorité des pays et que les risques ne sont pas clairement définis. Le problème est aggravé par les échecs passés. Par exemple au Ghana dans les années 80, le gouvernement, pour encourager le développement de la pisciculture, a demandé aux banques de prêter des fonds pour construire des étangs. Malheureusement, une mauvaise gestion et des techniques délevage inadaptées ont empêché de nombreuses fermes de rembourser le crédit. Les répercussions se faisaient encore sentir dans les années 90, les banquiers exigeant alors des biens matériels comme garantie. Le montant de la garantie étant au moins égal au montant du prêt (Wijkström, 1990). Le manque de garanties reste pour les éleveurs aquacoles un des grands facteurs de blocage daccès au crédit16. Dans dautres pays, le manque de projets fiables a dissuadé les banques de prêter de largent aux aquaculteurs. Des consultants peu scrupuleux sont alors apparus pour aider à formuler des projets d'investissement qui se sont révélés peu fiables. Il en est résulté un haut degré de scepticisme parmi les prêteurs17. Le crédit a aussi souvent été politisé, avec des taux réels dintérêt négatif, et un faible souci de remboursement (Cleaver, 1993).
Il existe nombre doptions politiques pour améliorer laccès des fermes commerciales au crédit bancaire. L'une est de démontrer aux banques que des fermes commerciales financièrement viables existent. La démonstration du profit réel permet de créer une attitude positive et dencourager le crédit. Les banques visées devraient être celles qui ont une part élevée de leur crédit en agriculture, et sont prêtes à se diversifier. Celles qui financent lagriculture diversifiée semblent être le plus à même de prêter de largent à laquaculture commerciale (Bacon et al., 1998). Cela a réussi en Chine, au Japon et en Corée (Cleaver, 1993).
Une politique alternative ou complémentaire consiste à évaluer, par des responsables du gouvernement, les projets industriels suivant leurs mérites du point de vue technique. Cela rassure les banquiers qui manquent de connaissances en aquaculture. Cette méthode a donné de bons résultats à Madagascar. Une autre politique consiste à intégrer les banquiers depuis le début du projet, plutôt quau moment de demander le prêt (Mellac, 1995).
Si les institutions financières sont peu disposées à prêter, il est possible dobtenir des prêts garantis par le gouvernement. Ils résolvent le problème de garantie. Avec ce genre de prêt, le risque de non remboursement par lemprunteur est en effet transmis des banques aux contribuables. Parmi les pays de lOCDE, le Canada, les Pays-Bas et lEspagne ont développé laquaculture commerciale avec des emprunts garantis par le gouvernement (OECD, 1989).
Politiques traitant des coûts élevés dintrants
Si le coût élevé, davantage que la disponibilité en intrants, est la principale contrainte de viabilité du secteur commercial, l'industrie pourrait ne jamais être durable. Le secteur peut être une illustration du manque davantages absolus vis-à-vis dautres pays concurrents. Dans le cas dun produit internationalement vendu comme la crevette délevage, des coûts élevés des larves et des aliments peuvent placer lAfrique subsaharienne dans une situation désavantageuse par rapport aux producteurs asiatiques. En ce qui concerne le tilapia, lAfrique subsaharienne est désavantagée par rapport à lAmérique latine sur les coûts daliments. Subventionner les intrants peut savérer coûteux et inefficace. Aux Philippines, la production dengrais est subventionnée depuis les années 70, mais le coût fiscal élevé a créé des distorsions qui ont obligé à abandonner ce système. Les subventions peuvent aussi démotiver le secteur privé. Les stations dEtat qui fournissent des alevins gratuits ou subventionnés créent une démotivation de linvestissement privé dans les écloseries. Cependant, si la conclusion est quaprès l'aide de démarrage pendant le stade de développement initial les coûts vont diminuer, à cause peut-être d'économies déchelle ou d'intérêts, les subventions à lachat dintrants peuvent provisoirement être dirigées vers le secteur industriel. Les politiques qui conduisent à laugmentation de la fourniture d'aliments ou de semences peuvent également diminuer le problème de coûts élevés.
Un intrant qui a généralement été subventionné est le crédit financier. Le capital nest pas seulement rare en Afrique subsaharienne, mais il est également cher. Avec la réforme de léconomie, les distorsions sur les marchés financiers ont été réduites, avec des taux dintérêt artificiellement bas remplacés de plus en plus par des taux de crédit reflétant la rareté du capital et linflation attendue. Les taux dintérêt, nominaux et réels, peuvent ainsi être élevés en particulier pour les entreprises comme laquaculture, pour lesquelles les risques ne sont pas souvent connus. En plus de fournir des fonds de démarrage pour éliminer ou diminuer le recours à lemprunt, la politique qui a été largement suivie a été de mettre en place des taux dintérêt subventionnés. Cest le cas de la France, de la Grèce, de la Jamaïque, du Portugal et de lEspagne, qui ont utilisé cette politique pour développer l'aquaculture. En Jamaïque, la Inland Fisheries Unit a au début fourni aux producteurs des fonds à taux réduits pour encourager la construction détangs. Cependant, les producteurs et les commerçants ou bien les producteurs et les fournisseurs d'intrants se sont ensuite entendus sur le crédit (Wint, 1996). Un coût social indirect des taux dintérêt subventionnés est de biaiser le choix des techniques de production. Lorsqu'il y une élasticité de substitution technologique, abaisser le coût du capital (vis-à-vis des autres coûts), peut conduire au choix dune technique plus intensive où les rapports capital:travail sont plus élevés. Cependant, les taux dintérêt subventionnés sont préférables aux dons en espèce parce que la charge en cas de non remboursement tombe non seulement sur le producteur mais aussi sur le contribuable.
Le développement de laquaculture peut être international (si lespèce est vendue internationalement) et peut créer une évolution dynamique des parts du marché international. Après les cages en bois et laliment humide, des taux de mortalité élevés et de mauvais taux de conversion, la salmoniculture sest, dans lensemble, développée, donnant naissance à des avancées technologiques continuelles. En général, au cours de cette phase de développement, lassistance directe du gouvernement a peu de place. Cependant, son intervention peut être nécessaire pour que le secteur industriel maintienne son rang sur le marché international.
Si elles sont acceptées au niveau des conventions internationales sur le commerce, les politiques dencouragement à lexportation présentent moins de distorsions que les politiques de substitution des importations18. Elles consistent essentiellement en incitations économiques comme lexemption dimpôts, de moratoires et de droits de douanes. Bien que ces incitations économiques soient surtout utilisées pour attirer linvestissement étranger, elles peuvent en même temps, stimuler les exportations. Bien que les impôts soient classés après la gouvernance et la stabilité comme éléments de décision pour investir en Afrique, ils représentent un grief important (Sachs, 1998). Interrogés sur cette question, des dirigeants dentreprises en Afrique citent les impôts comme étant le plus grand problème (cas des compagnies locales) ou venant en deuxième position (compagnies étrangères). Ainsi, lallègement dimpôts peut être un encouragement efficace. Pour les gouvernements, lallègement dimpôts présente lavantage de ne pas créer de dépenses directes même sil représente une perte de revenus.
De telles incitations peuvent avoir un caractère obligatoire si les pays en concurrence offrent des exemptions dimpôts. Au contraire de plusieurs pays sud-américains, lEquateur noffre pas aux éleveurs de crevette dexemptions sur les intrants, ce qui les désavantage sur le plan de la concurrence (Camera Nacional, 1999). Afin de fournir un "terrain de jeu acceptable" à ses exportateurs, lEquateur a exempté 43 fermes d'élevage de crevette d'une partie des impôts sur les sociétés.
Les gouvernements peuvent donner aux sociétés des périodes de grâce avant que ces impôts ne soient levés. On parle alors de moratoire. Au Costa Rica, les sociétés, y compris la société étrangère Aquacorporación Internacional, sont exemptées dimpôts locaux pendant dix à quinze ans (Hishamunda, 2000a). A Porto Rico où laquaculture est un secteur prioritaire, les fermes ont un moratoire de 90 pour cent jusquà 20 ans (Wint, 1991). En Iran où le secteur privé joue un rôle croissant dans la production de carpes et de truites arc-en-ciel, les 80 fermes privées de truite opérationnelles en 1996 ont reçu non seulement des prêts à des taux préférentiels et des subventions pour lachat daliments, mais aussi une exemption dimpôts pour 20 ans (Rana, 1997).
Au Sri Lanka, laquaculture est récente et sans production significative jusquen 1980 (Siriwardena, 1999). Quelques grandes multinationales et quelques fermes artisanales ont commencé lélevage de crevette au début des années 80; au milieu des années 90, plus de 3 000 tonnes étaient exportées. Cependant en 1996, une épidémie a obligé 90 pour cent des élevages à fermer. Seulement 25 pour cent d'entre eux ont repris et le gouvernement a offert des facilités pour ranimer le secteur: un moratoire de 5 ans, suivi dune remise dimpôts pendant 15 ans. Les fermes bénéficient également dexemptions de taxes sur les importations et sur le chiffre daffaires. Pour être exemptées, les fermes doivent exporter au moins 90 pour cent de leur production. La stratégie est donc de revitaliser le secteur et d'encourager lexportation. A Madagascar, les entreprises d'élevage de crevette tournées vers lexportation et opérant généralement dans des zones franches, ont de nombreux avantages. Elles ne paient pas de taxes à limportation, ni de taxes sur la consommation, sur les transactions et à lexportation, ni taxes professionnelles. Elles bénéficient dun moratoire de 15 ans sur les dividendes et paient ensuite 10 pour cent sur la production (Hishamunda, 2000c).
Les exemptions peuvent être étendues aux taxes sur les intrants importés Elles peuvent occasionner une remise sur les permis dexploitation. Au Honduras, pour stimuler le secteur, laquaculture est exemptée de taxes à l'importation déquipement, de géniteurs, d'aliments pour larves et d'engrais. Les usines de conditionnement ne paient pas dimpôts, ni sur les importations, ni sur les exportations (Morales, 2000). Au Costa Rica, les sociétés qui exportent en dehors de lAmérique centrale bénéficient dun grand nombre dexemptions, comme les taxes sur les ventes, les droits de douane et les taxes locales. Aquacorporación Internacional a également bénéficié de ce régime, la société recevant 15 pour cent du prix fob des exportations (Porras, 2000). Aux Philippines, où la politique en faveur de laquaculture vise plus lexport que les ventes locales, linvestissement est favorisé si la production est orientée vers les marchés dexportation. Les sociétés aquacoles qui possèdent plus de 40 pour cent de capitaux étrangers bénéficient de facilités, si au moins 70 pour cent de leur production est exportée (Olalo, 1999). Pour les compagnies nationales, ce minimum est de 50 pour cent. En plus, les taxes à lexportation et le coût des permis d'exploitation sont réduits.
Cette partie du rapport a discuté des politiques non spécifiques et des politiques spécifiques au secteur, qui peuvent être mises en place pour promouvoir laquaculture commerciale. Dans le premier groupe, on reconnaît que la gouvernance est un élément clé dattraction des investisseurs vers laquaculture commerciale et quelle a une influence sur la croissance économique à long terme. La bonne gouvernance rassure les investisseurs sur la sécurité de leur capital et les encourage à augmenter leurs investissements. La stabilité politique ainsi que celle des politiques est un sujet particulier dinquiétude pour les investisseurs en Afrique subsaharienne. Les politiques permettant de garantir si non la propriété du moins les droits dutilisation des terres, ainsi qu'un taux de change correct sont des facteurs favorisant linvestissement. Des données récentes montrent que les pays dAfrique subsaharienne qui ont mis en place des réformes administratives, ont vu leur croissance augmenter. Quelques-unes de ces réformes ont inclus louverture au marché et souligné le rôle du secteur privé comme source de création de richesses.
Il existe des politiques spécifiques que des gouvernements dAfrique subsaharienne pourraient utiliser pour réglementer le développement du secteur. Les principales comprennent le zonage et lobligation dacquérir des permis pour installer des fermes aquacoles. Un principe général est de disposer dun cadre juridique compatible avec les contraintes de suivi et de respect de la réglementation, tout en assurant la durabilité des conditions environnementales. Il faut éviter une sur-réglementation qui peut être nuisible au secteur et fiscalement coûteuse.
La majorité des pays en Afrique subsaharienne manquent de législation spécifique à laquaculture. Cette absence peut être dissuasive pour les investisseurs parce quelle crée des conditions incertaines. Le problème est aggravé lorsque pour obtenir une autorisation dinvestir, les procédures administratives sont compliquées. En labsence de législation, des lois concernant laccès à la terre et à leau pour laquaculture en étang peuvent être calquées sur les lois utilisées en agriculture.
Pour administrer le secteur, une agence de coordination semble la plus appropriée. Compte tenu de la nature marginale de laquaculture au sud du Sahara, une telle agence spécialisée nest pas plausible. Un comité de coordination composé de personnel de différents départements/services peut remplir momentanément cette fonction. Il pourrait préparer une liste dinformations décrivant les formalités dobtention de permis dexploitation et le lieu dobtention des formulaires. Le comité pourrait être en charge de traiter les demandes tout en allégeant les procédures. Des incitations économiques et l'autorégulation pourraient compléter la maîtrise et le contrôle du développement aquacole.
Chaque fois que cela sera possible, la recherche et le développement/vulgarisation devraient être menés par le secteur privé et coordonnés par des associations de producteurs. Lavantage de ces dernières coordonnant la recherche est que les résultats peuvent être adoptés par tous les membres, ce qui les incite à contribuer au financement de cette recherche.
Dans beaucoup dEtats au sud du Sahara, de nombreuses stations piscicoles publiques ont été abandonnées, ce qui a incité de nombreux experts à recommander de les priver de leur rôle de producteur dalevins, de producteurs de poisson de consommation et de centres de démonstration. La production d'alevins passerait sous la responsabilité du secteur privé. La méthode de privatisation doit être équitable et efficace. Un système denchères ou de vente directe peut exclure des communautés locales. Lorsque celles-ci sont intéressées, une méthode préférable est la création de sociétés conjointes comprenant un calendrier programmé de désengagement du gouvernement.
Lorsque laccès au crédit bancaire est difficile, il existe une stratégie qui consiste à encourager linvestissement par de grandes fermes. De fait, lorsque laquaculture rencontre nombre de difficultés, les gros investissements semblent essentiels pour appuyer les élevages artisanaux. Ces investissements peuvent être réalisés par une industrie alimentaire qui possède le savoir-faire pour produire ses propres aliments et pour exporter sa production. Son succès attire de nouveaux candidats ou peut au moins développer le métayage. Ces grandes fermes peuvent être nationales ou étrangères.
Plusieurs associations de producteurs ont été politisées et mal gérées, pourtant elles peuvent être un moyen de développer le secteur. Il faut encourager les associations de producteurs, bien gérées et fiables. Elles représentent un groupe de pression et sont un moyen de diffuser le savoir-faire technique. Elles devraient aussi servir à développer le marché et à réaliser le suivi du respect de l'environnement par l'autorégulation.
Ces politiques, ainsi que dautres, sont résumées dans le Tableau 4. La liste nest pas exhaustive mais couvre quelques-unes des politiques de promotion de laquaculture les plus populaires. Plusieurs impliquent des dépenses complémentaires et, bien quelles soient efficaces, elles peuvent savérer peu réalistes dans le contexte daustérité en Afrique subsaharienne. Dautres politiques ne demandent pas de budget additionnel, bien quelles présentent des coûts dopportunité comme la perte de revenus fiscaux pour lEtat; celles-ci apparaissent les plus indiquées pour la région. Comme il faut indiquer les échéances dans un plan de développement, la liste des politiques indique si leur impact sur la production est immédiat (dans lannée), à moyen terme (1 à 5 ans) ou à long terme (au-delà de 5 ans).
Tableau 4. Liste indicative des politiques possibles pour promouvoir laquaculture commerciale.
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INSTRUMENTS DE POLITIQUE |
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Contrainte/problème |
Dépenses supplémentaires |
Impact |
Sans dépenses supplémentaires |
Impact |
Réduire la duplication administrative |
Agence responsable |
Long à moyen terme |
Cadre juridique pour l'aquaculture |
Moyen terme |
Faciliter l'obtention de permis |
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Améliorer l'accès à la
réglementation |
Moyen terme |
Favoriser un environnement durable |
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Législation sur la terre et leau |
Long terme |
Disponibilité en aliments |
Usines d'aliments subventionnées |
Long terme |
Attirer une grande entreprise afin d'augmenter la demande en
aliment |
Long terme |
Disponibilité en semences |
Utilisation des stations piscicoles publiques |
Court terme |
Privatiser les stations dEtat |
Moyen terme |
Disponibilité en terres |
Domaines aquacoles |
Moyen terme |
Zonage |
Moyen terme |
Disponibilité en crédit bancaire |
Prêts garantis (la défaillance implique des
coûts) |
Moyen terme |
Impliquer les banques au démarrage du projet |
Moyen terme |
Coût du crédit bancaire |
Don au démarrage |
Court terme |
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Coût des aliments/semences |
Aides |
Court terme |
Exemption de taxes sur les ventes et droits de douane à
limportation dintrants |
Moyen terme |
Promotion de linvestissement |
Don au démarrage |
Court terme |
Moratoires |
Moyen terme |
Encourager les investisseurs étrangers |
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Monnaie convertible |
Moyen terme |
Commercialisation |
Responsables du marché |
Moyen terme |
Promotion des produits par les associations de
producteurs |
Moyen terme |
Recherche |
Intensifier la recherche |
Long terme |
Augmenter la recherche commandée par la
demande |
Moyen terme |
Formation et vulgarisation |
Vulgarisation à partir de fermiers
modèles |
Moyen terme |
Formation/vulgarisation par les sociétés
d'intrants |
Moyen terme |