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Impact socio-économique de la traction animale dans la province de l'Atacora, Bénin

par

Senou Jean Kokoye

Ingénieur Agronome Zootechnicien, Centre d'Action Régional pour le Développement Rural de l'Atacora (CARDER Atacora), Naitingou, Bénin

Résumé

La traction animale est la technique de culture mécanisée la plus répandue dans la province de l'Atacora. Introduite pendant les années 60, elle s'est rapidement développée dans le reste de la province. Le programme de développement de la traction animale reçoit le soutien financier et technique du Projet de Développement Rural Intégré de l'Atacora, et d'autres institutions de développement rural telles qu'Euro-Accord et le Comité Français pour la Lutte contre la Faim. Des stages de formation au dressage et à l'utilisation des équipements sont actuellement organisés pour les agents du développement rural.

Sur 207.718 ha de terres labourées au cours de la campagne 1987/88 environ 28.312 ha l'ont été par les attelages; soit 13,5% de l'ensemble des superficies cultivées. Les contraintes incluent: manque de connaissance des paysans, absence de formation sur le terrain, manque de moyens et de connaissances techniques des artisans forgerons, insuffisance du système actuel de crédit, faiblesse du soutien au développement de la culture attelée; distribution d'équipement inadéquat.

Introduction

La République Populaire du Bénin couvre une superficie de 112.600 km2 avec une population de 3.500.000 habitants caractérisée par un taux démographique annuel de 2,8%. Près de 80% de la population vit essentiellement de l'agriculture, de l'élevage et de la pêche. Située au nord-ouest du pays, la province de l'Atacora a un climat de type soudano-guinéen avec une saison des pluies de mai à octobre. La moyenne des pluies est de 950 à 1.000 mm en 70 jours, avec une saison sèche de novembre à avril. La province est traversée par la chaîne montagneuse de l'Atacora. La végétation est de type savane arborée à prédominance de néré et de karité. La population regroupe une trentaine d'ethnies peu ouvertes aux échanges culturels. L'habitat est dispersé et la densité démographique moyenne est de 15 habitants km-2. L'infrastructure routière est peu développée, avec des régions d'accès difficile en saison des pluies.

Encadrement des paysans

L'introduction de la culture attelée dans la province de l'Atacora remonte aux années 60. Elle a surtout été l'oeuvre du Bureau de Développement de Produits Agricoles (BDPA) et de l'Association Française des Volontaires du Progrès (AFVP). Cette introduction visait essentiellement:

· la réduction de la pénibilité des travaux agricoles;
· l'augmentation des superficies cultivées et de la productivité;
· l'intégration de l'élevage et de l'agriculture;
· l'élévation progressive du niveau de vie des paysans.

Le BDPA a créé en 1965 un Centre d'Appui Technique à la traction animale à Sosso (District de Djougou). Ce centre avait pour tâches essentielles:

· la formation et le recyclage des agents du développement rural;

· la formation des paysans au dressage des boeufs et à l'utilisation du matériel de culture attelée;

· le montage des charrettes, la fabrication des jougs, la réparation du matériel par les artisans du Centre d'Appui Technique.

· la livraison du matériel et des pièces détachées;

· l'achat et le dressage des boeufs de trait.

Tableau 1: Evolution du matériel de culture attelée

Equipement

Charrue

Butteur

Souleveuse

Canadien

Charrue

Herse

Semoir

Campagnes








1980/81

1634

1584

695

135

299



1981/82

1905

1708

715

135

299



1982/83

2084

1714

715

135

299



1983/84

2084

1714

715

135

299



1984/85

2109

1714

715

135

299



1985/86

2306

2039

184

90

203

6

27

1986/87

2611

2381

260

72

218

14

20

1987/88

3152

2758

368

98

235

10

10

Après une dizaine d'années d'activités, le centre a fermé en 1975 faute de financement. Depuis la création du Centre Régional pour le Développement Rural de l'Atacora (CARDER Atacora) en 1980, toutes les actions des institutions d'assistance sont prises en considération dans le cadre d'un programme de développement rural intégré. Le CARDER intervient par un système de vulgarisation qui repose sur:

· la formation des agents du développement rural (élaboration de fiches techniques sur l'identification, l'utilisation et l'entretien du matériel de la culture attelée); exposés et démonstrations régulières; formation spécifique annuelle et recyclage sur le dressage des boeufs;

· la formation des paysans; séances de dressage des animaux au niveau des villages; séances de démonstration sur l'utilisation du matériel de culture attelée au cours de visites organisées;

· l'encadrement des paysans sur le terrain pour assurer une bonne exécution des différentes opérations culturales.

Ces actions ont contribué à susciter chez les paysans un intérêt réel pour la culture attelée. Le programme de développement rural intégré bénéficie pour son volet "Promotion de la Culture Attelée" de l'assistance technique et financière des organisations non gouvernementales telles qu'Euro-Accord dans le District de Matéri, et le Comité Français de Lutte contre la Faim (CFCF) à Alédjo dans le District de Bassila et à Manitese dans le District de Toucountouna.

Le matériel de culture attelée

Le matériel couramment utilisé inclut: charrue, butteur, charrette, canadien, souleveuse, herse, semoir. Au cours de la période 1980/88, le nombre de paires de boeufs est passé de 1.634 à 3.576, les charrues de 1366 à 3.093, les butteurs de 1.325 à 2.697. L'évolution de l'utilisation des charrettes est plus lente du fait de leur prix relativement élevé. Les paysans ignorent pour la plupart l'importance des souleveuses et des canadiens. La herse et le semoir commencent seulement à être utilisés. Les paysans estiment qu'un tel investissement ne se justifie pas, puisque la main-d'œuvre féminine non rémunérée du ménage est disponible pour ce travail.

Acquisition du matériel

L'achat au comptant (par les paysans ayant un niveau de vie relativement élevé) est surtout pratiqué dans la zone de production cotonnière (Districts de Kouandé, Pehunco, Kérou, et plus rarement dans les Districts de Djougou et de Bassila). Deux types de crédit sont disponibles:

· le crédit "Paire de Boeufs" accordé par la Caisse Régionale de Crédit Agricole et Mutuelle (CRCAM), sans acompte, remboursable en trois ans avec une année de différé, au taux d'intérêt de 10%;

· le crédit "Equipement en Matériel" accordé par le CARDER avec paiement d'un acompte correspondant au tiers du crédit, remboursable en trois ans avec une année de différé, au taux d'intérêt de 10%.

Tableau 2: Evolution des prix du matériel COBEMAG (FCFA)

Campagnes

1984/85

1985/86

1986/87

1987/88

Matériel





Charrue

33455

39176

41381

47775

Butteur

7840

10100

11440

12575

Canadien

20140

24926

26172

28310

Souleveuse

8450

10558

11085

11755

Charrette

82000

84750

88521

97245

Herse

24835

30732

32478

34435

Semoir

59895

59895

59895

62310

Ces différents crédits sont octroyés prioritairement aux paysans regroupés en structures pré-coopératives et coopératives.

La Coopérative Béninoise de Matériel Agricole (COBEMAG) constitue la principale source d'approvisionnement en matériel agricole pour l'ensemble du pays. Les 623 membres coopérateurs sont des artisans, répartis sur 21 ateliers implantés au niveau des districts. Six ateliers et 168 coopérateurs sont implantés dans la province de l'Atacora.

La COBEMAG fabrique près de 50% des pièces du matériel aratoire et assure entièrement le montage des différents outils d'attelage. La fabrication du matériel agricole à la COBEMAG se fait sous licence Arara. Les aciers spéciaux, les fontes et certaines pièces telles que les versoirs de charrue, les boulons et les vis sont importées d'Europe.

Entretien des bovins de trait

La quasi-totalité des bovins de trait provient du cheptel de la province. Ce sont essentiellement des animaux de race Borgou, des métis Zébu-Borgou ou Borgou-Somba, de 2 à 9 ans et d'un poids vif compris entre 150 et 450 kg en moyenne. L'entretien des animaux de trait fait l'objet de deux actions: le suivi sanitaire et le suivi zootechnique. Un contrat de service sanitaire avec le Service Production Animale est disponible pour les paysans ayant bénéficié du crédit CRCAM "Paire de Boeufs". Ce contrat prévoit divers traitements comprenant les vaccinations contre la peste, la pasteurellose; le traitement de la trypanosomiase; les déparasitages internes et externes périodiques. En dehors des traitements prévus par le contrat, toutes les interventions sont payées par les paysans, qu'ils aient ou non obtenus un crédit "Paire de Boeufs".

Tableau 3: Nombre d'attelages et superficies cultivées

Le suivi zootechnique se limite pour le moment au suivi de la construction des étables fumières (environ 50) et des fosses fumières (environ 40), aux séances de vulgarisation pour l'utilisation des sous-produits de récolte et de la complémentation minérale (pierre à lécher).

Opérations culturales

Le transport et les travaux culturaux constituent les principales activités des animaux de trait. Sur 207.718 ha de terres labourées au cours de la campagne 1987/88 environ 28.312 ha l'ont été par les attelages; soit 13,5% de l'ensemble des superficies cultivées (7,90 ha par attelage). La charrue et le butteur sont utilisés sur les blocs des groupements et sur les parcelles individuelles, ou sont loués aux paysans ne possédant pas d'attelage. Le prix de location d'un attelage pour le labour d'un hectare varie de 7000 FCFA à 14.000 FCFA.

Contraintes à la traction animale

Les problèmes que connaît le développement de la traction animale dans la province de l'Atacora se situent à trois niveaux:

Tableau 4: Dorée d'exécution de quelques opérations culturales

Opérations

Durée (jours par homme par ha)

Manuelles

Attelées

Labour

20 à 30

3

Semis (arachides)

9

1,5

Sarclage

20

4

Récolte arachide entière (soulevage; glanage; ramassage)

15

10

Les paysans

Le niveau de connaissance des paysans est lacunaire dans différents domaines et en particulier en ce qui concerne l'entretien, le réglage et la gestion du matériel.

L'encadrement

Les agents d'encadrement ne disposent pas à l'heure actuelle de suffisamment de connaissances pour assurer une formation pratique des paysans sur le terrain. Le système de formation et de recyclage actuellement en cours dans la province doit se poursuivre pour permettre aux agents d'encadrement de former les paysans aux normes requises par l'utilisation optimale du matériel de culture attelée.

L'approvisionnement

Les ateliers COBEMAG dans les districts ne sont pas fonctionnels, les artisans forgerons ne disposant pas suffisamment de moyen et de connaissance pour l'amélioration de la qualité des pièces de rechange. La COBEMAG devra revoir son système d'approvisionnement actuel si elle désire conserver son monopole de fournisseur de pièces détachées. L'insuffisance de moyens techniques et de ressources humaines constitue un réel obstacle au développement de la traction animale dans la province de l'Atacora.

Conclusion

L'utilisation de la traction animale est une étape nécessaire au développement agricole de la province de l'Atacora. Mais la mise en oeuvre d'un programme de développement intégré rencontre certaines difficultés: l'insuffisance du système actuel de crédit; la faiblesse du soutien accordé par les différents projets et les institutions d'assistance au développement de la culture attelée; les difficultés de fonctionnement de la COBEMAG qui n'arrive pas à stabiliser les prix sur plusieurs campagnes et à assurer un approvisionnement satisfaisant du matériel et des pièces détachées. Les différents projets et les organismes d'assistance technique devraient augmenter leurs efforts et favoriser la stabilisation des structures nécessaires à la promotion de la traction animale dans la province.

Abstract

Animal traction is an important form of agricultural mechanization in the Atacora Province of Benin, where it was introduced in the 1960s. In 1987-88, draft animals plowed 28,312 ha representing 13.5% of the total cultivated area of 207, 718 ha. The animal traction development programme is financially and technically supported by the "Projet de Développement Rural Intégré de l'Atacora" and some non-governmental organizations. Farmers often lack technical information on using draft animals and equipment, but existing training facilities are insufficient. Extension workers are now given training in draft animal husbandry and equipment utilization. Insufficient credit, inadequate distribution of equipment and a low level of official support for animal traction restrict the speed of development. Other constraints to animal traction use include limited support from local blacksmiths, who are often inadequately trained and equipped. A hypothetical economic model is presented, to illustrate that a farm growing a varies of crops can justify the investment costs of animal traction in a case where the area of cultivation is assumed to expand by 2 ha, from 5 ha to 7 ha.

Modèle hypothétique de rentabilité d'une chaîne de culture attelée

Généralités

La chaîne de culture attelée doit comprendre: une charrue avec corps-butteur, un élément sarcleur, un semoir et trois disques (arachide, mil, maïs), une souleveuse à arachide si possible, et une charrette. Avec une moyenne d'un hectare travaillé manuellement par personne, une famille peut cultiver jusqu'à 5 ha. En culture attelée, deux hommes peuvent cultiver 7 ha. Cette estimation permet d'envisager une augmentation de 2 ha par famille. Avec le travail fourni par la main-d'œuvre familiale ainsi libérée, il est possible de prévoir une augmentation de 3 à 4 ha par famille.

L'introduction de la chaîne de culture attelée est particulièrement favorable à la relance de la culture arachidière qui est, avec les cultures vivrières, des mieux adaptées au sarclage mécanique. L'ajout du pie fouilleur à la chaîne de culture attelée permettra d'éliminer le labour et facilitera ainsi un respect optimum du calendrier des semis. La nécessité de l'essouchage est un obstacle majeur à l'introduction de la culture attelée. En conséquence, un crédit financier ne doit pas être accordé aux paysans qui n'ont pas essouché un minimum de deux hectares. Il appartient à l'encadreur de faire comprendre aux paysans le bénéfice de ce travail.

L'exploitation

Nous prendrons le cas le plus défavorable, où l'arachide est la seule culture de rente de l'exploitation. L'exploitation manuelle comprend quatre actifs cultivant trois hectares.

Année I

igname 0,70 ha, arachide 0,30 ha

1 ha

Année II

sorgho 0,70 ha, mil 0,30 ha

1 ha

Année III

mais ou niébé ou haricot ou manioc

1 ha

Total


3 ha

Après acquisition de la chaîne de culture attelée, la superficie cultivée en première année sera au minimum de 5 ha et passera à 7 ha en année II. L'essouchage d'un minimum de 2 ha est une condition sine qua non de l'acquisition du matériel.


Première année

Deuxième année

Igname

0,65 ha

0,75 ha

Arachide

1,10 ha

1,55 ha

Sorgho

1,75 ha

2,30 ha

Mars

1,25 ha

1,80 ha

Niébé

0,30 ha

0,30 ha

Manioc

0,20 ha

0,20 ha

Total

5,25 ha

6,90 ha

Investissement

Une chaîne complète de culture attelée, amortissement sur 5 ans, crédit à 13% d'intérêt:

1 paire de boeufs

100000

1 charrue + butteur

37500

1 joug + chaîne

5300

1 joug enjambeur

5300

1 semoir

56700

1 sarcleuse

19100

1 charrette

75000

Investissement total

298900 FCFA

Remboursement à annuité permanente

Années

Remb. du capital

Interêt

Total

1re année

59796

38867

98663

2e année

59796

31094

90890

3e année

59796

23320

84116

4e année

59796

15547

75343

5e année

59796

7773

67569

Sur 5 ans

298980

116601

415581

Capacité de remboursement

Transport

Comme il est difficile de chiffrer la plus-value apportée par la charrette, nous considérerons son apport financier direct comme nul. Elément essentiel de la chaîne, la charrette permet l'utilisation rationnelle et continuelle des boeufs.

La culture

La culture attelée permet dés la première année de cultiver 2 ha supplémentaires. Si nous évaluons le coût d'entretien de la paire de boeufs à 4.000 F par an pour les soins et à 36.500 F pour la nourriture, la culture attelée laisse un supplément financier de:

140.000 - (4.000 + 36.500) = 99.500 Francs

en première année. L'annuité fixe à rembourser est de 83.120 F. Le paysan cultive donc 3 ha en culture manuelle et 2 ha en culture attelée pendant la première année.

Si le paysan a les connaissances techniques requises, le quota de production (1.000 kg ha-1 pour l'arachide, 1.200 kg ha-l pour le maïs, 800 kg ha-l pour le sorgho) sera largement atteint. Dès la première année, la plus défavorable, le paysan est en mesure de rembourser son annuité.

Exemple: revenu supplémentaire en année 1 (FCFA)


Superficies supplémentaires

Production

Revenu additionnel

Frais production

Supplément financier

Arachide

0,80 ha

1000 kg

64000

14000

49520

Maïs

0,55 ha

660 kg

59480

4500

54980

Sorgho

0,75 ha

600 kg

36000

580

35500

Revenu supplémentaire



159480

19080

140000


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