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L'impact du crédit sur la traction animale: analyse critique du Crédit Spécial du Projet PIDAC en Basse Casamance, Sénégal

par

Fadel Ndiamé

Coordinateur de l'Equipe de Recherche sur les Systèmes Agraires et l'Economie Agricole de Djibélor, Institut de Recherches Agricoles (ISRA), Ziguinchor, Sénégal

Résumé

Le Crédit Spécial a été instauré par le Projet Intégré de Développement Agricole de la Basse Casamance (PIDAC) grâce à l'appui technique et financier de l'Agence Américaine pour le Développement International (USAID). L'objectif est d'augmenter la productivité en développant la traction animale, l'utilisation des engrais et l'introduction de nouvelles stratégies culturales. Le crédit PIDAC cible avant tout les groupements de producteurs (GP). La provision du crédit est accompagnée de programmes d'encadrement technique et d'alphabétisation fonctionnelle, destinés à préparer les paysans à une gestion effective du crédit.

Les crédits à court et long termes sont exclusivement destinés à l'acquisition de matériels de culture et d'intrants agricoles. L'octroi du crédit est précédé d'un recensement des besoins des paysans en matériels et intrants agricoles. Les dettes sont habituellement acquittées pendant la campagne de commercialisation, en nature ou en espèce. Le volume du crédit alloué pendant la période étudiée (1983/86) s'élève d 156 millions FCFA. Le nombre de paysans et de GP desservis a notablement augmenté (respectivement 68 et 42 en 1983/84 et 711 et 85 en 1985/86) avec une valeur moyenne de 200.000 FCFA par bénéficiaire. Le taux de remboursement des dettes d'engrais a une tendance importante à la baisse, passant de 90% en 1983/84 à 54% en 1984/85.

Les candidats à l'adoption de la traction animale connaissent de sérieux problèmes de trésorerie imposés par l'achat obligatoire et préalable d'une paire de boeufs de trait. Le taux de rentabilité est plus élevé chez les paysans qui utilisent leurs propres animaux ou des animaux achetés au comptant. Les enquêtes menées par l'Equipe Systèmes de Djibélor ont révélé que la plupart des paysans prélevaient les animaux de trait sur leur propre troupeau. Les sommes acquises d crédit pour leur achat seraient donc utilisées à d'autres fins. En majorité, les' paysans se plaignent de la variation des intérêts dans le temps. Un problème majeur du schéma organisationnel actuel du Crédit Spécial résulte de la volonté de responsabiliser les GP en matière de gestion du crédit et de la nécessité de sélectionner les postulants en fonction de leur solvabilité. L'octroi de crédit à un GP devrait être lié à l'existence d'une caisse commune alimentée par des revenus de travaux collectifs et/ou des cotisations des membres. La sélection des postulants individuels au crédit devrait être collectivement prise en charge par les responsables du programme et les membres du GP.

Introduction

Le Crédit Spécial pour le matériel agricole a été mis en place par le Projet Intégré de Développement Agricole de la Basse Casamance (PIDAC) grâce à l'appui technique et financier de l'Agence Américaine pour le Développement International (USAID). A l'instar des programmes qui l'ont précédé (Programme Agricole, crédit ILACO, crédit de la Mission Agricole Chinoise), le Crédit Spécial vise, par la promotion de la culture attelée, à accroître la production locale et à contribuer à l'élévation du niveau de vie des paysans de la Basse Casamance. La nécessité du crédit agricole découle du contexte institutionnel particulier de la politique agricole au Sénégal et des facteurs agroclimatiques spécifiques de la région.

Les événements majeurs de la politique agricole des années 1980 sont la dissolution de l'Office National de Coopération et d'Assistance pour le Développement (ONCAD) et l'arrêt et l'épongement des dettes du Programme Agricole (PA). C'est dans ce contexte de crise que la Nouvelle Politique Agricole (NPA) fut ouverte en 1984 pour réaliser l'autosuffisance alimentaire et exprimer la volonté du Gouvernement sénégalais de réduire ses interventions dans le secteur agricole, tout en donnant plus de responsabilités aux organisations paysannes et au secteur privé.

Sur le plan agroclimatique, l'élément déterminant a été le raccourcissement des saisons des pluies et la baisse pluviométrique enregistrée au cours des années 1970/80. Cette situation nouvelle a provoqué des réajustements au niveau des stratégies et des techniques de production, parmi lesquelles l'extension des superficies cultivées sur le plateau tient une place importante. Une telle extension implique une accélération du rythme d'utilisation de l'outillage existant et l'introduction d'autres matériels rendue nécessaire par les mutations techniques préconisées par le PIDAC: labour à plat, semis direct, sarclage mécanique, etc. La faisabilité des thèmes techniques vulgarisés par le PIDAC passait par l'amélioration de l'équipement des paysans encadrés.

Il demeure essentiel d'assurer l'approvisionnement du monde rural en intrants, si l'on souhaite atteindre l'objectif d'autosuffisance alimentaire. Cependant, si le crédit agricole peut jouer ici un rôle décisif, il ne saurait constituer une fin en soi. Dans certains cas, le crédit peut conduire à un gaspillage de ressources nationales et à un appauvrissement des paysans qu'il cherchait à aider.

Ce document a un triple objectif:

· décrire l'organisation et le fonctionnement du Crédit Spécial du PIDAC;
· fournir des éléments d'analyse de l'efficacité technique et organisationnelle du programme;
· formuler des recommandations adaptées au crédit agricole en Basse Casamance.

Nous nous baserons essentiellement sur une étude réalisée par l'auteur sur la culture attelée et le crédit agricole en Basse Casamance (Ndiame, 1986a). La méthodologie utilisée combine l'analyse des données primaires et secondaires recueillies lors d'enquêtes menées auprès des responsables du PIDAC, de Groupements de Producteurs (GP) et de 48 paysans bénéficiaires ou non du Crédit Spécial. La première partie decrit brièvement l'organisation et le fonctionnement du programme. La deuxième partie traite de l'analyse de certains résultats du Crédit Spécial et du sondage d'opinion effectué auprès des paysans. Finalement, nous avancerons nos conclusions et recommandations en matière de crédit agricole en Basse Casamance.

Organisation et fonctionnement du Crédit Spécial

Le succès ou l'échec d'un programme de crédit dépend en grande partie des modalités pratiques d'organisation, des règles et procédures de fonctionnement arrêtées. L'accès des paysans au crédit et la viabilité financière du programme dépendent à la fois des méthodes de sélection des paysans solvables, de l'orientation des crédits vers des utilisations stratégiques et du recouvrement des dettes. Dans le cas du PIDAC, la conception du programme est orientée vers un crédit collectif destiné à susciter l'engagement de la communauté. Le PIDAC a ciblé les groupements de producteurs, plutôt que les coopératives. La provision du crédit est accompagnée de programmes d'encadrement technique et d'alphabétisation fonctionnelle, destinés à préparer les paysans à une gestion effective du crédit.

Conditions et modalités du crédit

Elles sont relatives au cadre institutionnel, à la nature et aux modalités d'accès et de remboursement, ainsi qu'aux pénalités prévues. Le crédit est en nature et il est exclusivement destiné à l'acquisition de matériels de culture et d'intrants agricoles. Une telle mesure vise à éliminer les risques de détournements du crédit vers d'autres activités non prioritaires et spéculatives.

D'autre part, seul un groupement de producteurs agréé peut être l'interlocuteur du PIDAC en matière de crédit. Les GP travaillent ainsi avec les cadres du PIDAC. Ils sont responsables du matériel agricole, de son attribution et du recouvrement des dettes. De ce fait, l'octroi de prêts aux individus est conditionné par l'aval du bureau du GP. L'échéance de remboursement du prêt est de cinq ans pour le matériel agricole et d'un an pour les intrants, à un taux d'intérêt de 12%. Le postulant au crédit. est tenu d'acheter une paire de boeufs de trait avant d'obtenir le crédit et doit s'engager à respecter les thèmes techniques préconisés par le PIDAC.

Recensement des besoins et distribution du matériel

L'octroi du crédit est précédé d'un recensement des besoins des paysans en matériels et intrants agricoles. Ce recensement est mené par les cadres du PIDAC. La dotation de l'exploitant et ses intentions de culture pour la campagne à venir sont également notées. Les demandes des paysans sont par la suite examinées par un comité institué par la direction du PIDAC et qui regroupe les responsables divisionnaires du projet. Les avis émis par le comité sont fondés sur une estimation de la capacité de remboursement des postulants sur la base des informations fournies par le recensement.

La mise en place du matériel a généralement lieu avant le début de la campagne. Comme les quantités livrées sont le plus souvent inférieures à celles demandées, le GP sélectionne les bénéficiaires du matériel disponible. Notons que la responsabilisation des membres du GP sur la distribution du matériel vise avant tout à établir les bases d'une pression psychologique collective favorisant le remboursement des prêts. En principe, la pression est d'autant plus forte que le défaut de paiement pénalise tout le GP concerné.

Remboursement des prêts et sanctions

Les dettes sont habituellement acquittées pendant la campagne de commercialisation, à partir de décembre, en nature ou en espèce. Les remboursements en nature concernent le riz paddy, le mais ou tout autre produit homologué par le PIDAC. Les produits sont évalués sur la base des prix au producteur.

Le paiement des dettes s'effectue à partir de l'année de rédemption sur cinq annuités pour le matériel et intégralement durant la campagne pour les intrants. L'exigible de chaque année comprend une fraction du capital et les intérêts correspondants. Durant les campagnes agricoles 1983/84 et 1984/85, le PIDAC a calculé mensuellement les intérêts. Pour la campagne 1985/86, les intérêts ont été calculés sur une base trimestrielle, avec quatre annuités par an au lieu de douze. Ces changements visent à décourager les remboursements tardifs en leur attachant un coût financier et à simplifier le barême. Il serait intéressant d'analyser les réactions des paysans à ces différentes mesures.

Le défaut de paiement entraîne des sanctions à l'encontre du GP et du défaillant. Le nouveau crédit n'est octroyé qu'aux groupements ayant remboursé la totalité de l'exigible annuel et des dettes antérieures. Le défaut de paiement peut en principe mener à la cessation de toute activité du PIDAC en faveur du GP concerné (construction de barrages, magasins, puits, fourniture d'intrants, etc.). Pour le paysan défaillant, les sanctions vont de celles imposées par le groupe jusqu'au retrait du matériel. Cet arsenal de sanctions vise avant tout à dissuader les refus délibérés de remboursement. Après plusieurs années, l'efficacité de ces mesures peut être appréciée en fonction des objectifs assignés au programme, de leur cohérence interne et des résultats enregistrés par le Crédit Spécial.

Tableau 1: Distribution de matériel et besoins des paysans

Eléments d'évaluation du crédit

Il est généralement admis qu'une évaluation rigoureuse d'un programme de crédit passe par un examen approfondi de plusieurs de ses éléments. Tabsoba (1982) propose les critères suivants:

· efficacité organisationnelle et opérationnelle du programme;
· degré de compréhension du programme de crédit par les participants;
· niveau de réalisation des objectifs du programme;
· niveau d'équité réalisé dans la distribution du crédit.

En l'absence des données nécessaires, les éléments d'évaluation utilisés ici porteront sur les réalisations physiques du Crédit Spécial en rapport avec les objectifs du PIDAC, les résultats économiques des bénéficiaires et les opinions des paysans sur les avantages et les inconvénients du programme.

Résultats du Crédit Spécial

Tableau 2. Bilan du crédit agricole PIDAC sur 3 campagnes (en milliers de FCFA)

Campagne agricole

Court terme (1 an) engrais

Moyen terme (5 ans) matériels

Nbre de GP

Endettement

Remboursement

Taux remb. %

Nbre de paysans endettés

Nbre de GP

Nbre de paysans endettés

Endettement

Annuité

Remboursement

Taux remb. (%)

1983/84

36

920

828

90

37 380

42

68

9 592

1 918

1 807

94

1984/85

190

15 197

8 877

54

56 691

80

683

47 910

13 766

12 822

92

1985/86

196

25 075

-

-

55 147

85

711

58 156

-

-

-

Source: Intendance du PIDAC.

Pour l'année 1985/86, les données nécessaires n'étaient pas encore disponibles, car la campagne de commercialisation et la récupération des dettes venaient tout juste de débuter.

Le rôle du PIDAC est d'assurer l'équipement des paysans encadrés pour favoriser l'intensification de la production agricole. Le volume de matériels placés constitue donc un objectif intermédiaire. Evaluer l'impact du matériel distribué sur l'évolution de la productivité représente l'étape suivante. L'équilibre et la viabilité financière du programme dépendent du remboursement des dettes et du paiement des frais administratifs. Les taux de remboursement enregistrés au cours des années d'opération donnent une idée de la solidité financière du programme. Le tableau 1 présente les statistiques concernant la distribution de matériels effectuée entre 1983 et 1986. Le volume de crédit pendant cette période s'élève à 156.760.116 FCFA répartis en crédit à court terme (41.192.772 FCFA) et en crédit à long terme (115.567.344 FCFA). II ressort de ce tableau que les quantités de matériels et d'intrants distribués sont largement en deça des demandes formulées par les paysans. Il n'est toutefois pas évident que ces besoins soient solvables et qu'ils correspondent à une demande effective. Le bilan du Crédit Spécial pendant les trois premières années de fonctionnement est résumé au tableau 2. Deux remarques se dégagent de ce tableau:

Le nombre de paysans et de GP desservis à notablement augmenté (respectivement 68 et 42 en 1983/84 et 711 et 85 en 1985/86) avec une valeur moyenne de 200.000 FCFA par bénéficiaire. A cet élargissement de l'envergure et de l'enveloppe du crédit correspondent une augmentation de la valeur des emprunts et une plus grande complexité des tâches administratives. Le taux de remboursement a tendance à une baisse qui est particulièrement importante pour les dettes d'engrais dont le taux de remboursement passe de 90% en 1983/84 à 54% en 1984/85.

Deux hypothèses peuvent expliquer cette baisse. Premièrement, une mauvaise pluviométrie a été enregistrée au début de l'hivernage 1985, poussant les paysans à conserver les engrais et à différer les remboursements. Cette hypothèse laisse supposer que les paysans lient le remboursement du prêt à son utilisation et implique donc qu'une attention particulière soit accordée aux résultats agricoles obtenus. Deuxièmement, du fait des retenues opérées sur les ventes d'arachides, il est possible que les paysans aient confondu les engrais du Crédit Spécial aux livraisons effectuées la même année par la Société Nationale de Commercialisation des Oléagineux du Sénégal (SONACOS) et auraient considéré ces engrais comme déjà payés.

Cependant, pour ce qui est du crédit à moyen terme, il paraît logique de lier les remboursements effectués par les paysans à leurs performances économiques et/ou à leur volonté d'honorer leurs dettes. Par rapport au premier élément, des analyses de trésorerie ont été effectuées sur deux groupes d'exploitations avec et sans traction animale. En outre, les budgets pluriannuels ont été analysés pour déterminer les conditions de rentabilisation des investissements en traction animale. Les résultats de l'analyse des trésoreries annuelles montrent que les exploitations avec et sans traction animale présentent en moyenne des liquidités nettes positives de 93.500 FCFA et de 65.500 FCFA respectivement (tableau 3). Cependant les candidats à l'adoption de la traction animale connaissent de sérieux problèmes de trésorerie imposés par l'achat obligatoire d'une paire de boeufs de trait, évaluée à 100.000 FCFA. La traction animale resterait donc hors de portée des paysans qui ne peuvent acquérir un attelage sans bénéficier d'un crédit ou par un autre moyen, comme une sortie de troupeau.

Tableau 3: Analyse des liquidités de deux groupes d'exploitations (FCFA)


Catégories

Groupe 1 (culture manuelle)

Groupe 2 (culture attelée)

1.

Valeurs des ventesa

112 393

176 457

2.

Revenus non agricoles

41 596

56 914

3.

Intrants

4 441

9 574

4.

Dépenses liées à la TAb

0

2 000

5.

Revenus de la TAc

0

15 000

6.

Revenus nets de la production (1 +2-3-4+5)

149 548

236 797

7.

Achat de nourritured

76 555

72 296

8.

Autres dépensese

7 462

15 129

9.

Surplus monétaires nets (6-7-8)

65 531

149 372

10.

Prêts obtenus

0

0

11.

Remboursements

0

55 868

12.

Liquidités nettes (9+10+11)

65 531

93 504

Source: Ndiamé, 1986a

a) Ventes d'arachides
b) Flux monétaires exclusivement
c) Revenus moyens des locations de matériels agricoles
d) Achat de riz pour combler le déficit céréalier
e) Calculées sur la base d'un montant de 1000 FCFA par tête Le montant de la taxe rurale étant de 500 FCFA par tête, le reste pouvant être utilisé pour l'achat de médicaments et de vêtements.

L'analyse des budgets pluriannuels a permis de déterminer les conditions de rentabilisation de l'investissement en traction animale (tableau 4). Le taux de rentabilité financière n'est supérieur au taux de l'intérêt que si les paysans parviennent à réaliser simultanément des extensions de superficies et des gains de rendement sur les cultures principales. De plus, le raccourcissement de la période d'apprentissage a un impact décisif sur le taux de rentabilité de l'investissement (Ndiame, 1986b). Des améliorations considérables interviennent lorsque les scénarios les plus défavorables sont réévalués avec une période d'apprentissage de trois au lieu de cinq ans. Par contre, le taux de rentabilité est plus élevé lorsque les paysans utilisent leurs propres animaux. De même, les pertes sont moindres chez les paysans ayant acquis leurs animaux sans prendre un crédit. Ces résultats ont d'importantes implications pour le crédit.

A moyen terme, la capacité de remboursement est directement liée à la rentabilité financière des différentes activités menées par le bénéficiaire du crédit. Cette capacité de remboursement doit aussi être soutenue par la volonté d'honorer les dettes. Il est probable que cette volonté soit liée à la perception que les paysans ont du programme de crédit.

Sondage d'opinion auprès des paysans

Le sondage portait sur les conditions du Crédit Spécial, le prix des différents matériels, les procédés de recensement des besoins et de redistribution des matériels, les sanctions et les pénalités. Les paysans interrogés ont énoncé les problèmes rencontrés et suggéré des solutions.

Opinions sur les conditions de crédit

Ce point englobe les opinions émises par les paysans sur les délais de remboursement du matériel et sur l'achat obligatoire et préalable d'une paire de boeufs.

Concernant les délais de remboursement du matériel, notons tout d'abord que la quasi-totalité des paysans (93% de l'échantillon) connaissait le délai exact de remboursement. Mais 58% ont estimé que le délai devrait être plus long de cinq ans, contre 27% qui l'ont jugé acceptable et 15% trop long. L'opinion majoritaire est significative des difficultés de remboursement rencontrées par les paysans. C'est d'ailleurs en partie pour réduire le montant de ces annuités que le PIDAC demande aux paysans de fournir leurs propres boeufs, préalablement à tout crédit sur le matériel.

Tableau 4: Rentabilité financière de l'investissement sous différents scénarios

L'enquête a révélé que 71% des paysans de l'échantillon acceptent mal d'avoir à fournir une paire de boeufs comme condition d'obtention du crédit. Ce résultat pourrait indiquer que les paysans préféreraient un crédit en liquide pour l'achat des animaux de trait, option jadis offerte par le PA. Notons ici que les enquêtes menées par l'Equipe Systèmes de Djibélor ont révélé que la plupart des paysans prélevaient les animaux de trait sur leur propre troupeau, ce qui laisse penser que les sommes acquises à crédit pour leur achat étaient utilisées à d'autres fins.

Opinions sur le recensement et la redistribution

La grande majorité des paysans enquêtés (71%) juge favorablement la procédure actuelle de recensement des besoins. 25% de l'échantillon déploraient:

· la méconnaissance des prix au moment du recensement;
· l'absence de certains équipements à la livraison;
· la livraison de matériels non commandés;
· l'exécution tardive du recensement;
· l'octroi de faveurs aux seuls membres du bureau du GP.

Par ailleurs, 58% de l'échantillon approuvent la redistribution du matériel par le GP, contre 42% qui étaient de l'avis contraire. Parmi les problèmes évoqués, notons les difficultés du GP à redistribuer des équipements dont les quantités livrées sont inférieures aux quantités commandées. 14% ont critiqué une redistribution inéquitable des équipements au niveau du GP, ou exprimé un manque de confiance à l'égard de son Président.

Opinions sur les sanctions et pénalités

La majorité des paysans (58%) estime que le PIDAC a tort de retirer le matériel des exploitants n'honorant pas leurs dettes, puisque pour 75% des paysans interrogés le défaut de paiement est la conséquence de la baisse pluviométrique, de l'action des parasites, et/ou du manque de semences. Mais le quart des paysans mettent ce défaut au compte de la mauvaise volonté des défaillants et 42% pensent que le PIDAC a raison de retirer le matériel des mauvais payeurs.

Ces opinions semblent suggérer que le retrait de matériels a un effet dissuasif sur les paysans. Mais la grande majorité des paysans (90%) a jugé incorrecte la sanction qui frappe tous les membres d'un GP dont les dettes n'ont pas été intégralement payées. Les paysans (68%) suggèrent de sanctionner uniquement les "mauvais payeurs". Une telle option apporterait aux "bons payeurs" une récompense sous la forme de commandes satisfaites. Il est vrai que si la sanction collective crée une pression psychologique sur les défaillants, elle pénalise injustement les "bons payeurs". Un sanctionnement sélectif pourrait constituer une plus grande incitation au remboursement des dettes.

Cette formule serait plus difficile à appliquer par le PIDAC du fait de la multiplication des niveaux de responsabilité. Les paysans interrogés suggèrent d'autres actions pouvant être menées au sein du GP (confiscation du matériel attribué aux défaillants et redistribution aux "bons payeurs", création d'une caisse commune alimentée par des cotisations et/ou des produits récoltés sur les champs collectifs des membres du GP, etc.). Ces propositions méritent d'être analysées pour déterminer leurs modalités pratiques d'exécution.

En majorité, les paysans se sont plaints de la variation dans le temps des intérêts. Pour la plupart, ils ne comprennent pas cette mesure et l'assimilent à une augmentation injustifiée des coûts du matériel. Les réformes entreprises par le PIDAC à ce sujet répondaient au souci de faire payer aux paysans les intérêts réellement dûs et décourager les paiements tardifs. Il est donc suggéré ici qu'en matière de politique économique, la perception que les participants ont de la réglementation l'emporte sur sa conformité aux normes d'équité. Les résultats de l'enquête effectuée par l'auteur sur les sources de paiement des dettes révèlent que tous les paysans de l'échantillon utilisent les revenus de l'arachide comme source principale de remboursement de leur matériel agricole. Le produit des vergers et la vente du bétail constituent des sources secondaires.

Conclusions et recommandations

L'expérience du PIDAC mérite une attention particulière pour deux raisons essentielles:

Le PIDAC s'appuie principalement sur des groupements de producteurs qui constituent le cadre d'exécution des opérations d'encadrement et de vulgarisation de technologies nouvelles. Dans le contexte de la NPA qui utilise, entre autres éléments, le principe de la responsabilisation accrue des organisations paysannes, cette expérience offre un cadre de réflexion sur les aptitudes, la capacité organisationnelle et financière des différents types de groupements paysans à répondre aux fonctions que leur assigne la NPA.

La conception et les détails pratiques du Crédit Spécial ont été élaborés de façon à assurer une utilisation appropriée du crédit et la viabilité financière du programme. L'expérience du PIDAC pourrait être une source d'enseignements utiles aux opérations de la Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal (CNCAS) en Basse Casamance.

Il convient de noter que l'essentiel des thèmes vulgarisés par 1e PIDAC visent l'intensification de la production de céréales par la culture attelée. Cette technologie incorpore des intrants complémentaires (variétés, engrais, insecticides, etc.) et une période d'apprentissage plus ou moins longue. D'un point de vue pratique, ces caractéristiques impliquent des décalages entre bénéfices potentiels et bénéfices réels, et entre la période d'investissement et le moment de réalisation des bénéfices. A moins de tenir compte des exigences des différentes activités financées, le crédit agricole risque de ne pas avoir d'impact décisif. Dans le cas du PIDAC, et malgré l'accent mis sur les céréales, l'arachide et les autres activités agricoles (élevage, arboriculture, etc.) constituent des déterminants majeurs de la capacité de remboursement des paysans. Les revenus de l'arachide et des activités extra-agricoles donnent aux paysans la possibilité de combler leur déficit vivrier, par avec des achats de riz en particulier. Cette situation impose un maintien de l'équilibre entre l'arachide et les autres céréales dans l'assolement paysan et le programme de vulgarisation.

Concernant les aspects organisationnels du crédit, il est probable que les conditions posées, les règles et les procédures adoptées déterminent la compréhension du programme par les paysans. L'enquête a révélé que les réformes du barême des intérêts ont été généralement mal perçues par les paysans. Il semblerait donc préférable d'établir le barême de paiement sur la période de décembre à mars, lorsque les paysans encaissent leurs revenus monétaires. De plus, une campagne d'information sur la gestion des intérêts devra être menée auprès des paysans. Ces mesures faciliteront la compréhension du programme par les paysans tout en réduisant la période de collecte des remboursements. Il semblerait aussi que les efforts de collecte devront être accrus.

Un problème majeur du schéma organisationnel actuel du Crédit Spécial résulte de la volonté de responsabiliser les GP en matière de gestion du crédit et de la nécessité de sélectionner des paysans solvables. La répartition des tâches (le comité d'octroi sélectionne et les membres du GP redistribuent) ne règle pas le problème. En fait, la frustration et la contusion pouvant résulter de la distribution par le GP de matériels largement insuffisants et des sanctions globales risquent d'entamer la solidarité villageoise plutôt que de la faire jouer. Deux recommandations peuvent être faites à ce sujet:

L'octroi des crédits à un GP devrait être lié à l'existence d'une caisse commune alimentée par des revenus de travaux collectifs et/ou des cotisations des membres. Cette caisse commune servirait de garantie pour le GP et constituerait aussi la base économique de sa responsabilisation.

La sélection des bénéficiaires individuels du crédit devrait être collectivement prise en charge par les responsables du programme et du GP. Elle devrait être précédée d'une analyse rigoureuse des capacités de remboursement du postulant. Un certain nombre de critères relatifs au statut du postulant, à la structure et aux performances antérieures de son exploitation peuvent être proposés:

· être chef d'exploitation;
· disposer d'une main-d'œuvre permanente suffisante;
· disposer d'au moins 9 ha de terres cultivables;
· cultiver au moins 5,5 ha la première année, la moitié de cette superficie en arachide;
· disposer de boeufs de trait et avoir une certaine expérience de la culture attelée;
· disposer de revenus extra-agricoles;
· respecter les techniques culturales préconisées par la recherche et le développement;
· avoir une trésorerie non déficitaire.

Une application correcte et systématique de ces procédures permettront probablement de proportionner le crédit alloué à la capacité de remboursement des paysans. En raison du caractère spécialisé de ces informations, la recherche devrait participer à leur collecte et à leur analyse.

Abstract

A special credit scheme ("Crédit Spécial") has been set up by the integrated rural development project PIDAC (Projet Intégré de Développement Agricole de la Basse Casamance) with USAID support. The aim is to increase productivity through the promotion of animal traction, fertilizer use and new cultural strategies. The credit is aimed mainly at producer groups, and is complemented by training programmes and adult literacy to assist credit management by farmers.

The short- and long-term credit is intended exclusively for the purchase of agricultural equipment and inputs. Credit allocation is determined by an assessment of the farmer's needs. Debts are usually repaid in cash or kind during the trading season. During the period under review (1983-86), credit of 156 million FCFA was allocated The number of individual farmers receiving credit rose from 68 in 198483 to 711 in 1985-86, with an average of 200,000 FCFA credit per applicant. Producer groups receiving credit increased from 42 to 85 during the same period A significant decline in repayment rates for fertilizer loans was apparent: 90% repayment in 1983-84 and 54% in 1984-85.

It appears that serious cash flow problems are caused by the purchase of a pair of oxen, costing about 100,000 FCFA. Farm budgets suggest that economic production ratios are higher when farmers use their own animals or otherwise acquire their draft animals without using a credit facility. Surveys carried out by the farming systems team based at Djibélor show that most farmers do obtain draft animals from their own herds. Thus money borrowed to purchase oxen may have been used for other purposes. Most farmers complained about changes in the time and conditions of interest payments. A major source of problems related to attempts to increase the responsibilities of producer groups in credit management. This involves selecting farmers according to their credit worthiness. It is suggested that future credit for producer groups should be linked to a collective fund based on contributions of producer group members and collective work revenues. Credit applications from other individuals should be assessed jointly by producer group members and credit scheme managers.

Remerciements

L'auteur tient à remercier Mrs. Eric Crawford (MSU), Jacques Faye (ISRA), Moustapha Ndiaye et Moustapha Bodian (PIDAC) pour leurs commentaires. Les idées et opinions exprimées dans cette communication n'engagent que l'auteur et ne représentent pas le point de vue officiel de l'ISRA

Références

Ndiamé F. 1986a. Aspects économiques de l'utilisation de la traction bovine et de sa promotion par le biais du Crédit Spécial du PIDAC pour le matériel agricole: étude préliminaire dans la région de Ziguinchor. Mémoire de confirmation. Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA), Dakar, Sénégal. (non publié). 142p. (F).

Ndiamé F. 1986b. La culture attelée dans les systèmes de production de la Basse Casamance: aspects techniques et implications socio-économiques. Document de travail 86-3. Bureau d'analyses macro-économiques, Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA), Dakar, Sénégal. (non publié). (F).

Tabsoba Et K 1982. Crédit agricole et crédit informel dans la région orientale de la Haute Volta: analyse économique, performance institutionnelle et implications en matière de politique de développement agricole. International Development Working Paper No. 2. Department of Agricultural Economics, Michigan State University, East Lansing, Michigan, E-U. (F).


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