La notion de développement durable découle de la reconnaissance des insuffisances des modèles antérieurs de croissance économique et du développement qui ne fournissaient pas une base suffisamment large pour formuler des jugements équilibrés sur les coûts et avantages de diverses politiques et étaient plutôt axés sur les bénéfices à court terme aux dépens des aspirations à plus longue échéance. Le développement durable est simplement celui qui répond aux besoins de la génération actuelle sans compromettre l'aptitude des générations futures à satisfaire leurs propres besoins (Commission mondiale de l'environnement et du développement - CMED, 1987). Le développement compris de cette manière a trait à la qualité de la vie et il ne devrait pas être confondu avec la croissance économique, même si ces deux aspects sont évidemment étroitement liés dans nos systèmes mondiaux modernes. D'autres définitions et règles applicables pour le développement durable précisent la définition ci-dessus de diverses manières, par exemple:
La gestion et la conservation de la base de ressources naturelles, et l'orientation du changement technologique et institutionnel de manière à assurer de façon suivie la satisfaction des besoins des générations présentes et futures. Semblable développement durable conserve les ressources en terres et en eaux, ainsi que les ressources génétiques (végétales et animales); il est respectueux de l'environnement, technologiquement approprié, économiquement viable et socialement acceptable (Conseil de la FAO, 1988).
Utiliser, conserver et valoriser les ressources de la communauté de sorte que les processus écologiques dont la vie dépend soient maintenus et que la qualité totale de la vie puisse être accrue, maintenant et dans l'avenir (Council of Australia Government, ESD, 1992).
Toutes ces définitions reconnaissent que la durabilité des activités visant à subvenir aux besoins de l'homme est assujettie au maintien de fonctions environnementales qui contribuent elles-mêmes, directement et indirectement, au bien-être humain. On entend par là la capacité des processus naturels et de leurs diverses composantes à fournir des biens et services qui satisfont aux besoins de l'Homme.
Une vision du écosystémique du développement durable est axée sur le maintien de leur stabilité et de leur capacité d'adaptation. Le développement durable reconnaît les interdépendances entre les économies humaines et leur environnement, et il tient particulièrement compte de la nécessité de comprendre scientifiquement le fonctionnement et les modifications des écosystèmes.
La pêche est une activité importante dans le monde entier. Elle produit plus de 100 millions de tonnes de poisson et autres produits de la pêche par an, et contribue au bien-être humain en assurant des moyens d'existence à quelque 200 millions de personnes. Plus d'un milliard de personnes, particulièrement dans les pays pauvres de la planète, sont tributaires des produits de la pêche pour satisfaire leurs besoins de protéines animales. La pêche contribue également à la qualité de la vie humaine en satisfaisant des besoins culturels et en procurant d'autres avantages sociaux, par exemple des activités récréatives.
Toutefois, des rapports récents de la FAO (ainsi que d'autres organisations gouvernementales et d'ONG) font naître des doutes sur la contribution des pêches au développement durable. De nombreuses pêcheries sont surexploitées et/ou des ressources halieutiques ont été épuisées, d'où gaspillage de bénéfices potentiels de la pêche.
Les modifications anthropiques des écosystèmes, et notamment des modifications causées par la pêche, compromettent les moyens d'existence des générations présentes et futures. L'industrie de la pêche a une capacité de capture très supérieure à la capacité de production que peuvent conserver les écosystèmes, si bien que les ressources naturelles (poisson et autres éléments du patrimoine tels que mazout et d'autres sources d'énergie non renouvelables), ainsi que le capital financier et les autres ressources humaines ne sont pas utilisés efficacement, aux niveaux mondial, régional, national et local. La mondialisation des marchés du poisson, qui a encouragé le détournement d'une partie importante de la production depuis les marchés locaux et nationaux vers les marchés d'exportation, suscite des préoccupations quant à la répartition des bénéfices qui affecte les conditions de vie de beaucoup d'êtres humains.
Considérée dans le cadre de l'économie mondiale, l'industrie de la pêche est un secteur internationalisé hautement adaptatif, commerçant et dynamique. La pression qu'elle exerce sur les ressources continue de croître en raison de l'augmentation constante de la consommation de poisson dans le monde entier, parallèlement à la croissance ininterrompue de la population ( spécialement dans les zones côtières). Beaucoup de flottilles de pêche sont très mobiles et un rapide progrès technique a accru leur efficacité et limité la capacité individuelle des gouvernements à contrôler la pression de l'exploitation. Divers autres problèmes s'ajoutent à ce dernier, notamment les importantes modifications observables dans la structure des écosystèmes, le gaspillage représenté par les quantités rejetées à la mer, les effets sur les espèces menacées d'extinction, les pertes d'habitats critiques, l'intensification des conflits et confrontations au sujet de l'accès aux pêcheries, et l'octroi de subventions conduisant à des captures excessives et à une surcapacité.
Pour assurer un développement durable des pêcheries il faudra améliorer leur gouvernance et les principaux intéressés devront adopter une nouvelle perspective plus axée sur les résultats à long terme. À cet effet, il serait nécessaire:
Un cadre juridique sous la forme de principes d'aménagement des pêcheries a déjà été fourni par la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS, 1982), ainsi que dans l'Accord aux fins de l'application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poisson dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs (UNIA)2 et le Code de conduite pour une pêche responsable de la FAO (1995).
Pour placer les pêcheries dans un contexte de développement durable, les politiques doivent viser spécifiquement à trouver un équilibre entre le présent et l'avenir pour ce qui a trait à l'appauvrissement des stocks de poisson, ainsi qu'aux effets perturbateurs de l'activité de pêche (ou d'autres activités économiques), des agglomérations côtières et du rejet des déchets dans les grands écosystèmes marins. Il y a plusieurs objectifs à considérer sous la rubrique «développement durable des pêcheries»:
Il faut maintenant des indicateurs permettant de déterminer comment ces objectifs particuliers sont effectivement poursuivis et si les objectifs plus généraux du développement durable sont en voie de réalisation.
Une part importante des objectifs généraux du développement durable seront compatibles avec les buts du le secteur des pêches tels que la conservation des stocks et la préservation des habitats de poissons. Mais, il en est d'autres qui pourront limiter la manière dont, ou la mesure dans laquelle, le secteur de la pêche pourra poursuivre ses propres buts. Ainsi par exemple, la nécessité de protéger des oiseaux de mer en danger de disparition pourra conduire à apporter des restrictions à des méthodes de pêche particulières et contraindre le développement durable d'un groupe de l'industrie. Une politique de développement donnant la priorité à des groupes de population particuliers pourra aussi affecter la manière dont l'accès aux ressources halieutiques est réglementé. De manière analogue, la pêche pourra être restreinte ou complètement exclue dans certaines zones parce que la priorité est accordée à une autre activité telle qu'une industrie extractive, l'aquaculture, le tourisme ou la conservation de la nature.
L'aménagement des pêcheries dans l'optique du développement durable est une activité multidimensionnelle et à plusieurs niveaux qui doit prendre en considération un éventail de questions plus large que la simple survie des stocks de poissons et les pêcheries. Il nécessite une information - et donc des indicateurs - sur beaucoup plus de dimensions que les stocks de poissons et l'activité de pêche. Les modifications de l'activité des pêcheries devraient être évaluées par rapport aux forces prédominantes du changement économique et écologique qui influent aussi bien sur la demande que sur l'offre de poisson. Parmi ces forces extérieures, il faudra notamment tenir compte des revendications concurrentes en matière d'utilisation et de gestion des écosystèmes marins.
La figure 1 montre la corrélation entre un aménagement conventionnel des pêcheries, axé sur la gestion des stocks cible à l'intérieur d'une unité d'aménagement telles qu'une pêcherie, et le développement durable du secteur des pêches sur la base d'un Système de référence pour le développement durable (SRDD - décrit en détail ci-après) qui emploie des indicateurs et des points de référence. De toute évidence, certains indicateurs seront les mêmes à ces différentes échelles, mais la mesure dans laquelle ils le seront dépendra beaucoup de l'ampleur et de la focalisation des objectifs dans le secteur de la pêche lui-même et dans l'unité d'aménagement. L'aménagement des pêcheries de type classique prend en considération depuis longtemps les questions de développement durable, mais la tendance moderne est à l'élargissement du concept d'aménagement de manière à inclure davantage de dimensions du système et d'autres pêcheries et éléments du système considérés de moins près.
La prise de décisions dans la pêche suppose la conciliation d'objectifs et intérêts concurrents (dans le secteur de la pêche et par delà cette communauté) qui sont exprimés dans toute une variété de vocabulaires et à divers niveaux. Les indicateurs et l'information devraient être d'une qualité propre à faciliter la communication entre tous ceux qui ont un intérêt dans les pêcheries et la coordination de leurs actions.
Figure 1. Corrélation entre des systèmes d'aménagement conventionnels et un Système de référence pour le développement durable (SRDD)
Comme on l'a déjà dit, les indicateurs ont pour but de favoriser la communication, la transparence, l'efficacité et la responsabilisation pour ce qui concerne l'aménagement des ressources naturelles. Ils facilitent l'évaluation des résultats produits par les politiques halieutiques et par l'aménagement des pêcheries aux niveaux mondial, régional, national et local. Ils sont un instrument facile à comprendre pour décrire l'état des ressources halieutiques et l'activité de pêche, et pour évaluer les tendances par rapport aux objectifs de développement durable. Dans un processus de mesure des progrès accomplis vers le développement durable, l'adoption d'un ensemble d'indicateurs devrait aussi stimuler l'action entreprise.
Les indicateurs ne sont pas une fin en eux-mêmes. Ils sont un instrument qui doit aider à effectuer des évaluations claires et des comparaisons soit entre pêcheries soit entre années pour une pêcherie donnée. Ils indiquent en termes simples la mesure dans laquelle les objectifs adoptés en matière de développement durable sont effectivement réalisés.
Les indicateurs peuvent être assimilés aux instruments qui se trouvent à bord d'un bateau de pêche, qui indiquent au capitaine la direction et la vitesse du bateau, la quantité de carburant restante et l'état des systèmes de commande nécessaires pour que le navire puisse poursuivre sûrement ses opérations. Ils font apparaître les risques potentiels dans la route du navire, mais il appartiendra au capitaine de juger des dangers et changer de direction. Comme les instruments du tableau de bord, les indicateurs récapitulent de grandes quantités d'informations en quelques signaux appropriés dont le capitaine a besoin pour intervenir.
Les indicateurs fournissent des informations de deux façons complémentaires:
Le développement durable soulève des questions différentes, à différents niveaux. Avec un ensemble approprié d'indicateurs, l'état observable et les tendances des ressources halieutiques et des pêcheries peuvent être soit évalués intrinsèquement (par exemple du point de vue de la durabilité d'une activité de pêche ou de la ressource), soit étudiés dans l'optique du développement durable dans un cadre social et écologique plus large. Si l'on veut utiliser des indicateurs pour les pêcheries marines, il y a lieu d'adopter les deux perspectives à la fois.
Des indicateurs peuvent aider à simplifier et à harmoniser l'information à divers niveaux. Par exemple, au niveau mondial, les pays sont contraints par divers accords internationaux à rendre compte des progrès accomplis sous de nombreux angles du développement durable. Les indicateurs peuvent aider les pays à rationaliser leurs contributions aux rapports et évaluations à l'échelle mondiale, et à stimuler les échanges d'expérience et les comparaisons entre pays.
Au niveau régional, les indicateurs peuvent aider à harmoniser les stratégies pour l'aménagement des ressources transfrontières et à mesurer la santé générale des grands écosystèmes marins. Au niveau national, les pays peuvent se servir d'indicateurs pour préparer un tableau donnant une idée globale du secteur des pêches et son environnement.
Dans le secteur des pêches, les indicateurs sont un outil utilisable aux fins de l'aménagement des pêcheries parce qu'ils permettent de raccorder les objectifs avec l'action entreprise. Par exemple, un indicateur tel qu'une l'estimation de la biomasse actuelle obtenue à partir d'un modèle d'évaluation du stock peut contribuer à faire décider d'une limite pour les captures de l'année suivante. Des indicateurs peuvent également être utilisés pour mettre en route un plan d'aménagement plus général, par exemple un modèle mieux intégré d'aménagement d'une zone côtière.
Les indicateurs précédemment utilisés pour l'aménagement des pêcheries étaient généralement de type biologique et avaient tendance à être axés sur certaines espèces. Il faudra en élargir l'éventail pour évaluer les progrès accomplis dans le sens du développement durable, et utiliser notamment des indicateurs axés sur les objectifs écologiques, sociaux, économiques et institutionnels plus généraux.
Des indicateurs peuvent faciliter un processus de décision efficace ainsi que la formulation des politiques à tous les stades du cycle de décision - à savoir l'identification des problèmes, et la formulation, la mise en _uvre et l'évaluation des politiques. Dans les pays développés, de nombreuses pêcheries sont évaluées en utilisant des modèles de plus en plus complexes qui nécessitent des données. Les modèles ainsi obtenus sont souvent très compliqués et leur présentation peut varier considérablement de l'un à l'autre. Étant donné que les conclusions doivent être présentées de façon simple et compréhensible, les indicateurs jouent un rôle important dans la communication des résultats scientifiques aux décideurs. Dans de nombreux pays en développement (et souvent dans des pays développés), les coûts de la collecte et de l'analyse des données que nécessitent ces modèles peuvent être très élevés et il n'est donc pas possible de recueillir tous les renseignements nécessaires: un ensemble d'indicateurs peut donc simplifier le processus d'évaluation et de communication des informations.