La FAO mettait au point des programmes nationaux d’appui à la sécurité alimentaire dans certains pays africains. Ils comportaient notamment des déploiements à long et moyen termes d’experts issus de pays du Sud comme la Chine, le Viet Nam et l’Égypte. Il y a quinze ou vingt ans, plusieurs pays ont été en mesure d’envoyer leurs techniciens à l’étranger pendant de longues périodes, pour que ceux-ci transmettent leur savoir. Aujourd’hui, il arrive que ces pays aient besoin de leurs experts sur leur territoire, et ils les font désormais revenir trois à quatre semaines pour former des formateurs nationaux qui pourront transmettre ces enseignements plus largement.
Au pic de la pandémie de covid-19, nous avons constaté que les outils numériques avaient été plébiscités pour transmettre des connaissances.
Nous constatons aussi que de plus en plus de bailleurs de fonds issus du Nord participent: c’est ce qu’on appelle la coopération triangulaire. Des pays comme le Japon, la République de Corée et les Pays-Bas sont des partenaires triangulaires: ils ont exprimé leur intérêt de s’inscrire dans l’histoire de la coopération Sud-Sud.
On peut ainsi citer l’exemple de l’Espagne qui finance la Namibie pour que celle-ci puisse recevoir un appui technique du Viet Nam en matière d’aquaculture. Il y a donc eu une évolution majeure: en vingt ans est venue s’ajouter à la coopération Sud-Sud la coopération triangulaire, qui complète la collaboration entre partenaires du Sud.
Les projets de coopération Sud-Sud se transforment de plus en plus en projets de coopération triangulaire...
Le programme de fonds fiduciaires FAO-Chine a eu des retombées considérables. L’un des aspects du programme a été de donner à des pays la possibilité de mettre en place leur propre fonds fiduciaire, avec l’aide de la FAO, de manière à renforcer le savoir-faire dans le secteur agricole. Ainsi, grâce à la création d’un fonds fiduciaire d’environ 40 millions d’USD, le Nigéria a pu accueillir des spécialistes chinois, qui ont apporté des solutions techniques et des innovations utiles.
La deuxième grande réussite est celle du programme brésilien de repas scolaires qui a été adapté à un certain nombre de pays africains, parmi lesquels le Sénégal, l’Éthiopie et le Malawi. Le modèle national brésilien a consisté à solliciter des exploitants pratiquant l’agriculture familiale pour fournir les écoles. Les agriculteurs ont ainsi pu produire davantage et améliorer leurs revenus, tandis que les enfants en âge d’aller à l’école consommaient des aliments plus nutritifs. Cette expérience montre sans équivoque qu’il est possible de transposer une méthode à un autre continent, où elle peut être appliquée avec succès.
La langue est l’une des principales difficultés à surmonter. C’est moins le cas aujourd’hui, car la FAO prend le temps de travailler avec les pays pour organiser des formations linguistiques et culturelles intensives avant les déploiements. Elles ont pour objet non seulement de permettre aux équipes qui travaillent ensemble d’échanger, mais aussi de faciliter la compréhension des instructions des outils techniques et des machines, parfois écrites dans des langues que les populations des pays bénéficiaires ne connaissent pas. Ces difficultés ont été prises en compte et des stratégies ont été mises en place: on accorde plus d’attention à la langue et on choisit les spécialistes en fonction de leurs compétences linguistiques et pas uniquement sur la base de leurs capacités techniques. Dans le processus d’appariement, la langue est un facteur qui compte. Par exemple, le Brésil, le Mozambique et l’Angola, tous trois lusophones, sont parvenus à collaborer, tandis que des spécialistes marocains francophones ont été envoyés en Guinée.
Pour ce qui est des barrières culturelles, on pourrait en réalité citer une foule d’exemples de cultures qui se rejoignent. Ainsi, selon le pays d’où l’on vient, on ne mange pas aux mêmes heures, mais au bout de trois ou quatre semaines de déploiement, ce sont les ressemblances entre les différents pays qui ressortent, plutôt que les différences. Avec le temps, on bâtit des relations, qui permettent de surmonter sans peine les obstacles.
Des lusophones en Angola et au Mozambique, des francophones en Guinée...
L’apprentissage pratique facilite le transfert de compétences, d’innovations et de technologies, en particulier sur les lieux d’exploitation. Quand on est en mesure d’observer soi-même ce qui est fait, on peut plus facilement le reproduire, ce qui est plus efficace que d’envoyer un manuel ou de communiquer un programme de formation, par exemple. Il existe certes des cours de formation en ligne, mais ce n’est pas la même chose que d’envoyer un technicien ou une technicienne sur une parcelle de démonstration dans un pays donné.
L’Afrique cherche à accélérer les phases de son développement économique...
Lorsqu’on regarde certains pays du Sud, on constate qu’ils ont beaucoup de points communs avec leurs homologues africains. La Chine, le Viet Nam et la Malaisie, par exemple, n’ont connu un développement rapide que relativement récemment. Les Africains estiment donc que s’ils peuvent apprendre de leurs homologues chinois, ils pourraient trouver plus facilement des solutions aux problèmes que la Chine a déjà affrontés et surmontés, et ainsi éviter un certain nombre d’erreurs.
Par ailleurs, il y a aussi de nombreux échanges commerciaux agricoles entre pays du Sud, ce qui témoigne de la bonne volonté politique et de la solidarité qui existent entre ces pays et stimule l’apprentissage mutuel. Choisir la coopération Sud-Sud comme modalité de développement est donc tout indiqué.
Il est essentiel que les pays bénéficiaires s’approprient les projets entrepris dans le cadre de la coopération Sud-Sud, car si ces activités ne sont pas intégrées aux programmes nationaux mis en œuvre par les gouvernements africains, elles n’auront pas d’effets durables. La seule manière d’assurer leur viabilité est d’intégrer les pratiques optimales et les innovations dans les programmes nationaux et de les transposer à l’échelle du pays.
Deuxième point important: le secteur privé, qui peut contribuer à généraliser l’adoption de solutions nouvelles. Les gouvernements n’ont qu’un pouvoir limité, mais ceux qui ont le capital nécessaire peuvent favoriser la prise en main rapide d’innovations et de techniques.
Oui, ce sera effectivement le cas, en particulier pour les pays africains à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, qui financeront leurs propres programmes Sud-Sud. Par exemple, la Sierra Leone souhaite créer un fonds fiduciaire unilatéral avec la FAO pour pouvoir bénéficier de l’expérience du Viet Nam en matière d’irrigation et de chaîne de valeur du riz. Il y aura donc davantage de pays d’Afrique subsaharienne finançant leur propre développement agricole et choisissant les pays desquels ils souhaitent apprendre.
Par ailleurs, davantage de pays du Nord participeront à des projets de coopération triangulaire, car c’est une situation bénéfique pour toutes les parties. Ils sont de plus en plus nombreux à commercer avec des pays africains; c’est aussi le cas des économies émergentes d’Amérique latine, comme le Mexique et l’Argentine. Ils échangent avec l’Afrique et cherchent des partenaires commerciaux à leur niveau.
La coopération triangulaire est bénéfique pour toutes les parties...