À mesure que l’agriculture s’intensifie, des éléments de preuve convergents montrent l’étendue et la gravité de la dégradation des terres (carte S.7) – érosion du sol, épuisement du stock d’éléments nutritifs et augmentation de la salinité. La dégradation anthropique touche 34 pour cent (1 660 millions d’hectares) des terres agricoles (tableau S.2). La mise en culture de zones de qualité marginale et le renforcement de l’intensification sur les terres cultivées existantes sont limités par l’érosion des sols et l’épuisement des stocks de carbone et d’éléments nutritifs ainsi que de la biodiversité des sols. L’emploi d’engrais inorganiques dans les sols pour accroître ou maintenir les rendements a porté gravement atteinte à la santé de ces sols et a contribué à polluer les eaux douces du fait du ruissellement et du drainage.
L’encadré S.1 résume la méthode utilisée pour évaluer la dégradation des terres à l’échelle mondiale, à partir d’une adaptation du Système mondial d’information sur la dégradation des terres (GLADIS).
L’indice de l’état biophysique et l’indice tendanciel globaux sont déterminés à l’aide d’une méthode GLADIS (Système mondial d’information sur la dégradation des terres) adaptée. Celle-ci consiste à appliquer l’approche d’un système d’information géographique afin de calculer des indices d’état biophysique et des indices tendanciels séparés pour six composantes – la biomasse, la santé du sol, la quantité d’eau, la biodiversité, les services économiques et les services culturels. Ces indices sont ensuite combinés pour donner un indice d’état et un indice tendanciel globaux. Les tendances correspondent strictement à des variations dans le temps.
Les cartes globales d’état biophysique, de tendance et de pression cumulative représentent trois dimensions distinctes de la dégradation des terres. Lorsqu’on les associe, elles fournissent un éclairage sur les relations entre les schémas, les processus et leurs causes. Les régions exposées à un risque apparaissent lorsqu’on combine l’état global et la tendance globale. Les zones qui sont en mauvais état biophysique et qui sont exposée à la détérioration courent le risque de finir dans un état dégradé. Celles qui sont en bon état biophysique mais qui sont exposées à une détérioration importante sont également exposées selon toute probabilité. Intégrer la pression exercée par les activités humaines, l’état biophysique des sols et les tendances associées est une première étape pour distinguer la dégradation d’origine naturelle de la dégradation d’origine anthropique.
Les cartes publiées dans des revues à comité de lecture fournissent les couches d’entrée. Les critères de sélection de ces cartes sont leur disponibilité, la possibilité de les utiliser directement, leur pertinence à en croire les travaux publiés et la date de publication.
L’état biophysique des ressources en terres repose sur neuf couches d’entrée qui rendent compte de la situation actuelle (ou de la dernière situation connue) de ces ressources sur le plan biophysique: disponibilités en éléments nutritifs, teneur en carbone organique, taux d’érosion par l’eau, érosion éolienne, recharge des aquifères, stress hydrique, richesse en espèces locales, biomasse épigée et surfaces artificialisées (bâti urbain et infrastructures).
La tendance repose sur sept couches d’entrée indiquant l’évolution des sols, de l’eau, de la végétation et de la densité de population: variation de l’érosion des sols, de la protection des sols, de l’eau douce, du stress hydrique, de la productivité des terres et de la biomasse forestière. Le facteur temps varie entre 10 et 20 ans.
Les facteurs anthropiques directs servent à estimer la pression exercée par les activités humaines: extension agricole, déforestation, étendue et fréquence des incendies, densité de pâturage, densité de population et rapport espèces envahissantes/espèces locales.
Les régions exposées sont de vastes zones contiguës dont l’état biophysique est mauvais et qui subissent une détérioration forte ou légère. Les régions où la détérioration est importante et qui comportent des zones dont l’état biophysique est tantôt bon tantôt mauvais sont également exposées. Les régions stables ou en amélioration ne courent actuellement aucun risque.
La définition des catégories de dégradation des terres repose sur la tendance à la détérioration des terres et sur la présence de facteurs anthropiques. Une tendance fortement négative coïncidant avec une forte pression caractérise une importante dégradation anthropique des terres. La résilience des terres (c’est-à-dire leur capacité à résister aux pressions anthropiques) joue également un rôle, comme lorsque des facteurs anthropiques forts ne coïncident pas avec des tendances négatives
À l’échelle mondiale, la superficie des terres dont l’état biophysique décline est de 5 670 millions d’hectares, dont 1 660 millions d’hectares (29 pour cent) pour lesquels le déclin est attribué à une dégradation due à l’activité humaine. Les 4 026 millions d’hectares restants sont considérés comme étant détériorés, la détérioration pouvant avoir été causée par des processus naturels ou être d’origine anthropique. La moitié environ des terres détériorées affichent un mauvais état biophysique et sont probablement plus sensibles aux processus de dégradation que les zones en bon état. Quelque 656 millions d’hectares, soit 12 pour cent du total des terres dont l’état biophysique décline, sont soumis à une pression modérée, ce qui pourrait être suffisant pour déclencher une dégradation anthropique. La plupart de ces régions sont probablement touchées par une dégradation anthropique des terres, ce qui signifie que 41 pour cent environ du déclin mondial peut être attribué à une dégradation anthropique.
Le tableau S.3 présente une décomposition par région de l’estimation mondiale de dégradation anthropique des terres. Un cinquième des terres dégradées par les activités humaines se situent en Afrique subsaharienne; vient ensuite l’Amérique du Sud, avec 17 pour cent. L’Amérique du Nord fait à peu près cinq fois la taille de l’Asie du Sud, mais les deux régions représentent chacune 11 pour cent de la dégradation mondiale. En valeur relative, l’Asie du Sud est la région la plus touchée, puisque 41 pour cent de sa superficie présente une dégradation anthropique et que cette dégradation est forte sur 70 pour cent de la superficie concernée. Viennent ensuite l’Asie du Sud-Est, avec 24 pour cent, dont 60 pour cent de dégradation grave, et l’Asie de l’Ouest, avec 20 pour cent, dont 75 pour cent fortement touchés. Les déserts ne sont pas compris dans ces estimations.
La dégradation anthropique des terres touche principalement les terres agricoles. Alors que ces dernières ne constituent que 13 pour cent des catégories de couverture des sols à l’échelle mondiale (11 477 millions d’hectares), les terres agricoles dégradées représentent 29 pour cent de l’ensemble des terres dégradées. Presque un tiers des terres cultivées sans irrigation et près de la moitié des terres irriguées font l’objet d’une dégradation anthropique (tableau S.4). Les herbages et les couverts arbustifs utilisés comme espaces pâturés ou comme sources de fourrage ont reculé de 191 millions d’hectares sur 20 ans, pour atteindre 3 196 millions d’hectares en 2019, et ont été convertis en terres cultivées. Quelque 13 pour cent des herbages sont dégradés en raison de pressions anthropiques élevées, et 34 pour cent présentent un état biophysique réduit du fait d’un surpâturage et d’une mobilité inadéquate des animaux d’élevage, qui entraînent un compactage et une érosion du sol, ce qui influe sur le fonctionnement de celui-ci, sur la croissance des plantes et sur les services hydrologiques. La production animale intensive, qui s’est développée rapidement afin de répondre à la demande croissante de viande, en particulier dans les pays à revenu intermédiaire ou élevé, exerce une pression localement sur les ressources en eau et en terres nécessaires à la production également intensive d’aliment et de fourrage pour les animaux. La concentration des intrants et des déchets de l’élevage a entraîné une utilisation accrue d’énergie issue des combustibles fossiles ainsi qu’une hausse des émissions de méthane et de la pollution ponctuelle de l’eau par les éléments nutritifs et les antibiotiques.
Plus de 60 pour cent des zones irriguées sont dégradées en Afrique du Nord, en Asie du Sud et dans la région Moyen-Orient/Asie de l’Ouest. Les zones dégradées les plus étendues se trouvent dans hémisphère Nord, à l’exception de l’Asie du Sud-Est. À l’échelle mondiale, 38 pour cent seulement des terres irriguées sont dans un état stable.
Au Moyen-Orient et en Asie de l’Ouest, les facteurs déterminants de la dégradation sont l’extension agricole, le pâturage et l’accessibilité; tandis que dans les zones densément peuplées d’Asie de l’Est et du Sud, la bonne accessibilité et la densité de pâturage élevée exercent de fortes pressions sur les champs irrigués. Le pâturage, l’accessibilité et la déforestation entraînent le changement environnemental des terres cultivées irriguées d’Asie du Sud-Est. Dans l’est des États-Unis d’Amérique, ce sont principalement le pâturage, l’accessibilité et l’extension agricole qui contribuent à la pression d’expansion de l’irrigation.
Les situations de déclin de l’état biophysique en Asie de l’Est et dans la région Moyen-Orient/Asie de l’Ouest sont principalement dues à des disponibilités en eau douce qui baissent, un stress hydrique qui augmente, une protection des sols qui diminue et une population qui croît. On retrouve des processus de dégradation similaires en Asie du Sud. Les principaux processus de dégradation en Asie du Sud-Est sont des taux d’érosion croissants, une biomasse forestière en baisse rapide et une population en hausse. Dans l’est des États-Unis d’Amérique, ce sont plutôt le recul des disponibilités en eau douce et la perte de protection des sols. Des problèmes similaires se posent dans l’ouest des États-Unis d'Amérique , mais il s’y ajoute la pression exercée par une densité de population en augmentation.