Les femmes occupent des rôles importants dans les systèmes agroalimentaires, puisqu’elles sont aussi bien agricultrices que travailleuses familiales non rémunérées, commerçantes, travailleuses salariées ou cheffes d’entreprise. Toutefois, comme nous l’avons souligné dans le chapitre 1, si cette participation aux systèmes agroalimentaires évolue au fil du temps dans le sillage du développement économique, les conditions de travail des femmes et leurs effets restent directement influencés par les déséquilibres qui existent entre femmes et hommes en termes de pouvoir de négociation, tant au niveau du ménage que de la communauté et de la société dans son ensemble.
Le présent chapitre est consacré aux activités qu’exercent les femmes et les hommes dans les systèmes agroalimentaires, qu’elles soient rémunérées ou non, ainsi qu’à leurs particularités et à leur évolution depuis 2011, date de parution du rapport sur La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2010-20111. (Reportez-vous à l’encadré 2.1, qui explique le sens donné à la notion d’«emploi» dans le présent rapport, et à l’annexe A, dans laquelle vous trouverez une classification des activités liées aux systèmes agroalimentaires ainsi que des renseignements sur les sources de données.) Le chapitre s’intéresse aux facteurs qui sous-tendent les disparités entre les femmes et les hommes en ce qui concerne la structure de l’emploi et les résultats économiques. Il met en exergue, lorsque cela est possible, la manière dont l’âge, l’appartenance ethnique, le statut socioéconomique et migratoire et d’autres facteurs sociaux s’entrecroisent avec le genre, accentuant ainsi les préjudices et les inégalités, et montre comment la charge de travail non rémunéré des femmes compromet encore davantage leur émancipation économique.
La façon dont on définit l’emploi (par exemple, selon que l’on choisisse ou non de considérer l’agriculture de subsistance comme un emploi ou de prendre en compte la diversité des activités de production exercées par les hommes et les femmes) détermine en grande partie la mesure de l’emploi des femmes et des hommes et la composition de l’emploi dans les systèmes agroalimentaires.
Dans les systèmes agroalimentaires, les femmes et les hommes peuvent être des travailleurs indépendants (avec des employés ou sans employés, auquel cas on les désigne comme étant des «personnes travaillant pour leur propre compte»), des travailleurs familiaux dans les exploitations et les entreprises agroalimentaires familiales ou des travailleurs salariés dans des entreprises agroalimentaires familiales ou commerciales. Ils peuvent aussi travailler en entreprise à différents niveaux et pour différents marchés, à l’échelle locale ou internationale, ou encore se livrer à des activités de production destinées principalement à leur propre consommation. L’ensemble de ces activités relèvent du travail dans le contexte des systèmes agroalimentaires, mais toutes n’entrent pas dans la catégorie de l’emploi, qui ne comprend que les activités exercées en contrepartie d’une rémunération ou d’un profit. La décision de distinguer le travail de l’emploi a été prise en 2013 lors de la 19e Conférence internationale des statisticiens du travail1. Ainsi, la production essentiellement vouée à la consommation personnelle, à l’image de l’agriculture de subsistance, est désormais classée comme une forme de travail, mais n’est plus considérée comme un emploi.
Les changements apportés à la définition de l’emploi peuvent causer une rupture importante dans les statistiques de l’emploi dans le temps, comme on peut le voir à la figure A avec les exemples de l’Ouganda et de la Sierra Leone. Dans les deux pays, une part importante d’hommes et de femmes actifs travaillent dans l’agriculture de subsistance – jusqu’à 50 pour cent des femmes actives dans le cas de la Sierra Leone. Ainsi, les chiffres de l’emploi en général et de l’emploi dans les systèmes agroalimentaires diminuent fortement lorsque l’on exclut l’agriculture de subsistance des estimations relatives à l’emploi.
Étant donné l’importance de la production destinée à la consommation personnelle pour la sécurité alimentaire dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, le rôle joué par les femmes dans la production et la nécessité de comprendre l’évolution de la structure du marché du travail, nous privilégions la définition plus large de l’emploi, qui correspond à celle qui lui était donnée avant la 19e Conférence internationale des statisticiens du travail.
À l’échelle mondiale, la part des femmes et des hommes travaillant dans les systèmes agroalimentaires a reculé de près de 10 points de pourcentage entre 2005 et 2019. En 2019, les systèmes agroalimentaires employaient 36 pour cent des femmes actives, contre 44 pour cent en 2005, et 38 pour cent des hommes actifs, contre 47 pour cent (figure 2.1). Cette diminution s’explique par le recul de l’emploi dans la production agricole primaire, la proportion des personnes travaillant dans les segments non agricoles des systèmes agroalimentaires étant restée la même.
L’emploi des femmes dans les systèmes agroalimentaires décline de manière patente dans toutes les régions, à l’exception de l’Asie du Sud, où il demeure stable (figure A2 de l’annexe A). Dans cette région, les tendances sont principalement déterminées par l’Inde, où la participation à la population active est faible chez les femmes dans leur ensemble – seule une femme sur cinq environ travaille ou cherche un emploi – mais relativement élevée parmi les femmes les plus pauvres, qui sont tributaires de l’agriculture2.
Si les systèmes agroalimentaires restent le principal pourvoyeur d’emplois pour les femmes comme pour les hommes en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, ils constituent une source de revenus bien plus importante pour les premières que pour les seconds. En Afrique subsaharienne, 66 pour cent des emplois occupés par des femmes le sont dans les systèmes agroalimentaires, contre 60 pour cent pour les hommes (figure A2 de l’annexe A). En Asie du Sud, 71 pour cent des femmes actives sont employées dans les systèmes agroalimentaires, contre 47 pour cent des hommes. Dans la région, les débouchés offerts par d’autres secteurs semblent se développer plus rapidement pour les hommes que pour les femmes, comme en témoigne la forte diminution de la part de la population active masculine travaillant dans les systèmes agroalimentaires ces 10 dernières années alors que, pendant la même période, la proportion de femmes actives travaillant dans le secteur n’a pas évolué.
Au niveau mondial, les hommes sont plus nombreux que les femmes à travailler dans les systèmes agroalimentaires, mais celles-ci représentent 50 pour cent des travailleurs du secteur en Afrique subsaharienne et plus de 40 pour cent dans plusieurs autres régions (figure 2.2). La proportion de femmes parmi les travailleurs des systèmes agroalimentaires varie considérablement d’un pays à l’autre, y compris au sein d’une même région. À titre d’exemple, les femmes représentent 36 pour cent des travailleurs du secteur dans la région Amérique latine et Caraïbes, mais ce pourcentage s’élève à 54 pour cent dans l’État plurinational de Bolivie. Dans nombre de pays de la région, la part des travailleuses au sein des systèmes agroalimentaires a augmenté depuis 2005: elle a progressé de 9 points de pourcentage en El Salvador, de 8 points en Colombie et de 6,3 points en Équateur. En Asie du Sud, les estimations régionales sont fortement influencées par l’Inde, où la part des travailleuses dans les systèmes agroalimentaires a reculé d’un point de pourcentage entre 2005 et 2019, mais la situation est très différente dans plusieurs autres pays de la région. Au Népal, par exemple, 64 pour cent des travailleurs des systèmes agroalimentaires étaient des femmes en 2019, ce qui correspond à une hausse de 8,4 points de pourcentage depuis 2005. Au Bangladesh, la proportion de travailleuses dans le secteur est passée de 36,2 à 45,3 pour cent entre 2005 et 2019, tandis qu’en Afghanistan, elle est passée de 25,6 pour cent en 2005 à 33,7 pour cent en 2019.
Les systèmes agroalimentaires sont les premiers employeurs des jeunes de moins de 25 ans. Ce constat est particulièrement vrai dans les pays d’Afrique subsaharienne, où près de la moitié de la population est actuellement âgée de moins de 25 ans et où, selon la Banque mondiale, le nombre de jeunes âgés de 15 ans augmentera d’un demi-million par an entre 2015 et 2035i. Selon les données issues de l’échantillon de 11 pays d’Afrique subsaharienne présenté à la figure A, plus de 50 pour cent des travailleurs de moins de 25 ans sont employés dans les systèmes agroalimentaires dans la totalité de ces pays. Les systèmes agroalimentaires jouent également un rôle de taille dans l’emploi de la jeunesse dans les trois pays de l’échantillon qui ne font pas partie de l’Afrique subsaharienne, à savoir la Géorgie, le Guatemala et le Pérou.
Dans la plupart des pays, les systèmes agroalimentaires sont une source d’emploi plus importante pour les femmes que pour les hommes, quel que soit leur âge. Le rapport entre l’emploi dans les systèmes agroalimentaires et l’âge suit une courbe en forme de U dans beaucoup de pays, et dans plusieurs d’entre eux, cette courbe est particulièrement marquée pour les hommes. Parmi les jeunes (âgés de 15 à 24 ans) qui intègrent le marché du travail dans les systèmes agroalimentaires, on observe une proportion plus élevée de femmes que d’hommes dans six pays, une proportion comparable dans cinq pays et une proportion plus élevée d’hommes que de femmes dans trois pays. On constate ensuite une diminution de la participation aux systèmes agroalimentaires entre 25 et 35 ans, qui est plus prononcée chez les hommes que chez les femmes dans la quasi-totalité des cas. Les disparités entre les femmes et les hommes en matière de mobilité peuvent contribuer à expliquer ce phénomène: les femmes de cette tranche d’âge assument en effet davantage de responsabilités en ce qui concerne les travaux domestiques et la garde des enfants, ce qui peut limiter leur capacité à trouver un emploi loin de leur foyer et en dehors des systèmes agroalimentaires.
Le pourcentage d’hommes et de femmes travaillant dans les systèmes agroalimentaires repart à la hausse après 35 ans – à un rythme plus soutenu chez les hommes – et l’écart entre femmes et hommes en matière de participation aux systèmes agroalimentaires se réduit progressivement, jusqu’à disparaître à l’âge de 65 ans dans la quasi-totalité des pays d’Afrique subsaharienne de l’échantillon.
EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE ET EN ASIE DU SUD, LES FEMMES DÉPENDENT BIEN DAVANTAGE QUE LES HOMMES DES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES pour ASSURER LEUR SUBSISTANCE.
En 2019, à l’échelle mondiale, les femmes représentaient 38 pour cent des travailleurs agricoles dans les secteurs de la production végétale, de l’élevage, de la pêche et des forêts, soit un recul d’un seul point de pourcentage par rapport à l’année 2000. Les femmes ne constituent pas la majorité des travailleurs agricoles au niveau mondial et leur proportion dans le secteur agricole n’augmente pas dans la plupart des régions (figure 2.3), ce qui laisse peu de raisons de croire à une «féminisation de l’agriculture» aux niveaux mondial ou régional.
Toutefois, les données régionales masquent des disparités importantes entre les pays en ce qui concerne la part des femmes dans l’agriculture et son évolution. En général, les femmes occupent une part plus grande des emplois agricoles dans les pays économiquement moins développés, où elles n’ont que très peu de possibilités d’exercer un emploi non agricole, en raison d’un niveau d’instruction insuffisant, d’un accès limité aux infrastructures essentielles et aux marchés, d’une lourde charge de travail non rémunéré et de piètres perspectives d’emploi rural en dehors de l’agriculture. Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, les femmes représentent bien plus de 50 pour cent de la main-d’œuvre agricole. Dans plusieurs pays d’Asie du Sud-Est, notamment le Cambodge, la République démocratique populaire lao et le Viet Nam, la proportion de femmes dans le secteur agricole est élevée (environ la moitié de la main-d’œuvre agricole est féminine) et s’est maintenue à ce niveau au cours des 15 dernières années. L’agriculture est aussi le principal pourvoyeur d’emplois pour une plus grande proportion de femmes que d’hommes au Bangladesh, en Inde, au Pakistan et dans d’autres pays d’Asie du Sud, mais les femmes employées ou à la recherche d’un emploi (dans la population active) étant moins nombreuses dans la région, leur forte présence dans le secteur agricole se reflète moins dans les estimations mondiales et régionales3.
Par ailleurs, la part des femmes dans la main-d’œuvre agricole est plus élevée ou en augmentation par rapport à celle des hommes dans les zones rurales marquées par une forte émigration masculine. Il s’agit là d’un facteur qui semble contribuer aux taux de participation élevés des femmes au travail agricole dans les pays à revenu faible ou intermédiaire d’Asie du Sud, d’Asie centrale, d’Amérique latine et des Caraïbes. L’émigration masculine et la féminisation de l’agriculture ne vont pas toujours de pair avec un meilleur bien-être et une plus grande autonomie pour les femmes qui restent dans les zones rurales, et ce en raison de l’influence de certains facteurs socioéconomiques et culturels (voir l’encadré 2.3).
La «féminisation de l’agriculture», c’est-à-dire le renforcement progressif du rôle des femmes dans le secteur agricole par rapport aux hommes, a fait l’objet d’une attention considérable au cours des deux dernières décenniesi, ii, iii, iv. L’émigration des hommes, qui quittent les zones rurales, semble contribuer dans une large mesure à la féminisation de l’agriculturev, vi. Dans nombre de sociétés rurales, les normes culturelles et celles liées au genre restreignent la mobilité des femmes, favorisant ainsi une émigration principalement masculine, ce qui peut profondément bouleverser la répartition du travail et les relations au sein des ménages.
Ce phénomène peut avoir des répercussions tant positives que négatives sur le bien-être et l’autonomisation des femmes. L’autonomisation est un processus aux dimensions multiples (voir le chapitre 4) entre lesquelles des arbitrages peuvent s’opéreriv. Lorsque les hommes émigrent, les femmes assument généralement une plus grande charge de travail domestique, y compris des travaux agricoles qui sont habituellement exécutés par les hommesvii, viii, ix. En l’absence de leur mari, les femmes sont davantage perçues comme des exploitantes agricoles que comme des travailleuses familiales contribuant à l’exploitation familialeix. Toutefois, l’émigration des hommes se traduit souvent par une charge de travail plus lourde pour les femmes qui restent en milieu rural. Au Viet Nam, par exemple, la charge de travail des femmes s’est accrue en raison du départ des hommes, puisqu’elles ont dû prendre toutes les décisions liées à la gestion de l’exploitation et assumer les tâches habituellement assurées par leur mari (irrigation, dragage des canaux, application des engrais et des pesticides et acheminement de la production vers le marché)x. Cependant, l’accroissement de la charge de travail ne nuit pas forcément à l’autonomie des femmes si elle s’accompagne également d’un meilleur bien-être économique et d’un plus grand épanouissement. En effet, il arrive qu’une charge de travail plus lourde aille de pair avec une autonomie et des responsabilités plus grandes, comme cela a été constaté au Mozambiquexi.
Dans plusieurs pays, dont le Bangladeshxii, le Guatemalaxiii, le Marocxiv et le Mozambiquexi, ainsi qu’en Asie du Sud-Estx, de nets progrès ont été réalisés en matière de pouvoir de décision et d’autonomie des femmes lorsque des hommes de la famille ont émigré. Les femmes peuvent avoir davantage d’occasions de suivre des formations agricoles, de s’informer sur les nouvelles technologies et de prendre des décisions de manière indépendantexv. Toutefois, d’autres étudesviii, xvi, xvii, xviii, xix, xx ne trouvent pas trace d’éléments probants attestant de ces retombées positives ou mettent en évidence des effets néfastes de l’émigration masculine sur la santé et la sécurité alimentaire des femmes. Les femmes sont plus susceptibles de se livrer à des activités agricoles que d’assumer des tâches de direction, ce qui peut présenter plus d’inconvénients que d’avantagesvi.
Le lien entre féminisation de l’agriculture et autonomisation des femmes dépend de plusieurs facteurs, notamment des caractéristiques de la migration, à savoir sa durée et sa destination, son caractère temporaire, saisonnier ou permanent, national ou international, et l’envoi de fonds suffisants ou non aux membres du foyer restés sur place. Lorsque les migrants ne peuvent pas envoyer de fonds ou les envoient de manière irrégulière, les membres de leur famille, et en particulier les femmes, peuvent se retrouver exposés à la pauvreté et à un risque plus élevé d’insécurité alimentairexiii, i. Dans certains contextes, la participation accrue des femmes aux activités agricoles intervient alors que la viabilité économique du secteur agricole s’amenuise sous l’effet du changement climatique et d’autres facteurs de stress (voir également le chapitre 5)xx.
La situation socioéconomique des membres de la famille qui restent sur place entre également en ligne de compte. L’âge et la place occupée au sein du foyer déterminent dans une large mesure le degré d’agencéité des femmes et les avantages qu’elles tirent de l’émigration des hommesxv. Les jeunes femmes ont moins de chances de gagner en agencéité lorsque les hommes émigrent, en particulier si elles vivent au sein de grandes familles où d’autres adultes sont présentsxxii. À titre d’exemple, au Népal et au Tadjikistan, l’émigration d’un membre de la famille a des effets positifs sur l’agencéité des femmes, que celles-ci soient propriétaires ou non de terres, tandis qu’au Sénégal, ces effets ne s’observent que chez les femmes qui vivent dans des ménages disposant de terresxxii. Les avantages obtenus en matière de renforcement de l’agencéité peuvent aussi être de courte durée. Au retour des hommes, les femmes risquent d’être encore désavantagées au moment de renégocier les rôles liés au travail agricolexxiii.
Malgré une compréhension plus fine des questions liées à la féminisation de l’agricultureiv, des efforts restent nécessaires pour déterminer les politiques et les programmes qui peuvent promouvoir les perspectives économiques et l’agencéité des femmes dans des contextes d’émigration rurale à dominante masculine et contribuer à des relations plus équilibrées entre les femmes et les hommes, à des résultats plus équitables et à une plus grande prospérité pour leurs ménages.
Les femmes sont confrontées à des inégalités systématiques en ce qui concerne les types de chaînes de valeur auxquelles elles participent, les conditions de travail qui leur sont accordées et les revenus qu’elles perçoivent. Si la situation peut varier en fonction du contexte, les femmes ont en général moins de chances que les hommes de travailler dans des filières plus lucratives de produits de base destinés à la vente et à l’exportation en tant qu’entrepreneuses ou agricultrices indépendantes, car elles n’ont souvent pas l’accès nécessaire à la terre, à l’eau, aux services de vulgarisation agricole et à d’autres ressources complémentaires (voir le chapitre 3). Les normes sociales régissent également la répartition du travail et le partage du pouvoir de décision dans le secteur agricole. Dans la logique du rôle de «soutien de famille» qui leur incombe, les hommes ont tendance à être majoritaires dans les chaînes de valeur et les segments de ces chaînes où les marges bénéficiaires sont les plus importantes. Les femmes sont surreprésentées dans les chaînes de valeur moins lucratives, notamment la production d’aliments destinés à la consommation domestique et aux marchés locaux et informels, ce qui peut être considéré comme allant dans le prolongement des tâches et responsabilités domestiques qui leur sont confiées4.
Les femmes fournissent souvent une main-d’œuvre essentielle dans les chaînes de valeur traditionnellement associées aux hommes et ne sont pas toujours exclues des filières lucratives5, 6, mais leur travail est souvent moins visible et peu, voire pas du tout rémunéré. Au sein des filières majoritairement masculines, les femmes peuvent apporter une contribution invisible au titre du travail familial non rémunéré, comme le montrent des études de cas portant sur les filières du cacao au Ghana7, du cacao et du café en Papouasie-Nouvelle-Guinée8 ou encore de l’aquaculture9. Les travaux et les services généralement assurés en amont par les femmes (nettoyage des filets, préparation des appâts pour la pêche, préparation des repas pour la main-d’œuvre salariée et mélange des pesticides) sont sous-déclarés, car ils ne sont pas rémunérés ou ne génèrent pas de bénéfices.
La hausse des profits engendrée par le développement commercial des chaînes de valeur s’accompagne souvent pour les femmes d’une perte de contrôle sur les activités et les revenus. Des situations où l’on observe une participation accrue des hommes dans les secteurs traditionnellement réservés aux femmes dès lors qu’ils deviennent rentables sont signalées dans différentes chaînes de valeur et différentes régions, notamment l’aquaculture et la pêche10, 11, l’élevage12, les petites exploitations de palmiers à huile13, la production de karité14, 15 et les cultures de base traditionnelles comme la banane16. Pour garder le contrôle de la gestion des cultures et de leurs revenus, les femmes vont parfois choisir de cultiver des produits dont la valeur marchande est plus faible12, 17. À titre d’exemple, dans les filières du cacao et du café en Papouasie-Nouvelle-Guinée, on a constaté que les femmes participaient à la production de cultures commerciales, notamment au moment de la récolte, mais qu’elles accordaient la priorité à la production et à la commercialisation de cultures vivrières sur lesquelles elles avaient davantage de contrôle, tant au niveau de la production que des revenus8.
Les normes sociales peuvent aussi entraver l’accès des femmes aux chaînes de valeur et aux entreprises agroalimentaires dominées par les hommes. Par exemple, dans le cadre d’un programme national de soutien à l’agro-entrepreneuriat au Nigéria, qui donnait aux femmes (et aux hommes) la possibilité de choisir parmi 11 chaînes de valeur différentes, 57 pour cent des femmes ont tout de même choisi la filière de la volaille, qui, en général, est majoritairement féminine et dont la rentabilité est inférieure à celle des autres chaînes de valeur18. S’il est avéré que les femmes exerçant des activités généralement réservées aux hommes réalisent de meilleurs profits que les entrepreneuses qui évoluent dans des secteurs à forte concentration féminine19, leur agencéité et leur bien-être s’en trouvent amoindris à certains égards18.
Les segments non agricoles des systèmes agroalimentaires sont une source importante de revenus pour les femmes dans tous les pays, quel que soit leur niveau de développement économique. Comme nous l’avons expliqué au chapitre 1, les segments non agricoles des systèmes agroalimentaires désignent les activités économiques autres que la production agricole primaire (agriculture, élevage, pêche et forêts). Dans les pays dont le niveau de développement est faible, les femmes jouent généralement un rôle bien plus important que les hommes dans ces segments (figure 2.4). Au niveau mondial, les femmes représentent 41 pour cent des personnes travaillant dans ces segments, mais cette proportion atteint les 60 pour cent en Afrique subsaharienne (figure 2.2). Les femmes sont moins nombreuses dans les segments non agricoles des systèmes agroalimentaires dans les pays où leur mobilité est très limitée du fait des normes sociales discriminatoires qui les empêchent de passer du temps hors de chez elles, de parcourir de longues distances et d’interagir avec des personnes extérieures20, ainsi que dans les pays d’Asie de l’Ouest et d’Afrique du Nord qui sont fortement tributaires des importations agroalimentaires21.
Les tendances en matière de participation et de rémunération des hommes et des femmes dans les segments non agricoles des systèmes agroalimentaires varient en fonction du type de chaîne de valeur, des institutions locales et des caractéristiques de l’emploi22, 4. Tout d’abord, dès lors qu’il s’agit d’activités de transformation, le taux de participation des femmes est généralement plus élevé que celui des hommes, comme le montrent plusieurs exemples dans différents contextes, notamment au sein des filières du café en Ouganda23, du manioc en République-Unie de Tanzanie24, du jute au Bangladesh25 ainsi que du café, du cacao et des produits laitiers dans la région centrale du Nicaragua26. En Afrique de l’Ouest, le secteur de la transformation, qui est dominé par les femmes, se caractérise par une main-d’œuvre non qualifiée et abondante27. La moitié des personnes travaillant dans la transformation des produits alimentaires et les services de restauration et 40 pour cent de celles qui sont employées dans la fabrication de produits agricoles non alimentaires (tabac, papier, textiles, etc.) sont des femmes (tableau 2.1).
Ensuite, dans les différentes chaînes de valeur, peu de femmes prennent part aux activités plus rentables que sont le transport ou le commerce de gros24, 25, 28, 29. Ces activités sont le plus souvent dominées par les hommes, du moins en partie, car elles supposent un capital plus important, une plus grande mobilité et des interactions avec l’extérieur23, 26. Les femmes ne représentent que 35 pour cent des travailleurs du commerce de gros et 15 pour cent des travailleurs du transport au sein des systèmes agroalimentaires (tableau 2.1). Il est même probable qu’elles soient encore moins nombreuses à travailler dans ces deux secteurs d’activité dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Enfin, les femmes contribuent à la commercialisation des produits agroalimentaires, en particulier sur les marchés intérieurs et informels, mais leur rôle dans le commerce est très variable d’un pays à l’autre et à l’intérieur d’un même pays, suivant le produit et la proximité des centres urbains et périurbains. Dans les zones situées à proximité des grands centres urbains, les femmes sont très actives dans la vente au détail, qui est une grande source d’emplois indépendants (par exemple au Guatemala28 et au Nicaragua26). Selon une étude menée par la FAO en 2022 sur les détaillants de produits alimentaires dans six pays d’Afrique subsaharienne, d’Amérique latine et des Caraïbes, les femmes occupent une place importante dans le secteur de la vente au détail en Afrique subsaharienne, tandis qu’en Amérique latine et dans les Caraïbes, elles représentent une proportion plus faible30. En Afrique subsaharienne, la proportion de détaillantes allait de 57 pour cent au Kenya et en République-Unie de Tanzanie à 75 pour cent au Sénégal. À titre de comparaison, on comptait 26 pour cent de femmes parmi les détaillants en Équateur et 31 pour cent au Paraguay30. À l’échelle mondiale, selon les estimations, les femmes constituent environ 53 pour cent des travailleurs du commerce de détail dans les systèmes agroalimentaires (tableau 2.1).
Il ressort de cette même étude que les femmes vendent des produits de base moins rentables que les hommes. Les femmes sont surreprésentées chez les détaillants de fruits et légumes, notamment les aliments riches en vitamine A, les légumineuses, les fruits à coque et les graines, ainsi que les cultures de base (céréales, racines, tubercules et bananes, entre autres), qui comptent parmi les produits les moins rémunérateurs, tandis que les hommes sont plus susceptibles de vendre des aliments et des boissons transformés industriellement. En outre, les hommes sont davantage représentés que les femmes parmi les détaillants de produits d’origine animale, dont les rendements sont plus élevés. Les femmes occupent une part plus importante des emplois dans la vente au détail de poisson dans quatre des cinq pays d’Afrique subsaharienne faisant partie de l’échantillon (voir également l’encadré 2.4). On observe également que les détaillantes vendent en général de moins grandes quantités de produits alimentaires que leurs homologues masculins. Par conséquent, elles déclarent des bénéfices mensuels nettement inférieurs à ceux des détaillants. Dans cinq des sept pays, les bénéfices des hommes sont plus de deux fois supérieurs à ceux des femmes (figure 2.5, graphique B).
Le Lac Victoria abrite plus de 200 espèces de poissons, qui constituent une source d’alimentation et de revenus pour un nombre croissant de personnes. La FAO et l’organisation World Vision ont étudié les effets des changements environnementaux et des évolutions économiques sur les moyens de subsistance et les relations des hommes et des femmes qui travaillent dans les filières du poisson dans la région, en appliquant pour ce faire une approche fondée sur l’égalité des genres et l’inclusion socialei.
Afin de saisir les dynamiques qui s’opèrent et influent sur les parties prenantes, 19 groupes de discussion, composés de différents acteurs de la chaîne de valeur du cyprin argenté (appelé omena dans la langue locale), ont été mis sur pied dans quatre communautés côtières de Homa Bay, au Kenya. Parmi les participants figuraient des propriétaires de bateaux (dont 20 pour cent de femmes), des pêcheurs (aucune femme), des négociants et des transformateurs (20 pour cent de femmes) et des consommateurs (70 pour cent de femmes). Dans le cadre de l’étude, 12 entretiens ont été menés auprès d’informateurs clés, notamment des présidents et chefs d’unités de gestion des plages, tous de sexe masculin, et des transporteurs, dont 80 pour cent étaient des hommes.
En vertu des traditions et des tabous, la pêche de l’omena est réservée aux hommes valides, tandis que la transformation et le commerce sont des activités principalement assignées aux femmes. Pour participer aux activités de la chaîne d’approvisionnement de l’omena, notamment la pêche, le commerce et la transformation, il faut se faire inscrire auprès du gouvernement par l’intermédiaire des unités locales chargées de la gestion des plages. Pour cela, il faut être de nationalité kényane, payer des frais d’inscription et fournir une attestation de bonne conduite délivrée par le chef du village, ce qui désavantage les femmes, qui ont moins de chances que les hommes de pouvoir remplir toutes les conditions requises.
La plupart des propriétaires de bateaux sont des hommes. L’achat d’une embarcation dépend avant tout de l’accès au capital financier. Or, au Kenya, les hommes possèdent encore la majorité des actifs et peuvent donc contracter un prêt formel plus facilement que les femmes. Si la création de groupes de prêt informels et communautaires a facilité l’accès au capital pour les femmes, les personnes âgées et les personnes handicapées, celles-ci n’ont pas pour autant été plus nombreuses à devenir propriétaires de bateaux ou de biens similaires, peut-être parce que les normes sociales et le manque d’expérience en matière de pêche dissuadent les femmes d’investir dans des bateaux.
Dans la région, les commerçants, généralement des femmes, achètent le poisson directement sur les bateaux. L’accès à cette ressource dépend donc des relations qui s’établissent avec les propriétaires de bateaux et les pêcheurs. Étant donné leur faible pouvoir de négociation, les femmes et les personnes à leur charge sont exposées à des risques graves, notamment pour leur santé. Elles sont vulnérables aux atteintes et à l’exploitation sexuelles liées au commerce de produits de base, comme dans le cas de l’échange de poisson contre des rapports sexuels, une pratique qui favorise également la propagation du VIH/sida dans les communautés de pêcheursii, iii, iv.
Le manque d’installations de séchage et de stockage limite la durée de conservation du poisson, ce qui entraîne des pertes. Ces problèmes sont appelés à s’aggraver dans le contexte du changement climatiquev, des crises multiples et de l’inefficacité des politiques, dont les femmes et les autres groupes vulnérables sont les premiers à pâtir.
Le secteur de l’élevage procure des revenus à quelque 60 pour cent des ménages ruraux31. Les secteurs primaires de la pêche et de l’aquaculture emploient près de 60 millions de personnes dans le monde et des millions d’autres tout au long des chaînes de valeur des aliments aquatiques32. Un tiers de la population mondiale et plus de 90 pour cent des personnes vivant dans l’extrême pauvreté sont tributaires des forêts, notamment pour se procurer des aliments et des médicaments ainsi que des revenus33. Bien que l’élevage, les forêts et la pêche jouent un rôle majeur dans les moyens de subsistance des populations rurales, il existe peu d’ensembles de données fiables au niveau mondial ou national qui rendent compte de la situation des femmes et des hommes dans ces secteurs, en ce qui concerne les activités qu’ils exercent, les rapports de force qu’ils entretiennent et les revenus qu’ils perçoivent22.
Dans ces trois domaines d’activité, le rôle des femmes et leurs relations avec les hommes varient souvent en fonction du type d’espèce et de produit final, de l’orientation du marché, de l’envergure des activités ainsi que des contextes socioculturels dans lesquels s’inscrivent les chaînes de valeur. Les normes traditionnelles liées au genre désavantagent souvent les femmes34, 35, 36, les reléguant à des emplois moins rémunérateurs.
Des études de cas indiquent que les femmes représentent une part plus importante que les hommes parmi les éleveurs pauvres, mais il est difficile d’obtenir une estimation précise37, 38. La proportion de femmes dans le secteur de l’élevage varie par ailleurs beaucoup en fonction de l’espèce. L’élevage des races les plus rentables (bovins, chameaux et buffles) est souvent l’apanage des hommes, tandis que les femmes se voient davantage confier l’exploitation des espèces moins rentables (volailles et petits ruminants)39, 40. Dans les pays en développement, les chaînes de valeur des petites exploitations avicoles sont généralement dominées par les femmes41.
Toutefois, c’est généralement aux femmes qu’incombent les soins quotidiens aux animaux, la gestion et la transformation des produits d’origine animale42, tandis que leur rôle dans la commercialisation des produits d’origine animale peut varier sensiblement d’un produit et d’un contexte à l’autre. À titre d’exemple, selon une étude récente30, on ne trouve une majorité de femmes pratiquant le commerce d’œufs que dans un seul pays (Burkina Faso) et de volaille que dans deux pays (Malawi et Sénégal) (figure 2.5, graphique A), ce qui confirme la thèse selon laquelle la participation des hommes aux activités liées à l’élevage est plus importante lorsque l’orientation vers le marché est plus marquée. Dans trois pays sur sept (Burkina Faso, Malawi et Rwanda), les femmes représentent une part plus importante des vendeurs au détail de produits laitiers. Les femmes étant généralement plus présentes sur les marchés informels que sur les marchés formels39, 43, leur contribution peut parfois être sous-évaluée et les données recueillies reflètent mal la réalité de leur travail dans le secteur. En outre, étant donné qu’elles sont plus enclines que les hommes à conserver des espèces adaptées aux conditions locales, les femmes sont perçues comme les gardiennes de la diversité des animaux d’élevage42.
Malgré le peu de données transnationales sur la participation des femmes au secteur de l’élevage, les interventions axées sur ce domaine d’activité restent essentielles au développement agricole et ont permis d’améliorer considérablement le bien-être des femmes. Accroître l’accès des femmes aux aides et aux intrants contribue à améliorer la santé des animaux et la productivité de l’élevage44. Les espèces animales qui sont généralement gérées par les femmes (volaille, lapins, porcs, chèvres, etc.) nécessitent moins de capital de départ que le gros bétail, et les investissements en faveur des activités centrées autour de ces espèces peuvent avoir des effets notables sur les revenus des femmes, notamment celles qui vivent dans des zones reculées45 et dans des communautés pastorales46 et marginalisées (voir aussi l’encadré 2.5)47. Lorsque ces interventions intègrent des programmes de vulgarisation, de formation et d’éducation, elles ont des retombées positives importantes sur les revenus et les biens des femmes, ainsi que sur leur autonomisation (voir les chapitres 3 et 4 pour plus de détails). Toutefois, elles se caractérisent aussi par des effets qui sont systématiquement plus néfastes sur la main-d’œuvre ou la charge de travail, signe qu’elles alourdissent les contraintes de temps qui pèsent sur les femmes48.
De plus en plus d’études mettent en évidence la façon dont le genre et d’autres facteurs croisés liés à l’identité peuvent influencer les rôles et les rapports de force observés dans le secteur agricole, notamment dans les filières de l’élevage, de la pêche et des forêts.
Dans le secteur forestier, le croisement de certaines caractéristiques telles que l’âge, la situation familiale et l’appartenance ethnique peut avoir une incidence sur les droits d’accès aux produits alimentaires issus des forêts et des arbres. Par exemple, en cas de divorce ou de décès du conjoint, les femmes de certaines communautés péruviennes peuvent perdre le droit de récolter des noix du Brésil dans les forêts communautairesi. Au Burkina Faso, le droit d’accès des femmes à certains produits alimentaires issus des arbres repose sur une hiérarchie établie en fonction de leur lignée, de leur situation familiale et de leur statut de migrante ou de résidenteii.
Dans le secteur de l’élevage, les jeunes femmes rurales sont souvent désavantagées dans les activités liées à la commercialisation des produits laitiers en raison des contraintes de mobilité imposées par leur mari et d’un accès plus restreint à leurs propres moyens de transportiii. L’appartenance à une basse caste ou à un certain groupe ethnique ou le fait de vivre dans des régions reculées sont autant de facteurs supplémentaires pouvant nuire à la visibilité des femmes et à leurs chances de bénéficier des programmes de développement en matière d’élevageiv, v. Les femmes de basse caste sont aussi moins susceptibles de bénéficier de formations ou de participer efficacement à la gouvernance des coopératives d’élevagevi. Cependant, comme le montre une étude réalisée en Inde, les coopératives d’élevage qui s’efforcent d’autonomiser les femmes de toutes castes et de collaborer avec les hommes parviennent à faire progresser l’émancipation des femmes en favorisant leur inclusionvi.
Dans le secteur halieutique, le genre et d’autres caractéristiques liées à l’identité influent sur l’inclusion, les rapports de force et les capacités d’adaptation. Ainsi, au Nigéria, les femmes plus riches bénéficient de faveurs plus importantes de la part des pêcheurs que les femmes plus pauvres et jouissent d’un plus grand pouvoir de décision et d’une plus grande influence concernant le choix du lieu de vente du poisson pêchévii. Dans l’État du Tamil Nadu, en Inde, les femmes employées dans le secteur de la pêche dont le niveau de richesse est moyen ou élevé et qui disposent de réseaux sociaux bien développés s’adaptent mieux aux contraintes saisonnières que celles ayant un niveau de richesse moindre ou des réseaux sociaux moins étendusviii.
Vingt-huit pour cent des personnes employées dans le secteur aquacole primaire et 18 pour cent de celles travaillant dans le secteur halieutique primaire sont des femmes, mais si l’on prend en compte l’ensemble de la chaîne de valeur aquatique (y compris les activités avant et après récolte/capture), le pourcentage de femmes est porté à environ 50 pour cent32. Néanmoins, leurs emplois sont généralement plus précaires que ceux des hommes: les femmes occupent 15 pour cent seulement des postes à plein temps dans les secteurs primaires de l’aquaculture et de la pêche, mais 71 pour cent des emplois à temps partiel dans le secteur de la transformation32.
Les populations des pays à revenu faible ou intermédiaire sont particulièrement tributaires de la pêche artisanale, qui représente 50 pour cent du volume total des prises32, mais qui est souvent négligée dans les études, les statistiques et les politiques. Selon une étude récente50, les femmes représentent 39,6 pour cent des personnes qui travaillent dans la chaîne de valeur de la pêche artisanale, que ce soit pour assurer leur subsistance ou gagner un revenu, et 49,8 pour cent de celles travaillant dans les activités d’après récolte.
La ségrégation professionnelle est observée à différents maillons des chaînes de valeur halieutiques et aquacoles et peut varier en fonction des espèces et du contexte socioculturel (voir l’encadré 2.4), mais les femmes sont en général moins susceptibles de participer aux activités les plus lucratives. Ainsi, les hommes travaillent principalement dans la pêche hauturière et la pêche d’espèces de grande valeur, tandis que les femmes se consacrent davantage à la récolte et au glanage de coquillages et d’invertébrés51, 52. Comme le montrent des études réalisées en Égypte, en République-Unie de Tanzanie, à Zanzibar et en Zambie, les femmes se livrent généralement au commerce d’espèces de faible ou moyenne valeur, dans des quantités moindres que les hommes, et sont souvent exclues des chaînes de valeur les plus lucratives9, 53. Si elles constituent une part importante des personnes employées dans le secteur de la transformation des filières aquacoles et halieutiques, les femmes sont surreprésentées parmi les travailleurs saisonniers ou à temps partiel, sont souvent moins bien payées que les hommes, y compris à tâche égale, et sont quasiment absentes des postes de gestion de niveau intermédiaire ou supérieur10, 54.
Sur la base d’un échantillon de 69 pays, on estime que les femmes représentaient environ 23 pour cent des personnes employées dans des activités forestières au cours de la période allant de 2017 à 201955. Si la part des femmes dans la main-d’œuvre forestière est inférieure à celle des hommes, en particulier dans la sylviculture, l’exploitation forestière ainsi que dans le travail du bois et la fabrication de produits ligneux, c’est en partie en raison de préjugés quant à l’aptitude des femmes à accomplir ce type de tâches particulièrement exigeantes sur le plan physique. Néanmoins, le nombre réel de femmes travaillant dans les filières des produits forestiers pourrait être nettement sous-estimé dans les statistiques actuelles, car les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’occuper un emploi informel dans le secteur55. À cela s’ajoute le fait que, de façon générale, un grand nombre d’activités, en particulier dans la transformation et le commerce des produits forestiers, sont de nature informelle et ne font l’objet d’aucune réglementation22.
La spécialisation des hommes et des femmes dans certaines activités peut être différente selon les régions et les produits. En Afrique et en Asie, les femmes assument principalement les rôles de détentrices du savoir traditionnel et de responsables de la cueillette des plantes sauvages comestibles56, 57, les activités telles que la chasse et l’exploitation du bois étant majoritairement masculines58, 59. Dans ces deux régions, la collecte du bois de chauffage est essentiellement effectuée par les femmes, tandis qu’en Amérique latine, cette activité est réservée aux hommes58.
Les tendances observées en ce qui concerne la participation des femmes et des hommes à la collecte des produits forestiers dépendent souvent du niveau d’exigence physique de la tâche (grimper aux arbres, soulever des charges lourdes, etc.) et du lieu où elle est effectuée; à cet égard, les normes sociales, les préoccupations en matière de sécurité personnelle60 et les responsabilités relatives au foyer restreignent les possibilités qui s’offrent aux femmes61. Ces dernières ont un accès plus restreint aux moyens de transport, ce qui limite la distance qu’elles peuvent parcourir pour aller chercher des produits forestiers62, 63 ainsi que leur accès à des marchés plus rentables64.
Après avoir passé en revue la littérature mondiale relative aux questions de genre dans les chaînes de valeur des forêts, des arbres et de l’agroforesterie, on a trouvé très peu d’informations sur la participation des femmes et des hommes à la transformation et au commerce des produits forestiers, en particulier en Asie et en Amérique latine61. Toutefois, les sources d’information et études de cas disponibles semblent indiquer clairement que les femmes sont en surnombre, tant dans la transformation que dans le commerce des produits forestiers61. Le petit commerce de produits forestiers non traditionnels est dominé par les femmes, les hommes étant davantage amenés à posséder et à gérer des entreprises de plus grande taille61. En raison de leur accès insuffisant aux ressources et aux services, les femmes sont généralement cantonnées à des activités qui nécessitent peu de capital et n’ont pas les moyens de s’engager dans des entreprises arboricoles plus rentables65, 66, 67.
L’ODD 8 attire l’attention sur la qualité de l’emploi et souligne la nécessité de promouvoir le plein emploi productif et un travail décent pour tous. Cependant, les conditions de travail dans les systèmes agroalimentaires sont généralement plus défavorables pour les femmes que pour les hommes. La présente section aborde différentes dimensions relatives à la qualité du travail dans les systèmes agroalimentaires du point de vue du genre, notamment le type d’emploi et son éventuelle précarité, l’accès au travail à temps plein, les soins et les travaux non rémunérés, ainsi que les violences fondées sur le genre (voir l’encadré 2.6).
Les dynamiques de pouvoir et les normes régissant les relations femmes-hommes au sein du foyer, sur le lieu de travail et dans la communauté limitent les possibilités qu’ont les femmes d’exercer un emploi à l’extérieur. Le faible pouvoir de négociation des femmes, leur manque d’accès aux ressources ou à des moyens de transport sûrs, les craintes liées à leur sécurité ainsi que les normes communautaires qui s’appliquent à elles en matière de liberté de mouvement et d’emploi sont autant de facteurs qui peuvent restreindre les types d’emploi et les lieux de travail qu’elles peuvent envisageri, ii.
La violence au travail revêt plusieurs formes: il peut s’agir de violence économique, psychologique ou physique ou encore d’abus et de harcèlement sexuelsiii. Si l’ampleur de ces différentes formes de violence qui se manifestent dans le cadre professionnel au sein des systèmes agroalimentaires n’est pas connue, certaines études de cas sur la violence et le harcèlement sexuels révèlent une forte prévalence des violences fondées sur le genre au travailiii. En Équateur, par exemple, dans le secteur des fleurs destinées à l’exportation, plus de la moitié des travailleuses agricoles interrogées ont déclaré avoir été victimes d’agressions et de harcèlement sexuels de la part de leurs supérieurs hiérarchiques ou d’autres travailleursiii, iv. Le refus des femmes de se plier aux demandes de faveurs sexuelles a des répercussions négatives: elles peuvent être licenciées, ne plus se voir proposer de travail, voir leurs heures de travail ou leur rémunération réduites ou encore faire l’objet d’évaluations injustes de leurs performancesiii, iv, v, vi, vii. Les vendeuses de rue peuvent faire face à des violences verbales, physiques ou sexuelles de la part de leurs clients et de leurs collègues masculins et être victimes de vols ou contraintes de quitter leur lieu de vente habituelviii. Les hommes sont eux aussi confrontés au harcèlement et à la violence dans le secteur agricoleiii.
Outre le domaine d’activité, la nature de l’emploi peut également jouer sur la vulnérabilité face aux violences. Ainsi, le travail temporaire et informel renforce les inégalités de pouvoir, ce qui permet aux agresseurs de commettre leurs actes de violenceiii. L’âge, le statut migratoire, la situation socioéconomique, l’absence de débouchés en dehors du monde agricole, l’aide sociale insuffisante, les stéréotypes de genre négatifs qui ont cours au niveau local et le laxisme des services ou des législations dans le domaine de l’inspection du travail constituent d’autres facteurs susceptibles de contribuer aux violences sur le lieu de travail.
Accroître le pouvoir économique des femmes est un moyen de remettre en question les rôles et responsabilités traditionnellement dévolus aux femmes et aux hommes et de faire évoluer les relations entre les genres. Le fait d’accroître le taux d’emploi et les revenus des femmes peut permettre de réduire la violence conjugale, puisqu’elles peuvent plus facilement menacer de mettre un terme à une relation abusive. Néanmoins, il arrive aussi que des hommes se sentent menacés par l’émancipation économique des femmes et se livrent à davantage d’actes de violence pour éviter que la situation n’évolue. Par exemple, à Bengaluru, en Inde, ainsi qu’au Cameroun, le travail des femmes s’est accompagné d’une hausse des cas de violences conjugale, ce qui va dans le sens du retour de bâton évoquéii, ix, x.
Dans le monde, la majeure partie des activités agricoles continue d’être effectuées par des personnes travaillant pour leur propre compte ou par des travailleurs familiaux, deux formes d’emploi indépendant vulnérable68, que les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’occuper (figure 2.6)69. Les personnes travaillant pour leur propre compte exercent leur activité à titre indépendant et n’embauchent personne; de leur côté, les travailleurs familiaux qui collaborent à l’exploitation ou à l’entreprise familiale, ne sont souvent pas rémunérés et n’ont qu’une influence limitée sur les grandes décisions prises au sein de l’exploitation ou de l’entreprise. Souvent informelles, ces formes de travail ne donnent accès à aucune protection sociale professionnelle et sont davantage exposées aux cycles économiques et aux risques socioéconomiques et environnementaux69.
Les travailleurs familiaux sont particulièrement désavantagés puisqu’ils ne perçoivent habituellement pas de rémunération directe et peuvent être exclus des services de vulgarisation agricole et des programmes agricoles s’ils ne sont pas considérés comme des agriculteurs (voir le chapitre 3). Au niveau mondial, près de la moitié des femmes travaillant dans l’agriculture (49 pour cent) seraient des travailleuses familiales, contre 17 pour cent des hommes. En Afrique subsaharienne, où le taux de participation des femmes au secteur agricole est élevé, 35 pour cent des femmes occupent un emploi de travailleuse familiale.
Ces deux formes d’emploi indépendant ne représentent qu’une petite partie des emplois occupés par les femmes et les hommes dans les segments non agricoles du secteur agroalimentaire: 9 pour cent des femmes qui sont employées dans ces segments sont des travailleuses familiales et 28 pour cent travaillent pour leur propre compte. Par conséquent, la proportion de femmes exerçant une activité indépendante précaire (à leur compte ou en tant que travailleuses familiales) diminue peu à peu, à mesure que les segments non agricoles des systèmes agroalimentaires gagnent en importance.
Les emplois salariés occupent une place nettement plus importante dans les segments non agricoles que dans les segments agricoles des systèmes agroalimentaires, mais dans toutes les régions, à l’exception de l’Europe, les femmes ont moins tendance que les hommes à travailler contre un salaire ou une autre forme de rémunération (figure 2.6). L’emploi salarié est majoritaire dans le secteur non agricole des systèmes agroalimentaires, tant pour les hommes que pour les femmes, et ce dans toutes les régions, à l’exception de l’Afrique, où la majorité des travailleurs et travailleuses exercent leur activité à titre indépendant. En Afrique, les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’occuper un emploi indépendant, un constat qui traduit bien le fait que peu d’emplois salariés bien rémunérés leur sont proposés dans la région70.
Pourtant, dans plusieurs pays et régions, le développement de l’agriculture à haute valeur ajoutée (horticulture, fleurs coupées, etc.) est allé de pair avec une progression de l’emploi salarié des femmes (principalement dans les secteurs de la production et de la transformation). L’emploi salarié dans les grandes entreprises agroalimentaires constitue une source importante de revenus pour de nombreuses femmes rurales, en particulier les jeunes femmes et les femmes dépourvues de terres ou n’en possédant que peu. Cette évolution était déjà palpable au moment de la publication du rapport sur La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture en 20111, mais des données plus récentes confirment la proportion importante de femmes dans les emplois salariés du secteur agroalimentaire et mettent en évidence les conditions dans lesquelles celles-ci travaillent. Ainsi, 30 000 emplois ont été officiellement créés dans les trois principales régions horticoles du Sénégal; 66 pour cent d’entre eux sont occupés par des femmes71 et une grande partie des travailleurs, hommes et femmes confondus, sont des migrants originaires de zones rurales éloignées72 (encadré 2.7).
Dans les pays en développement, notamment dans les secteurs agroalimentaires à forte valeur ajoutée et à forte intensité de main-d’œuvrei, une grande partie du travail agricole est généralement effectuée par des travailleurs migrantsii. Le personnel des entreprises liées aux filières mondiales se compose le plus souvent de femmes, de jeunes et de migrantsiii, iv.
Au Kenya, dans la filière horticole, les travailleurs sont en majorité des femmes qui ont migré à l’intérieur du pays depuis des zones rurales éloignéesv. Si la migration peut être source de difficultés dans la vie des femmes en raison de l’éloignement de leur famille et de leurs réseaux de soutien, elle peut aussi avoir des effets positifs, par exemple en mettant à mal les normes sociales et les structures patriarcales susceptibles d’entraver l’avancement des femmesv. Des données issues d’entretiens qualitatifs montrent que le fait de travailler et de gagner des revenus en dehors des exploitations agricoles contribue fortement à renforcer la confiance en soi des migrantes et leurs moyens de subsistancev. Toutefois, les femmes demeurent moins bien payées que les hommes et sont plus susceptibles d’occuper un emploi temporaire ou de travailler sans contratvi.
Dans les grandes entreprises agroalimentaires des pays en développement, les femmes sont reléguées dans des emplois peu qualifiés, mal rémunérés, informels et occasionnels6, au prétexte, notamment, qu’elles sont plus patiente73 et plus habiles de leurs mains74. Les hommes occupent la majorité des postes de direction et des postes à temps plein51. Les tâches qui ne peuvent pas être automatisées ou qui s’effectuent à temps partiel sont généralement considérés comme des tâches féminines et donc souvent exécutées par des femmes75.
En ce qui concerne le travail indépendant et entrepreneurial, les femmes détiennent en moyenne entre 31 et 38 pour cent des petites et moyennes entreprises officiellement établies, et la majorité des entreprises appartenant à des femmes se trouvent dans le secteur agroalimentaire76, où les exigences en matière de capital de départ sont moins élevées que dans d’autres secteurs77, 78, 79. En Afrique de l’Ouest, les femmes représentent 83 pour cent des travailleurs du secteur de la transformation des aliments et 72 pour cent des personnes travaillant dans la commercialisation des produits alimentaires80. Au Bangladesh, les entreprises appartenant à des femmes se situent principalement dans le secteur textile, suivi de la fabrication de produits alimentaires76.
Dans les segments non agricoles des systèmes agroalimentaires, les femmes actives ne constituent qu’une petite part des entrepreneurs employant des salariés, mais sont surreprésentées parmi les entrepreneurs à leur compte. Bon nombre d’entrepreneuses travaillent dans les systèmes agroalimentaires, notamment dans la vente ambulante et dans la vente d’aliments sur la voie publique. Au Nigéria, on estime que 80 à 90 pour cent des personnes travaillant dans cette dernière catégorie sont des femmes. Celles-ci se heurtent souvent à des obstacles majeurs, qui les empêchent de structurer et de développer leur entreprise. À titre d’exemple, les relations au sein du ménage influencent les résultats et la croissance des entreprises détenues par des femmes. Selon une étude réalisée au Ghana, les entrepreneuses préfèrent parfois épargner ou investir dans les biens du ménage et dans l’éducation de leurs enfants aux dépens de leur entreprise, voire restreindre leurs investissements ou dissimuler leurs revenus afin de s’assurer que leur mari continue de subvenir aux besoins du foyer81. Les responsabilités liées aux travaux domestiques et aux soins pèsent aussi sur le temps que les femmes peuvent consacrer à leur entreprise et, par conséquent, sur les perspectives de croissance de leur activité.
Au sein de la population active, les femmes ont moins de chances que les hommes de travailler à temps plein, aussi bien dans le secteur agricole seul que dans les systèmes agroalimentaires pris dans leur ensemble, et ce, quelle que soit la région (figure 2.7). Partout sauf en Asie de l’Est, celles qui travaillent moyennant un profit ou une rémunération dans le secteur agricole et les systèmes agroalimentaires exercent leur activité pendant moins de 40 heures hebdomadaires en moyenne, ce qui donne à penser que les femmes occupent des emplois à temps partiel et sur une base irrégulière. En moyenne, les femmes comme les hommes effectuent plus d’heures de travail au sein des systèmes agroalimentaires pris dans leur ensemble que dans le secteur agricole. Cette situation s’explique par le fait que, dans la plupart des régions, le caractère saisonnier des emplois est moins marqué et que les possibilités d’emploi à temps plein sont donc plus nombreuses dans les segments non agricoles des systèmes agroalimentaires.
Le fait que les femmes assument une plus grande part du travail domestique et des soins non rémunérés contribue aux inégalités en matière de participation au marché du travail et de débouchés professionnels82. La participation des femmes aux systèmes agroalimentaires peut se dérouler dans des conditions moins favorables que celles des hommes si elles acceptent des emplois à temps partiel, irréguliers ou informels et si elles se lancent dans l’entrepreneuriat dans des segments moins rentables des systèmes agroalimentaires pour pouvoir assumer leur lourde charge liée aux travaux domestiques et aux soins non rémunérés83. À cet égard, le pouvoir de décider de l’utilisation du temps revêt une importance cruciale (encadré 2.8). En raison de la charge de travail liée à la garde des enfants et aux autres tâches familiales, la productivité des agricultrices est inférieure à celle des agriculteurs84, 85. La pandémie de Covid-19 a rappelé combien la participation des femmes et le temps qu’elles consacrent au travail rémunéré et non rémunéré étaient sensibles aux effets des crises (voir le chapitre 5).
Dans nombre de contextes, il existe des normes qui régissent la manière dont les femmes et les hommes doivent allouer leur temps (voir également le chapitre 4). Alors que les hommes sont considérés comme étant les soutiens de famille, les rôles traditionnels liés au genre relèguent les femmes à des tâches domestiques et à des activités de soins non rémunérées. L’utilisation du temps, c’est-à-dire la façon dont les personnes répartissent leur temps, constitue un indicateur important des inégalités. Cependant, de plus en plus d’éléments probants donnent à penser qu’un autre facteur est tout aussi déterminant: le pouvoir de décider de l’utilisation du temps, c’est-à-dire la capacité d’un individu à prendre des décisions stratégiques en toute confiance et à choisir ce à quoi il consacre son tempsi.
Des études qualitatives menées au Bénin, au Malawi et au Nigéria mettent en évidence la diversité des perceptions chez les femmes et les hommes en ce qui concerne le pouvoir de décision quant à l’utilisation du tempsi. Les femmes interrogées ont constamment indiqué qu’elles étaient capables de décider de l’utilisation qu’elles allaient faire de leur temps, à condition de s’acquitter des tâches et des responsabilités qui leur incombaient. Néanmoins, même lorsqu’elles prenaient leurs propres décisions, il leur était difficile de les mettre en application sans le consentement de leur mari. Si elles choisissaient de déroger à ces normes, les femmes risquaient de perdre leur foyer et d’être privées de leur sécurité. Les femmes comme les hommes avaient conscience que ces derniers avaient la haute main sur les décisions concernant les activités autres que les tâches productives et domestiques, notamment les loisirs et la vie sociale, et qu’ils disposaient d’une plus grande marge de manœuvre pour décider de leur propre emploi du temps et le modifier. Une femme a décrit la situation comme suit:
«Un homme peut aussi changer [son emploi du temps] en un clin d’œil si cela s’avère nécessaire. Les femmes sont toujours placées sous la domination des hommes, il est donc difficile de modifier l’organisation de leur journée. Le mari peut s’y opposer. Un homme est libre de quitter la maison s’il le souhaite, mais pas les femmes, car elles sont tenues d’effectuer d’autres tâches domestiques.»i
Dans les trois pays, les femmes et les hommes ont déclaré que les hommes avaient le dernier mot dans les discussions sur les différends concernant l’utilisation du temps, en plus de leur pouvoir de décision en la matière.
La question du pouvoir de décision en ce qui concerne l’utilisation du temps ne se résume pas aux décisions prises par les conjoints. Selon certains témoignages, au Népal, de nombreuses femmes ayant le statut de belle-fille au sein d’un foyer élargi déclarent être dans un état de souffrance (dukkha) en raison des longues heures passées à travaillerii. Toutefois, une étude a révélé que le nombre d’heures travaillées par les belles-mères et par les belles-filles vivant sous le même toit étaient équivalentes. Les belles-mères se consacrent généralement aux activités de production non domestiques, tandis que les belles-filles passent plus de temps à accomplir des tâches domestiques ou à prodiguer des soins. Grâce aux études qualitatives, on a pu constater que la détresse des femmes n’était pas seulement liée au temps passé à travailler, mais aussi au manque d’autonomie dans l’utilisation du temps. Dans ce contexte, les belles-mères exercent une autorité sur leurs belles-filles, dans la mesure où elles peuvent leur attribuer des tâches ou restreindre leur mobilité.
Les tendances mondiales en matière d’utilisation du temps révèlent l’existence de fortes disparités entre les femmes et les hommes s’agissant du temps consacré aux soins et aux travaux domestiques non rémunérés, comme le nettoyage, la cuisine, les soins prodigués aux membres du foyer et la collecte de l’eau, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. En moyenne, les femmes consacrent 4,2 heures par jour à ces tâches non rémunérées, contre 1,9 heure pour les hommes86. Les inégalités de genre en matière de soins non rémunérés sont omniprésentes dans le monde, mais il existe des écarts notables entre certains pays d’une même région (figure 2.8). Elles sont généralement plus importantes dans les zones rurales (par rapport aux zones urbaines) et lorsque l’on prend en compte le temps consacré aux soins effectués comme une activité secondaire: selon une étude réalisée sur un échantillon de cinq pays, dans des contextes essentiellement ruraux, les femmes consacrent en moyenne 7,0 heures aux soins et aux travaux domestiques non rémunérés, effectués comme une activité principale ou secondaire, contre 1,4 heure pour les hommes en moyenne87. Lorsque le travail rémunéré et le travail non rémunéré sont pris en compte, la charge de travail est plus importante pour les femmes, celle-ci atteignant 9,1 heures contre 7,3 heures pour les hommes87.
Dans les zones rurales, la charge de travail non rémunéré que les femmes doivent assumer est plus importante que celle des hommes, en grande partie à cause du temps qu’elles consacrent à la collecte de l’eau. À l’échelle mondiale, 80 pour cent de la population qui n’a pas accès à des sources d’eau potable améliorées vit dans des zones rurales88. En raison des normes et de la répartition des tâches qui sont fondées sur le genre, la collecte de l’eau pour les besoins du ménage et du bétail incombe de manière excessive aux femmes et aux filles, qui doivent souvent parcourir de longues distances pour accéder aux sources d’eau88, 89. Dans les foyers qui ne disposent pas de source d’eau, les femmes et les filles sont les principales responsables de la collecte de l’eau: cette tâche est confiée principalement aux femmes dans 73,5 pour cent des ménages, aux filles dans 6,9 pour cent des ménages, et aux hommes et aux garçons dans respectivement 16,6 et 2,9 pour cent des ménages88, 90.
La collecte de l’eau prend du temps, ce qui restreint les possibilités de gagner un revenu91, 92 et empiète sur les autres travaux domestiques et activités de soins non rémunérés93. Les filles de moins de 5 ans ont deux fois plus de probabilités que les garçons de devoir chercher de l’eau, ce qui a des conséquences néfastes sur leur scolarité. Ainsi, une étude réalisée en Afrique du Sud a montré que la collecte de l’eau avait des effets négatifs sur l’assiduité et les résultats scolaires, les filles étant plus nombreuses que les garçons à déclarer être en retard à l’école, se sentir fatiguées en classe et avoir peu de temps pour étudier94.
Les soins et les travaux domestiques non rémunérés qui sont assurés par les femmes (et par les hommes) demeurent fortement sous-estimés malgré leur importance pour le bien-être des individus, des ménages et des communautés rurales.
Même si la participation des femmes aux systèmes agroalimentaires progresse, les inégalités de genre en matière de bien-être et de résultats économiques peuvent perdurer, en raison d’inégalités qui se perpétuent dans l’accès aux biens et aux ressources, les normes sociales, les politiques et les législations (comme on peut le voir dans le cadre présenté au chapitre 1 ainsi que dans les chapitres 3 et 4 qui fournissent des informations plus détaillées à ce sujet). Selon trois études récemment menées aux fins de ce rapport, les écarts entre femmes et hommes en matière de productivité des terres, de productivité de la main-d’œuvre et de rémunération subsistent95, 96, 97. Fondées sur des données issues d’enquêtes auprès des ménages menées dans plusieurs pays et sur une approche analytique consistant à désagréger les facteurs d’inégalité (voir l’encadré 2.9), ces études recensent les causes des écarts précités, notamment le rôle joué par certaines caractéristiques personnelles (âge et niveau d’instruction), la composition du ménage (présence d’enfants en bas âge, permettant d’estimer les besoins en matière de soins), les caractéristiques de l’exploitation (superficie des terres agricoles, utilisation d’intrants et types de cultures) et les discriminations.
Très répandue en économie du travail, la méthode de décomposition de Kitagawa-Oaxaca-Blinder sert à étudier les écarts de rémunérationi, ii et, plus récemment, les disparités en matière de productivité des terres agricoles entre les femmes et les hommesiii.
Elle s’appuie sur une analyse à plusieurs variables pour décomposer l’écart moyen de rémunération (ou de productivité) lié au genre en deux parties: d’une part, l’écart qui s’explique par des différences entre les caractéristiques observées chez les hommes et chez les femmes et, d’autre part, l’écart qui ne s’explique pas par ces différences. Dans la littérature, on parle souvent de l’«effet de dotation» pour désigner la partie expliquée et de l’«effet structurel» pour désigner la partie inexpliquée.
La partie expliquée (ou effet de dotation) tient compte des différences liées au genre dans les caractéristiques personnelles, notamment le niveau d’instruction, l’expérience, la profession, les heures de travail et la taille de l’entreprise. Par exemple, les femmes peuvent percevoir un salaire inférieur à celui des hommes, mais aussi compter moins d’années d’études et d’expérience qu’eux ou travailler dans des entreprises plus petites.
La partie inexpliquée (ou effet structurel) est plus difficile à interpréter. Elle peut renvoyer à des facteurs non mesurés ou non observés, comme le degré de motivation et d’effort (ou la qualité des sols agricoles lorsque l’accent est mis sur la productivité de l’exploitation), qui sont peu ou mal pris en compte dans les données d’enquête. Elle reflète également les disparités structurelles concernant les bénéfices obtenus par les femmes et les hommes à caractéristiques égales – par exemple, lorsque les femmes perçoivent un salaire inférieur à celui des hommes malgré un même niveau d’instruction – et, par conséquent, met aussi en évidence de possibles discriminations.
Les écarts de productivité des terres liés au genre demeurent considérables. Anríquez et al.95 analysent l’écart de productivité agricole entre les exploitations gérées par des hommes et celles gérées par des femmes à partir de données d’enquêtes nationales menées dans 11 pays des régions Afrique, Amérique latine et Caraïbes, et Asie. L’étude comporte trois séries de comparaisons: une première série opposant des exploitations gérées uniquement par des femmes à des exploitations gérées par des hommes ou gérées de façon conjointe dans les six pays où cette information est disponible; une deuxième série opposant des ménages dirigés par des femmes à des ménages dirigés par des hommes dans ces mêmes pays; et une dernière série opposant des ménages dirigés par des femmes à des ménages dirigés par des hommes dans les 11 pays (voir l’encadré 2.10 sur les limites de la comparaison entre les ménages dirigés par des femmes et ceux dirigés par des hommes). Plusieurs conclusions s’en dégagent.
Pour des raisons essentiellement liées à des contraintes en matière de données, la plupart des études sur l’écart de productivité agricole entre les femmes et les hommes ont toujours comparé les ménages dirigés par des femmes à ceux dirigés par des hommes, au lieu de prendre en compte le sexe de la personne chargée de la gestion des activités de l’exploitation.
Le fait d’assimiler la gestion de l’exploitation à la fonction de chef de famille présente plusieurs problèmes. Les femmes qui dirigent leur ménage sont souvent veuves, divorcées ou séparées ou ont un mari qui travaille à l’étranger et leur envoie des fonds. Les femmes qui sont à la tête d’un ménage sont non seulement très différentes les unes des autres, mais elles sont aussi confrontées à toutes sortes de difficultés et de contraintes différentes de celles rencontrées par les femmes qui vivent au sein de ménages dirigés par des hommesii, iii. De plus, le fait de se focaliser uniquement sur le chef de famille occulte la situation des femmes qui vivent dans des ménages dirigés par un homme. Dans nombre de contextes, ces dernières supervisent plusieurs activités au sein de l’exploitation familiale, seules ou avec leur conjoint ou d’autres membres de la famille, mais elles ne sont pas toujours considérées comme des agricultricesiv.
Puisque les données axées exclusivement sur le chef de famille ne renseignent que partiellement sur la productivité agricole, davantage d’efforts ont été déployés pour collecter des données ventilées par sexe et étudier les écarts de productivité entre les parcelles gérées par des femmes et celles gérées par des hommesv, vi, vii, viii. Dans les pays d’Afrique subsaharienne, les estimations relatives aux écarts de productivité agricole entre femmes et hommes au niveau des parcelles tendent à mettre en évidence des écarts de productivité notables, qui sont encore plus marqués lorsque l’on tient compte de l’étendue ou de la superficie de la parcelle géréevii, ix, x.
Les écarts de productivité liés au genre sont généralement plus prononcés lorsqu’ils sont mesurés au niveau de la parcelle plutôt qu’au niveau de l’exploitation. À titre d’exemple, selon Kilic et al.vi, les écarts de productivité selon le genre s’élèvent à 29 pour cent en faveur des gestionnaires de parcelles masculins au Malawi, alors que les écarts mesurés entre les chefs de ménage masculins et féminins ne sont que de 7 pour cent. Dans le cas de l’Éthiopie, Aguilar et alv.ont fait état d’écarts de productivité de 23 pour cent à l’avantage des gestionnaires de parcelles masculins, alors que ces écarts sont minimes dans les comparaisons entre chefs de ménage masculins et féminins. Ces résultats concordent avec ceux des méta-analyses d’Anríquez et al.xi, donnant ainsi plus de poids aux efforts qui sont menés actuellement pour recueillir des informations sur le sexe des gestionnaires d’exploitation. Dans le même ordre d’idées, il apparaît nécessaire de mener davantage de recherches sur la gestion conjointe des exploitations familiales, qui constitue le système de gestion le plus courant dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, ainsi que sur la corrélation entre les différents modes de gestion, la productivité agricole et le bien-être des famillesiv, xii.
Premièrement, l’écart de productivité des terres entre femmes et hommes, tant dans l’échantillon des parcelles gérées exclusivement par des femmes (-4,4 pour cent) que dans celui des ménages dirigés par des femmes (-1,1 pour cent), indique que les agricultrices sont plus productives que les agriculteurs (tableau 2.2). Ce résultat surprenant s’explique par l’effet de dotation qui favorise fortement les femmes (-17,4 pour cent pour le premier échantillon et -9,2 pour cent pour le deuxième échantillon). Comment expliquer ce phénomène? En général, les femmes ont des parcelles plus petites, or celles-ci offrent une meilleure productivité, tant chez les hommes que chez les femmes. Ce constat rejoint celui de la littérature économique, à savoir que les petites exploitations peuvent être gérées de manière plus intensive98. Par exemple, les agriculteurs peuvent prendre davantage soin des petites parcelles et les ensemencer plus fréquemment.
Deuxièmement, différents facteurs influent sur les écarts de productivité entre les femmes et les hommes (figure 2.9). Si les effets ont une valeur positive, cela signifie que les disparités liées au genre pour un facteur donné creusent les écarts de productivité entre les femmes et les hommes; en revanche, si les effets ont une valeur négative, cela indique que les disparités associées au genre pour le facteur considéré contribuent à réduire le fossé en matière de productivité. Dans tous les pays, quel que soit le sexe du chef de ménage (graphique A) ou du gestionnaire d’exploitation (graphique B), les disparités liées au genre concernant la superficie des terres agricoles (en marron) contribuent à réduire l’écart de productivité entre les femmes et les hommes: en d’autres termes, les femmes gèrent généralement des exploitations plus petites que celles des hommes, or elles parviennent à obtenir des rendements à l’hectare plus élevés que dans des exploitations de plus grande taille. Les disparités liées au genre concernant les caractéristiques personnelles des gestionnaires d’exploitation, comme le niveau d’études et l’âge (en violet), et celles concernant l’accès aux intrants et aux technologies (en rouge) contribuent à creuser le fossé entre femmes et hommes en matière de productivité agricole dans tous les pays de l’échantillon.
Troisièmement, l’effet inexpliqué (ou structurel) associé aux discriminations est important et toujours positif, accentuant ainsi l’écart au détriment des femmes dans les trois séries de comparaisons (13 pour cent, 8,2 pour cent et 11,9 pour cent).
Lorsque l’on compare des agriculteurs qui possèdent des terres de même superficie, les disparités liées au genre favorisent les hommes dans les trois séries, et ce, dans des proportions similaires (24,4 pour cent, 22,9 pour cent et 24 pour cent). Au total, l’écart en faveur des hommes en matière de productivité des terres est de l’ordre de 24 pour cent.
On estime généralement que la productivité de la main-d’œuvre est plus faible dans l’agriculture que dans d’autres secteurs de l’économie. Selon des études récentes99, 100, 101, il semblerait que la productivité de la main-d’œuvre agricole ne soit pas aussi faible qu’on le pensait jusqu’ici: cette sous-performance apparente serait en effet attribuable en grande partie au problème du sous-emploi, qui tient à la nature saisonnière et à l’intensité variable de la production agricole. Comme indiqué plus haut dans ce chapitre, les femmes qui travaillent dans le secteur agricole ont moins de chances que les hommes d’occuper un emploi à temps plein.
Rares sont les études qui se sont intéressées aux disparités qui existent entre femmes et hommes en ce qui concerne la productivité de la main-d’œuvre. Toutefois, une étude qui s’est penchée sur ces disparités en comparant les femmes et les hommes qui gèrent des exploitations agricoles dans cinq pays d’Afrique subsaharienne a révélé d’importants écarts96. Ceux-ci varient de 47 pour cent au Nigéria et en République-Unie de Tanzanie à 2 pour cent en Éthiopie, ce dernier pays étant le seul de l’échantillon à ne pas connaître d’écarts marqués entre les gestionnaires d’exploitation selon qu’il s’agisse de femmes ou d’hommes. L’écart moyen entre femmes et hommes dans les cinq pays est de 35 pour cent (tableau 2.3). Il s’explique principalement par l’effet de dotation, qui tient compte des différences dans les caractéristiques observables des agriculteurs, des ménages et des parcelles (28 pour cent). Les inégalités structurelles, associées aux discriminations, sont à l’origine d’une part moins importante de l’écart (7 pour cent).
L’étude, qui décompose les différents éléments expliquant l’écart observé, aboutit à des résultats similaires à ceux obtenus pour la productivité des terres. Les inégalités d’accès à la main-d’œuvre familiale, l’âge et le niveau d’instruction des gestionnaires d’exploitation ainsi que la responsabilité des soins au sein du ménage contribuent à creuser l’écart en matière de productivité de la main-d’œuvre. En revanche, les parcelles plus petites gérées par les femmes leur permettent de travailler de manière plus intensive et sont corrélées à des disparités moindres entre femmes et hommes sur le plan de la productivité de la main-d’œuvre.
Dans les systèmes agroalimentaires, la rémunération des salariés désavantage les femmes. Certaines études de cas font état d’inégalités salariales importantes entre les femmes et les hommes, non seulement dans l’agriculture, mais aussi dans les segments non agricoles des systèmes agroalimentaires. Par exemple, dans le secteur horticole au Sénégal, les salaires perçus par les femmes sont en moyenne 24 pour cent inférieurs à ceux des hommes71. Le fait que les femmes soient cantonnées à des secteurs faiblement rémunérés explique en grande partie les écarts observés28. Toutefois, selon plusieurs études, les salaires des femmes ont tendance à être inférieurs à ceux des hommes, y compris pour des activités identiques25, 102 et dans des secteurs majoritairement féminins comme la production aquacole10, ce qui dénote une discrimination généralisée à l’égard des femmes dans les emplois salariés au sein des systèmes agroalimentaires.
Sur la base d’un échantillon de 10 pays d’Afrique subsaharienne, du Proche-Orient et d’Afrique du Nord, d’Asie et d’Amérique latine, des écarts salariaux importants ont été constatés entre les femmes et les hommes dans les activités agricoles et non agricoles, tant au sein des systèmes agroalimentaires qu’en dehors (tableau 2.4)97, 103. Premièrement, dans les 10 pays, les femmes gagnent en moyenne 18,4 pour cent de moins que les hommes dans le secteur agricole salarié. Autrement dit, pour chaque dollar gagné par un homme, une femme ne reçoit que 82 centimes. L’écart salarial dans le secteur non agricole (au sein des systèmes agroalimentaires et en dehors) dans ces pays est moins important, puisqu’il s’élève à 15,8 pour cent.
Deuxièmement, dans le secteur agricole salarié des 10 pays de l’échantillon, l’effet structurel (associé aux discriminations) permet d’expliquer la plus grande partie de l’écart salarial entre les femmes et les hommes (11,9 pour cent). Ces résultats viennent corroborer les conclusions d’études précédentes (par exemple, Fisher, Lewin et Pilgeram, 2021104 et Hertz et al., 2009105). Parmi les éléments composant l’effet de dotation, qui représente 6,4 pour cent, peu de tendances homogènes se dégagent en ce qui concerne l’influence des caractéristiques personnelles.
Troisièmement, dans le cas de l’emploi salarié non agricole, l’effet structurel pèse en moyenne plus lourd (9,7 pour cent) que l’effet de dotation (6,1 pour cent). Si l’effet de dotation et l’effet structurel contribuent tous deux fortement à l’écart salarial entre femmes et hommes dans la plupart des pays, leurs rôles respectifs varient d’un pays à l’autre Dans la majeure partie des pays, l’effet structurel contribue à creuser l’écart salarial. L’effet de dotation quant à lui agit dans les deux sens puisqu’il accentue l’écart dans la moitié des pays et le réduit dans trois pays : la Colombie, l’Égypte et la Tunisie.
En ce qui concerne les facteurs liés à l’effet de dotation, les recherches font ressortir le rôle joué par les différences de genre en matière d’éducation, d’emploi à temps partiel et de ségrégation professionnelle dans les sous-secteurs. Les disparités entre femmes et hommes en ce qui concerne le niveau d’instruction sont le plus souvent corrélées à des écarts salariaux moins importants. Dans les pays de cet échantillon, les femmes, relativement peu nombreuses, qui occupent des emplois salariés dans le secteur non agricole (notamment des emplois hautement qualifiés et spécialisés) ont un niveau d’éducation équivalent ou supérieur à celui des hommes. La rémunération horaire des emplois à temps partiel dépasse celle des emplois à temps plein, et la plus grande probabilité de travailler à temps partiel chez les femmes est associée à une diminution des écarts salariaux avec les hommes. Toutefois, les emplois à temps plein donnent parfois droit à des avantages et prestations sociales supplémentaires, qui ne sont pas pris en compte dans la rémunération horaire. La ségrégation liée au genre dans les différents secteurs d’emploi s’accompagne systématiquement d’écarts salariaux plus importants entre femmes et hommes dans les segments non agricoles, ce qui concorde avec la littérature. Les femmes se concentrent essentiellement dans les secteurs peu rémunérateurs, ce qui creuse davantage ces écarts.
Les peuples autochtones – et les femmes autochtones en particulier – sont des acteurs clés de la conservation de la biodiversité, de la préservation des ressources communes et de la gestion des ressources en eau. Bien qu’ils soient les principaux détenteurs des connaissances traditionnellesi, ils demeurent fortement défavorisés dans les systèmes alimentaires, en raison de mauvaises conditions de travail, d’un accès insuffisant aux ressources et de discriminations profondément ancrées. La plupart des peuples autochtones (74 pour cent) vivent dans des zones rurales et sont fortement tributaires des systèmes agroalimentaires pour leur subsistanceii.
Cinquante-cinq pour cent des emplois occupés par des autochtones se trouvent dans le secteur agricole, contre 27 pour cent des emplois occupés par des non-autochtones, la situation étant comparable pour les femmes et pour les hommesiii. Le commerce, les transports, l’hébergement et la restauration pèsent presque deux fois plus lourd dans l’emploi des non-autochtones que dans celui des autochtones (31,9 pour cent contre 17,3 pour cent), tant pour les femmes que pour les hommes.
Les emplois occupés par des femmes et des hommes autochtones se caractérisent par de piètres conditions de travail, de faibles salaires et des pratiques discriminatoires, les femmes autochtones étant confrontées à des désavantages plus importants sur le marché du travail. L’emploi informel est supérieur de 20 points de pourcentage chez les autochtones par rapport aux non-autochtones, et de 25,6 points de pourcentage chez les femmes autochtones par rapport aux femmes non autochtones.
Dans environ trois quarts des emplois qu’elles occupent, les femmes autochtones exercent leur activité à titre de travailleuses familiales ou de travailleuses à leur propre compte, deux formes de travail indépendant vulnérable. Plus de 33 pour cent des femmes autochtones sont employées en tant que travailleuses familiales, contre 11,9 pour cent des hommes autochtones et 17,7 pour cent de femmes non autochtones dans certains paysii. Le travail salarié joue un rôle nettement moins important dans l’emploi des femmes autochtones que dans celui de tous les autres travailleurs. Près de 25 pour cent des femmes autochtones qui travaillent sont salariées, contre 51,1 pour cent des femmes non autochtones et 30,1 pour cent des hommes autochtones. Moins de 1 pour cent des femmes autochtones sont des entrepreneuses employant de la main-d’œuvre salariée (employeuses)ii.
Conjuguées à des niveaux d’éducation plus faibles, à une plus forte concentration dans les zones rurales et à une discrimination enracinée, ces conditions conduisent à un écart de revenus de 18,5 pour cent entre les peuples autochtones et les peuples non autochtones. C’est en Amérique latine et dans les Caraïbes que cet écart est le plus élevé (31,2 pour cent). L’écart de rémunération entre autochtones et non autochtones est plus grand chez les hommes (24,4 pour cent) que chez les femmes (8,2 pour cent)ii.
Les femmes autochtones sont confrontées à des défis singuliers en matière d’accès à l’emploi en raison de l’exclusion sociale et économique et de la discrimination dont elles sont victimes, des violations de leurs droits, de l’important travail non rémunéré qu’elles effectuentiv, v, vi et du manque de reconnaissance de leurs connaissances, pratiques et compétences traditionnellesvii. La transformation rapide des zones rurales se traduit par une diminution des possibilités d’emplois traditionnels en milieu ruralv. Sur les marchés du travail ruraux et urbains, les femmes autochtones sont plus vulnérables que les femmes non autochtones, car elles participent davantage à l’économie informelle, sont exploitées et travaillent dans des conditions précairesviii. Le changement climatique apparaît aussi comme un facteur majeur de la transformation rurale qui pèse sur la vie des peuples autochtones et risque d’exacerber les inégalités existantesiv.
Les systèmes alimentaires et les systèmes de connaissances des peuples autochtones sont multifonctionnels et intégrés: ils fournissent nourriture, remèdes, abri et énergie et favorisent la vie culturelle, sociale et spirituelle. Ce caractère multifonctionnel repose sur la volonté de comprendre les systèmes alimentaires dans leur globalité et d’y participer en accordant une attention particulière aux liens qui existent entre les différents éléments de l’écosystème. Aujourd’hui, l’existence même des systèmes alimentaires et des systèmes de connaissances autochtones ainsi que leur capacité à préserver 80 pour cent de la biodiversité encore présente dans le mondeix constituent deux des contributions les plus importantes à la viabilité de la planète.
Les femmes autochtones jouent un rôle fondamental dans la préservation des moyens de subsistance, de la langue et de la culture de leurs peuples, ainsi que dans la gestion des ressources naturelles présentes sur leurs territoires. Elles sont les détentrices des connaissances, et à ce titre jouent un rôle essentiel dans la mise au point de solutions fondées sur la nature dans le contexte de l’action climatique et du développement durable.
Pourtant, comme leurs droits, notamment le droit au développement autodéterminé ainsi que leurs droits collectifs, ne sont pas reconnus de manière systématique, les femmes autochtones sont de plus en plus confrontées à des situations de discrimination, de vulnérabilité, de pauvreté, de conflit et d’insécurité alimentaire. Le manque persistant de données désagrégées contribue à les invisibiliser, y compris au sein de la population autochtone. Il est donc difficile de mener des recherches approfondies et ciblées et, par conséquent, d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques permettant de lutter contre les formes de discrimination multiples et interdépendantes auxquelles sont confrontées les femmes autochtonesx.
L’accès aux terres, aux ressources naturelles et aux territoires est également un facteur déterminant pour les moyens de subsistance des femmes autochtones. Les structures sociales et de gouvernance des peuples autochtones influencent fortement l’accès des femmes autochtones à la terre et aux ressources naturelles. L’affaiblissement ou la modification de ces structures en raison de l’évolution des facteurs environnementaux, sociaux et politiques amoindrit la reconnaissance du rôle des femmes au sein de leurs communautés et leur participation aux processus de prise de décisionsx.
Une étude de cas portant sur le peuple Wayuu a montré que la modification du rôle des femmes avait sensiblement restreint leur indépendance économique, puisqu’elles sont passées d’activités commerciales à des tâches plus domestiques et que la fragilisation de leur structure matrilinéaire avait entraîné une rupture des liens entre les membres de la communauté et renforcé la ségrégation politique. Cette situation accroît la vulnérabilité des familles et réduit leur aptitude à résister aux chocs climatiques ou sociauxxi.