Chapter 4 Agencéité des femmes, normes et politiques dans les systèmes agroalimentaires

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SÉNÉGAL – Une femme dispose des huîtres sur un séchoir.
©FAO/Sylvain Cherkaoui
chapter 1 introduction
L’AUTONOMISATION DES FEMMES S’ACCOMPAGNE D’UNE AMÉLIORATION DU BIENÊTRE GÉNÉRAL.
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AZERBAÏDJAN – Une adhérente d’un groupe de femmes apprend à produire du miel.

PRINCIPALES CONSTATATIONS

  • Les progrès accomplis dans l’évaluation de l’autonomisation des femmes montrent que le renforcement du pouvoir d’action de ces dernières a des effets positifs sur la production agricole, la sécurité alimentaire et la qualité de l’alimentation ainsi que sur la nutrition des enfants.
  • La promotion de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes est essen-tielle pour le bien-être des femmes, et présente par conséquent un intérêt en soi.
  • Les normes sociales et les règles qui sont discriminatoires à l’égard des femmes et des filles sont au cœur des inégalités fondées sur le genre. Elles n’évoluent pas rapidement et demeurent restrictives dans beaucoup de pays.
  • Les politiques et stratégies nationales relatives aux systèmes agroalimentaires prennent de plus en plus en compte le rôle crucial des femmes et les difficultés qu’elles rencontrent. Il reste toutefois des lacunes dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques et des programmes d’investissement.

INTRODUCTION

Chercher à résorber les écarts de productivité entre femmes et hommes ou s’attaquer à un seul aspect des inégalités de genre (qui sont examinées aux chapitres 2 et 3) ne suffit pas pour amener des changements profonds et durables en faveur de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes dans les systèmes agroalimentaires. Ces 10 dernières années, on a accordé une attention croissante à la nécessité d’éliminer les contraintes structurelles créées par les normes sociales discriminatoires et par les politiques et lois ne tenant pas compte de la dimension de genre dans les systèmes agroalimentaires. Il est ainsi devenu de plus en plus urgent de concevoir des projets visant à accroître l’autonomie des femmes et de mesurer les effets des interventions sur l’agencéité et l’émancipation des femmes. On ne peut pas se contenter des stratégies habituelles: il faut adopter des approches porteuses de transformation en matière de genre afin de prendre en compte le contexte socioéconomique général dans lequel s’inscrivent l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes, y compris les contraintes qui pèsent sur la participation et les aspirations des femmes et des filles dans les systèmes agroalimentaires1.

Le cadre relatif aux systèmes alimentaires intégrant la dimension de genre, qui est présenté au chapitre 1, recense quatre domaines d’inégalité de genre qui entravent l’autonomisation des femmes: 1) l’agencéité des femmes; 2) les normes sociales liées au genre; 3) les politiques et la gouvernance; et 4) l’accès aux ressources et leur contrôle. Ces quatre domaines présentent un caractère plus ou moins formel ou informel, et les contraintes qui en découlent pour les femmes varient selon qu’elles s’exercent au niveau individuel ou systémique. L’agencéité, les normes, les politiques et l’accès aux ressources sont interdépendants et influencés par des facteurs de différenciation sociale, de discrimination et d’exclusion qui s’entrecroisent. Compte tenu de ces relations d’interdépendance, les éventuelles retombées positives d’une amélioration dans l’un de ces domaines sont subordonnées aux changements réalisés dans les trois autres. Le chapitre 3 abordait la question de l’accès aux biens et du contrôle des ressources. Le présent chapitre, quant à lui, s’intéresse aux trois premiers domaines.

RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE – Des producteurs se rendent au marché pour y vendre leurs biens.
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RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE – Des producteurs se rendent au marché pour y vendre leurs biens.
©FAO/Daniel Hayduk

Œuvrer en faveur de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes suppose de s’attaquer aux contraintes imposées par les normes sociales et à la répartition rigide des rôles fondée sur le genre qui conditionnent la participation des femmes dans les systèmes agroalimentaires. Pour avancer efficacement dans cette voie, il faut amener les hommes, les garçons et les dirigeants communautaires à prendre part aux processus porteurs de transformation en matière de genre. Beaucoup d’éléments attestent de l’importance de cette démarche et des réussites obtenues au niveau des projets ou des communautés, mais il est difficile de trouver des améliorations sociétales à grande échelle dont l’ampleur a permis de faire évoluer les normes sociales en faveur de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes. En revanche, de plus en plus de politiques, dans un nombre croissant de pays, sont conçues de manière à inclure les femmes et les filles. Il reste toutefois beaucoup moins évident de savoir à quel point l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes constituent un objectif explicite de ces politiques et, partant, si elles font l’objet d’un plan de mise en œuvre clairement défini.

IL FAUT AMENER LES HOMMES, LES GARÇONS ET LES DIRIGEANTS COMMUNAUTAIRES À PRENDRE PART AUX PROCESSUS PORTEURS DE TRANSFORMATION EN MATIÈRE DE GENRE.

AUTONOMISATION ET AGENCÉITÉ

L’autonomisation est le «processus par lequel des personnes privées de la possibilité de faire des choix de vie stratégiques acquièrent la capacité de le faire»2, Cela suppose une transformation ou des changements dans la durée3. Autonomiser les hommes et les femmes se traduit par une amélioration du bien-être général, et peut également avoir des effets bénéfiques à court et à long terme sur le plan économique et social pour les familles, les populations et les pays. L’autonomisation est au cœur du programme mondial de développement et se retrouve dans plusieurs cibles de l’ODD 5 (Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles). C’est aussi un élément essentiel dans la perspective d’une évolution porteuse de transformation en matière de genre au sein des systèmes agroalimentaires.

L’autonomisation n’était pas une question centrale dans l’édition 2010-2011 du rapport sur La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture4, puisque l’analyse des disparités entre femmes et hommes se focalisait davantage sur les inégalités concernant l’accès aux ressources et les réalisations. En revanche, depuis lors, l’autonomisation des femmes est devenue un objectif explicite des interventions qui sont menées dans l’agriculture et les systèmes alimentaires en vue d’améliorer la productivité agricole ou la nutrition dans les ménages5, ce qui permet d’envisager la promotion de l’égalité au sein des systèmes agroalimentaires selon une approche plus globale.

L’autonomisation a pour but d’accroître la capacité des personnes à faire des choix et à les mettre en pratique. Elle comprend trois dimensions interdépendantes: 1) les ressources (l’accès aux ressources matérielles et humaines et la possibilité de revendiquer des droits sur ces ressources à l’avenir), 2) les réalisations (les résultats obtenus en matière de bien-être) et 3) l’agencéité (la prise de décisions). L’agencéité est la capacité de chaque personne à se fixer ses propres objectifs, à faire des choix et y donner suite. Elle peut se manifester sous différentes formes, comme le marchandage, la négociation ou la résistance. Les femmes peuvent exercer leur agencéité de nombreuses manières: individuellement ou collectivement, dans le cadre familial ou par leur participation aux marchés, à la vie politique ou à d’autres réseaux formels et informels.

Dans le contexte des systèmes agroalimentaires, on mesure souvent l’agencéité en fonction de l’évaluation qui est faite par les femmes elles-mêmes de leur capacité à participer aux décisions au sein du ménage (concernant, par exemple, l’utilisation des terres agricoles ou des revenus du ménage). Cette mesure est utilisée comme un indicateur indirect de leur pouvoir de négociation6. Avoir son mot à dire dans les décisions du ménage peut constituer un aspect important de l’autonomisation, puisqu’il peut s’agir d’un objectif souhaitable en soi, qui pourrait de surcroît influer sur la répartition des ressources au sein du ménage7. Lorsqu’on se place sous l’angle des systèmes agroalimentaires, l’agencéité confère également aux femmes un rôle plus important dans la gouvernance des chaînes de valeur, ce qui leur permet de ne pas se voir exclues des négociations stratégiques et des interventions qui facilitent l’accès aux marchés. Étant donné l’importance qu’elle revêt dans l’optique de l’autonomisation des femmes, l’agencéité occupe une place centrale dans certains indices tels que l’indice de l’autonomisation des femmes dans l’agriculture (Women’s Empowerment in Agriculture Index ou WEAI) et ses différents outils de mesure (voir l’encadré 4.1)8.

ENCADRÉ 4.1 MESURER L’AUTONOMISATION ET L’AGENCIÉTÉ DES FEMMES: L’INDICE DE L’AUTONOMISATION DES FEMMES DANS L’AGRICULTURE

Il est difficile de faire progresser l’autonomisation des femmes, car c’est une notion complexe et intangible, qui revêt une dimension politique. Mesurer l’autonomisation des femmes et l’égalité des genres est donc important, et ce pour quatre raisons principalesi: cela peut aider à améliorer la conception des projets; cela permet de mettre en évidence les effets néfastes et involontaires de certaines interventions, comme les violences fondées sur le genre; cela peut également renforcer la reddition de comptes et la crédibilité dans le cadre des projets et politiques qui visent à accroître l’autonomisationii; enfin, cela peut remettre en question les relations de pouvoir, dans la mesure où les personnes participant à l’évaluation de l’autonomisation sont associées aux décisions concernant les aspects à évaluer, la procédure et la période d’évaluation et le choix des évaluateursiii.

Comme les travaux de recherche qui portent sur l’égalité des genres accordent une plus grande importance à l’autonomisation, on s’intéresse de plus en plus à l’évaluation des changements qui s’opèrent en la matière. L’indice de l’autonomisation des femmes dans l’agriculture (WEAI), qui mesure l’agencéité et l’autonomisation des femmes dans le secteur agricole, a été créé en 2012iv, v. Avant cela, il n’existait pas d’instrument de mesure qui portait exclusivement sur l’agencéité des femmes dans l’agriculturevi. Cet indice comprend 10 indicateurs, répartis dans cinq domaines à pondération égale: 1) les décisions relatives à la production agricole; 2) l’accès aux ressources productives et le pouvoir de décision concernant ces ressources; 3) le contrôle de l’utilisation des revenus; 4) le rôle de direction au sein de la communauté; et 5) la répartition du temps.

L’indice WEAI présente plusieurs avantages. Premièrement, il rend compte à la fois des niveaux absolus d’autonomisation des femmes et des hommes dans l’agriculture et des réalisations des femmes par rapport aux hommes au sein d’un même ménage. Deuxièmement, il renseigne sur l’accès au capital productif et aux services financiers, l’appartenance à un groupe et l’utilisation du temps. Il offre donc une perspective plus globale de l’agencéité que les indicateurs qui ne mesurent que la participation à la prise de décisions. Troisièmement, dans la mesure où il peut être décomposé, l’indice permet de suivre les progrès réalisés dans les différentes dimensions de l’autonomisation, notamment en évaluant les complémentarités et arbitrages éventuels entre les indicateurs.

L’indice WEAI a donné lieu à plusieurs adaptations, notamment une variante abrégée (A-WEAI) et une variante au niveau des projets (pro-WEAI), conçue pour mesurer les effets des projets de développement agricole sur l’autonomisation des femmes et repérer les sphères de perte d’autonomievii. L’indice pro-WEAI mesure l’agencéité intrinsèque, effective et collective. L’agencéité intrinsèque correspond à la voix intérieure d’une personne, au respect de soi ou à la confiance en soi; l’agencéité effective désigne la capacité d’une personne à prendre des décisions dans son propre intérêt; enfin, l’agencéité collective renvoie au pouvoir d’action que les personnes acquièrent en agissant ensemble (voir la figure A).

Figure A A Les trois types d’agencéité mesurés par l’indice pro-WEAI: l’agencéité collective, effective et intrinsèque

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SOURCE: Centre de ressources sur l’indice WEAI. https://weai.ifpri.info/

L’indice pro-WEAI comprend également des modules complémentaires facultatifs sur l’élevage et sur la santé et la nutrition, qui sont destinés aux projets dans le cadre desquels on souhaite évaluer l’autonomisation dans ces domainesi. Il existe également des versions autonomes qui mesurent l’autonomisation dans les secteurs de l’élevageviii et de la pêcheix ou en ce qui concerne l’insertion sur le marché et les résultats nutritionnelsx, xi. L’indice WEAI et ses variantes sont largement utilisés (figure B)xii.

Figure B L’indice de l’autonomisation des femmes dans l’agriculture est largement utilisé par les organisations et les pays depuis sa création en 2012

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SOURCE: Quisumbing, A., Meinzen-Dick, R. et Malapit, H. 2022. Measuring women’s empowerment and gender equality through the lens of induced innovation. In: J.P. Estudillo, Y. Kijima & T. Sonobe, eds. Agricultural development in Asia and Africa: Emerging-economy state and international policy studies, pp. 343–355. Singapore, Springer. https://doi.org/10.1007/978-981-19-5542-6_25

L’indice WEAI et ses variantes ont certes facilité la normalisation et la comparaison des effets sur l’autonomisation des femmes, mais ils présentent aussi plusieurs lacunes notables. Tout d’abord, les multiples variables de cet indice font que les changements d’ensemble en matière d’autonomisation sont conditionnés par des arbitrages, par exemple entre une plus grande participation des femmes aux activités domestiques et agricoles, qui peut être source d’autonomisation, et une hausse de la charge de travail et des contraintes de temps, qui ne l’est pas. Deuxièmement, bien qu’il soit utile de mesurer certaines facettes de la prise de décisions relative aux revenus et aux actifs, il est difficile de déterminer si les changements qui s’opèrent en matière d’autonomisation s’accompagnent également d’une amélioration du bien-être des femmes, à moins que ces mesures soient complétées par des indicateurs d’impact plus courants qui permettent d’évaluer l’augmentation des revenus et des actifs, surtout chez les personnes pauvres et extrêmement pauvres. Troisièmement, même dans le cadre relativement normalisé de l’indice WEAI, la diversité des indicateurs utilisés pour mesurer les résultats dans chaque domaine d’autonomisation rend encore plus difficile la comparaison des données entre les études.

NOTES:
  1. Elias, M., Cole, S., Quisumbing, A., Paez Valencia, A.M., Meinzen-Dick, R. et Twyman, J. 2021. Assessing women’s empowerment in agricultural research. In: R. Pyburn & A. van Eerdewijk, eds. Advancing gender equality through agricultural and environmental research: Past, present, and future, pp. 329–364. IFPRI, Washington.
  2. Batliwala, S. et Pittman, A. 2010. Capturing change in women’s realities. A critical overview of current monitoring & evaluation frameworks and approaches. Toronto, Association pour les droits de la femme et le développement, Toronto (Canada).
  3. Hillenbrand, E., Karim, N., Mohanraj, P. et Wu, D. 2015. Measuring gender-transformative change: A review of literature and promising practices. Working Paper. CARE USA, Atlanta.
  4. Alkire, S., Meinzen-Dick, R., Peterman, A., Quisumbing, A., Seymour, G. et Vaz, A. 2013. The women’s empowerment in agriculture index. World Development, 52: 71–91.
  5. Martinez, E.M., Myers, E.C. et Pereira, A. 2020. The Women’s Empowerment in Agriculture Index. In: C.E. Sachs, L. Jensen, P. Castellanos & K. Sexsmith, (sous la direction de). Routledge Handbook of Gender and Agriculture, pp. 298–312. Routledge, Abingdon (Royaume-Uni).
  6. Quisumbing, A., Cole, S., Elias, M., Faas, S., Galiè, A., Malapit, H., Meinzen-Dick, R., Myers, E., Seymour, G. et Twyman, J. 2022. Measuring women’s empowerment in agriculture: Innovations and evidence. Background paper for The status of women in agrifood systems, 2023. Plateforme GENDER du CGIAR, Nairobi (Kenya).
  7. Malapit, H., Quisumbing, A., Meinzen-Dick, R., Seymour, G., Martinez, E.M., Heckert, J., Rubin, D., Vaz, A., Yount, K.M. et GAAP2 Study Team. Development of the project-level Women’s Empowerment in Agriculture Index (pro-WEAI). World Development, 122: 675–692.
  8. Galiè, A., Teufel, N., Korir, L., Baltenweck, I., Webb Girard, A., Dominguez-Salas, P. et Yount, K. 2019. The women’s empowerment in livestock index. Social Indicators Research, 142(2): 799–825.
  9. Cole, S.M., Kaminski, A.M., McDougall, C., Kefi, A.S., Marinda, P.A., Maliko, M. et Mtonga, J. 2020. Gender accommodative versus transformative approaches: A comparative assessment within a post-harvest fish loss reduction intervention. Gender, Technology and Development, 24(1): 48–65. https://doi.org/10.1080/09718524.2020.1729480
  10. Narayanan, S., Lentz, E., Fontana, M., De, A. et Kulkarni, B. 2019. Developing the women’s empowerment in nutrition index in two states of India. Food Policy, 89: 101780.
  11. Saha, S. et Narayanan, S. 2022. A simplified measure of nutritional empowerment using machine learning to abbreviate the Women’s Empowerment in Nutrition Index (WENI). World Development, 154: 105860. https://doi.org/10.1016/j.worlddev.2022.105860
  12. Quisumbing, A., Meinzen-Dick, R. et Malapit, H. 2022. Measuring women’s empowerment and gender equality through the lens of induced innovation. In: J.P. Estudillo, Y. Kijima & T. Sonobe, eds. Agricultural development in Asia and Africa: Emerging-economy state and international policy studies, pp. 343–355. Springer, Singapour. https://doi.org/10.1007/978-981-19-5542-6_25
L’AUTONOMISATION EST INDISPENSABLE pour FAIRE ÉVOLUER LA PROBLÉMATIQUE DU GENRE DANS LES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES.

Viser une plus grande autonomisation

L’intérêt croissant porté à l’autonomisation des femmes en tant qu’objectif des interventions de développement ainsi que les avancées qui en découlent pour la définition et la mesure de l’autonomisation ont permis de mieux comprendre les facteurs propices à l’autonomisation dans le contexte des systèmes agroalimentaires. Les interventions dans les systèmes agroalimentaires peuvent être mises au service de l’autonomisation des femmes, mais il faut qu’elles soient expressément conçues dans cette perspective si l’on veut améliorer les résultats. Ce sujet est approfondi au chapitre 6, qui met en lumière les succès obtenus et propose une voie à suivre pour promouvoir l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes dans les systèmes agroalimentaires.

L’agencéité effective des femmes, qui recouvre notamment le contrôle des revenus et des biens ou encore les décisions relatives aux services financiers, semble plus facile à influencer, à accroître et à mesurer que l’agencéité intrinsèque et d’autres facettes de l’autonomisation. Dans le cadre de l’examen d’un portefeuille de 13 projets de développement agricole menés dans neuf pays d’Afrique et d’Asie du Sud, qui prévoyaient diverses interventions sur les cultures, l’élevage et la nutrition, et qui visaient à accroître les revenus et les résultats nutritionnels, l’indice pro-WEAI a révélé que les projets avaient des effets mitigés sur l’autonomisation9. Un tiers des interventions a entraîné une hausse statistiquement significative de la parité femmes-hommes dans les ménages; une intervention a fait reculer la parité, et les autres n’ont pas eu d’effet statistiquement significatif (figure 4.1).

Figure 4.1 Dans le cadre de projets en Afrique et en Asie du Sud, un tiers des interventions sur les systèmes agroalimentaires ont amélioré la parité femmes-hommes dans les ménages

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NOTE: Estimates of impact on household gender parity
SOURCE: Quisumbing, A., Meinzen-Dick, R., Malapit, H., Seymour, G., Heckert, J., Doss, C., Johnson, N. et al. 2022. Can agricultural development projects empower women? A synthesis of mixed methods evaluations using pro-WEAI in the Gender, Agriculture, and Assets Project (Phase 2) portfolio.IFPRI Discussion Paper 2137. IFPRI, Washington. https://doi.org/10.2499/p15738coll2.136405

En outre, la plupart des projets n’ont pas eu d’effets notables sur les mesures globales de l’autonomisation. L’autonomisation des hommes et, surtout, des femmes a augmenté dans un certain nombre de projets, mais pas dans la majorité d’entre eux (figure 4.2).

Figure 4.2 L’autonomisation des femmes et des hommes a progressé dans le cadre de projets menés en Afrique et en Asie du Sud, mais la plupart des projets n’ont pas eu d’effets

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NOTE: Estimations des indicateurs composites de l’autonomisation pour les femmes et les hommes.
SOURCE: Quisumbing, A., Meinzen-Dick, R., Malapit, H., Seymour, G., Heckert, J., Doss, C., Johnson, N. et al. 2022. Can agricultural development projects empower women? A synthesis of mixed methods evaluations using pro-WEAI in the Gender, Agriculture, and Assets Project (Phase 2) portfolio. IFPRI Discussion Paper 2137.IFPRI, Washington. https://doi.org/10.2499/p15738coll2.136405

Pour les femmes, le renforcement de l’agencéité effective a principalement découlé d’une amélioration dans les domaines du contrôle des revenus, de la propriété de biens et de l’accès au crédit (figure 4.3). Dans le cadre de plusieurs projets, on a mis en évidence des effets positifs pour les femmes en ce qui concerne les indicateurs de l’agencéité collective, tels que l’appartenance à un groupe, grâce au recours à des approches de groupe.

Figure 4.3 La situation en ce qui concerne le contrôle des revenus, la propriété de biens et l’appartenance à un groupe s’est améliorée pour les femmes dans le cadre de projets menés en Afrique et en Asie du Sud

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NOTE: Estimations des indicateurs continus de mesure des effets sur l’agencéité des femmes.
SOURCE: Quisumbing, A., Meinzen-Dick, R., Malapit, H., Seymour, G., Heckert, J., Doss, C., Johnson, N. et al. 2022. Can agricultural development projects empower women? A synthesis of mixed methods evaluations using pro-WEAI in the Gender, Agriculture, and Assets Project (Phase 2) portfolio. IFPRI Discussion Paper 2137. IFPRI, Washington. https://doi.org/10.2499/p15738coll2.136405

Ces résultats ne sont pas différents de ceux tirés d’autres grandes études qui se sont intéressées aux effets de diverses interventions sur l’autonomisation. Une évaluation d’un échantillon de projets menés dans le cadre du programme commun «Accélérer les progrès vers l’autonomisation économique des femmes rurales»10 fait état de résultats mitigés en matière d’autonomisation. Ce programme comprend une approche axée, d’une part, sur l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, des revenus, des capacités de direction et de la participation et, d’autre part, sur la promotion d’un cadre d’action tenant davantage compte de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes. Les changements qui ont été enregistrés concernant l’autonomisation des femmes et des hommes varient selon le pays, le contexte et les conditions de mise en œuvre du programme: les résultats positifs ont été plus nombreux au Kirghizistan, tandis que les résultats enregistrés en Éthiopie ont été davantage négatifs et que ceux observés au Népal et au Niger ont été mitigés (tableau 4.1).

Tableau 4.1 Dans beaucoup de projets, les résultats en matière d’autonomisation sont mitigés

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NOTES: Impact estimates for binary adequacy indicators for projects included in the Joint Programme on Accelerating Progress towards Rural Women’s Economic Empowerment. White cells indicate null results.
SOURCE: Quisumbing, A., Gerli, B., Faas, S., Heckert, J., Malapit, H.J., McCarron, C., Meinzen-Dick, R.S. et Paz, F., 2022. Does the UN Joint Program for Rural Women’s Economic Empowerment (JP RWEE) deliver on its empowerment objectives? IFPRI Discussion Paper 2131. Washington, DC, IFPRI. https://doi.org/10.2499/p15738coll2.136302

Le secteur de l’élevage offre de nombreux points d’ancrage pour soutenir l’autonomisation des femmes (les chapitres 2 et 3 examinent, sous l’angle du genre, la participation au secteur de l’élevage et la possession de bétail). Selon un examen de 106 études portant sur les interventions menées dans ce secteur et leurs effets sur l’autonomisation des femmes, ce sont la vulgarisation, la formation et l’éducation qui ont proportionnellement généré le plus d’effets positifs, suivis par les transferts de biens (figure 4.4)11. En revanche, tous les types d’interventions ont eu plus d’effets négatifs que positifs sur la charge de travail, autant chez les femmes que chez les hommes. D’autres études mettent en lumière la nécessité de s’intéresser au contexte local pour comprendre comment les dynamiques et les normes liées au genre interagissent avec les interventions et influent sur l’autonomisation des femmes3, 12, 13.

Figure 4.4 Les interventions dans le secteur de l’élevage ont des effets positifs sur les biens et les revenus des femmes, mais elles peuvent accroître les contraintes de temps

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SOURCES: Baltenweck, I., Achandi, E., Bullock, R., Campbell, Z., Crane, T., Eldermire, E., Gichuki, L. et al. 2021. What can we learn from the literature about livestock interventions and women’s empowerment? ? ILRI Research Brief 105. ILRI, Nairobi. https://cgspace.cgiar.org/handle/10568/117227
Quisumbing, A., Cole, S., Elias, M., Faas, S., Galiè, A., Malapit, H., Meinzen-Dick, R., Myers, E., Seymour, G. et Twyman, J. 2022. Measuring women’s empowerment in agriculture: Innovations and evidence. Background paper for The Status of women in agrifood systems, 2023. Plateforme GENDER du CGIAR, Nairobi (Kenya).

Les autres avantages d’une plus grande autonomisation

Des effets systématiquement positifs sur l’autonomisation des femmes sont difficiles à atteindre parce que les femmes sont souvent exposées à de multiples désavantages et parce que les programmes ne traitent généralement qu’une partie des contraintes que celles-ci subissent. Même le fait d’avoir plus de biens et de revenus ne donne pas nécessairement plus d’occasions de faire des choix de vie stratégiques quand on est une femme. On observe toutefois des corrélations positives entre l’autonomisation et toute une série de résultats en matière de développement. L’autonomisation des femmes a des effets positifs sur l’alimentation des ménages et la nutrition infantile et augmente la production agricole et la sécurité alimentaire des ménages (tableau 4.2). En revanche, les données sont moins concluantes en ce qui concerne la satisfaction à l’égard de la vie, les résultats scolaires et l’eau, l’assainissement et l’hygiène.

Tableau 4.2 La solidité des éléments probants sur l’autonomisation des femmes varie selon les résultats considérés

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SOURCE: Quisumbing, A., Cole, S., Elias, M., Faas, S., Galiè, A., Malapit, H., Meinzen-Dick, R., Myers, E., Seymour, G. et Twyman, J. 2022. Measuring women’s empowerment in agriculture: Innovations and evidence. Background paper for The status of women in agrifood systems, 2023. Plateforme GENDER du CGIAR, Nairobi (Kenya).

Alimentation et nutrition des enfants: Un grand nombre d’études qui s’appuient sur les mesures de l’indice WEAI établissent des corrélations positives importantes entre l’autonomisation des femmes et l’alimentation ou l’état nutritionnel des enfants (tableau 2.1 de l’annexe 2)3, 14. Ainsi, il a été mis en évidence que l’autonomisation des femmes influait de manière positive sur le score de diversité alimentaire des enfants dans la plupart des pays et des groupes d’âge, autant chez les filles que chez les garçons15, 16. On observe également que le score de parité femmes-hommes de l’indice WEAI est positivement corrélé au rapport taille/âge (écarts réduits) et à l’allaitement maternel exclusif dans plusieurs contextes (Bangladesh, Cambodge, Ghana et Népal), mais moins fréquemment au score de diversité alimentaire des enfants (Bangladesh)3, 15, 17, 18, 19, 20.

Alimentation et nutrition des adultes: Peu d’études examinent la relation entre l’autonomisation des femmes et leur propre situation en matière d’alimentation et de nutrition; les éléments tirés de ces études ne sont pas concluants3. Les études réalisées au moyen de l’indice WEAI montrent qu’il est nécessaire d’évaluer des mesures agrégées et ventilées pour mettre en évidence les liens qui existent dans cette relation (tableau 2.2 de l’annexe 2). Certaines études font ressortir des corrélations positives entre le score total d’autonomisation des femmes et les scores de diversité alimentaire3, mais les composantes de l’indice laissent apparaître l’existence possible d’arbitrages. Une étude menée dans six pays montre par exemple qu’un renforcement de l’égalité au sein du ménage et de l’autonomie dans la production et une augmentation de la charge de travail ont été associées à un indice de masse corporelle (IMC) plus faible, tandis que les progrès concernant la prise de parole en public et la satisfaction à l’égard des loisirs ont été corrélés à un IMC plus élevé21, 22.

L’AUTONOMISATION DES FEMMES A DES EFFETS POSITIFS SUR L’ALIMENTATION DES MÉNAGES, LA NUTRITION INFANTILE ET LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE DES MÉNAGES.

Il existe aussi des différences selon les contextes. Des corrélations positives ont par exemple été observées entre le score d’autonomisation des femmes et la diversité alimentaire au Bangladesh, au Ghana, au Kenya, au Mozambique, au Rwanda et au Timor-Leste, mais aucun effet significatif n’a été observé au Malawi, en Ouganda ou en Zambie18, 23, 24, 25. Un examen portant sur l’équité entre femmes et hommes concernant les revenus, les terres, le bétail et la charge de travail n’a permis de trouver aucune étude mettant en évidence des effets sur l’état nutritionnel des femmes ou la qualité de leur alimentation26.

Deux études menées au Bangladesh ont analysé le rapport entre l’autonomisation des femmes et la nutrition et l’alimentation des hommes (tableau 2.3 de l’annexe 2). La première a montré qu’une amélioration de la situation des femmes en ce qui concerne l’accès au crédit, la prise de décisions en matière de crédit et l’appartenance à un groupe était corrélée à une diminution de l’IMC des hommes27. En revanche, la deuxième a montré que la progression du score d’autonomisation des femmes, de leurs droits sur les biens et de leur appartenance à un groupe était liée à des scores de diversité alimentaire plus élevés chez les hommes18.

Alimentation et sécurité alimentaire des ménages: Il existe peu d’éléments factuels sur l’agencéité des femmes et la disponibilité et l’accessibilité des aliments pour les ménages, et les résultats des études divergent selon les contextes. Au Bangladesh, des niveaux plus élevés d’autonomisation des femmes ont été corrélés à une amélioration de la diversité des apports alimentaires au sein des ménages et de la disponibilité calorique par personne (tableau 2.4 de l’annexe 2)27, 28, alors qu’en Afrique du Sud, l’accès des femmes au crédit et leur pouvoir de décision en la matière sont en corrélation négative avec la diversité alimentaire29. La relation entre l’autonomisation des femmes et la sécurité alimentaire varie aussi en fonction du type de produit agricole, des décisions prises et de l’indicateur d’autonomisation30. Les résultats ne sont pas non plus concluants quant au rapport entre l’égalité des genres au sein des ménages et les différentes mesures de la sécurité alimentaire et de l’alimentation des ménages, bien que des études parmi les plus rigoureuses fassent état de résultats positifs plus uniformes26. Au Bangladesh, par exemple, les inégalités de genre au sein des ménages ont été marginalement associées à des scores de diversité alimentaire plus faibles chez les ménages qui ne sont pas pauvres, chez ceux qui manquent de temps et chez ceux qui sont confrontés à la fois à un manque de temps et de revenus, mais pas chez les ménages ayant seulement de faibles revenus31.

Gains en matière de productivité agricole: Relativement peu d’études évaluent le rapport entre l’autonomisation des femmes et les gains de productivité dans l’agriculture, mais certaines font état de corrélations positives qui varient selon les résultats considérés. On a pu constater que l’autonomisation avait des effets positifs sur la productivité agricole au Bangladesh et au Niger, ainsi que chez les producteurs de maïs au Kenya32, 33, 34. On estime qu’au Niger, une hausse d’un pour cent de l’autonomisation augmenterait la production agricole de presque autant34. Au Bangladesh, la participation accrue des femmes aux décisions agricoles a conduit à une augmentation de la part des terres consacrée à la culture de fruits et de légumes et à une diminution de celle consacrée à la culture de céréales35. Toujours au Bangladesh, on a constaté une corrélation positive entre l’amélioration de la parité femmes-hommes au sein des ménages et l’efficacité de la production32, 36.

TADJIKISTAN – Une femme nourrit les dindes de son exploitation.
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TADJIKISTAN – Une femme nourrit les dindes de son exploitation.
©FAO/Vasily Maksimov

Autres domaines: Moins d’éléments probants existent sur le rapport entre l’autonomisation des femmes et d’autres résultats en matière de bien-être, tels que la scolarisation, la satisfaction à l’égard de la vie et la santé mentale. L’augmentation de la satisfaction des femmes et des hommes à l’égard de la vie a été positivement corrélée au score d’autonomisation et à plusieurs indicateurs de l’indice WEAI au Bangladesh37. L’étude a montré que les femmes et les hommes tiraient profit de domaines d’autonomisation distincts. Ainsi, le fait de pouvoir contribuer aux décisions influe davantage sur la vie des hommes que sur celle des femmes. Par contre, le fait de pouvoir contracter des emprunts a une incidence négative sur la satisfaction que les femmes éprouvent à l’égard de leur vie, mais aucune sur la satisfaction éprouvée par les hommes, ce qui laisse supposer que les femmes peuvent ressentir plus de stress face aux responsabilités supplémentaires qu’implique le remboursement des prêts. Selon une autre étude réalisée au Bangladesh, l’autonomisation des pères est positivement associée à la scolarisation des plus jeunes enfants, tandis que l’autonomisation des mères a une influence plus importante sur l’éducation des filles et sur la poursuite de la scolarisation des garçons et des filles plus âgés38. L’amélioration de l’autonomisation des femmes a aussi été corrélée à un recul du stress et de la dépression post-partum au Burkina Faso39. Selon des études menées en Inde et au Sénégal, d’autres indicateurs d’autonomisation, notamment la liberté de mouvement des femmes et leur appartenance à un groupe, se traduisent aussi par un recul des problèmes de santé mentale et de bien-être40, 41.

PEU D’ÉTUDES ÉVALUENT LA RELATION ENTRE L’AUTONOMISATION DES FEMMES ET LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DANS L’AGRICULTURE.

NORMES SOCIALES, POLITIQUES ET CADRES JURIDIQUES

Les normes et pratiques sociales informelles ainsi que les politiques et institutions officielles peuvent créer des obstacles à l’autonomisation et au bien-être socioéconomique des femmes. Il est impératif de s’attaquer à ces obstacles pour bâtir des systèmes agroalimentaires dans lesquels les femmes pourront jouer un rôle plein et entier et exercer leur agencéité. Si l’on veut assurer l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes et réaliser d’autres changements durables dans les systèmes agroalimentaires, il faut mettre en place des cadres politiques et juridiques favorables et éliminer ou réduire les contraintes sous-jacentes qui empêchent les femmes d’accéder à des ressources complémentaires et de se sentir maîtresses de leur destinée1, 42. Il faut aussi atténuer les restrictions informelles liées aux normes sociales discriminatoires qui placent les femmes dans l’impossibilité de réaliser leurs aspirations9. Les normes influencent de manière non négligeable la mesure dans laquelle les femmes peuvent détenir et contrôler des ressources et accéder à des services; elles peuvent aussi orienter les réglementations formelles43.

ESWATINI – Des employées d’une usine nettoient des pots de confiture avant de les étiqueter.
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ESWATINI – Des employées d’une usine nettoient des pots de confiture avant de les étiqueter.
©FAO/Giulio Napolitano

Normes sociales

Les normes sociales discriminatoires des systèmes agroalimentaires créent des déséquilibres dans les rapports de force entre hommes et femmes et limitent les choix qui s’offrent à eux. Forgées par des systèmes de croyances, elles définissent quels sont les comportements habituels et convenables des hommes et des femmes, au sein de chaque communauté ou de chaque contexte. Ces normes conduisent souvent les femmes à consacrer une plus grande partie de leur temps aux soins et aux tâches domestiques non rémunérés, restreignent leur mobilité et les possibilités qui s’offrent à elles de travailler en dehors du foyer et de se livrer à des activités commerciales, et limitent leur accès aux biens et aux revenus ainsi que le contrôle qu’elles peuvent exercer sur ceux-ci44. Ces limitations normatives peuvent restreindre la participation économique des femmes aux systèmes agroalimentaires (en tant que vendeuses, employeuses ou employées, par exemple) et nuire à leur capacité d’accéder aux technologies, aux services et aux réseaux sociaux (tels que les organisations rurales et les formations agricoles) et d’en tirer profit45, 46, 47. Elles peuvent aussi nuire aux aspirations des femmes (voir l’encadré 4.2).

ENCADRÉ 4.2 ASPIRATIONS ET MODÈLES

Le manque d’aspirations est le résultat de contraintes internes susceptibles de saper la confiance des individus en leurs capacités. De ce fait, il peut nuire à l’agencéité et à l’autonomisationi, ii, aux comportements économiquesiii et à la participation politique et communautaireiv.

Les hommes et les femmes au sein des communautés agricoles et des systèmes agroalimentaires au sens large peuvent avoir des aspirations différentes en ce qui concerne le travail, l’éducation, les revenus et le statut social; ces aspirations peuvent varier d’un contexte ou d’une génération à l’autre. Dans les pays en développement, les jeunes aspirent souvent à quitter l’agriculture et à travailler comme ouvrier ou employé de bureauv, vi. Toutefois, lorsqu’ils ont peu de chances de pouvoir faire les études nécessaires, les jeunes hommes expriment de l’intérêt pour l’agriculture «moderne», contrairement aux jeunes femmes dont les perspectives dans l’agriculture sont limitées par des normes négatives et des contraintes de ressources persistantesv.

Les aspirations des femmes et des hommes évoluent au fil de la transformation des zones ruralesvii. Par exemple, dans les zones rurales du Maroc, qui sont en mutation rapide, les jeunes hommes aspirent à une agriculture modernisée et à se lancer dans l’entrepreneuriat agricole; de leur côté, les jeunes femmes tentent de trouver un équilibre dans leurs aspirations entre les fonctions qui leur incombent traditionnellement (le mariage et la maternité) et le désir de gagner un revenu par elles-mêmesvii. Dans les zones où l’émigration masculine est importante et où les possibilités de gagner sa vie hors exploitation sont insuffisantes, comme dans certaines régions du Kenya, les agricultrices disent aspirer à donner une orientation commerciale à leurs exploitations agricolesviii.

Différentes structures institutionnelles formelles et informelles, y compris les normes sociales, façonnent les aspirations des individus9. Ces aspirations sont également influencées par les vies et les réalisations de personnes qui servent de modèles au sein de la famille, dans la communauté et au-delàix. Les femmes qui occupent une position influente sont des sources d’inspiration importantes pour les filles et les femmes, surtout en milieu rural. En Inde, le fait de mettre la population au contact de femmes dirigeantes, dans le cadre d’une expérience nationale, s’est traduit par un renforcement des aspirations des jeunes femmes, une atténuation des disparités liées au genre en matière d’éducation et une réduction du temps consacré par les filles aux tâches ménagèresx. Au Lesotho, une expérience similaire a fait naître un état d’esprit plus égalitaire chez les filles, même si elle n’a pas modifié le niveau de préjugés liés au genre dans l’opinion publiquexi; la présence de modèles féminins a eu une influence positive sur les aspirations professionnelles des jeunes filles et a réduit leur tolérance aux stéréotypes de genre.

NOTES:
  1. Kosec, K., Akramov, K., Mirkasimov, B., Song, J. et Zhao, H. 2022. Aspirations and women’s empowerment: Evidence from Kyrgyzstan. Economics of Transition and Institutional Change, 30(1): 101–134.
  2. Nandi, R. et Nedumaran, S. 2021. Understanding the aspirations of farming communities in developing countries: A systematic review of the literature. The European Journal of Development Research, 33(4): 809–832. https://doi.org/10.1057/s41287-021-00413-0
  3. Mo, C.H. 2012. Essays in behavioral political economy: The effects of affect, attitudes, and aspirations. Doctoral Dissertation, Stanford University.
  4. Kosec, K. et Mo, C.H. 2017. Aspirations and the role of social protection: Evidence from a natural disaster in rural Pakistan. World Development, 97: 49-66. https://doi.org/10.1016/j.worlddev.2017.03.039
  5. Elias, M., Mudege, N., Lopez, D.E., Najjar, D., Kandiwa, V., Luis, J., Yila, J. et al. 2018. Gendered aspirations and occupations among rural youth, in agriculture and beyond: A cross-regional perspective. Agri-Gender: Journal of Gender, Agriculture and Food Security, 3(1): 82–107. https://doi.org/10.19268/JGAFS.312018.4
  6. Banque mondiale. 2019. Changing aspirations and stereotypes in the Maldives. Project Brief. Washington, DC, Mind, Behavior, and Development Unit (eMBeD), Banque mondiale. https://tinyurl.com/292bjz7x
  7. Bossenbroek, L., van der Ploeg, J.D. et Zwarteveen, M. 2015. Broken dreams? Youth experiences of agrarian change in Morocco’s Saïss region. Cahiers Agricultures, 24(6): 342–348. https://doi.org/10.1684/agr.2015.0776
  8. Crossland, M., Paez Valencia, A.M., Pagella, T., Mausch, K., Harris, D., Dilley, L. et Winowiecki, L. 2021. Women’s changing opportunities and aspirations amid male outmigration: Insights from Makueni County, Kenya. The European Journal of Development Research, 33(4): 910–932. https://doi.org/10.1057/s41287-021-00362-8
  9. La Ferrara, E., 2019. Presidential address: Aspirations, social norms, and development. Journal of the European Economic Association, 17(6): 1687-1722. https://doi.org/10.1093/jeea/jvz057
  10. Beaman, L., Duflo, E., Pande, R. et Topalova, P. 2012. Female leadership raises aspirations and educational attainment for girls: A policy experiment in India. Science, 335(6068): 582–586. https://doi.org/10.1126/science.1212382
  11. Clayton, A. 2018. Do gender quotas really reduce bias? Evidence from a policy experiment in Southern Africa. Journal of Experimental Political Science, 5(3): 182–194.
LES NORMES SOCIALES DISCRIMINATOIRES DANS LES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES DÉSÉQUILIBRENT LES RAPPORTS DE FORCE ENTRE HOMMES ET FEMMES ET LIMITENT LES CHOIX QUI S’OFFRENT À EUX.

L’ampleur de la discrimination fondée sur le genre dans les institutions sociales (pratiques juridiques, culturelles et traditionnelles qui discriminent les femmes et les filles) varie d’une région et d’un pays à l’autre, mais elle reste inacceptable à l’échelle mondiale (figure 4.5)48. Les normes discriminatoires liées à d’autres caractéristiques sociales telles que l’appartenance ethnique, la religion, l’âge ou le handicap s’entrecroisent avec les normes liées au genre, ce qui restreint encore davantage les possibilités dont disposent certains groupes de population48. Les normes discriminatoires relatives à la valeur des filles dans la société se combinent à la pauvreté et à l’insécurité alimentaire pour créer des facteurs propices au mariage d’enfants49. Les normes préjudiciables aux hommes comme aux femmes, telles que le stéréotype de l’homme qui doit pourvoir aux besoins de sa famille, sont également une source de stress pour les hommes agriculteurs, lesquels peuvent être conduits au suicide lorsqu’ils estiment être incapables de faire vivre leur famille50, 51, 52, 53.

Figure 4.5 Le niveau de discrimination fondée sur le genre varie d’une région et d’un pays à l’autre

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NOTE: Des valeurs plus élevées pour l’indice Institutions sociales et égalité des genres témoignent d’inégalités plus importantes. Les valeurs sont comprises entre 0 pour cent (aucune discrimination) et 100 pour cent (discrimination extrême).
SOURCE: OCDE. 2019. SIGI 2019 Global Report: Transforming challenges into opportunities. Social Institutions and Gender Index. Éditions OCDE, Paris. https://doi.org/10.1787/bc56d212-en
NOTES: La frontière définitive entre le Soudan et le Soudan du Sud n’a pas encore été établie. La ligne pointillée correspond approximativement à la ligne de contrôle au Jammu-et-Cachemire convenue par l’Inde et le Pakistan. Les parties ne sont pas encore parvenues à un accord sur le statut final du Jammu-et-Cachemire.

Les normes sociales liées au genre et celles relatives au travail des femmes restent très conservatrices et contraignantes dans les sociétés d’Asie et d’Afrique subsaharienne, où la majeure partie de la population travaille dans la production primaire, que ce soit dans l’agriculture ou la pêche54, 55, et plus largement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire56. Cette situation restreint également l’accès et le recours des femmes aux technologies agricoles, ce qui a pour effet de limiter leur productivité et leurs perspectives de revenus45, 57, 58. Il existe toutefois des exceptions. Dans certaines régions du Kenya, par exemple, les femmes ont de plus en plus accès aux services agricoles et aux groupements d’agriculteurs et d’agricultrices. Cette évolution est liée au fait que les femmes sont perçues comme ayant un nouveau rôle au sein des ménages en tant que premières bénéficiaires des formations aux nouvelles pratiques, malgré leurs contraintes de temps54. Dans certaines régions d’Asie, les normes se sont assouplies de sorte que les femmes peuvent jouer un rôle plus actif dans la pêche et dans l’agriculture de marché, ce qui a contribué à rendre leur mobilité plus acceptable47, 55.

À l’échelle mondiale, l’acceptation de normes sociales différentes varie d’un pays à l’autre, la situation s’améliorant lentement au fil du temps. Par exemple, on observe d’importants écarts entre les régions en ce qui concerne les normes relatives aux violences fondées sur le genre, en particulier pour ce qui est de tolérer ou non les coups portés aux épouses (voir la figure 4.6). En Amérique latine, cette pratique n’est guère acceptée, alors que dans les pays d’Afrique subsaharienne, elle est plus communément tolérée. La tolérance à l’égard de la violence physique exercée contre les épouses a légèrement reculé dans la plupart des pays entre 2006-2013 et 2013-2019.

Figure 4.6 La violence physique exercée contre les épouses reste acceptable dans de nombreux pays

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SOURCE: ICF. ICF. 2006-2019. Demographic and Health Surveys (various). Funded by USAID. Rockville (États-Unis d’Amérique).

Dans la logique des normes contraignantes évoquées ci-dessus, il est largement admis à l’échelle mondiale que les mères devraient s’occuper de leurs jeunes enfants au lieu d’exercer une activité rémunérée. Dans beaucoup de pays, toutes régions confondues, plus de 50 pour cent des personnes interrogées pensent que les jeunes enfants pâtissent de l’absence de leur mère quand celle-ci a un travail (figure 4.7). Cette norme sociale est en phase avec l’idée largement répandue selon laquelle les hommes devraient avoir un accès prioritaire aux emplois en période de crise ou de ralentissement économique59, 60, 61.

Figure 4.7 Dans la majorité des pays, la plupart des personnes estiment que les jeunes enfants pâtissent de l’absence de leur mère quand celle-ci travaille

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SOURCES: Inglehart, R., C. Haerpfer, A. Moreno, C. Welzel, K. Kizilova, J. Diez-Medrano, M. Lagos, P. Norris, E. Ponarin & B. Puranen et al., al. (sous la direction de). 2018. World Values Survey: Round Six – Country-Pooled Datafile. Institut JD Systems et secrétariat de l’Association World Values Survey, Madrid (Autriche) et VAutricheutriche). doi.org/10.14281/18241.8
Haerpfer, C., Inglehart, R., Moreno, A., Welzel, C., Kizilova, K., Diez-Medrano J., Lagos M., Norris P., Ponarin E. et Puranen B. et al. (sous la direction de). 2020. World Values Survey: Round Seven – Country-Pooled Datafile. Institut JD Systems et secrétariat de l’Association World Values SAutricheMadridAutrichee) et Vienne (Autriche). doi.org/10.14281/18241.1
Lecoutere, E., Achandi, E.L., Ampaire, E., Fischer, G., Gumucio, T., Najjar, D. et Singaraju, N. 2022. Fostering an enabling environment for equality and empowerment in agrifood systems. Background paper for The status of women in agrifood systems, 2023. Plateforme GENDER du CGIAR, Nairobi (Kenya).

Cependant, la majorité des personnes interrogées dans les pays d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne soutiennent le droit des femmes à posséder des terres ou à en hériter (figure 4.8)61, 62. Dans tous les pays, à l’exception de trois, plus de 50 pour cent des personnes interrogées estiment que les femmes devraient avoir les mêmes droits que les hommes dans ce domaine.

Figure 4.8 Une majorité de personnes soutiennent le droit des femmes à la propriété foncière en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne

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SOURCES: Afrobarometer Data. 2016-17. : Données Afrobarometer. 2016-2017. [Plusieurs pays; 2016-2017.] http://www.afrobarometer.org.
Lecoutere, E., Achandi, E.L., Ampaire, E., Fischer, G., Gumucio, T., Najjar, D. et Singaraju, N. 2022. Fostering an enabling environment for equality and empowerment in agrifood systems. Background paper for The status of women in agrifood systems, 2023. Plateforme GENDER du CGIAR, Nairobi (Kenya).

La persistance des inégalités entre les femmes et les hommes dans les systèmes agroalimentaires s’explique notamment par le fait que des politiques et des institutions continuent de faire obstacle à l’égalité des chances, à l’égalité de rémunération et à l’égalité des droits aux ressources, même si les disparités liées au genre décrites au chapitre 3 sont davantage prises en compte63. Des changements s’imposent dans un large éventail de politiques, notamment les politiques budgétaires, les politiques d’incitation à l’investissement, à la recherche et à l’innovation et les politiques relatives aux secteurs sociaux tels que l’éducation et la nutrition64.

Politiques et cadres juridiques

Au cours de la dernière décennie, les questions de genre ont pris une place plus importante dans les cadres d’action nationaux. Dans les politiques et budgets nationaux en Afrique de l’Est et en Amérique latine, on met de plus en plus en évidence les écarts structurels en matière d’accès et on prévoit des mesures pour produire des résultats intégrant les enjeux liés à l’égalité des genres65, 66, 67. Un indice mesurant les disparités juridiques entre hommes et femmes dans l’accès aux débouchés économiques dans 190 économies montre une amélioration dans toutes les régions à revenu faible ou intermédiaire68, 69. Ces avancées sont les plus marquées en Asie du Sud ainsi qu’au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, deux régions qui sont parties d’un niveau plus bas et qui affichent encore des résultats nettement inférieurs à ceux d’autres régions (figure 4.9). Les lois d’Afrique subsaharienne relatives à la mobilité, aux biens et à l’entrepreneuriat sont celles qui ont le plus progressé par rapport à toutes les autres régions au cours de la période 2011-2022. Sur la même période, au Burkina Faso, en Sierra Leone et en Zambie, les scores attribués aux lois qui favorisent l’entrepreneuriat ont progressé de 33 pour cent.

Figure 4.9 Les législations qui influent sur la participation des femmes à la vie économique progressent à l’échelle mondiale

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SOURCE: Banque mondiale. 2022. Les femmes, l’entreprise et le droit – données longitudinales [2012-2022]. In Banque mondiale. Washington. https://wbl.banquemondiale.org/fr/wbl.
AU COURS DE LA DERNIÈRE DÉCENNIE, LES QUESTIONS DE GENRE ONT PRIS UNE PLACE PLUS IMPORTANTE DANS LES CADRES D’ACTION NATIONAUX.

Tous les pays africains ont ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, et 42 pays d’Afrique ont ratifié le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo)44. Il y a également eu des progrès dans l’adoption de lois et de réformes pour lutter contre les violences fondées sur le genre et pour étendre les droits des femmes en matière d’accès au crédit et à la erre48, 70, 71.

Politiques agricoles: Les politiques agricoles ne traitent pas toutes de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes de la même manière. Une analyse des documents de politique agricole (politiques agricoles nationales et plans nationaux de développement agricole, par exemple) de 68 pays à revenu faible ou intermédiaire a été menée à l’aide de l’outil sur l’égalité des genres dans les politiques agricoles (Gender in Agricultural Policy Assessment Tool ou GaPO)72 de la FAO. Selon cette analyse, 15 pour cent des documents ne tiennent pas compte de la dimension de genre, c’est-à-dire qu’ils ne font aucune mention des enjeux liés à l’(in)égalité des genres ou à l’autonomisation des femmes (niveau 1 de la figure 4.10), mais la plupart abordent ces questions dans une certaine mesure. Cela dit, 43 pour cent des documents de politique ne comportent que très peu de mesures ou que des mesures très génériques de promotion de l’égalité femmes-hommes (niveau 3 de la figure 4.10). Un seul document prévoit expressément des mesures porteuses de transformation en matière de genre afin de lutter contre les normes sociales discriminatoires (niveau 5 de la figure 4.10). L’Afrique subsaharienne est en tête des régions pour ce qui est de la prise en compte des questions de genre dans les politiques agricoles nationales, suivie par l’Amérique latine et les Caraïbes (figure 4.10).

Figure 4.10 La plupart des documents de politique agricole comportent très peu de mesures de promotion de l’égalité des genres; l’Afrique subsaharienne est la plus avancée dans ce domaine

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SOURCE: Calculs effectués par les auteurs

Parmi ces politiques, rares sont celles qui traitent pleinement des enjeux relatifs à l’égalité des genres et à l’autonomisation des femmes. S’il est vrai que plus de 75 pour cent d’entre elles prennent en considération les rôles joués et/ou les difficultés rencontrées par les femmes dans l’agriculture, seulement 19 pour cent définissent l’égalité des genres dans l’agriculture et/ou les droits des femmes comme des objectifs explicites, 29 pour cent encouragent l’utilisation de données ventilées par sexe à des fins de suivi et d’évaluation et seulement 13 pour cent soutiennent la participation des femmes rurales au cycle d’élaboration des politiques (figure 4.11). Environ 80 pour cent des politiques ne prennent pas en compte les normes sociales discriminatoires, les violences fondées sur le genre ou d’autres facteurs de vulnérabilité interconnectés, comme le changement climatique.

Figure 4.11 Les politiques agricoles mentionnent la contribution des femmes et les inégalités de genre dans le secteur, mais la formulation de politiques intégrant les enjeux liés au genre reste limitée

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NOTE: Les analyses réalisées portent sur 68 politiques agricoles au total, à l’exception des évaluations concernant l’inclusion de rubriques budgétaires (N=25) et d’indicateurs (N=37).
SOURCE: Calculs effectués par les auteurs.

Politiques climatiques: Dans l’ensemble, la dernière décennie a été marquée par des améliorations modestes en ce qui concerne le degré et les modalités d’inclusion des questions relatives à l’égalité des genres et aux droits des femmes dans les politiques climatiques, avec une hausse progressive des financements internationaux destinés aux interventions tenant compte de la problématique du genre ainsi que de la représentation des femmes dans les instances et les négociations internationales sur le changement climatique. La prise en considération accrue des questions de genre et de changement climatique dans les politiques apparaît aussi dans un récent examen des contributions déterminées au niveau national (CDN): le pourcentage de CDN examinées faisant mention des femmes et/ou de la problématique du genre est passé de 40 pour cent en 2016 (contributions prévues) à 78 pour cent en 2021 (contributions actualisées)73. L’agriculture est le secteur qui intègre le plus les questions de genre (33 pour cent), et l’Afrique subsaharienne ainsi que l’Amérique latine et les Caraïbes sont les deux régions qui affichent les taux les plus élevés d’inclusion des questions de genre dans leurs CDN, ceux-ci s’élevant respectivement à 94 pour cent (17 CDN sur 18) et 100 pour cent (18 CDN sur 18)73.

Les données concernant l’Amérique centrale, l’Afrique de l’Est et le Népal indiquent toutefois que l’intégration des questions relatives à l’égalité des genres et aux droits des femmes dans les politiques climatiques et agricoles nationales est souvent superficielle; la notion de «genre» est mentionnée sommairement et ses liens avec le changement climatique sont souvent simplement reconnus74, 75, 76. L’intégration des questions de genre dans les politiques climatiques et agricoles consiste également souvent à présenter les femmes en victimes essentiellement vulnérables et passives du changement climatique76, 77, 78, 79, 80, quoique des éléments montrent que cette situation tend à changer: ainsi, le nombre de CDN qui considèrent les femmes comme des «parties prenantes» et des «agentes du changement» a augmenté entre 2016 et 2021, ce qui atteste d’un progrès dans la représentation des femmes en tant que participantes actives à l’action pour le climat73.

Malgré ces évolutions favorables, les politiques agricoles et environnementales nationales qui font état de vulnérabilités face au changement climatique liées au genre continuent souvent de ne pas prévoir de mesures ou de stratégies pour y remédier dans le cadre de leur mise en œuvre76, 81. Une étude menée en Zambie fait ressortir que, si les politiques et plans de développement nationaux généraux comportent des dispositions claires sur l’intégration systématique des questions de genre, les programmes de gestion des ressources naturelles et de lutte contre le changement climatique souffrent de l’absence de mécanismes de suivi et d’évaluation fiables pour suivre les avancements dans la mise en œuvre de ces dispositions82.

Le décalage entre le discours politique et l’action politique concernant les questions de genre et le changement climatique ressort aussi nettement de l’analyse budgétaire. Au Népal, le budget national consacré à la lutte contre le changement climatique ne fait aucune référence à la problématique du genre, malgré l’augmentation récente des crédits qui y sont alloués76. Les parlementaires et les responsables politiques n’ont en général ni les connaissances ni les capacités nécessaires pour intégrer les questions de genre et l’intersectionnalité aux politiques et à l’action en faveur du climat83, 84. Ce problème est souvent accentué par des obstacles à une mise en œuvre efficace, notamment par un manque de volonté politique ainsi que par le fait que les institutions sociales à travers lesquelles les politiques relatives aux questions de genre et au climat sont censées être appliquées sont fortement marquées par des discriminations de genre74, 75, 82, 85, 86.

L’INTÉGRATION DES QUESTIONS RELATIVES À L’ÉGALITÉ DES GENRES ET AUX DROITS DES FEMMES DANS LES POLITIQUES CLIMATIQUES ET AGRICOLES NATIONALES EST SOUVENT SUPERFICIELLE.

Peu de données sont disponibles au sujet de l’intégration des questions liées au genre, à l’agriculture et au changement climatique dans les politiques de développement infranationales. En Ouganda, les enjeux relatifs au genre et au changement climatique perdent progressivement du terrain au fur et à mesure que l’on passe des politiques nationales aux politiques à l’échelon des districts et à l’échelon infranational81, 85. En Ouganda et en République-Unie de Tanzanie, une analyse de la budgétisation des questions de genre dans les plans de mise en œuvre au niveau des districts et des échelons inférieurs de gouvernance a révélé une forte différence entre les budgets estimatifs et les budgets effectivement alloués, ces derniers restant invariablement faibles74. De la même manière, en Ouganda, peu de fonds ont été consacrés aux questions d’égalité des genres dans les budgets des plans de développement infranationaux, et ils l’ont été à des catégories générales comme les «femmes», le «genre» ou encore les «affaires féminines»81.

Une plus forte représentation politique des femmes dans les parlements nationaux se traduit par des politiques de lutte contre le changement climatique plus exigeantes87. Toutefois, les femmes et les organisations de femmes sont généralement marginalisées dans les processus décisionnels concernant les politiques climatiques, tant au niveau national que local88, 89, 90. L’inclusion et la participation des femmes dans les processus internationaux de prise de décision en matière de climat restent également limitées, bien qu’il y ait eu récemment des signes d’amélioration progressive. À titre d’exemple, dans le contexte de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la part de femmes dans les délégations nationales est passée de 30 pour cent en 2009 à 38 pour cent en 2021, mais seulement 13 pour cent des délégations étaient dirigées par des femmes en 2021 (contre 10 pour cent en 2009)91. Par ailleurs, à travers leur activisme, les organisations de femmes influencent les processus décisionnels internationaux concernant les politiques climatiques, comme elles l’ont fait en jouant un rôle clé dans la mise en place du Groupe Femmes et genre à la Conférence des parties à la CCNUCC90, 92.