Chapter 6 Agencéité des femmes, normes et politiques dans les systèmes agroalimentaires

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KENYA - Une jeune femme formée au commerce agricole, en compagnie de ses porcelets.
© FAO/Luis Tato
chapter 1 introduction
Pour améliorer l’égalité des genres dans les systèmes agroalimentaires, il faut miser sur des approches volontaires.
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RÉPUBLIQUE DOMINICAINE – La propriétaire d’un marché aux poissons négocie l’achat de mahi-mahi avec le propriétaire d’un bateau.

INTRODUCTION

On peut obtenir des progrès dans les domaines de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes au sein des systèmes agroalimentaires si l’on conçoit des politiques, des programmes et des investissements qui visent expressément à s’attaquer aux problèmes multidimensionnels et interdépendants des femmes et des hommes. Il faut que ces politiques, ces programmes et ces investissements permettent de combler les écarts recensés dans le présent rapport en ce qui concerne les ressources et les biens, sachant que nombre de ces disparités étaient déjà relevées dans le rapport intitulé La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2010-2011 – Le rôle des femmes dans l’agriculture – Combler le fossé entre les hommes et les femmes pour soutenir le développement1, mais que les mesures prises pour y remédier au cours de la dernière décennie n’ont pas été suffisantes. Il faut aussi s’attaquer aux obstacles qui sous-tendent les disparités de genre au sein des systèmes agroalimentaires, notamment les normes sociales discriminatoires ainsi que les cadres institutionnels et politiques contraignants qui ne tiennent pas suffisamment compte des inégalités de genre et ne permettent pas de les corriger. À cet égard, on doit agir à différents niveaux, des individus jusqu’à l’échelon national, en passant par les communautés.

Réduire les inégalités de genre au regard des moyens de subsistance, de l’accès aux ressources et de la résilience au sein des systèmes agroalimentaires est primordial pour parvenir à l’égalité des genres, à l’autonomisation des femmes et à des systèmes agroalimentaires plus justes et durables. L’autonomisation, qui met l’accent sur le renforcement des capacités personnelles permettant de faire des choix et de les concrétiser, nécessite des moyens suffisants en termes de ressources, de compétences et d’agencéité. Au sein des systèmes agroalimentaires, les principales ressources sont la terre, l’eau, les technologies, les services, les moyens financiers, les possibilités d’accès à l’éducation, à la vulgarisation et à la formation et la participation à des groupes et à des réseaux. Pour accroître l’agencéité des femmes, il faut adopter des approches qui visent à renforcer leur participation à la prise des décisions au sein du foyer quant à l’utilisation des terres ou des revenus, sachant que ces approches renvoient souvent à des enjeux relevant des politiques et des normes.

Le présent chapitre donne un aperçu de divers programmes, politiques et dispositifs d’application qui ont permis de réduire les inégalités de genre dans ces domaines et qui ont contribué à l’autonomisation des femmes au sein des systèmes agroalimentaires. Bien souvent, l’autonomisation est l’objectif final de ces interventions; dans d’autres cas, les progrès obtenus en termes de productivité, de revenu ou de résilience sont considérés comme autant d’avancées vers l’autonomisation. On dispose à cet égard de nombreuses études de cas, mais les données probantes et globales sont plus rares quand il s’agit de savoir ce qui fonctionne suivant le contexte et selon les résultats, en particulier lorsque les femmes font face à des obstacles supplémentaires et transversaux liés à leur âge, à leur appartenance ethnique ou à d’autres causes de marginalisation.

Différentes caractéristiques apparaissent toutefois de manière constante dans les programmes, ce qui autorise à en tirer quelques enseignements. L’accès à l’éducation et à la formation est ainsi essentiel et la manière selon laquelle celles-ci sont dispensées est d’une grande importance. De même, les interventions visant à améliorer les conditions de travail et la productivité des femmes donnent de bons résultats, en particulier lorsqu’elles tiennent compte de la lourde charge que représentent les soins et les travaux domestiques non rémunérés, lorsqu’elles renforcent les capacités et la sécurité foncière des femmes ou lorsqu’elles améliorent l’accès des femmes aux technologies et aux ressources. Il est particulièrement important de réduire les écarts en matière de sécurité foncière car la garantie des droits fonciers a de nombreux effets positifs.

Pour obtenir les effets attendus, il faut concevoir les ressources – depuis les services de vulgarisation jusqu’à la protection sociale, en passant par les technologies et les financements – en ayant à l’esprit les besoins des femmes. Les outils numériques et les technologies de l’information et de la communication sont susceptibles de faciliter la réduction de nombreuses disparités. Les approches axées sur les groupes sont aussi importantes aux fins d’une autonomisation accrue des femmes et d’une résilience renforcée face aux chocs et aux stress tels que la pandémie de Covid-19 ou le changement climatique. Les programmes de protection sociale permettent quant à eux d’aider les femmes à gérer les risques, à trouver de nouvelles sources de revenu et à gagner en résilience.

Trois éléments sont fondamentaux pour aller de l’avant. Tout d’abord, la collecte et l’utilisation de données de qualité, ventilées selon le sexe, l’âge et d’autres facteurs de différenciation sociale et économique, ainsi que la conduite de recherches qualitatives et quantitatives rigoureuses sur les questions de genre sont essentielles pour pouvoir suivre et évaluer de manière efficace les progrès obtenus quant à l’égalité femmes-hommes dans les systèmes agroalimentaires, et pour accélérer ces progrès. Malgré les améliorations obtenues au cours des 10 dernières années, des lacunes importantes demeurent en ce qui concerne la disponibilité, l’étendue et le niveau de précision des données, ainsi que les éléments factuels permettant de déterminer ce qui fonctionne, et dans quelles conditions, aux fins de la mise en place de systèmes agroalimentaires plus inclusifs.

Ensuite, avec discernement et en tenant compte des particularités du contexte, il faut transposer à une plus grande échelle les interventions locales qui permettent de s’attaquer à plusieurs inégalités et qui ont donné des résultats probants s’agissant de réduire les disparités liées au genre et d’autonomiser les femmes dans les systèmes agroalimentaires. Il est possible de donner plus d’ampleur à ces interventions en adoptant des stratégies ciblées, en investissant davantage et en mobilisant les acteurs concernés des secteurs public et privé. Ainsi peut-on obtenir des avantages importants en faveur du bien-être des femmes, de la croissance économique et de la sécurité alimentaire. S’agissant de la productivité et des salaires perçus dans le secteur agricole, la FAO estime que l’élimination des disparités liées au genre permettrait d’accroître le produit intérieur brut mondial de 1 pour cent (soit près de 1 000 milliards d’USD). À l’échelle mondiale, ces gains se traduiraient par un recul de l’ordre de 2 points de pourcentage de l’insécurité alimentaire, soit une diminution de 45 millions du nombre de personnes touchées par ce fléau.

Enfin, les interventions doivent être conçues dans le but d’éliminer les inégalités de genre et d’autonomiser les femmes. Dans la mesure du possible, elles devraient aussi reposer sur des approches porteuses de transformation aux niveaux local et national afin de lutter contre les normes et les comportements discriminatoires liés au genre. Parmi les programmes d’aide bilatérale consacrés à l’agriculture et au développement rural, on constate non sans surprise qu’une majorité d’entre eux (65 pour cent) intègrent les problématiques liées au genre, cette proportion étant supérieure à celle observée dans la plupart des autres secteurs de l’aide; toutefois, seule une minorité de ces programmes (6 pour cent) abordent les questions de genre comme un enjeu fondamental à l’étape de la conception des projets. Selon la FAO, si la moitié des petits producteurs bénéficiaient d’interventions de développement axées sur l’autonomisation des femmes, cela permettrait d’accroître de manière notable les revenus de 58 millions de personnes supplémentaires et de renforcer la résilience de 235 millions de personnes supplémentaires.

AGIR SUR LES NORMES ET LES POLITIQUES

Comme souligné dans le chapitre 4, les normes sociales et les règles qui discriminent les femmes et les filles sont au cœur des inégalités de genre et elles évoluent lentement. Pour parvenir à des changements pérennes en faveur de l’égalité femmes-hommes au sein des systèmes agroalimentaires, il faut s’attaquer aux facteurs informels (les normes) et formels (les politiques) qui perpétuent les inégalités fondées sur le genre et, dans le même temps, remédier au manque de ressources auquel sont confrontées les femmes dans les domaines du travail, de la productivité, des biens et des services ainsi qu’en cas de chocs2. Un certain nombre d’approches porteuses de transformation en matière de genre sont conçues de manière à lutter activement contre les obstacles à l’égalité femmes-hommes à tous les échelons (aux niveaux du ménage, des groupes et de la communauté, des organisations et des institutions), ainsi qu’à divers degrés de formalité (politiques officielles et normes informelles) au sein des systèmes agroalimentaires (voir l’encadré 6.1). Compte tenu du caractère relationnel des normes sociales qui gouvernent les comportements au sein des communautés et des sociétés, il est essentiel que les détenteurs du pouvoir (par exemple les responsables locaux et les autorités coutumières), les hommes et les garçons concourent à l’élimination des normes discriminatoires et des politiques contraignantes (voir l’encadré 6.2).

ENCADRÉ 6.1 EN QUOI CONSISTENT LES APPROCHES PORTEUSES DE TRANSFORMATION EN MATIÈRE DE GENRE?

Les programmes et interventions visant à remettre en question les relations femmes-hommes inéquitables et les normes discriminatoires liées au genre à l’aide de mécanismes axés sur l’évolution sociale sont souvent désignés comme des approches porteuses de transformation en matière de genre. Le but est d’obtenir des améliorations durables en termes d’égalité femmes-hommes en transformant les obstacles, par exemple certaines normes et politiques, en moteurs du changement. Ces approches s’attaquent en priorité aux systèmes qui perpétuent les inégalités de genre1. Elles adoptent des méthodes de nature à favoriser des changements, souvent dans une démarche participative, et mobilisent les agents qui peuvent amener des évolutions sociales au sein de la communauté, notamment les responsables locaux et les dignitaires religieuxii, iii. Elles ont pour objectif de faire évoluer les relations discriminatoires liées au genre et visent à tirer parti des moyens qui permettent d’infléchir les normes en faisant évoluer les comportements individuels et les attentes sociales grâce à l’information et à la réflexion, ainsi qu’au moyen de pressions, de sanctions et d’incitation sociales, ou en modifiant les valeurs symboliques et la signification des normesiv, v. Les approches porteuses de transformation en matière de genre sont destinées à la fois aux femmes et aux hommes, afin de favoriser des rapports de force plus égalitaires, de modifier les comportements masculins nocifs et, ainsi, de parvenir à des normes plus positives en termes de masculinité (voir l’encadré 6.2)vi, vii, viii, ix. Elles peuvent aussi cibler les institutions, les politiques et les lois qui freinent l’autonomisation.

Les clubs Dimitra et les outils du Système d’apprentissage actif pour les femmes et les hommes sont des exemples de ces méthodes. Les premiers permettent de remettre en question les normes sociales et les comportements discriminatoires au niveau de la communauté et de s’attaquer aux formes graves de violences fondées sur le genre, par exemple les violences domestiques et les mariages précoces, en tirant parti de la force de l’action collective et de la participation de la communautéx. Les membres des clubs Dimitra collaborent étroitement avec les dirigeants administratifs, les chefs coutumiers et les responsables communautaires pour qu’ils soient des modèles en faveur de normes et de comportements plus équitables en matière de genre. Ce processus a débouché sur des changements de comportements: les hommes participent à certaines activités traditionnellement confiées aux femmes (par exemple les tâches ménagères) et les femmes jouissent d’une plus grande liberté et prennent davantage part aux activités socioéconomiques et politiquesxi. En Afrique sub-saharienne, grâce aux clubs Dimitra, les femmes sont plus à même d’agir en leur nom et coopèrent davantage avec leur époux au sein du foyerxii, xiii.

Le Système d’apprentissage actif pour les femmes et les hommes est quant à lui axé sur l’apprentissage entre homologues et facilite l’élaboration d’ambitions personnelles et collectives en faveur du changement à l’aide d’outils participatifs et visuels (graphiques et cartes conceptuelles, par exemple). Il a été utilisé à divers échelons, notamment aux niveaux des individus, des ménages, des communautés et des organisations, et a permis d’aborder différents domaines intéressant les systèmes agroalimentaires (productivité agricole, filières, développement de l’agro-industrie et des entreprises, nutrition, finances rurales et adaptation aux effets du changement climatique, entre autres). L’approche proposée a contribué à faire évoluer les comportements au niveau des ménages, ce qui a conduit à des améliorations et à des progrès en termes de productivité, d’accès aux services et aux marchés, de sécurité alimentaire, de nutrition et d’investissements en faveur de l’éducation des filles et des garçonsxiii. Au Zimbabwe, grâce à la mise en place de ce système, les femmes occupent plus de fonctions de direction, interviennent davantage en public et sont plus souvent consultées par les responsables communautaires. On a aussi constaté une évolution des normes sociales liées au genre au niveau des ménages, évolution qui a conduit à un accroissement de la productivité du foyer et à un meilleur contrôle exercé par les femmes sur les biens et les revenusxiv.

Les interventions porteuses de transformation en matière de genre sont toutefois susceptibles de modifier les rapports de force établis entre différents groupes et, de ce fait, il est particulièrement important de recenser régulièrement les réactions de rejet, les tensions et les échecs éventuels, ainsi que toutes les autres conséquences négatives et inattendues qui pourraient résulter de leur mise en œuvre, puis d’y apporter des réponsesiii. Malgré le potentiel de ces approches, on manque encore d’éléments factuels qui permettent d’évaluer la pérennité et l’ampleur réelle de l’évolution des normesxv, xvi, ainsi que les incidences des changements en termes d’amélioration durable des résultats sur le plan agricole et du point de vue nutritionnel.

NOTES:
  1. MacArthur, J., Carrard, N., Davila, F., Grant, M., Megaw, T., Willetts, J. et Winterford, K. 2022. Gender-transformative approaches in international development: A brief history and five uniting principles. Women’s Studies International Forum, 95: 102635. https://doi.org/10.1016/j.wsif.2022.102635
  2. FAO, FIDA et PAM. 2020. Approches transformatives sensibles au genre pour la sécurité alimentaire, l’amélioration de la nutrition et l’agriculture durable Recueil de quinze bonnes pratiques. Rome. http://www.fao.org/3/cb1331fr/cb1331fr.pdf
  3. McDougall, C., Badstue, L., Mulema, A., Fischer, G., Najjar, D., Pyburn, R., Elias, M., Joshi, D. et Vos, A. 2021. Toward structural change: Gender transformative approaches. In: R. Pyburn & A.H.J.M. van Eerdewijk, Eerdewijk (sous la direction de). Advancing gender equality through agricultural and environmental research: Past, present, and future, p. 365–401. IFPRI, Washington. https://doi.org/10.2499/9780896293915_10
  4. Eriksson, L. 2015. Social norms theory and development economics. Policy Research Working Papers. Banque mondiale, Washington. https://doi.org/10.1596/1813-9450-7450
  5. Hillenbrand, E. et Miruka, M. 2019. Gender and social norms in agriculture: A review. In: A.R. Quisumbing, R.S. Meinzen-Dick, & J. Njuki, eds. 2019 Annual Trends and Outlook Report: Gender equality in rural Africa: From commitments to outcomes, pp. 11–31. IFPRI, Washington https://doi.org/10.2499/9780896293649_02
  6. Achandi, E.L., Kidane, A., Hepelwa, A. et Mujawamariya, G. 2019. Women’s empowerment: The case of smallholder rice farmers in Kilombero District, (République-Unie de Tanzanie). Agrekon, 58(3): 324–339. https://doi.org/10.1080/03031853.2019.1587484
  7. Cole, S.M., Puskur, R., Rajaratnam, S. et Zulu, F. 2015. Exploring the intricate relationship between poverty, gender inequality and rural masculinity: A Case study from an aquatic agricultural system in Zambia. Culture, Society & Masculinities, 7(2): 154–170.
  8. Dworkin, S.L., Fleming, P.J. et Colvin, C.J. 2015. The promises and limitations of gender-transformative health programming with men: Critical reflections from the field. Culture, Health & Sexuality, 17(sup2): 128–143. https://doi.org/10.1080/13691058.2015.1035751
  9. Farnworth, C.R., Badstue, L., Williams, G.J., Tegbaru, A. et Gaya, H.I.M. 2020. Unequal partners: Associations between power, agency and benefits among women and men maize farmers in Nigeria. Gender, Technology and Development, 24(3): 271–296. https://doi.org/10.1080/09718524.2020.1794607
  10. FAO. 2022. La Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2022. Vers une transformation bleue. Rome. http://www.fao.org/3/cc0461fr/cc0461fr.pdf
  11. FAO. 2020. Dimitra Clubs in the Democratic Republic of the Congo: Improving the prospects for local peace. Rome. https://www.fao.org/3/ca7711en/ca7711en.pdf
  12. Adisa, O. 2020. Rural women’s participation in solar-powered irrigation in Niger: Lessons from Dimitra Clubs. Gender & Development, 28(3): 535–549. https://doi.org/10.1080/13552074.2020.1833483
  13. FAO, FIDA et PAM. 2020. Approches transformatives sensibles au genre pour la sécurité alimentaire, l’amélioration de la nutrition et l’agriculture durable Recueil de quinze bonnes pratiques. Rome. http://www.fao.org/3/cb1331fr/cb1331fr.pdf
  14. FAO & CARE. 2019. Good practices for integrating gender equality and women’s empowerment in climate-smart agriculture programmes. FAO, Rome, et CARE USA, Atlanta (États-Unis d’Amérique).
  15. Galiè, A. et Kantor, P. 2016. 8. From gender analysis to transforming gender norms: Using empowerment pathways to enhance gender equity and food security in Tanzania. In: J. Njuki, J.R. Parkins & A. Kaler, eds. Transforming gender and food security in the Global South. Routledge, Abingdon (Royaume-Uni).
  16. Lecoutere, E., Achandi, E.L., Ampaire, E.L., Fischer, G., Gumucio, T., Najjar, D. et Singaraju, N. 2023. Fostering an enabling environment for equality and empowerment in agri-food systems. Background paper for The status of women in agrifood systems, 2023. Plateforme GENDER Impact du CGIAR, Nairobi. https://gender.cgiar.org/SWAFS-2023

ENCADRÉ 6.2 PARTICIPATION DES HOMMES ET DES GARÇONS À L'ÉVOLUTION DES NORMES

Les hommes et les garçons jouent un rôle déterminant en faveur de l’autonomisation des femmes et de l’égalité des genres et, à cet égard, leur participation donne de bons résultats: les relations femmes-hommes deviennent plus équitables grâce à une réflexion personnelle, à des objectifs fixés en accord avec les ambitions du couple et au soutien de groupes d’homologues. En Afrique orientale, en Afrique australe et en Asie, des interventions utilisant la méthode des parcours de transformation Promundo, qui encourage la participation des hommes aux soins et aux tâches domestiques et qui donne la priorité à une réflexion critique sur l’inégalité des rapports de force au sein du couple, ont débouché sur des comportements plus équitables, sur un soutien accru des hommes en faveur de la participation des femmes à des activités rémunérées, sur une contribution masculine plus importante aux soins prodigués aux enfants et aux tâches ménagères et sur un recul des conflits au sein du couplei. Le fait de ne pas se concentrer uniquement sur les femmes et d’envisager aussi les questions qui relèvent de la masculinité ouvre par ailleurs des perspectives très intéressantes en faveur de la transformation des relations femmes-hommes dans le cadre des initiatives visant à prévenir les violences, à lutter contre les vulnérabilités et à consolider la paixii, même si, comme cela est rappelé tout au long du présent rapport, la modification des normes peut donner lieu à des réactions de rejet et à des violences à l’encontre des femmesiii.

Le fait de cibler en même temps l’homme et la femme en tant que coresponsables du foyer peut aussi être efficace pour améliorer la coopération au sein du ménage. Des travaux du Laboratoire d’innovation sur le genre et l’égalité des sexes de la Banque mondiale montrent que la collaboration avec les hommes et les femmes peut donner de meilleurs résultats dans certaines circonstances, notamment en ce qui concerne l’établissement de titres fonciers, la volonté des femmes de s’engager dans un travail agricole contractuel et l’accroissement de la productivité dans certaines filières iv, v, vi.

NOTES:
  1. Doyle, K. 2020. Journeys of transformation or engaging men as allies in women’s economic empowerment. Good Practice Guide. Rome, FAO. https://www.fao.org/3/cb1331en/cb1331en-05.pdf
  2. Bias, L. et Janah, Y. 2022. Scoping study: Masculinities, violence, and peace. Swiss Peace, Bâle (Suisse). https://tinyurl.com/5n6tr59d
  3. Choudhury, A., McDougall, C., Rajaratnam, S. et Park, C.M.Y. 2017. Women’s empowerment in aquaculture: Two case studies from Bangladesh. FAO, Rome, et WorldFish, Penang (Malaisie).
  4. Ambler, K., Jones, K. et O’Sullivan, M. 2021. Increasing women’s empowerment: Implications for family welfare. IZA Discussion Paper No. 14861. IZA – Institut de l’économie du travail, Bonn (Allemagne).
  5. Donald, A., Goldstein, M. et Rouanet, L. 2022. Two Heads are Better than One: Agricultural Production and Investment in Côte d’Ivoire. Policy Research Working Papers. Banque mondiale, Washington. https://doi.org/10.1596/1813-9450-10047
  6. Banque mondiale. 2020. Women and trade: The role of trade in promoting gender equality. Banque mondiale, Washington. https://doi.org/10.1596/978-1-4648-1541-6

Dans le contexte des systèmes agroalimentaires, les approches porteuses de transformation en matière de genre ont donné de bons résultats en ce qui concerne le renforcement de l’estime de soi et des capacités de négociation des femmes au sein du couple3, l’évolution des normes régissant la participation des femmes au secteur agricole4, l’amélioration de la situation quant à la prise de décisions des femmes au sein du foyer et à l’accès de celles-ci aux revenus agricoles5, 6, 7, ainsi que le rôle renforcé des femmes dans les secteurs de la pêche8, de l’élevage9 et des forêts10, 11. Ces approches ont aussi contribué à un partage plus équitable des ressources12 et au renforcement des capacités des jeunes femmes, ce qui permet à celles-ci d’établir leur propre entreprise et de décider de l’utilisation de leurs revenus8, 13. En Asie du Sud, l’application des approches porteuses de transformation en matière de genre a débouché sur une évolution des normes discriminatoires et sur le renforcement de l’autonomisation des hommes et des femmes au Népal14 et au Bangladesh15, 16.

Pour obtenir des changements en profondeur, il est fondamental que les politiques publiques et les cadres institutionnels soient conçus de manière à ne pas se contenter de reconnaître les lacunes en matière de disparités liées au genre. Il faut que soient programmées des interventions visant à éliminer les obstacles systémiques qui freinent l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes. Ces interventions doivent permettre d’intégrer des messages porteurs de transformation en matière de genre dans les programmes d’enseignement et de vulgarisation, ainsi que lors de la conception des stratégies visant à éliminer les stéréotypes fondés sur le genre et les normes et pratiques discriminatoires2. Les interventions stratégiques et programmatiques porteuses de changements en matière de genre encouragent la participation active des hommes à l’alimentation et aux soins des enfants, ainsi que l’élaboration de matériels et d’outils visant à lever les obstacles socioculturels liés à la nutrition des femmes, comme dans le cadre de la stratégie agricole tenant compte des questions de nutrition mise au point par l’Éthiopie en 201617, ou l’intégration de méthodes axées sur les ménages afin d’améliorer les relations entre les femmes et les hommes, comme dans le plan national d’investissement agricole élaboré par le Malawi pour la période allant de 2017-2018 à 2022-202318.

Les approches porteuses de transformation en matière de genre ont donné de bons résultats dans tous les domaines.

Comme cela est mis en évidence tout au long du présent rapport, les femmes sont exposées à des violences fondées sur le genre dans tous les segments des systèmes agroalimentaires, c’est-à-dire aussi bien chez elles qu’à l’usine, au marché ou ailleurs, ce qui restreint leurs possibilités économiques et sociales, freine la concrétisation de leurs droits et, par suite, entrave leur émancipation et leur bien-être. Des interventions peuvent permettre de limiter les conséquences des violences fondées sur le genre, par exemple celles qui favorisent l’autonomisation des femmes ou offrent un accès aux services de protection sociale, y compris à des infrastructures protectrices. L’instauration de politiques et de lois qui imposent des sanctions en cas de violences sont par ailleurs essentielles si l’on veut lutter contre les causes profondes des violences à l’égard des femmes et des filles à grande échelle19.

NIGER - Deux membres d’un club Dimitra local viennent chercher du mil.
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NIGER - Deux membres d’un club Dimitra local viennent chercher du mil.
© FAO/FAO/Andrew Esiebo

Les personnes et les organisations de la société civile qui militent en faveur des droits des femmes jouent un rôle très important en demandant sans cesse que des modifications porteuses de transformation en matière de genre soient apportées aux politiques agroalimentaires. Leur participation aux processus d’élaboration des politiques est par conséquent fondamentale si l’on veut obtenir ces modifications, ce qui suppose de renforcer leurs capacités et leur autorité pour qu’elles aient plus de poids et puissent intervenir de manière efficace2. À cet égard, les consultations sur les politiques menées à l’échelle nationale dans le cadre de la conception de la stratégie consacrée à l’égalité des sexes dans le secteur agricole éthiopien en 2017 ont été jugées représentatives de la diversité des réalités des femmes20. En Zambie, les organisations de la société civile ont obtenu des avancées porteuses de transformation en matière de genre dans le domaine des régimes fonciers coutumiers en tirant parti de cadres mondiaux et nationaux et en collaborant avec les autorités traditionnelles, les magistrats locaux, les villageois et les villageoises21.

RÉDUIRE LES INÉGALITÉS DE GENRE EN CE QUI CONCERNE LE TRAVAIL ET LA PRODUCTIVITÉ DES FEMMES

Comme noté au chapitre 2, malgré l’importance de l’emploi féminin au sein des systèmes agroalimentaires, les femmes tendent à être cantonnées dans des rôles marginaux et leurs conditions de travail sont souvent plus difficiles que celles des hommes. Divers facteurs limitent la participation et la rémunération des femmes dans les systèmes agroalimentaires, notamment la charge que représentent les soins et les tâches domestiques, des niveaux d’éducation et de compétence plus faibles et un accès inégal aux ressources. Plusieurs mesures peuvent être prises pour y remédier. Elles doivent souvent être mises en œuvre de manière coordonnée avec les interventions qui permettent de combler les écarts en matière de biens et de ressources, lesquelles sont examinées dans la section suivante.

Réduction de la charge que représentent les soins et les travaux domestiques non rémunérés

Les interventions visant à améliorer les résultats en matière d’emploi féminin doivent permettre de s’attaquer à la charge excessive que représentent les soins et les tâches domestiques qui incombent aux femmes et qui influent sur leur capacité d’exercer une activité rémunérée ainsi que sur le type d’activité rémunérée qu’elles peuvent exercer. L’accès à des services de garde d’enfants a des effets très positifs sur les possibilités d’emploi des mères dans les systèmes agroalimentaires22, 23, 24, 25, 26 et permet notamment aux femmes de rejoindre en plus grand nombre les organisations rurales et d’y participer davantage27. À Nairobi, l’offre de services de garde d’enfants a permis à des mères célibataires de trouver un meilleur emploi, plus stable et plus régulier en termes d’horaires, et de gagner toujours autant d’argent tout en travaillant moins23. En République démocratique du Congo, grâce aux centres ruraux de garde d’enfants, les femmes ont moins de tâches à accomplir en même temps que leurs activités agricoles, ce qui s’est traduit par un plus grand sentiment de contrôle et davantage de satisfactions dans leur travail. Les deux époux ont ainsi pu se consacrer davantage à l’agriculture commerciale et ont considérablement amélioré la productivité agricole et les revenus du ménage28. Les projets visant à modifier les normes relatives à la répartition de la charge des soins et des travaux domestiques entre les époux ont aussi donné de bons résultats en Colombie, en Éthiopie, aux Philippines, au Malawi, en Ouganda et au Zimbabwe, leurs effets étant plus marqués dans les foyers où l’homme et la femme participaient tous les deux au projet29.

MALAWI - Une agricultrice dans son champ d’ananas. Sa formation dans une école pratique d’agriculture l’a aidée à améliorer ses revenus.
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MALAWI - Une agricultrice dans son champ d’ananas. Sa formation dans une école pratique d’agriculture l’a aidée à améliorer ses revenus.
©FAO/T. Munthali
L’accès aux services de garde d’enfants a des effets très positifs sur l’emploi des mères dans les systèmes agroalimentaires.

Renforcement des capacités des femmes grâce à l’éducation et à la formation

Une meilleure éducation offre davantage de possibilités d’emploi dans des secteurs et des métiers mieux rémunérés, permet d’échapper à diverses formes d’emploi précaire30 et contribue à réduire les écarts de salaires entre les hommes et les femmes (voir le chapitre 2). L’éducation peut aussi faciliter l’accès des femmes aux ressources nécessaires pour participer à des activités mieux rémunérées au sein des systèmes agroalimentaires. Le fait d’avoir un meilleur niveau d’instruction et davantage de capacités techniques ne suffit pas pour modifier en profondeur les comportements sociaux mais, au Nicaragua, on a noté que les femmes qui avaient un niveau d’éducation plus élevé participaient davantage à la prise de décisions au sein du foyer31. L’alphabétisation et des niveaux d’instruction plus élevés vont aussi de pair avec une plus grande utilisation des technologies agricoles et des produits financiers32, 33; à cet égard, les femmes rurales se trouvent désavantagées puisqu’elles tendent en général à aller moins longtemps à l’école et à avoir plus de difficultés à lire et à écrire.

Le renforcement des capacités au moyen d’activités de vulgarisation et de formations en entrepreneuriat peut aussi être efficace en vue d’améliorer les moyens de subsistance et l’autonomisation des femmes au sein des systèmes agroalimentaires. Les interventions de ce type dans les chaînes de valeur peuvent accroître l’autonomisation des paysannes et des entrepreneuses en renforçant leur confiance en elles34, 35 et leur aptitude à négocier avec les autres membres de la famille au sujet de l’accès aux ressources, ainsi qu’avec les négociants et les acheteurs36. Des évaluations d’impact dans le secteur du caoutchouc en Côte d’Ivoire, en Éthiopie et en Ouganda37, 38 montrent que les activités de vulgarisation tenant compte de la dimension de genre, dont il est question plus précisément dans la section suivante, et les formations visant une évolution des comportements, qui sont dispensées aux deux époux, sont susceptibles d’accroître l’adoption, par les paysannes, de cultures à forte valeur et de progrès techniques, ce qui débouche sur une hausse de la productivité.

Les formations destinées à l’acquisition de compétences générales et les formations en entrepreneuriat qui sont adaptées aux besoins et aux difficultés des entrepreneuses sont prometteuses pour ce qui est de favoriser le développement des entreprises dirigées par des femmes, y compris au sein des systèmes agroalimentaires39. Au Togo, une expérience de type aléatoire a montré que les formations en faveur de la prise d’initiatives personnelles, qui sont axées sur le renforcement des compétences socio-émotionnelles des participants, ont plus d’effets sur les profits des entrepreneurs, hommes et femmes confondus, que les formations traditionnelles consacrées à l’entrepreneuriat40 et qu’elles sont particulièrement efficaces pour les femmes peu autonomes à l’origine41. L’intégration de contenus axés sur les questions de genre dans les formations en entrepreneuriat, par exemple sur les moyens d’entrer dans les secteurs dominés par les hommes et de lutter contre les stéréotypes de genre, est efficace aux fins de l’augmentation des profits et de l’adoption des pratiques recommandées42, 43.

Le renforcement des capacités donne accès à des activités plus rémunératrices dans les systèmes agroalimentaires.

Renforcement de la sécurité foncière des femmes

Un meilleur accès aux terres et une sécurité foncière accrue pour les femmes peuvent faciliter l’investissement dans l’agriculture et les technologies, ce qui génère des bénéfices plus importants à long terme. En Éthiopie, par exemple, l’acquisition de droits fonciers a encouragé les femmes à s’engager dans la production de cultures commerciales et à investir dans de meilleures technologies44. Les incidences des droits fonciers des femmes sur la participation aux processus collectifs ou politiques sont modestes mais positives dans plusieurs pays45, 46, 47. Un examen récent des droits fonciers des femmes, en tant que moyen pour sortir de la pauvreté, a montré qu’un lien positif était largement admis entre l’existence de ces droits et l’obtention de résultats intéressants pour les systèmes agroalimentaires, notamment en ce qui concerne la gestion des ressources naturelles, l’accès aux services et aux institutions, la résilience, la sécurité alimentaire et la consommation. Cet examen a aussi souligné que l’amélioration des droits fonciers des femmes permettait de renforcer le pouvoir de négociation de celles-ci, ainsi que leurs capacités en matière de prise de décisions (tableau 6.1). On dispose toutefois de données inégales sur les liens entre les droits fonciers des femmes et divers autres résultats, notamment quant à l’accès au crédit et aux technologies, à la productivité agricole et aux moyens de subsistance non agricoles.

Tableau 6.1 Données probantes sur les liens entre les droits fonciers des femmes et divers résultats au sein des systèmes agroalimentaires

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SOURCE: Meinzen-Dick, R., Quisumbing, A., Doss, C. et Theis, S. 2019. Women’s land rights as a pathway to poverty reduction: Framework and review of available evidence. Agricultural Systems, 172: 72–82. https://doi.org/10.1016/j.agsy.2017.10.009

Amélioration de l’accès aux technologies et aux ressources et plus grand contrôle exercé sur celles-ci

La mécanisation, les techniques et les technologies (semences améliorées, engrais et pratiques agricoles, entre autres) contribuent à l’autonomisation des femmes en facilitant l’entrée de celles-ci dans de nouvelles filières48, 49, en accroissant leurs biens50 et leur productivité et en libérant du temps de travail pour saisir de nouvelles possibilités d’emploi51. En République-Unie de Tanzanie, par exemple, le fait d’avoir offert aux femmes de meilleures variétés de haricots et des formations aux bonnes pratiques agricoles a débouché sur une augmentation de 34 pour cent de la productivité des parcelles cultivées par les paysannes et sur une réduction des écarts de productivité avec les hommes52. Au Népal, la fourniture de batteuses et de désherbeuses à pédale bon marché s’est traduite par une plus grande participation des hommes au battage et à une réduction de l’ensemble des corvées féminines, avec à la clé une augmentation globale de la production et de la productivité au niveau des ménages53.

Il faut concevoir les technologies en tenant compte des préférences et des contraintes des femmes.

La conception de technologies agricoles qui tiennent compte des préférences, des nécessités et des difficultés propres aux femmes et aux hommes peut avoir une incidence sur les stratégies de subsistance et l’agencéité aux niveaux individuel et collectif54. En République arabe syrienne, par exemple, un programme de sélection de l’orge, intégrant des méthodes participatives d’amélioration et de gouvernance semencières, a contribué à ce que les femmes soient davantage considérées comme des agricultrices à part entière et a permis d’accroître leur contribution économique au ménage, d’améliorer leur accès à l’information et aux semences et de renforcer leur pouvoir décisionnel dans le domaine agricole55, 56.

Il faut toutefois éviter certains écueils lors de l’introduction de nouvelles technologies. Même lorsque des subventions et des intrants sont destinés aux femmes dans le cadre de programmes agricoles, il arrive que certaines exigences en matière de cofinancement des intrants finissent par exclure les femmes, car celles-ci disposent souvent de moins de ressources que les hommes57. Ce décalage entre les objectifs des politiques et les mécanismes de mise en œuvre peut alors expliquer un manque d’impact. D’après des données concrètes venant de trois pays (Malawi, République-Unie de Tanzanie et Zambie) dans lesquels des programmes nationaux consacrés aux intrants visent délibérément les femmes depuis 201058, il apparaît que les programmes d’intensification de la production de maïs au moyen de la fourniture de semences et d’engrais n’ont pas donné lieu à un accroissement significatif des rendements ni à une réduction des écarts de productivité liés au genre au Malawi et en République-Unie de Tanzanie; en Zambie, les rendements ont certes considérablement augmenté, mais les écarts de productivité liés au genre ont persisté puisque les rendements ont progressé deux fois plus vite dans les parcelles exploitées par les hommes (45 pour cent) que dans celles cultivées par les femmes (22 pour cent)57. Par ailleurs, la mécanisation des filières traditionnellement dominées par les femmes est susceptible d’évincer celles-ci du marché du travail (voir le chapitre 3). Il faudrait par conséquent que des politiques ou des interventions complémentaires accompagnent la diffusion de technologies qui profitent à tous. Ces mesures complémentaires pourraient par exemple prendre la forme de programmes de recyclage professionnel ou d’initiatives de protection sociale visant à soutenir les personnes susceptibles de perdre des moyens de subsistance à cause de l’introduction de nouvelles technologies.

Les produits financiers tenant compte des questions de genre peuvent aussi renforcer les capacités productives des femmes tout au long des filières agricoles et contribuer au soutien apporté à l’action de celles-ci en faveur du climat59, 60. Les groupes d’épargne ont par ailleurs des incidences positives sur l’autonomisation des femmes et sur les résultats des microentreprises, comme on a pu le constater au Ghana, au Malawi et en Ouganda61, ainsi que sur la sécurité alimentaire et le niveau d’épargne, par exemple au Mali62. En Côte d’Ivoire, l’offre de comptes d’épargne privés à virement automatique contribue à la conversion des gains de productivité en économies à long terme et a permis d’accroître la productivité du travail et l’épargne des ouvrières des usines de transformation de noix de cajou63. Toutefois, un examen de 32 méta-études sur les incidences de l’inclusion financière (examens systématiques et méta-analyses) a permis de relever que les services financiers relatifs au crédit, à l’épargne et à l’assurance et les services monétaires par téléphonie mobile avaient en général des effets positifs sur l’autonomisation des femmes, mais que ces effets étaient souvent liés à d’autres caractéristiques des programmes, notamment le fait de devenir membre d’un groupe, la possibilité de sortir de chez soi ou la participation à des formations consacrées aux droits ou au renforcement des compétences64. On ne dispose pas d’éléments probants suffisamment solides au sujet des incidences de l’inclusion financière (microfinance, microcrédit et épargne) sur la situation économique et les moyens de subsistance des femmes, car seule une méta-analyse indique que la participation des femmes à des groupes d’entraide a eu des effets positifs et significatifs sur leurs résultats économiques64.

Accès facilité aux groupes de producteurs et promotion de l’action collective

L’action collective et les approches fondées sur les groupes sont des instruments importants aux fins d’un développement qui ne laisse personne sur le bord de la route. Le fait d’être membre d’une organisation paysanne, notamment d’une association, d’une coopérative, d’un groupe d’entraide ou d’un groupe féminin, est ainsi associé à des retombées très positives quant aux revenus des agriculteurs et des agricultrices dans la majorité des cas examinés (57 pour cent), issus de 24 pays différents65. Les groupes féminins, en particulier, contribuent toujours à l’amélioration de l’autonomisation économique et au bien-être général des femmes66, 67.

Des approches de groupe ont été utilisées de manière fructueuse dans le cadre d’interventions en faveur de l’égalité des genres, et il a été démontré qu’elles permettaient aux femmes de bénéficier de nouvelles perspectives de revenus68, d’accroître leur accès aux ressources financières dans le secteur halieutique69, d’améliorer leur condition sociale70, de renforcer leur agencéité71 et de jouer un rôle de direction, par exemple dans le secteur du thé au Kenya72, 73. En revanche, comme le souligne une étude récente, si les groupes féminins ont en général une incidence positive sur les résultats économiques des femmes – principalement en favorisant un large accès aux informations, aux ressources et à la formation, ce qui est souvent la première raison qui motive l’adhésion à un groupe –, il faut cependant mettre en place des interventions ciblées pour obtenir des effets sur d’autres types de résultats, par exemple dans le domaine de la prise de décisions ou des normes67. Les paysans marginalisés, notamment les plus jeunes, ceux qui ont un niveau d’éducation moins élevé et les agricultrices, tendent à retirer moins d’avantages des organisations paysannes65.

Politiques et mécanismes de gouvernance privée visant à accroître l’emploi et la productivité

Les politiques et les lois nationales sont aussi essentielles pour que les femmes bénéficient de chances égales en matière d’emploi dans les systèmes agroalimentaires. Les pays qui disposent de lois plus égalitaires, en particulier les lois qui régissent le mariage, la parentalité, les biens et l’entrepreneuriat, présentent de moins grandes disparités entre les femmes et les hommes en matière d’emploi précaire (c’est-à-dire que les écarts sont moindres si l’on considère les proportions respectives de femmes et d’hommes qui sont travailleurs familiaux ou qui travaillent pour leur propre compte)74.

Les mécanismes de gouvernance privée, qui comprennent l’utilisation de normes volontaires telles que les codes du travail et les vérifications des conditions de travail, jouent aussi un rôle dans la lutte contre les inégalités de genre, mais les données relatives à leur efficacité sont contradictoires pour ce qui est de l’amélioration des conditions des travailleuses. Un examen systématique des données factuelles relatives à l’impact socioéconomique des systèmes de certification75 sur les producteurs agricoles et les travailleurs salariés dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire a montré que ces systèmes avaient des effets très limités ou nul du point de vue de l’amélioration des résultats en matière d’égalité femmes-hommes, car ils ne portent pas sur les normes liées au genre qui limitent la capacité des femmes à participer à ce type d’initiatives et à en tirer parti76. Les productrices sont restées invisibles dans les systèmes de certification parce qu’elles participaient moins aux organisations paysannes que leurs homologues masculins et elles ont vu leur charge de travail augmenter sans obtenir une part égale des avantages. Les travailleuses de plantations certifiées ont ainsi continué à être moins payées que les hommes et occupaient moins de postes de supervision ou de direction76. Des analyses indiquent que les programmes de certification offrent des avantages aux fins d’une meilleure participation aux décisions du ménage, d’un meilleur accès à la formation, du renforcement des capacités et de l’évolution des normes36, mais des études plus précises doivent être mises au point pour que l’on puisse évaluer quels sont les mécanismes de gouvernance et les conditions qui permettent à de telles interventions de soutenir l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes.

Les approches de groupe peuvent créer de nouvelles perspectives de revenus pour les femmes.

La protection sociale au service du travail et de la productivité

L’aide sociale et les programmes relatifs au marché du travail favorisent le développement des moyens de subsistance en facilitant la gestion des risques et l’accès aux liquidités77. Des données empiriques montrent par exemple que le programme d’allocations familiales du Lesotho conduit les femmes à travailler davantage sur leur exploitation78 et les filles à réduire le temps consacré aux tâches domestiques au sein des ménages dirigés par des hommes79. Au Ghana, grâce au programme de lutte contre la pauvreté par l’amélioration des moyens de subsistance, la probabilité de trouver un emploi et de sortir du chômage augmente, pour les hommes comme pour les femmes80. Dans l’État plurinational de Bolivie, un programme de transferts monétaires assortis de conditions, pratiquement universel et destiné aux familles qui comptent des enfants d’âge scolaire, a permis d’accroître l’emploi des femmes, en particulier dans les régions dans lesquelles l’accès aux services financiers est limité, ce qui suggère que le fait de surmonter les contraintes de liquidités peut jouer un rôle en faveur de l’emploi féminin81.

AMÉLIORER L’ACCÈS DES FEMMES AUX RESSOURCES UTILES AU SEIN DES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES

Comme indiqué au chapitre 3, les femmes restent à la traîne des hommes en ce qui concerne l’accès aux ressources et aux biens de production essentiels au sein des systèmes agroalimentaires. Les approches qui permettent de combler le retard des femmes dans l’accès aux ressources telles que la terre, l’eau, le bétail, les services de vulgarisation et les technologies comprennent des interventions globales, des mesures collectives et des initiatives de renforcement des capacités par la formation et la vulgarisation. Des stratégies sont essentielles pour pouvoir mettre en place un environnement qui permet de parvenir à une répartition plus juste et plus équitable des ressources. Certaines approches qui ont contribué à la réduction des disparités dans l’accès à des ressources particulières (propriété foncière et services de vulgarisation, par exemple) offrent aussi des éléments factuels utiles aux fins de la conception de politiques, d’investissements et d’interventions au sein des systèmes agroalimentaires.

Élimination des multiples obstacles rencontrés par les femmes grâce à des interventions globales

Pour obtenir de bons résultats, il faut s’appuyer sur des approches globales qui visent à la fois à renforcer l’agencéité des femmes et à éliminer les disparités liées au genre grâce à des ressources, des compétences et des capacités adéquates. D’après plusieurs évaluations de l’impact conduites par le FIDA82, il apparaît par exemple que les projets qui ont permis d’améliorer l’accès des femmes aux ressources et d’accentuer le poids de celles-ci dans la prise de décisions tout en mettant l’accent sur le renforcement de leurs capacités techniques et financières et de leur pouvoir collectif ont été efficaces s’agissant d’améliorer le bien-être de tous les membres du foyer, notamment en termes de revenus, de sécurité alimentaire, de résilience et d’alimentation diversifiée.

En Indonésie, par exemple, un projet de développement des communautés côtières a permis d’établir des groupes officiels de pêcheurs, de fournir à leurs membres de meilleurs engins de pêche et, dans le même temps, de former des groupes de femmes à l’entrepreneuriat dans le domaine de la transformation et de la vente des produits halieutiques. Ces groupes ont aussi bénéficié d’un soutien financier, ont suivi des formations techniques et ont été directement mis en relation avec les marchés. Le projet a permis d’accroître la participation des femmes aux activités de transformation des produits halieutiques (hausse de 27 pour cent) et aux groupes communautaires (hausse de 84 pour cent). Dans l’ensemble, il a permis d’augmenter les revenus des ménages et les ventes de produits halieutiques de 33 pour cent et 28 pour cent, respectivement83.

Dans le cadre d’un projet analogue mené à Djibouti, on a noté une augmentation de 91 pour cent des recettes tirées des activités liées à la pêche dans lesquelles les femmes prennent les principales décisions, tandis que les revenus ont progressé de 32 pour cent et l’insécurité alimentaire a reculé de 35 pour cent84. Au Ghana, la troisième phase du programme des entreprises rurales, qui visait à stimuler le développement économique local par l’intermédiaire des entreprises agroalimentaires et d’une meilleure production agricole, a permis de renforcer divers aspects de l’autonomisation des femmes. Celles-ci ont participé à des formations consacrées à la gestion d’entreprise et ont ainsi pu renforcer leurs compétences, y compris dans des domaines complémentaires. Le projet a aussi permis d’améliorer leur accès aux services financiers et de renforcer leur contrôle sur les activités génératrices de revenus et sur d’autres ressources, ce qui s’est traduit par une augmentation des revenus de 50 pour cent, un renforcement de la résilience de 6 pour cent, une hausse de 10 pour cent de la diversification de l’alimentation et une amélioration de la sécurité alimentaire de 24 pour cent85.

Tirer parti de l’action collective et des organisations rurales pour réduire les inégalités de genre eu égard aux ressources

Les groupes et les mouvements féminins peuvent avoir une grande influence et contribuer à l’évolution des droits des femmes sur les ressources et les biens. Dans le cadre du processus de consolidation de la paix à la suite des violences post-électorales au Kenya en 2008, des organisations féminines des zones rurales et urbaines se sont mobilisées comme jamais auparavant pour faire avancer les droits des femmes au sein des principaux instruments juridiques, notamment la Constitution, et ont ainsi remis en question les normes traditionnelles qui excluaient les femmes de la propriété foncière. Le processus participatif a conduit à ce que soit reconnue dans la Constitution l’égalité des droits entre les femmes et les hommes quant à l’héritage de terres et aux biens matrimoniaux, et des engagements ont été pris en matière de représentation des femmes au sein des instances et des organes composés de membres élus ou autrement désignés86. En République-Unie de Tanzanie, un processus participatif ascendant a permis aux femmes de mieux connaître leurs droits fonciers, ce qui les a amenées à revendiquer en plus grand nombre des parcelles individuelles. Le fait qu’au moins la moitié des membres des assemblées villageoises soient obligatoirement des femmes et la création de comités exclusivement féminins ont donné plus de poids aux femmes au sein des assemblées locales, ce qui a contribué à la prise de décisions équitables tant envers celles-ci qu’envers les hommes87.

Les organisations rurales ont eu une incidence concrète sur l’évolution de l’accès à l’eau et aux technologies correspondantes, qui était jusqu’ici plus limité pour les femmes. À Sri Lanka, la participation de groupes féminins à la gestion communautaire des ressources en eau a ainsi été associée à une amélioration des compétences des femmes à cet égard (lecture des compteurs, facturation et perception des redevances, par exemple) et a accru la participation de celles-ci aux processus décisionnels portant sur la gestion des ressources en eau du village88. Dans le nord de l’Inde, des comités villageois ont proposé d’aborder les questions relatives à l’accès à l’eau, à la santé et à l’alimentation suivant une approche participative et ont ainsi facilité l’abandon de normes discriminatoires au profit de la prise de parole des femmes, qui se sont exprimées devant les hommes et ont joué un rôle public89. En Égypte, la propriété foncière, le niveau d’instruction, le soutien institutionnel et l’accès aux formations consacrées aux techniques d’irrigation ont été déterminants pour que les femmes puissent participer de manière utile aux institutions publiques liées à l’irrigation, par exemple les associations d’usagers de l’eau90.

Une initiative communautaire visant à faire évoluer les normes sociales liées au genre et mise en œuvre en République-Unie de Tanzanie, dans le cadre de l’initiative plus large d’intégration des ressources en eau de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), a donné lieu à des évolutions dans les normes sociales et, ainsi, a eu des incidences positives sur la participation des femmes au sein des structures de gouvernance liées à l’eau91. Les interventions qui remédient aux problèmes que posent les règles d’un groupe (par exemple les règles d’adhésion) et les structures de gouvernance de celui-ci peuvent contribuer à faire avancer la participation des femmes92. Les groupes de femmes ont aussi joué un rôle très important dans les pays visés par le Programme commun des Nations Unies pour l’émancipation économique des femmes rurales, qui a contribué au renforcement du capital social des femmes et à leurs plus grandes présence et influence dans les espaces publics93.

Les interventions et les institutions qui favorisent l’action collective au sein des organisations de producteurs forestiers et agricoles se révèlent un moyen efficace de promouvoir l’autonomisation et l’entrepreneuriat des femmes94. La gestion participative des parcours en Afrique de l’Est a permis d’accroître la participation et le pouvoir décisionnel des femmes dans la gouvernance de ce type d’espaces95. Les organisations rurales et les groupes de producteurs sont aussi importants aux fins de la diffusion des nouvelles technologies ainsi que de techniques et pratiques améliorées dans le secteur agricole primaire comme dans le secteur agroalimentaire, et se sont révélés être utiles pour faciliter l’autonomisation des femmes. Au Bangladesh, les interventions en faveur de la culture de légumes et de l’exploitation d’étangs aquacoles par des groupes de femmes ont offert à celles-ci un accès aux ressources nécessaires (crédits et sites où implanter les étangs) et ont eu une forte incidence: par rapport à d’autres mesures visant les personnes à titre individuel, ces interventions ont permis de renforcer davantage le pouvoir décisionnel des femmes et d’améliorer encore plus la situation nutritionnelle des femmes et des filles96.

Amélioration de l’accès des femmes aux formations visant le renforcement des capacités et aux activités de vulgarisation tenant compte des questions de genre

Le renforcement du niveau d’instruction et des capacités peut accroître l’accès des femmes aux ressources et à la propriété et leur permettre de mieux faire valoir leurs droits en la matière97. Le niveau d’instruction des femmes est corrélé à une meilleure situation du point de vue de la propriété des terres98, et le fait de savoir lire et écrire, y compris de disposer de connaissances juridiques, contribue à une plus grande égalité entre les sexes lors de l’héritage de terres en Amérique latine99. Il a été démontré que l’offre d’une aide juridique au niveau communautaire avait amélioré les connaissances des femmes sur leurs droits et que, lorsque cette assistance était accompagnée d’interventions visant à s’attaquer aux normes sous-jacentes discriminatoires à l’encontre des femmes, elle pouvait renforcer la propriété foncière des femmes (encadré 6.4).

ENCADRÉ 6.3 PARTICIPATION DES DEUX ÉPOUX AU SERVICE DE L'ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES

Le fait de cibler les deux époux dans le cadre des services de vulgarisation est une démarche prometteuse en vue du renforcement de l’accès des femmes à la formation et à l’information, avec des incidences positives sur la production et la productivité des exploitations. En Côte d’Ivoire, par exemple, on a montré que le fait de viser les deux chefs de famille, et non pas seulement l’homme, dans le cadre des activités de vulgarisation agricole relatives à la production de caoutchouc avait amélioré l’efficacité de la production des ménages agricoles et avait suscité davantage d’investissementsi. En Éthiopie, les interventions visant le renforcement des capacités des femmes comme des hommes, qui étaient conçues de manière à mieux répondre aux besoins des petites agricultrices, ont permis de faire progresser l’adoption de cultures de haute valeur, d’accroître la superficie des terres cultivées et d’accentuer la participation économique des différents membres du foyerii.

En Ouganda, la mise en place d’un programme de formation visant à faire évoluer les comportements au sein du couple et abordant divers enjeux (coopération entre époux, questions de genre et participation féminine aux cultures commerciales) s’est traduite, pour les femmes, par une plus grande confiance en elles, par une meilleure estime de soi et par une plus grande satisfaction dans leur vie quotidienne, et a contribué à une réduction des violences conjugalesiii. Une intervention d’ordre économique a en outre permis de mettre en œuvre des mesures d’incitation qui étaient destinées aux couples et qui ont amélioré l’accès des femmes aux ressources productives, ainsi que le pouvoir décisionnel de celles-ci en matière de gestion financière, agricole et familialeiv.

NOTES:
  1. Donald, A., Goldstein, M. et Rouanet, L. 2022. Two heads are better than one: Agricultural production and investment in Côte d’Ivoire. Policy Research Working Papers. Banque mondiale, Washington. https://doi.org/10.1596/1813-9450-10047
  2. Buehren, N., Goldstein, M., Molina, E. et Vaillant, J. 2019. The impact of strengthening agricultural extension services on women farmers: Evidence from Ethiopia. Agricultural Economics, 50(4): 407–419. https://doi.org/10.1111/agec.12499
  3. Donald, A.A., Cucagna, M.E. et Vaillant, J. 2022. Top policy lessons in agriculture. Laboratoire d’innovation sur le genre et l’égalité des sexes, Banque mondiale, Washington. https://doi.org/10.1596/33493
  4. Ambler, K., Jones, K. et O’Sullivan, M. 2021. Increasing women’s empowerment: Implications for family welfare. IZA – Institut de l’économie du travail, Bonn (Allemagne).

ENCADRÉ 6.4 UNE AIDE JURIDIQUE PEUT CONTRIBUER À FAIRE MIEUX COMPRENDRE AUX FEMMES QUELS SONT LEURS DROITS FONCIERS

Lorsque l’égalité des droits fonciers féminins est inscrite dans la loi, les programmes d’aide juridique communautaire peuvent améliorer les connaissances des femmes et des hommes quant à leurs droits et à leurs possibilités de recourir à la justice en cas de litiges foncieri. Toutefois, afin d’être efficace et de faire évoluer les perceptions en faveur de l’égalité des genres, cette aide juridique doit être étayée par des activités de sensibilisation adaptées aux besoins de la communauté bénéficiairei.

Au Libéria, une expérience sur le terrain a permis à des assistants juridiques communautaires ayant été formés de jouer un rôle de médiateurs dans le cadre de divers types de différends (contentieux fonciers, litiges liés à des dettes et actes délictueux, entre autres) et a été appréciée par les femmes, pour lesquelles le règlement des différends était alors plus satisfaisantii. Les données factuelles issues de contrôles aléatoires menés sur un programme communautaire d’aide et d’éducation juridiques en République-Unie de Tanzanie ont montré que les femmes qui avaient accès à un auxiliaire juridique bénévole ont davantage eu recours à des services juridiques et ont pu enrichir leurs connaissances des réglementations liées aux terres. On n’a toutefois pas relevé de changement dans le comportement des femmes, ni de pratiques foncières plus favorables à l’égalité femmes-hommes.

Au Kenya, le projet baptisé «Justice» comprenait une formation juridique destinée aux chefs, aux aînés, aux femmes et aux jeunes, ainsi que des campagnes d’information visant l’ensemble de la communauté. Les hommes ayant suivi la formation étaient 21 pour cent plus nombreux que les hommes non formés à reconnaître le droit constitutionnel des femmes de posséder des terres. Le projet a aussi permis d’accroître la probabilité que les femmes et les filles héritent des terres, dans les proportions suivantes: 84 pour cent des épouses et 39 pour cent des filles ayant participé au projet contre 67 pour cent des épouses et 3 pour cent des filles du groupe témoiniii.

NOTES:
  1. Patel, P., Douglas, Z. et Farley, K. 2014. Learning from a ‘paralegals’ intervention to support women’s property rights in Uganda. Centre international de recherche sur les femmes, Washington.
  2. Sandefur, J. et Siddiqi, B. 2013. Delivering justice to the poor: Theory and experimental evidence from Liberia. In: Banque mondiale Workshop on African Political Economy, 20: 1-61. Banque mondiale, Washington.
  3. USAID. 2013. Enhancing customary justice systems in the Mau Forest, Kenya. Final report. Washington, DC. https://tinyurl.com/54edxhad

Les personnes qui communiquent le matériel de vulgarisation et la diffusion éventuelle de l’information via les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant en ce qui concerne l’accès des femmes aux services de vulgarisation et la possibilité pour ces dernières d’en tirer parti100. Au Mozambique, l’augmentation du nombre de vulgarisatrices auprès des exploitations agricoles dirigées par des femmes a conduit à une meilleure connaissance des techniques durables de gestion des terres de la part des femmes et, par suite, à l’adoption de ces techniques101. De la même manière, dans le cadre de deux interventions en Ouganda, le recours à des «paysannes modèles» pour faciliter les formations et l’accès aux semences de maïs hybrides ainsi que l’intégration de figures féminines dans des vidéos de vulgarisation ont débouché sur une plus grande adoption des pratiques agronomiques recommandées, sur une amélioration de la sécurité alimentaire et sur une évolution des normes102, 103. La prise en compte des questions de genre et des différents aspects de l’autonomisation des femmes dans le cadre des services consultatifs ruraux dispensés par des agriculteurs s’est aussi révélée efficace dans d’autres contextes, 104, 105, 106.

Il est très important de tenir compte des contraintes en matière de temps et de mobilité pour améliorer l’accès des femmes rurales aux services de vulgarisation et de conseil107. En Éthiopie et en Inde, plusieurs stratégies ont donné de bons résultats à cet égard et consistaient notamment à: planifier les formations en fonction de l’emploi du temps et de la disponibilité des femmes; recruter des formateurs au niveau local, qui sont conscients des contraintes de temps et des variations saisonnières de la charge de travail des femmes; dispenser les formations dans des lieux faciles d’accès; donner la possibilité aux femmes de venir aux formations avec leurs enfants; fournir des services de garde d’enfants pendant les formations104, 106.

L’éducation et la formation peuvent accroître l’accès des femmes aux ressources et à la propriété et leur permettre de mieux faire valoir leurs droits en la matière.

Afin d’offrir aux femmes rurales des services de vulgarisation et de conseil rural efficaces, il est aussi très important de bien saisir les difficultés qu’elles ont à accéder et à recourir à ces services en raison d’un faible niveau d’alphabétisation et d’instruction107. À cet égard, plusieurs stratégies fonctionnent bien: utilisation de vidéos et de représentations théâtrales, recours à des parcelles de démonstration, participation à des débats en groupe, utilisation des langues locales et recrutement de formateurs locaux104, 105, 106. D’autres stratégies, qui permettent aussi d’améliorer l’accessibilité et l’efficacité des services de vulgarisation et de conseil destinés aux femmes des zones rurales, consistent notamment à: fournir des formations en fonction de la demande, de manière à ce que les services soient adaptés aux contraintes, aux besoins et aux intérêts des femmes rurales104, 37; offrir différents types de formations pour permettre aux femmes de diversifier leurs moyens de subsistance106; et regrouper les activités de vulgarisation avec d’autres services, de sorte que les femmes puissent acquérir les connaissances et les capacités nécessaires pour revendiquer leurs droits106.

Il peut aussi être efficace de combiner des interventions complémentaires visant à renforcer l’agencéité intrinsèque des femmes avec d’autres initiatives de vulgarisation. Au Mozambique, la mise en œuvre en parallèle d’activités de vulgarisation agricole et d’une formation axée sur la psychologie, qui encourage les paysannes à avoir un esprit d’entreprise plus dynamique, a permis de multiplier par deux la proportion de femmes exerçant des activités non agricoles rémunératrices et ainsi de générer des revenus supplémentaires pour le ménage28, 108.

La participation des hommes et des femmes à la gestion de l’eau et aux formations dans ce domaine est essentielle pour promouvoir une plus grande équité dans l’accès aux ressources hydriques et leur maîtrise. En renforçant les droits d’accès et la participation des femmes aux interventions en matière d’irrigation et de gestion de l’eau, il est possible de réduire leur charge de travail liée à la collecte de l’eau, de promouvoir leur rôle de cheffe de file sur les questions hydriques et de faire évoluer les normes discriminatoires. Dans le nord du Ghana, les femmes ayant participé à une intervention relative à l’irrigation à petite échelle ont pu gagner en autonomie et en bien-être et alléger leur charge de travail dans la production agricole irriguée109. Aux Fidji et au Vanuatu, des interventions adoptant une approche participative fondée sur le genre dans les domaines de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène ont montré que la réduction de la charge de travail féminin en matière de collecte d’eau s’est traduite par un accroissement de la prise de responsabilités des femmes et par une plus grande participation des hommes aux questions relatives à l’hygiène du foyer. À cet égard, quelques données factuelles indiquent aussi un recul des cas de violences fondées sur le genre résultant de conflits liés à la gestion de l’eau110. Au-delà de la participation des hommes et des femmes (souvent de ménages différents), le fait de cibler les deux époux dans le cadre des formations agricoles et agroalimentaires donne de bons résultats quant à l’autonomisation des femmes, aux investissements et à la productivité dans les systèmes agroalimentaires (encadré 6.3).

Mise en place de réformes et de programmes permettant l’établissement et l’enregistrement de titres fonciers conjoints

Le renforcement des droits fonciers des femmes au niveau juridique est essentiel pour améliorer concrètement leur situation en ce qui concerne l’accès à la terre et la propriété foncière. Les programmes d’enregistrement conjoint des terres contribuent de manière efficace au renforcement des droits fonciers des femmes, comme l’ont montré des études de cas concernant l’Éthiopie, l’Ouganda, les Philippines et la République démocratique populaire lao. En Éthiopie, des éléments factuels provenant de la première phase du programme d’enregistrement conjoint et de certification des terres, mené à l’échelle nationale et lancé en 1998, montrent que 35 à 45 pour cent des terres enregistrées le sont au nom de femmes111. En 2019, même si cette donnée n’est pas strictement comparable aux pourcentages précédents, plus de la moitié des propriétaires de terres en Éthiopie étaient des femmes (voir le chapitre 3). Le programme a permis aux femmes de mieux comprendre leurs droits fonciers et de faire valoir ces droits112. Dans certaines régions où le taux d’alphabétisation est faible, une photographie de tous les propriétaires était exigée dans le cadre de la certification conjointe des terres matière, ce qui a accru la visibilité des femmes et a amélioré la transparence113. Aux Philippines, on a observé des résultats positifs du même ordre, dans le cadre du programme d’administration et de gestion des terres, qui a démarré en 2002114. En République démocratique populaire lao, le deuxième projet d’établissement de titres fonciers a aussi mis en relief l’importance de l’intégration d’activités supplémentaires qui permettent aux femmes de mieux connaître leurs droits fonciers, y compris quand ces droits sont officiellement reconnus dans le cadre juridique115.

LES PROGRAMMES D’ENREGISTREMENT CONJOINT DES TERRES CONTRIBUENT DE MANIÈRE EFFICACE AU RENFORCEMENT DES DROITS FONCIERS DES FEMMES.

Les approches comportementales visant à encourager l’établissement de titres fonciers conjoints, notamment en faisant comprendre aux couples quels avantages ils pourraient en tirer, se sont aussi avérées utiles. En Ouganda, des expériences aléatoires menées sur le terrain en 2018 lors de l’exécution du programme d’établissement de titres fonciers ruraux ont montré que la demande de titres conjoints progressait lorsque les subventions aux prix étaient subordonnées à l’enregistrement de la femme en tant que copropriétaire des terres et lorsque des informations supplémentaires étaient communiquées sur les avantages liés à la délivrance de titres conjoints116. En République-Unie de Tanzanie, des subventions modestes aux prix ont aussi permis d’améliorer l’accès des femmes aux titres fonciers117.

La délivrance de titres conjoints peut renforcer significativement le pouvoir décisionnel des femmes au sein du ménage118. Au Rwanda, les programmes d’établissement de titres fonciers prévoyant que le nom des femmes figurent dans les documents ont débouché sur une augmentation de l’investissement foncier rural près de deux fois plus importante dans les foyers dirigés par une femme que dans ceux dirigés par un homme; toutefois, les progrès obtenus peuvent finir par s’éroder si on ne met pas de stratégies en place pour éviter le retour au système informel119.

Tirer parti des technologies numériques pour réduire les disparités liées au genre en matière de ressources

Le développement des outils numériques offre de nombreuses possibilités de combler le fossé femmes-hommes en ce qui concerne l’accès aux ressources, notamment aux services de vulgarisation et de conseil, aux formations en entrepreneuriat, aux marchés et aux informations associées, aux solutions financières et aux possibilités d’épargne. Le recours au numérique est par conséquent susceptible de renforcer les moyens de subsistance et l’autonomisation des femmes. En Ouganda, par exemple, l’offre de services de vulgarisation et de conseil destinés aux femmes à l’aide de vidéos a eu des incidences positives sur les connaissances de celles-ci s’agissant des pratiques agronomiques, a accru leur participation à la prise de décisions dans le domaine agricole, en particulier quant à l’adoption des pratiques et des intrants recommandés, et a augmenté les rendements du maïs, ainsi que les quantités de maïs que les femmes vendent sur le marché102. Des impacts analogues ont été observés dans le cadre de services de vulgarisation offerts en Éthiopie à l’aide de vidéos120. Le fait d’équiper les femmes d’un téléphone portable et d’organiser des activités de vulgarisation rurale ciblant à la fois les femmes et les hommes vivant sous le même toit a permis d’améliorer l’adoption de certaines pratiques et la participation des femmes à la prise de décisions au sein du foyer et à la production agricole121.

De la même manière, la transformation numérique des services financiers offre des solutions novatrices pour assurer une véritable inclusion financière des femmes. Les services monétaires par téléphonie mobile ont facilité l’évolution des comportements financiers des femmes, ont permis à celles-ci d’augmenter leurs revenus et ont renforcé leur indépendance financière et leur émancipation économique122 , 123, 124, 125, 126. Au Niger, les programmes de transferts monétaires grâce à des moyens mobiles ont aussi permis d’améliorer la prise de décisions des femmes au sujet de l’utilisation de l’argent127.

La transformation numérique des services financiers offre des solutions novatrices pour assurer une véritable inclusion financière des femmes.

Les plateformes électroniques de commerce agricole sont susceptibles de contribuer à l’autonomisation des femmes grâce au renforcement de leurs droits de négociation et à l’accroissement de leurs revenus128. Une étude fondée sur les renseignements communiqués par des informateurs clés au cours d’entretiens et des données d’enquêtes menées auprès de 821 paysans membres des quatre principales plateformes agricoles numériques en Ouganda ont montré que les femmes présentes sur celles-ci avaient davantage accès à des emplois formels: 21 pour cent des paysannes présentes sur les plateformes vendaient leur production dans le cadre de contrats en bonne et due forme et 49,5 pour cent avaient accès à des prêts de fonds de roulement, contre respectivement 9,3 pour cent et 29 pour cent des paysannes qui n’utilisaient pas les plateformes numériques129. Au Bangladesh, une plateforme numérique de financement agricole participatif, iFarmer, permet aux investisseurs de fournir des capitaux à des éleveuses, et la plateforme de commerce électronique ekShop Shoron est utilisée afin de contribuer au renforcement des moyens de subsistance des réfugiés rohingya de la ville Cox’s Bazar130. Quoi qu’il en soit, on relève de très grandes différences en ce qui concerne la volonté des pays en développement de soutenir le commerce électronique agricole en milieu rural et de faire en sorte que les femmes aient accès aux plateformes correspondantes, en particulier les femmes qui vivent dans des zones reculées, qui ont un faible niveau d’instruction, qui ne savent pas bien lire et écrire ou qui sont victimes d’autres facteurs d’exclusion.

Amélioration de l’accès aux technologies de l’information et de la communication au moyen de mesures stratégiques et de programmes ciblés

Les initiatives menées à grande échelle qui visent plus particulièrement à doter les femmes des zones rurales de compétences numériques sont rares, mais quelques exemples prometteurs existent. Au Bangladesh, le programme d’accès à l’information compte par exemple plus de 5 000 centres numériques dans les zones rurales et reculées du pays et rassemble chaque mois environ 5 millions de visiteurs. Ces centres offrent un programme axé sur les compétences numériques au service de l’entrepreneuriat. Ainsi, 3 000 entrepreneuses ont pu suivre des formations visant à renforcer leurs compétences commerciales et numériques, y compris leurs capacités en matière de réparation du matériel, afin d’ouvrir leurs propres centres de remise en état d’outils informatiques, ce qui s’avère être indispensable dans de nombreuses zones rurales131. Au Rwanda, la moitié des postes prévus dans le cadre du programme des ambassadeurs numériques soutenu par les autorités publiques sont réservés aux femmes, afin que celles-ci puissent ensuite s’engager auprès de leur communauté et au sein de leurs réseaux et encourager d’autres femmes et jeunes filles à exploiter les ressources offertes en ligne132. En décembre 2019, ce programme avait permis d’offrir des formations au numérique à 41 980 femmes, jeunes et ruraux de 12 districts. D’après une évaluation de l’impact, 87 pour cent des personnes formées déclaraient avoir vu leurs revenus progresser, et l’utilisation des services publics dématérialisés avait augmenté de 129 pour cent133. S’agissant plus précisément des femmes, 75 pour cent d’entre elles déclaraient une détermination et un intérêt accrus s’agissant de l’utilisation des technologies et 58 pour cent indiquaient une augmentation des revenus de la famille. En mars 2020, d’après l’organisme rwandais chargé de la réglementation des services collectifs, le taux de pénétration de l’internet au Rwanda atteignait 62,9 pour cent, soit un chiffre multiplié par deux par rapport à 2016134.

Si l’on veut améliorer les faibles taux féminins d’adoption des technologies, il faut procéder à des réformes stratégiques ou mettre en place des cadres politiques qui permettent d’éliminer activement les obstacles auxquels les femmes font face dans l’accès aux progrès techniques. Les politiques sectorielles qui tiennent compte des questions de genre sont fondamentales pour combler les écarts entre les femmes et les hommes des zones rurales et renforcer les capacités à tirer parti des technologies de l’information et de la communication. L’analyse de données provenant de 46 pays conduite par la GSMA a montré qu’un cadre réglementaire favorable allait de pair avec une plus grande utilisation des services monétaires par téléphonie mobile, en particulier parmi les femmes135.

Les mesures de politique générale qui visent explicitement à combler le fossé numérique lié au genre ont aussi donné de bons résultats. Dans ce domaine, le Botswana, le Costa Rica, le Nigéria, les Philippines et le Sénégal sont des pays chefs de file, qui ont tous fixé des objectifs visant l’inclusion des femmes dans leurs politiques nationales relatives à la bande passante à haut débit. Au Botswana, par exemple, la stratégie nationale relative à la large bande comprend des cibles relatives à l’égalité des genres s’agissant de l’accès aux smartphones, de l’alphabétisation numérique et de l’augmentation du nombre de femmes diplômées dans les domaines liés aux technologies de l’information et de la communication. Au Sénégal, le plan numérique comprend un engagement de haut niveau visant à intégrer les enjeux relatifs au genre dans toutes les décisions de politique générale concernant la large bande, ainsi que l’objectif explicite de parvenir à une utilisation des services publics et du commerce en ligne par 33 pour cent des femmes rurales d’ici à 2025136.

BURKINA FASO - Une jeune microbiologiste étudie le changement climatique et la désertification.
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BURKINA FASO - Une jeune microbiologiste étudie le changement climatique et la désertification.
©FAO/Gideon Vink

ÉLIMINER LES INÉGALITÉS DE GENRE EN MATIÈRE DE RÉSILIENCE FACE AUX CHOCS

Comme on l’a vu au chapitre 5, les mécanismes d’adaptation et de résilience face aux chocs et aux facteurs de perturbation sont modelés par les inégalités de genre. Dans le cadre des mesures préventives prises pour faire face aux chocs, trois mécanismes ont été utilisés en vue de renforcer la résilience et le rôle moteur des femmes: les approches communautaires, la participation à l’élaboration des politiques et les programmes de protection sociale. Un certain nombre d’interventions se sont révélées efficaces aux fins de l’autonomisation des femmes dans des contextes fragiles ou dans des situations de conflit ou d’après-conflit, notamment les transferts d’actifs et d’argent, ainsi que les approches axées sur les groupes.

Promotion des approches de groupe ou communautaires aux fins du renforcement de la résilience et des facultés d’adaptation

Les approches axées sur les groupes ont permis de renforcer l’autonomisation et la résilience des femmes face aux chocs. En Inde et au Viet Nam, la participation à des groupes a amélioré l’accès aux informations climatiques et a débouché sur de meilleurs taux d’adoption des pratiques agricoles climato-intelligentes137, 138, 139. De même, pendant la pandémie de Covid-19, les femmes qui faisaient partie d’associations villageoises d’épargne et de crédit déploraient moins d’incidences négatives de la pandémie sur la sécurité alimentaire et la santé, ce qui suggère une résilience plus forte face aux crises140.

Au Kenya, le fait d’être membre d’un groupe a contribué à l’adoption de pratiques climato-intelligentes, au renforcement des filets de sécurité en faveur des femmes et à la résilience des foyers141. On a aussi constaté que les groupes permettaient d’accroître la productivité et les revenus en Asie du Sud-Est142, 1, de réduire la charge de travail et d’augmenter la production au Népal grâce à la gestion de pompes d’irrigation solaires142, d’améliorer les facultés d’adaptation des femmes grâce au microcrédit et à la formation au Kenya144 et de renforcer la participation des femmes à la prise de décisions sur les questions intéressant l’environnement local au Sénégal142.

Au Niger, les clubs Dimitra (voir l’encadré 6.1) ont permis aux communautés de mettre au point des solutions novatrices et résilientes face aux aléas climatiques. Grâce à ces clubs, les femmes ont aussi mieux fait entendre leur voix au sein de leur communauté et ont eu les moyens de surmonter les obstacles qui les empêchaient d’avoir accès aux pompes d’irrigation solaires145. Toujours au Niger, ainsi que dans d’autres pays du Sahel, les clubs Dimitra ont aussi joué un rôle fondamental en faveur de la cohésion sociale des communautés et du renforcement de l’esprit d’initiative des femmes, puisque celles-ci sont intervenues comme médiatrices pacifiques dans le cadre des conflits entre agriculteurs et éleveurs, ce qui a permis de renforcer la résilience et d’offrir des perspectives de paix au niveau communautaire146, 147, 148.

Au Vanuatu, un programme d’adaptation communautaire mis en œuvre par CARE International a aussi permis aux femmes de renforcer leur estime personnelle et leur confiance en elles et de prendre ainsi part aux activités, ce qui s’est accompagné d’une évolution positive des mentalités au sein de la communauté et d’une reconnaissance du rôle crucial que les femmes jouent dans l’adaptation aux effets du climat32. En Éthiopie, une autre initiative de CARE International, qui visait à accroître les revenus des ménages et à renforcer la résilience face au changement climatique grâce à une approche à assise communautaire porteuse de transformation en matière de genre, a aussi permis d’accroître la participation des femmes à divers groupes (groupes d’épargne, associations féminines, groupes chargés de la commercialisation d’animaux d’élevage) et a contribué à ce que soit davantage reconnu le rôle joué par les femmes dans la sphère publique aux niveaux de la communauté et des administrations et autorités locales149.

Les approches axées sur les groupes se révèlent aussi être efficaces dans les pays fragiles ou touchés par un conflit. Un examen systématique des données de 104 études quantitatives et qualitatives publiées entre 2000 et 2021, provenant de 29 pays et portant sur 14 types d’interventions, a montré que celles qui étaient menées auprès de groupes d’entraide dans les pays fragiles ou touchés par un conflit avaient des incidences positives et notables dans tous les domaines de l’autonomisation des femmes, aussi bien en termes de ressources que du point de vue de l’agencéité et des réalisations150.

Élaboration et mise en œuvre de politiques visant à renforcer la résilience

Les investissements et politiques climatiques qui tiennent compte de la problématique femmes-hommes sont essentiels pour pouvoir mettre en place un environnement propice au renforcement de la résilience et à la réduction des inégalités de genre au sein des systèmes agroalimentaires59. Ces dernières années, les progrès obtenus dans la formulation de politiques et de stratégies d’investissement tenant compte des questions de genre ont certes été lents, mais ils ont été constants59,151. Une évaluation de l’impact du programme national zambien d’investissement dans le secteur agricole, qui a intégré des approches porteuses de transformation en matière de genre dans le domaine de la nutrition et dans le cadre de l’introduction de technologies climato-intelligentes, montre que, outre un accroissement de la production des cultures vivrières et une amélioration de la sécurité alimentaire des foyers, ce programme a contribué à améliorer les relations au sein du foyer et le rôle de chacun en ce qui concerne l’accès aux ressources, la prise de décisions et la division du travail152.

Les approches axées sur les groupes qui visent l’action collective en matière de politique climatique révèlent aussi un potentiel très intéressant en faveur d’un renforcement des capacités adapté aux besoins spécifiques des femmes59 et de la réduction des inégalités de genre grâce au soutien apporté à l’action climatique des femmes et à l’amélioration de l’accès de celles-ci à l’information, aux financements ainsi qu’aux ressources et à l’agencéité collectives142, 153. En Amérique latine, l’intégration des femmes dans les processus de consultation sur les stratégies à mener a par exemple contribué à la formulation de politiques sur le changement climatique et la sécurité alimentaire qui tiennent compte des questions de genre154.

Recours à la protection sociale pour amortir les chocs et renforcer la résilience

Les programmes de protection sociale contribuent efficacement à la résilience des femmes. Ils renforcent la résilience face au changement climatique en contribuant au relèvement après les chocs et à un meilleur bien-être dans les contextes qui présentent des risques climatiques élevés155, 156. Dans le domaine du travail, les systèmes de garantie qui prévoient des dispositions visant à promouvoir la participation des femmes sur un pied d’égalité sont susceptibles de transformer les structures de pouvoir fondées sur le genre et de renforcer la résilience face au changement climatique157. Au Bangladesh, un programme consacré au moyen de subsistance dans les «chars», îlots fertiles mais inondables, qui comprend des activités de transfert d’actifs et des formations destinées aux femmes extrêmement pauvres sur les moyens de subsistance et la nutrition, a permis de renforcer les capacités sociales et économiques des participantes en vue de prévenir les incidences des inondations et de l’érosion et d’y faire face158.

Un examen systématique des interventions menées dans des pays fragiles ou en proie à des conflits a montré que les interventions de transfert d’actifs et d’espèces avaient des effets très positifs sur l’accès des femmes aux ressources, y compris à divers biens, au crédit et aux revenus150.

Les programmes de protection sociale contribuent efficacement à la résilience des femmes.

VOIE À SUIVRE POUR PARVENIR À DES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES PORTEURS DE TRANSFORMATION, ÉQUITABLES ET OFFRANT UN PLUS GRAND POUVOIR D’ACTION

L’autonomisation des femmes et l’élimination des disparités de genre au sein des systèmes agroalimentaires offrent des avantages importants en faveur du bien-être des femmes et des membres du foyer. L’analyse et l’examen des données retenues en vue de l’élaboration du présent rapport ont permis de mettre le doigt sur un large éventail d’interventions et de caractéristiques qui permettent d’améliorer l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes. Pour aller de l’avant, trois éléments sont fondamentaux en vue de faciliter la transformation des systèmes agroalimentaires en faveur de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes.

Des données ventilées et des recherches rigoureuses

La mise au point de stratégies visant à éliminer les disparités liées au genre et à s’attaquer aux causes structurelles des inégalités au sein des systèmes agroalimentaires nécessite de mener des recherches de qualité et de disposer de données ventilées selon le sexe, l’âge et d’autres facteurs de différenciation sociale et économique. Comme on peut le constater grâce au présent rapport, des progrès considérables ont été obtenus ces 10 dernières années s’agissant de la disponibilité de données quantitatives et qualitatives ventilées par sexe, d’outils de mesure de l’autonomisation des femmes et de recherches empiriques de qualité. D’importantes difficultés et lacunes demeurent toutefois en ce qui concerne la disponibilité et l’utilisation des données quantitatives et qualitatives servant à mesurer et à analyser l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes au fil du temps et dans les divers domaines liés aux systèmes agroalimentaires.

Tout d’abord, des mesures harmonisées et multidimensionnelles de l’agencéité et de l’autonomisation doivent être intégrées de manière plus systématique dans les enquêtes nationales et évaluées dans le temps. Elles doivent aussi être mieux mises en relation avec les indicateurs relatifs à l’accès des personnes aux ressources (irrigation et financements, par exemple) et aux résultats obtenus (en termes d’emploi, de salaires et de sécurité alimentaire, par exemple). À cet égard, il faut souligner l’importance de la mise au point récente de l’indicateur de l’autonomisation des femmes pour les systèmes statistiques nationaux, dans le cadre de l’initiative 50x2030159, destinée à combler les lacunes en matière de données agricoles.

Ensuite, il faut consacrer davantage de travaux à la mise au point de méthodes de collecte et de mesure de l’évolution des normes et des sources d’inégalités structurelles, y compris dans les initiatives portant sur les données à grande échelle. À cet égard, le Programme conjoint sur les approches porteuses de transformation en matière de genre au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition160 et l’initiative HER+ du Système CGIAR161 ont par exemple permis d’élaborer des outils pour mesurer les évolutions porteuses de transformation en matière de genre au sein des systèmes agroalimentaires.

Troisièmement, une plus grande attention doit être accordée à la collecte de données qualitatives et quantitatives et aux recherches axées sur les populations marginalisées, afin de mieux saisir les inégalités qui se recoupent ainsi que les différentes expériences de discrimination, et de s’attaquer à ces problèmes.

Il faut aussi que les mesures visant à collecter de manière systématique des données ventilées et représentatives au niveau national sur l’emploi (dans le secteur agricole et en dehors), sur l’utilisation du temps et sur l’accès aux ressources et aux actifs importants pour les moyens de subsistance au sein des systèmes agroalimentaires ne soient pas limitées au nombre relativement modeste des pays concernés par les initiatives EMNV+, qui sont en priorité axées sur les pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud162.

Cinquièmement, il faut que davantage de données longitudinales soient disponibles pour que l’on puisse suivre l’évolution de la situation des individus et des foyers au fil du temps et recenser les moteurs de changement.

Davantage d’efforts doivent également être consentis en ce qui concerne la collecte de données et la recherche dans l’ensemble des systèmes agroalimentaires. Des progrès importants ont été accomplis quant à la collecte de données ventilées par sexe dans le secteur primaire de la pêche et de l’aquaculture, notamment tout le long des filières163. Les avancées sont toutefois encore insuffisantes dans d’autres secteurs, par exemple ceux de l’élevage et des forêts164. Plus largement, les données nationales et multinationales sur les relations entre les genres, sur les rôles dévolus aux femmes et aux hommes et sur l’émancipation des individus sont relativement rares au-delà du secteur primaire de l’agriculture, par exemple dans les domaines de la fabrication et de la transformation, du commerce de gros ou de détail, des transports et de la restauration36. Dans de nombreux pays, en particulier dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, on manque aussi de données de qualité issues des enquêtes sur la consommation alimentaire des personnes165. Par ailleurs, il ressort du rapport que l’on manque également de données ventilées par sexe et pertinentes sur les incidences du changement climatique, sur les facultés d’adaptation et sur la résilience et que les données de ce type sont aussi relativement rares en ce qui concerne l’accès aux ressources et aux biens importants (par exemple l’irrigation, les engrais et les technologies).

Septièmement, des avancées importantes ont été obtenues dans l’évaluation des interventions axées sur la problématique du genre, par exemple grâce aux travaux du Laboratoire d’innovation sur le genre et l’égalité des sexes de la Banque mondiale, mais des mesures plus systématiques doivent être prises pour évaluer l’impact de ces interventions, au moyen de méthodes rigoureuses, de manière à fournir des données factuelles sur ce qui fonctionne dans différentes situations, en mettant plus particulièrement l’accent sur l’évolution des normes sociales discriminatoires sous-jacentes et des déséquilibres tenaces dans les rapports de force qui maintiennent les inégalités entre les femmes et les hommes.

Huitièmement, enfin, l’obtention de plus de données et d’éléments factuels sur le rapport coût-efficacité des interventions visant à lutter contre les inégalités de genre contribuera à trouver des solutions et à obtenir un engagement politique à grande échelle.

Le fait de corriger les lacunes dans les données ventilées par sexe facilitera la réalisation de recherches rigoureuses qui cernent mieux les obstacles à l’égalité des genres et à l’autonomisation des femmes au sein des systèmes agroalimentaires, y compris les problèmes que les femmes et les hommes rencontrent lorsqu’ils sont victimes de discriminations multiples et qui s’entrecroisent. Les avancées obtenues en matière de données permettront aussi des évaluations plus précises de l’efficacité et du rapport coût-efficacité des politiques et des programmes relatifs aux systèmes agroalimentaires, évaluations qui devraient ensuite servir à éclairer l’établissement de priorités, puis la conception et le déploiement d’interventions et de politiques qui peuvent contribuer efficacement à la mise en place de systèmes agroalimentaires porteurs de transformation, équitables et émancipateurs pour tous.

Tirer davantage parti des approches donnant de bons résultats

Des solutions à grande échelle sont nécessaires pour prendre à bras le corps les enjeux relatifs à l’égalité des genres et à l’autonomisation des femmes, afin d’obtenir des évolutions concrètes. Malheureusement, de nombreuses interventions examinées aux fins de l’élaboration du présent rapport sont relativement modestes. Il est peu probable que les attitudes sexistes changent profondément si les enseignements tirés des différents moyens de réduire les discriminations fondées sur le genre ne sont pas transposés au-delà des foyers et des communautés. Ainsi faut-il les appliquer à plus grande échelle, au niveau des marchés, dans le domaine des politiques et au sein de la sphère juridique166. Il faut aussi sensibiliser les communautés et les ménages aux normes locales empreintes de préjugés fondés sur le genre, à l’aide d’approches porteuses de transformation en la matière, et il est impératif que les pouvoirs publics, les organisations internationales, les organisations de la société civile et le secteur privé fassent évoluer dans le bon sens les normes liées au genre et améliorent l’accès des femmes aux ressources en mettant en place des politiques et des campagnes de sensibilisation au niveau national ainsi que des programmes intégrés de grande envergure.

La transposition des approches et des interventions à plus grande échelle pose toutefois des problèmes. Que faut-il transposer et comment? Les approches appropriées sont celles qui ont été prometteuses dans divers contextes et dont la portée peut à l’évidence être élargie. À cet égard, il ne faut pas se contenter de mener des activités pilotes qui donnent de bons résultats. Il faut aussi suivre et évaluer les activités entreprises, puis tirer des enseignements des résultats obtenus (comme on l’a vu précédemment lorsqu’on évoquait la nécessité de veiller à ce que les données, les activités de suivi et les évaluations soient pertinentes dans la perspective de l’égalité des genres). Avant tout, le passage à plus grande échelle nécessite la manifestation d’une volonté politique et l’engagement des pouvoirs publics et des chefs de file de la société. À cette fin, les gouvernements peuvent décider d’apporter des modifications à leurs stratégies, d’intégrer certaines approches dans les programmes nationaux ou de cofinancer des projets internationaux. L’investissement privé, davantage de financements et d’actions de sensibilisation de la part des acteurs du développement ou encore la participation et l’adhésion des communautés et des groupes aux approches qui sont efficaces sont d’autres moyens susceptibles de donner plus d’ampleur aux interventions167. Il est essentiel de veiller à ce que les approches qui ont donné de bons résultats dans un certain contexte soient adaptées à de nouvelles situations et que les éléments qui ne constituaient pas une priorité dans les interventions plus modestes (par exemple la mise en place de politiques au niveau national) soient intégrés dans le cadre d’une application ayant plus d’envergure.

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Parvenir à l’égalité des genres à grande échelle dans le secteur agricole et au sein des systèmes agroalimentaires est susceptible d’offrir des avantages considérables. À partir des données présentées au chapitre 2 sur les disparités liées au genre en matière de productivité agricole et de rémunération dans les systèmes agroalimentaires, la FAO estime, sans pécher par optimisme, que l’élimination de ces disparités dans le seul secteur agricole permettrait d’accroître le produit intérieur brut mondial d’au moins 1 pour cent (soit près de 1 000 milliards d’USD). À l’échelle mondiale, ces gains se traduiraient par un recul d’au moins 2 points de pourcentage de l’insécurité alimentaire, soit une diminution de 45 millions du nombre de personnes touchées par ce fléau (voir l’annexe 3).

Approches volontaires et porteuses de transformation en matière de genre

Les interventions ont plus de chances de combler les écarts entre les femmes et les hommes dans les systèmes agroalimentaires et d’améliorer durablement les conditions de vie des femmes lorsqu’elles intègrent des mesures explicitement axées sur l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes. Elles ont plus d’impact lorsqu’elles permettent aussi de lutter contre les normes sociales et les entraves institutionnelles discriminatoires à l’égard des femmes168. Les interventions visant l’autonomisation des femmes peuvent aussi avoir des effets négatifs inattendus et, pour éviter cela, il faut qu’elles soient bien pensées et bien conçues36. Les interventions visant les femmes sont par exemple susceptibles de créer des déséquilibres eu égard à une plus grande mobilisation de celles-ci ou d’accroître la charge de travail féminin, ce qui a d’importantes conséquences quant aux résultats en matière de développement169. La plupart des projets qui prétendent favoriser l’autonomisation des femmes intègrent souvent des stratégies destinées uniquement à celles-ci, et peu de projets intègrent explicitement des stratégies visant à transformer les normes fondées sur le genre et les relations femmes-hommes qui peuvent conduire à une plus grande égalité des genres et à une plus grande autonomisation des femmes. Les interventions visant à améliorer l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes qui se révèlent être les plus efficaces au sein des systèmes agroalimentaires sont de nature pluridimensionnelle, traitent de nombreux obstacles liés au genre à différentes échelles et s’attaquent aux causes structurelles des inégalités entre les genres. Les informations obtenues à partir de plusieurs études du rapport coût-efficacité montrent que les approches porteuses de transformation en matière de genre offrent une forte rentabilité des investissements (voir l’encadré 6.5).

ENCADRÉ 6.5 COÛTS ET AVANTAGES DES APPROCHES PORTEUSES DE TRANSFORMATION EN MATIÈRE DE GENRE

Les données et les informations sur les coûts et les avantages qu’il y aurait à délaisser l’intégration de la problématique femmes-hommes au profit d’approches porteuses de transformation en matière de genre dans les interventions de développement sont rares, dans le droit fil du manque général de données sur les effets des interventions en faveur de l’égalité femmes-hommes dans les programmes de développement agricole et rural. Les différences liées au genre dans les résultats obtenus sont ainsi évaluées dans seulement 10 pour cent de ces interventionsi.

Il n’en reste pas moins que trois études, du Burundi, de Côte d’Ivoire et de la République démocratique du Congo, montrent que les approches porteuses de transformation en matière de genre offrent un bon rapport coût-efficacité pour améliorer les moyens de subsistance ruraux et l’égalité femmes-hommes.

En Côte d’Ivoire, la Banque mondiale a utilisé des essais contrôlés aléatoires pour étudier les incidences de la participation à la fois des époux et des épouses à des activités de formation et de vulgarisation agricoles sur la production de caoutchouc, par rapport à l’impact des activités du même type visant principalement les hommes, qui ont toujours joué les premiers rôles dans cette culture d’exportation. L’intégration des femmes aux formations agricoles a débouché sur davantage d’investissements (augmentation de 20 pour cent des plants d’hévéas mis en terre) tout en conservant les niveaux antérieurs de production des arbres plus vieux et des autres culturesii. Ces évolutions sont avant tout dues à une plus grande participation des femmes à la gestion des activités agricoles, à un meilleur maintien en place du plan d’action et à des progrès dans la répartition des tâches en fonction du sexeii. Ces interventions représentent certes un coût supplémentaire de 25 USD par foyer, ou 35 USD si l’on intègre le temps consacré à la mise au point de la formation, mais les ménages bénéficiaires de l’approche porteuse de transformation en matière de genre ont pu conserver les mêmes niveaux de production de caoutchouc, alors que ceux qui ont bénéficié de l’approche traditionnelle ont vu la valeur annuelle de leur production reculer de 346 USD.

En République démocratique du Congo, le Laboratoire d’innovation sur le genre et l’égalité des sexes en Afrique de la Banque mondiale a conduit des essais contrôlés aléatoires entre 2019 et 2021 afin de d’établir une comparaison entre les centres communautaires de garde d’enfants, mis en place dans le cadre d’une approche porteuse de transformation en matière de genre, et les arrangements informels dans ce domaine. Une évaluation des interventions menées a montré que les revenus mensuels des ménages augmentaient en moyenne de 34 USD grâce à la réduction importante du temps consacré par les membres du foyer au soin des enfants et, de ce fait, à une main-d’œuvre plus disponible. L’évaluation ne prenait pas en considération les avantages indirects et futurs mais on a constaté d’importantes incidences positives sur le développement des jeunes enfants. L’analyse du rapport coût-efficacité indiquait «une forte rentabilité des investissementsiii», à savoir un coût mensuel de 144 USD par centre (soit 10 à 16 USD par enfant et par mois) et des gains de 34 USD supplémentaires s’agissant des revenus mensuels des ménages.

Au Burundi, entre 2016 et 2019, CARE et ses partenaires ont testé l’efficacité d’une approche porteuse de transformation en matière de genre connue sous le nom d’Empowerment through Knowledge and Transformative Action (EKATA), dans le cadre d’essais contrôlés aléatoires, par rapport à une approche moins axée sur les questions de genre ou ne tenant pas compte de la dimension de genre. Une évaluation a montré que l’autonomisation des femmes était bien plus importante dans le groupe ayant bénéficié de l’approche EKATA et que l’indice de parité femmes-hommes avait progressé de 51 pour cent contre moins de 10 pour cent dans le cadre des interventions prenant peu ou pas en compte la dimension de genreiv. Le projet a par ailleurs eu des incidences positives majeures en ce qui concerne la diversité de l’alimentation des femmes et a conduit à d’importants changements dans la perception que les hommes et les femmes avaient des violences fondées sur le genrev. L’analyse du rapport coût-efficacité permet d’estimer que la valeur de l’approche porteuse de transformation en matière de genre est deux fois plus grande que celle d’une approche qui prend peu en compte la dimension de genre et environ 8,5 plus grande que celle de l’approche qui n’en tient pas comptev.

NOTES:
  1. CERES2030. 2020. Ending hunger sustainably: The role of gender. Note d’information. Winnipeg (Canada), Institut international du développement durable (IIDD). https://tinyurl.com/jmapbp49
  2. Donald, A., Goldstein, M. et Rouane, L. 2022. Two heads are better than one: Agricultural production and investment in Côte d’Ivoire. Laboratoire d’innovation sur le genre et l’égalité des sexes, Banque mondiale, Washington. https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/37550
  3. Donald, A. et Vaillant, J. 2023. Experimental evidence on rural childcare provision. Preliminary draft. https://tinyurl.com/y44xfv5b
  4. Hillenbrand, E., Mohanraj, P., Njuki, J., Ntakobakinvuna, D. et Sitotaw, A.T. 2022. “There is still something missing”: Comparing a gender-sensitive and gender-transformative approach in Burundi. Development in Practice. https://doi.org/10.1080/09614524.2022.2107613
  5. CARE. 2021. A win-win for gender and nutrition: Testing a gender-transformative approach from Asia in Africa. Policy Brief. CARE, Genève (Suisse). https://tinyurl.com/3mbkpc45

Si l’on considère les programmes d’aide bilatérale consacrés à l’agriculture et au développement rural, on constate non sans surprise qu’une majorité d’entre eux (65 pour cent) intègrent les problématiques liées au genre, cette proportion étant supérieure à celle observée dans la plupart des autres secteurs de l’aide (figures 6.1); toutefois, seule une minorité de ces programmes (6 pour cent) abordent les questions de genre comme un enjeu fondamental à l’étape de la conception des projets170. Une proportion analogue de l’aide multilatérale passée au crible est axée sur les questions de genre (67 pour cent de l’aide multilatérale dans tous les secteurs)171.

Figure 6.1 Une grande partie de l’aide bilatérale au développement consacrée à l’agriculture et au développement rural intègre les questions de genre ou est exclusivement axée sur cet enjeu

Volume et proportion de l’aide axée sur les questions de genre par secteur (moyenne, 2020-2021)
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SOURCE: OECD. 2023. Official development assistance for gender equality and women’s empowerment: A snapshot. Paris. https://www.oecd.org/dac/snapshot-oda-gender-2023.pdf
KENYA - Une femme fait sécher des bananes qui seront transformées en farine par son entreprise.
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KENYA - Une femme fait sécher des bananes qui seront transformées en farine par son entreprise.
© FAO/Fredrik Lerneryd

Une méta-analyse des incidences de 24 projets financés par le FIDA, représentatifs d’un portefeuille de 96 projets d’une valeur de 3,1 milliards d’USD (investissements du FIDA) et de 7,1 milliards d’USD (en intégrant les cofinancements), montre que les projets qui contribuent à l’autonomisation des femmes en renforçant leur pouvoir de décision en matière de revenu et/ou de ressources sont aussi bien plus efficaces que ceux qui ne traitent pas cet enjeu, si l’on considère l’accroissement des revenus du ménage, la plus grande diversité de l’alimentation, l’amélioration de la sécurité alimentaire et le renforcement de la résilience. Les résultats montrent en particulier que le nombre de personnes qui bénéficient d’une augmentation appréciable de leurs revenus croît de 5 points de pourcentage et que le nombre de celles qui jouissent d’une amélioration importante de leur résilience progresse de 20 points de pourcentage (voir à l’annexe 4 des précisions au sujet de la méthode utilisée).

La réorientation d’une partie de l’aide bilatérale – de projets intégrant la problématique du genre vers des projets axés dès leur conception sur l’autonomisation des femmes en tant qu’objectif fondamental –, déboucherait probablement sur d’importants avantages supplémentaires en termes de revenus, de diversité de l’alimentation, de sécurité alimentaire et de résilience. Si la moitié des petits producteurs bénéficiaient d’interventions de développement axées sur l’autonomisation des femmes, cela permettrait d’accroître de manière notable les revenus de 58 millions de personnes de plus et de renforcer la résilience de 235 millions de personnes de plus par rapport aux effets obtenus avec une approche se contenant d’intégrer les problématiques liées au genre. On pourrait parvenir à de tels résultats en réorientant les sommes d’argent importantes qui sont actuellement consacrées à l’intégration des questions de genre vers des projets visant l’autonomisation des femmes dans le cadre d’une démarche volontaire et efficiente172.

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ÉGYPTE – La superviseuse d’un site de transformation de tomates saupoudre du sel sur des tomates coupées.
©FAO/Heba Khamis