Introduction

Approches utilisées pour étudier les effets des changements climatiques sur les organismes nuisibles aux végétaux

Au cours des 30 à 40 dernières années, plusieurs études ont cherché à évaluer les effets de plusieurs facteurs – augmentation des températures, du CO2, de l’ozone ou du rayonnement ultraviolet B, et évolution des conditions hydriques ou d’humidité – sur l’incidence et la gravité des phytopathologies. Les études ont porté sur les organismes nuisibles qui affectent les cultures de plein champ comme le blé, l’orge, le riz, le soja et la pomme de terre (Bregaglio, Donatelli et Confalonieri, 2013; Evans et al., 2008; Launay et al., 2014; Luck et al., 2011; Mikkelsen, Jørgensen et Lyngkjær, 2014), les cultures horticoles (Gullino et al., 2018; Koo, Hong et Yun, 2016), notamment les cultures tropicales et de plantation (Ghini, Hamada et Bettiol, 2011), et les arbres forestiers (Battisti, 2008; Jactel, Koricheva et Castagneyrol, 2019; Sturrock et al., 2011).

Ces études se sont appuyées sur diverses approches de recherche (voir le tableau 1). Certaines ont consisté en des expériences destinées à examiner les effets induits par la modification d’un ou de plusieurs paramètres météorologiques. D’autres études ont examiné les espèces présentes le long de gradients latitudinaux ou altimétriques en tant qu’indicateur des changements climatiques au fil du temps. Outre ces approches empiriques, des approches «théoriques» ont également été adoptées, comme la méta-analyse des résultats de diverses études ou l’analyse d’ensembles de données à long terme. Enfin, certaines études se sont appuyées sur des avis d’experts ou ont généré des modèles de simulation afin de prédire comment les changements prévus dans le climat ou la composition de l’atmosphère modifieront la répartition, la prévalence et la gravité des organismes nuisibles et autres organismes ainsi que la lutte contre ces derniers.

Tableau 1 Exemples d’approches expérimentales et théoriques utilisées dans la recherche sur la biologie des changements climatiques

Les approches expérimentales peuvent fournir des informations utiles à propos des effets des changements climatiques sur les organismes nuisibles et les phytopathologies, mais peu d’études de ce type sont parvenues à reproduire de manière réaliste les changements climatiques (Chakraborty et Newton, 2011; Ingram, Gregory et Izac, 2008; Loustau et al., 2007; Luck et al., 2011; Pautasso et al., 2012). Certaines études sur les changements climatiques menées avec des systèmes d’enrichissement en CO2 à l’air libre (FACE) et dans des chambres à toit ouvert ont permis de mieux comprendre les effets de différents paramètres sur le développement des phytopathologies dans diverses cultures (Eastburn, McElrone et Bilgin, 2011) (figure 5). Ces systèmes ont également été utilisés pour étudier les adventices (Williams et al., 2007) et les insectes (Delucia et al., 2012). De manière générale, la plupart des études menées à l’aide des systèmes FACE dans des conditions de CO2 élevé ont révélé une augmentation des problèmes liés aux insectes et aux maladies, comme l’ont récemment résumé Ainsworth et Long (2021).

Figure 5A
©F. Angelotti
Figure 5B
©F. Angelotti

Chambres à toit ouvert pour l’étude des effets de l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’air à Petrolina (Brésil)

Les phytotrons – chambres environnementales destinées à évaluer les effets de différentes combinaisons de paramètres environnementaux (Gullino et al., 2011; Hakata et al., 2017) – permettent d’étudier les effets de l’augmentation du CO2 et de la température pendant une courte durée sur les relations hôte-pathogène (Gullino et al., 2018), afin de comprendre comment certaines maladies pourraient évoluer à l’avenir (figure 6). Les résultats de ces études peuvent servir à mettre au point des solutions pratiques pour faire face aux scénarios futurs, par exemple en soutenant les activités de sélection végétale. Ils peuvent également permettre d’étudier d’autres effets, plus indirects, des changements climatiques sur les végétaux, comme l’impact sur la production de mycotoxines ou sur les pratiques de lutte contre les maladies (Gilardi et al., 2017; Gullino et al., 2020).

Figure 6
©Agroinnova

Phytotrons utilisés pour la croissance végétative dans des conditions contrôlées
En simulant de multiples facteurs environnementaux, les phytotrons permettent d’étudier les effets des changements climatiques sur les végétaux et leurs agents pathogènes.

Parmi les approches de terrain en milieu naturel on trouve des recherches le long d’un gradient altimétrique comprenant des sites de basse à haute altitude (Betz, Srisuka et Puthz, 2020; Garibaldi, Kitzberger et Chaneton, 2011), avec les changements de température et d’humidité de l’air qui y sont associés, et des travaux menés dans différents habitats le long d’un gradient latitudinal, par exemple dans des conditions climatiques subtropicales, tempérées et semi-arides (Bairstow et al., 2010; Scalone et al., 2016). La première approche présente l’avantage d’avoir une photopériode identique le long du gradient altimétrique. Dans la seconde approche, la photopériode est susceptible de varier le long du gradient latitudinal. Sous les tropiques, par exemple, les jours sont plus courts et les nuits plus longues en été et inversement en hiver, contrairement aux régions tempérées. Ces différences de photopériode doivent être prises en compte lors de l’interprétation des résultats. Néanmoins, ce type d’approche est utile pour identifier les grandes tendances sur de larges gradients environnementaux et dans une série de régions climatiques en conditions réelles. Ces études peuvent aussi aider à déterminer si une espèce donnée est limitée à un climat spécifique ou si elle est largement répandue et risque de se propager à des zones qui se réchauffent (Juroszek et von Tiedemann, 2013a).

Des méta-analyses d’ensembles de données publiées ont été réalisées afin d’identifier des tendances générales concernant la réaction de certains organismes nuisibles lorsqu’ils sont exposés à des variables climatiques changeantes (Koricheva et Larsson, 1998; Massad et Dyer, 2010; Vila et al., 2021). En outre, des ensembles de données à long terme issues d’observations de terrain ont été utilisés pour étudier les effets des changements climatiques déjà perceptibles en raison du réchauffement survenu ces dernières décennies (Altermatt, 2010; Huang et Hao, 2020; Jeger et Pautasso, 2008). Ces ensembles de données à long terme peuvent servir de base de référence pour de futures études (Huang et Hao, 2020; Robinet et Roques, 2010) car ils peuvent aider les chercheurs à faire la distinction entre les impacts dus aux changements climatiques et ceux résultant d’autres facteurs (Garrett et al., 2016, 2021). Certains chercheurs ont essayé d’affiner les prévisions des effets du réchauffement climatique sur les insectes en combinant des données issues d’ensembles de données à long terme, d’expériences à grande échelle et de travaux de modélisation informatique (Diamond, 2018; Grünig et al., 2020; Lehmann et al., 2020). Par exemple, une méta-analyse de données issues d’études en laboratoire a conclu que les niveaux trophiques supérieurs (les prédateurs, par exemple) sont davantage sensibles aux changements climatiques que les organismes d’ordre inférieur (végétaux ou insectes herbivores) (Fussmann et al., 2014). Ce type d’information est utile lorsque l’on étudie l’impact de l’évolution du rôle des ennemis naturels sur la dynamique des insectes nuisibles et la lutte biologique dans le contexte des changements climatiques, sujet sur lequel très peu de données de terrain sont disponibles (Thomson, MacFadyen et Hoffman, 2010).

Les modèles de simulation peuvent être utilisés pour prévoir les effets des changements climatiques sur les organismes nuisibles (Sutherst, 1991; Sutherst et al., 2011) et déterminer les tactiques et stratégies de lutte contre ces derniers (Ghini, Hamada et Bettiol, 2008; Hill et Thomson, 2015; Salinari et al., 2007; Shaw et Osborne, 2011). L’une des approches de modélisation consiste, par exemple, à utiliser la «correspondance climatique», qui permet d’étudier une zone géographique dont le climat actuel est analogue au climat futur de la zone considérée (dans le cas présent, pour l’étude de la dynamique des organismes nuisibles), puis d’extrapoler les résultats pour concevoir un scénario futur pour cette même zone (Sutherst, Maywald et Russell, 2000). D’autres approches de modélisation utilisent des ensembles de données à long terme en ce qui concerne les paramètres météorologiques, le développement des cultures, ainsi que la répartition et la prévalence des organismes nuisibles, afin de développer et de valider des modèles «organisme nuisible-culture-climat» (Angelotti et al., 2017; Madgwick et al., 2011). D’autres exemples récents d’études réalisées à partir de modélisations (voir le tableau 2) prennent en compte des paramètres comme le nombre de générations par an pour les insectes nuisibles, le moment de la floraison des plantes et la gravité des maladies associées, ainsi que la répartition globale des adventices.

Tableau 2 Exemples d’études de simulation du risque phytosanitaire où les modèles d’organismes nuisibles ont été croisés avec des scénarios de changement climatique