Certains organismes nuisibles ont déjà élargi leur gamme d’hôtes ou leur aire de répartition, au moins en partie sous l’effet des changements climatiques. On trouvera ci-dessous des exemples de ce type d’organismes nuisibles, sélectionnés en fonction de leur importance dans différentes zones géographiques. On trouvera également dans le tableau 3 des exemples de possibles effets des changements climatiques sur les organismes nuisibles aux végétaux (insectes, agents pathogènes et adventices) dans différentes zones climatiques.
L’agrile du frêne, Agrilus planipennis, est un coléoptère qui se nourrit du phloème des frênes et infeste ces derniers (Fraxinus spp.) (OEPP, 2021b). Les coléoptères adultes puisent leur nourriture dans le feuillage des frênes, mais ce sont les larves, qui se nourrissent abondamment du phloème et du cambium, qui perturbent le processus de translocation dans l’arbre en le ceinturant (c’est-à-dire en enlevant un anneau d’écorce sur toute la circonférence de la branche ou du tronc), jusqu’à entraîner la mort de l’arbre.
Originaire du nord-est de la Chine, de la péninsule coréenne et de l’est de la Fédération de Russie, l’agrile du frêne s’est propagé à d’autres régions d’Asie, mais aussi en Amérique du Nord (Canada et États-Unis d’Amérique) (Haack et al., 2002) et en Europe (régions occidentale et méridionale de la Fédération de Russie et Ukraine, par exemple) (CABI, 2021b). Pour ce qui est de l’Amérique du Nord, il a probablement été introduit en 2002 par le biais de matériaux d’emballage en bois, et certaines études dendrologiques indiquent qu’il serait arrivé sur le continent environ une décennie avant sa détection. Sa dissémination ultérieure à diverses régions des États-Unis d’Amérique et du Canada a probablement été facilitée par le déplacement de matériel de pépinière, de grumes et de bois de chauffage infestés (Herms et McCullough, 2014; Ramsfield et al., 2016).
Ce coléoptère provoque de graves dommages. Aukema et al. (2011) le considèrent comme l’insecte forestier envahissant le plus destructeur et le plus dévastateur sur le plan économique aux États-Unis d’Amérique, les projections relatives aux pertes économiques engendrées par cet insecte jusqu’en 2020 dépassant 12,5 milliards d’USD. L’invasion de ce coléoptère a également eu de fortes répercussions sur la biodiversité dans les zones touchées, car les frênes constituent une source de nourriture, un abri et un habitat pour de nombreuses espèces. Il a en outre été estimé que l’invasion de l’agrile du frêne et la perte d’arbres qui en résulte peuvent avoir une incidence sur la santé humaine (Donovan et al., 2013). Les stratégies de lutte se sont concentrées sur les mesures de confinement, par exemple en mettant en place des zones de quarantaine, et sur la réduction de la densité des populations, notamment en introduisant des agents de lutte biologique. L’éradication a d’abord été tentée, avant d’être abandonnée (Herms et McCullough, 2014).
La répartition des frênes constitue la principale limitation de l’aire de répartition de l’agrile du frêne, mais on estime que le climat joue également un rôle important. Dans son aire de répartition d’origine, l’agrile du frêne n’est présent que dans une fraction de l’aire de répartition du frêne, mais d’après la modélisation réalisée par Liang et Fei (2014), les changements climatiques pourraient amener le coléoptère à progresser plus encore vers les zones septentrionales d’Amérique du Nord, ce qui aurait pour effet d’exposer les frênes de ces régions à un risque durable. En revanche, on estime que dans un scénario de réchauffement climatique, la progression de l’agrile du frêne vers les zones méridionales d’Amérique du Nord devrait être limitée, car ce coléoptère a besoin d’une saisonnalité marquée, avec une longue saison d’hiver. Les travaux menés par Duan et al. (2020) sur la survie hivernale de plusieurs larves d’espèces parasitoïdes nuisibles à l’agrile du frêne introduites après un épisode climatique extrême (basses températures hivernales) ont également montré que les phénomènes climatiques extrêmes, associés aux changements climatiques, pourraient réduire l’efficacité de la lutte biologique contre ce coléoptère.
Les téphritides sont une vaste famille d’insectes qui comporte plus de 4 000 espèces décrites. La plupart des espèces se nourrissent de végétaux et plusieurs d’entre elles peuvent entraîner des pertes économiques importantes, notamment lorsque leurs larves se développent dans des fruits à forte valeur marchande. Cette famille d’insectes comprend plusieurs espèces envahissantes, comme Bactrocera oleae (Figure 7 et Gutierrez et al., 2009), qui puise sa nourriture uniquement dans les oliviers (et quelques espèces sauvages apparentées), Bactrocera dorsalis, qui puise sa nourriture dans plusieurs dizaines d’espèces de plantes fruitières, et la mouche méditerranéenne des fruits, Ceratitis capitata, qui puise sa nourriture dans un nombre limité de cultures arboricoles.
Les téphritides ont pu étendre leur aire de répartition d’origine en colonisant à la fois des zones voisines et de nouvelles régions en raison de l’expansion de la culture de leurs hôtes, du commerce international et aussi à la faveur des changements climatiques qui leur ont permis de survivre et de se reproduire en hiver dans des habitats auparavant inadaptés aux diverses espèces de cette famille d’insectes. Bactrocera oleae est présent en Afrique, en Europe et en Asie et s’est propagé plus récemment en Californie et au Mexique (CABI, 2021c). Néanmoins, Godefroid et al. (2015) concluent que les espèces pourraient s’établir dans les régions tempérées du bassin méditerranéen, mais aussi sous les latitudes plus froides du nord de l’Europe, où l’olivier n’est pas encore cultivé.
Bactrocera dorsalis est un organisme nuisible qui suscite de vives inquiétudes dans toute l’Asie du Sud-Est, mais aussi plus à l’ouest jusqu’au Pakistan ainsi que vers le nord au Népal et dans le sud de la Chine. Il a été signalé dans d’autres régions, notamment dans la majeure partie de l’Afrique, dans l’est des États-Unis d’Amérique et dans plusieurs îles du Pacifique (OEPP, 2021c). Étant donné qu’il possède une large gamme d’hôtes, il est souvent intercepté sur les marchés internationaux. Dans la mesure où les aires de répartition de B. dorsalis se situent principalement dans les zones tropicales et subtropicales et que ses besoins sont considérés comme relativement complexes, le risque de pertes économiques directes liées à une incursion dans les régions tempérées est faible. Néanmoins, les changements climatiques induits par le réchauffement planétaire pourraient favoriser un accroissement rapide des populations de mouches pendant la saison douce, en leur permettant de passer l’hiver à l’abri dans des fruits stockés dans des entrepôts (OEPP, 2021c). C’est également le cas de C. capitata, présent en Europe centrale et méridionale, dans la plupart des pays d’Afrique et du Proche-Orient, en Amérique centrale et du Sud, ainsi que dans l’ouest de l’Australie, à la différence qu’il peut passer l’hiver dans des régions plus froides sous forme de larve, dans des fruits entreposés dans des locaux chauffés. Enfin, cet organisme nuisible peut se propager via le commerce international d’oranges, de mandarines et de citrons (Fedchock et al., 2006).
Le charançon rouge du palmier, Rhynchophorus ferrugineus, est l’un des insectes nuisibles aux palmiers les plus dommageables sur le plan économique. Originaire d’Asie du Sud-Est et de Mélanésie, ses larves se nourrissent dans le point de croissance apicale de l’arbre, ce qui endommage considérablement les tissus végétaux, affaiblit la structure de l’arbre et conduit, bien souvent, à la mort de ce dernier. Dans la région du Golfe du Proche-Orient, les pertes annuelles dues à la mort et à l’enlèvement des palmiers gravement infestés par le charançon rouge du palmier ont été estimées entre 5,2 millions et 25,9 millions d’USD, avec un niveau d’infestation correspondant de 1 et 5 pour cent (El-Sabea, Faleiro et Abo-El-Saad, 2009). Selon une autre estimation, les pertes annuelles dues au charançon rouge du palmier s’élèveraient à 15 millions d’USD (Al-Ayedh, 2017).
Le charançon rouge du palmier infeste diverses espèces de palmiers, notamment le cocotier et le palmier dattier (El-Mergawy et Al-Ajlan, 2011; FAO, 2020). Il a été détecté pour la première fois sur des palmiers dattiers au Proche-Orient au milieu des années 1980, et s’est ensuite répandu dans d’autres pays du Proche-Orient, ainsi qu’en Afrique et en Europe. En 2010, il a été détecté en Californie (États-Unis d’Amérique), où il a été déclaré éradiqué en 2015. Sa répartition mondiale a probablement été favorisée par le déplacement de rejets de palmiers en tant que matériel végétal. Les stratégies de lutte comprennent diverses mesures culturales et phytosanitaires, comme l’enlèvement des arbres infestés, la pulvérisation d’insecticides, l’introduction de nématodes entomopathogènes et l’utilisation de pièges à phéromones (FAO, 2020; Ge et al., 2015).
La répartition du charançon rouge du palmier pourrait s’étendre en raison des changements climatiques. D’après les prévisions de Ge et al. (2015), les changements climatiques pourraient accroître le nombre de zones hautement propices à la dissémination de cet organisme nuisible en Chine, ce qui aurait pour effet de favoriser l’expansion de cet insecte dans le nord du pays. Parmi les espèces de Rhynchophorus, le charançon rouge du palmier est le seul à avoir étendu de manière significative son aire de répartition à partir de son foyer d’origine en Asie du Sud et du Sud-Est (Wattanapongsiri, 1966). Il a été signalé dans 45 pays et, d’après une modélisation des niches écologiques, il pourrait étendre encore davantage son aire de répartition (Fiaboe et al., 2012). Le charançon rouge du palmier est toujours considéré comme la principale menace pour la culture du palmier au Proche-Orient et, malgré tous les moyens de lutte intégrée déployés, il continue à causer de lourdes pertes économiques.
La légionnaire d’automne (Spodoptera frugiperda) est un papillon qui appartient à la famille des Noctuidae (figures 7). Sa gamme d’hôtes comprend des centaines d’espèces végétales. Cet organisme nuisible cause de graves dommages aux graminées – en particulier au maïs et au sorgho, ses hôtes de prédilection – ainsi qu’à d’autres cultures, comme le riz, le coton et le soja, prisées par différentes souches de l’espèce. Elle est originaire des régions tropicales et subtropicales des Amériques et, pendant l’été, elle migre vers les régions tempérées du sud et du nord de l’Amérique. Cet organisme nuisible a été signalé pour la première fois en Afrique de l’Ouest en 2016 (Goergen et al. 2016), puis dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne et en Égypte en 2019. En 2018, la chenille légionnaire d’automne a été signalée en Inde et s’est rapidement répandue dans toute l’Asie du Sud et de l’Est, notamment en Chine, en République de Corée, au Japon et au Pakistan. Elle a également été signalée au Bangladesh, en Indonésie, au Myanmar, au Sri Lanka, en Thaïlande, aux Philippines, au Viet Nam et au Yémen (EPPO, 2020a). En 2020, elle a été détectée pour la première fois sur du maïs en Jordanie et aux Émirats arabes unis (Secrétariat de la CIPV, 2020a; 2020b) et en Israël (OEPP, 2020b). Elle s'est également répandue sur le continent australien (Secrétariat de la CIPV, 2021).
Adaptée aux climats chauds, la chenille légionnaire d’automne ne connait pas de phase de diapause, et sa répartition géographique dépend largement des conditions climatiques. Les adultes peuvent parcourir plusieurs kilomètres en une nuit et, lors des migrations saisonnières, ils peuvent atteindre le Canada depuis le sud des États-Unis d’Amérique. Ramirez-Cabral, Kumar et Shabani (2017) ont mis en évidence l’expansion de son aire de répartition dans des régions plus chaudes. Ce phénomène s’explique par plusieurs facteurs: sa capacité d’adaptation à différents environnements, sa grande capacité de dispersion, sa large gamme d’hôtes potentiels et l’intensité du commerce international de marchandises infestées par des larves ou des pupes de ce papillon. Ils anticipent également une réduction, voire une disparition partielle de l’espèce dans l’hémisphère Sud de l’Amérique en raison des conditions météorologiques plus chaudes et plus arides qui devraient prévaloir dans la partie nord du sous-continent au milieu ou à la fin du siècle. Dans l’Union européenne, certaines régions chaudes d’Espagne, d’Italie et de Grèce pourraient procurer des conditions climatiques propices à l’établissement de l’espèce, principalement à partir de populations établies en Afrique du Nord (Jeger et al., 2018).
On trouve le criquet pèlerin (Schistocerca gregaria) principalement en Afrique, dans la péninsule arabique et en Asie de l’Ouest, voire même dans certaines régions de l’Asie du Sud (FAO, 2021a). Il a aussi été signalé occasionnellement dans le sud-ouest de l’Europe. Le criquet pèlerin se déplace en essaim et se nourrit en dévastant certaines cultures de base, comme le maïs et le sorgho, mais aussi les pâturages et toute autre végétation verte qui se présente sur son passage, ce qui a de lourdes conséquences pour les petits exploitants agricoles et les éleveurs (Kimathi et al., 2020).
Il peut évoluer au fil des générations en fonction des conditions environnementales, passant d’une phase solitaire très féconde et non migratoire à une phase grégaire et migratoire durant laquelle il peut parcourir de longues distances, pour finalement envahir de nouvelles zones. De manière générale, le criquet pèlerin se reproduit largement dans les zones semi-arides, à savoir de l’Afrique de l’Ouest à l’Asie du Sud-Ouest en passant par le Proche-Orient, faisant ainsi peser une menace sur les moyens de subsistance des populations dans plus de 65 pays. Il existe également une sous-espèce beaucoup moins connue, S. gregaria flaviventris, présente dans une zone limitée en Afrique australe, et la possibilité pour cette sous-espèce de constituer une menace à l’avenir devrait être étudiée (Meynard et al., 2017).
Les vastes invasions de criquets pèlerins sont répertoriées depuis des siècles, et la FAO tient à jour une base de données statistique de suivi à long terme et à grande échelle concernant les zones touchées. Si l’on veut mettre en œuvre des mesures préventives rentables en temps utile avant que l’organisme nuisible n’inflige des dégâts importants, il est primordial de localiser ses gîtes larvaires potentiels (Kimathi et al., 2020). Depuis les années 1960, les infestations étaient moins fréquentes, mais en 2019-2020, une reproduction acridienne sans précédent a été observée en Érythrée, en Somalie et au Yémen, en raison de précipitations exceptionnellement abondantes dans la Corne de l’Afrique. La stratégie actuellement utilisée pour lutter contre les essaims de criquets pèlerins consiste à effectuer des pulvérisations aériennes de pesticides chimiques, qui ont un fort effet préjudiciable sur l’homme, le bétail, l’environnement et la biodiversité.
Le comportement, l’écologie et la physiologie du criquet pèlerin évoluent en fonction des conditions climatiques. Il est difficile d’isoler un aspect spécifique des changements climatiques pour expliquer ces évolutions. En revanche, différents aspects comme la hausse des températures et des précipitations dans les zones désertiques, ainsi que les vents violents associés aux cyclones tropicaux, créent un environnement favorable à la reproduction, au développement et à la migration des organismes nuisibles. On peut donc penser que le réchauffement climatique joue un rôle dans la mise en place des conditions nécessaires au développement, à la prolifération et à la survie du criquet pèlerin. Mais les effets des changements climatiques demeurent un phénomène complexe à élucider. Ainsi, la Commission de la FAO de lutte contre le criquet pèlerin en Asie du Sud-Ouest (FAO, 2021a) a souligné la nécessité d’instaurer une coopération internationale entre les pays concernés pour lutter contre la menace acridienne. Les itinéraires que le criquet pèlerin sera amené à emprunter dépendront de la direction et de la vitesse du vent, ainsi que d’autres paramètres météorologiques. Ainsi, les changements climatiques pourraient avoir un impact sur les futures routes de migration de cet organisme nuisible. Mais pour prédire le risque selon différents scénarios de changement climatique, il peut être nécessaire d’opérer une distinction entre les différentes sous-espèces, car chacune peut avoir ses propres besoins en matière de niche.
La rouille du caféier, causée par Hemileia vastatrix, est l’un des principaux facteurs de limitation de la production de café arabica dans le monde. Ces dernières années, plusieurs flambées précoces et très agressives de la maladie ont causé de graves pertes (jusqu’à 50 à 60 pour cent de pertes de rendement) dans certains pays d’Amérique latine, comme la Colombie et le Mexique.
Le climat semble jouer un rôle dans la prévalence de la maladie. L’un des facteurs qui a favorisé l’apparition des épidémies de rouille en Amérique centrale a été la diminution de l’amplitude thermique diurne, réduisant ainsi la période de latence de la maladie (Avelino et al., 2015). Cette réduction de la période de latence favorise l’augmentation rapide de la population de l’agent pathogène. De même, la période d’incubation de l’agent pathogène peut être réduite en raison du réchauffement climatique. L’analyse réalisée par Ghini et al. (2011) sur les futurs scénarios de changement climatique au Brésil ont fait apparaître une tendance à la réduction de la période d’incubation de H. vastatrix, ce qui signifie que davantage de générations de ce pathogène pourraient se développer au cours d’une même saison de végétation. Par conséquent, le risque d’épidémie de rouille du caféier pourrait augmenter à l’avenir, à moins que certains d’autres facteurs n’évoluent pour atténuer le risque de maladie, par exemple une diminution de la capacité de l’agent pathogène à infecter les plants de café. Des hivers plus doux peuvent avoir pour effet d’accroître la quantité d’inoculum, facilitant ainsi les infections par l’agent pathogène (Avelino et al., 2015), mais les températures froides ne constituent pas nécessairement un problème pour l’agent pathogène. Par exemple, en Afrique, le déplacement de la production de café vers des régions plus fraîches et plus élevées n’a pas limité l’apparition de la rouille du caféier, car la maladie était déjà répandue (Iscaro, 2014) et peut s’adapter à différents climats (Avelino et al., 2015). Ainsi, la rouille du caféier demeure l’un des principaux fléaux pour la production mondiale de café, et de nouvelles stratégies devront être élaborées afin de lutter contre cette maladie, en particulier si l’influence des changements climatiques sur la biologie de l’agent pathogène décrite dans les études susmentionnées devait se confirmer.
Fusarium oxysporum f. sp. cubense est un champignon qui vit dans le sol et qui provoque le flétrissement fusarien du bananier. Pour remédier aux dégâts causés par la race 1 de l’agent pathogène, il a été décidé de planter le cultivar résistant «Cavendish» (Ploetz, 2005; Stover, 1986). Mais une nouvelle souche de F. oxysporum, la race tropicale 4 (TR4), qui attaque les clones de «Cavendish» sous les tropiques, a été détectée en 1990 en Asie de l’Est, dans certaines régions d’Asie du Sud-Est et dans le nord de l’Australie (Ploetz, 2005; Ploetz et Pegg, 2000). Depuis 2010, cette race s’est propagée à plusieurs pays d’Asie du Sud et du Sud-Est (Inde, République démocratique populaire lao, Myanmar, Pakistan et Viet Nam), au Proche-Orient (Israël, Jordanie, Liban et Oman), en Afrique (Mozambique) (Dita et al., 2018) et en Amérique du Sud (Colombie) (García-Bastidas et al., 2019). Cette maladie constitue une grave menace pour les producteurs de bananes Cavendish du monde entier, indépendamment de la taille des exploitations (Mostert et al., 2017). La hausse des températures, par exemple lorsqu’elles passent de 24 à 34 °C, et les phénomènes environnementaux extrêmes, comme les cyclones et les tempêtes tropicales, peuvent accroître le risque de propagation de la maladie, notamment lorsque les bananiers Cavendish voient leur sol saturé d’eau (Pegg et al., 2019; Peng, Sivasithamparam et Turner, 1999). Étant donné qu’il n’existe à ce jour aucun cultivar de bananier résistant à la TR4 et que la lutte chimique contre l’agent pathogène s’avère inefficace, les mesures préventives demeurent la seule solution pour gérer le risque de fusariose du bananier. Parmi ces mesures figurent notamment l’utilisation de matériel végétal de banane Cavendish sain, la détection précoce des végétaux malades et la destruction de ces derniers dès l’apparition de symptômes de fusariose (Pegg et al., 2019).
Xylella fastidiosa – bactérie à Gram négatif limitée au xylème – provoque des maladies dans plusieurs cultures importantes sur le plan économique, comme la vigne, les agrumes, l’olive, l’amande, la pêche et le café, mais aussi dans les plantes ornementales et forestières (Janse et Obradovic, 2010; Wells et al., 1987). Elle a été signalée en Amérique du Nord et du Sud ainsi qu’en Asie dans les années 1980 (Cornara et al., 2019). En 2013, X. fastidiosa subsp. pauca a été signalée sur des oliviers dans le sud de l’Italie, causant de graves pertes et modifiant profondément le paysage typique de la région en détruisant des oliviers centenaires (Saponari et al., 2013). X. fastidiosa est transmise par de nombreuses espèces d’insectes sauteurs suceurs de sève, notamment les cercopes et les cicadelles, qui appartiennent principalement aux familles des Aphrophoridae et des Cicadellidae (Almeida et al., 2005; Cornara et al., 2019).
Les modélisations de répartition bioclimatique de l’espèce montrent que X. fastidiosa peut potentiellement se répandre au-delà de ses aires de répartition actuelles et atteindre d’autres zones en Italie et dans d’autres pays d’Europe (Bosso et al. 2016; Godefroid et al., 2018). Cette bactérie comporte différentes sous-espèces identifiées, essentiellement fastidiosa, multiplex et pauca. D’après les prévisions issues des modélisations, la sous-espèce multiplex et, dans une certaine mesure, la sous-espèce fastidiosa, constituent une menace pour la majeure partie de l’Europe, tandis que les zones climatiquement adaptées à la sous-espèce pauca sont essentiellement limitées aux pays méditerranéens (Godefroid et al., 2019). Grâce à un modèle prédictif de classement des risques, Frem et al. (2020) ont récemment mis en évidence que le bassin méditerranéen, en particulier le Liban, présente le risque le plus élevé d’établissement et de dissémination de X. fastidiosa. Bien que de nombreux pays méditerranéens soient actuellement exempts de X. fastidiosa, ils seront exposés dans un avenir proche à un risque élevé d’introduction et d’établissement de la bactérie.
La Turquie est le pays présentant le risque le plus élevé, suivi de la Grèce, du Maroc et de la Tunisie, tous trois classés dans la catégorie des pays à haut risque. Seuls trois pays de la région (Bahreïn, Libye et Yémen) entrent dans le groupe des pays présentant le niveau de risque le plus faible en termes de possible introduction, établissement et dissémination de la bactérie. Mais le risque n’est pas limité à la région méditerranéenne. L’observation de symptômes et des analyses de laboratoire ont montré que X. fastidiosa est associée à la brûlure foliaire des amandiers et à la maladie de Pierce sur des vignes dans plusieurs provinces de la République islamique d’Iran (Amanifar et al., 2014), ce qui laisse penser que la bactérie va commencer à se disséminer dans les pays voisins du Proche-Orient.
D’après les prévisions de Bosso et al. (2016), les changements climatiques n’aggraveront pas à l’avenir le risque lié à X. fastidiosa dans la majeure partie de la région méditerranéenne, mais il convient néanmoins de ne pas perdre de vue la relation «plante hôte-vecteur-bactérie» dans son ensemble lors de la prédiction des risques. Toutefois, il est probable que la performance du vecteur diminue sous l’effet de températures trop élevées et d’un taux d’humidité insuffisant, comme l’ont récemment montré les simulations réalisées par Godefroid et al. (2020).
La lutte contre X. fastidiosa nécessitera l’élaboration de stratégies efficaces de lutte intégrée contre les organismes nuisibles, notamment l’amélioration de la détection de l’agent pathogène et des insectes vecteurs, des pratiques agricoles et, enfin et surtout, des traitements de quarantaine pour maîtriser la dissémination de l’agent pathogène.
Le déplacement potentiel des oomycètes vers les pôles en raison des changements climatiques risque de poser un problème phytosanitaire, notamment dans l’hémisphère nord (Bebber, Ramotowski et Gurr, 2013). Phytophthora infestans, l’oomycète à l’origine du mildiou de la pomme de terre et de la tomate, dispose d’une grande capacité d’adaptation, ce qui constitue un facteur important dans le risque d’apparition de graves épidémies à l’avenir. En effet, plusieurs études laissent entrevoir un risque croissant d’incidence de P. infestans dans plusieurs pays (Hannukkala et al., 2007; Perez et al., 2010; Skelsey et al., 2016; Sparks et al., 2014), ce qui exige la mise au point de nouvelles stratégies pour lutter contre la maladie et réduire son impact sur la sécurité alimentaire, par exemple le report du début de la saison de culture de la pomme de terre (Skelsey et al., 2016; Wu et al., 2020).
Des études menées en Égypte sur les effets des changements climatiques sur le mildiou de la tomate et de la pomme de terre ont mis en évidence les répercussions du réchauffement du climat hivernal sur l’incidence de ces deux maladies et les mesures de lutte correspondantes (Fahim, Hassanein et Mostafa, 2003; Fahim et al., 2011). D’après ces études, la survenue d’une épidémie de mildiou de la tomate une à deux semaines plus tôt nécessiterait deux à trois pulvérisations supplémentaires pour pouvoir lutter efficacement contre la maladie. Jusqu’à trois pulvérisations supplémentaires de fongicides seraient donc nécessaires à chaque saison de culture en Égypte au cours des prochaines décennies (2025-2100). En ce qui concerne le mildiou de la pomme de terre, causé par le même agent pathogène, la comparaison des conditions météorologiques et de l’apparition de la maladie au cours de saisons de culture épidémiques et non épidémiques a montré que les saisons hivernales humides et chaudes favorisent les épidémies de mildiou de la pomme de terre en Égypte. Les conditions météorologiques favorables de l’hiver permettent une accumulation de l’inoculum pathogène sur les cultivars précoces au début de la saison de végétation, ce qui favorise l’apparition du mildiou dans les cultures de pommes de terre plantées ultérieurement. On peut donc s’attendre à ce que les changements climatiques favorisent les épidémies de mildiou à l’avenir. Néanmoins, davantage d’évaluations des effets des changements climatiques sur les maladies des cultures en Égypte et dans d’autres pays du Proche-Orient doivent être réalisées (Fahim et al., 2011).
Le mildiou de la vigne, causé par l’oomycète Plasmopara viticola, est une autre maladie grave qui entraîne des pertes de production considérables, allant de 5 à 30-40 pour cent dans la plupart des régions viticoles. En outre, le mildiou altère la qualité du vin elle-même. Comme beaucoup de ces régions jouissent d’un climat tempéré avec des températures peu propices à l’établissement de l’agent pathogène, une hausse de la température de l’air risque de favoriser l’apparition de la maladie. Les études qui se sont appuyées sur des scénarios de changement climatique prévoient donc des épidémies plus précoces qui nécessiteront davantage de traitements pour les éradiquer (Angelotti et al., 2017; Salinari et al., 2006, 2007). Des études à court terme menées dans des phytotrons ont également confirmé une sévérité accrue du mildiou de la vigne dans des conditions simulées de changement climatique (Pugliese, Gullino et Garibaldi, 2010).
De manière générale, les changements climatiques devraient entraîner une recrudescence de mycotoxines dans les cultures, mais la complexité de la flore fongique propre à chaque culture et son interaction avec l’environnement font qu’il est difficile de formuler des conclusions sans mener des études spécifiques. De nombreux résultats d’études sont néanmoins disponibles. Par exemple, les travaux réalisés par Battilani et al. (2016) indiquent que le réchauffement climatique pourrait repousser la limite nord du risque lié à la présence d’aflatoxines dans les cultures de maïs en Europe, et Van der Fels-Klerx, Liu et Battilani (2016) ont réalisé des évaluations quantitatives des effets des changements climatiques sur la présence des mycotoxines. Medina et al. (2017) ont examiné les effets des changements climatiques sur les champignons mycotoxinogènes, en étudiant l’impact des interactions tripartites entre une concentration élevée de le CO2 (350-400 contre 650-1200 ppm), la hausse des températures (+2 à 5 °C) et le stress causé par la sécheresse sur la croissance et la production de mycotoxines par les principaux champignons responsables de la détérioration des céréales et des fruits à coque, notamment les espèces Alternaria, Aspergillus, Fusarium et Penicillium. Il ressort des simulations de changement climatique que les scénarios envisagés n’ont aucune incidence sur la croissance d’Aspergillus flavus, responsable de la production de l’aflatoxine B1. Néanmoins, une stimulation significative de la production d’aflatoxine B1 a été constatée dans des cultures in vitro et in vivo de maïs. En revanche, le comportement d’autres espèces d’Aspergillus, responsables de la contamination d’une série de marchandises par l’ochratoxine A, et de Fusarium verticillioides, qui produit des fumonisines, laisse penser que certaines espèces sont plus résistantes que d’autres aux changements climatiques, notamment en ce qui concerne la production de mycotoxines.
Outre leurs effets sur ces champignons fréquents, les changements climatiques pourraient également avoir une incidence sur la production de mycotoxines par de nouveaux agents pathogènes, comme le montrent l’augmentation des espèces Alternaria et Myrothecium observée dans les expériences effectuées par Siciliano et al. (2017a, 2017b). Par ailleurs, l’acclimatation des champignons pathogènes mycotoxinogènes aux facteurs climatiques peut entraîner une recrudescence des maladies et éventuellement une contamination des céréales de base et d’autres cultures par les mycotoxines. Par conséquent, la gestion des risques liés aux mycotoxines demeurera un enjeu majeur à l’avenir (Juroszek et von Tiedemann, 2013b), car les changements climatiques pourraient aggraver la situation (Miedaner et Juroszek, 2021b).
Le nématode des racines, Pratylenchus coffeae, est largement répandu dans les vergers d’agrumes à travers le monde. Il infeste principalement les agrumes via les racines nourricières, avec la pénétration des stades mobiles de l’organisme nuisible dans le tissu cortical. De son côté, le tissu vasculaire demeure intact jusqu’à ce qu’il soit finalement envahi par d’autres organismes lors d’une infection secondaire (Duncan, 2009). On sait que le nématode réduit de moitié le poids des racines des agrumes, et des inoculations expérimentales pratiquées sur de jeunes arbres ont révélé des réductions de croissance allant de 49 à 80 pour cent, divisant par trois jusqu’à vingt le nombre de fruits obtenus (O’Bannon et Tomerlin, 1973). Des études récentes sur les changements climatiques en cours en Égypte indiquent que la hausse des températures peut aggraver les dommages causés par le nématode des racines au système radiculaire des agrumes, car le taux de reproduction du nématode atteint son niveau maximal lorsque les températures du sol sont relativement élevées (26-30 °C) (Abd-Elgawad, 2020). À ces températures, le cycle de vie s’achève en moins d’un mois et l’agent pathogène peut atteindre des niveaux de densité aussi élevés que 10 000 nématodes/g de racine. Le nématode peut également survivre dans les racines pendant au moins quatre mois. Malheureusement, les porte-greffes commerciaux résistants à ce nématode ne sont pas encore disponibles (Abd-Elgawad, 2020).
Aux États-Unis d’Amérique et au Canada, le nématode du soja (Heterodera glycines) est l’agent pathogène le plus dommageable sur le plan économique pour la culture du soja (Glycine max) (Tylka et Marett, 2014). Il entraîne également des pertes de rendement considérables dans de nombreux autres grands pays producteurs de soja, comme l’Argentine, le Brésil et la Chine. Le nématode du soja peut donc potentiellement causer de graves pertes de rendement dans le monde entier.
Le réchauffement climatique risque de favoriser l’expansion de l’aire de répartition du nématode vers le nord (hémisphère nord) et vers le sud (hémisphère sud), et d’augmenter le nombre de générations de nématodes par saison de végétation du soja (St-Marseille et al., 2019) jusqu’à ce que des températures supra-optimales pour le nématode soient atteintes.
Les stratégies les plus efficaces pour lutter contre cet organisme nuisible sont l’utilisation de cultivars résistants (Shaibu et al., 2020) et la rotation des cultures (Niblack, 2005). Selon Niblack (2005), la rotation des cultures comprend au moins trois aspects: dans l’idéal, la culture du soja n’est pratiquée qu’une fois tous les cinq ans dans un même champ (bien que le bénéfice de la rotation puisse être réduit en cas de présence d’adventices pouvant servir d’hôtes de rechange à l’organisme nuisible); l’utilisation de plantes cultivées non hôtes, notamment des cultures de couverture ou des cultures dérobées lors de rotations longues; et la plantation de différents cultivars de soja résistants ou tolérants dans un même champ en alternant les années, afin de réduire au minimum le potentiel d’adaptation des populations de nématodes.
D’après Jones et al. (2013), le nématode du pin, B. xylophilus, est originaire d’Amérique du Nord, où il infeste les pins (espèce Pinus) sans les endommager sérieusement. Mais en dehors de son environnement d’origine, notamment en Asie (Chine, République de Corée, Japon et autres) et en Europe (quelques occurrences au Portugal et en Espagne), cet organisme nuisible cause de graves dommages et tue des millions de pins. Le nématode est véhiculé par le stade adulte des coléoptères Monochamus, qui volent entre les pins et peuvent parcourir de longues distances. D’après les projections, le réchauffement climatique favorisera de plus en plus le développement de la maladie du dépérissement du pin, car la hausse des températures facilitera la prolifération des coléoptères Monochamus et de nombreux autres insectes forestiers (Seidl et al., 2017), en particulier dans les régions tempérées (Ikegami et Jenkins, 2018). Plusieurs évaluations des risques indiquent que la hausse des températures dans les régions tempérées va accroître la mortalité des conifères. Dans la région méditerranéenne, qui est la zone la plus menacée d’Europe, une mortalité élevée des conifères aurait de graves conséquences environnementales.
L’aire de répartition de l’adventice envahissante Buddleja davidii en Europe, en Amérique du Nord et en Nouvelle-Zélande devrait s’étendre d’ici la fin du XXIe siècle, car ses limitations de croissance dues au froid sont réduites (Kriticos et al., 2011). En revanche, son aire de répartition en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud et en Australie devrait se réduire en raison de l’augmentation du stress dû à la chaleur. Dans l’ensemble, la superficie des terres présentant des conditions de croissance appropriées pour les adventices devrait diminuer de 11 pour cent en moyenne (8, 10 ou 16 pour cent, selon le scénario de changement climatique utilisé). L’une des stratégies d’adaptation possibles consiste à identifier les zones où le risque d’invasion augmente ou diminue, de manière à mobiliser judicieusement les moyens de lutte en vue de réduire la dissémination de l’adventice (Kriticos et al., 2011).
Les conditions climatiques actuelles offrent à la graminée adventice Nassella trichotoma un potentiel de dissémination considérable. À l’avenir, ces possibilités de dissémination dans de nouvelles zones adaptées perdureront, même si l’on prévoit d’ici la fin du XXIe siècle une réduction de 20 à 27 pour cent de leur superficie totale (selon le scénario de changement climatique retenu), essentiellement en raison de la hausse prévue du stress dû à la chaleur (Watt et al., 2011). Les stratégies de lutte possibles comprennent notamment l’identification des zones à fort risque d’invasion, l’application de mesures visant à réduire la dispersion anthropique des semences et l’application de mesures de désherbage visant à réduire la dispersion des semences par le vent (Watt et al., 2011).