La dissémination des organismes nuisibles résulte de processus aussi bien naturels qu’anthropiques. Ce phénomène s’est considérablement amplifié au cours des dernières décennies avec la mondialisation des marchés des végétaux et produits végétaux, notamment les denrées alimentaires, le matériel végétal et le bois. Les voyages internationaux et le commerce des produits agricoles ont déplacé les cultures, les adventices, les agents pathogènes et les insectes nuisibles depuis leur environnement d’origine vers de nouvelles zones. Les cultures nouvellement introduites peuvent élargir la répartition des organismes nuisibles, et l’introduction d’organismes nuisibles dans un écosystème où ils étaient complètement absents auparavant peut causer des dommages extrêmement graves, car les organismes nuisibles et leurs hôtes peuvent ne pas avoir évolué ensemble. Ce phénomène de coévolution a été particulièrement observé chez les végétaux et leurs organismes nuisibles (Woolhouse et al., 2002) et permet de créer un équilibre entre les hôtes et les organismes nuisibles au sein de leurs écosystèmes endémiques. Par exemple, le nématode du pin (voir l’étude de cas plus bas), qui a coévolué avec l’espèce végétale hôte dans sa zone d’origine, l’Amérique du Nord, ne cause pas de graves dommages dans la zone en question. En revanche, lorsqu’il a été introduit en Asie, le nématode du pin a tué plusieurs millions d’arbres de diverses espèces de Pinus.
D’après Anderson et al. (2004), la moitié des nouvelles phytopathologies sont disséminées par les voyages et les échanges internationaux, tandis que la dissémination naturelle, favorisée par les phénomènes météorologiques, constitue le deuxième facteur le plus important. En outre, il est probable que les conditions climatiques ou météorologiques aient une incidence sur l’établissement des organismes nuisibles. Par exemple, le réchauffement climatique peut faciliter l’établissement de certains organismes nuisibles qui, en temps normal, ne pourraient s’établir dans une zone donnée (pendant un hiver exceptionnellement doux dans des régions tempérées, par exemple). En fait, la mondialisation accrue des marchés ces dernières années, associée à la hausse des températures, a créé une situation particulièrement propice à la circulation et à l’établissement des organismes nuisibles, avec une augmentation concomitante du risque de graves pertes de rendement des cultures (Deutsch et al., 2018; Savary et al., 2019). Par conséquent, lorsqu’on étudie les effets potentiels des changements climatiques sur la santé des végétaux, et donc sur leur répartition, il importe d’identifier non seulement les facteurs qui permettent aux organismes nuisibles de se développer, mais aussi les filières qui leur permettent de se déplacer d’un endroit à l’autre.
Il convient également de cerner les caractéristiques des filières afin de définir les mesures à mettre en œuvre pour atténuer l’évolution du risque phytosanitaire induit par les changements climatiques et s’y adapter. Des efforts considérables ont été déployés aux niveaux national et international en vue de réduire le risque de déplacement des organismes nuisibles à l’échelle internationale (Meurisse et al., 2019), notamment avec la publication et la mise en œuvre des normes internationales pour les mesures phytosanitaires (NIMP), élaborées sous les auspices de la Commission des mesures phytosanitaires et du Secrétariat de la CIPV. Ces normes fournissent notamment des directives sur la manière de mener une analyse du risque phytosanitaire (ARP) en vue d’évaluer le risque d’introduction (entrée et établissement) et de dissémination d’organismes nuisibles et de déterminer les mesures à mettre en œuvre pour éviter une telle situation (NIMP n° 2, 2019; NIMP n° 11, 2019; NIMP n° 21, 2019). Ces mesures phytosanitaires sont généralement appliquées en fonction des risques propres à la filière. La NIMP n° 11 (2019) précise que les informations à l’appui de l’analyse du risque phytosanitaire doivent être réexaminées périodiquement. Ce réexamen comprend vraisemblablement une réévaluation des risques liés aux filières, ou du moins de ceux fortement liés à l’évolution des conditions climatiques, comme la survenue de phénomènes météorologiques extrêmes susceptibles de déplacer des organismes de quarantaine sur de longues distances.
On trouvera ci-après une présentation des principaux types de filières.
Le bois, y compris celui utilisé pour l’emballage, a toujours été un vecteur important de dissémination des organismes nuisibles aux végétaux. Parmi illustrer l’importance de cette filière, on peut citer par exemple le déplacement d’espèces d’insectes envahissants comme le longicorne asiatique Anoplophora glabripennis (Coleoptera: Cerambycidae) via les emballages utilisés dans le commerce international (OEPP, 2020a, 2021a). Cette espèce est polyphage (c’est-à-dire qu’elle se nourrit d’un large éventail d’aliments) et puise donc sa nourriture dans plusieurs espèces arboricoles comme l’érable (Acer), le peuplier et le tremble (Populus), le saule (Salix) et l’orme (Ulmus), aussi bien en forêt qu’en milieu urbain. Originaire de Chine et de la République de Corée, le longicorne asiatique a été introduit aux États-Unis d’Amérique et au Canada via des emballages en bois infestés, et il a également été détecté dans plusieurs pays européens. Des programmes d’éradication basés sur la détection, l’enlèvement et la destruction des arbres infestés sont actuellement menés dans ces pays. L’inspection et le traitement minutieux des matériaux d’emballage en bois massif, comme les palettes et le bois de calage, constituent une exigence internationale visant à empêcher de nouvelles introductions. Les modélisations réalisées en vue d’anticiper la répartition géographique du coléoptère montrent que les changements climatiques pourraient modifier sa répartition et son impact (Hu et al., 2009).
Les emballages en bois ont également été identifiés comme étant une probable filière pour de nombreuses espèces de scolytes, comme Ips grandicollis (Coleoptera: Curculionidae), et d’autres ravageurs forestiers extrêmement nuisibles, comme l’agrile du frêne, Agrilus planipennis (Coleoptera: Buprestidae) et la guêpe perce-bois, Sirex noctilio (Hymenoptera: Siricidae) (Meurisse et al., 2019). Le déplacement du nématode du pin, B. xylophilus (voir l’étude de cas plus bas), ou de son insecte vecteur, via les matériaux d’emballage en bois non traités a également été observé (Sousa et al., 2011).
La mondialisation des marchés des semences et du matériel végétal est l’une des principales causes de la propagation récente et rapide des agents pathogènes nuisibles aux végétaux à de nouveaux hôtes. En outre, certains des agents pathogènes et des insectes nuisibles nouvellement introduits, typiques des régions chaudes, se propagent facilement dans les régions tempérées, en raison de la hausse des températures. Les semences sont généralement des vecteurs d’organismes nuisibles. Les végétaux arrivés à maturité sont également d’importants vecteurs d’insectes vivants, notamment les mites, les pucerons, les chenilles, les mineuses des feuilles et les thrips. C’est pourquoi l’Australie a par exemple réalisé une ARP sur des fleurs coupées en répertoriant les principaux insectes qui leur sont associés.
Lorsque l’on observe la dissémination récente de nouveaux agents pathogènes dans différents pays, en particulier dans le secteur maraîcher, il apparaît clairement que leur diffusion est favorisée par la mondialisation des marchés, puisque les semences sont des vecteurs des agents pathogènes. De plus, les effets du réchauffement climatique sur les végétaux et leurs hôtes contribuent également à cette dissémination. C’est le cas, par exemple, d’Alternaria spp., de Fusarium equiseti et de Myrothecium spp., récemment observés sur des laitues, de la roquette sauvage et cultivée, de la mâche, du basilic et des épinards (Gilardi, Garibaldi et Gullino, 2018). Les virus de la tomate (comme le virus du fruit rugueux brun de la tomate) et les viroïdes (comme la viroïde des tubercules fusiformes de la pomme de terre) figurent parmi les agents pathogènes les plus fréquemment observés ces derniers temps. Le virus du fruit rugueux brun de la tomate est apparu au cours des dernières années et s’est facilement propagé en raison du déplacement des semences. De nombreux agents pathogènes responsables d’importantes pertes de légumes feuilles, comme ceux mentionnés plus haut, peuvent être véhiculés par les semences et donc passer inaperçus. Ainsi, même de faibles niveaux d’infection des semences peuvent provoquer l’apparition rapide de nouvelles maladies dans des zones géographiques éloignées (Gitaitis et Walcott, 2007; Gullino, Gilardi et Garibaldi, 2014a, 2019; Munkvold, 2009). Malheureusement, comme le montrent de nombreuses introductions récentes, ce phénomène est très répandu, malgré l’existence de normes internationales et de celles appliquées par les professionnels du secteur pour réduire ce risque.
De par son caractère international, le secteur des plantes ornementales pâtit largement de l’introduction d’organismes nuisibles par le biais de matériaux infectés (Daughtrey et Buitenhuis, 2020). Qu’elles soient issues de semences, de boutures ou de sections de tiges, les plantes ornementales peuvent facilement abriter des organismes nuisibles. Seules les plantes micropropagées par culture tissulaire (généralement des plantes à feuilles) présentent un très faible risque d’infection par des agents pathogènes, pour autant qu’elles soient maintenues propres afin d’éviter toute réinfection (Chen et Henny, 2006). Plusieurs des insectes et mites nuisibles qui endommagent le plus les cultures sous serre sont issus de l’importation de matériel végétal infesté et ont pu s’établir rapidement en raison des conditions environnementales particulières des serres (Albajes et al., 1999; Wang et al., 2015). Les caféiers ornementaux importés du Costa Rica et infectés par Xylella fastidiosa subsp. sont considérés comme étant le possible vecteur de cet agent pathogène destructeur en Europe (Bergsma-Viami et al., 2015).
La terre et le terreau, souvent importés, peuvent abriter des agents pathogènes (Fusarium spp. ou des nématodes, par exemple), des larves d’insectes nuisibles et des semences d’adventices. Ce phénomène a été bien documenté en ce qui concerne la tourbe et d’autres milieux de culture utilisés dans le secteur des plantes ornementales et dans les pépinières. La contamination des substrats de culture par des agents pathogènes terricoles (par exemple, Fusarium oxysporum, Pythium spp. et Rhizoctonia solani) empêche une désinfestation complète et provoque des attaques précoces sur les jeunes plantes (Garibaldi et Gullino, 1995).
Outre le risque phytosanitaire posé par le déplacement des semences, du matériel végétal, de la terre et des milieux de culture décrit ci-dessus, un nouveau type de menace est apparu ces dernières années avec l’augmentation du commerce électronique qui facilite la diffusion du matériel végétal à travers le monde. Le matériel végétal commercialisé est souvent de mauvaise qualité et ne fait généralement pas l’objet de contrôles phytosanitaires, ce qui constitue un nouveau type de menace. Cette question n’est pas prise en compte pour le moment, mais elle devra l’être à l’avenir.
Les tracteurs, les voitures, les camions, les trains, les navires, les avions, les conteneurs, le matériel agricole d’occasion, entre autres, sont autant de vecteurs courants de déplacement involontaire des organismes nuisibles. En effet, les phytopathologistes, les entomologistes et les malherbologistes considèrent souvent que la rapidité de dissémination des organismes nuisibles est directement liée à la rapidité des moyens de transport.
Les organismes vivants peuvent également propager des organismes nuisibles comme les semences d’adventices présentes sur la peau ou la fourrure des animaux. Par exemple, le déplacement de troupeaux par les communautés pastorales vers de nouveaux territoires à la recherche de pâturages a disséminé des semences de la plante exotique envahissante Parthenium hysterophorus en Afrique orientale et australe (McConnachie et al., 2011).
Le réseau mondial de transport maritime est largement reconnu comme étant une filière de propagation pour les espèces envahissantes. On sait par exemple qu’une espèce d’insecte, la spongieuse asiatique, Lymantria dispar, s’est répandue dans le monde via le transport maritime, notamment par le biais des navires et des conteneurs d’expédition. Cette espèce peut être introduite dans une nouvelle zone lorsque le port présente un climat propice à la survie et à l’établissement de l’espèce. Deux sous-espèces, d’origines géographiques différentes, sont aujourd’hui connues, et la menace d’expansion de la répartition mondiale de la sous-espèce asiatique a été estimée à l’aide d’un modèle CLIMEX (Paini et al., 2018).
La punaise marbrée Halyomorpha halys (Hemiptera: Pentatomidae) est un autre exemple d’insecte envahissant qui se déplace essentiellement par le biais du commerce international en étant convoyée par des marchandises non réglementées comme les machines, les conteneurs et les véhicules, mais aussi par les voyageurs et, dans une moindre mesure, par le déplacement de matériel végétal. La punaise marbrée est extrêmement polyphage et se nourrit de plus de 300 espèces de plantes-hôtes, parmi lesquelles des cultures vivrières, des arbres forestiers et des plantes ornementales. Depuis son introduction, très vraisemblablement depuis l’Amérique du Nord, cet organisme nuisible a entraîné de lourdes pertes économiques dans des cultures de noisetiers en Géorgie et dans des cultures fruitières en Italie. Burne (2019) présente dans ses travaux un rapport détaillé portant sur une évaluation du risque phytosanitaire posé par l’introduction et l’établissement de H. halys.
Que ce soit dans le cadre du tourisme ou des voyages d’affaires, les personnes sont des vecteurs importants d’organismes nuisibles, surtout en l’absence de contrôles stricts aux points d’entrée. Les touristes, notamment, ramènent souvent avec eux de la nourriture, des semences ou des plantes exotiques, qui peuvent être infestées par des organismes nuisibles ou constituer elles-mêmes des organismes nuisibles. Pour lutter contre ce phénomène, de plus en plus de pays affichent des messages de sensibilisation aux points d’entrée (aéroports et ports), afin d’expliquer aux voyageurs la menace que représente la circulation des végétaux et des parties de végétaux pour la biosécurité. De nombreux pays inspectent les bagages et les envois postaux à la recherche d’aliments et d’autres matériels présentant un risque pour la biosécurité, et incitent les passagers à l’arrivée à déclarer les articles susceptibles de poser un risque pour la biosécurité. Ils contrôlent les passagers et leurs bagages en utilisant des scanners à rayons X, des chiens renifleurs ou encore en effectuant des contrôles manuels. Les passagers qui transportent du matériel à risque sont passibles d’une amende et peuvent même se voir refuser l’entrée sur le territoire. À cet égard, des pays comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis d’Amérique (McCullough et al., 2006) appliquent depuis longtemps des contrôles stricts et ont pour habitude de recueillir et de consigner les données relatives aux interceptions.
On a pu observer que plusieurs organismes nuisibles endémiques et non endémiques ont considérablement étendu leur aire de répartition de manière naturelle (c’est-à-dire sans intervention humaine). Ces déplacements sont souvent dus à de profonds changements en lien avec le climat ou la répartition des hôtes. Parmi les différents aspects liés aux changements climatiques, la hausse des températures a particulièrement favorisé l’expansion des aires de répartition des organismes nuisibles, notamment sous les latitudes élevées et en altitude. En Europe, par exemple, la hausse des températures hivernales a facilité la survie des larves et la dispersion nocturne de la population adulte de la processionnaire du pin, Thaumetopoea pityocampa, favorisant ainsi l’expansion de son aire de répartition vers le nord du continent (Battisti et al., 2006). En outre, le vent et les tempêtes peuvent transporter des spores d’agents pathogènes sur de longues distances, voire même d’un continent à l’autre. Par exemple, on prévoit que l’évolution de la configuration des vents ou des tempêtes contribuera à élargir l’aire de répartition de la rouille noire du blé, causée par Puccinia graminis (Prank et al., 2019). De même, la rouille du goyavier (Austropuccinia psidii), détectée pour la première fois en Australie en 2010 sur la côte centrale de la Nouvelle-Galles du Sud, étend sa répartition et est désormais présente dans plusieurs écosystèmes forestiers naturels, provoquant divers dégâts comme des taches foliaires mineures, de graves brûlures des pousses et des tiges, voire le dépérissement des arbres (Pegg et al., 2017). La répartition de plusieurs organismes nuisibles, par exemple les mouches des fruits, peut évoluer sous l’effet des ouragans dans les Caraïbes, en Amérique centrale et dans le sud des États-Unis d’Amérique. Par exemple, en suivant le parcours de l’ouragan Carla, Flitters (1963) a observé une recrudescence anormalement élevée de plusieurs espèces d’insectes au Texas, laissant penser qu’elles auraient été déplacées par l’ouragan depuis des zones éloignées.