Le financement en faveur de l’action climatique demande une architecture complexe pour que les flux financiers soient redirigés vers des activités d’atténuation des effets du changement climatique et d’adaptation à celui-ci, notamment par l’intermédiaire de mécanismes axés sur les résultats tels que les marchés du carbone et REDD+. La Conférence des Parties à la Convention-cadre des nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a encore souligné, à sa vingt-sixième session (COP 26), l’importance du changement climatique parmi les priorités mondiales. Lors de cette session, les pays et le secteur privé se sont engagés à verser près de 20 milliards d’USD et ont convenu de nouvelles règles pour régir les marchés du carbone, qui devraient connaître une forte croissance à l’avenir et sont dotés d’un potentiel considérable d’appui aux solutions forestières (voir l'encadré 24).
Encadré 24Le rôle fondamental des forêts reconnu lors de l’édition 2021 de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
Le Pacte de Glasgow pour le climat, issu des négociations de la vingt-sixième Conférence des Parties (COP 26) à la CCNUCC, tenue à Glasgow (Écosse), fin 2021, appelle à doubler, d’ici à 2025, les financements en faveur de l’adaptation au changement climatique et, pour les Parties appartenant à la catégorie des pays développés, à mobiliser à cette fin un montant annuel de 100 milliards d’USD à la même échéance.
Dans le contexte des négociations portant sur l’article 6 de l’Accord de Paris, relatif aux marchés du carbone, les pays se sont accordés sur des règles qui visent à renforcer l’intégrité de ces marchés (alinéas 6.2, 6.4 et 6.8) ainsi que sur la création d’un nouveau mécanisme de compensation des émissions de carbone au niveau mondial (incluant le secteur forestier). Des progrès ont été faits sur plusieurs aspects lors de la COP 26, notamment pour que 5 pour cent du montant des compensations puissent être réaffectés au Fonds pour l’adaptation, à destination des pays en développement.
Dans la Déclaration des dirigeants réunis à Glasgow sur les forêts et l’utilisation des terres, dans le cadre de la COP 26, les dirigeants de plus de 140 pays (représentant plus de 90 pour cent des forêts mondiales) se sont engagés à œuvrer ensemble à stopper et à inverser les phénomènes de recul de la forêt et de dégradation des terres d’ici à 2030. Il s’agit d’un engagement à hauteur de 12 milliards d’USD de fonds publics (le Global Forest Finance Pledge) et de 7,2 milliards d’USD de fonds privés. Plus de 30 institutions financières (dotées de plus de 8 700 milliards d’USD d’actifs à l’échelle mondiale) se sont engagées à cesser les investissements dans des activités de production agricole entraînant une déforestation.
La vente de crédits carbone compensatoires permet d’améliorer l’attractivité financière des trois solutions forestières. Les marchés du carbone devraient poursuivre leur essor
De nombreux projets du secteur forestier améliorent leur attractivité financière et justifient les investissements plus importants qu’ils exigent par la vente de crédits carbone compensatoires. Ces crédits peuvent être obtenus au moyen de diverses activités liées aux forêts: plantation d’arbres, gestion améliorée des forêts couplée à une exploitation à impact limité, déforestation évitée, etc. Les crédits carbone compensatoires sont enregistrés après vérification de certains critères par un tiers (additionnalité, valeurs de référence, suivi des émissions, transferts d’émissions et permanence). L’impact sur le terrain de ces activités varie fortement en fonction du type de projet. Les crédits carbone, qui constituent une source de financement pour des projets qui ne pourraient pas être mis en œuvre autrement, sont susceptibles de générer de multiples avantages. Divers fonds sont mis en place pour tirer parti de cette possibilité de financement (voir l'encadré 25).
Encadré 25Des fonds pour la séquestration de carbone dans le secteur des forêts
L’objectif du Restore Fund (fonds pour la restauration) est d’investir dans des projets forestiers permettant d’éliminer le carbone de l’atmosphère tout en générant des bénéfices financiers pour les investisseurs. Lancé début 2021 par Apple, en partenariat avec Conservation International et Goldman Sachs, ce fonds de 200 millions d’USD a pour ambition de séquestrer au moins 1 million de tonnes d’équivalent en dioxyde de carbone par an. En 2020, l’Organisation de l’aviation civile internationale a inscrit le secteur forestier parmi les solutions de compensation possibles pour les compagnies aériennes396. En 2021, un consortium public-privé a lancé un appel à proposition en vue d’acquérir jusqu’à 1 milliard d’USD de crédits carbone pour des activités dans le secteur forestier397.
La demande de crédits carbone émane de divers marchés du carbone, que l’on regroupe schématiquement en marchés volontaires (souvent liés aux objectifs de compensation volontaire des entreprises) et marchés obligatoires (résultant des réglementations qui obligent les entreprises à réduire leurs émissions).
Au niveau mondial, les marchés volontaires des droits d’émission de carbone ont produit près de 400 millions d’USD sur la période 2017-2019, par l’intermédiaire de 105 millions (Mt éqCO2) de crédits carbone forestiers398. Ce marché poursuit son expansion, le montant des transactions (à la date d’août 2021) dépassant 0,5 milliard d’USD (voir le tableau 6). Les marchés obligatoires, bien que de taille encore réduite, dépassent largement la valeur des marchés volontaires: par exemple, le système d’échange de quotas d’émission de la Californie et du Québec a émis 83 millions de crédits carbone forestiers, pour un montant d’1,2 milliard d’USD, sur la période 2017-2019 – et celui de la Nouvelle-Zélande 38 millions de crédits carbone forestiers, pour un montant de près de 800 millions d’USD399. Parmi les autres marchés obligatoires suscitant une importante demande de crédits carbone forestiers, on citera le Fonds de réduction des émissions, en Australie; la taxe carbone, en Colombie; et le système d’échange de quotas d’émission, en République de Corée. À l’échelle mondiale, le volume de la demande sur les marchés du carbone est modeste (mais elle peut cependant être importante à l’échelle nationale et infranationale, comme en Colombie, en Nouvelle-Zélande et en Californie). L’attention accordée aux marchés du carbone tient à leur croissance future, à laquelle on s'attend bien qu’elle soit incertaine. Même si les marchés des compensations forestières augmentent en volume ainsi qu’au niveau des prix, on ne sait pas bien dans quelle mesure ils pourraient offrir des possibilités d’investissement dans les solutions forestières.
Tableau 6TAILLE DU MARCHÉ VOLONTAIRE DES DROITS D’ÉMISSION DE CARBONE PAR CATÉGORIE D’ACTIVITÉ, DE 2019 AU 31 AOÛT 2021
Le récent accord conclu à la COP 26 sur les règles détaillées de transferts de crédits carbone entre pays vient à l’appui de la croissance attendue du marché du carbone. En vertu de l’article 6 de l’Accord de Paris, les gouvernements peuvent désormais utiliser des crédits carbone (désignés à l’article 6 par l’expression «résultats d’atténuation transférés au niveau international») pour s’acquitter de leurs engagements en matière d’atténuation des effets du changement climatique. Un processus, tant pour le secteur public que le secteur privé, sera mis au point dans les années à venir pour générer des résultats d’atténuation transférés au niveau international; il devrait englober les solutions fondées sur la nature. Les pays peuvent faire jouer le nouveau cadre à leur disposition pour remplir une partie de leurs engagements d’atténuation sous forme compensatoire, ce qui pourrait créer une importante demande supplémentaire de crédits carbone. Toutefois, lors de la Conférence des Parties à la CCNUCC, les mérites de la compensation ont été très débattus, et des restrictions ont été introduites sur le transfert international des résultats d’atténuation (restrictions justifiées par la nécessité de procéder aux «ajustements correspondants» – c’est-à-dire de déduire les volumes exportés des performances réalisées par le pays par rapport aux objectifs qu’il s’est fixé). Il faudrait obtenir davantage d’éclaircissements sur l’intérêt que manifestent les pays pour l’article 6 avant de pouvoir jauger l’ampleur de l’offre et de la demande supplémentaires qui seront générées.
Une étape clé pour permettre à des projets et programmes d’accéder aux marchés du carbone est de commencer par se mettre en conformité avec une norme carbone donnée et d’inscrire les résultats au registre des transactions de cette norme. Les grandes entreprises forestières – dans le secteur tant des plantations que des forêts naturelles – ont du mal à accéder aux marchés du carbone; pour y parvenir, les petites et moyennes entreprises et les petits agriculteurs auraient besoin d’une aide spécialisée, qui pourrait provenir de porteurs de projets capables de regrouper des centaines, voire des milliers de petits exploitants pour constituer une zone de projet d’une certaine ampleur.
Le système des paiements liés aux résultats, dans le cadre de la mise en œuvre de REDD+, évolue de manière que les résultats en matière d’atténuation des effets du changement climatique soient obtenus dans le respect des principes d’intégrité environnementale et de partage équitable des retombées positives
À l’origine, le mécanisme REDD+ a été pensé et structuré autour de la notion nouvelle de paiements liés aux résultats. Il s’agit de paiements qui sont effectués: soit en fonction de la réalisation (corroborée par une vérification indépendante) d’un ensemble convenu à l’avance d’objectifs en matière de réduction d’émissions de carbone sur une période donnée, conformément aux directives de la CCNUCC; soit sur la base d’un ensemble prédéfini de résultats connexes – par exemple, les progrès réalisés dans l’élaboration ou la mise en œuvre de politiques et de mesures de lutte contre les facteurs de déforestation et de dégradation des forêts. Le Mozambique a récemment reçu 6,8 millions d’USD de la part du Fonds de partenariat pour la réduction des émissions de carbone forestier pour avoir réalisé une réduction de 1,28 million de tonnes d’émissions de carbone depuis 2019.
D’après les estimations des plus grands fonds de financement de l’action climatiquem, les secteurs des forêts et de l’utilisation des terres ont été, de loin, les principaux bénéficiaires de ces versements400. Les paiements liés aux résultats continuent d’évoluer à mesure que les fonds de financement de l’action climatique et leurs donateurs appréhendent mieux l’efficacité et l’efficience de cet instrument. Une attention particulière est désormais portée au respect du principe d’intégrité environnementale dans l’obtention des résultats (ce qui suppose, par exemple, des cadres de responsabilité adéquats), ainsi qu’aux mécanismes de partage des retombées positives (voir l’encadré 26). Les portefeuilles de financement dans le secteur forestier du Fonds vert pour le climat et du Fonds pour l’environnement mondial continuent d’évoluer. Par exemple, le portefeuille de projets du Fonds vert pour le climat dans les secteurs des forêts et de l’utilisation des terres compte actuellement (au mois de décembre 2021) 52 projets, pour un montant d’1,5 milliard d’USD401.
Encadré 26Paiements du Fonds vert pour le climat liés aux résultats
Le Fonds vert pour le climat a versé des paiements liés aux résultats aux pays ayant fait état de réductions d’émissions dans le cadre de la CCNUCC. En novembre 2020, le Fonds avait approuvé un volume de financement total de 497 millions d’USD à destination de huit pays ayant fait la démonstration de résultats qui répondaient aux critères requis au titre du programme pilote du mécanisme REDD+. Une analyse des possibilités pour la prochaine phase du programme a fait ressortir deux thèmes clés: l’équité d’accès et l’intégrité environnementale. Les paiements liés aux résultats peuvent contribuer à renforcer la cohérence des politiques si les versements sont fonction de la réalisation d’objectifs de politique préalablement définis, et s’ils sont réinvestis dans des activités s’inscrivant dans la droite ligne des contributions déterminées au niveau national, des stratégies REDD+ et des plans de développement à faible émission de carbone.
Les marchés de produits neutres en carbone et de produits à caractère durable nécessitent des systèmes crédibles de mesure, de notification et de vérification - et ceux-ci vont en s’améliorant
Les systèmes de mesure, de notification et de vérification concernant l’efficacité des investissements et des interventions visant à réduire la déforestation et la dégradation des terres, ainsi qu’à élaborer des produits neutres en carbone fabriqués de manière durable, doivent être suffisamment solides pour donner aux donateurs et aux entreprises l’assurance que les résultats présentent une intégrité environnementale suffisante. Nesha et al. (2021)402 ont évalué l’utilisation et la qualité des données forestières figurant dans les rapports nationaux fournis par 236 pays et territoires dans le cadre de l’Évaluation des ressources forestières mondiales (FRA). Ils ont constaté qu’à l’échelle mondiale, le nombre de pays assurant le suivi de la superficie forestière au moyen de capacités jugées «bonnes» à «très bonnes» est passé de 55 dans FRA 2005 à 99 dans FRA 2020, pour la télédétection, et de 48 à 102, pour les inventaires forestiers nationaux403. Dans l’ensemble, les améliorations des capacités de mesure, de notification et de vérification sont les plus communément constatées dans les régions tropicales, probablement en raison des investissements internationaux qui y sont réalisés à l’appui du suivi des forêts dans le cadre de REDD+404. Chagas et al. (2020) ont analysé plusieurs normes liées au carbone, en mettant l’accent sur des critères d’additionnalité, de mise en place de valeurs de référence, de quantification des réductions d’émissions (et en particulier sur le degré d’incertitude), de permanence et de transferts d’émission. Ils sont parvenus à la conclusion que les crédits carbone forestiers peuvent être considérés comme des solutions raisonnables pour la compensation des émissions des entreprises, sous réserve que des règles strictes soient en place afin de garantir de manière suffisamment solide que ces crédits seront associés à une intégrité environnementale équivalente à celle des crédits générés dans d’autres secteurs405.