- ➔ Le monde aura besoin à l’avenir de plus de matières premières renouvelables. La consommation mondiale de l’ensemble des ressources naturelles devrait plus que doubler, pour passer de 92 à 190 milliards de tonnes par an de 2017 à 2060, si l’évolution actuelle se poursuit.
- ➔ Une augmentation de la superficie forestière et la gestion durable des forêts pourraient favoriser la relance verte et la transition vers des économies neutres en carbone. Dans le secteur de la construction, par exemple, le remplacement d’un matériau non dérivé du bois par un produit à base de bois permettrait en moyenne d’éviter 0,9 kg d’émissions de carbone par kilo de carbone dans le bois.
- ➔ Il est possible de mobiliser les industries forestières pour développer les chaînes de valeur vertes novatrices à plus grande échelle. D’après certaines estimations, par exemple, les bio-industries non alimentaires devraient enregistrer un taux de croissance annuel de 3,3 pour cent jusqu’en 2030, date à laquelle leur production atteindrait alors 5 000 milliards d’USD.
Sous l’effet de la croissance démographique et de l’augmentation du niveau de vie, la consommation mondiale de l’ensemble des ressources naturelles (biomasse, combustibles fossiles, métaux et minéraux, notamment) devrait plus que doubler, passant de 92 à 190 milliards de tonnes de 2017 à 2060 (figure 11)284. Ce surcroît de demande pèsera lourdement sur les systèmes de ressources naturelles, forêts comprises.
Figure 11Extraction de matières premières dans le monde – projections sur la période 2015-2060, dans l’hypothèse d’une poursuite des tendances actuelles
À l’heure actuelle, la demande totale en matières premières est satisfaite à 75 pour cent par des ressources non renouvelables, et les 25 pour cent restants le sont par la biomasse, qui comprend des matières organiques telles que les cultures vivrières, la viande et les produits laitiers, ainsi que toute une gamme de produits forestiers et autres produits de la biomasse. L’extraction de biomasse dans le monde a grimpé de 9 à 24 milliards de tonnes entre 1970 et 2017 et devrait atteindre 44 milliards de tonnes d’ici 2060285.
L’industrie agroalimentaire consomme la majeure partie de la biomasse dans le monde. Les récoltes mondiales des principales cultures, telles que les céréales, les cultures oléagineuses et sucrières, les racines, les tubercules et les légumineuses, représentent 27 pour cent environ de l’ensemble de la biomasse utilisée pour l’alimentation, le fourrage, les fibres et les produits forestiers286. Le secteur du bois et du bois d’œuvre est un autre gros consommateur de biomasse, la production mondiale de bois rond (3,91 milliards de m3 en 2020) ayant progressé de 12 pour cent au cours des deux dernières décennies287.
La demande en biomasse devrait continuer à croître en raison de l’augmentation des besoins liés à l’alimentation, à l’énergie, au logement et à d’autres utilisations comme matière première. La demande en biomasse forestière sera tirée principalement par le secteur de la construction (dont la demande devrait presque tripler d’ici à 2030) et celui de l’emballage (dont la demande devrait doubler d’ici à 2030)288. Pour satisfaire la demande en biomasse forestière dans des conditions durables, il faudra accroître l’offre de ressources en restaurant, boisant ou reboisant les terres dégradées et en améliorant l’utilisation des ressources. La durabilité passe également par des efforts pour améliorer l’efficacité des processus de fabrication et les flux d’énergie, encourager l’utilisation en cascade des produits forestiers, modifier les habitudes de consommation et faciliter la transition vers des économies plus circulaires.
Le bois produit de manière durable peut fortement contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment et de la construction
C’est un défi de taille que de satisfaire les besoins en logement d’une population toujours plus nombreuse et urbanisée. D’après les estimations, 3 milliards de personnes (soit 40 pour cent de la population mondiale) auront besoin de nouveaux logements d’ici à 2030, ce qui nécessitera de créer 300 millions de logements entre 2016 et 2030289.
Le secteur de la construction, qui a produit près de 40 pour cent de l’ensemble des émissions de GES liées à l’énergie et aux procédés de production en 2018290, fait donc planer une menace importante sur la durabilité. Étant donné que les matières premières sont responsables de 11 pour cent des émissions totales du secteur du bâtiment et de la construction, opter pour des matériaux de construction renouvelables qui stockent le carbone, comme le bois, serait un moyen efficace d’atténuer le changement climatique291, 292.
Les études de produits qui donnent des estimations sur les effets de substitution soulignent que les bâtiments en bois peuvent jouer un rôle important dans la décarbonisation du secteur de la construction. Une étude récente des travaux publiés conclut que le bois présente un facteur de substitution moyenh de 0,9 – autrement dit, chaque kilo de carbone contenu dans du bois utilisé en remplacement d’un matériau non dérivé du bois dans un bâtiment est susceptible de réduire les émissions de carbone d’environ 0,9 kg en moyenne293. Il ressort d’une étude menée en Finlande que, principalement en raison des avantages écologiques du bois en tant que matériau de construction, les personnes qui vivent dans une maison en bois ont une empreinte carbone de 12 pour cent inférieure en moyenne (950 kg éqCO2 par an) à celle des personnes qui vivent dans une maison construite avec d’autres matériaux294. Les bâtiments exercent également des effets positifs sur la santé physique, mentale et psycho-affective de leurs occupants295. Selon une étude menée sur les lieux de travail en Australie, les éléments de conception biophiles qui intègrent l’exposition au bois peuvent contribuer à réduire les absences pour maladie et à améliorer le bien-être global des travailleurs, augmentant leur productivité de 5 pour cent296.
Le développement de la construction en bois d’ingénierie et, dans son sillage, des nouvelles méthodes de construction d’immeubles à étages à ossature en bois a entraîné une hausse importante de la demande de ce type de produits, en particulier de bois lamellé-croisé. La majorité des édifices en bois lamellé-croisé se trouvent dans des pays développés, mais la construction en bois devrait gagner du terrain dans d’autres régions du monde également (encadré 13).
Encadré 13 Le Gabon encourage la construction de bâtiments en bois lamellé-croisé
Le Gabon a créé en 2010 la Gabon Special Economic Zone (GSEZ), considérée comme la première zone industrielle ayant obtenu la certification «neutre en carbone» dans le monde297. La GSEZ a été établie sous la forme d’un partenariat entre l’État gabonais, Olam International et Africa Finance Corporation pour un coût de 400 millions d’USD, afin de servir de catalyseur pour la création d’usines de transformation du bois en Afrique. Le développement de la filière bois, et notamment le recours à des pratiques de construction durables pour l’environnement bâti, fait partie des priorités du Gouvernement gabonais, ainsi que l’expose la stratégie nationale «Gabon émergent 2025», qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à encourager l’utilisation durable des produits forestiers et à tirer profit des marchés émergents298. Le Gouvernement a également lancé une initiative pour faire sortir de terre le tout premier bâtiment en bois lamellé-croisé du Gabon, la Gabon Sovereign Wealth Tower. Les objectifs de ce projet sont les suivants: maximiser l’utilisation de bois d’origine locale; atteindre l’excellence en matière de conception pour les projets d’aménagement à usage mixte à base de bois d’ingénierie et pour la construction décarbonée; ancrer le développement des filières du bois d’ingénierie dans la gestion durable des forêts; et favoriser le transfert de compétences dans les filières du bois d’œuvre et dans le secteur de la construction. Selon les calculs initiaux, la Gabon Sovereign Wealth Tower pourrait permettre d’éliminer environ 1,5 million kg de dioxyde de carbone de l’atmosphère, l’équivalent en poids de 36 Boeing 737-800299.
L’utilisation accrue du bois dans les constructions peut contribuer au développement économique des pays du Sud. Selon les estimations d’un scénario, par exemple, les activités de production et de transformation primaire de bois nécessaires pour satisfaire la demande attendue de logements pourraient rapporter à la bioéconomie africaine jusqu’à 83 milliards d’USD d’ici à 2050 et créer 25 millions d’emplois via la plantation de forêts supplémentaires et la production des matériaux de construction requis300. Pour libérer ce potentiel, cependant, il est nécessaire d’investir dans le renforcement des capacités technologiques et humaines.
Les politiques de valorisation du bois, qui, dans les pays développés, se concentrent généralement sur les commandes publiques de bâtiments et d’infrastructures, peuvent soutenir et encourager l’utilisation du bois dans l’environnement bâti (encadré 14)301.
Encadré 14Politiques de valorisation du bois
Les politiques de valorisation du bois sont des mesures élaborées à l’échelon national ou infranational qui ont pour but d’encourager l’utilisation du bois en tant que matériau de construction. Adoptées par des pays tels que l’Allemagne, l’Australie, le Canada, les États-Unis d’Amérique, la France, le Japon et la Nouvelle-Zélande, ces politiques visent à soutenir les industries forestières locales, le développement économique durable et les objectifs d’atténuation du changement climatique. La plupart d’entre elles – mais pas toutes – sont axées sur les édifices publics.
Des codes de construction défavorables peuvent freiner l’essor de l’utilisation du bois dans les bâtiments à étages. Des modifications ont récemment été apportées à plusieurs codes de construction de portée internationale (par exemple le Code international du bâtiment de 2021), nationale (par exemple en Australie) ou provinciale (par exemple en Colombie-Britannique, au Canada) pour favoriser l’utilisation du bois dans le secteur de la construction302, 303.
Le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable estime que la demande en biomasse augmentera de 8,8 pour cent par an d’ici à 2030 sous l’impulsion du secteur de la construction et du bâtiment304, et l’intérêt croissant suscité par les bâtiments en bois d’ingénierie pourrait aiguillonner un peu plus la demande. Pour satisfaire cette demande croissante de façon durable, il sera nécessaire, entre autres, d’accroître l’efficacité de l’utilisation des ressources, ce qui est de plus en plus réalisable grâce, par exemple, aux méthodes de construction hors site fondées sur des dessins précis conçus numériquement, la préfabrication des éléments de construction et leur assemblage à distance.
Des matériaux mieux utilisés peuvent contribuer à satisfaire la demande mondiale de bois d’une façon durable
Pour réduire au maximum l'impact environnemental de la hausse prévue de la demande de bois, il faudrait dégager des gains d’efficacité et éviter les pertes et le gaspillage du bois dans les opérations de coupe et de transformation du bois. Des progrès sont à l’œuvre sur le plan de l’efficacité de l’utilisation des matériaux. Selon une évaluation des gains d’efficacité réalisés au Canada, par exemple, le taux d’utilisation du bois récolté a grimpé de 61 pour cent en 1970 à 83 pour cent en 2016; en outre, les résidus issus des processus de transformation du bois brut et de fabrication de pâte à papier sont de plus en plus couramment utilisés comme combustible biomasse en remplacement des combustibles fossiles305.
Les gains d’efficacité peuvent être amplifiés grâce à l’utilisation en cascade des matières premières du bois. Ces gains peuvent être estimés à partir du «bilan des matières», qui donne une approximation de la perte de matière en estimant la différence entre la quantité totale de matière consommée lors d’une étape du processus de transformation et la quantité totale de matière produite à l’étape suivantei. Le parcours de la cascade et la fourchette d’estimation des pertes donnent des indications sur les points où des gains d’efficacité peuvent être réalisés et sur l’ampleur potentielle de ces gains. Dans le cas de la production de bois scié, par exemple, des pays ont indiqué dans une enquête que 45 à 66 pour cent du volume de bois rond utilisé étaient transformés en bois scié, environ un tiers en copeaux et dosses, de l’ordre d’un dixième en sciure et, dans certains pays, 2 à 10 pour cent supplémentaires en menus copeaux (figure 12)306. Tout ce qui n’entre pas dans ces catégories de produits est considéré comme perte par contraction et représente un pourcentage très variable entre les pays, qui dépend notamment des différences dans les essences utilisées, les gammes de produits élaborés, les débouchés disponibles et les technologies mises en œuvre.
Figure 12Bilan des matières dans la production de bois scié issu d’essences non conifères
Les pourcentages de matières premières servant à l’élaboration de produits de faible valeur ou de matières perdues par contraction sont susceptibles d’être beaucoup plus élevés dans les pays en développement ayant un recours limité aux technologies modernes pour les opérations de coupe et de transformation et disposant d’un accès aux marchés restreint pour écouler la gamme complète des produits dérivés du bois. Créer davantage de valeur au fil des étapes de l’utilisation en cascade des produits permettrait d’allonger la durée de vie des matières premières, de réduire la demande initiale en matières premières et d’augmenter la durée de stockage de carbone, ce qui contribuerait à une utilisation plus durable des produits forestiers. Les résidus de bois issus de la transformation industrielle du bois rond peuvent constituer une ressource précieuse lorsqu’ils sont utilisés comme matière première pour l’élaboration d’autres produits et, in fine, pour la production d’énergie en remplacement d’autres sources d’énergie moins durables.
Le recyclage et la réutilisation, qui augmentent la durée de vie des produits, représentent une autre forme d’utilisation en cascade. Le papier est l’une des matières les plus recyclées à l’échelle mondiale: le secteur a atteint un taux de récupération de plus de 60 pour cent en Europe et en Amérique du Nord, de près de 50 pour cent dans les régions Amérique latine et Caraïbes et Asie et Pacifique, et un tout petit peu moins de 30 pour cent en Afrique307. Selon une étude récente, si l’on parvenait à exploiter l’intégralité du potentiel technique de recyclage des déchets de bois et de papier, le taux d’efficacité d’utilisation du bois dans le secteur européen du bois augmenterait de 31 pour cent, avec à la clé une réduction de 52 pour cent des émissions de GES308. Ainsi, s’il est possible d’améliorer l’efficacité d’utilisation de la ressource, des disparités persistent entre les régions. Le développement des capacités, l’innovation dans les techniques et la conception et l’adoption d’un cadre d’action favorable sont nécessaires pour améliorer les infrastructures technologiques et sociales et, sur cette base, accroître l’efficacité de l’utilisation des matières premières au niveau mondial309.
Les bio-industries répondent à un large éventail de besoins en élaborant des produits respectueux de l’environnement et valorisent les ressources
Les forêts et les arbres fournissent des matières premières renouvelables à une multitude d’industries manufacturières qui produisent un large éventail de bioproduits. Certains (par exemple les meubles en bois, les pâtes et papiers, le liège, le bambou, le rotin, les plantes médicinales et les résines) sont utilisés depuis des millénaires, tandis que d’autres (par exemple la mousse de bois, les fibres textiles et les bioplastiques) sont le fruit d’innovations récentes. Les bioproduits renouvelables peuvent remplacer les produits à forte intensité de GES310.
D’après certaines estimations, les bio-industries non alimentaires devraient enregistrer un taux de croissance annuel de 3,3 pour cent d’ici à 2030, date à laquelle leur production atteindra 5 000 milliards d’USD311. La bioéconomie mondiale est alimentée par une gamme variée de bioproduits issus de la forêt, dont certains sont décrits ci-après et dans l’encadré 15.
Encadré 15 L’utilisation de la fibre de bois dans la fabrication de produits médicaux
La pandémie de covid-19 a entraîné une forte augmentation de la demande pour divers produits médicaux, en particulier les équipements de protection personnelle tels que les blouses, les masques, les draps chirurgicaux et les draps de lit, qui sont généralement fabriqués en polypropylène non tissé mais peuvent aussi être faits en fibre de bois. Une membrane en papier composée de nanofibres de cellulose très cristalline est capable de filtrer les particules virales et ainsi de réduire leur propagation312. Des masques médicaux entièrement compostables et biodégradables ont été conçus à partir de fibre de bois313. La fibre de bois peut également être utilisée dans les chaînes de valeur biosourcées pour fabriquer des papiers hygiéniques, des désinfectants pour les mains, des savons, des dentifrices et des couches, et des progrès ont été accomplis dans la fabrication de pansements à faible coût en nanocellulose de bois314, 315.La demande de compléments alimentaires issus de la forêt a augmenté de façon spectaculaire pendant la pandémie. Aux États-Unis d’Amérique, par exemple, les ventes de compléments alimentaires à base de plantes liés à la santé immunitaire, à la réduction du stress et à la santé cardiaque ont augmenté de 17,3 pour cent entre 2019 et 2020, pour atteindre 11,3 milliards d’USD; les compléments les plus vendus contenaient de l’actée à grappes noires (Actaea racemosa), de l’açaï (Euterpe oleracea), du ginseng (Panax spp.), du Garcinia gummi-gutta et des champignons (Cordyceps spp.)316.
▸ On fabrique un large éventail de produits biochimiques à partir de la biomasse, parmi lesquels des adhésifs, des lubrifiants, des agents tensioactifs et des émollients. Les produits biochimiques sont considérés comme un marché en pleine croissance, l’industrie chimique mondiale ayant généré en 2020 un chiffre d’affaires estimé à 4 010 milliards d’EUR317. Le secteur de la lignine kraft, par exemple, dans lequel, à l’heure actuelle, seulement 1 à 2 pour cent des résidus sont transformés en produits de valeur plus élevée, recèle un potentiel considérable318.
▸ Les bioplastiques peuvent être produits à partir de la lignine et des flux secondaires industriels de l’industrie de la pâte et du papier. Ils ne représentent actuellement que 1 pour cent du volume total de plastiques produit chaque année. La capacité actuelle de production de matières premières bioplastiques de deuxième et troisième générations issues de cultures et de plantes ne convenant pas pour l’alimentation humaine ou animale (tels que les arbres), de déchets issus de matières premières de première génération (tels que la bagasse et les huiles végétales usagées) et d’algues est estimée à 2,3 millions de tonnes et devrait passer à 4,3 millions de tonnes d’ici à 2022319.
▸ La production de textiles cellulosiques manufacturés (généralement dérivés du bois ou d’autres matières végétales) devrait passer de 6,4 millions de tonnes en 2020 à 8,6 millions de tonnes en 2027320. Ces textiles dérivés du bois pourraient présenter un facteur de substitution de pas moins de 2,8321. Selon une estimation récente fondée sur un scénario, la production mondiale de bois rond augmenterait de 81 millions de m3 d’ici à 2040 si les fibres de bois satisfaisaient 30 pour cent de la demande totale de fibres textiles322.
La bioénergie forestière doit devenir plus efficace, plus propre et plus verte
La production d’énergie est la principale utilisation du bois dans le monde; à la fin de cette décennie, plus de 2 milliards de personnes seront toujours tributaires de l’utilisation traditionnelle des combustibles ligneux et d’autres types d’énergie biomasse pour cuisiner, notamment dans les régions les plus pauvres du monde323.
Dans certaines régions, la demande de combustibles ligneux, notamment de bois de chauffage et de charbon de bois, dépasse la capacité de production durable des forêts et des arbres, ce qui entraîne une dégradation et un recul des forêts. Selon une estimation, entre 27 et 34 pour cent de l’extraction de combustibles ligneux dans les régions pantropicales ne sont pas réalisés dans des conditions de durabilité, et environ 275 millions de personnes vivent dans des zones menacées par l’épuisement des combustibles ligneux en Asie du Sud et en Afrique de l’Est324. Le fossé entre l’offre durable et la demande peut être comblé par divers moyens: restauration des forêts dégradées, création de plantations d’arbres à croissance rapide, amélioration de l’utilisation des résidus de coupe et de transformation du bois, et récupération du bois après consommation via l’utilisation en cascade des produits dans un cadre économique plus circulaire. Les plantations peuvent réduire les pressions qui s’exercent sur les forêts naturelles et les terres boisées325 situées à proximité des grands centres de demande de charbon de bois, comme les zones urbaines d’Afrique subsaharienne326. Il ressort d’une récente étude de faisabilité technique et économique pour la production industrielle de charbon de bois au Congo que des investissements dans la création de plantations d’arbres, la production supplémentaire de briquettes à partir de la poussière générée par la production de charbon de bois et l’utilisation de fours à charbon de bois propres et efficaces dégageraient un taux de rentabilité estimatif de 10,7 pour cent327.
Il est important que les pays se dotent de stratégies nationales en matière de combustibles ligneux pour coordonner l’action des différents organismes publics et garantir que leurs interventions engendrent des effets économiques, sociaux et environnementaux positifs. À titre d’exemple, la stratégie nationale du Malawi pour le charbon de bois (2017-2027) présente un cadre multisectoriel qui vise à remédier aux problèmes de production et de demande de charbon de bois à court, moyen et long terme, en s’alignant sur les autres stratégies et politiques nationales axées sur des objectifs généraux de réduction de la déforestation, de la dégradation des forêts et de la dépendance vis-à-vis des combustibles solides issus de la biomasse328.
Les applications modernes des combustibles ligneux comprennent principalement le chauffage des bâtiments résidentiels et commerciaux (installations de chauffage privé ou de chauffage urbain) et l’utilisation dans les processus industriels; la production d’électricité et la production combinée de chaleur et d’électricité (par combustion directe de bois ou en cocombustion avec du charbon); et la production de carburants liquides pour le secteur des transports329. L’augmentation de l’utilisation des bioénergies en tant que moyen de parvenir à zéro émission nette dans le secteur de l’énergie suscite un intérêt considérable (encadré 16). La combustion de la biomasse forestière ne renvoie dans l’atmosphère que le carbone qui a été absorbé par les plantes au cours de leur croissance; à l’inverse, la combustion de combustibles fossiles libère le carbone stocké dans le sol depuis des millions d’années. Cela étant, la poursuite de l’utilisation de la biomasse ligneuse pour la production de bioénergie suscite des préoccupations environnementales liées aux émissions de GES, à la dégradation de la qualité des sols et au déclin de la biodiversité. Dans ces circonstances, il est nécessaire d’assurer la durabilité environnementale, économique et sociale de la production de bioénergie, qui peut être évaluée à l’aune d’un ensemble d’indicateurs multicritères; par ailleurs, l’analyse du cycle de vie est une méthode utile pour évaluer la performance environnementale330. Bien que les avis divergent au sujet de l’impact total des combustibles ligneux sur le changement climatique331, il ne fait guère de doute que l’application de pratiques de gestion forestière durables et l’augmentation de l’efficacité opérationnelle des centrales de production combinée de chaleur et d’électricité et des bioraffineries peuvent maximiser les avantages induits.
Encadré 16Contribution potentielle de la biomasse à la réalisation de l’objectif de zéro émission nette à l’horizon 2050
L’Agence internationale de l’énergie (AIE, 2021) a élaboré une feuille de route à l’intention du secteur mondial de l’énergie, dans laquelle les bioénergies modernes, en particulier les combustibles ligneux, sont appelées à jouer un rôle majeur dans la réalisation de l’objectif de zéro émission nette: en vertu de cette feuille de route, l’utilisation des bioénergies modernes augmenterait d’environ 60 pour cent entre 2020 et 2050, tandis que l’utilisation traditionnelle de la biomasse irait en s’amenuisant332. Dans le scénario de l’AIE tablant sur zéro émission nette à l’horizon 2050, il faudrait que la surface de terres consacrée à la plantation de biomasse passe de 330 à 410 millions d’hectares de 2020 à 2050.
Pour accroître la production de biomasse de 60 pour cent en 30 ans et atteindre ainsi les objectifs fixés en matière de production de bioénergie, il sera nécessaire d’adopter un ensemble complet de politiques, de stratégies, de réglementations, de mesures de gestion et de ressources financières pour assurer le caractère durable de cette production supplémentaire de biomasse et veiller à ce qu’elle ne cause pas de dommages économiques, sociaux ou environnementaux, tels qu’une diminution de la qualité des sols et de la biodiversité.
Il est possible d’infléchir la demande en matières premières destinées à la production d’énergie en améliorant l’efficacité des processus de conversion et d’utilisation des combustibles ligneux. Plusieurs possibilités existent pour y parvenir: améliorer les propriétés des résidus de bois à travers la production de granulés et de briquettes de bois; augmenter le rendement de la transformation des combustibles ligneux en utilisant des fours perfectionnés pour la production de charbon de bois; améliorer le rendement thermique des poêles à bois; et étendre l’accès aux formes d’énergie modernes, telles que l’électricité (y compris celle produite à partir de sources renouvelables comme le soleil et le vent), le gaz de pétrole liquéfié et le biogaz produit à partir de déchets organiques. Diverses initiatives originales sont actuellement menées pour encourager la combustion propre et efficace des combustibles ligneux et réduire la demande dont ils font l’objet – c’est le cas par exemple du portefeuille d’entreprises «Venture Catalyst» constitué par la Clean Cooking Alliance333. Dans certains pays, le passage aux combustibles ligneux modernes pourrait avoir de profondes répercussions sur les moyens d’existence (encadré 17).
Encadré 17Les combustibles ligneux et l’emploi au Nigéria
Dans de nombreux pays en développement, la transition vers un accès amélioré à l’énergie et l’utilisation de sources d’énergie renouvelables modernes pourrait avoir des répercussions sur les moyens d’existence. Au Nigéria, où la biomasse est la première source d’approvisionnement total en énergie primaire, environ 40 millions de personnes (soit un cinquième de la population) participent directement à la collecte de bois de feu et à la production de charbon de bois, ce qui représente 530 000 emplois directs estimés (en équivalents temps plein). En outre, 200 000 personnes supplémentaires – pour la plupart employées à temps plein également – fournissent des services de transport pour le commerce de gros et de détail334. Dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne également, de nombreuses personnes sont tributaires de l’économie des combustibles ligneux et du charbon de bois pour leur subsistance335.