De plus en plus de moyens sont à disposition pour surmonter les obstacles à la pénétration des outils informatiques
Les services publics et d’autres outils fonctionnent de plus en plus en ligne; c’est une tendance générale portée par la technologie et les économies d’échelle. Les petits exploitants, les communautés locales et les peuples autochtones se servent de plus en plus d’outils numériques, notamment des applications pour smartphone et des outils de télédétection. Ces outils, de plus en plus disponibles, permettent d’avoir plus facilement accès aux informations (surveillance des forêts, apprentissage en ligne, prévisions météorologiques, services de vulgarisation et de conseil, capture de données sur le terrain en temps réel, etc.), aux services financiers (paiements et dossiers de crédit numériques, par exemple), aux services commerciaux (avec, par exemple, les plateformes de commerce en ligne) et aux marchés (connexion à l’internet, messageries vocale et textuelle, plateformes numériques pour la traçabilité des produits, etc.)530. Pour autant, l’accès à ces outils est souvent difficile dans les zones rurales. Or, compte tenu de la généralisation de l’internet à l’échelle mondiale, il devient impératif de faire entrer les communautés rurales dans l’ère du numérique. Faute de moyens de participation, le développement de l’ensemble du secteur forestier pourrait être entravé. Le manque de couverture est l’une des principales raisons qui expliquent que ce secteur reste relativement peu moderne, que le développement et l’adoption de l’innovation ont été lents, malgré les avantages considérables qui pourraient en être tirés.
De nombreux facteurs sociaux, économiques et démographiques (niveau d’instruction, revenu, appartenance ethnique et genre, notamment) sont des freins à l’utilisation et à l’adoption des technologies numériques, notamment dans les zones rurales et chez les groupes les plus vulnérables531. Des infrastructures insuffisantes et de mauvaise qualité (vitesse de connexion), à quoi s’ajoutent des coûts élevés, limitent également l’accès des communautés forestières et des populations rurales dans les pays moins développés532. En Afrique, seulement 25 pour cent des ménages urbains et 6,3 pour cent des ménages ruraux ont accès à l’internet533. À l’échelle mondiale, 2,9 milliards de personnes ne sont toujours pas connectées, notamment en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud et dans les îles du Pacifique. D’après le Groupe de travail sur les modèles de financement du XXIe siècle pour le développement durable du haut débit (Working Group on 21st Century Financing Models for Sustainable Broadband Development), face aux enjeux essentiels que sont l’accès, notamment sur le plan financier, et l’égalité, il faut de nouvelles méthodes pour favoriser la mise en place d’infrastructures numériques, en particulier dans les régions où elles ne seraient pas rentables autrement534.
Le coût des services et les disparités de pouvoir d’achat posent d’autres problèmes. Par exemple, le coût des forfaits de téléphonie mobile et des forfaits de données représente respectivement 3,2 et 2,9 pour cent du revenu national brut par habitant sur le continent américainr, et 12 et 11,4 pour cent respectivement en Afrique572. En Afrique subsaharienne, on rencontre d’autres difficultés encore: le manque de concertation avec les agriculteurs pour la conception des applications mobiles, le manque de confiance et de transparence, l’utilisation de langues étrangères, la prise en compte insuffisante des contextes culturels, le faible niveau d’éducation et de formation, le manque d’engagement et de collaboration, et la bureaucratie535.
Les investissements dans les biens publics numériques536 et dans les infrastructures numériques publiques537 peuvent aider à combler la fracture numérique et à convaincre les fournisseurs de services d’investir dans les zones isolées et qui rapportent peu538, 539. Au Brésil, le Gouvernement a élaboré un plan qui vise à développer l’utilisation de l’internet, en particulier chez les jeunes ruraux; la Bolivie (État plurinational de) fournit un accès à large bande à certaines communautés rurales stratégiques; enfin, au Chili, le Gouvernement a subventionné des raccordements aux infrastructures dans plus de 1 400 zones qui étaient peu ou pas connectées540.
À l’échelle des exploitations agricoles et des territoires, les technologies numériques peuvent faciliter la planification, le suivi, la logistique de la production et l’accès aux marchés
Les technologies numériques peuvent apporter de grands changements dans le secteur des forêts. Jusqu’à présent, les principales évolutions ont porté sur le recensement et la surveillance des ressources forestières; la planification de l’affectation des terres et le suivi des changements dans leur utilisation; la production forestière et la logistique des équipements et du transport, et la traçabilité des produits forestiers (voir l’encadré 38); ainsi que sur la gestion des entreprises et le soutien à la commercialisation (voir l’encadré 39). L’encadré 40 donne un exemple de restauration planifiée à l’aide de la télédétection. De nombreux obstacles non techniques s’opposent toutefois à la mobilisation des innovations numériques et à leur développement à une échelle plus grande.
Encadré 38Un système de contrôle mis au point localement au Viet Nam
Il est indispensable de vérifier la légalité du bois pour s’assurer que seul le bois d’œuvre licite ou à faible risque pénètre dans les chaînes d’approvisionnement et les marchés responsables. Au Viet Nam, l’Association de l’industrie du bois et de l’artisanat de Hô Chi Minh-Ville (Handicraft and Wood Industry Association of Ho Chi Minh City, ou HAWA) a mis au point une plateforme informatique pour favoriser la transparence et faciliter les contrôles préalables à chaque transaction vendeur-acheteur impliquant des membres du système. Pour les sources nationales de bois d’œuvre, des données en temps réel et géoréférencées peuvent être téléchargées, accompagnées des pièces justificatives ou autres moyens de vérification exigés. L’équipe de HAWA signale les risques éventuels et met les informations à la disposition des acheteurs potentiels. Non seulement la plateforme permet aux propriétaires forestiers d’enregistrer leurs plantations et les documents relatifs aux récoltes, mais en outre elle facilite l’application, avec justificatifs, d’une procédure transparente de contrôles préalables pour les transactions et les ventes, sur toute la chaîne d’approvisionnement en bois d’œuvre.
Encadré 39Une association de femmes produit du charbon de bois durable en Côte d’Ivoire
En Côte d’Ivoire, MALEBI, une association de productrices et de vendeuses de produits secondaires de la forêt, produit et vend du charbon de bois tout en s’attachant à préserver les forêts naturelles par des opérations de reboisement, de renforcement des capacités et de sensibilisation. MALEBI a conclu un partenariat avec la société d’État SODEFOR pour gérer 4 500 hectares et aider à reboiser une zone dégradée de la forêt classée d’Ahua, à Dimbokro. L’association fait participer des centaines de villageoises et des membres de la Fédération des femmes de Dimbokro à la plantation d’espèces indigènes telles que Cassia siamea et Tectona grandis (teck). En 2018-2020, avec l’aide du Programme FAO-Union européenne pour l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux et de Resource Extraction Monitoring, MALEBI a mis au point une application mobile de traçabilité, Charcoal Trace, qui fait appel à la technique des chaînes de blocs, pour suivre son charbon de bois tout au long de la chaîne de valeur. MALEBI peut désormais certifier l’origine et la durabilité de son charbon de bois.
Encadré 40Une application pour élaborer des plans stratégiques de restauration
En collaboration avec plusieurs partenaires, et dans le cadre de son Système d’accès, de traitement et d’analyse des données d’observation de la Terre, la FAO a mis au point Se.plan, une application qui réunit des données écologiques sur la restauration des forêts et des données sur les coûts, les avantages et les risques socioéconomiques. Destinée à faciliter l’élaboration de plans de restauration stratégiques à l’échelle d’une région donnée, cette application fournit des informations spatiales qui permettent d’évaluer la pertinence de la restauration et de déterminer les effets qui sont à rechercher compte tenu des objectifs de restauration des utilisateurs. Se.plan couvre 139 pays à revenu faible ou intermédiaire, et permet aux utilisateurs de prendre en compte des facteurs importants tels que les coûts (coûts d’opportunité et frais d’établissement, par exemple), les risques (les variables de gouvernance et les dynamiques démographiques, notamment) et les avantages (par exemple la création d’emplois).
Les technologies numériques peuvent aider à protéger les forêts, notamment en facilitant la détection des incendies et des activités illicites, le contrôle de la dégradation des forêts et le suivi de l’évolution du couvert forestier, et en permettant d’obtenir des données en vue d’une gestion durable des forêts. Les outils de cartographie forestière géospatiale sont de plus en plus accessibles, tout comme les excellents outils de surveillance des forêts qui font appel aux systèmes d’informations mondiaux des téléphones mobiles; même la fonction appareil photo des smartphones est utile. Les drones sont aussi un moyen, plus perfectionné (voir l’encadré 41). Les technologies numériques sont de plus en plus faciles à utiliser, et peuvent en outre inciter les jeunes à participer. Cette évolution, conjuguée à des prix de plus en plus abordables, permettra d’améliorer le rapport coût-efficacité des solutions numériques.
Encadré 41Utiliser des drones pour la surveillance des forêts communautaires au Panama
Afin de renforcer les capacités de gestion des ressources naturelles dans les territoires autochtones, la FAO et le Programme ONU-REDD ont mis en œuvre un projet qui consiste à surveiller les forêts communautaires à l’aide de drones. Les participants ont appris à préparer les plans de vol, à charger et à faire voler les drones, puis à traiter les images et à établir des cartes avec des images à haute résolution. Les principaux objectifs étaient de repérer les changements dans le couvert forestier, à savoir des signes de déforestation ou de dégradation des forêts, et de surveiller l’état des cultures et les empiètements sur les limites territoriales. Les drones ont grandement aidé à atteindre ces objectifs.
Les services spécialisés, publics et privés, diffusent de plus en plus d’informations, en ligne ou au moyen d’applications, notamment pour différents services publics, mettant ceux-ci à la portée de tous et en particulier de ceux qui vivent loin des centres de services physiques. De nombreux services liés aux forêts peuvent être mis en ligne (demandes de permis de coupe, transport, commandes de plants, etc.).
L’essor de la promotion et de la vente en ligne en milieu rural. Le commerce et la promotion de produits en ligne ont gagné en importance pendant la pandémie. Un grand nombre de produits forestiers peuvent désormais être mis en vente sur l’internet, y compris les PFNL. Cette stratégie peut faciliter la promotion des produits, et la livraison aux clients par des services utilisant la téléphonie mobile est actuellement mise à l’essai.
Dans les pays tropicaux, les producteurs et les négociants de bois d’œuvre ont subi de plein fouet la pandémie, qui a entraîné des annulations de commandes et toute une série de problèmes logistiques, avec des répercussions sur les moyens de subsistance. Beaucoup de micro, petites et moyennes entreprises se sont tournées vers le numérique pour pouvoir accéder aux marchés tout en respectant les exigences de respect des lois sur le bois d’œuvre. En Indonésie, l’Alliance des volontaires pour la sauvegarde de la nature (Aliansi Relawan Untuk Penyelamatan Alam ou ARUPA), avec le concours de la FAO, a créé Woodenasia, une plateforme électronique réservée aux fournisseurs de bois licite, qui met en relation les communautés forestières et les transformateurs du bois. C’est la hausse de 80 pour cent du commerce en ligne des produits de bois d’œuvre, constatée pendant la pandémie, qui a poussé à créer la plateforme. Celle-ci propose désormais plus de 200 produits certifiés (bois d’œuvre, meubles et objets artisanaux) fabriqués par des micro, petites et moyennes entreprises541.
Traçabilité et transparence dans le commerce des produits forestiers. La question de l’origine et de la légalité du bois d’œuvre et de certains produits dérivés du bois est particulièrement sensible en ce qui concerne les forêts tropicales, car un certificat de conformité est obligatoire pour exporter vers certains marchés. Les registres papier, devenus obsolètes, sont remplacés par des systèmes numériques tels que les codes-barres. La technique des chaînes de blocs peut en outre permettre d’accroître la transparence, la fiabilité, la sécurité et la traçabilité dans le secteur forestier. Des organismes de certification mondiaux bien établis se mettent à utiliser les chaînes de blocs dans leurs procédures internes. C’est le cas notamment du Forest Stewardship Council, qui achève actuellement l’intégration des chaînes de blocs dans sa certification de la chaîne de responsabilité afin de réduire les coûts, ce qui pourrait profiter aux petits exploitants.