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©Brent Stirton/Getty Images for FAO, CIFOR, CIRAD and WCS

La situation des forêts du monde 2022

Chapitre 3 Trois solutions forestières liées entre elles pourraient contribuer à la relance verte et à la transition vers des économies durables

Les forêts pourraient offrir des solutions à plusieurs défis socioéconomiques et environnementaux de dimension planétaire qui se font de plus en plus pressants. Le présent chapitre propose trois solutions faisant appel aux forêts et aux arbres, étant entendu que, quelles que soient les mesures envisagées, elles auront des implications économiques, sociales et environnementales qu’il faudra traiter de manière globale. Les trois solutions consistent à 1) mettre un terme à la déforestation et préserver les forêts; 2) remettre en état les terres dégradées et développer l’agroforesterie; 3) utiliser les forêts de manière durable et créer des chaînes de valeur vertes. Chacune d’elles nécessite d’intégrer et de concilier les préoccupations environnementales avec les besoins sociétaux et économiques, notamment la reprise et le développement durable; d’associer les mesures pour exploiter les effets de synergie; et de réduire les facteurs d’inefficacité pour bâtir un avenir meilleur, plus inclusif, plus résilient et plus durable.

3.1 L’arrêt de la déforestation et la préservation des services écosystémiques forestiers seraient bénéfiques au climat, à la biodiversité, à la santé et à la sécurité alimentaire à long terme

À RETENIR
  • L’arrêt de la déforestation est l’une des mesures d’atténuation du changement climatique qui pourraient présenter le meilleur rapport coût-efficacité si les efforts s’intensifiaient. D’après une récente estimation, l’arrêt de la déforestation pourrait permettre d’éviter, pour un bon rapport coût-efficacité, l’émission de 3,6 +/- 2 Gt éqCO2 par an entre 2020 et 2050; un volume d’émissions évitées équivalent à 14 pour cent de l’effort supplémentaire qui serait à fournir d’ici à 2030 pour maintenir le réchauffement de la planète en dessous de 1,5 °C. Les cadres REDD+ pourraient faciliter la mise en œuvre et le financement de ces actions.
  • Il est indispensable de mettre en place des systèmes agroalimentaires plus efficients, plus productifs et plus durables pour répondre aux besoins alimentaires futurs, tout en réduisant la demande de terres agricoles et en préservant les forêts et les multiples avantages qu’elles apportent aux systèmes agricoles. D’après les projections, la population mondiale devrait atteindre 9,7 milliards de personnes d’ici à 2050; si l’on tient compte de l’évolution des habitudes alimentaires et d’autres facteurs, la progression de la demande alimentaire pourrait être comprise entre 35 et 56 pour cent, ce qui risquerait d’accroître la demande de terres et la pression exercée sur les forêts.
  • Le coût des stratégies mondiales de prévention des pandémies qui consistent à réduire le commerce illégal des espèces sauvages, à éviter les changements d’affectation des terres et à accroître la surveillance est compris, selon les estimations, entre 22 milliards d’USD et 31 milliards d’USD. Ce montant ne représente qu’une fraction du coût engendré par une pandémie.
  • La collaboration de nombreuses parties prenantes est essentielle pour mettre un terme à la déforestation. Des initiatives publiques et privées conjointes peuvent offrir des solutions efficientes; et associer approches territoriales et gouvernance des chaînes d’approvisionnement pourrait être une réponse aux défis liés à l’utilisation durable des terres.

Près d’un tiers des terres émergées de la planète a été transformé au cours des 60 dernières années, et l’agriculture a été responsable de quelque 90 pour cent de la déforestation entre 2000 et 2018

La compréhension des facteurs à l’origine des changements d’affectation des terres à l’échelle mondiale progresse à mesure que sont mis à disposition des outils et des données socioéconomiques et environnementales de meilleure qualité, notamment des ensembles de données de haute résolution. L’importance relative des facteurs de déforestation varie considérablement dans le temps et selon les zones géographiques97, 98, 99, 100, mais l’agriculture est considérée comme étant la première cause directe. La dernière étude de la FAO réalisée par télédétection a montré qu’entre 2000 et 2018, l’agriculture a été responsable de près de 90 pour cent de la déforestation (du fait de l’expansion des terres cultivées et des pâtures, de respectivement 52,3 pour cent et 37,5 pour cent)101. Les conversions en terres à usage agricole ont été à l’origine de plus de 75 pour cent du déboisement en Afrique et en Asie. En Amérique du Sud et en Océanie, le facteur le plus important est la conversion en pâtures, tandis qu’en Europe, la principale cause est l’expansion infrastructurelle et urbaine102. Le rôle des facteurs sous-jacents a été étudié dans d’autres rapports récents: Dummet et Blundell (2021), par exemple, ont estimé que quelque 40 pour cent des destructions de forêts tropicales entre 2000 et 2012 étaient le résultat de conversions illégales de terres pour l’agriculture commerciale103, et Pacheco et al. (2021) ont souligné le rôle joué en sous-main par le phénomène d’accaparement de terres dans certains endroits104.

Il convient également de tenir compte des processus dynamiques futurs. Ainsi, d’après les projections, la population mondiale devrait atteindre 9,7 milliards de personnes d’ici à 2050105; si l’on tient compte de l’évolution des habitudes alimentaires et d’autres facteurs, la progression de la demande alimentaire pourrait être comprise entre 35 et 56 pour cent106, ce qui risquerait d’accroître la demande de terres et la pression exercée sur les forêts.

Certaines pratiques commerciales qui intéressent les produits agricoles et les produits forestiers pourraient favoriser la déforestation107. Dans plusieurs régions du monde, la superficie des forêts s’est accrue, mais dans ces mêmes régions, certaines importations renferment de la déforestation108. L’étude par télédétection réalisée par la FAO a permis de constater que 7 pour cent des destructions de forêts entre 2000 et 2018 étaient dues aux seules plantations de palmiers à huile109, dont la production est écoulée pour les trois quarts environ sur les marchés internationaux110.

Les forêts peuvent offrir une contribution précieuse à la réalisation des ODD à l’échelle mondiale, notamment ceux portant sur la conservation de la biodiversité, les moyens d’existence, la sécurité alimentaire, l’atténuation des risques naturels, et l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets. La poursuite du déboisement aurait des conséquences considérables, qui sont cependant difficiles à estimer en raison d’une série d’incertitudes et de points de basculement, seuils et rétroactions potentiels. Par exemple, les modèles indiquent que le biome amazonien pourrait franchir un point de basculement en cas de déboisement d’une surface supérieure à 40 pour cent de la superficie forestière d’origine, car cela déclencherait une transition vers des écosystèmes de savane – transition dont les conséquences et les coûts ne peuvent pas être estimés directement111.

L’arrêt de la déforestation est l’une des mesures d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à ses effets, ainsi que de réduction de la perte de biodiversité qui pourraient présenter le meilleur rapport coût-efficacité

Changement climatique. Dans son sixième rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a clairement montré que le changement climatique est généralisé et s’opère à un rythme de plus en plus élevé et intense, et que seules des réductions massives et rapides des émissions de gaz à effet de serre au cours de cette décennie permettront d’éviter un dérèglement du climat112. Toutes les voies possibles que le GIEC a élaborées en vue de limiter le réchauffement moyen à moins de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle requièrent la neutralité carbone des activités humaines d’ici à 2050. L’analyse montre qu’outre une décarbonisation rapide de l’ensemble des économies, il faudra obtenir une atténuation importante grâce à des solutions axées sur les terres113. L’arrêt de la déforestation – qui nécessite des mesures de protection, de gestion durable et de restauration des écosystèmes naturels ou modifiés – a des effets bénéfiques importants sur le plan climatique et dans d’autres domaines, tels que l’adaptation et la résilience. Il permettrait d’éviter des émissions directes liées à la perte de biomasse et de préserver la capacité des forêts à absorber le dioxyde de carbone et à favoriser la résilience et des moyens de subsistance durables.

Les forêts sont à la fois une source d’émissions de gaz à effet de serre et un puits à carbone. Les émissions anthropiques nettes liées aux forêts et à l’utilisation des terres (dans les faits, la conversion de forêts et de tourbières, principalement) entre 2007 et 2016 se sont élevées à 5,8 +/- 2,6 Gt éqCO2, soit environ 11 pour cent des émissions mondiales d’équivalent CO2114. En revanche, les forêts ont retardé le changement climatique en absorbant une part importante des émissions de CO2 provenant des activités humaines115 – quelque 11,2 +/- 2,6 Gt éqCO2 par an entre 2007 et 2016116. Ce pouvoir tampon est mis à mal par la déforestation et la dégradation des forêts (y compris celle causée par le changement climatique). En l’absence (à l’heure actuelle) d’autres technologies éprouvées permettant de piéger le carbone à grande échelle, la préservation et la restauration des forêts sont les seuls moyens dont on dispose pour éliminer des volumes importants de CO2 de l’atmosphère.

Dans certains cas, le déboisement est irréversible (et dans d’autres, la régénération peut être très lente), ce qui constitue une autre source de préoccupation et rend encore plus nécessaire son arrêt pour contribuer à lutter contre le changement climatique. À l’échelle mondiale, les écosystèmes menacés par un déboisement ou une dégradation contiennent au moins 260 Gt de carbone irrécupérable ou difficile à récupérer; il s’agit notamment des tourbières, des mangroves, des forêts primaires et des marais117. On estime que, sans mesures supplémentaires, 289 millions d’hectares de forêt auront disparu entre 2016 et 2050 dans les seuls tropiques, ce qui entraînera l’émission de 169 Gt éqCO2118. L’arrêt de la déforestation et la prévention de la dégradation des forêts constituent donc l’une des mesures les plus importantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et éliminer une partie du CO2 de l’atmosphère.

Une récente évaluation de plusieurs études a mis en évidence que la réduction du déboisement présentait un potentiel technique d’atténuation du changement climatique compris entre 3,1 et 8,9 Gt CO2 par an et un potentiel économique compris entre 1,6 et 5,6 Gt CO2 (moyenne 3,6 Gt CO2) par an (tableau 4)119. Le potentiel technique correspond à ce qu’il est possible d’obtenir avec les technologies actuelles, indépendamment du coût, tandis que le potentiel économique est le potentiel estimé pour un coût maximum de 100 USD par t éqCO2, qui est considéré comme étant dans la fourchette de ce qui doit être obtenu pour réaliser les objectifs de l’Accord de Paris; le potentiel économique est plus pertinent pour l'élaboration des politiques et des plans nationaux. L’arrêt de la déforestation pourrait donc présenter un potentiel économique important par rapport aux solutions d’atténuation offertes par les autres secteurs120. Parmi les mesures faisant appel aux forêts (réduction de la déforestation tropicale, amélioration de la gestion des forêts à l’échelle mondiale et boisement/reboisement à l’échelle mondiale), la réduction de la déforestation tropicale pourrait représenter les deux tiers de ce potentiel121. D’aucuns ont également suggéré qu’un investissement dans les mesures d’atténuation comparativement moins onéreuses qui font appel aux forêts permettrait de réduire le coût global des solutions nécessaires pour atteindre les cibles liées au climat à l’échelle mondiale et pourrait libérer des fonds susceptibles d’être utilisés pour d’autres mesures d’atténuation122.

Tableau 4POTENTIELS TECHNIQUE ET ÉCONOMIQUE ANNUELS DES PRINCIPALES MESURES D’ATTÉNUATION DU CHANGEMENT CLIMATIQUE À L’ÉCHELLE MONDIALE, 2020-2050

SOURCES: Calculs effectués par la FAO à partir des travaux de Roe et al. (2021); fondés également sur Austin et al. (2020) et Busch et al. (2019).
NOTE: Le potentiel technique d’atténuation correspond au potentiel d’atténuation maximum que l’on peut obtenir grâce aux technologies actuelles tout en répondant aux besoins en aliments et en fibres de l’humanité. Le potentiel économique d’atténuation fait référence au potentiel limité par le prix du carbone, en fonction d’un coût hypothétique de ce dernier pour la société. Il correspond à ce que le grand public est prêt à payer et donne une indication de la faisabilité à court terme de la réduction des émissions et de l’amélioration du piégeage; il est donc plus pertinent pour l’élaboration des politiques et des plans nationaux. D’autres facteurs (politiques, structurels et sociaux, par exemple) influent sur la faisabilité, mais n’ont, à notre connaissance, encore jamais été pris en compte dans les données relatives au potentiel d’atténuation. Les estimations données ici ont été établies à partir des travaux de Roe et al. (2021), qui ont procédé à une analyse au niveau des pays d’estimations récentes en matière de potentiel d’atténuation mondial. Elles sont indicatives et fondées sur des études qui peuvent associer des estimations provenant de plusieurs sources et utiliser des méthodes différentes qui risquent de ne pas se prêter à des comparaisons ou des additions directes. Les chiffres doivent donc être interprétés avec prudence, mais ils donnent une indication de l’ampleur de la contribution du secteur.
SOURCES: Calculs effectués par la FAO à partir des travaux de Roe et al. (2021); fondés également sur Austin et al. (2020) et Busch et al. (2019).
Roe, S., Streck, C., Beach, R., Busch, J., Chapman, M., Daioglou, V., Deppermann, A. et al. 2021. Land-based measures to mitigate climate change: potential and feasibility by country. Global Change Biology, 27(23): 6025-6058. https://doi.org/10.1111/gcb.15873
Austin, K.G., Baker, J.S., Sohngen, B.L., Wade, C.M., Daigneault, A., Ohrel, S.B., Ragnauth, S. et al. 2020. The economic costs of planting, preserving, and managing the world’s forests to mitigate climate change. Nature Communications, 11(1): 5946. https://doi.org/10.1038/s41467-020-19578-z
Busch, J., Engelmann, J., Cook-Patton, S.C., Griscom, B.W., Kroeger, T., Possingham, H. et Shyamsundar, P. 2019. Potential for low-cost carbon dioxide removal through tropical reforestation. Nature Climate Change, 9(6): 463-466. https://doi.org/10.1038/s41558-019-0485-x

Biodiversité. Comme cela a été expliqué de manière détaillée par la FAO (2019), la biodiversité est indispensable à la sécurité alimentaire, au développement durable et à la fourniture de services écosystémiques123. On estime que 75 pour cent des 115 principales cultures alimentaires – qui représentent collectivement 35 pour cent de la production alimentaire mondiale – bénéficient de la pollinisation par des animaux124, qui pour beaucoup vivent dans les forêts. La biodiversité continue toutefois de régresser à l’échelle de la planète, et les mesures prises actuellement ne sont pas suffisantes pour assurer sa conservation et son utilisation durable, pas plus que pour parvenir à un développement durable125. Pour enrayer la perte de biodiversité, il faut une transformation qui permettra de s’attaquer aux causes profondes – à savoir les facteurs économiques, socioculturels, démographiques, politiques, institutionnels et technologiques indirects et interdépendants qui influent sur les facteurs directs126. La déforestation constitue une grave menace pour la biodiversité, car elle conduit à une perte disproportionnée d’aires de répartition d’espèces, ce qui augmente le risque d’extinctions127.

Le renforcement des mesures de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité nécessite des investissements massifs. La protection des forêts, parallèlement à une gestion plus durable, s’inscrit dans le cadre d’une panoplie de solutions. Par exemple, Waldron et al. (2020) indiquent dans leur analyse que le coût de la protection des forêts et des mangroves sur 30 pour cent de la surface terrestre nécessiterait un investissement annuel de 140 milliards d’USD128; bien que considérable, cet investissement ne représenterait qu’un quart environ des subventions publiques actuellement octroyées à l’échelle mondiale pour des activités qui nuisent aux forêts (et par conséquent à la biodiversité) (voir le chapitre 4). Cependant, les débats intergouvernementaux n’ont pas permis de déterminer si un accroissement au niveau mondial des zones forestières protégées serait faisable ou souhaitable compte tenu des arbitrages complexes à opérer.

Services hydrologiques. Des écosystèmes forestiers gérés de manière durable contribuent à réguler les cycles hydrologiques et peuvent réduire les risques de pertes agricoles liés aux sécheresses, à l’érosion des sols, aux glissements de terrain et aux inondations129. La capacité des forêts à fournir des services touchant la qualité de l’eau, ainsi que la quantité et la disponibilité de cette ressource, est étroitement liée aux changements dans l’utilisation des terres et leur gestion ainsi qu’aux échelles spatiales et temporelles auxquelles les interactions entre les forêts et l’eau se produisent. Une analyse de 230 des plus grands bassins versants du monde a montré que ceux qui, en 2015, avaient perdu plus de 50 pour cent de leur couvert arboré initial étaient exposés à un risque moyen à élevé d’érosion (88 pour cent de risque), d’incendies de forêt (68 pour cent) et de stress hydrique (48 pour cent)130. Les forêts situées dans la partie supérieure des bassins versants régulent l’écoulement des eaux et contribuent à la recharge des aquifères et à la conservation des sols. Les bassins versants boisés fournissent les trois quarts de l’eau douce accessible131, notamment les ressources hydriques nécessaires à de nombreuses zones irriguées. La conservation des forêts peut aider à réduire le coût du traitement de l’eau132.

L’investissement dans les forêts pourrait être une mesure d’un bon rapport coût-efficacité pour la gestion de l’eau133, 134. À Mumbai (Inde), par exemple, on a calculé que la turbidité de l’eau augmentait de 8,4 pour cent pour chaque pour cent de perte de couvert forestier, ce qui entraînait une hausse de 1,6 pour cent environ du coût du traitement de l’eau de boisson135. En Zambie, la gestion forestière a permis de réduire la sédimentation dans les lacs artificiels et de réaliser ainsi une économie estimée à un total compris entre 123 millions d’USD et 247 millions d’USD par an (entre 1,2 USD et 2,9 USD par hectare et par an), selon le type de barrage136. La réduction de la sédimentation dans les lacs artificiels accroît en outre la durée de vie, l’utilité et la durabilité des infrastructures; moins de constructions de barrages pourraient donc être nécessaires à l’avenir137, 138, 139.

Catastrophes. Les forêts peuvent atténuer les catastrophes de manière efficace et à bas coût. Les mangroves, par exemple, protègent des biens d’une valeur totale estimée à 65 milliards d’USD ainsi que 15 millions de personnes contre les phénomènes météorologiques extrêmes140. La perte des mangroves existantes pourrait augmenter le nombre de personnes touchées de 28 pour cent, la superficie de terres inondées de 29 pour cent et la valeur totale des biens endommagés de 9 pour cent; les avantages apportés par les mangroves en matière de réduction des risques augmentent généralement avec l’intensité des épisodes d’inondation141.

Maladies infectieuses émergentes. L’analyse de la répartition spatiale des origines des maladies infectieuses émergentes montre que le déboisement comme le reboisement sont corrélés avec un risque plus élevé d’apparition de maladies à l’échelle mondiale. Les zones critiques sont notamment les régions forestières tropicales qui enregistrent des changements rapides d’affectation des terres et une forte croissance démographique, et qui possèdent une grande diversité de mammifères (figure 8)142; ces zones doivent être ciblées dans le cadre des mesures de prévention à la source et des activités de préparation. L’altération des écosystèmes forestiers est, à l’échelle des territoires, l’un des principaux facteurs qui contribuent à l’émergence de maladies143. De manière générale, le risque de maladie augmente dans les situations de transition – conversion de forêts en terres agricoles, ouverture de routes, exploitation minière ou autres activités industrielles. Une étude menée au Sénégal a montré que, chez les humains, les niveaux élevés d’anticorps contre le virus Chikungunya transmis par les moustiques étaient fortement corrélés avec un lieu de résidence proche de zones boisées et d’activités minières (lesquelles impliquent souvent une plus forte présence humaine sur les sites d’extraction, ainsi que des répercussions écologiques)144.

Figure 8Carte des «points critiques» indiquant la répartition estimée du risque d’émergence de zoonoses provenant d’espèces sauvages

SOURCE: Allen, T., Murray, K.A., Zambrana-Torrelio, C., Morse, S.S., Rondinini, C., Di Marco, M., Breit, N. et al. 2017. Global hotspots and correlates of emerging zoonotic diseases. Nature Communications, 8(1): 1124. https://doi.org/10.1038/s41467-017-00923-8
NOTE: Les zones en jaune et en violet sont celles où le risque relatif est respectivement le plus élevé et le plus faible. Des ajustements ont été effectués pour tenir compte des biais de déclaration.
SOURCE: Allen, T., Murray, K.A., Zambrana-Torrelio, C., Morse, S.S., Rondinini, C., Di Marco, M., Breit, N. et al. 2017. Global hotspots and correlates of emerging zoonotic diseases. Nature Communications, 8(1): 1124. https://doi.org/10.1038/s41467-017-00923-8

On constate de plus en plus que la propagation, l’amplification et la prolifération des pathogènes résultent en grande partie d’habitudes de consommation instaurées par la production et le commerce mondialisés, activités qui entraînent un empiétement sur les écosystèmes tropicaux, en particulier sur les régions boisées (pour la production agricole et l’élevage, la production de bois d’œuvre, l’exploitation minière et la production de biens manufacturés)145. Le coût des stratégies mondiales de prévention des pandémies qui reposent sur la diminution des changements d’affectation des terres et du commerce illégal d’espèces sauvages ainsi que sur le renforcement de la surveillance est estimé à un total compris entre 22 milliards d’USD et 31 milliards d’USD, mais il pourrait être inférieur (entre 17,7 milliards d’USD et 26,9 milliards d’USD) si l’on tenait compte des avantages en matière de piégeage du carbone découlant d’une réduction du déboisement146. Ces estimations de coût sont deux fois moins importantes que le coût engendré par une pandémie, à condition que soit mise en place une forte incitation économique à opérer une transformation pour réduire le risque de pandémie147. Il est nécessaire, entre autres, de renforcer la dimension axée sur les écosystèmes forestiers de l’approche «Une seule santé» pour s’attaquer aux facteurs sous-jacents de l’émergence de maladies (encadré 6).

Encadré 6Approche «Une seule santé»

Les avantages apportés par les forêts en matière de santé humaine, ainsi que les besoins des populations, varient selon le contexte, et diffèrent notamment dans les zones rurales et urbaines. L’approche intégrée «Une seule santé» repose sur le constat que la santé des personnes est étroitement liée à celle des animaux et de notre environnement commun; l’objectif est de veiller à ce que les experts, les décideurs publics et les parties prenantes de multiples secteurs collaborent pour faire face aux menaces qui pèsent sur la santé des animaux, des humains, des plantes et de l’environnement. Cette approche est en capacité de réduire les risques de transmission des maladies et d’améliorer la santé et le bien-être des populations, des espèces sauvages, des animaux d’élevage et des écosystèmes. À ce jour, la plupart des activités menées au titre de cette approche ont concerné les secteurs de la santé publique, suivis du secteur vétérinaire. Il est cependant devenu évident qu’il était tout aussi important de s’attacher à la santé des écosystèmes au moyen d’une planification responsable de l’utilisation des terres et d’une collaboration accrue avec les secteurs liés aux forêts et à la vie sauvage et avec les gardiens des ressources naturelles148. Un suivi et une surveillance continus, un partage des données et une prise de décisions fondées sur des éléments probants sont essentiels pour limiter au maximum les effets et ajuster les politiques au fil du temps et en fonction de l’évolution du contexte.

Les avantages que l’on peut tirer de l’arrêt de la déforestation et de la préservation des forêts sont multiples, à l’échelle locale et mondiale ainsi qu’à court et à long terme, à commencer par une contribution potentielle à une relance verte après la pandémie de covid-19. Une grande part de cet objectif peut être réalisée de manière efficace et économique. L’établissement des priorités communes aux objectifs de piégeage du carbone et de protection de la biodiversité, de l’eau et d’autres ressources de valeur permettrait vraisemblablement de repérer d’importants chevauchements, et donc des possibilités d’augmenter le rapport coût-efficacité. Les auteurs d’une étude de ce type ont ainsi estimé que les objectifs situés dans les trois déciles supérieurs permettraient de conserver les deux tiers environ du stock de carbone existant, de l’eau propre et des espèces149.

Les mesures prises par les pouvoirs publics pour mettre un terme à la déforestation comprennent généralement des incitations à préserver les forêts, à résoudre les conflits potentiels au regard des voies de développement, de la sécurité alimentaire et des besoins économiques, et à investir dans des conditions favorisant des décisions qui débouchent sur une utilisation plus efficiente des terres. Nous allons examiner ici quelques-unes des mesures pouvant être utilisées dans le cadre de la solution consistant à mettre un terme à la déforestation.

REDD+. Le cadre de réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement (REDD+) a été mis en place au titre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) pour guider les politiques et les mesures qui visent à diminuer les émissions causées par le déboisement et la dégradation des forêts et à encourager la gestion durable de ces dernières ainsi que la conservation et l’augmentation des stocks de carbone forestier dans les pays en développement, et pour récompenser les résultats de ces politiques et mesures; ce mécanisme pourrait être essentiel pour mettre un terme à la déforestation, atteindre les objectifs climatiques et permettre aux pays de recevoir des paiements liés aux résultats. En s’appuyant sur le cadre REDD+, les pays peuvent remplir et renforcer les engagements qu’ils ont pris au titre de l’Accord de Paris dans leurs contributions déterminées au niveau national (CDN) en matière d’atténuation du changement climatique; de nombreux pays reconnaissent ainsi le potentiel des forêts en matière d’atténuation dans leurs récentes CDN. Les mesures REDD+ peuvent également être associées aux possibilités prévues par l’article 6 de l’Accord de Paris en matière de finance carbone (voir le chapitre 4) et venir compléter les activités menées par les pays dans le cadre de leurs plans nationaux d’adaptation.

Les processus participatifs et le renforcement des capacités inhérents aux activités de préparation et de mise en œuvre REDD+ ont créé les conditions nécessaires pour agir, mais il faut encore porter l’exécution à grande échelle. Au niveau national, une meilleure articulation entre les stratégies REDD+ et les politiques agricoles pourrait être essentielle pour lutter contre les facteurs de la déforestation, qui pour beaucoup sont liés au secteur des produits de base. Lorsque des paiements liés aux résultats sont obtenus au titre du mécanisme REDD+ pour des réductions d’émissions, ils peuvent être investis dans des systèmes agroalimentaires plus favorables aux forêts, ce qui entretient un cycle vertueux entre le développement rural durable et l’action climatique.

Environnement propice à la gestion durable des terres. Les approches intégrées de gouvernance paysagère sont par nature intersectorielles. Leur objectif est de rassembler les partenaires, de donner une direction et de faciliter la prise de mesures au niveau infranational, dans une juridiction ou un territoire donnés150. Ces approches sont complexes et peuvent prendre de nombreuses formes différentes en fonction du contexte local. Cinq composantes principales apparaissent nécessaires au minimum pour permettre une réduction, à l’échelle locale, de la déforestation résultant de l’expansion agricole: 1) partenariats multipartites tissés autour d’un programme commun; 2) activités cohérentes et neutres d’appui technique et de renforcement des capacités; 3) planification intégrée de l’utilisation des terres; 4) systèmes de suivi et d’information communs; et 5) financement de la transformation devant aboutir à des territoires favorables aux forêts151, 152.

Par ailleurs, une collaboration entre les organismes publics et une participation active des parties prenantes, notamment des femmes et des communautés marginalisées, sont nécessaires à la prise en compte des intérêts et des besoins de ces différents groupes dans les plans; des régimes fonciers clairs et sûrs constituent également une base indispensable pour une coordination et un investissement durable à long terme (voir le chapitre 5). Les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer en mettant en place les conditions juridiques et techniques qui permettront aux peuples autochtones, aux communautés locales, aux petits exploitants, aux femmes, aux jeunes et aux autres groupes vulnérables et à leurs organisations sociales locales de gérer de plus vastes territoires.

Renforcement de la gouvernance. Les activités économiques légales, parmi lesquelles la production agricole et l’exploitation forestière, sont vitales pour mettre en place une gestion durable des terres. De surcroît, le renforcement de la planification de l’utilisation des terres et de la gouvernance, ainsi qu’un appui dans le cadre de l’application de la réglementation et des processus de reddition de comptes, peuvent être essentiels pour limiter les corrélations négatives entre l’agriculture et les forêts. Il convient notamment de favoriser des approches innovantes en matière de traçabilité, de responsabilité et de renforcement des capacités dans le contexte des filières agricoles et des filières des produits forestiers ligneux (et non ligneux).

Adaptation au changement climatique. On constate de plus en plus que la disparition et la dégradation des écosystèmes, y compris des forêts, accroît la vulnérabilité des populations face au changement climatique, en particulier dans le cas des peuples autochtones et des communautés locales153. Les services écosystémiques des forêts renforcent la capacité d’adaptation et la résilience des populations et des écosystèmes, notamment par la régulation de l’eau et des températures, la réduction des risques d’inondation, le cycle des nutriments, la pollinisation, l’apport de ressources et les services d’ordre culturel. Une approche de l’adaptation fondée sur les écosystèmes peut permettre de réduire les risques auxquels sont exposés les populations, la biodiversité et les services écosystémiques du fait du changement climatique, mais l’efficacité de ce type d’approche décroît à mesure que s’accroît le réchauffement climatique, et par conséquent il est d’autant plus important de continuer de rechercher des synergies atténuation-adaptation dans l’action climatique. Il est de plus en plus reconnu que les forêts et les arbres ont un rôle à jouer dans l’adaptation des populations au changement climatique et dans le renforcement de la résilience des systèmes agricoles, ainsi que des autres secteurs économiques et de l’infrastructure humaine, et il en est tenu compte de plus en plus dans les plans nationaux d’adaptation154.

L’accroissement de la productivité agricole sur les terres existantes, notamment dans la petite agriculture, est essentiel pour mettre un terme à la déforestation

La compétition pour l’utilisation des terres entre l’agriculture (terres cultivées et pâtures) et les forêts et d’autres écosystèmes naturels est étroitement liée aux caractéristiques techniques des systèmes agroalimentaires, en particulier les rendements et les marchés. La production agricole a plus que triplé entre 1960 et 2015155, tandis que la superficie des terres cultivées n’a augmenté que de 27 pour cent environ sur la même période156. À l’échelle mondiale, seulement 30 pour cent de la superficie des terres arables était nécessaire en 2014 pour produire les mêmes quantités qu’en 1961157, ce qui montre l’incidence importante des gains de productivité sur la limitation de la demande de terres supplémentaires.

Les technologies qui permettent d’augmenter la productivité ont contribué à découpler partiellement l’accroissement de la production agricole de l’expansion agricole, mais elles peuvent également avoir des conséquences imprévues sur l’environnement (dégradation des sols, perte de biodiversité, pollution de l’eau, invasions de ravageurs et émissions de gaz à effet de serre, par exemple) du fait d’une dépendance excessive à l’égard des monocultures, des engrais et des pesticides158. Cela étant, Byerlee et al. (2014) ont constaté que l’intensification pouvait aider à limiter l’expansion des terres cultivées et ralentir la déforestation au niveau local, notamment si elle se fait loin de la lisière des forêts, si elle est induite par les connaissances et les technologies plutôt que par les lois du marché, et si elle est adaptée aux conditions locales, le cas échéante, 159. Une hausse des rendements peut également inciter à continuer de déboiser, car en l’absence de mesures complémentaires destinées à limiter le changement d’affectation des terres forestières, elle augmente le revenu potentiel pouvant être tiré des terres déboisées.

Les augmentations de rendement n’ont pas été identiques dans tous les systèmes de culture et d’élevage ni dans tous les pays. Une progression moindre de la productivité agricole dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne (qui s’explique en partie par les capacités insuffisantes des petits exploitants du fait de leur manque d’accès aux ressources et aux technologies) a fait que des superficies plus importantes ont été consacrées à la production de céréales160, entre autres principales cultures. Dans ces pays, l’augmentation des rendements des grandes cultures et des produits de base161, 162 pourrait être un moyen de réduire la pression exercée sur les forêts. Mosnier et al. (2015) ont mesuré l’incidence sur le déboisement d’une augmentation des rendements des principales cultures au Cameroun et en République démocratique du Congo; ils ont constaté une réduction du déboisement (par rapport à la valeur de référence) de 33 pour cent dans le premier et de 27 pour cent dans le second163, 164.

Les projections de certains scénarios mondiaux établis à partir de modèles d’équilibre partiels indiquent un ralentissement de l’expansion des terres cultivées en 2030 et en 2050 en raison des augmentations de rendement, notamment: une expansion nette à zéro au niveau mondial en 2030 si les rendements des cultures à l’hectare progressent deux fois plus vite que la moyenne historique dans les pays émergents et en développement (2 pour cent par an et 2,3 pour cent par an, respectivement)165; et un ralentissement de 21 pour cent de l’expansion des terres cultivées en 2050 si les rendements augmentent de 20 pour cent par rapport au scénario de référence reposant sur une amélioration de l’adaptation au changement climatique166. Plusieurs études ont montré qu’une augmentation de la productivité des terres cultivées et des élevages extensifs, associée à des politiques (politiques publiques et politiques relatives aux marchés) appropriées, pouvait contribuer à stabiliser la limite de la forêt dans l’Amazonie brésilienne167, 168. Garcia et al. (2017) ont évalué la faisabilité économique et environnementale de l’intensification durable de l’élevagef sur un front de déforestation de l’Amazonie brésilienne; ils ont constaté que la conversion était économiquement viable pour les exploitations agricoles de taille moyenne à large de cette municipalité169. Il est difficile d’évaluer au niveau mondial le coût des mesures à prendre pour atteindre les rendements qui limiteraient l’empiétement sur les forêts; Krause et al. (2013) ont modélisé les incidences économiques d’un scénario où la conservation des forêts aurait priorité sur l’agriculture et ont constaté que les coûts de production augmenteraient de 4 pour cent au maximum, essentiellement du fait des investissements dans la productivité agricole170.

Les éléments scientifiques qui montrent que l’intensification agricoleg peut limiter le déboisement futur sont cependant encore rares171. Des effets de synergie positifs ou des corrélations négatives peuvent être observés, selon la nature de l’intensification, et notamment le marché cible des produits, la distance entre le lieu de mise en œuvre et les fronts de déforestation172, et l’efficacité de la gouvernance foncière.

Ainsi, l'amélioration des techniques de production agricole ne peut certes pas être une solution à elle seule, mais il est néanmoins nécessaire d'investir dans la recherche-développement et dans l'assistance technique, afin d'accroître la productivité du secteur et d'apporter une contribution essentielle, et d’un bon rapport coût-efficacité, à la réduction du déboisement173. Pour être porteur de transformations, le progrès technique doit être incorporé dans des approches intégrées – gouvernance efficace des terres et des forêts, cadre juridique approprié et application des réglementations correspondantes, et mesures complémentaires telles que des systèmes d’aires protégées bénéficiant d’un appui vigoureux et des chaînes de valeur qui répartissent équitablement les avantages et veillent à ce que les producteurs aient un revenu suffisant pour vivre174.

Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à s’engager au «zéro déboisement» dans les chaînes de valeur, mais il faut aller plus loin

De plus en plus d’entreprises prennent des engagements au regard du déboisement, mais les progrès sont trop lents. Des études et des ensembles de données toujours plus nombreux ont montré le lien entre l’expansion des terres agricoles et la déforestation, et se sont accompagnés d’un accroissement de la prise de conscience des acteurs publics et privés et de leur engagement à remédier à cette corrélation négative. Ces dernières années, les pays, les autorités infranationales, la société civile et le secteur privé se sont largement donné l’objectif de réduire, d’arrêter ou d’enrayer les pertes de forêt, par exemple en lançant des initiatives telles que la Déclaration de New York sur les forêts, le Consumer Goods Forum, les Déclarations d’Amsterdam, l’initiative du Secrétaire général de l’ONU visant à inverser le cours de la déforestation et, plus récemment, la Déclaration des dirigeants réunis à Glasgow sur les forêts et l’utilisation des terres. La plupart de ces instruments définissent des objectifs qui visent à découpler la production agricole de la déforestation.

De nombreuses entreprises ont pris des mesures pour assurer la durabilité de leurs chaînes d’approvisionnement175 – codes de conduite, devoir de vigilance, systèmes de certification, exclusion de certains fournisseurs ou de certaines zones d’approvisionnement, systèmes de surveillance spatiale et instruments de traçabilité176, 177. Certaines initiatives ont été lancées pour des produits donnés, comme le Moratoire sur le soja en Amazonie signé en 2006, avec lequel 90 pour cent des entreprises du marché du soja brésilien se sont engagées à éviter d’acheter du soja cultivé sur des zones récemment déboisées dans l’Amazonie brésilienne. Quelque 500 grands détaillants, négociants et transformateurs du secteur alimentaire ont à ce jour défini des directives ou pris des engagements au regard de la réduction du risque de déforestation ou de dégradation des forêts dans leurs chaînes de valeur178. La part de marché des entreprises qui se sont engagées sous une forme ou une autre à ne pas contribuer à la déforestation varie selon les produits; elle va de 12 pour cent pour le soja, les produits de l’élevage et la pâte à papier et le papier à 65 pour cent pour l’huile de palme179.

Des centaines d’entreprises ont recensé les risques commerciaux liés à la déforestation et ont ensuite pris des mesures pour les réduire. D’après les chiffres communiqués par 151 d’entre elles, les conséquences financières de ces risques étaient estimées à 53,1 milliards d’USD, alors que le coût de leur gestion dépassait à peine 6,6 milliards d’USD. Pour 131 de ces entreprises, le fait de veiller à ce que leurs chaînes de valeur ne soient pas associées à la déforestation leur ouvrait des possibilités commerciales évaluées au total à 35,6 milliards d’USD180.

Des initiatives visant à évaluer le risque de déforestation commencent à apparaître. En 2019, par exemple, la CDP181, au nom de ses investisseurs, a demandé à plus de 1 400 entreprises de communiquer des informations à propos de cinq produits de base présentant un risque pour les forêts – bois d’œuvre, huile de palme, produits de l’élevage, caoutchouc et soja – 21 pour cent d’entre elles (300 entreprises) ont répondu à cette requête. Dans le cadre de son initiative relative aux chaînes d’approvisionnement, la CDP, au nom des acheteurs, a également demandé aux entreprises des filières qui présentent un risque élevé pour les forêts de communiquer des données sur l’incidence de leurs activités sur le climat, et quelque 60 pour cent (399 fournisseurs) ont répondu.

Malgré ces actions, les progrès accomplis par les entreprises des chaînes d’approvisionnement qui présentent un risque élevé pour les forêts semblent lents. Une récente évaluation portant sur les 350 entreprises les plus influentes associées à ces chaînes a permis de constater que 252 d’entre elles (72 pour cent) n’avaient pas pris d’engagement au regard du déboisement concernant l’ensemble des produits de base présentant un risque pour les forêts dans leurs chaînes d’approvisionnement, que 117 n’avaient pas pris d’engagement du tout en matière de déboisement et que, pour celles qui en avaient pris, on ne disposait pas de preuve de la mise en œuvre des mesures en question182.

Les participants au Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires, tenu en septembre 2021, se sont penchés sur les moyens de découpler les produits agricoles de la déforestation. Une série d’annonces a été faite à la vingt-sixième Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 26), notamment d’importantes contributions financières (encadré 8; voir également le chapitre 4).

Encadré 7Le programme d’impact du Fonds pour l’environnement mondial sur les systèmes alimentaires, l’utilisation des terres et la restauration

Le but du programme d’impact sur les systèmes alimentaires, l’utilisation des terres et la restauration, lancé en novembre 2021 par le Fonds pour l’environnement mondial, est de réduire les effets négatifs des systèmes de production alimentaire dans le cadre de 27 projets dans différents pays et à l’échelle de huit filières – blé, bœuf, cacao, café, huile de palme, maïs, riz et soja. Les résultats attendus seront obtenus grâce à la mise en place de systèmes durables d’exploitation des terres et d’approvisionnement agroalimentaire, qui permettent d’éviter ou de limiter le déboisement à grande échelle. Tous les projets seront menés dans le cadre d’une approche programmatique comprenant trois composantes: 1) l’élaboration de systèmes de gestion intégrée du territoire; 2) la promotion de pratiques de production alimentaire durables et de filières de produits de base responsables; et 3) la restauration des habitats naturels.

SOURCE: Banque mondiale. 2021. Page d’accueil | Folur. Dans: FOLUR - food, land use, restoration [en ligne]. [Consulté le 31 mars 2022]. https://folur.org/

Encadré 8Le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires de 2021 et le Dialogue sur les forêts, l’agriculture et le commerce des produits de base

Le découplage des produits agricoles et de la déforestation a été examiné lors du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires, tenu en septembre 2021, dans le cadre de la piste d’action no 3 «Stimuler une production respectueuse de la nature»183, qui doit faire l’objet d’un suivi par une coalition en faveur de l’arrêt de la déforestation et de la conversion de terres pour la culture de produits agricoles.

Dans le contexte de la vingt-sixième Conférence des Parties (COP 26) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, 11 pays et donateurs philanthropiques ont annoncé une aide de 1,5 milliard d’USD pour la protection des forêts dans le Bassin du Congo. Vingt-huit pays ont signé la déclaration sur les forêts, l’agriculture et le commerce des produits de base visant à favoriser un commerce durable et une réduction de la pression exercée sur les forêts, notamment par un appui aux petits exploitants et l’amélioration de la transparence des chaînes d’approvisionnement. Dix grandes entreprises privées, représentant plus de la moitié du commerce mondial des principaux produits de base qui mettent en péril les forêts, tels que l’huile de palme et le soja, ont annoncé qu’elles allaient élaborer une feuille de route pour renforcer les mesures dans les chaînes d’approvisionnement avant la COP 27.

Désireux de participer à la dynamique impulsée par le secteur privé en faveur d’une plus grande responsabilité sociale, de plus en plus de pays, dans le monde entier, intègrent le Guide pour des filières agricoles responsables élaboré par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la FAO – une norme mondiale portant sur l’atténuation des risques et le développement dans l’agriculture – à leurs politiques de durabilité des entreprises, en reliant l’investissement, les entreprises, l’agriculture et le développement.

Les pouvoirs publics peuvent apporter une aide essentielle pour mettre un terme à la déforestation, notamment dans le cadre d’approches public-privé

Il est important que le secteur public renforce les effets positifs des initiatives menées par les entreprises pour limiter le déboisement et la dégradation des forêts induits par les chaînes d’approvisionnement. Dans les pays producteurs, les pouvoirs publics peuvent définir des cadres juridiques favorables; diriger la planification de l’utilisation des terres; créer des zones protégées184, 185; veiller à la cohérence des incitations fiscales et des politiques forestières et agricoles; assurer une meilleure application des lois et une surveillance plus étroite; clarifier les droits collectifs des peuples autochtones et des communautés locales, lesquels ont été associés à une meilleure gestion des forêts (voir aussi le chapitre 5)186, 187, 188; appuyer le renforcement des capacités, notamment des petits exploitants et des petites et moyennes entreprises; donner des orientations sur les outils relatifs à la traçabilité et à la chaîne de responsabilité; ajouter des exigences précises aux procédures de passation des marchés publics pour les biens et les services; mettre au point des systèmes d’information fiables et accessibles; et mettre en place des mécanismes adéquats pour éviter que les petites et moyennes entreprises ne perdent leur accès aux marchés du fait d’exigences strictes en matière de réduction du risque de déforestation. Une surveillance et une prise de décisions rigoureuses sont des facteurs qui favorisent une amélioration de la gouvernance et des choix éclairés en matière d’affectation des terres – par exemple l’utilisation d’alertes presque en temps réel sur les déforestations189.

Les initiatives qui utilisent des approches public-privé intégrées pour lutter contre la déforestation et la dégradation des forêts – les engagements «zéro déboisement» pour cinq produits de base en Colombie ou l’initiative Cacao et forêts en Côte d’Ivoire et au Ghana, par exemple – sont de plus en plus nombreuses (encadré 9). Au Brésil, la réduction de plus de 80 pour cent du taux de déboisement enregistrée entre 2004 et 2014 a été attribuée à une combinaison de politiques publiques (application plus rigoureuse de la législation), d’interventions dans les chaînes d’approvisionnement (notamment les engagements pris par les acteurs privés des filières du soja et de l’élevage), et de changements dans les conditions du marché190, 191. Les pouvoirs publics peuvent également agir sur le plan juridique pour prévenir la déforestation induite par certains produits de base. L’Indonésie, par exemple, a décrété un moratoire temporaire (qui est resté en vigueur de septembre 2019 à septembre 2021) sur l’expansion des plantations de palmiers à huile et a mis en place (en 2019) une interdiction permanente du défrichage des forêts primaires et des tourbières – mesure qui concerne à la fois les plantations de palmiers à huile et d’arbres pour la production de bois d’œuvre – sur 66,2 millions d’hectares de ces écosystèmes stratégiques.

Encadré 9Collaboration public-privé pour des chaînes de valeur «zéro déboisement»

Accords «zéro déboisement» en Colombie. Le Gouvernement colombien a intégré dans son plan national de développement 2018-2022 un objectif visant à conclure des accords «zéro déboisement» avec cinq filières agricoles – huile de palme, viande bovine, produits laitiers, café et cacao. Le but est de parvenir à une déforestation brute nulle d’ici à 2025 dans ces filières. Une part déjà importante, et qui augmente toujours, du marché national de ces cinq produits de base est couverte par ces accords – notamment 15 entreprises de production de café dominant 90 pour cent du marché national et six entreprises représentant 85 pour cent du marché du cacao. L’initiative repose sur des plateformes multipartites, qui rassemblent toutes les catégories d’acteurs des filières – pouvoirs publics et autres entités publiques, entreprises de différentes tailles et assumant différents rôles, organisations d’agriculteurs, syndicats professionnels par produit, centres de recherche, organisations non gouvernementales et initiatives internationales – qui participent à cette action collective.

SOURCE: R. Rodriguez, Ministerio de Ambiente y Desarrollo Sostenible, Colombie, communication personnelle, 22 septembre 2021.

Initiative Cacao et forêts. La production de cacao est l’une des plus importantes sources de revenus en Afrique de l’Ouest; quelque 2 millions de petits producteurs dépendent directement de cette culture pour leur subsistance. Le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Ghana fournissent 68 pour cent environ du cacao produit dans le monde, culture qui a cependant entraîné le déboisement de quelque 2,3 millions d’hectares entre 1998 et 2007. Dans ces pays, des partenariats public-privé sont noués afin de porter la production «zéro déboisement» à plus grande échelle et d’augmenter la traçabilité et l’approvisionnement responsable en tirant parti du mécanisme REDD+192. Depuis 2017, les gouvernements ivoirien et ghanéen et 35 entreprises de premier plan du secteur du cacao et du chocolat collaborent pour mettre un terme à la déforestation liée à la production de cacao et pour restaurer les zones boisées; ils se sont notamment engagés à harmoniser leurs actions dans quatre domaines de travail, avec un partage des responsabilités. La Côte d’Ivoire a adopté un système national de suivi satellitaire de la déforestation dans le cadre de l’initiative. Les entreprises du secteur du cacao et du chocolat sont parvenues à une traçabilité de 82 pour cent (Ghana) et 74 pour cent (Côte d’Ivoire) de l’approvisionnement direct en 2020. Quelque 620 000 agriculteurs ont été formés aux bonnes pratiques agricoles – pour «cultiver plus de cacao sur moins de terres» et un «cacao intelligent face au climat» – et des modèles financiers innovants ont été élaborés, notamment pour la rétribution des agriculteurs au titre des services des écosystèmes en Côte d’Ivoire et pour les mécanismes collectifs comme les associations d’épargne et de prêt dans les villages.

SOURCE: Cocoa & Forests Initiative. Non daté. Annual report Cocoa & Forests Initiative 2020. (Disponible à l’adresse https://www.idhsustainabletrade.com/uploaded/2021/05/NUM_ANG_RAPPORT_ICF_VF1.pdf).

Le coût d’opportunité de l’arrêt de la déforestation au regard du revenu agricole est important – d’après une estimation, il serait de près de 800 USD par hectare et par an dans l’Amazonie brésilienne

Le coût d’opportunité de la conservation des forêts au regard du revenu agricole généré à partir de terres déboisées est un facteur essentiel pour évaluer le potentiel des instruments conçus pour ajouter de la valeur aux forêts. Par exemple, grâce aux données des recensements et aux données sur la déforestation disponibles pour les municipalités de l'Amazonie légale, au Brésil, de Figueiredo Silva et al. (2018) ont estimé le prix virtuel de la réduction de la déforestation au regard du manque à gagner à moins 797 USD dans le PIB agricole annuel par hectare de forêt conservée193. L’augmentation de la valeur économique des forêts pour les acteurs locaux peut inciter à mettre un terme au déboisement, parallèlement à une hausse durable de la productivité agricole; par ailleurs, il faudra s’attacher à remédier aux problèmes rencontrés par les petits exploitants pour bénéficier des incitations et augmenter leur productivité. Les mesures d’incitation permettant d’abaisser les coûts d’opportunité pourraient comprendre la rémunération des services écosystémiques194, 195 et des réformes des subventions196. Il faudra veiller à la compatibilité des mesures de stimulation des marchés avec la conservation des forêts et assurer un appui à tous les stades des chaînes d’approvisionnement197, 198. Dans leur analyse, Börner et al. (2020) indiquent que, bien que la protection des terres des peuples autochtones et les mécanismes de rémunération des services écosystémiques aient démontré une efficacité relativement élevée pour la conservation des forêts, le contexte des interventions est important199.

Les données empiriques sur les coûts et les avantages de l’arrêt de la déforestation sont fragmentaires. Dans un examen des travaux publiés, Rakatama et al. ont estimé le coût d’opportunité à 11,13 USD par t éqCO2; les coûts de transaction et de mise en œuvre à 3,39 USD par t éqCO2; et les coûts totaux à 24,87 USD par t éqCO2200. La valeur monétaire estimée des avantages directs était importante – 17,37 USD par t éqCO2 – et donc un argument de poids en faveur de la protection des forêts. Ces estimations varient considérablement dans l’espace et dans le temps et en fonction des conditions socioéconomiques – une hausse de la demande mondiale de produits agricoles, par exemple, augmenterait le coût d’opportunité de la conservation des forêts201. De manière générale, toutefois, le coût de l’arrêt de la déforestation est vraisemblablement moins élevé que celui de la remise en état ultérieure des terres dégradées.

Des incitations supplémentaires pourront être nécessaires. D’après un récent rapport sur les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs fixés dans la Déclaration de New York sur les forêts de 2014, «tous les indicateurs d’évaluation montrent soit que les progrès au regard de l’objectif de mettre un terme aux pertes de forêts et aux émissions de gaz à effet de serre connexes d’ici à 2030 sont insuffisants, soit que l’écart continue de se creuser avec les cibles»202. Le rapport fait état, par exemple, de pertes de forêts primaires tropicales humides bien supérieures aux niveaux enregistrés avant la Déclaration de New York sur les forêts: «une augmentation moyenne des pertes de 41 pour cent chaque année» depuis la signature de la Déclaration203. De nombreuses entreprises prennent des engagements au regard du déboisement, mais les progrès sont trop lents.

Des mécanismes d’incitation à la fourniture de services écosystémiques forestiers, principalement axés sur la séquestration du carbone, voient le jour. Le marché volontaire du carbone forestier est potentiellement important; cependant, malgré l’enthousiasme qu’il a suscité initialement, il progresse lentement. Compte tenu de l’intensification des mesures de décarbonisation des économies à l’échelle mondiale, l’investissement dans le financement de l’action climatique devrait s’élever à 60 000 milliards d’USD à l’horizon 2050 (voir le chapitre 4). Ce contexte devrait offrir des possibilités énormes d’échange de crédits carbone fondés sur les forêts du fait de la hausse attendue de la demande et des prix des crédits de compensation. Les mécanismes REDD+ offrent également aux pays des moyens d’obtenir des financements axés sur les résultats.

Dans certains contextes, le tourisme forestier pourra être une source importante de perspectives économiques et de possibilités d’emploi pour les femmes, les jeunes et les autres groupes vulnérables. L’harmonisation des incitations créées par les politiques et la mise en place d’autres types de soutien pour faire valoir le rôle des forêts pourraient contribuer à mettre un terme à la déforestation; ces mesures sont abordées au chapitre 4.

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