La vulgarisation, les écoles pratiques d’agriculture et les échanges entre pairs peuvent renforcer les capacités locales et l’innovation
Les approches actuelles de l’enseignement forestier font appel à la vulgarisation, aux écoles pratiques d’agriculture, aux échanges entre pairs et aux pépinières d’entreprises505,531; il s’agit de faire en sorte que les petits exploitants, les entreprises forestières locales, les communautés locales, les peuples autochtones et les professionnels du secteur forestier puissent se former et bénéficier d’un appui technique506, 507, 508. Cela dit, dans beaucoup de pays, les services de vulgarisation forestière ont été fragilisés par des contraintes financières, politiques et structurelles. À l’heure actuelle, les programmes de vulgarisation et de développement adoptent souvent des logiques technocentrées axées sur des «pratiques optimales» préalablement sélectionnées qui considèrent les communautés forestières comme des apprenants passifs. De plus, ils associent rarement les agriculteurs et les détenteurs de connaissances locales à l’élaboration des formations, et ne répondent donc pas suffisamment aux besoins ni ne permettent de combler les lacunes de connaissances.
Il est possible de changer ce modèle, de renforcer les connaissances et l’innovation forestières, et d’accroître le rôle des agriculteurs et des peuples autochtones dans la gestion durable des forêts, la prise en compte des arbres dans l’agriculture et le développement des chaînes de valeur et de l’activité économique qui y sont liées509, 510. Pour cela, il faut investir dans le rétablissement des programmes de vulgarisation forestière qui emploient des approches à dimension humaine et visent à coproduire des connaissances et à renforcer les compétences générales511, 512, en ayant recours par exemple aux écoles pratiques d’agriculture (voir l’encadré 35)513. Les méthodes d’apprentissage sur le tas au sein de communautés forestières donnent également des résultats prometteurs, notamment au Brésil514 et en Indonésie515.
Encadré 35Les écoles pratiques d’agriculture dans le secteur des forêts
Depuis plus de 30 ans, les écoles pratiques d’agriculture aident les communautés rurales et les petits exploitants à innover et à acquérir des compétences techniques et sociales par des échanges participatifs de connaissances551. Ces écoles dispensent un enseignement à taille humaine et appliquent des méthodes participatives, notamment des exercices pratiques sur le terrain. Depuis 1989, plus de 20 millions d’agriculteurs dans 119 pays ont reçu une formation dans ces écoles516. Un inventaire des écoles pratiques d’agriculture effectué en 2020-2021 dans le secteur des forêts et de l’agroforesterie a mis en évidence 15 grands programmes dans les régions tropicales, qui ont permis de former plus de 200 000 personnes (la FAO publiera les résultats de l’inventaire en 2022). Ces programmes portent généralement sur les thèmes suivants: lutte intégrée contre les organismes nuisibles dans les cultures de café, de cacao, d’agrumes, de mangues et autres arbres fruitiers, la gestion des plantations, l’utilisation des arbres dans la conservation des sols, la gestion des pâturages et des parcours, la production de bois d’œuvre et de bois de feu, ainsi que l’aménagement des bassins versants et des paysages.
S’inspirant du principe des écoles pratiques d’agriculture, le modèle d’école de gestion agricole a été créé pour aider les petits exploitants agricoles à renforcer le volet commercial de leur activité. On estime que 400 000 exploitants (dont 20 à 40 pour cent de femmes) ont été formés à ce jour. Les écoles de gestion agricole, les écoles de techniques commerciales pour agriculteurs et autres formules se multiplient dans le monde, notamment en Indonésie, aux Philippines et en Thaïlande, où quelque 10 500 petits exploitants ont pu améliorer leurs compétences commerciales et entrepreneuriales517.
De nombreux petits exploitants et membres de communautés locales et de peuples autochtones, ainsi que leurs organisations, tireraient profit d’un soutien accru qui leur permettrait d’innover et d’accéder plus facilement aux chaînes de valeur et aux marchés, notamment au moyen d’outils numériques, de la coopération et des partenariats public-privé. Les restrictions et les fermetures de marchés dues à la pandémie de covid-19 ont démontré l’importance des outils numériques et de la vente en ligne pour les producteurs ruraux518, 519. S’ils sont suffisamment soutenus, notamment sur le renforcement des capacités de gestion financière et organisationnelle, de commercialisation et de conception, et sur les politiques d’achats favorables et l’accès aux systèmes de certification et aux nouveaux marchés, les petits agriculteurs et les petits producteurs peuvent acquérir les compétences, les connaissances et les moyens nécessaires pour surmonter les obstacles rencontrés sur les marchés, créer des entreprises qui soient rentables et s’assurer des moyens d’existence durables. Les partenariats public-privé ont eu des effets positifs sur la production de bois et de produits forestiers non ligneux, sur la conservation des forêts et sur la réduction de la déforestation (voir les exemples dans l’encadré 9).
Les approches qui associent connaissances traditionnelles et scientifiques et nouvelles technologies sont prometteuses, mais des difficultés subsistent
Beaucoup de projets associant connaissances traditionnelles et scientifiques et nouvelles technologies ont très bien réussi (on trouvera un exemple dans l’encadré 36). Néanmoins, des difficultés persistent dans le rapprochement des systèmes de connaissances scientifiques et traditionnelles, notamment le manque d’outils et de méthodes permettant de faire participer les détenteurs de connaissances et de prendre en compte des visions du monde, des identités, des pratiques, des principes moraux et des équilibres de pouvoirs et de droits divergents520. Un rapport récent qui passe en revue les systèmes alimentaires de huit peuples autochtones, notamment sur des territoires forestiers, a constaté, dans tous les lieux étudiés, l’absence totale de programmes de formation qui tiennent compte des valeurs, croyances et traditions autochtones et s’en inspirent521. L’encadré 37 montre qu’un travail considérable sera nécessaire pour concevoir des approches qui intègrent les connaissances traditionnelles dans l’éducation forestière formelle et informelle.
Encadré 36Donner un nouvel élan aux connaissances traditionnelles sur la gestion des feux de végétation en Australie
Les paysages de savane australiens sont activement entretenus depuis des dizaines de milliers d’années par les peuples autochtones, qui, traditionnellement, pratiquent le brûlage. L’objectif du projet West Arnhem Land Fire Abatement, qui a été institué en 2006 et qui couvre plus de 28 000 km2 de terres gérées par les peuples autochtones, est de rétablir ces pratiques coutumières de gestion des incendies afin de réduire les feux de végétation. Dans le cadre de ce projet, un programme de gestion en début de saison sèche a été déployé, qui utilise aussi bien les pratiques coutumières que les instruments modernes tels que l’allumage par voie aérienne, les systèmes d’information géographique et les technologies de télédétection.522 Au cours de ses sept premières années de mise en œuvre, le projet a permis de réduire les émissions de gaz à effet de serre (méthane et oxyde d’azote) de 37,7 pour cent par rapport au niveau de référence des émissions sur les dix années précédentes523. Début 2020, 76 activités de brûlage dans la savane avaient été enregistrées, dont 26 sur des terres autochtones524. La possibilité d’adapter cette stratégie de réduction des émissions a été mise à l’essai dans des savanes d’Afrique australe sujettes aux incendies, au Botswana et au Mozambique, et a donné des résultats prometteurs525.
Encadré 37Donner un nouvel élan à l’enseignement forestier
D’après une évaluation mondiale de l’enseignement forestier formel, réalisée par la FAO, l’Union internationale des instituts de recherches forestières et l’Organisation internationale des bois tropicaux, en 2019-2021, l’enseignement forestier est souvent trop ciblé et insuffisamment financé et les diplômés ne sont pas suffisamment préparés au monde du travail actuel526,527. Il ressort de cette évaluation qu’il faut d’urgence, dans l’ensemble du monde, intéresser les jeunes à l’enseignement forestier et aux carrières forestières, refondre les programmes et en améliorer l’image, intégrer les technologies numériques de communication et d’information, promouvoir les systèmes de savoirs traditionnels liés aux forêts et préparer les étudiants aux métiers de l’économie verte.
Bâtir des économies vertes tournées vers l’avenir, qui font appel aux forêts et aux arbres, suppose des méthodes innovantes de cocréation de connaissances et d’innovation. Il s’agit de créer un lien fécond entre, d’une part, les connaissances et expériences traditionnelles et locales et, d’autre part, les connaissances scientifiques et techniques qui émanent d’autres contextes. Les systèmes et institutions d’enseignement forestier peuvent contribuer à sensibiliser à la nécessité de respecter les droits de propriété intellectuelle lorsqu’on recueille, documente et diffuse des connaissances traditionnelles, et à donner aux communautés les moyens de préserver et de protéger leurs propres connaissances. Ils doivent également favoriser la transmission intergénérationnelle des connaissances, des aînés aux plus jeunes, et reconnaître le rôle des femmes, gardiennes essentielles de nombreuses formes de connaissances traditionnelles528,529.
Des politiques d’appui sont nécessaires pour permettre de créer des programmes d’enseignement sur les forêts, sur la base de partenariats forts, de méthodes participatives et d’une collaboration avec les institutions et les détenteurs de connaissances traditionnelles qui soit fondée sur le respect. L’enseignement forestier doit, à tous les niveaux, être culturellement et écologiquement adapté aux besoins des populations concernées afin de réduire le décalage entre l’acquisition de connaissances et l’application de ces connaissances au niveau local.