Il y a deux façons de mesurer ce que coûtera le fait de ne pas combler à temps le déficit de financement en vue de mettre le monde sur la bonne voie pour atteindre les objectifs 2.1 et 2.2 des ODD. Il n’est pas possible d’estimer ce déficit de manière réaliste et complète, mais les différentes études examinées dans la section précédente indiquent qu’il se chiffrerait en milliers de milliards d’USD entre aujourd’hui et 2030. La première façon de mesurer ce que cela coûtera si on ne comble pas le déficit de financement consiste à estimer le nombre de personnes qui continueront, d’ici à 2030 et au-delà, de souffrir de la faim, de l’insécurité alimentaire, de la malnutrition et de l’inaccessibilité financière d’une alimentation saine, sans compter les répercussions socioéconomiques et sanitaires à moyen et à long terme de cette insécurité alimentaire et de cette malnutrition.
La deuxième façon de mesurer le coût de l’inaction a trait à l’inefficacité, à l’iniquité et au manque de durabilité avec lesquels les financements actuels sont dépensés et alloués. Dans la présente section, il est également fait référence au coût d’opportunité d’une mise en œuvre et d’une allocation inefficaces des fonds publics qui sont importants pour la sécurité alimentaire et la nutrition.
Si l’on ne comble pas le déficit de financement, la faim, l’insécurité alimentaire, la malnutrition et les modes de vie nuisibles à la santé prévaudront et coûteront des milliers de milliards
Le chapitre 2 fournit des éléments d’information éloquents sur ce que le maintien du statu quo signifie pour la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition. Les projections indiquent que si les tendances enregistrées jusqu’à présent se poursuivent, des millions de personnes demeureront sous-alimentées entre maintenant et 2030 (voir le chapitre 2, figure 3). En outre, pour sept cibles mondiales fixées en matière de nutrition, les progrès seront inférieurs à ceux qui sont nécessaires pour atteindre les cibles de 2030, et l’obésité devrait en fait augmenter dans toutes les régions et dans presque tous les groupes d’âge (voir le chapitre 2, figure 8).
Le montant actuel des financements ne suffit pas à assurer la quantité et la qualité des interventions et programmes requis pour éliminer l’insécurité alimentaire aiguë et chronique, qui touchent les personnes qui ont le plus besoin d’une assistance alimentaire. Les études menées par le Programme alimentaire mondial (PAM) montrent que si l’on ne finance pas l’assistance qui doit être portée à ces personnes, ce sont les individus, mais aussi les communautés locales et même les pays donateurs qui en paieront le prix. Au niveau individuel, par exemple, les estimations montrent qu’en moyenne, chaque point de pourcentage de réduction de l’assistance alimentaire fournie par le PAM pourrait faire basculer plus de 400 000 personnes supplémentaires dans des niveaux de faim correspondant à une situation d’urgence36. Il ressort de microsimulations que diviser par deux la valeur des transferts versés à chaque bénéficiaire souffrant d’une faim aiguë dans des pays tels que l’Afghanistan, Haïti, l’Iraq et le Yémen pourrait plonger 7 millions de personnes supplémentaires dans des situations d’urgence ou des situations d’insécurité alimentaire aiguë plus graves, par rapport au chiffre de référence (14 millions de personnes en 2022)36.
En l’absence de financement supplémentaire consacré à l’intensification des programmes et des interventions visant à faire reculer la faim, les personnes touchées adoptent des stratégies de survie préjudiciables, or les conséquences de ces stratégies ne se matérialisent pas nécessairement sur-le-champ. Il est indiqué dans le Rapport mondial sur les crises alimentaires 202437que, pour survivre dans l’immédiat, les personnes touchées ont tendance à sacrifier leur sécurité alimentaire et leurs moyens d’existence futurs en épuisant ou en vendant leurs actifs productifs ou en réduisant leurs dépenses en matière d’éducation, de soins de santé ou d’autres besoins essentiels. Cet état de fait, ainsi que les conséquences sanitaires à long terme de la famine, a motivé, dans plusieurs études citées dans le rapport, un calcul dont il ressort qu’une action précoce permet de réaliser des économies par rapport à une action tardive. Il est également noté dans le rapport que de nombreux décès peuvent survenir avant qu’une situation n’atteigne le niveau de la famine, qui est souvent l’ampleur de l’insécurité alimentaire aiguë qui déclenche l’intensification de l’aide.
On sait que dans les communautés locales, une assistance insuffisante a de grandes chances d’accentuer les tensions sociales, liées par exemple à des conflits pour la terre ou des ressources limitées, et de contribuer à la déstabilisation nationale et régionale38. Dans les situations qui se prolongent sans perspective de retour, de réinstallation ou de vie durable en dehors d’un camp, on a constaté que les réfugiés risquent davantage d’être ciblés et recrutés par des groupes militants et extrémistes39, qui, à leur tour, alimentent des conflits régionaux, voire internationaux, exacerbant encore l’insécurité alimentaire et la malnutrition40. L’inaction humanitaire peut en outre entraîner la perte d’occasions de faciliter le relèvement après un conflit et de consolider la paix, ce qui a pour effet de préparer le terrain à de futurs exodes, comme le constatent certaines études41, 42.
Pour les pays donateurs, le coût financier d’une assistance insuffisante peut être plus élevé que celui d’une assistance suffisante. Cela vaut en particulier pour l’assistance aux personnes déplacées de force, dont le nombre a explosé ces dernières années43, 44, lorsqu’elles atteignent les pays du Nord45. Selon les estimations préliminaires de l’APD, les pays membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE ont consacré 31 milliards d’USD aux réfugiés présents dans les pays donateurs en 2023, soit davantage que les 25,9 milliards d’USD que ces mêmes pays ont consacrés à l’assistance humanitaire46.
Si certaines urgences à court terme nécessitent davantage de financement, notamment pour l’assistance humanitaire, l’absence de financement des mesures visant à remédier une fois pour toutes aux principaux déterminants de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition se traduira par un avenir encore plus sombre pour ce qui est de la probabilité d’atteindre les cibles 2.1 et 2.2 des ODD. Cette inaction entraînera des coûts sociaux, économiques et environnementaux accrus.
Une étude montre que le coût de l’inaction dans la lutte contre le retard de croissance représente chaque année au moins 135 milliards d’USD (entre 0,01 pour cent et 1,2 pour cent du PIB national selon les pays) en perte de chiffre d’affaires, en plus d’une perte de revenu mensuel pour les travailleurs du secteur privé allant de 700 millions d’USD au Proche-Orient et en Afrique du Nord à 16,5 milliards d’USD en Asie de l’Est et dans le Pacifique47. La Commission de l’Union africaine et le PAM ont estimé le coût de la dénutrition infantile (notamment le coût pour les systèmes de santé et d’éducation et la perte de productivité) dans 21 pays d’Afrique à 15,3 milliards d’USD par an en 2025, en supposant que les efforts pour la faire reculer se maintiennent au niveau actuel48.
Dans l’édition 2023 du World Obesity Atlas (Atlas mondial de l’obésité)49, qui est fondée sur une autre étude mondiale50, on estime l’incidence économique mondiale du surpoids et de l’obésité à 3 300 milliards d’USD en 2030 et à 4 300 milliards d'USD en 2035 (en USD constants de 2019). On estime également dans certaines études qu’en l’absence de nouvelles interventions, l’obésité chez les enfants et les adolescents se traduira par des pertes économiques en USD constants de 2020 (du fait de l’augmentation des dépenses de santé et d’une baisse des salaires et de la productivité) de l’ordre de 1 840 milliards d’USD au Mexique51 et de 31 600 milliards d’USD en Chine52, au cours des périodes allant de 2026 à 2090 et de 2025 à 2092, respectivement.
Comme nous l’avons vu au chapitre 2, les pays se heurtent de plus en plus souvent à des problèmes nutritionnels multiples et simultanés, sous la forme d’une coexistence de la dénutrition et du surpoids et de l’obésité. Le double fardeau de la malnutrition a des incidences économiques graves sur les personnes et sur les populations et on constate en outre, ce qui est encore plus inquiétant, que les pays les plus pauvres sont de plus en plus touchés. Contrairement aux années 1990, où l’on observait généralement le double fardeau de la malnutrition dans les pays aux revenus les plus élevés parmi les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, il prédomine aujourd’hui dans les pays les plus pauvres de cette catégorie, en particulier en Asie du Sud et de l’Est et en Afrique subsaharienne. Cela aura probablement des répercussions sur la capacité des pays de réduire la malnutrition sous toutes ses formes. Selon les estimations, la dénutrition, les carences en micronutriments et le surpoids coûtent à l’économie mondiale quelque 3 500 milliards d’USD par an33. Au vu de ces éléments, il est bien évident qu’il faut s’attaquer aux formes multiples de malnutrition. Sans accélération de l’action menée pour combattre simultanément les diverses formes de malnutrition, les pays risquent d’être aux prises à des coûts élevés dus à tout un ensemble de maladies, notamment du fait des interconnexions entre différentes formes de malnutrition tout au long de la vie et d’une génération à l’autre. Le Rapport sur la nutrition mondiale 202134 contient une estimation actualisée dans laquelle il est établi que le montant total des gains économiques pour la société de l’investissement dans la nutrition pourrait être de 5 700 milliards d’USD par an d’ici à 2030 et de 10 500 milliards d’USD par an d’ici à 2050 (en USD constants de 2021)34.
Le coût de certaines politiques et de certaines législations porteuses de transformation et visant à une production meilleure et plus durable pourrait certes s’établir à plusieurs milliards d’USD, un montant qu’il faudra financer, mais ne pas mobiliser ce financement pourrait facilement coûter plusieurs milliers de milliards d’USD. Dans son rapport sur les consultations mondiales, la Food and Land Use Coalition estime que les systèmes alimentaires et les systèmes d’exploitation des terres actuels génèrent un coût sanitaire, nutritionnel et environnemental de 12 000 milliards d’USD par an au niveau mondial aux prix de 2018 (dont 2 700 milliards d’USD dus à l’obésité et 1 800 milliards d’USD dus à la dénutrition), coût qui pourrait atteindre 16 000 milliards d’USD par an d’ici à 2050 si les tendances actuelles en matière de malnutrition, de réchauffement climatique, de dégradation des écosystèmes et de perte de biodiversité se poursuivent53.
L’édition 2020 du présent rapport a démontré que si les modes de consommation alimentaire actuels se poursuivent, les coûts liés à la santé, en termes de mortalité et de maladies non transmissibles, devraient dépasser 1 300 milliards d’USD par an d’ici à 2030. D’autre part, le coût social, lié à l’alimentation, des émissions de gaz à effet de serre associées aux modes de consommation actuels devrait s’élever à plus de 1 700 milliards d’USD par an d’ici à 20307. Une autre étude montre qu’en l’absence d’intervention, combler le déficit de revenu de ceux qui ne peuvent pas se permettre une alimentation saine coûtera 1 400 milliards d'USD par an d’ici à 2030. Les interventions recommandées dans cette étude ramèneraient ce montant à 428 milliards d’USD, mais un financement supplémentaire serait nécessaire pour les financer35.
Dans la Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 202354, on fait le constat, avec un degré de confiance très élevé, en s’appuyant sur des évaluations au niveau national pour 154 pays, que les coûts cachés quantifiés des systèmes agroalimentaires représentent au moins 10 000 milliards d’USD en parité de pouvoir d’achat (PPA) de 2020. Notons qu’il est souligné dans cette étude que les coûts cachés quantifiés qui dominent sont ceux qui ont pour cause des modes d’alimentation qui accentuent le risque de maladie et peuvent conduire à une baisse de productivité de la main-d’œuvre54.
Il ne fait aucun doute que ces éléments mettent en lumière la nécessité urgente de prendre en compte ces coûts cachés dans les décisions visant à transformer les systèmes agroalimentaires avant que les coûts et les financements nécessaires pour y faire face ne deviennent totalement hors de portée des gouvernements. Cela implique de remédier aux problèmes liés aux modes d’alimentation nuisibles à la santé, ce qui nécessitera d’allouer des financements supplémentaires aux politiques, à la législation et aux interventions.
Ne pas améliorer l’exécution et la qualité des dépenses aura également un coût
Même si le financement de la sécurité alimentaire et de la nutrition augmente, il convient de procéder à des changements et de mettre en place des réformes visant à garantir une meilleure exécution et une meilleure qualité des dépenses. Dans de nombreux pays, les gouvernements éprouvent des difficultés à exécuter le budget qu’ils ont financé. D’après une étude menée dans le cadre du programme SAPAA de la FAO, 21 pour cent du budget public consacré à l’alimentation et à l’agriculture n’a pas été dépensé dans 13 pays d’Afrique subsaharienne entre 2004 et 2018, ce qui sape les investissements porteurs de transformations. Outre les préoccupations relatives à la faiblesse de la gestion des finances publiques, les auteurs de l’étude pointent le fait que l’agriculture est une activité saisonnière et que les fonds peuvent être versés au mauvais moment ou à une mauvaise fréquence. De surcroît, en ce qui concerne les traitements des fonctionnaires, qui sont plus prévisibles et plus faciles à mettre en œuvre que les investissements, la part relative des dépenses publiques dans le secteur de l’agriculture est beaucoup plus faible que dans les autres secteurs. La forte dépendance à l’égard des fonds des donateurs, qui sont plus difficiles à mettre en œuvre, est aussi l’une des causes de la faiblesse des taux d’exécution des budgets agricoles. Notons toutefois que les taux d’exécution peuvent varier d’un secteur à l’autre, y compris au sein d’une même infrastructure. Une étude de la Banque mondiale met en évidence des taux d’exécution de 94 pour cent pour les routes contre seulement 75 pour cent pour l’électricité55, et l’on observe en outre des différences de taux d’exécution au sein d’un même pays au fil du temps, y compris sur de courtes périodes, comme le montrent les examens des dépenses publiques de certains pays d’Afriquex.
Il arrive que certains des financements disponibles ne soient pas utilisés de la manière la plus performante, la plus équitable ni la plus écologiquement viable dans les pays, quel que soit le groupe de revenu auxquels ils appartiennent. On dépense des milliards d’USD pour financer des politiques et des subventions publiques mal conçues, et qui sont sources de distorsions, qui non seulement ciblent les producteurs de manière inéquitable, mais nuisent aux efforts déployés dans la réalisation de l’ODD 2 au lieu de les soutenir et sont à l’origine de certains des coûts cachés évoqués plus haut. En 2021, la FAO, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ont estimé que si les tendances passées se poursuivent, le montant total du soutien aux producteurs agricoles dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure atteindrait 1 300 milliards d’USD en 2030; sur ce montant, 1 000 milliards d’USD seraient utilisés pour apporter un soutien via des mesures aux frontières (visant principalement les droits de douane) et 276 milliards d’USD serviraient à financer des subventions (pour les intrants et la production)57.
Au-delà des milliards d’USD actuellement consacrés au soutien à l’alimentation et à l’agriculture, le fait de ne pas revoir la répartition de certaines de ces ressources afin d’obtenir de meilleurs résultats pour les populations, pour l’économie et pour la planète représente également un coût d’opportunité considérable. Ce coût d’opportunité peut lui-même être important s’agissant de réduire le déficit de financement en vue d’atteindre les objectifs 2.1 et 2.2 des ODD. Dans l’édition 2022 du présent rapport2, on a analysé plusieurs scénarios de réorientation d’une partie du soutien à l’alimentation et à l’agriculture, qui a représenté près de 630 milliards d’USD par an en moyenne sur la période 2013-2018. On a montré qu’en réorientant une partie de ce soutien dans le but d’accroître les disponibilités en aliments nutritifs proposés aux consommateurs, il était possible de rendre l’alimentation saine moins coûteuse et plus abordable, dans l’ensemble du monde et dans les pays à revenu intermédiaire en particulier. Les scénarios ont mis en évidence les bienfaits en matière de croissance du PIB, de réduction de la pauvreté et de baisse des émissions de gaz à effet de serre que l’on pouvait attendre d’une réorientation au niveau mondial. Une étude similaire réalisée par la Banque mondiale et l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires pour 79 pays (dont des États membres de l’OCDE) a révélé que la majeure partie des transferts aux producteurs sont effectués moyennant des mesures qui, selon l’OCDE, sont susceptibles de créer le plus de distorsions, et que leur montant s’est élevé à 456 milliards d’USD par an entre 2016 et 2018. Dans un scénario où une partie de ce soutien est réorienté en faveur d’une hausse des dépenses dans l’innovation verte, cette même étude montre que d’ici à 2040, le revenu réel mondial augmenterait de 1,6 pour cent, tandis que l’extrême pauvreté, le coût d’une alimentation saine et les émissions globales dues à l’agriculture diminueraient respectivement de 1 pour cent, 18 pour cent et 40 pour cent par rapport à une projection de type «maintien du statu quo»58. Il ne fait aucun doute que la réorientation d’une partie du soutien mondial à l’alimentation et à l’agriculture est une mesure importante pour l’amélioration des résultats en matière de sécurité alimentaire et de nutrition, qui contribuerait à réduire le financement nécessaire pour la réalisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD.
Dans la pratique cependant, les gouvernements des pays à faible revenu, mais aussi peut-être de certains pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, n’apportent pas de soutien notable à l’alimentation et à l’agriculture en raison de contraintes budgétaires. C’est la raison pour laquelle, dans une nouvelle étude de la FAO, élaborée à l’appui du présent rapport, on évalue ce qui se passerait si le budget limité alloué aux secteurs de l’agriculture et de l’élevage était réparti de manière optimale entre les mesures de soutien (subventions, investissements, services) et les produits de base, sans modification du budget, dans six pays d’Afrique subsaharienne59. Les résultats sont éloquents: les gouvernements de ces pays laisseront s’échapper la possibilité d’accroître la production agroalimentaire, de créer des milliers d’emplois non agricoles dans les zones rurales et de permettre à des millions de personnes de sortir de la pauvreté et d’accéder à une alimentation saine s’ils n’optimisent pas les allocations budgétaires dans les secteurs de l’agriculture et de l’élevage (encadré 11). Tirer parti de cette possibilité aidera ces pays à revoir leurs besoins de financement à la baisse s’agissant d’atteindre les cibles 2.1 et 2.2 des ODD. Si l’optimisation des politiques aura des effets en premier lieu dans les pays à faible revenu, mais aussi dans les pays à revenu intermédiaire, il ressort des données que la baisse du rendement marginal des dépenses publiques supplémentaires au fil du temps accroît les coûts marginaux de la réalisation des objectifs de développement27; l’optimisation des dépenses publiques doit donc être une mesure récurrente de l’élaboration des politiques.
ENCADRÉ 11COÛT D’OPPORTUNITÉ DE LA NON-RÉORIENTATION DES ALLOCATIONS BUDGÉTAIRES DANS LES SECTEURS DE L’AGRICULTURE ET DE L’ÉLEVAGE DANS SIX PAYS D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE
L’édition 2022 du présent rapport2 comporte une analyse de ce qui se passerait si les dépenses publiques consacrées à différentes mesures de soutien (services de vulgarisation, subventions aux engrais, investissements dans l’irrigation, investissements dans la mécanisation, investissements dans l’électrification rurale, investissements dans les routes rurales, recherche-développement [R-D] et subventions aux semences) et aux produits de base dans les secteurs de l’agriculture et de l’élevage étaient réallouées en faveur de la poursuite de quatre objectifs: augmenter au maximum le produit intérieur brut (PIB) agroalimentaire; développer autant que possible l’emploi rural non agricole; réduire autant que faire se peut la pauvreté rurale; réduire au maximum le coût des aliments nutritifs qui constituent une alimentation saine à moindre coût. La réallocation est optimale car, compte tenu d’un ensemble de préférences, on obtient le meilleur résultat possible pour les quatre objectifs sous réserve d’un ensemble de contraintes économiques. Fondé sur un outil innovant de modélisation de l’optimisation des politiques et des données pour l’Éthiopie, ce scénario d’optimisation a été comparé à un scénario de maintien du statu quo dans lequel le budget alloué aux mesures de soutien et aux produits de base ne connaîtrait aucun changement. Les résultats montrent qu’une réallocation optimale du budget en 2025 permettrait au Gouvernement éthiopien de stimuler la production agroalimentaire, de créer des milliers d’emplois non agricoles dans les zones rurales, de sortir des milliers de personnes de la pauvreté et de faire en sorte que des millions d’Éthiopiens supplémentaires puissent se permettre une alimentation saine – sans qu’il en résulte des dépenses budgétaires supplémentaires60.
Dans la présente édition du rapport, l’analyse a été mise à jour pour l’Éthiopie et étendue au Burkina Faso, au Ghana, au Mozambique, au Nigéria et à l’Ouganda59. Les gains potentiels liés à l’optimisation des allocations budgétaires ne sont pas estimés uniquement pour 2025, mais également de manière cumulative jusqu’en 2030.
Les résultats montrent que dans ces six pays, compte tenu des différences d’efficacité, de couverture et de coût unitaire des différentes mesures de soutien, pour aider efficacement les gouvernements à atteindre les quatre objectifs, la répartition des allocations budgétaires devait être revue de manières très différentes (voir la figure A). On constate, par exemple, qu’entre 2025 et 2030, plusieurs pays devraient réduire le montant moyen de leurs dépenses dans le secteur de l’irrigation (Ghana, Éthiopie, Nigéria et Ouganda) ou dans celui des subventions aux semences (Burkina Faso et Ghana), tandis que d’autres pays, voire les mêmes dans certains cas, devraient accroître le montant de leurs dépenses en ce qui concerne les subventions aux semences (Éthiopie et Mozambique), la mécanisation (Burkina Faso, Ghana et Nigéria) ou les services de vulgarisation (Burkina Faso, Ghana, Nigéria et Ouganda). Notons que si les services de vulgarisation doivent être prioritaires dans certains pays, dans d’autres, au contraire, il faudrait que ces services deviennent les moins prioritaires et il faudrait financer plus d’intrants et construire plus de routes rurales (Mozambique). Plus les réallocations budgétaires requises sont importantes (par exemple au Burkina Faso et au Nigéria), plus les pays sont loin de l’allocation budgétaire optimale. Comme le montre l’étude59, les écarts dans l’effort de réallocation sont encore plus grands d’un pays à l’autre en ce qui concerne les produits de base , mais pour simplifier l’analyse nous ne nous y intéressons pas ici.
FIGURE A RÉALLOCATION OPTIMALE DES DÉPENSES PUBLIQUES CONSACRÉES AUX MESURES DE SOUTIEN À L’AGRICULTURE ET À L’ÉLEVAGE, AUX FINS D’AUGMENTER LE PIB AGROALIMENTAIRE ET L’EMPLOI RURAL NON AGRICOLE ET DE RÉDUIRE LA PAUVRETÉ RURALE ET LE COÛT D’UNE ALIMENTATION SAINE (2025-2030)
Les réallocations budgétaires optimales, quelle que soit leur ampleur dans chaque pays, peuvent avoir pour effet d’augmenter considérablement la valeur de l’argent public. Au niveau des pays, les gains d’efficacité dans la production agroalimentaire seraient notables, des milliers d’emplois ruraux non agricoles seraient créés, des milliers de personnes sortiraient de la pauvreté et des millions d’autres pourraient accéder à une alimentation saine (tableau A). Il importe de noter que même si l’un des objectifs est de réduire la pauvreté rurale, les gains à l’échelle de l’ensemble de l’économie iraient au-delà des gains obtenus dans les zones rurales. En effet, comme cela est expliqué dans l’étude, des milliers de personnes sortiraient également de la pauvreté dans les zones urbaines39. Des gains seraient constatés dès 2025, la première année d’optimisation budgétaire, mais ils s’accumuleraient également de manière impressionnante au fil du temps jusqu’en 2030, sauf en Ouganda où les réallocations budgétaires requises seraient les plus modestes, car c’est le pays où le budget actuel affecté à l’agriculture et à l’élevage semble le plus proche de l’allocation optimale. En 2030, le PIB agricole serait supérieur de 8 pour cent (Burkina Faso et Ghana) voire de 11 pour cent (Nigéria) à celui de 2025. Si l’on fait la somme des six pays, d’ici à 2030, près de 1 million d’emplois non agricoles seraient créés dans les zones rurales, 2,8 millions de personnes sortiraient de la pauvreté et 16 millions de personnes supplémentaires pourraient se permettre une alimentation saine à moindre coût, tout cela à budget constant. Autrement dit, la non-réorientation optimale du budget alloué aux secteurs de l’agriculture et de l’élevage dans ces six pays d’Afrique subsaharienne aurait un coût considérable.