Le recul enregistré dans la réalisation des objectifs de développement durables (ODD), et les niveaux toujours élevés de la faim, de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition constatés ces dernières années font que le monde n’est plus en voie d’atteindre les cibles 2.1 et 2.2 des ODD – éliminer la faim, l’insécurité alimentaire et toutes les formes de malnutrition d’ici à 2030. Les précédentes éditions du présent rapport ont alerté à maintes reprises sur l’intensification de plusieurs grands facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition, en particulier les conflits, la variabilité et les extrêmes climatiques, et les ralentissements et fléchissements économiques, à quoi s’ajoutent des causes sous-jacentes tenaces qui contribuent à l’insécurité alimentaire et à la malnutrition, notamment une alimentation saine inaccessible et inabordable, des environnements alimentaires néfastes pour la santé, et des inégalités élevées et persistantes. Non seulement ces principaux facteurs croissent en fréquence et en intensité, mais en outre ils coexistent plus souvent et s’ajoutent aux causes sous-jacentes, ce qui se traduit par une augmentation du nombre de personnes qui connaissent la faim et l’insécurité alimentaire. Il faudra disposer, en fonction du principal facteur ou de l’ensemble de facteurs ayant une incidence sur la sécurité alimentaire et la nutrition dans un pays, d’un portefeuille de politiques couvrant six voies de transformation, comme on l’explique en détail dans l’édition 2021 de L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde.

Pour pouvoir à agir à l’échelle voulue, des financements d’un montant suffisant et l’égalité d’accès au financement seront indispensables afin de relever le défi de la sécurité alimentaire et de la nutrition. L’édition de cette année examine la question du financement aux fins de la réalisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD – c’est-à-dire des financements pour éliminer la faim, l’insécurité alimentaire et toutes les formes de malnutrition.

LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA NUTRITION DANS LE MONDE

Indicateurs de la sécurité alimentaire: dernières données en date et progrès vers l’élimination de la faim et l’instauration de la sécurité alimentaire

L’évaluation de la faim dans le monde en 2023 – mesurée par la prévalence de la sous-alimentation (indicateur 2.1.1 des ODD) – révèle une absence constante de progrès au regard de l’objectif d’élimination de la faim. Après avoir fortement augmenté entre 2019 et 2021, la proportion de la population mondiale souffrant de la faim est demeurée pratiquement inchangée pendant trois années consécutives, les dernières estimations indiquant une prévalence de la sous-alimentation de 9,1 pour cent en 2023. On estime qu’entre 713 millions et 757 millions de personnes, soit respectivement 8,9 pour cent et 9,4 pour cent de la population mondiale, ont souffert de la faim en 2023. Si l’on considère le milieu de la fourchette (733 millions), cela représente quelque 152 millions de personnes de plus en 2023 qu’en 2019.

L’Afrique est la région qui présente le plus fort pourcentage de population touchée par la faim – 20,4 pour cent, contre 8,1 pour cent en Asie, 6,2 pour cent en Amérique latine et dans les Caraïbes et 7,3 pour cent en Océanie. Toutefois, l’Asie compte toujours le plus grand nombre de personnes qui souffrent de la faim, à savoir 384,5 millions, soit plus de la moitié de la population confrontée à la faim dans le monde. En Afrique, 298,4 millions de personnes pourraient avoir connu la faim en 2023, contre 41,0 millions en Amérique latine et dans les Caraïbes et 3,3 millions en Océanie. La prévalence de la sous-alimentation suit une nette tendance à la hausse en Afrique, tandis qu’elle reste relativement stable en Asie et que des progrès sont observés en Amérique latine et dans les Caraïbes. Dans toutes les régions, elle demeure à un niveau supérieur à celui enregistré avant la pandémie de covid-19.

Les projections actualisées indiquent que 582 millions de personnes seront en situation de sous-alimentation chronique en 2030, ce qui souligne l’immense défi que représente la cible 2.1 des ODD, qui vise l’élimination de la faim. Ce chiffre est supérieur de 130 millions environ à celui établi dans un scénario qui reflétait l’économie mondiale telle qu’elle était avant la pandémie de covid-19. D’ici à 2030, 53 pour cent de la population mondiale souffrant de la faim sera concentrée en Afrique.

Outre la faim, la prévalence mondiale de l’insécurité alimentaire modérée ou grave (indicateur 2.1.2 des ODD) demeure à un niveau bien supérieur à celui enregistré avant la pandémie de covid-19. Elle a peu évolué au cours des quatre dernières années, après avoir enregistré une forte augmentation de 2019 à 2020, durant la pandémie. On estime qu’en 2023, l’insécurité alimentaire modérée ou grave touchait 28,9 pour cent de la population mondiale, ce qui signifie que 2,33 milliards de personnes n’avaient pas accès à une nourriture adéquate de manière régulière. Ces estimations comprennent les 10,7 pour cent de la population qui ont été en proie à une insécurité alimentaire grave – soit plus de 864 millions de personnes qui ont épuisé leurs réserves alimentaires à certains moments dans l’année ou, dans les pires cas, n’ont rien eu à manger pendant un ou plusieurs jours. La prévalence de l’insécurité alimentaire grave à l’échelle mondiale est passée de 9,1 pour cent en 2019 à 10,6 pour cent en 2020, et reste irréductiblement à ce niveau depuis.

La prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou grave en Afrique (58,0 pour cent) représente près du double de la moyenne mondiale, tandis qu’en Amérique latine et dans les Caraïbes, en Asie et en Océanie, elle est plus proche de cette dernière – 28,2, 24,8 et 26,8 pour cent, respectivement.

L’un des principes directeurs de la vision exposée dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 (Programme 2030) est de veiller à ce que personne ne soit laissé de côté. Des informations plus détaillées sur l’insécurité alimentaire de différents groupes de population facilitent le suivi des progrès accomplis vers la concrétisation de cette vision. Les résultats pour 2023 montrent que l’insécurité alimentaire tend à diminuer à l’échelle mondiale à mesure que le niveau d’urbanisation augmente. La prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou grave atteignait 31,9 pour cent dans les zones rurales, contre 29,9 pour cent dans les zones périurbaines et 25,5 pour cent dans les zones urbaines. Une comparaison entre les sexes montre que la prévalence de l’insécurité alimentaire est systématiquement plus élevée chez les femmes que chez les hommes, à l’échelle mondiale et dans toutes les régions, depuis 2015 (année depuis laquelle on dispose de données), mais que l’écart s’est réduit dans la plupart des régions au cours des deux dernières années.

Coût et accessibilité économique d’une alimentation saine

L’indicateur du coût d’une alimentation saine (CoHD) fournit une estimation au niveau national du coût de l’alimentation saine la moins chère possible dans un pays, définie comme étant composée d’une variété d’aliments disponibles localement qui répondent aux besoins énergétiques et nutritionnels. Cet indicateur est ensuite comparé à la répartition du revenu national pour estimer la prévalence de l’inaccessibilité économique et le nombre de personnes ne pouvant se permettre une alimentation saine. Dans la présente édition du rapport, les indicateurs ont été actualisés jusqu’en 2022a. De nouvelles données sur les prix des produits alimentaires et des améliorations méthodologiques ont permis d’établir des estimations actualisées du CoHD et des estimations plus précises de son accessibilité économique, à partir desquelles les séries des deux ensembles d’indicateurs ont été révisées dans leur totalité.

Le CoHD augmente à l’échelle mondiale depuis 2017 (année à partir de laquelle la FAO a commencé à communiquer des estimations); la hausse s’est poursuivie en 2022, et a porté la valeur moyenne de l’indicateur à 3,96 USD par personne et par jour en parité de pouvoir d’achat (PPA). On assiste à une envolée du CoHD moyen au niveau mondial, l’augmentation de 6 pour cent entre 2020 et 2021 ayant été suivie d’une hausse de 11 pour cent en 2022.

Une comparaison du CoHD entre les régions en 2022 place l’Amérique latine et les Caraïbes en première position (4,56 USD en PPA); viennent ensuite l’Asie (4,20 USD en PPA), l’Afrique (3,74 USD en PPA), l’Amérique du Nord et l’Europe (3,57 USD en PPA) et l’Océanie (3,46 USD en PPA).

Malgré l’augmentation du CoHD, le nombre de personnes dans le monde n’ayant pas les moyens de s’alimenter sainement a diminué pendant deux années consécutives, de 2020 à 2022. À l’échelle mondiale, on estime à 35,4 pour cent (soit 2,83 milliards) la proportion de personnes qui ne pouvaient se permettre une alimentation saine en 2022, contre 36,4 pour cent (2,88 milliards) en 2021.

La reprise a cependant été inégale selon les régions. Le nombre de personnes ne pouvant se permettre une alimentation saine est passé sous le niveau enregistré avant la pandémie en Asie ainsi qu’en Amérique du Nord et en Europe, tandis qu’il a fortement augmenté en Afrique, où il s’est établi à 924,8 millions en 2022, soit une hausse de 24,6 millions par rapport à 2021 et de 73,4 millions par rapport à 2019. Une comparaison entre les groupes de pays classés par niveau de revenu montre une trajectoire de reprise plus lente pour les pays à faible revenu, où une alimentation saine était hors de portée pour 503,2 millions de personnes en 2022 – soit le chiffre le plus élevé depuis 2017.

L’absence d’amélioration de la sécurité alimentaire et les progrès inégaux dans l’accès économique à une alimentation saine font planer une ombre sur la possibilité d’éliminer la faim dans le monde, alors que six années seulement nous séparent de l’horizon 2030. Il convient d’accélérer la transformation de nos systèmes agroalimentaires afin de renforcer leur résilience face aux principaux facteurs et de remédier aux inégalités, pour faire en sorte que des aliments sains soient disponibles et abordables pour tous.

Situation en matière de nutrition: progrès accomplis au regard des cibles mondiales

Les tendances qui se dégagent pour les sept cibles mondiales relatives à la nutrition ne montrent pratiquement aucun progrès sur le plan de l’insuffisance pondérale à la naissance, dont la prévalence est passée de 15 pour cent en 2012 à 14,7 pour cent en 2020. D’après les projections, 14,2 pour cent des nouveau-nés en 2030 auront un poids insuffisant à la naissance, alors que la cible à cet horizon était une réduction de 30 pour cent à l’échelle mondiale.

Des progrès ont été accomplis s’agissant de l’augmentation du taux d’allaitement maternel exclusif des nourrissons de moins de 6 mois, lequel est passé de 37,1 pour cent en 2012 à 48 pour cent en 2022. Toutefois, le monde n’est pas sur la bonne voie pour atteindre la cible de 70 pour cent en 2030.

Chez les enfants de moins de 5 ans, la prévalence du retard de croissance au niveau mondial a diminué, passant de 26,3 pour cent en 2012 à 22,3 pour cent en 2022. Les projections font apparaître que 19,5 pour cent encore des enfants de moins de 5 ans présenteront un retard de croissance en 2030. Le taux mondial de prévalence de l’émaciation a baissé, de 7,5 pour cent en 2012 à 6,8 pour cent en 2022. Cependant, avec un taux de 6,2 pour cent en 2030 (plus du double de la cible mondiale de 3 pour cent) d’après les projections, le monde n’est pas sur la bonne voie pour cet indicateur. La prévalence de l’excès pondéral a stagné; elle était de 5,6 pour cent au niveau mondial en 2022. D’ici à 2030, 5,7 pour cent des enfants de moins de 5 ans devraient être en surpoids, soit près du double de la cible mondiale fixée à 3 pour cent pour 2030.

À l’échelle mondiale, la prévalence de l’anémie chez les femmes âgées de 15 à 49 ans est passée de 28,5 pour cent en 2012 à 29,9 pour cent en 2019, et devrait atteindre 32,3 pour cent d’ici à 2030, un résultat très éloigné de la cible de réduction de 50 pour cent d’ici à 2030.

Les nouvelles estimations de la prévalence de l’obésité chez l’adulte font apparaître une augmentation constante au cours des 10 dernières années; de 12,1 pour cent en 2012 on est passé à 15,8 pour cent en 2022. Le monde n’est pas sur la bonne voie pour atteindre la cible mondiale fixée pour 2030, à savoir enrayer l’augmentation, étant donné que l’on s’attend à ce que 1,2 milliard d’adultes soient obèses en 2030.

Pour la plus grande partie des sept cibles mondiales du Programme 2030 relatives à la nutrition, on compte moins de pays sur la bonne voie que de pays en retard.

Par rapport aux estimations à l’échelle mondiale, les pays les moins avancés enregistrent des taux bien supérieurs de retard de croissance chez l’enfant de moins de 5 ans et d’anémie chez les femmes âgées de 15 à 49 ans, et la même hausse inquiétante de l’obésité chez l’adulte.

Le double fardeau de la malnutrition – coexistence de la dénutrition avec l’excès pondéral et l’obésité – s’est intensifié dans tous les groupes d’âge. La maigreur et l’insuffisance pondérale ont reculé au cours des deux dernières décennies, tandis que l’obésité a fortement augmenté. Des mesures «à double usage» permettront de s’attaquer tout à la fois à la dénutrition, à l’excès pondéral et à l’obésité, en agissant sur les facteurs qui sont communs à toutes les formes de malnutrition.

UNE NOUVELLE DÉFINITION DU FINANCEMENT AU SERVICE DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET DE LA NUTRITION

Il existe tout un éventail d’estimations du coût de la réalisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD. En revanche, nous n’avons pas, à l’heure actuelle, une image claire du montant total des ressources financières consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition et de leur ventilation, ni du coût de la réalisation des cibles 2.1 et 2.2, en partie parce qu’il n’y a pas de définition convenue du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition. En l’absence de définition standard, il ne sera pas possible d’évaluer correctement les niveaux et déficits actuels de financement de la sécurité alimentaire et de la nutrition.

Définir et mesurer le financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition: un exercice difficile

À l’heure actuelle, plusieurs définitions différentes du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition sont appliquées. Il en résulte des écarts prononcés entre les différentes estimations du niveau de financement. Par exemple, même dans le cas de l’aide publique au développement (APD), pour laquelle on dispose des moyens d’évaluation les plus avancés grâce à un système de suivi mondial et une base de données commune standardisée, il n’y a pas de définition normalisée du financement à l’appui de la sécurité alimentaire et de la nutrition, ni de jauge pour le mesurer. Ce vide se traduit par des estimations extrêmement diverses des montants dépensés, de leur destination et de leur efficacité, et nuit à l’analyse des tendances et des résultats, alors qu’on en a besoin pour évaluer le degré de réalisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD.

S’y retrouver dans ce qui constitue le financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition est une gageure. Cet exercice pose en effet de multiples difficultés, non seulement s’agissant de déterminer les niveaux actuels de financement consacrés à la sécurité alimentaire et à la nutrition, mais aussi pour ce qui est de repérer les domaines en déficit de financement, de vérifier que les institutions s’acquittent correctement de leur obligation de rendre compte, et de déterminer l’impact des interventions financées.

La sécurité alimentaire et la nutrition sont des notions multidimensionnelles complexes qui ne s’intègrent pas nettement dans des cadres définis par secteur. Les interventions visant la sécurité alimentaire et la nutrition couvrent tout un éventail de secteurs et leur mise en œuvre revêt, entre autres, des dimensions économiques, sanitaires, sociales et environnementales. Or, les flux de financement et les budgets sont généralement définis et classés par secteur et, à l’intérieur de chaque secteur, par affectation. Passer d’un système de classification basé sur les secteurs à une mesure basée sur les résultats soulève des questions complexes en ce qui concerne la contribution à la sécurité alimentaire et aux résultats nutritionnels de ressources fondées sur les secteurs.

Aujourd’hui, la sécurité alimentaire et la nutrition sont comprises de manière plus globale, et l’on saisit toute leur interconnexion, malgré le manque de consensus sur la portée des interventions qui contribuent à la sécurité alimentaire et à la nutrition. Une alimentation saine et l’état de santé sont des déterminants importants de l’état nutritionnel, mais tout un ensemble de facteurs liés à la sécurité alimentaire (disponibilité et accessibilité économique d’une alimentation nutritive, par exemple), de pratiques (alimentation et modes d’alimentation, soins, souci de la santé, par exemple) et de services (eau propre, services de santé, éducation, protection sociale, par exemple) jouent sur la capacité des individus de jouir de la santé et d’une alimentation saine et sur les mécanismes pour y parvenir. Cependant, à ce jour, peu de tentatives ont été faites pour inclure cet ensemble d’interventions dans une mesure globale du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition.

On notera que les définitions actuelles n’incluent pas le financement des interventions plus spécifiquement conçues pour répondre aux principaux facteurs de la faim, de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition mis en évidence dans les précédentes éditions du présent rapport – à savoir les conflits, la variabilité et les extrêmes climatiques et les ralentissements et fléchissements économiques, conjugués à des causes structurelles sous-jacentes: accès insuffisant à des aliments nutritifs, inaccessibilité financière de ceux-ci, environnements alimentaires néfastes pour la santé, et inégalités élevées et qui persistent.

Une nouvelle définition du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition

Le financement est le processus qui consiste à fournir des fonds au secteur public ou au secteur privé aux fins d’activités économiques, d’achats ou d’investissements. Les ressources financières peuvent être apportées par l’une ou l’autre des quatre sources suivantes, ou par plusieurs d’entre elles: i) financements publics intérieurs; ii) financements publics étrangers; iii) financements privés intérieurs; iv) financements privés étrangers. Chacune de ces sources peut fournir des fonds au moyen de divers instruments financiers, en vue de financer des interventions à court ou à long terme, à des conditions commerciales ou aidées (prêts à des taux inférieurs à ceux du marché ou dons, par exemple).

La nouvelle définition du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition présentée ici se décline en une définition de base et une définition élargie. La définition de base inclut les flux de financement à l’appui des efforts déployés pour agir sur les principaux déterminants de la sécurité alimentaire et de la nutrition. La définition élargie part de cette base et inclut les flux de financements qui contribuent à agir sur les principaux facteurs et les causes structurelles sous-jacentes de la hausse récente de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition.

Le financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition désigne le processus qui consiste à fournir ou à obtenir des ressources financières en vue de faire en sorte que tous, à tout moment, aient un accès stable, physique, social et économique, à des aliments sûrs et nutritifs, en quantité suffisante pour répondre à leurs besoins et préférences alimentaires — afin de mener une vie active et saine et d’adopter des pratiques de préparation et de manipulation des aliments, d’alimentation, de soins et de santé adaptées — et aient accès à des services de santé, d’approvisionnement en eau et d’assainissement, pour leur assurer de manière constante un état nutritionnel adéquat. Il couvre par ailleurs les dépenses et investissements visant à faire en sorte que tous les individus soient protégés contre l’instabilité à court et à long terme en matière de sécurité alimentaire et de nutrition, instabilité causée par divers facteurs climatiques, économiques, sociaux, commerciaux et politiques. Le financement englobe donc toutes les interventions s’inscrivant dans les six voies de transformation destinées à renforcer la résilience des systèmes agroalimentaires face aux principaux facteurs à l’origine de la faim, de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition – à savoir les conflits, la variabilité et les extrêmes climatiques, et les ralentissements et fléchissements économiques – et à remédier aux causes structurelles sous-jacentes: l’accès insuffisant à des aliments nutritifs, la faible accessibilité financière de ces aliments, des environnements alimentaires néfastes pour la santé, et des inégalités élevées et persistantes.

Si l’on veut créer un cadre permettant d’accroître le financement et d’améliorer son ciblage, il est impératif de bien comprendre les principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition, et dans quels pays ils sont à l’œuvre. Ces 10 dernières années, les conflits, les extrêmes climatiques et les fléchissements économiques ont gagné en fréquence et en intensité, portant atteinte à la sécurité alimentaire et à la nutrition partout dans le monde. De plus, les fortes inégalités de revenu exacerbent les effets de ces facteurs.

Si chacun de ces facteurs est unique, les interactions entre eux sont fréquentes et ont des effets multiples et conjugués qui se répercutent à travers les systèmes agroalimentaires au détriment de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Toutes les dimensions de la sécurité alimentaire risquent alors d’être menacées (disponibilités alimentaires, accès, utilisation et stabilité), de même que d’autres déterminants de la nutrition, en particulier les pratiques (soins, alimentation, souci de la santé et répartition des ressources au sein du ménage, par exemple), les services de santé et l’hygiène de l’environnement (vaccination, eau et assainissement, accès aux services de santé, et disponibilité et accessibilité économique des services de santé). Ce phénomène est corroboré par le fait qu’on a constaté qu’il y a association entre la présence de ces facteurs et les indicateurs de la sécurité alimentaire et de la nutrition.

Constat alarmant, la majorité des pays à revenu faible ou intermédiaire sont touchés par au moins un des principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition, et lorsque plusieurs facteurs sont à l’œuvre, leurs effets conjugués entraînent les hausses les plus marquées de la faim et de l’insécurité alimentaire.

Passer de la définition du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition à une application de la définition pour mesurer les niveaux de financement exige de comprendre comment les flux de financement sont répertoriés et de quelle manière il en est rendu compte, et de mettre au point des lignes directrices en vue de faire correspondre ces flux à la définition. Pour les besoins du présent rapport, une première cartographie et une ébauche de lignes directrices ont été élaborées et appliquées afin de parvenir à des estimations partielles du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition et de ses mécanismes.

Les données qui permettent d’appliquer la nouvelle définition n’existent que pour certains flux de financement; il n’est donc pas possible de faire un véritable inventaire des financements disponibles, et encore moins de calculer le déficit de financement à combler pour réaliser les cibles 2.1 et 2.2 des ODD. Les sources de données et les méthodes doivent donc être améliorées, afin que l’on dispose de meilleures données à l’appui de décisions fondées sur des données factuelles en matière de financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Le présent rapport appelle aussi à l’adoption universelle et à l’usage transparent d’une approche normalisée pour la mise en œuvre de la nouvelle définition, sa cartographie et son application aux données financières.

NIVEAUX ET DÉFICITS ACTUELS DE FINANCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LA FAIM, L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA MALNUTRITION

En majorité, les données disponibles permettent seulement de mesurer les flux de dépenses publiques, l’aide publique au développement (APD) et les autres apports du secteur public (AASP). Les flux de financement privés sont généralement plus difficiles à mesurer.

Quel que soit le montant exact des financements nécessaires pour atteindre les cibles 2.1 et 2.2 des ODD, le coût de la non-mobilisation de ces financements peut être élevé et préjudiciable.

Suivi des niveaux actuels de financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition

Les dépenses publiques intérieures générales consacrées à l’agriculture, par habitant des zones rurales, ont à peine évolué entre 2010 et 2021 dans les pays à faible revenu et n’ont connu qu’une très légère augmentation dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure durant les dernières années de la période. Dans ces deux groupes de pays, les dépenses publiques consacrées à l’agriculture n’étaient que de 8 et 37 USD respectivement, par habitant des zones rurales, en moyenne, au cours de la période 2010-2019. Elles étaient beaucoup plus élevées dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et dans les pays à revenu élevé et n’ont augmenté de manière systématique que dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure.

On ne dispose pas de données sur les dépenses publiques pour tous les pays, ce qui permettrait d’appliquer la définition de base et la définition élargie de la notion de financement de la sécurité alimentaire et de la nutrition.

Dans deux pays, le Bénin et l’Ouganda, l’un à revenu intermédiaire, l’autre à faible revenu, les dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition semblent avoir augmenté. En moyenne, sur les périodes analysées, 65 pour cent des dépenses publiques totales consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition au Bénin et 73 pour cent en Ouganda ont été allouées à la consommation alimentaire et à l’état de santé; la part restante a été consacrée à la lutte contre les principaux facteurs qui sont à l’origine de la récente recrudescence de la faim, de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition.

Les dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition augmentent également, en valeur absolue, dans huit autres pays à revenu intermédiaire. La part des dépenses publiques liées à la sécurité alimentaire et à la nutrition qui est consacrée à la lutte contre les principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition tend à être en moyenne plus élevée pour ces pays à revenu intermédiaire.

Les flux mondiaux d’APD et d’AASP visant la sécurité alimentaire et la nutrition s’élevaient à 77 milliards d’USD en 2021, l’aide publique au développement constituant la majorité de ces flux. La part allouée à la sécurité alimentaire et à la nutrition tous secteurs d’aide confondus n’a même pas atteint le quart de ces flux sur la période 2017-2021.

La composition des flux d’APD et d’AASP au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition est, dans l’ensemble, très stable dans le temps et, en 2021, la plupart des ressources étaient orientées vers la consommation alimentaire (35 milliards d’USD sur 77 milliards), tandis qu’un montant moindre allait à la lutte contre les principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition (27 milliards d’USD), et un montant encore moindre à l’état de santé (15 milliards d’USD).

Sur la période 2017-2021, les flux d’APD et d’AASP se sont élevés en moyenne à 30 USD par habitant dans les pays à faible revenu, contre 10 USD dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et 8 USD dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Entre 2017 et 2021, l’APD et les AASP au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition ont beaucoup plus augmenté pour l’Afrique, toutes régions confondues, et pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, tous niveaux de revenu confondus.

Les financements privés non commerciaux et les financements privés commerciaux sont regroupés sous le terme «secteur privé».

Les flux philanthropiques orientés vers la sécurité alimentaire et la nutrition se sont élevés à seulement 4 milliards d’USD par an en moyenne entre 2017 et 2021, principalement à l’appui de la consommation alimentaire et de la santé. Les envois de fonds transfrontières sont estimés à 735 milliards d’USD en moyenne sur la période 2017-2022 (aux prix courants). Près de la moitié de ces flux sont allés à des utilisations susceptibles de contribuer à la sécurité alimentaire et à la nutrition. La majeure partie de cette somme a été consacrée à la consommation alimentaire, plutôt qu’à des investissements dans l’agriculture et autres activités liées aux systèmes alimentaires.

Selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, entre 2017 et 2022, les investissements étrangers directs classés dans la catégorie «alimentation et agriculture» se sont élevés en moyenne à 19 milliards d’USD. Les auteurs de l’édition 2023 du rapport State of Blended Finance estiment qu’en moyenne, sur la période 2020-2022, 26 pour cent des transactions de financement mixte, soit 1,2 milliard d’USD par an, étaient «alignées» sur l’ODD 2. Le montant net des prêts bancaires représente en moyenne 10 milliards d’USD sur 2017-2021, et enregistre une baisse quasi continue sur la période.

Le coût des politiques et des interventions visant à éliminer la faim et la malnutrition d’ici à 2030

Du fait du manque de données, on a souvent recours à des modèles économétriques pour estimer les investissements supplémentaires nécessaires, essentiellement pour faire reculer la faim, mais aussi pour répondre aux préoccupations en matière de nutrition.

Les études fournissent différentes estimations des coûts. Les conclusions indiquent que les politiques et les interventions qui permettraient d’atteindre les cibles 2.1 et 2.2 des ODD nécessiteraient d’ici à 2030 176 milliards à 3 975 milliards d’USD de ressources supplémentaires pour éliminer la sous-alimentation, et 90 milliards d’USD de ressources supplémentaires pour atteindre certains des objectifs mondiaux liés à la dénutrition. Les estimations grimpent en flèche jusqu’à atteindre 15 400 milliards d’USD si l’on ajoute le type de politiques porteuses de transformations qu’il faudrait financer afin de rendre plus abordable une alimentation saine pour des millions de personnes tout en continuant de faire reculer la sous-alimentation.

Le coût de l’inaction ou de la lenteur de l’action

Si l’on ne comble pas le déficit de financement, des millions de personnes continueront, d’ici à 2030 et au-delà, de souffrir de la faim, de l’insécurité alimentaire, de la malnutrition et de l’inaccessibilité financière d’une alimentation saine, ce qui aura des répercussions socioéconomiques et sanitaires à moyen et à long terme.

L’insécurité alimentaire aiguë et chronique touche les personnes qui ont le plus besoin d’une assistance alimentaire. Ne pas financer cette assistance aura des conséquences négatives pour les individus, les communautés locales et les pays donateurs. En outre, ne pas financer les mesures de lutte contre les facteurs structurels de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition se traduira par des coûts sociaux, économiques et environnementaux accrus.

Le double fardeau de la malnutrition a des incidences économiques lourdes sur les personnes et sur les populations et on constate que les pays les plus pauvres sont de plus en plus touchés par ce double fardeau à un niveau élevé.

Les politiques porteuses de transformations coûtent certes des milliards d’USD, mais le coût de leur non-financement atteindrait facilement des milliers de milliards d’USD. Dans son rapport sur les consultations mondiales, la Food and Land Use Coalition estime que les systèmes alimentaires et les systèmes d’exploitation des terres actuels génèrent un coût sanitaire, nutritionnel et environnemental de 12 000 milliards d’USD par an au niveau mondial, aux prix de 2018. L’édition 2020 du présent rapport a démontré que si les modes de consommation alimentaire actuels se poursuivent, les coûts liés à la santé, en termes de mortalité et de maladies non transmissibles, devraient dépasser 1 300 milliards d’USD par an d’ici à 2030. La Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2023 fait le constat que les coûts cachés quantifiés des systèmes agroalimentaires représentent, au niveau mondial, au moins 10 000 milliards d’USD, et les coûts cachés quantifiés qui dominent sont ceux qui ont pour cause des modes d’alimentation qui accroissent le risque de maladie et peuvent conduire à une baisse de la productivité de la main-d’œuvre.

Dans de nombreux pays, les gouvernements éprouvent des difficultés à exécuter le budget qu’ils ont financé. Certains des financements disponibles peuvent ne pas être utilisés de la manière la plus performante, la plus équitable ni la plus écologiquement viable.

L’édition 2022 du présent rapport montre qu’il est possible de rendre l’alimentation saine moins coûteuse et plus abordable, dans le monde en général et dans les pays à revenu intermédiaire en particulier, en réorientant une partie du soutien à l’alimentation et à l’agriculture, laquelle a représenté près de 630 milliards d’USD par an en moyenne sur la période 2013-2018.

Les auteurs d’une étude réalisée pour six pays d’Afrique subsaharienne constatent que les gouvernements de ces pays laisseront s’échapper la possibilité d’accroître la production agroalimentaire, de créer des milliers d’emplois non agricoles dans les zones rurales et de permettre à des millions de personnes de sortir de la pauvreté et d’accéder à une alimentation saine s’ils n’optimisent pas les allocations budgétaires dans les secteurs de l’agriculture et de l’élevage.

QUELLES SOLUTIONS POUR MOBILISER DES FINANCEMENTS ÉVOLUTIFS À MÊME DE COMBLER LE DÉFICIT DE FINANCEMENT?

Accroître les flux financiers en faveur de la sécurité alimentaire et de la nutrition

Soixante-trois pour cent des pays à revenu faible ou intermédiaire analysés (119 au total) ont une capacité d’accès au financement limitée ou modérée, et une minorité (37 pour cent) a une capacité d’accès élevée. La prévalence de la sous-alimentation est en moyenne beaucoup plus élevée dans les pays ayant une capacité d’accès au financement limitée (23,1 pour cent) que dans les pays ayant une capacité modérée (10,4 pour cent) ou élevée (6,9 pour cent). On observe une tendance analogue pour le retard de croissance chez l’enfant de moins de 5 ans, même si, pour cet indicateur, les taux moyens relevés sont beaucoup plus proches entre pays ayant un accès limité et ceux ayant un accès modéré au financement (23,9 et 20,9 pour cent respectivement).

Cependant, 74 pour cent de l’ensemble des pays analysés sont touchés par un ou plusieurs facteurs principaux de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition. Dans ce groupe, 66 pour cent ont une capacité d’accès au financement limitée ou modérée (la plupart, 42 pour cent, ayant une capacité d’accès limitée). La proportion élevée de pays touchés par au moins un facteur principal plaide en faveur de l’intégration des objectifs de sécurité alimentaire et de nutrition dans le financement d’autres secteurs, pour lesquels la priorité n’est pas forcément d’atteindre les cibles 2.1 et 2.2 des ODD.

Cependant, dans la plupart des cas, les pays qui sont le plus dans le besoin (en termes de niveaux de faim et d’insécurité alimentaire et d’exposition à leurs principaux facteurs) souffrent de handicaps structurels qui les empêchent d’allouer davantage de financements aux solutions en faveur de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Même si, d’un point de vue formel, tous les pays ont théoriquement accès à la plupart des options de financement existantes, leur capacité d’accès dépend du niveau de risque financier perçu et des coûts associés. L’ensemble des acteurs financiers, et en particulier les acteurs privés à vocation commerciale, ont une aversion manifeste au risque qui est pratiquement incompatible avec un engagement dans des pays présentant un risque financier élevé.

Par conséquent, les pays ayant une capacité d’accès au financement limitée ne peuvent compter que sur les dons ou les prêts à taux d’intérêt faible ou nul accordés au titre des flux de financement internationaux pour le développement (tels que l’APD). En effet, ils n’ont pas forcément d’autres instruments financiers à disposition – ou, plus précisément, les acteurs financiers ne sont pas nécessairement disposés à les en faire bénéficier en raison de leur profil de risque financier élevé.

La mobilisation des recettes fiscales nationales est une option plus envisageable pour les pays ayant une capacité d’accès au financement modérée. Le revenu est un important déterminant de la hausse potentielle des recettes fiscales (plus le produit intérieur brut par habitant est élevé, plus le potentiel fiscal est important), aux côtés d’autres facteurs tels que la composition des économies nationales et la part de l’économie formelle dans celles-ci, ainsi que les mécanismes institutionnels et les mécanismes de gouvernance.

À mesure que le risque financier diminue, les flux de financement disponibles pour les pays augmentent. Les pays qui disposent d’une capacité d’accès élevée ont recours à des investissements sous forme de prise de participation, à des prêts à taux commercial et à des placements obligataires, effectués dans le cadre des flux financiers privés tels que les investissements d’entreprises, des systèmes bancaires et des marchés de capitaux. Dans leur cas, il est beaucoup moins nécessaire que les donateurs et le secteur public interviennent pour réduire les risques.

Approches et outils de financement innovants permettant de combler le déficit de financement pour les cibles 2.1 et 2.2

Si les subventions et les prêts à taux d’intérêt faible ou nul font incontestablement partie des instruments de financement concessionnels les plus classiques, ils peuvent être conçus de manière plus novatrice et combinés avec des initiatives de réduction des risques visant à accroître les flux de financement privé, dans le cadre de stratégies de financement mixte. Les dons et les prêts mis en œuvre conjointement avec une assistance technique peuvent être optimisés pour lever les principaux obstacles à l’accès aux flux de financement privés – à savoir la «bancabilité» insuffisante des projets et le manque de préparation opérationnelle à l’accession au financement – que rencontrent souvent les initiatives en matière de sécurité alimentaire et de nutrition.

Le financement mixte est un outil qui réduit les risques pour les investisseurs privés, et qui est utilisé lorsque le risque perçu par les investisseurs est élevé. Il permet ainsi aux investisseurs privés de supporter un risque plus important, et d’accepter un retour sur investissement à plus long terme. Lorsqu’il existe un avantage substantiel à retirer sur le plan du développement, en particulier, des acteurs tels que les gouvernements et les donateurs peuvent recourir au financement mixte pour mobiliser les flux de financement nécessaires à la concrétisation de cet avantage. L’objectif est qu’à terme, la perception du risque diminue grâce au soutien initial fourni par les capitaux plus tolérants au risque, et que les financements commerciaux puissent alors prendre le relai des dons ou des financements assortis de conditions de faveur, qui auront joué un rôle crucial et exercé un effet catalyseur lors de la phase initiale.

Les obligations vertes, sociales, durables et liées au développement durable sont des instruments d’emprunt qui peuvent être émis par les autorités publiques, les banques multilatérales de développement, les banques commerciales ou les entreprises locales. Elles sont liées à des objectifs de développement et peuvent constituer des instruments de ciblage des financements particulièrement pertinents pour les pays touchés par certains des principaux facteurs d’insécurité alimentaire et de malnutrition, tels que les extrêmes climatiques et/ou les fléchissements économiques.

Même si les instruments innovants décrits ci-dessus laissent entrevoir la possibilité d’accroître les financements en faveur de la sécurité alimentaire et de la nutrition, il existe, dans les pays, des groupes de population qui sont confrontés de longue date à des obstacles importants en matière d’accès aux services financiers.

En renforçant l’accès des femmes aux services financiers, on contribuerait non seulement à leur autonomisation sociale et économique, mais aussi à l’amélioration des moyens d’existence des familles et des communautés, et on obtiendrait de meilleurs résultats sur les plans de la sécurité alimentaire et de la nutrition. D’un point de vue macroéconomique, l’inclusion des femmes exercerait une influence générale positive sur la croissance économique et, par ce biais, pourrait rendre les pays plus résilients en cas de ralentissement ou de fléchissement économique.

On s’accorde largement à reconnaître que les peuples autochtones sont des partenaires clés de la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris, du Cadre mondial de la biodiversité et du Programme 2030, or les stratégies de financement associées ne reflètent pas nécessairement leur rôle essentiel. L’inaccessibilité des services financiers peut également entraver la contribution potentielle des petits exploitants agricoles et des petites et moyennes entreprises agroalimentaires à la sécurité alimentaire et à la nutrition, par exemple en limitant leur aptitude à proposer des aliments sûrs et nutritifs. Alors même qu’ils jouent un rôle crucial dans les systèmes agroalimentaires, ils sont souvent laissés pour compte, car face aux risques de change les investisseurs hésitent à accorder des financements en monnaie locale aux producteurs tournés vers les marchés de proximité, et préfèrent traiter avec des producteurs davantage tournés vers l’exportation.

Comment améliorer l’alignement et les synergies entre les différentes sources de financement?

En son état actuel, l’architecture du financement au service de la sécurité alimentaire et la nutrition est très fragmentée: l’absence de consensus sur ce qu’il y a lieu de financer et les objectifs différents poursuivis par les parties prenantes ont entraîné une prolifération d’acteurs, qui bien souvent outrepassent les limites de leur mandat au lieu de collaborer les uns avec les autres. Il en résulte une situation où coexistent une multitude de petites initiatives d’aide non coordonnées, menées principalement par des donateurs bilatéraux.

Il faut encourager les grands, les moyens et les petits intervenants à se concerter davantage, car les donateurs de grande envergure ne se coordonnent pas ou ne cofinancent pas nécessairement les activités menées par d’autres acteurs mineurs, n’étant pas incités à agir dans ce sens. Il est en outre essentiel que les donateurs et les fondations philanthropiques alignent leurs priorités de dépenses sur les priorités des pays: l’architecture actuelle étant massivement dominée par les pays à revenu élevé et les grands organismes de développement, les priorités des pays et des communautés bénéficiaires n’entrent pas toujours en ligne de compte.

Pour renforcer la coordination, il faudrait à l’évidence des gouvernements nationaux plus forts et plus solides; or, ceux-ci sont confrontés à des défis multiples. Les questions d’économie politique et le manque de prévisibilité des décisions gouvernementales peuvent avoir une incidence sur la capacité de mettre en cohérence les sources de financement et les priorités du pays, et instiller chez les investisseurs privés le sentiment d’un risque plus élevé. La capacité d’absorption et l’efficacité technique des dépenses sont des éléments importants, mais la qualité de la gouvernance et la solidité des institutions nationales sont aussi des conditions nécessaires.

Enfin, le manque de données, de transparence et de responsabilisation est une autre caractéristique importante du paysage financier actuel, qui accroît la perception du risque financier. Le fait de rendre les données financières plus fiables et plus largement accessibles peut renforcer l’argumentaire en faveur d’interventions portant sur la sécurité alimentaire et la nutrition, comme c’est déjà le cas dans des domaines tels que l’agriculture de régénération.

Avant même d’apporter des changements structurels à l’architecture du financement pour la sécurité alimentaire et la nutrition, il sera essentiel, pour accroître les financements à ce titre, de faire de la réalisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD une priorité de l’action internationale. L’adoption d’une optique centrée sur la sécurité alimentaire et la nutrition, la prise en compte de sa nature intersectorielle et la mise en exergue des avantages que peuvent procurer, à court et à long terme, les investissements dans des domaines tels que la nutrition sont des conditions essentielles à une réforme efficace de l’architecture du financement pour la sécurité alimentaire et la nutrition.

L’expression «sécurité alimentaire et nutrition» est utilisée pour souligner l’importance de la réalisation des quatre dimensions de la sécurité alimentaire et son lien étroit avec la réalisation de la sécurité nutritionnelle, ainsi que la nécessité de prendre des mesures complémentaires à l’appui de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Néanmoins, il pourrait être judicieux de considérer l’objectif général d’accession à la «sécurité alimentaire et nutritionnelle» comme un objectif de politique publique unique et indivisible.

Pour parvenir à une coordination efficace, une étape essentielle consiste à mettre aux commandes les acteurs nationaux et locaux et leurs priorités. Toutefois, cette tâche n’est pas toujours aisée, pour un ensemble de raisons: déséquilibres de pouvoir et de capacités entre les acteurs, manque de coordination entre les donateurs au niveau mondial, qui limite le soutien apporté aux efforts de coordination au niveau national, et manque de données, qui limite les possibilités de construire un argumentaire en faveur d’une réorientation des priorités des donateurs, entre autres difficultés.

En plus du renforcement de la coordination, il faudrait que les acteurs financiers s’efforcent de contribuer davantage à l’augmentation des financements en faveur de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Les partenaires de développement tels que les donateurs, y compris les institutions financières internationales, les banques multilatérales de développement et les institutions de financement du développement, devraient assurer un rôle de chef de file dans les activités de réduction des risques, par exemple en augmentant l’allocation de fonds d’APD destinés à mobiliser l’investissement privé, par le biais de financements mixtes ou d’autres instruments financiers.

La question de la participation du secteur privé à l’amélioration de l’architecture du financement pour la sécurité alimentaire et la nutrition reste ouverte. Les acteurs privés doivent intégrer les risques sanitaires, environnementaux et sociaux dans leurs décisions financières, de manière à détourner les flux financiers des investissements potentiellement nocifs et à les orienter vers d’autres investissements contribuant à des résultats sanitaires, environnementaux et sociaux positifs.

Les gouvernements des pays peuvent mobiliser davantage les ressources fiscales nationales, augmenter les dépenses des secteurs prioritaires en faveur de la sécurité alimentaire et de la nutrition et envisager de réorienter l’appui aux politiques. Les pays qui disposent déjà d’une capacité d’accès au financement relativement élevée doivent durcir les contrôles sur les paradis fiscaux et le blanchiment d’argent, qui bien souvent facilitent l’évasion fiscale dans les pays ayant un accès limité au financement.

Enfin, pour combler les lacunes en matière d’informations, la communauté internationale devra prendre des mesures audacieuses, faute de quoi l’on ne pourra pas produire d’estimations et de projections réalistes sur la probabilité d’atteindre les objectifs de développement.

LA VOIE À SUIVRE

Pour l’essentiel, le niveau de la faim et de l’insécurité alimentaire dans le monde n’a pas évolué depuis deux ans, mais on note cependant des progrès encourageants dans de nombreuses sous-régions. En ce qui concerne la nutrition, les tendances à la hausse de l’obésité chez l’adulte et de l’anémie chez les femmes de 15 à 49 ans sont inquiétantes, mais d’un autre côté, dans de nombreux pays, le nombre d’enfants souffrant de retard de croissance ou d’émaciation a diminué, donnant à ces enfants une chance accrue d’atteindre leur plein potentiel de croissance et de développement. C’est à la réalisation de ce potentiel que nous devons travailler: la possibilité d’un changement positif et de la concrétisation pleine et entière du droit à une alimentation adéquate et à un niveau de vie qui garantisse la dignité, la santé et le bien-être de tous, et en particulier des générations futures.

L’absence d’une définition commune ou normalisée permettant de mesurer les financements visant la sécurité alimentaire et la nutrition est un grave problème. Il est en effet difficile, sinon impossible, de gérer ce qu’on ne peut mesurer convenablement. Dans le cas du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition, il n’est pas possible de mesurer convenablement le montant actuel du financement visant à la réalisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD, ni le déficit de financement, et encore moins de suivre l’avancée ou le recul de l’effort de financement.

Le présent rapport représente une avancée importante du fait qu’il propose une définition du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition et donne des indications détaillées pour appliquer cette définition. C’est un pas très important; cependant, le rapport fait crûment apparaître qu’à l’heure actuelle le manque de données financières et la manière dont celles-ci sont structurées font qu’il est difficile d’appliquer la nouvelle définition aux flux de financement publics et privés disponibles au niveau mondial pour la sécurité alimentaire et la nutrition. Autrement dit, à cause de sérieuses limitations dans les données, il n’est pas possible d’arriver à mesurer à l’échelle mondiale les financements actuellement disponibles aux fins de la sécurité alimentaire et de la nutrition, ni le déficit de financement qu’il faudrait combler pour soutenir l’effort vers la concrétisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD. Combler le déficit de financement doit figurer en tête des priorités, et le présent rapport constitue un appel puissant pour qu’une action urgente soit menée à cet égard, au niveau national et au niveau mondial, dans le cadre du programme d’action mondial pour la réalisation des ODD.

L’objectif de l’élimination de la faim, de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition sous toutes ses formes est par ailleurs, et inutilement, en concurrence avec bien d’autres objectifs de développement. Étant donné le caractère complexe et multisectoriel de la sécurité alimentaire et de la nutrition, le financement doit passer d’une approche cloisonnée à une approche plus globale qui verra les parties prenantes considérer la sécurité alimentaire et la nutrition comme un objectif à intégrer dans l’ensemble de leurs flux de financement et de leurs investissements.

Souhaitons que les appels à l’action contenus dans le présent rapport soient entendus lors des débats sur le développement durable et le financement au Sommet de l’avenir, qui aura lieu en septembre 2024, et dans le cadre de tous les prochains débats mondiaux sur les ODD, y compris les processus politiques de la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement, qui se tiendra en juin et juillet 2025. Un monde libéré de la faim, de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition est un monde qui mérite d’être sauvé, et un monde qu’il vaut la peine de financer et dans lequel il vaut la peine d’investir.

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