MESSAGES CLÉS
  • Il est urgent de trouver des solutions innovantes, plus inclusives et équitables pour accroître les financements au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans les pays confrontés à des niveaux de faim, d’insécurité alimentaire ou de malnutrition élevés et à des obstacles importants en matière d’accès à des flux de financement abordables. Seule une minorité (37 pour cent) des 119 pays à revenu faible ou intermédiaire examinés dispose d’un large éventail de solutions de financement.
  • Les niveaux de prévalence de la sous-alimentation et du retard de croissance chez l’enfant de moins de 5 ans sont en général beaucoup plus élevés dans les pays ayant une capacité d’accès au financement limitée. D’un autre côté, la prévalence du surpoids chez l’enfant de moins de 5 ans est plus élevée dans les pays qui disposent d’une capacité d’accès au financement supérieure.
  • Les pays dont l’accès au financement est limité sont généralement touchés par un ou plusieurs des principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition, en particulier les extrêmes climatiques mais aussi les conflits, ce qui donne à penser que les activités de financement de l’action climatique et de l’action humanitaire pourraient être mises au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Pour ces pays, les dons et les prêts assortis de conditions de faveur demeurent les moyens les plus appropriés d’accroître les financements pour la sécurité alimentaire et la nutrition. Ces instruments peuvent être mis en œuvre par le biais de partenariats de financement collaboratifs, dans le cadre de stratégies de financement mixte.
  • Les pays disposant d’une capacité d’accès au financement modérée peuvent mobiliser plus largement leurs recettes fiscales, dans la mesure où ils bénéficient d’une assiette fiscale plus étendue et d’institutions publiques plus solides. Leurs gouvernements peuvent engranger davantage de recettes en augmentant les taxes santé, qui encouragent la consommation d’aliments sains.
  • Les pays ayant une capacité d’accès au financement élevée peuvent mettre à profit des instruments de financement tels que les obligations vertes, sociales, durables et liées au développement durable, qui se révèlent de plus en plus prometteuses et dans lesquelles peuvent être incorporés des objectifs liés à la sécurité alimentaire et à la nutrition.
  • Pour que les financements contribuent à la sécurité alimentaire et à la nutrition, il faut rendre les instruments de financement novateurs plus accessibles aux groupes de population qui rencontrent des difficultés pour accéder aux services financiers, tels que les femmes, les peuples autochtones, les petits exploitants agricoles et les petites et moyennes entreprises agroalimentaires.
  • En son état actuel, l’architecture du financement pour la sécurité alimentaire et la nutrition est très fragmentée: les pays donateurs, les banques multilatérales de développement, les institutions de financement du développement, les institutions financières internationales et les fondations philanthropiques sont de plus en plus nombreux, et cette multiplication engendre des problèmes de coordination, à la fois pour ces acteurs et pour les pays bénéficiaires, dont les priorités politiques et financières ne sont pas toujours prises en considération.
  • Les acteurs commerciaux privés considèrent qu’il est risqué d’investir dans la sécurité alimentaire et la nutrition, et le manque de données et de transparence dans le secteur financier ne facilite pas l’élaboration d’un «argumentaire» qui viendrait appuyer la réalisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD.
  • L’architecture du financement pour la sécurité alimentaire et la nutrition doit passer d’une approche cloisonnée à une approche plus globale qui verrait les parties prenantes considérer la sécurité alimentaire et la nutrition comme un objectif de politique publique unique à intégrer dans l’ensemble de leurs flux de financement et leurs investissements.
  • L’élaboration de cette nouvelle grille de lecture appelant au renforcement de l’architecture du financement pour la sécurité alimentaire et la nutrition doit s’accompagner d’une prise en compte des priorités des acteurs nationaux et locaux. Les banques multilatérales de développement, les institutions de financement du développement et les institutions financières internationales devraient prendre la tête des efforts visant à accroître les financements au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition, augmenter leur tolérance au risque et s’impliquer davantage dans les activités de réduction des risques.
  • Le secteur public devrait combler les lacunes laissées en l’état par les acteurs commerciaux, principalement en investissant dans les biens publics et en renforçant les valeurs sociales, ce qui nécessite de mobiliser des ressources fiscales, de réduire la corruption et la fraude fiscale, d’augmenter les dépenses consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition et de réorienter l’appui aux politiques.
  • Il est essentiel d’améliorer la transparence pour renforcer la coordination et l’efficacité des différentes parties prenantes; cela nécessitera d’harmoniser les normes concernant la collecte de données aux niveaux national et mondial et de faciliter l’accès à ces données – condition indispensable pour pouvoir cibler les financements sur les pays les plus touchés par l’insécurité alimentaire et la malnutrition et leurs facteurs.

5.1 Accroître les flux financiers en faveur de la sécurité alimentaire et de la nutrition

Niveau et déterminants de la capacité des pays d’accéder aux financements pour la sécurité alimentaire et la nutrition

Les déterminants de l’accès au financement au niveau national

L’étendue et la gravité des effets des principaux facteurs d’insécurité alimentaire et de malnutrition dans le monde sont alarmantes (chapitre 3). En parallèle, le fossé qui ne cesse de se creuser entre les financements effectifs et les financements requis pour atteindre les cibles 2.1 et 2.2 des ODD (chapitre 4) confère à ce défi un caractère encore plus urgent: comment l’ensemble des acteurs du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition peuvent-ils accroître les financements destinés aux pays les plus touchés par l’insécurité alimentaire et la malnutrition, qui sont également les pays les plus fréquemment touchés par plusieurs facteurs majeurs simultanément?

Le revenu national est l’une des variables les plus importantes qui déterminent la capacité d’un pays d’accéder au financement. Il va sans dire que les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire éprouvent davantage de difficultés que les pays à revenu élevé pour accéder aux flux de financement, le revenu national étant un indicateur de la capacité d’un pays de rembourser sa dette. Par exemple, le revenu par habitant est le principal indicateur utilisé par la Banque mondiale pour déterminer si un pays entre dans le groupe des bénéficiaires de l’Association internationale de développement (AID), la branche de la Banque qui octroie des financements assortis de conditions de faveur aux pays les plus pauvres1, 2, tandis que les flux financiers mobilisés par le Fonds d’équipement des Nations Unies se concentrent sur les pays les moins avancés (PMA) de la planètey, 4.

Outre le revenu national, le niveau d’endettement d’un pays est à n’en pas douter un critère essentiel pour l’évaluation. Les pays très endettés sont peu susceptibles d’obtenir de nouvelles ressources auprès de sources extérieures, et certainement pas auprès d’acteurs privés (systèmes bancaires, marchés de capitaux, etc.), mais ils ne reçoivent pas non plus de financements aux conditions du marché de la part d’autres acteurs tels que les institutions de financement du développement ou les institutions financières internationalesz. Par exemple, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) évaluent la viabilité de la dette des pays pour prendre leurs décisions quant aux modalités d’octroi de financements assortis de conditions de faveur, sous forme de dons ou de prêts, aux pays à faible revenu et aux pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure5.

Des niveaux d’endettement non viables, en particulier s’ils s’inscrivent dans un contexte de taux d’intérêt élevés, limitent les investissements grandement nécessaires de l’État dans les secteurs dont dépend le développement des pays à faible revenu et des pays à revenu intermédiaire; de telles contraintes engendrent également une incertitude qui peut saper la croissance économique6. La charge du service de la dette est de plus en plus lourde pour les pays débiteurs et peut restreindre les possibilités de dépenses publiques. Par exemple, le service de la dette extérieure de l’Afrique a augmenté, et des projections indiquent qu’il pourrait atteindre un pic de 74 milliards d’USD en 20247. Si tous les pays menacés de surendettement ne sont pas forcément confrontés à une prévalence élevée de la sous-alimentation et de l’insécurité alimentaire et à de multiples fardeaux liés à la malnutrition, la concomitance de ces aléas est de nature à aggraver encore une situation déjà difficile: dans certains cas, le défaut de paiement d’un pays peut entraîner une récession économique et une hausse des prix des produits alimentaires, ce qui peut assurément augmenter le risque que le pays plonge dans l’insécurité alimentaire ou la malnutrition8.

La qualité de la gouvernance d’un pays peut également influer sur sa capacité d’accès au financement. Même dans des contextes d’endettement élevé et/ou de revenu faible, les capacités et l’efficacité des institutions nationales, le respect de l’État de droit, la responsabilité et la transparence, ainsi que la qualité des réglementations peuvent influencer le résultat des décisions de financement. En fait, des institutions financières telles que la Banque mondiale et le FMI prennent déjà en considération la qualité de la gouvernance dans leurs évaluations des paysaa. La gouvernance joue également un rôle clé dans la lutte contre les principaux facteurs d’insécurité alimentaire et de malnutrition et peut accélérer le renforcement de la résilience face à ces facteurs à travers la mise en œuvre de politiques, d’investissements et de législations judicieux10; on s’accorde largement à reconnaître que c’est une condition déterminante pour l’augmentation de différents flux de financement tels que les ressources intérieures11 ou les investissements étrangers directs (IED)12, et elle est même considérée comme un facteur important pour parvenir à un approvisionnement alimentaire adéquat à l’échelon national13. Il est donc indispensable de renforcer la gouvernance et les institutions nationales, non seulement pour accroître la capacité d’accès au financement des pays, mais aussi pour leur permettre d’utiliser les ressources financières de façon efficace afin de parvenir à la sécurité alimentaire et de mettre fin à toutes les formes de malnutrition.

En dernier, le niveau de développement numérique est de plus en plus considéré comme un facteur pertinent d’amélioration de l’accès au financement14, et des études montrent que les investissements des pays dans le développement numérique sont de nature à améliorer la croissance économique, la situation de l’emploi et la qualité de la gouvernance15. Le passage au numérique offre également un moyen d’améliorer la traçabilité des flux financiers, ce qui pourrait renforcer la transparence et la confiance des acteurs financiers et, par ce biais, améliorer la capacité d’accès au financement des pays. En particulier, dans les situations où d’autres déterminants de la capacité d’accès au financement du pays doivent être encore améliorés, un haut niveau de développement numérique peut faciliter les décisions d’investissement des acteurs financiers.

Ces variables ont été opérationnalisées de manière à créer trois groupes de pays, déterminés par leur capacité d’accès au financement, ainsi que l’illustre la figure 30. Trois indicateurs ont été identifiés pour les quatre variables susmentionnées: i) les groupes de pays et de prêt de la Banque mondiale; ii) le Cadre de viabilité de la dette appliqué aux pays à faible revenu (CVD-PFR) de la Banque mondiale et du FMI; et iii) le Cadre pour l’évaluation du risque souverain et de la viabilité de la dette des pays ayant accès aux marchés (CRSVD-PAM). Pour les pays qui ne sont pas évalués dans le cadre du CVD-PFR ou du CRSVD-PAM, outre les groupes de pays et de prêt de la Banque mondiale, on a utilisé la dette à court terme en pourcentage des réserves totales comme indicateur du niveau d’endettement; cinq des six Indicateurs mondiaux de la gouvernance de la Banque mondiale (Worldwide Governance Indicators, WGI)ab sont employés pour évaluer la qualité de la gouvernance; et l’Indice d’adoption du numérique (Digital Adoption Index, DAI) de la Banque mondiale est utilisé comme indicateur du développement numériqueac.

FIGURE 30 RÉSUMÉ DE LA MÉTHODE UTILISÉE POUR ÉVALUER LA CAPACITÉ D’ACCÈS AU FINANCEMENT DES PAYS

NOTES: On trouvera dans le supplément au chapitre 5 des précisions sur les critères utilisés pour évaluer la capacité des pays d’accéder au financement. * CVD-PFR et CRSVD-PAM sont des indicateurs composites qui prennent en compte plusieurs variables pertinentes pour l’évaluation de la capacité d’accès au financement des pays, y compris les évaluations de la gouvernance et de la transparence.
SOURCE: Auteurs du présent document (FAO).

Les pays affichant des niveaux élevés de faim, d’insécurité alimentaire, de retard de croissance chez l’enfant et de surpoids chez l’enfant, y compris ceux qui sont touchés par les principaux facteurs, ont-ils la capacité d’accéder à des financements pour la sécurité alimentaire et la nutrition?

Les résultats de l’application de la méthode décrite à la figure 30, combinée aux données relatives aux indicateurs de sécurité alimentaire et de nutrition et aux pays touchés par les principaux facteurs d’insécurité alimentaire et de malnutrition, sont présentés dans le tableau 18ad.

TABLEAU 18CAPACITÉ DES PAYS À REVENU FAIBLE OU INTERMÉDIAIRE D’ACCÉDER AU FINANCEMENT, EN FONCTION DES INDICATEURS DE SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET DE NUTRITION ET DE LEURS PRINCIPAUX FACTEURS

NOTES: Les taux moyens de prévalence de la sous-alimentation, du retard de croissance chez l’enfant et du surpoids chez l’enfant ne sont pas pondérés. On trouvera dans le supplément au chapitre 3 la liste des pays analysés et la méthode employée pour identifier les pays touchés par les principaux facteurs d’insécurité alimentaire et de malnutrition. On trouvera dans le supplément au chapitre 5 des précisions sur les critères utilisés pour évaluer la capacité des pays d’accéder au financement.
SOURCE: Auteurs du présent document (FAO).

Le tableau 18 montre qu’il est urgent de trouver des solutions innovantes pour accroître les financements au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Soixante-trois pour cent de ces pays ont une capacité d’accès au financement limitée ou modéréeae, et une minorité (37 pour cent) une capacité d’accès élevée. La prévalence de la sous-alimentation (PoU) est en moyenne beaucoup plus élevée dans les pays ayant une capacité d’accès au financement limitée (23,1 pour cent) que dans les pays ayant une capacité d’accès modérée (10,4 pour cent) ou élevée (6,9 pour cent). On observe une tendance analogue pour le retard de croissance chez l’enfant de moins de 5 ans, même si, pour cet indicateur, les taux de prévalence moyens relevés sont beaucoup plus proches entre pays ayant un accès limité et ceux ayant un accès modéré au financement (23,9 et 20,9 pour cent, respectivement) que dans le cas de la PoU. Ces résultats rejoignent les constatations du chapitre 4, qui observait une association négative entre les dépenses publiques intérieures générales consacrées à l’agriculture et la PoU et le retard de croissance. Comme nous le verrons dans la section suivante, les pays ayant une capacité d’accès au financement limitée ont une possibilité moindre d’augmenter leurs dépenses publiques et, par conséquent, il est probable que leurs niveaux de dépenses actuels soient faibles. De même, la prévalence moyenne du surpoids chez l’enfant de moins de 5 ans suit une tendance conforme aux résultats du chapitre 4: la prévalence du surpoids chez l’enfant augmente avec la capacité d’accès au financement (ou le niveau des dépenses publiques intérieures générales consacrées à l’agriculture).

D’un autre côté, 74 pour cent de l’ensemble des pays analysés sont touchés par un ou plusieurs des principaux facteurs d’insécurité alimentaire et de malnutrition. Dans ce groupe, 66 pour cent ont une capacité d’accès au financement limitée ou modérée (la plupart, 42 pour cent, ayant une capacité d’accès limitée). Dans les pays touchés par les principaux facteurs, les extrêmes climatiques sont le facteur le plus répandu, à tous les niveaux – il touche 75 pour cent (seul ou associé à d’autres facteurs) des pays à capacité d’accès limitée, 76 pour cent des pays à capacité d’accès modérée et 80 pour cent des pays à capacité d’accès élevée. Cela n’est pas étonnant compte tenu du fait que les extrêmes climatiques sont le facteur le plus courant, comme le montre le chapitre 3. S’agissant des pays à capacité d’accès modérée ou élevée, il n’y a pas de différence entre les conflits et les fléchissements économiques: 28 pour cent des pays ayant une capacité d’accès au financement modérée sont touchés par des conflits ou des fléchissements économiques (l’un ou l’autre facteur ou les deux à la fois), et pour les pays ayant une capacité d’accès élevée, la proportion passe à 36 pour cent. Cela étant, parmi les pays dont la capacité d’accès au financement est limitée, davantage sont touchés par des conflits (48 pour cent) que par des ralentissements économiques (35 pour cent). En fait, comme le montre le tableau 18, dans toutes les catégories d’accès au financement et pour toutes les combinaisons de facteurs, les conflits touchent davantage les pays ayant un accès au financement limité que les pays disposant de capacités d’accès modérées ou élevées.

La proportion élevée de pays touchés par au moins un facteur principal plaide en faveur de l’intégration des objectifs de sécurité alimentaire et de nutrition dans le financement d’autres secteurs pour lesquels la priorité n’est pas forcément d’atteindre les cibles 2.1 et 2.2 des ODD. Étant donné que les extrêmes climatiques sont le facteur le plus prégnant dans tous les groupes de pays, la possibilité de créer des synergies entre les objectifs de sécurité alimentaire et de nutrition et les objectifs climatiques sera essentielle si l’on veut mobiliser des ressources en quantité suffisante pour combler le déficit de financement. Cela étant, l’importance des conflits en tant que facteur dans les pays ayant un accès au financement limité justifierait de renforcer le nexus action humanitaire-développement-paix, ainsi que de faire la jonction entre l’horizon à court terme des opérations humanitaires et la dimension de long terme requise pour les investissements visant à éliminer la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition. En outre, les niveaux plus élevés de prévalence de la malnutrition et du retard de croissance observés dans les pays ayant un accès au financement limité ou modéré soulignent la nécessité d’augmenter d’urgence les flux de financement consacrés à l’élimination de la faim, de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition. Cet état de fait, conjugué à l’observation d’une prévalence du surpoids chez l’enfant supérieure dans les pays disposant d’une capacité d’accès au financement élevée, ouvre la voie à des instruments de financement novateurs qui pourraient intégrer, dans leur conception et leur mise en œuvre, les objectifs liés aux cibles 2.1 et 2.2 des ODD.

Néanmoins, la possibilité de créer de telles synergies et de tirer parti des occasions offertes est battue en brèche par les conditions qui limitent l’accès au financement dans la plupart de ces pays. Comme indiqué ci-avant, la plupart des pays analysés doivent relever un double défi – à savoir éliminer la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition et renforcer leur résilience face aux trois principaux facteurs – dans un contexte financier défavorable, lié à leur capacité limitée ou modérée d’accéder au financement. En quoi ces conditions affectent-elles la perception du risque par les acteurs financiers, et quelles autres solutions permettraient à ces pays d’élargir l’éventail de leurs options de financement et ainsi d’atteindre les cibles 2.1 et 2.2 des ODD?

Quels sont les outils de financement disponibles les plus abordables qui permettraient aux pays, en fonction de leur capacité d’accès au financement, de combler le déficit de financement qui entrave la réalisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD?

Il est essentiel de faire parvenir davantage de financements aux pays qui affichent les niveaux de faim, d’insécurité alimentaire et de malnutrition les plus élevés, et ceux qui sont les plus touchés par les principaux facteurs de ces fléaux. Par exemple, si l’on considère uniquement l’aide publique au développement (APD), l’Asie et l’Afrique ont reçu la majeure partie de l’APD destinée à l’agriculture au cours des dernières annéesaf, ce qui est logique dans la mesure où la majeure partie des personnes confrontées à la faim et à l’insécurité alimentaire vivent dans ces régions. En ce qui concerne les besoins budgétaires assurés par des donateurs externes, les pays hautement prioritaires (c’est-à-dire les pays tributaires des donateurs pour plus de 50 pour cent de leur budget) sont tous situés en Afrique17. En outre, l’augmentation des financements devra être réalisée dans le respect de la feuille de route mondiale visant à atteindre l’ODD 2 sans dépasser le seuil de 1,5 °C18, afin de permettre à tous d’accéder à une alimentation nutritive en quantité suffisante, aujourd’hui et demainag.

Cependant, dans la plupart des cas, les pays qui sont le plus dans le besoin, en termes de niveaux de faim et d’insécurité alimentaire et d’impact que produisent sur eux les principaux facteurs, souffrent de handicaps structurels qui les empêchent d’allouer davantage de financements aux solutions en faveur de la sécurité alimentaire et de la nutrition, comme le montre le tableau 18. Même si, d’un point de vue formel, tous les pays ont théoriquement accès à la plupart des options de financement existantes, leur capacité d’accès dépend du niveau de risque financier perçu et des coûts associés (voir la figure 31). L’ensemble des acteurs financiers, et en particulier les acteurs privés à vocation commerciale, ont une aversion manifeste au risque qui est pratiquement incompatible avec un engagement dans des pays présentant un risque financier élevé.

FIGURE 31 GRADIENT DE RISQUE POUR LES ACTEURS FINANCIERS

SOURCE: Zoubek, S., Lateef, A., Carrasco Azzini, G. et Holleman, C. (à paraître). Reorientation, innovation and the global architecture for financing for food security and nutrition – Document d’information établi pour servir de base au rapport sur L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2024. Document de travail de la FAO sur l’économie du développement agricole. Rome, FAO.

Lorsque la confiance dans la capacité d’un pays de rembourser ses emprunts diminue (impliquant un risque financier plus élevé), les flux de financement deviennent moins abordablesah. Par conséquent, les pays ayant une capacité d’accès au financement limitée ne peuvent compter que sur les dons ou les prêts à taux d’intérêt faible ou nul accordés au titre des flux de financement internationaux pour le développement (tels que l’APD). En effet, ils n’ont pas forcément d’autres instruments financiers à disposition – ou, plus précisément, les acteurs financiers ne sont pas nécessairement disposés à les en faire bénéficier en raison de leur profil de risque financier élevé (voir les figures 31 et 32). L’intervention d’acteurs privés à vocation commerciale dans ces pays est peu probable car les risques sont élevés, ce qui a des répercussions, notamment, sur le coût des emprunts. Seules les grandes entreprises et les entreprises actives à l’exportation ont une probabilité plus grande d’attirer des flux de financement privés, et même lorsque c’est le cas, ces entités sont susceptibles d’être considérées comme des investissements risqués. En outre, nombre de ces pays disposent d’une assiette fiscale réduite – en raison notamment de facteurs structurels, tels qu’un environnement majoritairement informel peu propice au recouvrement de l’impôt et une gouvernance déficiente – ce qui ne permet guère de financer les investissements publics avec les ressources intérieures11.

FIGURE 32 QUELS SONT LES OUTILS ET LES MÉCANISMES DE FINANCEMENT LES PLUS ADAPTÉS AUX PAYS EN FONCTION DE LEUR CONTEXTE?

SOURCE: Zoubek, S., Lateef, A., Carrasco Azzini, G. et Holleman, C. (à paraître). Reorientation, innovation and the global architecture for financing for food security and nutrition – Document d’information établi pour servir de base au rapport sur L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2024. Document de travail de la FAO sur l’économie du développement agricole. Rome, FAO.

Le fait que les pays ayant une capacité d’accès au financement limitée soient lourdement tributaires des financements assortis de conditions de faveur pourrait amener à considérer certains arbitrages potentiels. Par exemple, certains universitaires se sont penchés sur l’éventualité que l’augmentation des financements assortis de conditions de faveur (par exemple les dons et les prêts à taux d’intérêt nul) n’engendre un «syndrome hollandais»ai, soulignant la nécessité, pour les gouvernements nationaux, de se doter de capacités leur permettant d’absorber et de dépenser ces ressources, en particulier sous la forme d’investissements publics et de biens d’équipement22.De même, l’orientation des financements assortis de conditions de faveur elle-même est importante aux fins de la concrétisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD. Dans un échantillon de 95 pays à revenu faible ou intermédiaire, il a été constaté qu’une augmentation de 10 pour cent de certaines catégories d’APD liées à la sécurité alimentaire et à la nutritionaj pouvait faire reculer la faim de 1,1 pour cent, deux ans en moyenne après le décaissement des fonds considérés23.

Une forte dépendance à l’égard des financements assortis de conditions de faveur peut également avoir des répercussions sur les tendances des autres sources de financement. Par exemple, une étude a relevé une association négative entre les dons au titre de l’APD et les recettes fiscales, en particulier dans les pays à faible revenu24. Une autre25 montre que certains dons alloués au titre des flux internationaux pour le développement sont assortis de conditions, telles que la nécessité d’accroître le volume de ressources fiscales au fil du temps et de réduire la dette extérieure par le biais des emprunts. Or, comme cela a été indiqué précédemment, les pays ayant une capacité d’accès au financement limitée ne sont généralement pas en mesure de mobiliser davantage de ressources fiscales. Par conséquent, si un pays réduit ses emprunts et n’a pas la possibilité d’accroître ses ressources fiscales, il aura peut-être moins de ressources à sa disposition, ce qui pourrait conduire à des dépenses moins élevées que prévu dans le secteur auquel le don était destiné.

Les pays dont la capacité d’accès au financement est limitée affichent un niveau d’endettement public élevé et doivent consacrer une part importante de leurs recettes publiques au service de la dette. Dans leur cas, les conversions de créances et les mesures d’allègement de la dette peuvent être un moyen de réaffecter des ressources à la sécurité alimentaire et à la nutritionak.

En résumé, dans les pays dont la capacité d’accès au financement est limitée, les donateurs et les autres institutions de développement sont appelés à jouer un rôle essentiel en tant que pourvoyeurs de flux internationaux pour le développement pouvant contribuer à combler le déficit de financement qui entrave la réalisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD. Dans les pays dotés d’une capacité d’accès au financement modérée, le recours à des financements assortis de conditions de faveur et à des instruments à caractère commercial, selon une approche de financement mixteal, sera encore essentielle pour réduire les risques liés aux investissements et fournir aux acteurs privés les incitations voulues pour être présents sur ces marchés. Toutefois, à mesure que les risques seront réduits, les acteurs publics et privés devraient pouvoir accroître progressivement leur engagement, de sorte que les financements seront plus largement disponibles (en devenant plus abordables).

La mobilisation de ressources fiscales est une option plus envisageable pour les pays ayant une capacité d’accès au financement modérée (voir la figure 32). Un approfondissement de leur assiette fiscale pourrait permettre à certains pays d’être moins tributaires des financements accordés à des conditions de faveur (voire des prêts commerciaux et de la dette) et, dans plusieurs pays, le volume de recettes fiscales pourrait être plus élevé qu’il ne l’est actuellement26. Toutefois, comme cela a déjà été indiqué, le revenu est un déterminant important de la hausse potentielle des recettes fiscales (plus le PIB par habitant est élevé, plus le potentiel fiscal est important), aux côtés d’autres facteurs tels que la composition des économies nationales et la part de l’économie formelle dans celles-ci, ainsi que les mécanismes institutionnels et les mécanismes de gouvernanceam. Certains universitaires ont étudié «l’effort fiscal» des pays (le rapport entre le produit de la collecte des impôts et le potentiel fiscal) pour déterminer s’ils pouvaient mobiliser davantage de ressources intérieures. Bien que les chiffres varient, il existe un consensus sur le potentiel d’accroissement des recettes fiscales au niveau mondial, et ce potentiel est plus important dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et de la tranche supérieure que dans les pays à faible revenu26, 28.

À mesure que le risque financier diminue, les flux de financement disponibles pour les pays augmentent. Les pays qui disposent d’une capacité d’accès élevée ont recours à des investissements sous forme de prise de participation, à des prêts à taux commercial et à des placements obligataires, effectués dans le cadre des flux financiers privés tels que les investissements d’entreprises, des systèmes bancaires et des marchés de capitaux. Dans leur cas, il est beaucoup moins nécessaire que les donateurs et le secteur public interviennent pour réduire les risques (figures 31 et 32). Cependant, comme l’analyse en détail la section 5.2, même dans ces pays, l’accès aux garanties et à l’assurance demeure essentiel pour réduire les risques liés aux flux de financement privés. Si les modalités de mise en œuvre des instruments de garantie ou d’assurance varient en fonction de la capacité des pays d’accéder au financement, ces instruments sont essentiels pour accroître les financements dans les trois catégories de pays. Par conséquent, ces instruments sont recommandés pour toutes les catégories de pays (voir la figure 32).

Il sera essentiel d’accroître les financements privés pour atteindre les cibles 2.1 et 2.2 des ODD, en raison du rôle bien connu de ces financements dans le développement économique global, et aussi simplement parce que les financements provenant d’autres sources, telles que les flux internationaux pour le développement ou les budgets publics, ne seront pas suffisants pour combler le déficit de financement et venir à bout de la faim, de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition. Par exemple, les IED sont importants pour les économies à revenu faible ou intermédiaire, mais leurs effets peuvent varier en fonction du niveau de revenu du pays et du secteur de destination de ces investissements. Ainsi, les IED dans l’agriculture et l’industrie ont un impact significatif sur la croissance du PIB dans les pays à faible revenu, tandis que les IED destinés à d’autres secteurs (par exemple, le secteur manufacturier et les services) ont des effets insignifiants. En revanche, tous les types d’IED ont un impact positif sur la croissance du PIB dans les pays à revenu élevé29. Il a été montré, par ailleurs, que les IED destinés à l’agriculture contribuaient à accroître la production agricole dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire, et que leur impact était plus marqué lorsqu’ils se conjuguaient à l’apport d’APD à l’agriculture30. Néanmoins, comme on l’a indiqué, les pays à faible revenu ont généralement une capacité d’accès au financement limitée, de sorte que les flux de financement privés sont coûteux et rarement disponibles pour cette catégorie. Comment les pays peuvent-ils réduire leur risque financier pour attirer d’autres sources de financement?

La figure 32 formule des recommandations sur les instruments de financement les plus adaptés, en tenant compte de la capacité des pays d’accéder aux flux de financement, telle qu’évaluée dans le tableau 18. Les flux de financement privés (par exemple les prises de participation, les obligations et les prêts à taux commercial), ainsi que les financements publics intérieurs (par exemple les prélèvements fiscaux), deviennent plus abordables à mesure que le risque financier du pays diminue et deviennent dès lors des options plus appropriées; pour leur part, les flux internationaux pour le développement et les financements assortis de conditions de faveur (par exemple les dons, les prêts à faible taux d’intérêt et les conversions de créances) sont les options les plus appropriées dans les contextes de risque financier élevé, les autres modes de financement pouvant se révéler trop onéreux. Même si la figure 32 propose des exemples d’instruments de financement adaptés à chaque catégorie et pouvant être utilisés par les pays pour accroître leur capacité d’accès au financement (comme l’analyse en détail la section 5.2), le meilleur moyen pour un pays d’élargir l’éventail de ses options de financement est sans aucun doute d’agir sur les déterminants de sa capacité d’accès au financement. La prise en charge de ces défis liés au développement peut déboucher sur des solutions avantageuses pour tous; par exemple, l’adoption de politiques économiques et monétaires rigoureuses qui récompensent l’épargne et confèrent plus de profondeur aux marchés de capitaux est essentielle pour créer un environnement plus favorable aux investissements privés. L’amélioration des systèmes fiscaux permet non seulement de mobiliser des ressources supplémentaires à même de combler le déficit de financement, mais peut également, à travers les dépenses publiques, stimuler la croissance économique et réduire les inégalités. L’adoption stratégique des technologies numériques peut faciliter le recouvrement de l’impôt et contribuer à davantage de transparence, condition essentielle pour renforcer la confiance dans les administrations publiques nationales31. Il est indispensable de réduire l’endettement public et de le rendre plus gérable pour mobiliser les financements nécessaires à la mise en œuvre d’interventions urgentes dans le domaine de la sécurité alimentaire et de la nutrition, ainsi que de politiques capables de renforcer la résilience face aux principaux facteurs d’insécurité alimentaire et de malnutrition8. Par conséquent, les mesures visant à améliorer la gestion macroéconomique dans une optique de croissance des revenus, à réduire le risque souverain et la dette des pays et à renforcer les institutions nationales et la gouvernance sont essentielles, non seulement du point de vue financier, mais aussi du point de vue du développement global des pays les plus éprouvés par la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition.

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