MESSAGES CLÉS
  • Les financements au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition qui se font sous forme de dépenses publiques intérieures, d’aide publique au développement et d’autres apports du secteur public peuvent être mesurés, ce qui n’est pas le cas de la plupart des flux privés.
  • Les dépenses publiques par habitant allouées à l’agriculture sont très faibles et on ne constate pas d’augmentation régulière de ces dépenses dans les pays à faible revenu ni dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, où l’insécurité alimentaire et la dénutrition sont plus graves; les dépenses publiques allouées à l’agriculture ne représentent qu’une petite part des dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition.
  • Avant la pandémie de covid-19, les dépenses publiques allouées à la sécurité alimentaire et à la nutrition, en particulier à l’alimentation, étaient en augmentation dans deux pays à faible revenu et huit pays à revenu intermédiaire. Dans les pays à faible revenu, les gouvernements ne disposent pas d’une capacité de dépense importante qui leur permettrait de s’attaquer aux principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition.
  • La sécurité alimentaire et la nutrition captent moins d’un quart de l’aide publique au développement et des autres apports du secteur public et il semble que les donateurs leur accordent un degré de priorité moins élevé. Sur la période 2017-2021, ces flux de financement se sont élevés à 76 milliards d’USD par an, dont 34 pour cent seulement (26 milliards d’USD) ont contribué à la lutte contre les principaux facteurs et les causes structurelles sous-jacentes de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition. Au cours de la même période, ces flux ont augmenté beaucoup plus pour l’Afrique (toutes régions confondues) et les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure que pour les pays à faible revenu (tous niveaux de revenu confondus).
  • Les financements qui émanent du secteur privé sont plus difficiles à mesurer. Les flux philanthropiques (4 milliards d’USD en moyenne sur la période 2017-2021) sont d’un faible montant par rapport aux fonds envoyés par les migrants et investis dans les systèmes agroalimentaires (29 milliards d’USD en moyenne sur 2017-2022) et aux investissements étrangers directs (IED) (62 milliards d’USD en moyenne sur 2017-2022). Les financements mixtes représentent des sommes plus modestes et le montant net des prêts bancaires dans les secteurs de l’agriculture, des forêts et de la pêche est en baisse quasi continue.
  • Les politiques, les dispositions législatives et les interventions qu’il faudra mettre en place pour atteindre les cibles 2.1 et 2.2 des objectifs de développement durable (ODD) pourraient nécessiter des financements qui sont évalués à plusieurs milliers de milliards d’USD.
  • Si le déficit de financement n’est pas comblé d’ici à 2030, des millions de personnes demeureront sous-alimentées, des millions connaîtront une insécurité alimentaire aiguë à des niveaux de crise, ou pire, et les progrès accomplis dans la réalisation de tous les objectifs mondiaux en matière de nutrition seront insuffisants. Les répercussions sociales, économiques et environnementales de cet échec coûteront plusieurs milliers de milliards d’USD.
  • Exécuter dans leur intégralité et plus efficacement les budgets nationaux et réorienter l’aide publique existante de manière à rendre les systèmes agroalimentaires plus résilients, plus durables et plus équitables permettra de réduire le déficit de financement.

Au niveau national, les financements au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition sont fournis par les secteurs public et privé et proviennent du pays ou de l’étranger (voir le chapitre 3, tableau 8). Les financements publics sont la source intérieure sur laquelle les décideurs ont le plus la main lorsqu’il s’agit de cibler les objectifs de sécurité alimentaire et de nutrition, et ils sont principalement utilisés via les dépenses de l’État, un flux dont les montants peuvent être mesurés. Les financements publics extérieurs se matérialisent par des flux dont certains, notamment l’aide publique au développement (APD) et les autres apports du secteur public (AASP), peuvent aussi être orientés vers les objectifs de sécurité alimentaire et de nutrition. Une partie de ces flux extérieurs peut être distribuée via les budgets nationaux, auquel cas ils deviennent des dépenses publiques. Dans la pratique, certains financements susceptibles d’être orientés vers la sécurité alimentaire et la nutrition peuvent donc apparaître à la fois dans les dépenses publiques et dans les flux d’APD qui transitent par les budgets nationaux. Dans les régions où l’APD revêt une importance capitale, comme l’Afrique subsaharienne, l’exécution des dépenses destinées à l’agriculture, inscrites au budget de l’État et financées par des fonds provenant de donateurs est généralement complexe et, le plus souvent, faible; 40 pour cent environ de ces allocations ne sont pas dépensées1. Une partie de l’APD peut être distribuée, conformément à la loi, hors budget national en vue de mettre en œuvre certains projets et programmes plus rapidement.

Pour l’essentiel, les données disponibles ne permettent de suivre que les dépenses publiques, l’APD (inscrite ou non au budget) et les AASP (inscrits ou non au budget). La définition de base et la définition élargie de la notion de financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition peuvent toutes deux être appliquées à ces données (les définitions sont présentées au chapitre 3 et expliquées en détail dans le supplément S3.2 au chapitre 3); la manière dont les définitions sont appliquées aux données relatives à ces flux de financement est expliquée en détail dans le supplément au chapitre 4. Les flux de financement sont orientés vers des interventions qui visent à: i) améliorer l’alimentation (disponibilités, accessibilité, utilisation et stabilité) et l’état de santé (pratiques, services de santé et hygiène de l’environnement) (définition de base); ii) emprunter des voies permettant de lutter contre les principaux facteurs et les causes structurelles sous-jacentes de la récente recrudescence de la faim, de l’insécurité alimentaire et de la malnutritionl (conflits, variabilité et extrêmes climatiques, ralentissements et fléchissements économiques, manque d’accès à des aliments nutritifs et inaccessibilité économique de ces aliments, environnements alimentaires néfastes pour la santé et inégalités élevées et persistantes), y compris en mettant en place des interventions visant à réduire le coût des aliments nutritifs et à renforcer les environnements alimentaires (définition élargie). Ces domaines d’intervention sont recensés dans le tableau S3.2 du supplément S3.2 au chapitre 3. Il s’agira essentiellement, dans le présent chapitre, de déterminer si les flux financiers visant à soutenir ces interventions en faveur de la sécurité alimentaire et de la nutrition sont en augmentation, de recenser les domaines d’intervention qui sont visés et de déterminer si les pays bénéficiaires les plus importants (dans le cas de l’APD et des AASP) sont ceux où, dans le monde, la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition sont les plus difficiles à surmonter.

Les flux de financement privés (intérieurs et extérieurs) sont généralement plus difficiles à suivre, et d’autant plus difficiles à prendre en compte pour appliquer la définition de base et la définition élargie proposées dans le présent rapport. Par conséquent, à l’heure actuelle, le financement total disponible ou nécessaire en plus pour financer l’ensemble des efforts vers la réalisation des cibles 2.1 et 2.2 des ODD n’est pas quantifiable de manière fiable. Pour établir le présent chapitre, il a donc fallu procéder à des déductions à partir de données fragmentaires et des travaux déjà publiés, pour cerner l’articulation entre le financement privé et la sécurité alimentaire et la nutrition. Les flux philanthropiques font exception car les données les concernant peuvent être analysées après application de la définition de base et de la définition élargie. En ce qui concerne les autres grands flux privés, notamment les envois de fonds transfrontières et les IED, on peut seulement s’appuyer sur les études existantes et sur des sources de données n’offrant que des informations partielles.

Face à l’impossibilité de mesurer précisément le montant total des flux de financement publics et privés disponibles dans le monde au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition, nous nous intéresserons, dans le présent chapitre, aux analyses existantes fondées sur des modèles. Ces analyses permettent de réaliser des estimations partielles du coût du financement de diverses politiques et interventions visant à éliminer la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition et à rendre plus abordable une alimentation saine d’ici à 2030. Proposer des fourchettes de coûts a ses limites, mais ces fourchettes donnent une idée du défi à relever pour l’avenir en matière de financement. Quel que soit le montant exact des financements nécessaires pour atteindre les cibles 2.1 et 2.2 des ODD, le coût d’une non-mobilisation de ces financements peut être considérable et porter grandement préjudice à la population mondiale; le coût de l’inaction est examiné à la fin du chapitre, qui sert également de préambule au chapitre 5 sur ce qu’il convient de faire pour mobiliser des financements évolutifs à même de combler le déficit de financement.

4.1 Suivi des niveaux actuels de financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition

Les dépenses publiques consacrées à l’agriculture sont faibles et n’augmentent pas là où elles sont le plus nécessaire

Les dépenses propres à l’alimentation et à l’agriculture font partie des composantes des finances publiques qui peuvent le plus directement influencer les résultats en matière de sécurité alimentaire et de nutrition. Conformément à la définition qui est donnée dans le programme Suivi et analyse des politiques alimentaires et agricoles (SAPAA) de la FAO, ces dépenses publiques peuvent être regroupées en: i) transferts budgétaires en faveur d’agents tels que les producteurs, les consommateurs, les négociants, les transporteurs et les fournisseurs d’intrants, pour la fourniture de biens privés; ii) soutien général aux infrastructures agricoles, à la recherche-développement (R-D) et aux services de vulgarisation, et aux installations de commercialisation, d’entreposage ou d’inspection, entre autres; iii) dépenses administratives1. Ces dépenses publiques peuvent être de nature récurrente (par exemple pour couvrir les salaires des vulgarisateurs ou du personnel administratif) ou être utilisées pour investir dans des biens d’équipement (infrastructures agricoles, routes, électrification des campagnes, etc.). Toutefois, les dépenses publiques susceptibles d’influer sur les résultats en matière de sécurité alimentaire et de nutrition peuvent également transiter par des secteurs tels que celui de la santé (programmes de santé publique visant à lutter contre la carence en vitamine A par exemple), et peuvent aussi recouvrir en grande partie les programmes de protection sociale. C’est précisément la raison pour laquelle il importe de s’appuyer sur une définition élargie de la notion de financement – ou, ici, de dépenses publiques – au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition.

Faute de données qui permettraient de mesurer les dépenses publiques consacrées au secteur de l’alimentation et de l’agriculture au niveau mondial, telles que celles-ci sont définies dans le programme SAPAA de la FAO, on a évalué les dépenses publiques intérieures générales consacrées à l’agriculture (en USD constants de 2015), par habitant des zones rurales, dans le monde, à l’aide de la Base de données statistiques fondamentales de l’Organisation (FAOSTAT). Cette approche est plus limitée car les dépenses qui sont mesurées dans ce cadre ne concernent pas l’ensemble du secteur de l’alimentation et de l’agriculture, mais uniquement l’agriculture. C’est pourquoi dans le présent chapitre on parle de dépenses publiques consacrées à l’agriculture, ou dépenses publiques agricoles. En outre, il n’est pas possible de déterminer si les transferts budgétaires pour la fourniture de biens privés sont alloués de manière égale (ou inégale) à chaque agent. Comme nous le verrons plus loin pour certains pays à faible revenu et pays à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure, les dépenses publiques directement liées à la sécurité alimentaire et à la nutrition peuvent être nettement plus élevées que les dépenses publiques agricoles. Malgré ces limites, les dépenses publiques intérieures générales consacrées à l’agriculture au niveau mondial mettent en lumière des faits et des schémas intéressants. Le montant total des dépenses publiques intérieures générales consacrées à l’agriculture a régulièrement augmenté depuis le début des années 2000, atteignant un maximum de 675,4 milliards d’USD (en USD constants de 2015) en 2020, avant de retomber à 617,3 milliards d’USD en 2021. Ces dépenses, mesurées par habitant des zones rurales, ont à peine évolué entre 2010 et 2021 dans les pays à faible revenu et n’ont connu qu’une très légère augmentation dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure durant les dernières années de la période (figure 21). Dans ces deux groupes de pays, les dépenses publiques consacrées à l’agriculture n’étaient que de 8 USD et 37 USD, respectivement, par habitant des zones rurales, au cours de la période 2010-2019. On voit à quel point, dans ces pays, le financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition via les dépenses publiques agricoles est en général limité.

FIGURE 21 LES DÉPENSES PUBLIQUES INTÉRIEURES GÉNÉRALES CONSACRÉES À L’AGRICULTURE, PAR HABITANT DES ZONES RURALES, SONT EXTRÊMEMENT FAIBLES ET N’AUGMENTENT PAS DE FAÇON PERCEPTIBLE DANS LES PAYS À FAIBLE REVENU ET LES PAYS À REVENU INTERMÉDIAIRE DE LA TRANCHE INFÉRIEURE, LÀ OÙ ELLES SONT LE PLUS NÉCESSAIRE POUR FAIRE RECULER L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA MALNUTRITION

NOTES: Les dépenses générales comprennent les dépenses du gouvernement central et, le cas échéant, celles des gouvernements infranationaux; en l’absence de données sur ces dernières, seules les dépenses du gouvernement central sont prises en compte. L’aide publique au développement, les autres apports du secteur public et les dépenses publiques de recherche-développement inscrits au budget ne sont pas comptabilisés. Au total, 196 pays sont pris en compte. Le Monténégro, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Kitts-et-Nevis et la Serbie sont exclus car les données relatives à leurs dépenses publiques sont incomplètes. Le cas échéant, on a eu recours à des imputations pour les points de données manquants.
SOURCE: D’après FAO. 2024. FAOSTAT: Dépenses publiques. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://www.fao.org/faostat/fr/#data/IG. Licence: CC-BY-4.0.

À l’inverse, les pays où l’insécurité alimentaire et la dénutrition posent le moins de problèmes sont précisément des pays où les pouvoirs publics dépensent davantage par habitant. Les dépenses publiques intérieures générales consacrées à l’agriculture, par habitant des zones rurales, sont beaucoup plus élevées dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et les pays à revenu élevé (317 USD et 626 USD par habitant des zones rurales, en moyenne, au cours de la période 2010-2019, avant la pandémie de covid-19). Dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, les dépenses publiques intérieures générales par habitant des zones rurales consacrées à l’agriculture ont régulièrement augmenté jusqu’en 2020. Dans les pays à revenu élevé, en revanche, ces dépenses ont diminué jusqu’en 2016, ce qui correspond probablement à la réduction de la part de l’agriculture dans le produit intérieur brut (PIB) de ces pays; elles ont toutefois augmenté à partir de 2017, sous l’effet d’une forte hausse des dépenses aux États-Unis d’Amériquem. Les dépenses publiques intérieures générales par habitant des zones rurales consacrées à l’agriculture sont extrêmement faibles dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, où elles sont le plus nécessaire pour faire reculer l’insécurité alimentaire et la malnutrition, et elles n’ont augmenté systématiquement au fil des ans que dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Comme indiqué au chapitre 2 (figure 2), la faim continue de progresser en Asie de l’Ouest, dans les Caraïbes et dans la plupart des sous-régions d’Afrique, qui sont les régions qui regroupent le plus grand nombre de pays à faible revenu. Parallèlement, des progrès ont été accomplis en matière de réduction de la faim dans la plupart des sous-régions d’Asie et en Amérique latine, où les pays à revenu intermédiaire sont plus nombreux que les pays à faible revenu. De surcroît, lorsque les dépenses publiques par habitant des zones rurales consacrées à l’agriculture sont plus élevées, comme dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et les pays à revenu élevé, ces dépenses ne contribuent pas toujours pleinement à l’efficacité, à l’équité et à la viabilité des systèmes agroalimentaires2. En fait, dans l’édition 2022 du présent rapport, qui proposait divers scénarios fondés sur des modèles, les gouvernements étaient invités à réorienter une partie de l’aide publique consacrée à l’agriculture afin qu’une alimentation saine soit davantage à la portée de tous2. L’importance d’une réorientation et d’une allocation optimale des dépenses publiques consacrées à l’alimentation et à l’agriculture est examinée plus en détail à la fin du présent chapitre.

La corrélation entre les dépenses publiques agricoles et l’insécurité alimentaire et certaines formes de malnutrition est négative

Le lien entre le montant total des dépenses publiques et les résultats en matière de sécurité alimentaire et de nutrition dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure n’a fait l’objet que de rares travaux de recherche pratiques transnationaux. Une grande partie des travaux statistiques publiés se concentrent sur un pays ou une région en particulier, ou sur les pays à revenu élevé; sur des indicateurs relatifs à la sécurité alimentaire et à la nutrition qui sont limités ou approximatifs; sur un seul secteur bénéficiaire de dépenses publiques, généralement l’agriculture étant donné son lien direct avec la sécurité alimentaire et la nutrition; ou encore sur des résultats escomptés, tels qu’une hausse de la croissance ou une réduction de la pauvreté, qui peuvent certes être liés à la sécurité alimentaire et à la nutrition mais qui en sont distincts. Il arrive aussi que les études menées ne tiennent pas compte d’autres facteurs qui influent sur la sécurité alimentaire et la nutrition, ou qu’elles prennent en considération des politiques publiques qui n’entraînent pas de dépenses importantes.

Des données transnationales concernant 65 pays (dont 11 pays à revenu élevé) indiquent que des dépenses publiques plus importantes consacrées à l’agriculture, à la protection sociale et à la santé sont associées à un recul du retard de croissance3. Ce constat a également été partiellement corroboré par une analyse portant sur neuf pays d’Afrique australe, qui a mis en évidence un lien favorable entre les dépenses publiques agricoles, l’adéquation des disponibilités énergétiques alimentaires moyennes et la prévalence de la sous-alimentation (PoU)4. On constate aussi que les dépenses publiques en R-D agricole en Afrique et les dépenses publiques générales consacrées à l’agriculture ont des effets notables sur les indicateurs de la sécurité alimentaire (adéquation des disponibilités énergétiques alimentaires moyennes, indice national des prix des produits alimentaires, volatilité des prix des denrées alimentaires au niveau national et part de la population utilisant de meilleures installations sanitaires), mais uniquement pour les pays qui consacrent une plus grande part de leur budget à l’agriculture5.

Notre analyse confirme la corrélation qu’on attendrait entre les dépenses publiques consacrées à l’agriculture et la plupart, mais pas l’intégralité, des résultats obtenus en matière de sécurité alimentaire et de nutrition, même si ces dépenses ne représentent qu’une partie, parfois petite, de l’ensemble des dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition, comme nous le verrons ci-après pour certains pays. Il s’agit d’une analyse du lien observé, lequel n’implique pas de liens de causalité et peut notamment dépendre du niveau de revenu du pays considéré. Il n’en reste pas moins que plus les dépenses publiques intérieures générales par habitant qui sont consacrées à l’agriculture sont faibles, plus la PoU est élevée, dans 87 pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure (figure 22A). Dans plus de la moitié d’entre eux (49 pays), la PoU est supérieure à 10 pour cent, et les gouvernements de la plupart de ces derniers (39 pays, principalement à faible revenu ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure) ont dépensé en moyenne 20 USD ou moins par personne sur la période 2017-2019. Dans une douzaine de pays à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure, la PoU est de 7 pour cent ou moins, et pourtant les gouvernements de ces pays ont dépensé 20 USD ou moins par personne en faveur de l’agriculture. Cela s’explique en ce qui concerne les pays à revenu intermédiaire, où la PoU est faible car les revenus de la plupart des personnes leur donnent accès à la nourriture. La corrélation négative entre les dépenses publiques intérieures générales par habitant consacrées à l’agriculture et les indicateurs de la sécurité alimentaire se constate aussi en ce qui concerne la prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou grave (figure 22B) et la prévalence du retard de croissance (figure 22C). Ces deux corrélations supplémentaires (telles que mesurées par un coefficient de corrélation significatif de −0,51 et −0,39, respectivement) sont plus fortes que la corrélation observée pour la PoU (telle que mesurée par un coefficient de corrélation de −0,33).

FIGURE 22 LES DÉPENSES PUBLIQUES INTÉRIEURES GÉNÉRALES PAR HABITANT CONSACRÉES À L’AGRICULTURE SONT EN CORRÉLATION INVERSE AVEC LES INDICATEURS DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET DE LA DÉNUTRITION, MOYENNE 2017-2019

NOTES: Pour toutes les variables, c’est la moyenne sur la période 2017-2019 ou sur les trois dernières années disponibles qui est présentée. Les dépenses publiques intérieures générales comprennent les dépenses du gouvernement central et, le cas échéant, celles des gouvernements infranationaux; en l’absence de données sur ces dernières, seules les dépenses du gouvernement central sont prises en compte. L’aide publique au développement, les autres apports du secteur public et les dépenses publiques de R-D inscrits au budget ne sont pas comptabilisés. Les pays à revenu élevé ne sont pas pris en compte dans ces chiffres. Quatre-vingt-sept pays sont pris en compte dans les figures 22A et 22B. Cent cinq pays sont pris en compte dans les figures 22C et 22D. Le Monténégro, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Kitts-et-Nevis et la Serbie sont exclus car les données relatives à leurs dépenses publiques intérieures générales sont incomplètes. La Chine et Cuba sont exclus faute de données suffisantes sur la sous-alimentation et la prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou grave. La Chine est également exclue faute de données sur le retard de croissance et le surpoids, et Cuba est exclue en raison d’une aberration dans les dépenses publiques intérieures générales.
SOURCES: FAO. 2024. FAOSTAT: Dépenses publiques. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://www.fao.org/faostat/fr/#data/IG. Licence: CC-BY-4.0; FAO. 2024. FAOSTAT: Données de la sécurité alimentaire. [Consulté le 24 juillet 2024. https://www.fao.org/faostat/fr/#data/FS. Licence: CC-BY-4.0.

Les travaux publiés sur la corrélation entre les dépenses publiques et le surpoids et l’obésité sont moins nombreux que ceux qui portent sur le lien entre les dépenses publiques et l’insécurité alimentaire et la dénutrition; la question continuera d’être étudiée plus régulièrement dans les prochaines éditions du présent rapport. En ce qui concerne l’obésité, par exemple, les travaux publiés se concentrent essentiellement sur les pays à revenu élevé et leurs auteurs s’intéressent beaucoup plus souvent aux conséquences de l’obésité sur les dépenses publiques (en particulier dans le secteur de la santé) qu’aux effets possibles des dépenses publiques sur l’obésité. Il ressort de ces travaux qu’il y a un lien positif entre le surpoids et les dépenses publiques consacrées à l’agriculture, à la protection sociale et à la santé3. Les dépenses sociales dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (principalement dans le domaine de l’éducation et de l’accueil des jeunes enfants) ont également une incidence favorable sur l’obésité chez les enfants âgés de 5 à 19 ans, après prise en compte d’autres facteurs6.

Il ressort de notre analyse de corrélation, qui englobe les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire et non pas les pays à revenu élevé, que plus les gouvernements dépensent pour l’agriculture, plus les pays affichent un pourcentage élevé d’enfants de moins de 5 ans en surpoids, avec un coefficient de corrélation de 0,27 pour 105 pays à faible revenu et pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure ou supérieure (figure 22D). Il peut y avoir plusieurs explications, qui méritent d’être explorées de manière plus empirique dans les prochaines éditions. L’une d’entre elles pourrait être qu’une prévalence plus élevée du surpoids chez les enfants inciterait les pouvoirs publics à augmenter les dépenses allouées à certains programmes liés à la nutrition, quoique ces dépenses ne relèvent sans doute pas pour la plupart des budgets agricoles. Une autre explication possible serait que les dépenses publiques consacrées à l’agriculture ne soutiennent pas assez de mesures tenant compte des questions de nutrition et ne permettent pas non plus de créer des environnements favorables à une alimentation saine. Comme nous l’avons vu dans les éditions précédentes, non seulement des milliards de personnes ne peuvent pas se permettre une alimentation saine, mais, de surcroît, les environnements alimentaires ne sont pas propices à une alimentation saine7. Le monde ne produit pas non plus assez de fruits et légumes et autres aliments nutritifs pour une population en expansion qui en exigerait davantage, y compris dans les zones rurales8. Le soutien public apporté au secteur de l’alimentation et de l’agriculture, notamment les subventions, s’est par ailleurs traduit par des mesures d’incitation visant à accroître les disponibilités et à réduire le prix des aliments de base et de leurs dérivés, y compris les aliments ultratransformés riches en graisses, en sucres ou en sel mauvais pour la santé et d’une valeur nutritionnelle minime, tout en décourageant et en rendant relativement plus chère la consommation de produits de base non subventionnés ou moins subventionnés tels que les fruits, les légumes et les légumineuses2. Sans surprise, comme nous l’avons vu au chapitre 2, des millions d’enfants de moins de 5 ans souffrent de surpoids.

Il peut également y avoir une corrélation plus élevée entre l’excédent pondéral et les dépenses publiques dans le secteur de la santé qu’entre l’excédent pondéral et les dépenses publiques dans le secteur agricole. Toutefois, non seulement il y a une corrélation positive entre les dépenses publiques intérieures générales consacrées au traitement des carences nutritionnelles par habitant et le pourcentage d’enfants de moins de 5 ans en surpoids (non représenté sur les graphiques), mais cette corrélation est du même ordre que celle observée précédemment pour les dépenses publiques dans l’agriculture (coefficient de corrélation égal à 0,33)n. Il se peut que les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire qui dépensent davantage pour lutter contre les carences nutritionnelles soient également les pays où les taux de surpoids et d’obésité sont les plus élevés, mais cette hypothèse doit être examinée plus avant. Indiscutablement, non seulement le niveau de financement public intérieur nécessaire à l’appui des dépenses publiques dans l’agriculture devra être plus élevé, mais les pays, en particulier les pays à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure, devront investir davantage dans une agriculture tenant compte de la nutrition et dans des environnements alimentaires plus sains, pour remédier plus efficacement aux problèmes de surpoids et d’obésité.

La corrélation entre les dépenses publiques consacrées à l’agriculture et les résultats en matière de sécurité alimentaire et de nutrition au niveau mondial est probablement affaiblie par le manque d’efficacité des dépenses publiques effectives. Le lien entre les dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition et les résultats en matière de sécurité alimentaire et de nutrition devrait être relativement plus étroit car, comme nous le verrons plus loin, les dépenses publiques agricoles ne représentent qu’une petite partie des dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition.

Dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition dans un échantillon de pays à revenu faible ou intermédiaire

Il est difficile de se procurer des données sur les dépenses publiques dans certains pays et de pouvoir ainsi appliquer la définition de base et la définition élargie du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition, présentées au chapitre 3, de manière à obtenir un agrégat mondial. Pour le présent rapport, cet exercice a été piloté à partir de données sur les dépenses publiques de 10 pays de différentes régions: un pays à faible revenu (Ouganda), cinq pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (Bénin, Inde, Kenya, Nigéria et Philippines), et quatre pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (Afrique du Sud, Brésil, Géorgie et Mexique). Les sources de données et l’approche adoptée pour cet exercice sont décrites dans le supplément S4.2 au chapitre 4. L’approche permet de calculer les dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition exprimées en valeur réelle pour les 10 pays.

Il est particulièrement important de s’intéresser à la manière dont les gouvernements dépensent pour soutenir la sécurité alimentaire et la nutrition dans les pays où le revenu par habitant est le plus faible, et ce, pour deux raisons: i) ce sont les pays où les dépenses publiques par habitant tendent à être les plus faibles dans le monde; ii) ce sont les pays où les problèmes d’insécurité alimentaire et de malnutrition sont les plus pressants et qui sont de longue date en proie à des niveaux plus élevés de dénutrition. Il est intéressant de noter que dans les deux pays analysés ici ayant le plus bas revenu par habitant, le Bénin et l’Ouganda, les dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition semblent avoir augmenté: elles ont considérablement augmenté entre 2017-2018 et 2021, et dépassent largement les dépenses publiques agricoles (figure 23 et figure 24). Dans le cas du Bénin, la croissance considérable des dépenses consacrées à l’alimentation en 2020 et 2021 semble indiquer que pendant et après la pandémie de covid-19, une priorité élevée a été accordée au financement des principaux déterminants de la sécurité alimentaire et de la nutrition, à savoir notamment la production intérieure, l’accès à la nourriture et les services de santé (figure 23). En Ouganda, on n’observe une forte croissance des dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition qu’en 2021, et ce sursaut a été de courte durée puisque ces dépenses publiques ont diminué en 2022, même si elles sont restées bien au-dessus des niveaux antérieurs à la pandémie (figure 24).

FIGURE 23 LES DÉPENSES PUBLIQUES CONSACRÉES À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET À LA NUTRITION ENREGISTRENT UNE CROISSANCE PRESQUE CONSTANTE AU BÉNIN JUSQU’EN 2021

NOTES: UML = unité monétaire locale. Estimations obtenues en appliquant la méthode décrite dans le supplément S4.2 au chapitre 4.
SOURCE: Élaboré par les auteurs (FAO) sur la base des données de la Banque mondiale. 2023. World Bank Data Catalog: Benin BOOST platform: Public expenditure and revenue flows. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://datacatalog.worldbank.org/search/dataset/0038083. Licence: CC-BY-4.0.

FIGURE 24 LES DÉPENSES PUBLIQUES CONSACRÉES À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET À LA NUTRITION ENREGISTRENT UNE CROISSANCE RÉGULIÈRE EN OUGANDA, MAIS CELLE-CI N’A PAS PU ÊTRE MAINTENUE EN 2022

NOTES: UML = unité monétaire locale. Estimations obtenues en appliquant la méthode décrite dans le supplément S4.2 au chapitre 4.
SOURCE: Élaboré par les auteurs (FAO) sur la base des données de la Banque mondiale. 2023. World Bank Data Catalog: Benin BOOST platform: Public expenditure and revenue flows. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://datacatalog.worldbank.org/search/dataset/0038083. Licence: CC-BY-4.0.

Le fait que le montant des dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition dépasse le montant des dépenses publiques agricoles illustre l’importance de la définition de base et de la définition élargie du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Ces nouvelles définitions permettent de comptabiliser les flux de financement qui ciblent des domaines autres que le secteur agroalimentaire (santé, eau et assainissement, éducation, dans les zones rurales et dans les zones urbaines, ou encore interventions tenant compte des conflits et visant à assurer la résilience des moyens d’existence) et qui ne relèvent pas des dépenses publiques agricoles. Une part importante des dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition n’est pas comptabilisée dans le budget du secteur agricole mais ailleurs, car les politiques ne sont pas toutes élaborées dans le même cadre.

En moyenne, sur les périodes analysées, 65 pour cent du montant total des dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition au Bénin (tableau 9) et 73 pour cent en Ouganda (tableau 10) a été alloué à l’alimentation et à l’état de santé; la part restante a permis de soutenir des politiques et des mesures le long des six voies porteuses de transformations afin de remédier aux principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition (voir le chapitre 3, figure 19). L’alimentation a capté en moyenne la moitié, voire plus, des dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition au cours de la période, et ces dépenses ont principalement visé les disponibilités alimentaires, mais aussi, bien que dans une moindre mesure, l’accès à la nourriture. Il est intéressant de noter que 14 pour cent des dépenses publiques consacrées dans ces pays à la sécurité alimentaire et à la nutrition sont liées à la santé et principalement orientées vers les services de santé et l’hygiène de l’environnement. Dans les deux pays, les pratiques ne semblent pas figurer dans ces dépenses, mais cela est dû en grande partie au fait qu’il est difficile de les identifier dans les budgets nationaux. Une part importante des dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition dans les deux pays (35 pour cent au Bénin et 27 pour cent en Ouganda en moyenne sur la période) visait à remédier aux principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition et, bien que cela n’apparaisse pas ici, ces ressources ont principalement soutenu des politiques ciblant les inégalités structurelles.

TABLEAU 9VENTILATION DES DÉPENSES PUBLIQUES CONSACRÉES À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET À LA NUTRITION AU BÉNIN

NOTES: Estimations obtenues en appliquant la méthode décrite dans le supplément S4.2 au chapitre 4. Les chiffres ayant été arrondis, la somme des totaux partiels ne correspond pas toujours aux totaux.
SOURCE: Élaboré par les auteurs (FAO) sur la base des données de la Banque mondiale. 2023. World Bank Data Catalog: Benin BOOST platform: Public expenditure and revenue flows. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://datacatalog.worldbank.org/search/dataset/0038083. Licence: CC-BY-4.0.

TABLEAU 10VENTILATION DES DÉPENSES PUBLIQUES CONSACRÉES À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET À LA NUTRITION EN OUGANDA

NOTES: Estimations obtenues en appliquant la méthode décrite dans le supplément S4.2 au chapitre 4. Les chiffres ayant été arrondis, la somme des totaux partiels ne correspond pas toujours aux totaux.
SOURCE: Élaboré par les auteurs (FAO) sur la base des données de la Banque mondiale. 2023. World Bank Data Catalog: Uganda BOOST Public Expenditure Database. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://datacatalog.worldbank.org/search/dataset/0038076. Licence: CC-BY-4.0.

On trouvera dans le supplément S4.2 au chapitre 4, pour huit pays à revenu intermédiaire, les données équivalentes à celles qui sont présentées ici pour le Bénin et l’Ouganda. On peut dégager quatre grands schémas à partir des données sur les huit pays à revenu intermédiaire considérés. Premièrement, l’excédent des dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition par rapport aux dépenses publiques agricoles intérieures générales est plus important dans ces pays qu’au Bénin et en Ouganda (comparer les figures S4.1 à S4.8 dans le supplément S4.2 au chapitre 4 avec les figures 23 et 24). Dans certains pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, par exemple, les dépenses publiques intérieures générales consacrées à l’agriculture représentent en moyenne moins de 10 pour cent (9 pour cent au Brésil, 3 pour cent en Géorgie) ou environ 15 pour cent (Afrique du Sud et Mexique) du montant total des dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition. Deuxièmement, à l’instar du Bénin et de l’Ouganda, les huit pays à revenu intermédiaire considérés ont augmenté leurs dépenses publiques consacrées à la sécurité alimentaire et à la nutrition en valeur absolue, mais n’ont pas pu maintenir le rythme de cette hausse pendant la pandémie de covid-19 ni juste après, à deux exceptions près (Afrique du Sud et Géorgie) (figures S4.1 à S4.8 dans le supplément S4.2 au chapitre 4). Troisièmement, la part des dépenses publiques liées à la sécurité alimentaire et à la nutrition qui est consacrée à la lutte contre les principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition tend à être en moyenne plus élevée dans les huit pays en question que dans les pays de l’échantillon où le revenu par habitant est le plus bas, à savoir le Bénin et l’Ouganda. En fait, dans certains pays à revenu intermédiaire, on consacre davantage de dépenses à la lutte contre les principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition (69 pour cent au Brésil, 60 pour cent aux Philippines) qu’au soutien à l’alimentation et à l’état de santé (tableau 11). Dans d’autres pays, cette part est d’environ 50 pour cent ou un peu inférieure à 50 pour cent (Afrique du Sud, Géorgie, Mexique, Nigéria) (tableau 11). Quatrièmement, bien que les données ne soient pas présentées ici, notons que les huit pays à revenu intermédiaire considérés consacrent une part importante des dépenses publiques à la lutte contre les inégalités structurelles, tout comme le Bénin et l’Ouganda. Cela étant, une grande différence tient au fait que ces pays à revenu intermédiaire consacrent une part beaucoup plus importante de leurs dépenses publiques à la sécurité alimentaire et à la nutrition pour renforcer la résilience des plus vulnérables face à l’adversité économique; par exemple, la part du Brésil est impressionnante, puisqu’elle s’établit à 63 pour cent, tandis que celle de l’Afrique du Sud, de la Géorgie et des Philippines est de 25 à 30 pour cent environ.

TABLEAU 11AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT ET AUTRES APPORTS DU SECTEUR PUBLIC, AU NIVEAU MONDIAL, POUR TOUS LES SECTEURS DE L’AIDE ET POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA NUTRITION

NOTES: La moyenne annuelle (%) concerne les périodes suivantes: 2018-2022 au Brésil, en Géorgie, en Inde, au Kenya, au Mexique et en Ouganda; 2018-2021 au Nigéria; 2019-2023 aux Philippines; 2017-2021 en Afrique du Sud et au Bénin. L’Ouganda est un pays à faible revenu, le Bénin, l’Inde, le Kenya, le Nigéria et les Philippines sont des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et les quatre autres sont des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Estimations obtenues en appliquant la méthode décrite dans le supplément S4.2 au chapitre 4. Les chiffres ayant été arrondis, la somme des totaux partiels ne correspond pas toujours aux totaux.
SOURCES: Élaboré par les auteurs (FAO) sur la base des données de la Banque mondiale. 2023. World Bank Data Catalog: Benin BOOST platform: Public expenditure and revenue flows. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://datacatalog.worldbank.org/search/dataset/0038083. Licence: CC-BY-4.0 pour le Bénin; Gouvernement du Brésil. 2024. Orçamentos Anuais PLDO I LDO I PLOA I LOA - Atos Normativos. Dans: gov.br – Ministério do Planejamento e Orçamento. [Consulté le 30 avril 2024]. https://www.gov.br/planejamento/pt-br/assuntos/orcamento/orcamento/orcamentos-anuais pour le Brésil; Ministère des finances de la Géorgie. 2024. Ministère des finances de la Géorgie. [Consulté le 30 avril 2024]. https://www.mof.ge/en/pour la Géorgie; Ministère des finances, Gouvernement de l’Inde. 2024. Informations comptables. Dans: Controller General of Accounts, Department of Expenditure. [Consulté le 30 avril 2024]. https://cga.nic.in/index.aspx#account-section pour l’Inde; The National Treasury & Economic Planning, République du Kenya. 2021. Sector budget proposal reports. [Consulté le 30 avril 2024]. https://www.treasury.go.ke/sector-budget-proposal-reports pour le Kenya; Gouvernement du Mexique. 2024. Bureau des relations avec les investisseurs du Ministère des finances et du crédit public. Dans: Gobierno de México. [Consulté le 9 mai 2024]. https://www.finanzaspublicas.hacienda.gob.mx/es/Finanzas_Publicas/Ingles pour le Mexique; Gouvernement du Nigéria. 2024. Open Treasury Portal. [Consulté le 30 avril 2024]. https://opentreasury.gov.ng pour le Nigéria; République des Philippines, Département du budget et de la gestion. 2022. Budget of expenditures and sources of financing FY 2023. Manille. https://www.dbm.gov.ph/index.php/2023/budget-of-expenditures-and-sources-of-financing-fy-2023 pour les Philippines; République d’Afrique du Sud, National Treasury Department. 2024. National budget. Dans: National Treasury. [Consulté le 30 avril 2024]. https://www.treasury.gov.za/documents/national%20 budget/default.aspx pour l’Afrique du Sud; Banque mondiale. 2023. World Bank Data Catalog: Uganda BOOST Public Expenditure Database. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://datacatalog.worldbank.org/search/dataset/0038076. Licence: CC-BY-4.0 pour l’Ouganda.

Flux internationaux de financement pour le développement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition

La définition de base et la définition élargie du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition présentées au chapitre 3 ont été appliquées aux flux internationaux de financement pour le développement au niveau mondial. Plus précisément, elles sont été appliquées à l’APD et aux AASP pour la période allant de 2017 à 2021, en suivant la méthode décrite dans le supplément S4.3 au chapitre 4 et en s’appuyant sur des données du Système de notification des pays créanciers (SNPC) de l’OCDE9 et de la base de données AidData10, le cas échéanto.

La sécurité alimentaire et la nutrition captent près d’un quart de l’aide publique au développement et des autres apports du secteur public et cette part n’augmente pas

Les flux mondiaux d’APD et d’AASP pour tous les secteurs de l’aide se sont montés à 354 milliards d’USD en 2021. La part de ces flux qui peut être considérée comme liée à la sécurité alimentaire et à la nutrition conformément à la définition de base et à la définition élargie s’élevait à 77 milliards d’USD en 2021, dont la majorité (61 milliards d’USD, ou 79 pour cent) correspond à l’APD (tableau 12). Ce niveau d’APD est plus élevé que tous les niveaux d’APD dont il est fait état dans les différentes études mentionnées au chapitre 3 (voir la figure 14) car la définition du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition est plus complète, d’autant que la définition élargie inclut des interventions visant à remédier aux principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition.

TABLEAU 12AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT ET AUTRES APPORTS DU SECTEUR PUBLIC, AU NIVEAU MONDIAL, POUR TOUS LES SECTEURS DE L’AIDE ET POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA NUTRITION

NOTES: APD = aide publique au développement; AASP = autres apports du secteur public. Les flux d’APD tirés de la base de données AidData représentent un peu plus de 5 pour cent des flux totaux, en moyenne, sur la période. Les AASP répertoriés dans la base de données AidData ne sont pas pris en compte car il est difficile d’estimer la part de ces flux qui peut être apparentée à de l’aide au développement. L’APD et les AASP au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition résultent de l’application de la définition de base et de la définition élargie de la notion de financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Les chiffres ayant été arrondis, la somme des totaux partiels ne correspond pas toujours aux totaux.
SOURCES: Élaboré par les auteurs (FAO) à l’aide de la méthode décrite dans le supplément S4.3 au chapitre 4, appliquée aux données de l’OCDE. 2024. Explorateur de données de l’OCDE. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://data-explorer.oecd.org/?pg=0&bp=true&snb=920&lc=fr; William et Mary. 2024. AidData: Data. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://www.aiddata.org/datasets

La part allouée à la sécurité alimentaire et à la nutrition tous secteurs d’aide confondus n’a même pas atteint le quart de ces flux sur la période 2017-2021. En fait, les flux destinés à la sécurité alimentaire et à la nutrition semblent avoir été moins prioritaires pour les donateurs au cours de cette période, car ils ont augmenté moins rapidement que les flux destinés à tous les secteurs de l’aide (2 pour cent contre 4 pour cent, en moyenne, de 2017 à 2021), et se sont même contractés relativement plus en 2021 (−5 pour cent contre −2 pour cent, en moyenne), lorsque les effets de la pandémie de covid-19 se faisaient encore sentir (tableau 12). Les flux destinés à la sécurité alimentaire et à la nutrition sont principalement alloués au soutien à l’alimentation et à la santé (définition de base), le reste étant alloué aux interventions visant à lutter contre les principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition (définition élargie) (figure 25). La répartition des flux destinés à la sécurité alimentaire et à la nutrition est, dans l’ensemble, très stable dans le temps (figure 26).

FIGURE 25 L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT (APD) ET LES AUTRES APPORTS DU SECTEUR PUBLIC (AASP) AU SERVICE DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET DE LA NUTRITION REPRÉSENTENT MOINS D’UN QUART DES FLUX MONDIAUX D’APD ET D’AASP ET SONT PRINCIPALEMENT CONSACRÉS À L’ALIMENTATION ET À LA SANTÉ

NOTE: Les chiffres utilisés sont ceux du tableau 12.
SOURCES: Élaboré par les auteurs (FAO) sur la base de la méthode décrite dans le supplément S4.3 au chapitre 4 et en utilisant les volumes de flux exprimés en milliards d’USD constants de 2021 établis par l’OCDE. 2024. Explorateur de données de l’OCDE. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://data-explorer.oecd.org/?pg=0&bp=true&snb=920&lc=fr; William et Mary. 2024. AidData: Data. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://www.aiddata.org/datasets

Disponibilités alimentaires, services de santé et hygiène de l’environnement, conflits et inégalités

Comme indiqué précédemment, la répartition des flux d’APD et d’AASP au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition est très stable dans le temps (figure 26) et, en 2021, la plupart des ressources étaient orientées vers l’alimentation (35 milliards d’USD sur 77 milliards), tandis qu’un montant relativement moindre allait à la lutte contre les principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition (27 milliards d’USD), et un montant encore moindre vers l’état de santé (15 milliards d’USD) (tableau 12). Un peu plus des deux tiers des flux destinés à l’alimentation ont été alloués à la lutte contre les problèmes de disponibilités alimentaires (dont un peu plus de 64 pour cent au soutien à la production nationale et 35 pour cent au soutien à l’aide alimentaire); le tiers restant a été essentiellement alloué à l’accès à la nourriture (figure 27A). Les services de santé et l'hygiène de l’environnement se sont taillé la part du lion (92 pour cent) des flux liés à la santé, principalement au profit de l’eau et de l’assainissement (figure 27B). Enfin, les conflits et les inégalités ont capté un peu plus d’un tiers chacun des flux alloués à la lutte contre les principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition (figure 27C).

FIGURE 26 LA RÉPARTITION DE L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT ET DES AUTRES APPORTS DU SECTEUR PUBLIC AU SERVICE DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET DE LA NUTRITION EST TRÈS STABLE DANS LE TEMPS

NOTE: Les chiffres utilisés sont ceux du tableau 12.
SOURCES: Élaboré par les auteurs (FAO) sur la base de la méthode décrite dans le supplément S4.3 au chapitre 4 et en utilisant les volumes de flux exprimés en milliards d’USD constants de 2021 établis par l’OCDE. 2024. Explorateur de données de l’OCDE. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://data-explorer.oecd.org/?pg=0&bp=true&snb=920&lc=fr; William et Mary. 2024. AidData: Data. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://www.aiddata.org/datasets

FIGURE 27 LES DISPONIBILITÉS ALIMENTAIRES, LES SERVICES DE SANTÉ ET L’HYGIÈNE DE L’ENVIRONNEMENT, ET LES CONFLITS ET LES inégalités, CAPTENT LA MAJORITÉ DE L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT ET DES AUTREs APPORTS DU SECTEUR PUBLIC DESTINÉS, RESPECTIVEMENT, À L’ALIMENTATION, À LA SANTÉ ET AUX PRINCIPAUX FACTEURS DE L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET DE LA MALNUTRITION, EN MOYENNE ANNUELLE SUR LA PÉRIODE ALLANT DE 2017 À 2021

NOTE: Le montant annuel moyen des flux allant à l’alimentation, à la santé et aux principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition est indiqué dans le tableau 12.
SOURCES: Élaboré par les auteurs (FAO) sur la base de la méthode décrite dans le supplément S4.3 au chapitre 4 et en utilisant les volumes de flux exprimés en milliards d’USD constants de 2021 établis par l’OCDE. 2024. Explorateur de données de l’OCDE. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://data-explorer.oecd.org/?pg=0&bp=true&snb=920&lc=fr; William et Mary. 2024. AidData: Data. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://www.aiddata.org/datasets

D’une manière générale, les flux ciblent effectivement les pays où la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition sont les plus graves

On constate que les flux mondiaux d’APD et d’AASP au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition ciblent effectivement les groupes de pays et les régions où la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition sont les plus élevées. Sur la période allant de 2017 à 2021, ces flux s’élèvent en moyenne à 30 USD par habitant dans les pays à faible revenu, contre 10 USD dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et 8 USD dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (tableau 13). On note que du fait de la croissance démographique au cours de cette période et d’une baisse des flux en 2021, l’APD et les AASP au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition, par personne, ont été plus faibles en 2021 que pour toute autre année au cours de la même période dans le cas des pays à faible revenu, ce qui n’est pas le cas pour les pays à revenu intermédiaire. Par ailleurs, ces flux visent principalement l’Afrique où, sur la période 2017-2021, ils atteignaient en moyenne 20 USD par habitant, contre 12 USD dans les Amériques et 7 USD en Asie – d’après les données ventilées par région (tableau 13). De 2017 à 2021, en valeur absolue, l’APD et les AASP au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition ont beaucoup plus augmenté pour l’Afrique par rapport aux autres régions, et pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (et non pas les pays à faible revenu) par rapport aux autres groupes de revenu.

TABLEAU 13DESTINATION DE L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT ET DES AUTRES APPORTS DU SECTEUR PUBLIC AU SERVICE DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET DE LA NUTRITION, PAR GROUPE DE PAYS BÉNÉFICIAIRES CLASSÉS SELON LE REVENU ET PAR RÉGION

NOTES: Tous les montants sont exprimés en USD constants de 2021. En ce qui concerne les groupes de pays classés selon le revenu et les régions, les flux en USD par habitant sont estimés sur la base de la population et, respectivement, des groupes de pays de la Banque mondiale classés selon le revenu et des régions de FAOSTAT (selon la classification M49). On estime à environ 10 milliards d’USD par an en moyenne, sur la période, le montant des flux dont on ne peut déterminer individuellement les pays d’affectation et qu’on ne peut donc pas imputer à des groupes de pays classés selon le revenu ni à des régions. En outre, l’Océanie et l’Europe (3 milliards d’USD par an en moyenne au cours de la période) ne sont pas représentées. Pour chaque région, seule est prise en compte la population des pays à faible revenu et des pays à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure.
SOURCES: Élaboré par les auteurs (FAO) sur la base de la méthode décrite dans le supplément S4.3 au chapitre 4 et en utilisant les volumes de flux exprimés en milliards d’USD constants de 2021 établis par l’OCDE. 2024. Explorateur de données de l’OCDE. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://data-explorer.oecd.org/?pg=0&bp=true&snb=920&lc=fr; William et Mary. 2024. AidData: Data. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://www.aiddata.org/datasets

Le secteur privé participe aux financements au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition, mais il n’est pas possible de comptabiliser convenablement les flux privés

Les sources possibles de financement du secteur privé au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition, à la fois intérieures et extérieures, qui ont été recensées au chapitre 3 (tableau 8) sont multiples. Malheureusement, comme il n’est pas possible de mesurer l’ensemble des financements mondiaux du secteur privé au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition, il n’est pas non plus possible de fournir un chiffre pour une année donnée.

C’est pourquoi, dans la présente section, les conclusions qui sont tirées pour déceler les articulations entre le financement privé mondial et la sécurité alimentaire et la nutrition sont fondées sur des données incomplètes issues de différentes sources. Conformément à la méthode décrite dans le supplément S4.4 au chapitre 4, on regroupe sous la notion de secteur privé des types très distincts de sources de financement qui relèvent de deux grandes catégories: le financement privé non commercial et le financement privé commercial.

Financement privé non commercial

Le financement privé non commercial regroupe deux grands types de sources de financement, dont certaines caractéristiques sont opposées: d’une part, les fonds provenant de philanthropes, dont les montants sont relativement modestes (par rapport à l’APD et aux dépenses publiques), mais qui sont faciles à analyser car la plupart des grandes fondations philanthropiques les déclarent dans la base de données du Système de notification des pays créanciers (SNPC)9; et d’autre part, les envois de fonds transfrontières des migrantsp, dont le montant est beaucoup plus important que celui de l’APD, mais dont on ne peut qu’essayer de deviner à quelle hauteur ils contribuent à la sécurité alimentaire et à la nutrition.

Selon la base de données SNPC9, et après avoir appliqué la définition de base et la définition élargie du financement au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition (voir les suppléments S4.4 et S4.3, dans cet ordre, au chapitre 4), les flux philanthropiques au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition n’ont été que de 4 milliards d’USD par an en moyenne sur la période 2017-2021 et ont représenté une part stable de 30 pour cent de l’ensemble des flux philanthropiques. Ces flux ont augmenté de 1 milliard d’USD de 2019 à 2020, mais ne représentent cependant qu’un montant modeste par rapport aux autres flux privés. Les deux tiers des flux philanthropiques au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition ont soutenu l’alimentation et la santé (d’après la définition de base), tandis que le tiers restant a contribué à la lutte contre les principaux facteurs de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition (tableau 14).

TABLEAU 14FLUX PHILANTHROPIQUES EN FAVEUR DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET DE LA NUTRITION

NOTE: Voir les suppléments S4.4 et S4.3 au chapitre 4 pour la méthode.
SOURCE: Élaboré par les auteurs (FAO) sur la base des données de l’OCDE. Explorateur de données de l’OCDE. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://data-explorer.oecd.org/?pg=0&bp=true&snb=920&lc=fr

Les données disponibles auprès de la Banque mondiale et de l’Alliance mondiale pour le savoir sur les migrations et le développement11 permettent d’estimer le montant des envois de fonds transfrontières vers les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire à 735 milliards d’USD en moyenne sur la période allant de 2017 à 2022 (aux prix courants) et de constater qu’ils ont progressé un peu chaque année, à l’exception de 2020, où ils ont reculé de 1 pour cent. Sur ces flux, 344 milliards d’USD par an (soit près de la moitié) ont été alloués à des utilisations susceptibles de contribuer à la sécurité alimentaire et à la nutrition, au cours de la même période (tableau 15). La majeure partie de cette somme (92 pour cent en moyenne) a été utilisée pour l’alimentation, tandis que seule la petite partie restante a permis de financer des investissements dans l’agriculture et d’autres activités liées aux systèmes agroalimentaires.

TABLEAU 15CROISSANCE ET RÉPARTITION DES ENVOIS DE FONDS TRANSFRONTIÈRES QUI VIENNENT À L’APPUI DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET DE LA NUTRITION DANS LES PAYS À REVENU FAIBLE OU INTERMÉDIAIRE

NOTE: Voir le supplément S4.4 au chapitre 4 pour les références et la méthode.
SOURCE: Auteurs du présent document (FAO) sur la base de Ratha, D., Chandra, V., Ju Kim, E., Plaza, S. et Shaw, W. 2023. Leveraging diaspora finances for private capital mobilization. Migration and Development Brief 39. Washington, Banque mondiale. https://www.knomad.org/sites/default/files/publication-doc/migration_development_brief_39_0.pdf

Financement privé commercial

L’analyse du financement privé commercial au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition fait ressortir deux problèmes. Le premier est l’accès très incomplet et fragmenté aux données et le manque d’informations sur l’utilisation précise des fonds. Les chiffres obtenus sur la finance de marché (les émissions d’actions et d’obligations des entreprises), les prêts bancaires internationaux et les fonds nationaux de capital-investissement n’étaient pas assez complets et pertinents pour parvenir à un chiffre global assez cohérent.

Le deuxième problème majeur est la difficulté de déterminer si ces flux financiers ont une incidence positive sur la sécurité alimentaire et, de façon encore plus cruciale, sur la nutrition. Ce problème, qui se pose également pour les dépenses publiques consacrées à l’alimentation et à l’agriculture, est encore plus marqué pour le secteur privé. En effet, les investissements du secteur privé dans le secteur agroalimentaire ne contribuent pas toujours à réduire la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition. On considère souvent que les grandes entreprises internationales du secteur des produits alimentaires et des boissons, par exemple, sont parties prenantes aux problèmes de sécurité alimentaire et de nutrition et n’y apportent pas de solution (voir l’encadré 10).

ENCADRÉ 10CERTAINS INVESTISSEMENTS PRIVÉS PEUVENT AVOIR UNE INCIDENCE NÉGATIVE SUR L’ODD 2

En ce qui concerne la sécurité alimentaire, les auteurs d’une étude récente se sont livrés à une analyse par méta-régression, portant sur 24 études, qui indique que les éléments attestant les effets, négatifs ou positifs, des investissements étrangers directs (IED) sur la sécurité alimentaire dans les pays en développement sont peu nombreux, quoiqu’elle laisse penser que l’effet pourrait être positif à court terme, mais négatif à long terme12.

En ce qui concerne la nutrition, cependant, The Lancet, dans sa série Commercial determinants of health13, a observé en 2023 qu’un groupe important d’acteurs commerciaux portaient à des niveaux qui pourraient être évités les problèmes de santé, les dommages causés à la planète et les inégalités, autrement dit les déterminants commerciaux de la santé. De même, un examen des données quantitatives réalisé en 201914 a montré que les IED étaient plus clairement associés à l’augmentation de la prévalence du surpoids, de l’obésité et des maladies non transmissibles qu’à l’évolution de la dénutrition. Qui plus est, une analyse des réseaux a révélé que de nombreux grands acteurs du secteur des produits alimentaires et des boissons au niveau mondial sont au centre de groupes d’intérêt représentant l’industrie des aliments ultratransformés15.

Les auteurs de deux études récentes publiées dans le British Medical Journal soulignent que des centaines d’études épidémiologiques et de méta-analyses font état de liens entre la consommation d’aliments ultratransformés et des problèmes de santé16, 17. L’examen de 35 550 produits fabriqués par les 20 plus grandes entreprises du secteur des produits alimentaires et des boissons (représentant 22 pour cent des ventes mondiales du secteur) dans quelques pays de premier plan, dont l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine et l’Inde, a révélé qu’à quelques exceptions notables, l’écrasante majorité de ces produits étaient mauvais pour la santé d’après le modèle de profils nutritionnels du Bureau régional de l’Organisation mondiale de la Santé pour l’Europe. Dans ces quatre pays, les produits meilleurs pour la santé n’ont représenté que 4 à 12 pour cent des ventes de ces entreprises en 202018.

En ce qui concerne les répercussions écologiques, les aliments ultratransformés sont associés à l’agriculture et à l’élevage intensifs et menacent toutes les dimensions de la durabilité des systèmes agroalimentaires car ils sont le fruit d’une combinaison d’ingrédients peu coûteux à l’achat et sont de plus en plus consommés à l’échelle mondiale19. De même, on a constaté que la production et la consommation d’aliments ultratransformés accentuaient la dégradation des terres, l’utilisation d’herbicides, l’eutrophisation et l’utilisation d’emballages20.

Parmi les flux de financements privés commerciaux internationaux, les IED sont ceux pour lesquels on dispose de la source de données la plus complète. Selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), sur la période 2017-2022, les IED ont été en moyenne de 19 milliards d’USD pour «l’alimentation et l’agriculture» (définition 2017-2019) et les «systèmes agroalimentaires» (définition 2020-2022), avec une chute de 44 pour cent en 2020 en raison de la pandémie de covid-19 puis, en 2022, un retour au niveau de 2019 (tableau 16). Si l’on ajoute à cela les IED dans d’autres secteurs qui peuvent être considérés comme des dépenses de soutien à la sécurité alimentaire et à la nutrition (comme expliqué dans le supplément S4.1 au chapitre 4), on obtient un montant supplémentaire de 43 milliards d’USD de soutien à la sécurité alimentaire et à la nutrition, en moyenne, sur la période, avec une baisse de 34 pour cent en 2020, principalement due à la contraction des investissements dans les services et infrastructures de transport, ainsi que, à un moindre degré, dans le secteur de l’électricité, pendant la pandémie, et un bond important de 112 pour cent en 2022 causé principalement par l’augmentation des investissements dans les énergies renouvelables.

TABLEAU 16INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS DIRECTS SPÉCIFIQUEMENT DESTINÉS À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET À LA NUTRITION, DANS LES ÉCONOMIES EN DÉVELOPPEMENT

NOTES: EAH = eau, assainissement et hygiène. Les investissements étrangers directs (IED) liés à la sécurité alimentaire et à la nutrition sont les IED dont la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) fait état pour l’alimentation et l’agriculture en 2017-2019 et pour les systèmes agroalimentaires en 2020-2022. Un coefficient de pondération de 22 pour cent a été appliqué aux dépenses de soutien, dont on considère qu’elles ont des effets sur la sécurité alimentaire et la nutrition mais aussi d’autres effets, pour rendre compte de leur contribution à la sécurité alimentaire et à la nutrition, comme expliqué dans le supplément S4.1 au chapitre 4. L’électricité ne comprend pas les énergies renouvelables, et les télécommunications incluent les services informatiques. Les données relatives aux IED se rapportent exclusivement aux annonces de projets de création de capacités dans les économies en développement (pays à faible revenu et pays à revenu intermédiaire, de la tranche inférieure et de la tranche supérieure, à l’exclusion de l’Europe de l’Est). Les chiffres ayant été arrondis, les totaux des colonnes ne correspondent pas toujours exactement à la somme des éléments qui les composent. Pour en savoir plus sur les définitions et la méthode, voir le supplément S4.4 au chapitre 4.
SOURCES: CNUCED. 2020. Rapport sur l’investissement dans le monde 2020. La production internationale au-delà de la pandémie. Genève, Suisse. https://unctad.org/fr/publication/rapport-sur-linvestissement-dans-le-monde-2020; CNUCED. 2023. Rapport sur l’investissement dans le monde 2023. Investir dans l’énergie durable pour tous. Genève, Suisse. https://unctad.org/fr/publication/rapport-sur-linvestissement-dans-le-monde-2023

Les montants du financement mixteq sont beaucoup plus modestes, selon les quelques données disponibles. Les auteurs du rapport State of Blended Finance 202321 estiment qu’en moyenne, sur la période 2020-2022, 26 pour cent des transactions de financement mixte, soit 1,2 milliard d’USD par an, étaient «alignées» sur l’ODD 2r, contre 19 pour cent et 0.9 milliard d’USD par an pour la période allant de 2014 à 201922. Pour ce qui est de l’alignement avec les opérations de financement mixte, l’ODD 2 occupait la huitième position de 2020 à 2022 et la neuvième position de 2014 à 2019s. À cela s’ajoutent les chiffres relatifs à la mobilisation indirecte du secteur privét dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire, fournis dans le rapport conjoint du groupe de travail des banques multilatérales de développement sur la mobilisation de financements privés (MDB Task Force on Mobilization). Toutefois, ces chiffres (46 milliards d’USD en moyenne sur la période 2017-2021 pour tous les secteurs) sont ventilés simplement entre «infrastructures» et «non infrastructures», ce qui ne suffit pas pour évaluer leur contribution à la sécurité alimentaire et à la nutrition23.

En ce qui concerne le financement commercial intérieur, FAOSTAT24 fournit des chiffres sur le crédit bancaire à l’agriculture dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure. Le montant net des prêts bancaires, selon cette source, était en moyenne de 10 milliards d’USD sur la période 2017-2021, et a enregistré une baisse quasi continue, passant de 22 milliards d’USD en 2017 à 2 milliards d’USD en 2021 (figure 28). Ces chiffres sont peu élevés, mais on peut supposer, en se fondant sur les données d’ISF Advisors25, qu’ils comptent pour les trois quarts environ du financement total à la disposition des petites et moyennes entreprises (PME) du secteur agroalimentaire, du moins en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Estu. En outre, ils font apparaître une tendance à la baisse très marquée du montant net des prêts bancaires susceptibles de soutenir la sécurité alimentaire et la nutrition.

FIGURE 28 LE MONTANT NET DES PRÊTS BANCAIRES AUX SECTEURS DE L’AGRICULTURE, DES FORÊTS ET DE LA PÊCHE EST EN BAISSE PRESQUE CONTINUE

NOTES: L’estimation du montant net des prêts se fonde sur la variation de l’encours d’une année sur l’autre. Quatre-vingt-treize pays à revenu faible ou à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure ont été pris en compte. Les données manquent pour 3 de ces 93 pays (Afghanistan, Bélarus et République arabe syrienne) pour 2021, ainsi que pour la Chine pour 2020 et 2021. On a utilisé les données de la dernière année disponible pour combler les lacunes.
SOURCE: FAO. 2024. FAOSTAT: Crédits à l’agriculture. [Consulté le 24 juillet 2024]. https://www.fao.org/faostat/fr/#data/IC. Licence: CC-BY-4.0.

En fin de compte, la principale source de financement des entreprises dans les secteurs touchant à la sécurité alimentaire et à la nutrition, du moins pour les agriculteurs et les PME, semble bien être l’autofinancement. Il n’existe cependant pas de données sur l’autofinancement de ces entreprises. FAOSTAT26 fournit des données sur le stock de capital dans le secteur agricole dans les pays à revenu faible et les pays à revenu intermédiaire des tranches inférieure et supérieure, à partir desquelles on peut calculer les dépenses nettes en capital (412 milliards d’USD en moyenne sur la période 2017-2021, aux prix constants de 2015). L’autofinancement pourrait théoriquement être calculé en soustrayant des dépenses nettes d’investissement les financements extérieurs qui soutiennent ces investissements, dont les flux mentionnés ci-dessus (crédits bancaires, envois de fonds transfrontières utilisés pour les investissements agricoles, subventions publiques aux dépenses en capital, etc.). Les données sur ces financements extérieurs sont trop partielles pour permettre un tel exercice, mais il est probable que la plus grande part des dépenses nettes d’investissement dans l’agriculture est financée par les PME et les agriculteurs eux-mêmes.

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