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L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022

Chapitre 4 OPTIONS POSSIBLES POUR RÉORIENTER LE SOUTIEN PUBLIC À L’ALIMENTATION ET À L’AGRICULTURE DE FAÇON À RENFORCER L’ABORDABILITÉ D’UNE ALIMENTATION SAINE

4.2 Politiques complémentaires, relatives ou extérieures aux systèmes agroalimentaires, nécessaires pour assurer l’efficacité des initiatives de réorientation

Pour donner corps aux scénarios tels que décrits à la section précédente et ainsi contribuer efficacement à rendre l’alimentation saine moins coûteuse et plus abordable, d’autres politiques relatives aux systèmes agroalimentaires ainsi que des politiques et incitations extérieures à ces systèmes seront nécessaires (voir au chapitre 1 la figure 1). Une fois harmonisées et mises en place, ces politiques complémentaires pourront apporter une aide de deux manières (figure 24). En premier lieu, elles pourront proposer des incitations (ou des désincitations) qui viendront favoriser les changements propices à des habitudes alimentaires saines, que ce soit dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire, les environnements alimentaires ou les comportements des consommateurs. En second lieu, elles permettront d’atténuer les effets pervers ou les déséquilibres créés par la réorientation du soutien, surtout si ceux-ci entraînent une réduction de l’accès des groupes de population vulnérables ou défavorisés à des aliments nutritifs et à une alimentaire saine.

FIGURE 24RÔLE CRITIQUE DES POLITIQUES COMPLÉMENTAIRES, RELATIVES OU EXTÉRIEURES AUX SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES, DANS L’APPUI AUX INITIATIVES DE RÉORIENTATION DU SOUTIEN

SOURCE: FAO.
SOURCE: FAO.

Il conviendra également de prêter attention au secteur privé, non seulement aux agriculteurs, mais aussi aux agro-industriels, ainsi qu’aux entreprises des autres secteurs constitutifs de l’industrie alimentaire, car leurs actions sont susceptibles de permettre ou d’entraver la concrétisation des objectifs attendus de la réorientation du soutien dans la pratique. Négliger l’imbrication des systèmes agroalimentaires dans d’autres systèmes peut avoir des conséquences et des coûts non souhaités et non compensés.

Autres politiques relatives aux systèmes agroalimentaires venant en complément des initiatives de réorientation du soutien

Les éditions 2020 et 2021 du présent rapport ont mis en lumière et examiné en profondeur plusieurs politiques relatives aux systèmes agroalimentaires qui, bien que n’étant pas conçues directement pour accroître les disponibilités en aliments nutritifs ou réduire le coût de ces aliments, sont susceptibles de soutenir les initiatives de réorientation car elles concourent à la transformation des chaînes d’approvisionnement alimentaire et favorisent des environnements alimentaires et des comportements de consommation propices à l’adoption d’habitudes alimentaires saines3,15. Organiser un environnement alimentaire de nature à renforcer la demande d’une alimentation saine peut avoir une incidence sur les prix à la consommation et sur les incitations nécessaires pour réduire le prix relatif des aliments nutritifs. Par ailleurs, certaines politiques encouragent à faire évoluer la qualité nutritionnelle des disponibilités alimentaires. Une analyse non exhaustive des politiques ciblant ces objectifs est présentée dans ce qui suit.

Instaurer des limites impératives ou des cibles volontaires conduisant à une reformulation des produits alimentaires et des boissons

Les normes alimentaires et les programmes de reformulation des produits alimentaires, assortis de limites impératives ou de cibles volontaires étroitement contrôlées, visent à améliorer la qualité nutritionnelle des boissons et des produits alimentaires transformés, ce qui en fait un mécanisme d’accroissement des disponibilités en aliments nutritifs. Les mesures de ce type incitent aussi à des changements dans la production agricole des ingrédients destinés à la transformation alimentaire, comme les graisses, les huiles et les sucres. Cela étant, même si les programmes de reformulation favorisent effectivement les produits présentant un profil nutritionnel plus sain, ce qui les rend plus cohérents avec une réorientation du soutien public, il ne faut pas que ces produits se substituent à une consommation d’aliments nutritifs frais et préparés à la maison.

Une stratégie d’action publique complète visant à promouvoir la reformulation comprend les éléments suivants: des mesures réglementaires prônant l’élimination des acides gras trans; des programmes de reformulation dirigés par l’État conduisant à réduire progressivement les graisses saturées, les sucres libres, le sel/sodium et l’apport énergétique dans toutes les grandes catégories de boissons et d'aliments hautement transformés; et l’adoption de modèles de profil nutritionnel fondés sur des données probantes pour éclairer les politiques encourageant la reformulation237. Des programmes de reformulation des produits alimentaires sont aujourd’hui en place dans 82 pays238. Des politiques nationales ou locales qui avaient pour objectif l’élimination des acides gras trans sont parvenues à réduire les apports correspondants, entraînant une évolution favorable des résultats en matière de santé 239,240,241,242,243. Les pays qui avaient les moyens de réorienter leur production vers des cultures d’oléagineux apportant un niveau plus élevé d’acides gras mono- ou polyinsaturés sont parvenus plus aisément à passer à des huiles meilleures pour la santé que les pays qui dépendaient fortement des importations et qui ont dû substituer aux huiles riches en acides gras trans des produits présentant une teneur élevée en graisses saturées244,245. Fin 2021, les politiques obligatoires en vigueur portant sur les acides gras trans touchaient 3,2 milliards de personnes dans 57 pays246.

De la même manière, des cibles de reformulation bien conçues peuvent entraîner une réduction de la teneur en sodium des aliments, et donc des apports en sel. Volontaires ou obligatoires, les politiques de réduction du sodium se sont avérées efficaces pour réduire la teneur en sel des aliments transformés, avec une variation selon les produits et les populations247. Il est vital d’obtenir la coopération des industriels de l’alimentaire si l’on veut que ces interventions réussissent247,248. Pour aider les pays et les industriels à réduire autant qu’il est possible la teneur en sel d’une vaste gamme de produits transformés, l’OMS a établi des points de comparaison à l’échelle mondiale, qui peuvent leur servir de guide249.

Améliorer la valeur nutritionnelle des aliments par l’enrichissement ou le bioenrichissement

Enrichir les aliments consiste à leur ajouter des micronutriments après récolte, par une forme de transformation qui permet d’accroître la teneur de ces aliments en un ou plusieurs micronutriments essentiels, afin d’améliorer la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire et de contribuer à la santé publique avec un risque minimal pour la santé. Le bioenrichissement, en revanche, désigne l’ajout de ces micronutriments à la plante par des techniques de croisement avec des variétés dans lesquelles le ou les micronutriments recherchés sont plus concentrés ou par modification génétique250. Ces techniques font partie des mesures présentant le meilleur rapport efficacité-coût pour prévenir les carences251, car elles permettent d’assurer un apport en micronutriments essentiels à de larges segments de la population sans leur imposer ni changements radicaux des habitudes alimentaires ni décision personnelle d’observance252,253,254.

L’objectif de ces mesures n’est pas de se substituer à une alimentation équilibrée et diversifiée, mais de prévenir les conséquences à long terme et les effets sur la santé publique de carences en micronutriments, pendant que se poursuivent les initiatives visant à mettre une alimentation saine à la portée de tous, comme ce peut être le cas avec les réformes du soutien public. Le choix des micronutriments à ajouter, des aliments à enrichir et du degré d’enrichissement souhaitable doit être fait sur la base d’éléments probants précisant les déficits dans les apports en micronutriments, les profils de consommation, la possibilité d’enrichir les aliments sélectionnés à cette fin et, s’ils sont disponibles, les indicateurs biochimiques de l’état micronutritionnel de la population252,253,254,255. Pour plus de cohérence dans les politiques, ces décisions doivent aussi tenir compte des aliments privilégiés par la réorientation du soutien public et des changements qui pourraient s’ensuivre dans les habitudes de consommation. Outre les carences en micronutriments, les politiques d’enrichissement et de bioenrichissement doivent examiner l’harmonisation nécessaire avec les politiques de réduction des maladies non transmissibles liées à l’alimentation, comme l’iodisation du sel256,257.

Légiférer en matière de marketing des produits alimentaires et des boissons et mise en œuvre des politiques d’étiquetage nutritionnel

Les initiatives de réorientation du soutien peuvent aussi être appuyées par des lois (voire des règlements, des normes et/ou d’autres instruments légaux) encadrant le marketing des produits alimentaires et des boissons et mettant en œuvre des politiques d’étiquetage nutritionnel, y compris par apposition d’informations explicatives sur la face avant des emballages258,259,260. Les mesures qui visent à protéger les personnes, et en particulier les enfants et les adolescents de la naissance jusqu’à l’âge de 18 ans, contre les effets préjudiciables du marketing des produits alimentaires et des boissons261 sont conçues pour influer sur le comportement des consommateurs et orienter la demande vers les aliments nutritifs262,263,264. Le recours à l’action publique dans ce domaine est de plus en plus fréquent, puisque 52 pays ont déjà imposé des restrictions en matière de marketing des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées visant les enfants238 et 144 ont adopté des mesures juridiques relatives au marketing des substituts du lait maternel265.

L’étiquetage nutritionnel peut aussi aider à accroître la demande d’aliments nutritifs. Ainsi, des travaux de recherche montrent que l’utilisation d’étiquettes nutritionnelles est associée au fait de choisir une alimentation saine266,267,268,269,270, encore que de nombreuses personnes ne lisent toujours pas les informations nutritionnelles données à l’arrière des emballages – lorsqu’elles sont effectivement données – et que la compréhension de ces informations reste problématique266,267,271,272,273. Le fait d’apposer des informations nutritionnelles simplifiées et visibles sur la face avant des emballages (étiquetage frontal) peut orienter les consommateurs vers des choix alimentaires plus sains et inciter les fabricants et les détaillants à reformuler leurs produits, ce qui représente un complément essentiel aux initiatives de réorientation du soutien. Ainsi, une étude systématique récente a constaté que l’étiquetage frontal conduisait non seulement à des changements dans les choix des consommateurs, mais aussi à des réductions importantes de la teneur en acides gras trans et en sel des produits transformés269. À ce jour, 42 pays mettent en œuvre des initiatives d’étiquetage frontal238.

Taxer les aliments à densité énergétique élevée riches en graisses, en sucres ou en sel

Taxer les aliments très caloriques et les aliments riches en graisses, en sucres ou en sel peut venir compléter les initiatives de réorientation du soutien en faveur du subventionnement et de la stimulation de l’offre et de la consommation d’aliments nutritifs. Ce type de taxation concourt à freiner la demande des aliments visés et son incidence sur l’abordabilité relative des options alimentaires plus saines contribue à déplacer la demande vers les aliments sains274. À ce jour, 26 pays appliquent des taxes sur les produits alimentaires riches en graisses, en sucres ou en sel238. Les données probantes recueillies dans les pays qui recourent à ce type de mesures indiquent clairement que la taxation fait baisser les achats des produits visés275. Les personnes qui préfèrent continuer à acheter les produits taxés malgré leur prix plus élevé fournissent aux pouvoirs publics une source de recettes que ceux-ci peuvent réinvestir efficacement dans les systèmes agroalimentaires ou dans des initiatives de santé contribuant à lutter contre les effets d’une alimentation préjudiciable à la santé (ce qui peut aussi renforcer le soutien du public aux mesures de taxation)276.

Par ailleurs, la baisse du taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable à certains produits nutritifs peut éventuellement faire baisser leur prix, mais la répercussion de cette baisse dépendra de facteurs tels que la structure du marché et la saisonnalité des produits frais. En Lettonie, par exemple, la baisse du taux de TVA, passé de 21 pour cent à 5 pour cent sur plusieurs fruits et légumes, s’est traduite par une diminution considérable des prix au détail de ces aliments. La baisse des prix de détail n’a toutefois représenté que 88 pour cent de celle opérée sur la TVA, ce qui signifie que la réduction de la taxe n’a pas entièrement bénéficié aux consommateurs277.

Associer des politiques d’aménagement du territoire à d’autres politiques complémentaires pour remédier aux déserts et aux bourbiers alimentaires

L’accès physique à des aliments nutritifs abordables, ce que toute stratégie de réorientation du soutien devrait s’employer à améliorer, peut se trouver amoindri du fait de l’absence ou de la faible densité, dans un périmètre raisonnable, de magasins ou de marchés vendant des produits alimentaires – et notamment des produits frais dont la durée de conservation est courte ou qui nécessitent d’être conservés au froid – (ce qu’on appelle un «désert alimentaire»)184 ou, lorsque ces magasins existent, du fait qu’ils offrent une surabondance de produits alimentaires très caloriques riches en graisses, en sucre ou en sel et peu d’aliments nutritifs (on parle alors de «bourbiers alimentaires»)184. Les déserts et les bourbiers alimentaires se trouvent souvent dans les pays à faible revenu et dans les zones mal desservies des pays à revenu élevé, et constituent un problème croissant dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire184.

Les politiques d’aménagement du territoire – comprenant zonage, règlements et taxation – prennent une importance considérable lorsqu’il s’agit de résoudre le problème des déserts et bourbiers alimentaires. Des administrations locales et nationales ont appliqué, par exemple, des lois et règlements d’urbanisme visant à: i) restreindre dans certaines zones la vente au détail ou les services de restauration qui offrent principalement des aliments à densité énergétique élevée riches en graisses, en sucres ou en sel; et ii) mettre en place un soutien et des incitations à la vente d’aliments nutritifs184,278. De même, les autorités chargées de la réglementation peuvent mettre en place des processus d’agrément pour influer sur les types de services d’alimentation autorisés à s’installer et sur les types d’aliments autorisés à la vente dans ces établissements. Plusieurs autorités se servent de ces compétences pour éviter les bourbiers alimentaires autour des écoles, en limitant, par exemple, les points de vente d’aliments chauds à emporter à proximité des établissements scolaires278,279,280,281. En outre, il est possible d’utiliser des crédits d’impôt et des exonérations pour inciter les détaillants à vendre davantage de produits frais et à proposer un choix de boissons plus saines. Le recours combiné à des lois d’urbanisme et à des incitations financières s’est révélé efficace pour augmenter les disponibilités en produits frais abordables dans certains quartiers défavorisés et stimuler l’achat de fruits et de légumes282.

Mettre en œuvre des politiques relatives à une restauration et un approvisionnement alimentaire institutionnels sains

L’un des domaines d’action publique qui offrent un potentiel inexploité d’appui à la réorientation du soutien public à l’alimentation et à l’agriculture est la mise en œuvre de politiques portant sur la restauration et l’approvisionnement en aliments sains dans les établissements publicsai. En associant des critères de nutrition et de durabilité aux boissons et aux repas ou collations vendus ou servis dans les établissements publics, ou achetés avec des fonds publics, ces politiques peuvent mettre des aliments nutritifs dans l’assiette des personnes qui étudient, travaillent ou vivent dans ces établissements, tout en contribuant à changer leurs habitudes alimentaires et à faire évoluer la demande vers une alimentation plus saine et tenant compte des questions de durabilité. Elles peuvent aussi stimuler la production d’aliments nutritifs périssables, comme les fruits, les légumes et les produits laitiers, et contribuer à atténuer les effets pervers de la réorientation du soutien, en ciblant notamment les personnes les plus vulnérables face à ces changements durant la période de transition.

L’importance de la demande institutionnelle et la nature structurée des processus d’achat du secteur public peuvent créer une demande considérable et prévisible d’aliments nutritifs (aliments périssables et aliments pauvres en matières grasses nocives, en sucres et en sel) et ainsi augmenter la viabilité économique de la production de ces aliments, réduire les risques et créer un marché accessible et garanti. L’échelle financière des marchés publics – qui représentent entre 12 et 20 pour cent du PIB des pays, dont une proportion importante dépensée en produits alimentaires – donne une idée du potentiel de cette mesure lorsqu’on veut influer plus largement sur les systèmes agroalimentaires.

Les villes européennes de Copenhague et de Vienne, par exemple, ont constaté que la mise en place de politiques d’achat imposant qu’un pourcentage donné des aliments achetés soit produit par l’agriculture biologique avait favorisé une offre accrue de fruits, de légumes et d’autres produits bio283,284,285. De façon similaire, l’ajout de critères de nutrition et de durabilité visant à accroître la part végétale des repas servis dans les établissements publics pourrait stimuler la production de fruits, de légumes, de légumineuses et de fruits à coque ainsi que d’autres aliments nutritifs. Des expériences menées dans d’autres pays ou d’autres villes ont montré que les politiques relatives aux achats alimentaires institutionnels pouvaient favoriser la diversification aussi bien chez les agriculteurs que chez les industriels de l’alimentation286.

Les politiques d’achats institutionnels d’aliments ou de services de restauration sains sont plus couramment mises en œuvre dans les établissements scolaires (91 pays en font état)238. Il reste donc une vaste marge de progression si l’on poursuit cette mise en œuvre dans d’autres secteurs, comme les crèches, les universités, les hôpitaux, les établissements de soins avec hébergement, les établissements pénitentiaires, les bases militaires, les bureaux des administrations et les programmes d’aide alimentaire. Seuls 16 pays appliquent une politique de cette nature à d’autres types d’établissements et, parmi ceux-ci, seuls quatre l’appliquent à l’ensemble des produits alimentaires achetés par le secteur public238.

À titre d’exemple de politique d’achat couvrant un plus vaste périmètre, on peut citer la politique d’achat institutionnel de produits alimentaires sains adoptée à Quezon City, aux Philippines, en 2021, qui met en place des normes nutritionnelles obligatoires applicables à tous les approvisionnements alimentaires destinés aux hôpitaux, aux bureaux, aux services et aux institutions dirigés par la municipalité. Un programme d’approvisionnement en aliments nutritifs et en ingrédients sains auprès de microentreprises ou de petites et moyennes entreprises vient appuyer cette politique287.

Des politiques relatives au système de protection sociale pour atténuer les déséquilibres possibles

Comme le montre l’analyse présentée à la section précédente, la réorientation du soutien public à l’alimentation et à l’agriculture peut aboutir, dans certains scénarios, à des déséquilibres préjudiciables à certains groupes de population: cela peut être une baisse du revenu agricole ou un ralentissement du rythme de la réduction de la pauvreté ou de la reprise économique. Sur ce point, les politiques de protection sociale ont un rôle essentiel à jouer pour aider les segments de population ou les parties prenantes susceptibles de pâtir de la réorientation du soutien public à passer le cap.

Dans les pays où de larges fractions de la population ne sont pas encore couvertes par des dispositifs d’assurance sociale, il peut être efficace, pour atténuer les éventuels effets préjudiciables de la réorientation des politiques alimentaire et agricole, de tabler sur des programmes conçus selon une approche de protection sociale réactive aux chocsaj, en tirant parti de l’importance qu’ils accordent à la détermination des risques pour les moyens d’existence et en les transposant à grande échelle pour gérer efficacement ces risques288. Ainsi, durant la pandémie actuelle de covid-19, plusieurs pays dans le monde ont accru le montant et prolongé la durée des prestations versées au titre des programmes existants (extension verticale) et ont étendu ces programmes à de nouveaux bénéficiaires (extension horizontale)289,290. En Sierra Leone, par exemple, le transfert monétaire inconditionnel connu sous l’appellation de programme «Ep Fet Po» s’est vu adjoindre une prestation complémentaire destinée aux ménages qui comptent des personnes handicapées et a été étendu à 65 000 nouveaux bénéficiaires/ménages venant principalement de zones rurales exposées291,292 (voir l’encadré 16 pour d’autres exemples).

ENCADRÉ 16FACE AUX CHOCS SUR LES MOYENS D’EXISTENCE, LA PROTECTION SOCIALE EST ESSENTIELLE

Cherchant à atténuer les effets de la pandémie de covid-19 sur la population, certains gouvernements ont mis en branle leurs systèmes de protection sociale réactive aux chocs, étendant les programmes ou autres stratégies de façon verticale (valeur et durée des prestations) et horizontale (ajout de nouveaux bénéficiaires) pour aider les ménages vulnérables à surmonter les difficultés créées par la crise. Exemples:

  • Dans les Caraïbes, région exposée aux ouragans et autres risques naturels, les pays ont eu de plus en plus souvent recours à des systèmes de protection sociale réactive aux chocs pour faire face aux catastrophes naturelles. Que ce soit en développant les programmes existants ou en en lançant de nouveaux, à la fin du premier semestre 2020, tous les pays des Caraïbes avaient mis en place des mesures permettant d’atténuer les effets socioéconomiques de la pandémie de covid-19296. La République dominicaine, par exemple, a lancé une version temporairement étendue, aussi bien verticalement qu’horizontalement, (intitulée Quédate en Casa ou Restez chez vous) de son programme phare de protection sociale. Cette double extension avait pour objectif affiché de maintenir le pouvoir d’achat de produits alimentaires des ménages. En mai 2021, partant de cette extension, le Gouvernement a lancé la transformation et le développement du programme phare, devenu Supérate, l’objectif étant désormais d’atteindre plus d’un million de ménages dans le pays297.
  • Le Gouvernement du Lesotho, avec l’appui du Programme alimentaire mondial (PAM), met en œuvre un programme d’alimentation scolaire qui intervient dans toutes les écoles du pays298. Durant la pandémie de covid-19, le Gouvernement et le PAM sont parvenus à faire en sorte que les élèves continuent d’avoir accès à cette aide malgré la fermeture des établissements, en distribuant les repas scolaires sous la forme de rations à emporter à la maison296.
  • La Mauritanie, touchée de façon récurrente par des cycles de sécheresse, a mis en place le programme d’aide sociale Tekavoul en 2015, qui apporte un soutien régulier aux ménages les plus vulnérables, et le programme Maouna en 2017, qui fournit des transferts monétaires saisonniers aux ménages frappés par la sécheresse et d’autres crises. Fort de ces deux plateformes, en mai 2020, le Gouvernement mauritanien a pu procéder sans délai à une extension verticale des transferts monétaires du programme Tekavoul et à une transposition à plus grande échelle des transferts monétaires saisonniers du programme El Maouna dans le cadre du plan national mis sur pied pour remédier aux effets socioéconomiques de la pandémie de covid-19296.

Tirant parti des avancées de la protection sociale durant la pandémie de covid-19, on a créé le groupe de travail sur la protection sociale et la transformation des systèmes alimentaires, dans le cadre du Partenariat mondial pour une protection sociale universelle en vue d’atteindre les objectifs de développement durable (USP2030). Ce groupe de travail, issu du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires de 2021, vise à soutenir les pays et à coordonner les initiatives qui ont pour objectif de créer et de renforcer les liens et les effets de synergie entre la protection sociale nationale et les systèmes agroalimentaires, afin d’optimiser les résultats en matière de réduction de la pauvreté, de sécurité alimentaire, de nutrition et de travail décent299.

Parallèlement à l’extension des programmes existants, de nouvelles initiatives de protection sociale peuvent être prises pour soutenir les moyens d’existence des ménages en cas de crises, y compris celles provoquées par des changements de politique. Le programme PROCAMPO (puis PROAGRO) du Mexique, par exemple, a été mis en œuvre après la libéralisation du commerce résultant de l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1994. Il a pris la forme de transferts compensatoires destinés aux producteurs, lesquels allaient devoir faire face à la baisse anticipée des prix intérieurs des cultures de base qui, jusque-là se trouvaient protégées par les prix à la frontière293. Les 25 ans d’application du programme (une initiative nouvelle l’a remplacé en 2019) ont donné des résultats en demi-teinte: le programme a eu des effets positifs en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités, mais il a aussi bénéficié davantage aux plus riches et aux plus grands producteurs qu’aux plus pauvres et aux plus petits, car le transfert était lié en grande partie à la superficie productive dont les bénéficiaires étaient propriétaires294.

Pendant que les pays renforcent leur système national de protection sociale (qui comprend l’assurance sociale, l’aide sociale et les interventions sur le marché du travail), la conception de nouveaux programmes ou l’élargissement des programmes existants adoptant une approche réactive aux chocs pourraient constituer une part importante des interventions complémentaires visant à remédier aux déséquilibres que la réorientation du soutien public à l’alimentation et à l’agriculture est susceptible de créer. L’efficacité du ciblage et la pertinence des prestations de ces interventions complémentaires joueront un rôle essentiel pour réduire l’impact des effets négatifs sur les revenus que la réforme des politiques pourrait avoir295.

Politiques et incitations relatives à l’environnement et au climat

La promotion d’une alimentation saine abordable et la poursuite des objectifs environnementaux et climatiques peuvent offrir des effets de synergie importants avec la réorientation du soutien à l’alimentation et à l’agriculture. Ainsi, l’appui à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation à ses effets peut aider à accroître la production d’une diversité d’aliments nutritifs, base d’une alimentation saine, tout en améliorant les moyens d’existence des agriculteurs et des travailleurs employés dans les chaînes de valeur (encadré 17). En outre, la production de fruits et de légumes peut contribuer à enrichir la biodiversité et à soutenir la durabilité environnementale300. Les investissements destinés à promouvoir et commercialiser des espèces négligées ou sous-utilisées pourraient permettre de satisfaire les besoins alimentaires de la population, en particulier dans les pays à faible revenu, tout en diversifiant la production et en soutenant la biodiversité301.

ENCADRÉ 17INVESTIR DANS LES PRATIQUES D’ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE POUR SOUTENIR UNE ALIMENTATION SAINE ABORDABLE ET DES CHAÎNES DE VALEUR INCLUSIVES

En augmentant la pression sur les écosystèmes, le changement climatique fait peser la plus grande des menaces sur les petits producteurs ruraux, et notamment les communautés pauvres et extrêmement vulnérables. Cette pression découle de la fréquence accrue des événements météorologiques extrêmes, comme les sécheresses, les tempêtes et les inondations, et de changements graduels, tels que le raccourcissement des saisons des pluies, le retard dans l’arrivée des précipitations, l’élévation du niveau des mers et la fonte des glaciers. Ce constat entraîne une focalisation croissante de l’attention sur l’adaptation au changement climatique, qui devient essentielle pour l’avenir de l’alimentation.

Cette notion d’adaptation renvoie aux changements de procédés, de pratiques et de structures à opérer pour modérer les dommages que le changement climatique pourrait causer ou pour tirer profit des possibilités qu’il pourrait offrir. Les investissements dans les solutions d’adaptation au changement climatique sont multiformes, variant selon le contexte unique dans lequel s’inscrit une communauté, une entreprise, une organisation, un pays ou une région. Les interventions qui donnent la priorité aux besoins d’adaptation des petits producteurs, des microentreprises et des petites et moyennes entreprises (PME) participant aux chaînes d’approvisionnement alimentaire peuvent aider à assurer à terme l’abordabilité d’une alimentation saine, tout en renforçant la résilience et l’inclusivité des systèmes agroalimentaires. Des mécanismes de gouvernance innovants permettent véritablement aux populations rurales pauvres, y compris aux petits producteurs, de faire entendre leur voix et d’exercer une influence303.

Les petits producteurs demeurent les parents pauvres du financement mondial de l’action climatique. Ils subissent les conséquences dévastatrices du changement climatique, de la dégradation des sols, de l’insécurité alimentaire et de la migration irrégulière. À ce jour, 1,7 pour cent seulement des sommes investies dans l’action climatique à l’échelle mondiale parvient aux petits producteurs304, et ces sommes sont principalement destinées à concrétiser des objectifs d’atténuation du changement climatique plutôt que d’adaptation à ses effets. Le Programme d’adaptation de l’agriculture paysanne (ASAP) aide les agriculteurs à s’adapter au changement climatique. Entre 2019 et 2021, l’ASAP a investi 897 millions d’USD environ dans le financement de l’action climatique dans l’ensemble des pays à faible revenu de la tranche inférieure. La majeure partie de ces fonds, soit 91 pour cent environ, est allée à des interventions d’adaptation visant des petits producteurs. Parmi les exemples d’investissement de ce type ayant porté leurs fruits, on peut citer les suivants:

  • État plurinational de Bolivie – Le Programme d’intégration économique en faveur des familles et des communautés rurales dans le territoire de l’État plurinational de Bolivie a facilité l’adaptation aux effets du changement climatique tels que les sécheresses et les inondations et soutenu la mise en œuvre de systèmes d’exploitation agricole adaptés aux conditions extrêmement variables des hauts plateaux, des vallées andines et d’une partie des basses-terres. Le projet a permis d’accroître de 13 pour cent le revenu des participants et de 4 pour cent leur capacité à se remettre d’un choc d’origine climatique305.
  • Djibouti – Le Programme d’appui à la réduction de la vulnérabilité dans les zones de pêche côtières, conduit par le Ministère de l’agriculture, avait pour objectif de réduire la vulnérabilité au changement climatique des petits pêcheurs en favorisant la cogestion des ressources marines. En plus de protéger ces ressources marines, le projet est parvenu à augmenter de 25 pour cent la valeur du poisson vendu et de 8 pour cent la part de la valeur du poisson vendu dans le total des prises et à accroître de 7 pour cent les actifs productifs, y compris les engins de pêche. La sécurité alimentaire a également progressé de 29 pour cent306.
  • Mozambique – Le Projet de développement des filières au profit des pauvres dans les couloirs de Maputo et de Limpopo visait à promouvoir des pratiques de production du manioc et de la viande ainsi que de l’horticulture tout en investissant dans des chaînes de valeur agroalimentaires inclusives et dans les organisations d’agriculteurs. Grâce aux pratiques durables soutenues par le projet, la productivité du manioc a progressé de 36 pour cent et le nombre de repas consommés a également augmenté, de 4 pour cent. Le projet a contribué en outre à accroître la résilience par une diversification des revenus, augmentant ainsi le nombre de sources de revenu des bénéficiaires de 15 pour cent307.
  • Tadjikistan – Le Projet de développement de l’élevage et des pâturages – Phase II avait pour objectif d’accroître la productivité de l’élevage et d’améliorer les moyens d’existence ruraux, tout en réduisant l’empreinte écologique des troupeaux sur les pâturages. Le projet a mis en place des plans de rotation de pâture, des points d’eau, des services vétérinaires, des techniques d’élevage et une production de fourrage, tout en renforçant les capacités et le capital social par l’intermédiaire des unions d’usagers des pâturages. Le projet a permis de faire progresser de 30 pour cent le poids du bétail et de 99 pour cent la production laitière, et a généré des revenus de l’élevage plus élevés de 110 pour cent. Parallèlement, les activités de sensibilisation aux effets préjudiciables du surpâturage sur la productivité et l’environnement menées dans le cadre du projet ont permis de convaincre les villageois de réduire la taille de leurs troupeaux de 29 pour cent en moyenne308.
  • Viet Nam – Le Projet en faveur de l’adaptation aux changements climatiques dans les provinces de Ben Tre et Tra Vinh dans le delta du Mékong visait à défendre les moyens d’existence ruraux contre l’intrusion d’eau salée et à renforcer les capacités d’adaptation des communautés et institutions ciblées pour les aider à faire face au changement climatique. Le projet a permis d’augmenter de 28 pour cent le revenu tiré des cultures et d’accroître de 11 pour cent l’accumulation d’actifs productifs309. La sécurité alimentaire a progressé de 14 pour cent, tandis que les producteurs de crevettes, de noix de coco et de riz touchés par les intrusions d’eau salée enregistraient de meilleurs rendements et revenus que leurs collègues.

De même, chercher à limiter le recours aux engrais chimiques en encourageant la culture dérobée ou les rotations intégrant des légumineuses ne contribue pas uniquement à la santé des sols, mais favorise aussi la production d’aliments nutritifs sûrs du fait d’une moindre contamination chimique et de disponibilités accrues en légumes secs. Les données préliminaires laissent penser que les formes d’agriculture régénératrice, qui améliorent la durabilité environnementale, pourraient bien aussi accroître la teneur des produits en nutriments302.

Du fait de ces effets de synergie, les politiques environnementales et climatiques peuvent avoir un effet incitatif sur la production d’aliments nutritifs, lesquels contribuent à une alimentation saine. Cela étant, les facteurs de déséquilibre sont omniprésents et peuvent amoindrir considérablement l’abordabilité d’une alimentation saine. Les politiques qui cherchent à remédier aux externalités écologiques d’une mauvaise alimentation pour la santé (comme le transport, l’emballage et les émissions de composés organiques volatiles liés à la production et à la commercialisation de produits alimentaires ultratransformés) en sont un bon exemple, car les externalités en question sont colossales3. Internaliser ces coûts via la fixation des prix (par des taxes carbone ou des systèmes de plafonnement et d’échange, par exemple) pourrait contribuer à modifier considérablement les prix relatifs des aliments nutritifs et des aliments hypercaloriques et sans grande valeur nutritionnelle, mais la mise en pratique de cette approche n’est pas simple et pourrait nécessiter des accords mondiaux.

Des politiques relatives au système de santé pour compléter la réorientation

Par nature, les systèmes alimentaires et les systèmes de santé sont étroitement liés, et ce de multiples façons310. Il est vital que les systèmes de santé soient efficaces pour que l’on puisse prodiguer les soins nécessaires, et notamment mener les actions nutritionnelles essentielles au traitement et à la prévention des différentes formes de malnutrition et des maladies non transmissibles liées à l’alimentation311. Cette situation ne changera pas tant que les systèmes agroalimentaires ne seront pas en mesure de fournir de façon durable une alimentation saine abordable. De plus, l’accessibilité des services de santé est essentielle si l’on veut faire face aux déséquilibres potentiels provoqués par une perte ou une baisse de revenu qui peut amener les pauvres à réduire leur utilisation des services sociaux de base, dont les services de santé. C’est la raison pour laquelle toute stratégie visant à réorienter le soutien apporté à l’alimentation et à l’agriculture de sorte que ces secteurs fournissent une alimentation saine abordable devra nécessairement s’intéresser au système de santé.

Les services de santé qui protègent les pauvres et les groupes vulnérables, dont l’alimentation est souvent carencée, revêtent une importance particulière dans le contexte d’une réorientation du soutien. À titre d’exemple, on peut citer les services nutritionnels destinés aux mères et aux enfants et la fourniture de vitamines ou de sels minéraux de complément dans les contextes où les carences en micronutriments sont courantes311. Par ailleurs, les activités de promotion de la santé et d’éducation sanitaire menées par les professionnels de santé, qui représentent des sources de conseil jugées particulièrement dignes de confiance lorsqu’on veut promouvoir un changement des comportements alimentaires, peuvent accroître la demande d’une alimentation saine abordable.

Le système de santé a un rôle critique à jouer dans la protection et la promotion de la santé des travailleurs du secteur alimentaire et agricole. L’agriculture emploie 27 pour cent de la main-d’œuvre mondiale312 et, tout au long de la chaîne alimentaire, les travailleurs peuvent être exposés à différents dangers sur leur lieu de travail. Ainsi, on estime à 385 millions par an le nombre de travailleurs agricoles victimes d’une grave intoxication accidentelle par les pesticides313. Ces dangers peuvent toucher la santé physique ou mentale des travailleurs, aussi est-il essentiel d’établir des normes adéquates en matière de santé et de sécurité310.

Les menaces importantes se situant à la croisée des systèmes de santé et des systèmes agroalimentaires sont notamment les zoonoses, la résistance aux antimicrobiens et les dangers d’origine alimentaire. Une alimentation plus saine – telle que celle que toute stratégie de réorientation devrait s’employer à promouvoir – se compose souvent d’aliments frais, plus périssables30, or ceux-ci sont plus susceptibles d’être contaminés ou de s’altérer durant leur production, leur transport et leur stockage. Les politiques et les systèmes doivent faire en sorte que ces aliments soient propres à la consommation selon l’utilisation que l’on prévoit d’en faire. Les maladies d’origine alimentaire ont des conséquences économiques considérables pour les personnes concernées et pour le système des soins de santé. Les initiatives prises dans un seul secteur ne peuvent donc pas traiter pleinement ces questions, et des actions complémentaires au sein du secteur de la santé sont nécessaires.

L’approche «Une seule santé» aide les différents secteurs concernés (dont les systèmes agroalimentaires, environnementaux et sanitaires) à échanger et à collaborer pour parvenir à de meilleurs résultats sur le plan de la santé des humains, des animaux et des écosystèmes314. La pandémie de covid-19 a mis en évidence les liens qui existent entre les systèmes de santé et les systèmes agroalimentaires, soulignant par là même la pertinence de l’approche «Une seule santé». Le réseau Africa One Health University Network (AFROHUN), par exemple, a offert une plateforme d’apprentissage et d’échange entre parties prenantes de divers domaines, tels que santé publique, médecine vétérinaire, pathologie et hygiène du milieu, dans huit pays africains (Cameroun, Éthiopie, Kenya, Ouganda, République démocratique du Congo, République-Unie de Tanzanie, Rwanda et Sénégal)315.

Pour répondre aux inquiétudes quant à la salubrité des aliments, la FAO et l’OMS ont créé le Codex Alimentarius316, un code international de sécurité sanitaire des aliments, qui se compose de lignes directrices, de normes et de règlements visant à protéger la santé des consommateurs et à assurer, lors des échanges de produits alimentaires, des pratiques loyales en ce qui concerne les dangers potentiels relatifs à la salubrité des aliments. Si l’on prend l’exemple des produits alimentaires d’origine aquatique, le Codex établit des règlements spécifiques sur l’hygiène, l’échantillonnage et l’analyse, l’inspection, la certification et l’étiquetage des aliments; or, si de façon générale ces textes sont en majeure partie appliqués dans les échanges internationaux, ils le sont rarement sur les marchés nationaux, d’où des normes de sécurité sanitaire des aliments qui diffèrent selon que l’on se place au niveau local ou international75. Pour soutenir pleinement le programme de réorientation, les États devront donc harmoniser leur législation nationale de sorte que les mêmes normes s’appliquent à tous les niveaux, y compris à l’échelle localeak.

Pour finir, des systèmes fiables de suivi et de surveillance de la santé, de l’alimentation et de la nutrition sont nécessaires pour que l’on puisse déterminer l’impact, tant positif que négatif, des politiques alimentaires et agricoles réorientées.

Politiques et incitations relatives à d’autres systèmes: transport et énergie

L’édition 2020 du présent rapport établissait que les inefficacités relevées tout au long de la filière alimentaire faisaient partie des facteurs déterminant le coût des aliments nutritifs3. L’efficience du transport des produits alimentaires est un domaine essentiel dont les pouvoirs publics doivent tenir compte durant la réorientation du soutien à l’alimentation et à l’agriculture. Il sera donc important, si l’on veut réduire le coût des aliments nutritifs, de prévoir des politiques et des incitations ciblant le secteur du transportal. En effet, si les inefficacités et les problèmes dans le domaine du transportam ne sont pas correctement traités, les initiatives de réorientation du soutien, quand bien même elles aboutiraient, pourraient s’en trouver affaiblies et ne pas parvenir à réduire efficacement le coût d’une alimentation saine.

Un grand nombre des gouvernements qui, face à la pandémie de covid-19, ont mis en œuvre des confinements dans le monde ont considéré le secteur de l’alimentation et de l’agriculture comme étant «essentiel», ce qui l’excluait du champ des restrictions en question. Cette décision a permis aux chaînes de valeur alimentaires de continuer à fonctionner et à fournir des aliments, même durant les périodes de confinement les plus strictes. Cela étant, dans plusieurs pays, le manque de moyens de transport a été l’une des menaces les plus graves pour le maintien de l’approvisionnement alimentaire317. Au Nigéria, par exemple, les ports sont restés en activité, tandis que le transport intérieur assuré par les négociants et les routiers était limité, ce qui a pesé sur la régularité de l’approvisionnement en produits alimentaires et en intrants agricoles. Pour faciliter le transport alimentaire, les pouvoirs publics ne doivent pas seulement investir dans les infrastructures, mais aussi soutenir le développement du transport et des services logistiques proposés aux négociants du pays – des PME la plupart du temps –, qui jouent un rôle crucial dans le fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, encore qu’ils soient rarement reconnus comme en faisant partie318.

Il est tout aussi important de tenir compte des liens avec les systèmes énergétiques. Les systèmes agroalimentaires sont de plus en plus énergivores, ce qui n’est pas sans conséquences sur les prix des aliments et sur l’environnement. D’une part, plusieurs études ont mis en lumière la relation entre les prix de l’énergie et ceux des produits alimentaires319 et, récemment, ces derniers ont été poussés à la hausse par une énergie plus chère320. D'autre part, on a estimé que près d’un tiers des émissions des systèmes agroalimentaires mondiaux provenaient d’activités liées à l’énergie321. Ajoutons à cela qu’en 2019, un tiers environ de la population mondiale dépendait de combustibles classiques, tels que le bois, le charbon et les résidus agricoles, pour cuisiner les repas familiaux et que cette demande dépassait la capacité de production durable des forêts et des arbres dans certaines régions322. Les résultats environnementaux associés à la stimulation plus durable de l’activité économique des systèmes agroalimentaires que l’on recherche en réorientant le soutien public pourraient être encore améliorés par des mesures favorisant une utilisation plus efficiente de l’énergie dans les systèmes agroalimentaires.

À cette fin, des investissements dans les sources d’énergie renouvelable au niveau des exploitations ou la mise en place de normes de consommation de carburant applicables au transport routier de marchandises peuvent s’avérer tout à fait cohérents323. Par ailleurs, le manque de chaînes du froid est un facteur clé de perte de produits alimentaires périssables, tels que les fruits et les légumes, or, la disponibilité de ces installations est bien inférieure dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure à ce qu’elle est dans les pays à revenu élevé324, ce qui complique encore l’amélioration de la situation dans les premiers, compte tenu des considérations environnementales. Vu le caractère énergivore des chaînes du froid, la réduction de leur empreinte carbone est un sujet primordial de recherche, et leur amélioration technologique ainsi que l’amélioration de leur fonctionnement et de leur gestion peuvent jouer un rôle essentiel si l’on veut augmenter les capacités en matière de logistique du froid dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure tout en tenant compte de l’environnement325. Tirer parti de la réserve de gains d’efficience liée à l’utilisation d’une énergie durable dans les systèmes agroalimentaires locaux, envisager la restauration des forêts dégradées et la création de plantations d’arbres à croissance rapide, renforcer l’utilisation des résidus de récolte et de transformation du bois et récupérer le bois en aval de la consommation pour une utilisation en cascade dans le cadre d’une économie plus circulaire326, toutes ces pistes devraient aussi être étudiées pour constituer le portefeuille de politiques complémentaires à l’appui de la réforme des politiques alimentaire et agricole.

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