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INDIA. Female farmer collecting bundles of wheat stalk.
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L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022

Chapitre 3 SOUTIEN PUBLIC APPORTÉ À L’ALIMENTATION ET À L’AGRICULTURE DANS LE MONDE: QUEL EST SON COÛT ET QUELLE INCIDENCE A-T-IL SUR L’ALIMENTATION?

MESSAGES CLÉS
  • Étant donné les reculs enregistrés sur les questions de la faim, de la sécurité alimentaire et de la nutrition, et au vu des problèmes économiques, sanitaires et environnementaux auxquels le monde se heurte, parvenir à offrir à tous une alimentation saine plus abordable revêt une importance critique. Pour avancer sur cette voie, il est essentiel d’examiner le soutien qu’apportent actuellement les politiques publiques au secteur de l’alimentation et de l’agriculture afin de déterminer les réformes à engager en priorité.
  • Les pouvoirs publics ont recours à diverses politiques pour soutenir l’alimentation et l’agriculture, notamment des mesures d’encadrement des échanges et d’intervention sur les marchés (mesures aux frontières et contrôle des prix du marché, par exemple), qui créent des incitations ou des désincitations par les prix; des subventions aux producteurs et aux consommateurs; et un soutien apporté aux services d’intérêt général. Ces politiques peuvent avoir une incidence sur toutes les parties prenantes de l’environnement alimentaire, et peuvent donc influer sur les disponibilités alimentaires nécessaires à une alimentation saine et sur l’abordabilité de cette alimentation.
  • À l’échelle mondiale, le soutien public à l’alimentation et à l’agriculture se chiffre à près de 630 milliards d’USD par an en moyenne sur la période 2013-2018. Pour 70 pour cent environ, il cible directement les agriculteurs au moyen de politiques visant les échanges et le marché, et au moyen de subventions liées en grande partie (autrement dit couplées) à la production ou à l’utilisation sans contraintes de facteurs variables de production.
  • Les pays à revenu élevé et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure soutiennent fortement les producteurs agricoles, à la fois par des mesures aux frontières et par des subventions qui sont de plus en plus découplées de la production. En revanche, dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et dans les pays à faible revenu, la marge de manœuvre budgétaire permettant d’octroyer des subventions est plus restreinte et, généralement, ces pays recourent à des politiques commerciales qui visent à protéger les consommateurs plutôt que les producteurs.
  • Le soutien à la production agricole est largement concentré sur les aliments de base, les produits laitiers et d’autres aliments riches en protéines, en particulier dans les pays à revenu élevé et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Le riz, le sucre et les différents types de viande sont les aliments dont la production est la plus encouragée dans le monde, tandis que les producteurs de fruits et de légumes sont globalement moins soutenus, voire sont pénalisés dans certains pays à faible revenu.
  • Les mesures aux frontières ont une incidence sur les disponibilités alimentaires et sur la diversité et les prix des aliments sur les marchés intérieurs. Certaines de ces mesures ciblent des objectifs d’action publique importants, comme la création de recettes publiques ou l’atteinte de la sécurité sanitaire des aliments, mais elles sont parfois des entraves au commerce d’aliments nutritifs, ce qui peut influer négativement sur les disponibilités alimentaires nécessaires à une alimentation saine et sur l’abordabilité de cette alimentation.
  • Le contrôle des prix du marché (via des prix minimums ou administrés, par exemple) cible essentiellement des aliments de base comme le blé, le maïs, le riz ou encore le sucre. L’objectif principal est de stabiliser ou d’accroître les revenus agricoles tout en assurant un approvisionnement suffisant en produits de base, mais ce type de mesure peut aussi décourager indirectement la production d’autres aliments qui sont nécessaires à une alimentation saine.
  • Dans beaucoup de pays, les subventions accordées aux producteurs agricoles ont augmenté les disponibilités et abaissé les prix des aliments de base et de leurs produits dérivés (notamment des aliments bon marché ayant une valeur nutritionnelle minime, voire nulle). Cela a eu pour conséquence de dissuader la consommation et de réduire la diversité de certains produits non subventionnés ou moins subventionnés, tels que les fruits, les légumes et les légumineuses, et ce en raison de leurs prix relativement plus élevés.
  • Les services d’intérêt général sont des biens publics qui sont susceptibles de dynamiser la productivité à long terme, de contribuer à la sécurité sanitaire des aliments et aux disponibilités alimentaires, et de faire baisser les prix des aliments, y compris des aliments nutritifs. Malheureusement, les dépenses consacrées à ces services ne représentent qu’une petite part du soutien total apporté à l’alimentation et à l’agriculture. Elles restent inférieures aux besoins réels du secteur, surtout dans les pays à faible revenu et ceux à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, et elles sont souvent orientées de façon déséquilibrée vers les aliments de base.
  • Les subventions aux consommateurs ne représentent qu’une très faible part du soutien public apporté à l’alimentation et à l’agriculture. Pourtant, les politiques et programmes tenant compte de la nutrition qui sont mis en place pour soutenir les consommateurs peuvent favoriser un accroissement de la consommation d’aliments nutritifs, en particulier lorsqu’ils ciblent les personnes les plus pauvres ou les plus vulnérables sur le plan nutritionnel et qu’ils sont assortis d’une éducation alimentaire et nutritionnelle.

Comme nous avons pu le constater à la lecture du chapitre précédent, le monde est confronté à des reculs importants, puisqu’un nombre croissant de personnes souffrent de la faim et de l’insécurité alimentaire et que les problèmes liés à la malnutrition sous toutes ses formes s’accentuent. Beaucoup de pays sont en retard, voire perdent du terrain sur la voie qui doit les mener vers la réalisation des cibles de l’ODD 2. Les gouvernements doivent prendre des mesures pour renverser la vapeur. Ils peuvent intervenir de multiples façons, mais le contexte de récession actuel fait qu’il est plus délicat pour nombre d’entre eux d’accroître leur budget et, par conséquent, leur soutien au secteur. Toutefois, même dans un contexte économique aussi difficile, les possibilités d’action sont nombreuses et on doit les saisir.

Les pouvoirs publics doivent faire preuve d’ingéniosité et commencer par examiner le soutien qu’ils fournissent actuellement au secteur alimentaire et agricole pour voir s’il leur serait possible de réaffecter ces fonds de manière plus efficace et plus efficiente afin d’atteindre les objectifs de développement. Tous les gouvernements de la planète doivent, avant toute chose, faire un état des lieux du soutien qu’ils apportent au secteur, puis en évaluer l’efficacité par rapport aux sommes dépensées. Dans le cas de l’ODD 2, il est important que le soutien public apporté à l’alimentation et à l’agriculture commence par faire apparaître des rendements marginaux croissants, notamment pour ce qui est de réduire le coût des aliments nutritifs et d’accroître la disponibilité et l’abordabilité d’une alimentation saine, et ce de manière durable et inclusive.

3.1 État des lieux: quels sont actuellement les soutiens apportés par les pouvoirs publics à l’alimentation et à l’agriculture?

Comment les pouvoirs publics soutiennent-ils l’alimentation et l’agriculture?

Les pouvoirs publics appuient le secteur de l’alimentation et de l’agriculture en ayant recours à diverses formes de soutien et à différents types d’instruments, qui ont des incidences sur les systèmes agroalimentaires, comme l’illustre la figure 1 du chapitre 1. Dans ce troisième chapitre, nous ferons un état des lieux de ce soutien, en utilisant les indicateurs disponibles pour certaines des politiques les plus courantes, dont on trouvera un aperçu à la figure 17. Ces indicateurs montrent si le soutien apporté influe sur les prix intérieurs ou si les acteurs des systèmes agroalimentaires bénéficient d’un transfert direct d’argent public. D’autres mesures étudiées ci-après (section 4.2), à savoir notamment les règlements d’aménagement du territoire, les normes alimentaires ou encore les politiques d’étiquetage, peuvent compléter la panoplie des actions publiques auxquelles il est possible de recourir pour réorienter le soutien à l’alimentation et à l’agriculture en vue de garantir une alimentation saine et abordable.

FIGURE 17INSTRUMENTS DE SOUTIEN PUBLIC À L’ALIMENTATION ET À L’AGRICULTURE ET INDICATEURS ASSOCIÉS

SOURCE: D’après FAO, PNUD et PNUE. 2021. A multi-billion-dollar opportunity – Repurposing agricultural support to transform food systems (Une opportunité se chiffrant à plusieurs milliards de dollars – Réorienter le soutien au secteur agricole pour transformer les systèmes alimentaires). Rome, FAO.
NOTE: La catégorie «Autres formes de soutien» comprend les autres politiques relatives aux systèmes agroalimentaires, qui sont abordées de façon plus détaillée à la section 4.2 du rapport.
SOURCE: D’après FAO, PNUD et PNUE. 2021. A multi-billion-dollar opportunity – Repurposing agricultural support to transform food systems (Une opportunité se chiffrant à plusieurs milliards de dollars – Réorienter le soutien au secteur agricole pour transformer les systèmes alimentaires). Rome, FAO.

Les mesures d’encadrement des échanges et d’intervention sur les marchés désignent principalement, dans ce chapitre: i) les mesures aux frontières visant les importations (droits de douane, contingents tarifaires et mesures non tarifaires, par exemple) et les exportations (taxes sur les exportations, interdictions d’exporter ou licences d’exportation et subventions ou crédits à l’exportation, par exemple); et ii) les mesures de contrôle des prix du marché, telles que les prix administrés (auxquels les gouvernements achètent les denrées alimentaires aux agriculteurs) et les politiques de prix minimum à la production. Ces mesures font augmenter ou baisser les prix intérieurs par rapport au prix aux frontières; ce faisant, elles peuvent créer, pour les agriculteurs, une incitation (ou une désincitation) par les prix. Dans ce rapport, les incitations par les prix sont quantifiées au moyen de l’indicateur du taux nominal de protection (TNP) (encadré 7).

ENCADRÉ 7INDICATEURS STANDARD RELATIFS AU SOUTIEN PUBLIC APPORTÉ À L’ALIMENTATION ET À L’AGRICULTURE

Le taux nominal de protection (TNP) et le taux nominal d’aide (TNA) sont les deux indicateurs les plus largement utilisés pour évaluer le soutien à l’agriculture. Leur élaboration repose sur une méthodologie globale et systématique de mesure des politiques publiques, initialement élaborée par l’OCDE55, qui est largement utilisée par la FAO et d’autres organisations internationales aux fins du suivi des politiques alimentaires et agricoles dans le monde entier56.

Le TNP indique dans quelle mesure les politiques visant les échanges et le marché augmentent ou diminuent le prix à la production d’un produit par rapport au prix de référence international. Il permet ainsi de déterminer si ces politiques incitent (protègent) ou dissuadent (pénalisent) les producteurs et d’estimer les incitations par les prix fournies pour un produit, un groupe de produits ou l’ensemble du secteur agricole.

Les subventions sont des transferts d’argent public décidés par les États dans le cadre de mesures, de projets et de programmes publics et opérés au bénéfice d’acteurs individuels du secteur de l’alimentation et de l’agriculture, tels que les agriculteurs (subventions aux producteurs) ou les consommateurs (subventions aux consommateurs).

Le TNA mesure les transferts qui sont opérés exclusivement au profit des agriculteurs par le truchement des incitations par les prix – que génèrent les politiques visant les échanges et le marché (calculées à l’aide du TNP) – ainsi que par le truchement des subventions. En d’autres termes, le taux nominal d’aide fait la somme de l’écart de prix au départ de l’exploitation (c’est-à-dire la différence entre le prix à la production et le prix de référence international non faussé) et des subventions octroyées aux producteurs (qui sont généralement spécifiques à un produit donné).

Les indicateurs TNP et TNA ne rendent pas compte des politiques qui ont des répercussions sur le prix des intrants intermédiaires. Le taux effectif de protection ou le taux effectif d’aide serait une mesure plus complète du soutien public apporté aux agriculteurs, car ce type d’indicateur prend aussi en compte les effets des politiques qui influent sur le coût des intrants intermédiaires et permet ainsi de mesurer le niveau net ou «effectif» de soutien aux agriculteurs en termes de rendement56. Ces deux indicateurs ne sont pas présentés ici: leur calcul nécessite de très grandes quantités de données, c’est pourquoi leur utilisation n’est pas généralisée, mais plutôt limitée à l’évaluation de politiques et de recommandations portant sur des produits spécifiques.

La principale source de données utilisée pour les indicateurs TNP et TNA est la base de données du Consortium des organisations internationales pour la mesure de l’environnement politique de l’agriculture (Consortium Ag-Incentives) pour la période 2005-2018, qui regroupe des estimations des indicateurs du soutien à l’agriculture produites par l’OCDE, la Banque interaméricaine de développement (BID), la Banque mondiale et la FAO pour 63 pays (l’Union européenne étant ici considérée comme un seul «pays»).

En revanche, la base de données Ag-Incentives ne contient aucune donnée en ce qui concerne l’indicateur de soutien aux services d’intérêt général (GSS) – qui mesure les dépenses publiques servant à financer la fourniture de biens publics au secteur agricole – et les subventions aux consommateurs, qui sont également analysés dans le présent chapitre. Cela dit, les données utilisées pour leur calcul sont tirées des indicateurs produits par les organisations membres du Consortium Ag-Incentives pour les pays qu’elles suivent.

L’annexe 4 dresse la liste détaillée des pays couverts par l’état des lieux des soutiens publics qui est présenté dans ce chapitre et décrit la méthode qui a été employée pour calculer les indicateurs analysés.

Les subventions aux producteurs sont des transferts d’argent public, allant généralement des contribuables aux agriculteurs, qui peuvent être octroyés en fonction: i) de la production (transferts effectués selon le niveau de production d’un produit agricole donné); ii) de l’utilisation d’intrants (transferts effectués pour réduire le coût des facteurs variables de production, comme les semences et les engrais); iii) de l’utilisation d’autres facteurs de production, comme le capital, la main-d’œuvre ou la terre; ou iv) de critères non liés à des produits et découplés de la production, comme des subventions liées à des résultats sur le plan environnemental ou territorial ou bien des montants forfaitaires versés à tous les agriculteurs sous réserve du respect de conditions de conformité croisées. Lorsqu’elles sont liées au volume ou au type de production ou à l’utilisation de certains intrants, ces subventions sont qualifiées de «subventions couplées». À l’inverse, les subventions sont dites «découplées» lorsque, pour y avoir droit, les agriculteurs ne sont pas tenus de produire un produit donné (ou une quantité donnée d’un produit) ou d’utiliser certains intrants. L’indicateur du taux nominal d’aide (TNA) rend compte des effets combinés de ces subventions aux producteurs et des incitations par les prix induites par les mesures d’encadrement des échanges et d’intervention sur les marchés (encadré 7).

Le soutien aux services d’intérêt général (GSS) recouvre les dépenses publiques (ou les transferts d’argent public) permettant de fournir des biens publics ou collectifs. Ainsi, ces dépenses ne visent pas des agents en particulier, comme les producteurs, les transformateurs, les négociants ou les consommateurs, mais elles peuvent favoriser, à plus long terme, la production, la transformation, le commerce et la consommation de produits agricoles. Ce type de soutien budgétaire peut cibler:

  • la recherche et le développement (R-D) agricoles et les services de transfert de connaissances (par exemple, la formation, l’assistance technique et autres services de vulgarisation);
  • les inspections et les contrôles relatifs à la sécurité sanitaire des produits agricoles, aux organismes nuisibles et aux maladies, afin de garantir la conformité des produits alimentaires aux réglementations et aux normes de sécurité sanitaire;
  • le développement et l’entretien des infrastructures, telles que les routes, les systèmes d’irrigation et les équipements de stockage;
  • la détention de stocks alimentaires publics, y compris les coûts de maintien et de gestion des réserves par des mesures d’achat sur les marchés, telles que l’approvisionnement public auprès des agriculteurs, ainsi que les réserves stratégiques constituées à des fins de sécurité alimentairei;
  • les services de commercialisation et de marketing des produits alimentaires et agricoles, y compris les programmes collectifs portant sur les installations après production et d’autres services conçus pour améliorer les conditions de développement de l’agriculture, pour sensibiliser aux pertes après récolte et les réduire, ainsi que pour favoriser les échanges commerciaux (campagnes de promotion ou participation à des salons internationaux, par exemple). La commercialisation des produits alimentaires et agricoles dont il est question dans ce chapitre se distingue du «marketing» qui, comme le définit l’Assemblée mondiale de la Santé, a pour objet de promouvoir les produits de marque auprès des consommateursj.

L’indicateur GSS rend compte de l’ensemble des dépenses publiques engagées pour financer des biens publics dans le secteur de l’alimentation et de l’agriculture (encadré 7).

Les subventions aux consommateurs sont des transferts d’argent public versés par l’État (plus précisément, par les contribuables) à des intermédiaires (transformateurs, négociants, etc.) ou aux consommateurs finaux de denrées alimentaires. Ces transferts visent à réduire le coût d’achat des aliments (subventions alimentaires), à augmenter les revenus des consommateurs (transferts en espèces, par exemple) ou à fournir un accès direct aux aliments (transferts alimentaires en nature et programmes d’alimentation scolaire, par exemple).

Certains des instruments d’action publique présentés ci-dessus, en particulier les mesures aux frontières et les subventions à la production et aux intrants, sont susceptibles d’introduire des distorsions dans les échanges commerciaux. C’est pourquoi les règles commerciales multilatérales constituent un outil essentiel pour établir le cadre mondial qui détermine la marge de manœuvre dont disposent les pays pour définir leurs politiques agricoles. L’Accord sur l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui résulte des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay, a permis de produire un ensemble complet de disciplines relatives aux politiques commerciales et agricoles des pays membres, en vue de réduire les distorsions sur les marchés agricoles. Il comporte des engagements contraignants qui limitent l’utilisation des droits de douane et des subventions aux producteurs agricoles (encadré 8).

ENCADRÉ 8LES RÈGLES DE L’OMC QUI S’APPLIQUENT AUX INCITATIONS PAR LES PRIX ET AU SOUTIEN BUDGÉTAIRE

L’achèvement des négociations commerciales du Cycle d’Uruguay en 1995 a conduit à la création de l’OMC et à l’entrée en vigueur de l’Accord sur l’agriculture. L’objectif principal de cet instrument est d’encadrer par des règles ou «disciplines» les politiques agricoles qui sont une source de distorsions ayant des répercussions sur la production et les échanges, notamment les droits de douane et certains types de subventions. L’Accord sur l’agriculture est le seul traité multilatéral juridiquement contraignant qui réglemente le commerce agricole.

Cent soixante-quatre membres de l’OMC s’engagent à ne pas restreindre les importations de produits agricoles par d’autres moyens que les droits de douane et à maintenir leurs taux tarifaires en deçà des seuils fixés par pays. Ces taux sont désignés sous le nom de «droits consolidés». L’OMC fixe également des règles concernant l’application de mesures non tarifaires qui ont des répercussions sur les importations, comme les mesures sanitaires et phytosanitaires et les obstacles techniques au commerce.

Les règles de l’OMC portent également sur la concurrence à l’exportation. Adoptée en 2015 à Nairobi, la Décision ministérielle sur la concurrence à l’exportation prévoyait en substance que tous les membres suppriment les subventions à l’exportation d’ici 2018, hormis certaines exceptions subsistant jusqu’à la fin de l’année 2022. Des délais supplémentaires allant jusqu’à 2023 (pour les membres de l’OMC ayant le statut de «pays en développement») et jusqu’à 2030 (pour les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires) ont été prévus afin d’éliminer progressivement les subventions aux exportations agricoles visant à réduire les coûts de commercialisation et de transport.

Les règles de l’OMC encadrent aussi les subventions agricoles. L’Accord sur l’agriculture classe le «soutien interne*», qui comprend les subventions et les autres types de transferts aux producteurs, en deux grandes catégories: le soutien qui peut être accordé sans restriction, et celui qui est soumis à des limites.

  • Les transferts qui ne sont soumis à aucune limite sont décrits à l’annexe 2 de l’Accord sur l’agriculture et concernent les types de soutien relevant de la «catégorie verte». Les mesures de soutien en question doivent répondre à une prescription fondamentale, à savoir que leurs effets de distorsion sur les échanges ou leurs effets sur la production doivent être nuls ou, au plus, minimes. Elles doivent également être conformes aux critères généraux et aux critères spécifiques des différents types de mesures qui sont énoncés dans l’annexe 2. Ces mesures comprennent notamment les dépenses publiques consacrées aux services d’intérêt général (tels que la recherche, la lutte contre les parasites et les maladies, les services de commercialisation et de promotion), les dépenses publiques consacrées à la détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire et à l’aide alimentaire intérieure, ou encore les versements directs aux producteurs (soutien du revenu découplé de la production, versements au titre de programmes de protection de l’environnement et versements au titre de programmes d’aide régionale, par exemple).
  • Par ailleurs, aucune restriction n’est appliquée aux versements directs effectués dans le cadre de programmes de limitation de la production (qui relèvent de la «catégorie bleue», utilisée par très peu de pays)**.
  • Enfin, certains instruments spécifiques peuvent être utilisés sans restrictions, mais seulement par les pays en développement. Ces mesures, définies à l’article 6.2 de l’Accord sur l’agriculture et relevant de la «catégorie développement», comprennent, par exemple, les subventions aux intrants agricoles qui sont généralement disponibles pour les producteurs qui ont de faibles revenus ou sont dotés de ressources limitées.

Les mesures qui ne répondent pas aux critères de ces trois «catégories» (appelées mesures de la «catégorie orange») sont soumises aux limites qui s’appliquent dans le cadre du calcul de la mesure globale du soutien (MGS). Dans l’ensemble, les mesures de la «catégorie orange» sont considérées comme faussant la production et les échanges.

Il faut aussi noter que, en plus des subventions aux intrants et à la production, les mesures de contrôle des prix du marché mises en œuvre dans le cadre de programmes publics d’achat auprès des agriculteurs à des prix administrés peuvent faire partie des engagements en matière de soutien interne et, par conséquent, être prises en compte dans le calcul de la MGS.

Quelle incidence le soutien à l’alimentation et à l’agriculture a-t-il sur les systèmes agroalimentaires?

Les pouvoirs publics peuvent soutenir les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture en utilisant les instruments d’action publique exposés ci-dessus afin de poursuivre les multiples objectifs des systèmes agroalimentaires en matière économique, sociale et sanitaire. Par exemple, le soutien à l’alimentation et à l’agriculture peut avoir des effets sur le coût et l’abordabilité d’une alimentation saine, en influençant les choix de production et de consommation ainsi que les dynamiques de la chaîne d’approvisionnement alimentaire et les environnements alimentaires, comme le résume la figure 1, au chapitre 1. Les objectifs et l’incidence finale de ce soutien apporté par les pouvoirs publics dépendent en bonne partie du contexte propre à chaque pays, c’est-à-dire du niveau de revenu et de développement, de la structure et des volumes de la production, des performances du secteur agricole et de son rôle économique, des habitudes de consommation, des considérations d’économie politique, des effets du changement climatique sur l’agriculture et des situations d’urgence (crises humanitaires ou conflits, par exemple) qui sont susceptibles de compromettre la sécurité et les moyens d’existence des populations.

Les mesures d’encadrement des échanges et d’intervention sur les marchés, par exemple, sont généralement adoptées dans le but de soutenir les prix à la production et, par voie de conséquence, les revenus agricoles (droits de douane à l’importation, par exemple) ou de maintenir les prix à un niveau bas pour les consommateurs (interdictions à l’exportation, par exemple). Les pays à revenu faible ou intermédiaire adoptent souvent ce genre de mesures pour protéger leur secteur agricole contre la concurrence des importations ou pour agir sur les prix intérieurs afin d’assurer aux consommateurs des disponibilités alimentaires suffisantes et un accès adéquat aux aliments. Cependant, les mesures aux frontières, outre qu’elles modifient les flux commerciaux, ont aussi des répercussions sur les pratiques en matière de production alimentaire au niveau national et sur la diversité (ou le manque de diversité) des aliments disponibles et peuvent donc entraîner d’importants déséquilibres. Parce que, pour un produit agricole donné, elles créent un écart entre le prix intérieur à la production et le prix à la frontière, ces mesures peuvent notamment favoriser les producteurs de certaines cultures et éventuellement dissuader d’autres types de production. Des mesures comme les droits de douane se répercutent aussi sur les choix de consommation, car elles augmentent le prix des aliments importés, ainsi que celui de leurs substituts nationaux pour les consommateurs.

Les subventions aux producteurs sont généralement octroyées dans l’objectif de stimuler la production et la productivité agricoles et de soutenir les revenus agricoles par une baisse des coûts de production. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, on utilise souvent ces transferts pour corriger certains dysfonctionnements du marché, comme les problèmes d’accès aux intrants, au capital ou au crédit. Toutefois, lorsque ces subventions sont couplées à l’utilisation d’intrants ou au volume de production, elles peuvent, comme les mesures aux frontières, orienter dans une large mesure les types de denrées qui sont produits et commercialisés et/ou les types d’intrants et leur utilisation, ce qui peut avoir des conséquences importantes, au-delà du secteur agricole, sur le climat, la sécurité alimentaire et la nutrition, l’équité et l’efficience.

Si elles sont accordées sans aucune condition, les subventions aux intrants risquent, par exemple, de conduire à une utilisation excessive de produits agrochimiques et de ressources naturelles, et d’encourager la monoculture, ce qui pourrait nuire à l’environnement et à la durabilité des systèmes agroalimentaires58,59. Comme nous le verrons plus en détail à la section 3.2, ces subventions peuvent également faire obstacle à de bons résultats nutritionnels dans la mesure où, dans certains cas, elles favorisent de manière disproportionnée la production de céréales sur le long terme, et ce au détriment d’autres aliments qui contribuent à une alimentation saine, comme les fruits et les légumes3. En outre, ces subventions peuvent avoir un effet régressif si les grandes exploitations sont plus aptes que les petites à répondre aux exigences nécessaires pour en bénéficier. Ces répercussions potentiellement néfastes sont amplifiées par le fait qu’il s’avère difficile, sur le plan politique, de supprimer ces mesures une fois qu’elles sont en place, car elles ont des effets immédiats et souvent très concrets.

Contrairement à ce qui se passe pour la plupart des types de mesures aux frontières, l’octroi de ces subventions nécessite de puiser dans des ressources publiques qui pourraient être investies dans des domaines où les rendements sont plus élevés et les bienfaits plus durables, par exemple dans les services d’intérêt général comme la recherche-développement, les infrastructures ou les services de commercialisation – et l’on compromet donc l’utilisation efficiente et plus durable de fonds publics souvent limités60,61. Force est toutefois de reconnaître que, si elles intègrent dès le départ des objectifs de durabilité, les subventions peuvent contribuer à améliorer la production et les moyens d’existence62.

Les subventions découplées de la production et les dépenses publiques en faveur des services d’intérêt général, en particulier dans les pays où leur niveau est faible et où persistent des écarts de productivité importants, sont moins susceptibles de compromettre la durabilité et peuvent même la promouvoir. Ces formes de soutien peuvent favoriser l’amélioration de la production et de la productivité, la sécurité sanitaire des aliments et l’établissement de liens entre agriculteurs, marchés et consommateurs; elles peuvent aussi contribuer à la sécurité alimentaire et à l’amélioration de la nutrition à long terme, et influer indirectement sur les revenus agricoles ou les dépenses de consommation. Les effets positifs des services d’intérêt général mettent bien souvent plus de temps à se faire sentir que dans le cas, par exemple, des mesures aux frontières, des politiques de contrôle des prix ou des subventions aux intrants, mais on sait que les retombées des investissements engagés dans ces services en termes de croissance agricole et de réduction de la pauvreté sont plus importantes63,64,65. Des investissements bien pensés, inclusifs et durables dans la R-D, les services de commercialisation et les infrastructures sont un outil qui peut aussi s’avérer efficace pour réduire le coût des aliments nutritifs et faciliter l’accès à une alimentation saine, comme nous le verrons en détail à la section 3.266.

Les subventions aux consommateurs, y compris les subventions alimentaires octroyées aux transformateurs ou aux négociants, et celles accordées dans le cadre de programmes de protection sociale, sous forme de transferts en espèces, de bons d’alimentation ou de transferts en nature de produits alimentaires, notamment via des programmes d’alimentation scolaire, peuvent être bénéfiques à différents égardsk. Bien conçues, ces subventions peuvent augmenter la consommation alimentaire totale des ménages, améliorer la diversité des apports alimentaires et les résultats nutritionnels, et faire reculer la pauvreté (voir la section 3.2 pour une analyse plus approfondie)67. Elles peuvent également influer sur les résultats du secteur agricole, puisqu’elles sont susceptibles d’alléger les contraintes en matière de liquidité et de crédit qui pèsent sur les décisions d’investissement et de production67,68.

Le soutien public à l’alimentation et à l’agriculture est important, mais varie selon les différents types d’instruments d’action publique

Le soutien mondial apporté au secteur de l’alimentation et de l’agriculture a atteint près de 630 milliards d’USD par an en moyenne sur la période 2013-2018l. Le soutien moyen distribué directement aux producteurs agricoles s’est élevé à près de 446 milliards d’USD par an en chiffres nets (c’est-à-dire en tenant compte à la fois des incitations et des désincitations par les prix visant les agriculteurs), ce qui correspond à 70 pour cent environ du soutien total apporté au secteur et à 13 pour cent environ de la valeur mondiale de la production, toujours en moyennem. Les États ont dépensé annuellement 111 milliards d’USD environ pour fournir au secteur des services d’intérêt général; quant aux consommateurs de produits alimentaires, ils ont reçu 72 milliards d’USD par an en moyenne (figure 18).

FIGURE 18NIVEAU ET COMPOSITION DU SOUTIEN MONDIAL À L’ALIMENTATION ET À L’AGRICULTURE (EN MILLIARDS D’USD, EN MOYENNE SUR LA PÉRIODE 2013-2018)

SOURCE: Ag-Incentives. (À paraître). Ag-Incentives. Washington. Consulté le 4 mai 2022. http://ag-incentives.org, à partir de données de l'Oganisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de la FAO, de la Banque interaméricaine de développement (BID) et de la Banque mondiale compilées par l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI).
SOURCE: Ag-Incentives. (À paraître). Ag-Incentives. Washington. Consulté le 4 mai 2022. http://ag-incentives.org, à partir de données de l'Oganisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de la FAO, de la Banque interaméricaine de développement (BID) et de la Banque mondiale compilées par l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI).

Une petite moitié du soutien accordé directement aux agriculteurs consistait en des incitations par les prix (202 milliards d’USD nets), tandis que le reste (245 milliards d’USD) a été octroyé sous la forme de subventions financées sur le budget des États, dont la majorité (175 milliards USD) est liée à la production ou à l’utilisation sans contraintes de facteurs variables de production. Moins d’un tiers des subventions accordées aux agriculteurs (69 milliards d’USD) étaient découplées de la production (figure 18).

Le soutien public apporté dans le domaine de l’alimentation et de l’agriculture varie selon les groupes de pays par revenu et selon la période

L’analyse du soutien par instrument d’action publique révèle que, globalement, les mesures d’incitation par le prix et les subventions financées sur le budget des États ont été les instruments les plus largement utilisés dans les pays à revenu élevé et qu’elles sont de plus en plus souvent adoptées par les pays à revenu intermédiaire, et en particulier ceux de la tranche supérieure. Les pays à faible revenu ont généralement eu tendance à mettre en place des politiques qui génèrent des désincitations par les prix pour les agriculteurs, afin de faciliter l’accès des consommateurs à des aliments moins chers. Les ressources budgétaires que ces pays peuvent consacrer à l’octroi de subventions aux producteurs et aux consommateurs et au financement de services d’intérêt général qui profiteraient à l’ensemble du secteur alimentaire et agricole sont limitées.

Soutien aux producteurs

Bien qu’ils constituent un groupe où l’on observe de fortes variations, les pays à revenu élevé ont toujours représenté la majeure partie du soutien apporté aux producteurs agricoles dans le monde. Mesuré par le taux nominal d’aide, ce soutien atteignait environ 40 pour cent de la valeur totale de la production de ces pays en 2005, mais il a sensiblement baissé depuis lors pour s’établir à 24 pour cent en 2018 (figure 19). Le niveau de soutien octroyé aux producteurs dans les pays à revenu élevé a été essentiellement marqué par une diminution des incitations par les prix (mesurées au moyen du taux nominal de protection) dans le cadre d’une tendance à long terme qui a débuté dans les années 1990 et, en particulier, depuis la conclusion des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay qui ont conduit à une baisse des droits de douane appliqués par les membres de l’OMC. De plus, lorsqu’on analyse la situation sous l’angle de l’économie politique, il semble que les avancées technologiques associées à une réduction des coûts de production et de main-d’œuvre dans le secteur agricole aient également pu contribuer à rendre l’aide publique moins nécessaire dans ces pays. Malgré la baisse du taux d’aide et malgré l’octroi d’une part non négligeable (6 pour cent) de subventions découplées de la production, la majeure partie du soutien octroyé aux agriculteurs des pays à revenu élevé est encore fournie au moyen de mesures commerciales à l’origine de distorsions des prix et au moyen de subventions couplées à la production.

FIGURE 19TAUX NOMINAL D’AIDE EN PROPORTION DE LA VALEUR DE LA PRODUCTION, par type d'instrument et par groupe DE PAYS CLASSÉS SELON LE REVENU

SOURCE: Ag-Incentives. (À paraître). Ag-Incentives. Washington. Consulté le 4 mai 2022. http://ag-incentives.org, à partir des données de l’OCDE, de la FAO, de la BID et de la Banque mondiale compilées par l’IFPRI.
SOURCE: Ag-Incentives. (À paraître). Ag-Incentives. Washington. Consulté le 4 mai 2022. http://ag-incentives.org, à partir des données de l’OCDE, de la FAO, de la BID et de la Banque mondiale compilées par l’IFPRI.

Dans les pays à revenu intermédiaire, le type de soutien aux producteurs varie assez fortement selon que les pays appartiennent au sous-groupe de la tranche supérieure ou à celui de la tranche inférieure. Dans les pays de la tranche supérieure, le soutien à l’agriculture a beaucoup progressé, surtout depuis la fin des années 1990, notamment sous la forme d’incitations par les prix résultant essentiellement de l’application de droits de douane à l’importation ou d’autres restrictions commerciales. D’après le taux nominal d’aide, ce soutien représentait au cours des dernières années environ 16 pour cent de la valeur de la production agricole (figure 19). Sur ce total, les subventions aux producteurs agricoles ne comptaient que pour 5 pour cent de la valeur totale de la production, contre près de 13 pour cent dans les pays à revenu élevé (tableau 6).

TABLEAU 6SOUTIEN AU SECTEUR ALIMENTAIRE ET AGRICOLE EN PROPORTION DE LA VALEUR DE LA PRODUCTION, PAR GROUPE DE PAYS CLASSÉS SELON LE REVENU, EN MOYENNE SUR LA PÉRIODE 2013-2018

SOURCE: FAO, à partir de données de l’OCDE, de la FAO, de la BID et de la Banque mondiale compilées par l’IFPRI.
SOURCE: FAO, à partir de données de l’OCDE, de la FAO, de la BID et de la Banque mondiale compilées par l’IFPRI.

La Chine détermine en grande partie les estimations de l’aide globale dans ce sous-groupe, puisque, en proportion de la valeur de la production, le soutien du pays est non seulement assez élevé en soi, mais aussi par comparaison aux autres pays. Le taux d’aide de la Chine est devenu positif au début des années 1990 et suit une tendance à la hausse depuis lors, sous l’effet de l’augmentation des incitations par les prix, en particulier pour les céréales, mises en place pour atteindre les objectifs d’autosuffisance et de sécurité alimentaire du pays1. Historiquement, les subventions versées aux agriculteurs étaient modestes par rapport aux incitations par les prix, mais elles gagnent en importance depuis 2005 et constituent désormais 5 pour cent environ de la valeur totale de la production nationale.

Les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et les pays à faible revenu ont, en règle générale, protégé les consommateurs pauvres à l’aide de mesures d’encadrement des échanges et d’intervention sur les marchés qui maintiennent des prix faibles sur le marché national, ce qui pénalise implicitement le secteur agricole. Les agriculteurs des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure ont constamment été confrontés à des mesures de dissuasion par les prix (comme en atteste un taux nominal de protection négatif), mais ont parfois été soutenus par des subventions aux intrants. Les autres types de subventions ne sont quasiment pas utilisés dans ces pays (figure 19). L’importance du taux d’aide négatif dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure a diminué récemment, puisque ce taux s’est établi en moyenne à -4 pour cent au cours de la plus récente période couverte, soit 2013-2018, contre -10 pour cent entre 2005 et 2012.

Parmi les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, l’Inde est l’exemple le plus notable: jusqu’à présent, la politique alimentaire et agricole du pays a toujours eu pour objectif de protéger les consommateurs en leur garantissant des prix alimentaires abordables, et ce au moyen de restrictions à l’exportation (sur le blé, le riz autre que basmati et le lait, entre autres) et par des réglementations en matière de commercialisation concernant la fixation des prix et la passation des marchés publics, la détention de stocks alimentaires publics et la distribution d’un large éventail de produits agricoles69. Dans ces conditions, les agriculteurs ont été systématiquement soumis à des mesures de désincitations par les prix en termes agrégés (c’est-à-dire des taux nominaux de protection négatifs). Les subventions aux intrants et les dépenses consacrées aux services d’intérêt général tels que la R-D et les infrastructures ont été largement utilisées, à la fois comme un moyen de compenser les agriculteurs touchés par les désincitations par les prix découlant des mesures commerciales et liées aux marchés, et comme un moyen de stimuler la production et l’autosuffisance nationales.

On observe une évolution similaire du soutien public dans la majorité des pays à faible revenu. Les désincitations par les prix y ont également enregistré un recul, puisqu’elles sont passées de -17 pour cent en moyenne sur la période 2005-2012 à -9 pour cent entre 2013 et 2018 (figure 19). Les politiques de soutien des prix et de la production de céréales, en tant que produits alimentaires de base, ont largement encouragé cette évolution. L’objectif était d’assurer la sécurité alimentaire dans le cadre des stratégies d’autosuffisance initiées au lendemain de la crise des prix des denrées alimentaires de 2007-2008. La production d’aliments de base bénéficie également des rares subventions, généralement en faveur des intrants, qui sont versées aux agriculteurs de ces pays.

Dans l’ensemble, les pays à faible revenu consacrent une faible part de leurs budgets publics totaux à l’alimentation et à l’agriculture par rapport aux autres groupes de pays par niveau de revenu, et ce même si l’agriculture demeure un secteur essentiel pour la croissance économique et la création d’emplois. Le soutien budgétaire ne représente qu’une faible part de l’aide totale apportée au secteur: en moyenne, les subventions aux producteurs agricoles ne représentaient que 0,6 pour cent de la valeur totale de la production, contre 4 à 5 pour cent dans les pays à revenu intermédiaire et 12,6 pour cent dans les pays à revenu élevé (tableau 6). Une tendance similaire apparaît aussi pour les dépenses consacrées aux services d’intérêt général, comme on le verra dans l’analyse ci-après, et cela malgré les engagements pris par des pays d’Afrique qui ont, par exemple, promis d’allouer au moins 10 pour cent de leurs dépenses publiques totales à l’agriculture dans le cadre du Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine70. Ce faible niveau de soutien budgétaire accordé aux agriculteurs dans les pays à faible revenu s’explique par: i) la marge de manœuvre budgétaire très limitée de ces pays (en grande partie due à une croissance modeste des recettes, à un endettement substantiel et à la concurrence que se livrent de multiples secteurs pour des ressources rares), mais aussi par ii) les faibles taux d’exécution budgétaire (un cinquième des budgets consacrés à l’alimentation et à l’agriculture n’est pas dépensé), en particulier dans le cas des dépenses financées par des donateurs, pour lesquelles la part des fonds non dépensés est extrêmement élevée (environ 40 pour cent)n 70. Dans ces conditions, la réorientation de l’action publique ne sera pas nécessairement une solution viable ou efficace dans les pays à faible revenu. Cela dit, de futurs travaux de recherche pourraient mettre au jour des mesures complémentaires (des transferts internationaux financés par des mesures fiscales dans les pays à revenu élevé, par exemple) qui permettraient d’aider les pays à faible revenu à relever les défis liés aux investissements publics dans l’alimentation et l’agriculture.

Soutien aux services d’intérêt général

Conformément à la tendance décrite jusqu’ici, le soutien aux services d’intérêt général, exprimé en proportion de la valeur de la production, est également plus modeste dans les pays à faible revenu (2 pour cent) que dans les pays à revenu élevé (4 pour cent) (tableau 6). La composition des dépenses consacrées à ces services est par ailleurs assez diversifiée selon les niveaux de revenu des pays (figure 20). Dans les pays à revenu élevé, les services les plus soutenus par les pouvoirs publics sont ceux qui portent sur les infrastructures, la R-D et les transferts de connaissances; les services d’inspection et les activités de commercialisation et de marketing sont aussi des domaines importants ciblés par les investissements publics. Dans les pays à revenu intermédiaire, une part importante des dépenses publiques couvre les coûts des programmes de détention de stocks publics. Ces programmes sont très courants en Asie et dans le Pacifique (par exemple en Chine, en Inde, en Indonésie, au Pakistan et aux Philippines) et, même si leurs mécanismes de mise en œuvre peuvent varier, ils ont généralement pour objectifs d’offrir des prix rémunérateurs aux agriculteurs, de stabiliser les marchés et d’assurer la sécurité alimentaire des consommateurs71. Les montants dépensés dans le cadre du soutien aux services d’intérêt général sont relativement moins élevés dans les pays à faible revenu, et le soutien apporté est surtout axé sur le financement de la construction et de l’entretien des infrastructures agricoles (en particulier l’irrigation), les services de recherche-développement, ainsi que les dépenses consacrées aux forêts, à l’aménagement du territoire et à la protection de l’environnement (classées dans la catégorie «Autres/divers») (figure 20)70.

FIGURE 20COMPOSITION DU SOUTIEN AUX SERVICES D’INTÉRÊT GÉNÉRAL EN PROPORTION DE LA VALEUR DE LA PRODUCTION, PAR GROUPE DE PAYS CLASSÉS SELON LE REVENU ET PAR TYPE DE SERVICE (EN MOYENNE SUR LA PÉRIODE 2015-2018)

SOURCE: FAO, à partir de données de l’OCDE, de la FAO, de la BID et de la Banque mondiale compilées par l’IFPRI.
SOURCE: FAO, à partir de données de l’OCDE, de la FAO, de la BID et de la Banque mondiale compilées par l’IFPRI.

Soutien aux consommateurs

Comme pour le soutien budgétaire décrit ci-dessus, les deux tiers des subventions aux consommateurs (finaux ou intermédiaires, comme les transformateurs) déboursées à l’échelle mondiale l’ont été dans les pays à revenu élevé. En moyenne, entre 2013 et 2018, ces subventions représentaient 4,6 pour cent de la valeur de la production dans les pays à revenu élevé, chiffre qui était inférieur à 1 pour cent dans les pays à faible revenu (tableau 6). Ces données viennent encore une fois confirmer que les pays à revenu élevé ont plus de moyens et de ressources pour aider financièrement les acteurs des systèmes agroalimentaires que les pays à faible revenu. Ces derniers se tournent plutôt vers des mesures d’encadrement des échanges et d’intervention sur les marchés afin de maintenir les prix intérieurs à un bas niveau dans l’intérêt des consommateurs, comme nous l’avons vu plus haut. Les subventions aux consommateurs intermédiaires n’existent généralement que dans les pays à revenu élevé ou à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, notamment en Norvège, en Islande, aux États-Unis d’Amérique et au Kazakhstan.

Les subventions aux consommateurs accordées dans les pays à revenu faible ou intermédiaire consistent le plus souvent en des transferts en nature ou en espèces effectués dans le cadre de programmes de protection sociale. L’Inde et l’Indonésie, par exemple, accordent des subventions importantes aux consommateurs finaux, la première par l’intermédiaire de son système de distribution publique ciblée pour les céréales, et la deuxième dans le cadre de son programme d’aide alimentaire (BPNT) pour le riz, qui fonctionne au moyen de bons électroniques. Dans certains pays d’Afrique subsaharienne, les subventions aux consommateurs ont récemment augmenté, parfois au détriment des producteurs, qui ont reçu un soutien financier moindre en raison des contraintes budgétaires existantes; en revanche, les transferts monétaires, les transferts en nature et les programmes de repas scolaires ont pris de l’essor70.

Le soutien public varie selon les groupes d’aliments et les produits

Dans la suite logique de l’analyse présentée ci-dessus, les pays qui jouissent d’un niveau de revenu plus élevé soutiennent tous les groupes d’aliments, et en particulier les aliments de base (notamment les céréales, les racines et les tubercules), suivis des produits laitiers et des autres aliments riches en protéineso. Dans les pays à revenu élevé, le soutien apporté à ces trois groupes d’aliments est fourni à parts égales sous la forme d’incitations par les prix et de subventions aux producteurs. En revanche, pour les fruits et les légumes et pour les graisses et les huiles, les subventions sont beaucoup plus importantes (11 pour cent environ de la valeur de la production) que les incitations par les prix, en moyenne, sur la période 2013-2018 (figure 21)p.

FIGURE 21TAUX NOMINAL D’AIDE EN PROPORTION DE LA VALEUR DE LA PRODUCTION, PAR GROUPE DE PAYS CLASSÉS SELON LE REVENU ET PAR GROUPE D’ALIMENTS (EN MOYENNE SUR LA PÉRIODE 2013-2018)

SOURCE: FAO, à partir de données de l’OCDE, de la FAO, de la BID et de la Banque mondiale compilées par l’IFPRI.
NOTE: La catégorie «autres» englobe différentes cultures alimentaires, au premier rang desquelles figurent le sucre, le café, le cacao, le thé et les piments, ainsi que certaines cultures non alimentaires, comme le coton, la laine et le tabac. Les subventions non liées à des produits spécifiques sont des subventions qui ne ciblent pas un produit ou un groupe d’aliments en particulier, mais un groupe d’aliments plus large, par exemple l’ensemble des cultures ou des produits de l’élevage; elles ont été réparties entre les différents groupes d’aliments en fonction de la part des produits concernés dans la valeur de la production pour l’agrégat correspondant.
SOURCE: FAO, à partir de données de l’OCDE, de la FAO, de la BID et de la Banque mondiale compilées par l’IFPRI.

La priorité constante accordée aux céréales de base dans la politique alimentaire et agricole de la plupart des pays du monde n’est pas une nouveauté. Les politiques visant à stimuler la productivité des cultures de base, y compris les incitations par les prix, les subventions aux intrants spécifiques à des cultures en particulier et les achats de céréales pour la constitution de stocks à des fins de sécurité alimentaire, sont monnaie courante depuis la période de la révolution verte72. Historiquement, ces mesures ont contribué à limiter les incitations susceptibles d’encourager les agriculteurs à diversifier leurs systèmes de production, comme on le verra plus en détail dans la section 3.273,74.

Les politiques des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure pénalisent invariablement la production de la plupart des aliments, car elles font baisser les prix à la sortie de l’exploitation. En revanche, ces pays accordent des subventions aux agriculteurs, en particulier pour la production d’aliments de base, de fruits et légumes et de graisses et huiles. Dans les pays à faible revenu, les incitations par les prix sont négatives pour la plupart des groupes d’aliments, allant de -7 pour cent pour les aliments de base (essentiellement les céréales) à 1 pour cent pour les cultures de la catégorie «autres» (comme le sucre, le thé ou le café) (figure 21). Comme nous l’avons expliqué précédemment, ces pays ont peu de ressources pour venir en aide aux agriculteurs au moyen de subventions.

Un examen plus approfondi peut être effectué en analysant le soutien qui cible certains produits alimentaires en particulierq. À l’échelle mondiale, le riz, le sucre et les différents types de viande figurent parmi les produits les plus soutenus (figure 22). Les principales mesures utilisées pour appuyer la production de ces produits consistent en des politiques visant les échanges et le marché, qui modifient les prix et créent des incitations par les prix en faveur des agriculteurs. Comme nous nous y attendions, ces mesures ne vont pas toujours dans le sens d’une alimentation saine et sont susceptibles d’entraîner des désincitations (relatives) à produire plus de fruits et de légumes, par exemple, puisque les agriculteurs sont encouragés à produire des denrées qui sont soumises à une concurrence moindre et se vendent à des prix plus élevés. Par ailleurs, en moyenne sur la période 2013-2018, dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, certains fruits et légumes, tels que les bananes, les mangues et les oignons, ont été l’objet de désincitations par les prix (figure 22). Si cette situation peut être préoccupante du point de vue de l’offre, il faut cependant reconnaître qu’elle pourrait, dans un scénario de prix intérieurs relativement bas (c’est-à-dire inférieurs au prix de référence international, tel que défini par le taux nominal de protection), avoir pour effet de rendre ces produits plus abordables pour les consommateurs.

FIGURE 22TAUX NOMINAL D’AIDE EN PROPORTION DE LA VALEUR DE LA PRODUCTION POUR CERTAINS DES PRODUITS ALIMENTAIRES LES PLUS CIBLÉS, PAR GROUPE DE PAYS CLASSÉS SELON LE REVENU, EN MOYENNE SUR LA PÉRIODE 2013-2018

SOURCE: FAO, à partir de données de l’OCDE, de la FAO, de la BID et de la Banque mondiale compilées par l’IFPRI.
SOURCE: FAO, à partir de données de l’OCDE, de la FAO, de la BID et de la Banque mondiale compilées par l’IFPRI.

La production de riz bénéficie d’un soutien important dans le monde entier: les agriculteurs profitent d’incitations par les prix relativement élevées dans tous les groupes de pays par revenu (figure 22). Ces incitations représentent plus de 70 pour cent de la valeur de la production dans les pays à revenu élevé, ce qui tient essentiellement à certains pays asiatiques, comme le Japon et la République de Corée, qui soutiennent largement la production de ce produit essentiel en mettant en place des mesures aux frontières et des mesures de contrôle des prix intérieurs. Le riz est un produit riche en calories mais pauvre en micronutriments, dont la production génère le plus souvent un fort volume d’émissions de gaz à effet de serre. Cela étant, puisqu’il s’agit d’un aliment de base pour plus de 3 milliards de personnes dans le monde, les décideurs doivent évaluer avec une attention toute particulière les solutions possibles en matière de réforme et de réorientation du soutien public, afin d’éviter que celles-ci ne se fassent au détriment de la sécurité alimentaire. Les mêmes réflexions s’appliquent aux produits alimentaires d’origine animale, comme le lait et la viande bovine, qui peuvent contribuer à améliorer la qualité du régime alimentaire et la nutrition dans certains pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, mais qui font souvent l’objet d’une consommation excessive dans les pays à revenu élevé, ce qui nuit à la santé. C’est précisément dans les pays à revenu élevé et à revenu intermédiaire de la tranche supérieure que la production de ces produits issus de l’élevage est relativement plus soutenue, comme en atteste un taux nominal d’aide moyen d’environ 11 pour cent dans ces deux groupes de pays entre 2013 et 2018.

Certains pays à faible revenu ont mis en place des mesures qui ont entraîné des incitations par les prix pour certains aliments de base, comme le blé et le riz, mais des désincitations pour d’autres produits, comme le maïs (figure 22). Dans certains cas, des mécanismes de subventions aux intrants ont aussi été instaurés, notamment pour la production de maïs (principalement au Malawi) et de blé (au Rwanda). Concernant le riz, les incitations par les prix étaient particulièrement élevées dans les pays d’Afrique de l’Est (par exemple au Burundi, au Rwanda et en Ouganda) sur la période 2013-2018. À l’inverse, le lait, la noix de cajou et la banane ont fait partie des produits les plus pénalisés (figure 22).

Les produits de la pêche et de l’aquaculture sont eux aussi extrêmement importants pour les moyens d’existence, la sécurité alimentaire et la nutrition de milliards de personnes dans le monde, mais il n’existe malheureusement pas d’indicateurs cohérents du soutien que leur apportent les pouvoirs publics. Le poisson et les autres aliments aquatiques jouent un rôle essentiel pour ce qui est de favoriser une alimentation saine; en effet, dans beaucoup de pays, ce sont ces produits qui apportent les protéines animales nécessaires dans le cadre d’une alimentation saine à moindre coût. Les pêcheurs et les travailleurs du secteur de la pêche artisanale produisent une grande partie de ces aliments et forment une large part de la main-d’œuvre dans beaucoup de pays (encadré 9). La surpêche est un problème pressant pour les systèmes agroalimentaires et l’environnement, et les subventions à la pêche risquent d’aggraver ce phénomène de même que les pratiques illégales et inéquitables. Il faut d’urgence recueillir et générer des données pour mesurer le niveau et le type de soutien public accordé à ces produits importants pour une alimentation saine, car, dans de nombreux pays, les stratégies de réorientation doivent tenir compte de ces éléments (encadré 9).

ENCADRÉ 9L’IMPORTANCE DU POISSON ET DES AUTRES PRODUITS DE LA PÊCHE DANS LE CADRE D’UNE ALIMENTATION SAINE, ET LE RÔLE DES SUBVENTIONS À LA PÊCHE DANS LES EFFORTS DE RÉORIENTATION DE L’ACTION PUBLIQUE

Le poisson et les autres aliments aquatiques sont une excellente source d’acides gras essentiels oméga 3, en plus d’être riches en vitamines, en minéraux et en protéines animales de grande qualité. De plus, la consommation d’animaux aquatiques associée à des aliments de source végétale accroît l’absorption de nutriments comme le zinc et le fer75,76. Malgré la baisse du recours aux petites espèces de poissons dans l’alimentation animale, une utilisation concurrente de ces poissons persiste pour la farine et l’huile de poisson, ce qui peut, dans certaines zones, nuire aux populations vulnérables sur le plan nutritionnel. Dans de nombreuses régions du monde, les espèces de petits poissons indigènes sont consommées en entier (y compris la tête, les yeux, les arêtes et les viscères) et constituent une source essentielle de micronutriments. En revanche, dans le cas d’autres espèces comme le tilapia, le thon ou le saumon, on ne consomme souvent que les filets, qui représentent entre 30 et 70 pour cent du poisson, le reste étant jeté77,78. Des techniques simples de transformation permettent de fabriquer des produits nutritifs, dont le goût est excellent, à partir des têtes et des arêtes. Par exemple, la poudre de carcasse de thon ajoutée aux recettes traditionnelles dans les cantines scolaires au Ghana est très bien acceptée par les élèves79.

UNE ACTIVITÉ À PETITE ECHELLE, MAIS D’UNE GRANDE VALEUR: LA PÊCHE ARTISANALE ET SA CONTRIBUTION À DES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES SAINS
On estime qu’au moins 40 pour cent des prises mondiales proviennent de la pêche artisanale, et qu’un tiers de cette proportion environ est issu de la pêche continentale80. Les petits pélagiques (tels que la sardine, le hareng et l’anchois) et d’autres poissons pélagiques (le maquereau, la comète et le thon, par exemple) représentent près de 50 pour cent du total des captures de la pêche artisanale en mer. La pêche artisanale joue un rôle essentiel dans la réalisation du droit à une alimentation adéquate: plus de 95 pour cent des débarquements de cette pêche sont destinés à la consommation locale81. La consommation de poissons issus de la pêche artisanale pourrait permettre de couvrir 50 pour cent des apports quotidiens recommandés en acides gras oméga 3 pour 150 millions de femmes en Afrique et 773 millions de femmes en Asie*80.

Dans le monde, quelque 492 millions de personnes vivent (au moins en partie) de la pêche artisanale. La pêche artisanale emploie 90 pour cent des personnes qui travaillent dans la filière de la pêche de capture, et 53 millions de personnes pratiquent la pêche de subsistance, dont une grande majorité de femmes. Les pêcheurs et les travailleurs du secteur de la pêche artisanale sont donc largement en mesure de susciter une évolution en profondeur des modalités, des acteurs et des destinataires des processus de production, de transformation et de distribution du poisson et des produits de la mer, évolution qui aurait des retombées positives dans tout le système alimentaire mondial. L’Année internationale de la pêche et de l’aquaculture artisanales, célébrée en 2022, sera une excellente occasion de mettre en lumière la mise en œuvre des Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté81.

NÉGOCIATIONS SUR LES SUBVENTIONS À LA PÊCHE MENÉES DANS LE CADRE DE L’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE (OMC)
La surpêche constitue un problème urgent dans la perspective du développement durable, car elle peut non seulement dégrader les milieux aquatiques, notamment en causant l’extinction de certaines espèces et des fluctuations des niveaux de biomasse dans les océans, mais également porter préjudice aux communautés vulnérables dont la nutrition, la sécurité alimentaire et les moyens d’existence dépendent du poisson et des produits de la pêche. Les subventions à la pêche qui augmentent la capacité de pêche et peuvent inciter à la surpêche contribuent fortement à ce problème. Elles peuvent aussi accentuer la concurrence déloyale entre les grandes flottes et les artisans pêcheurs, et ainsi devenir source d’inégalités.

L’élaboration de disciplines relatives aux subventions à la pêche fait l’objet de travaux au sein du Groupe de négociation sur les règles de l’OMC depuis le lancement du Programme de Doha pour le développement en 2001, le mandat de négociation correspondant ayant été convenu en 2005 lors de la Conférence ministérielle de l’OMC à Hong Kong. Ce mandat appelle à éliminer les subventions à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INDNR) et à interdire certaines formes de subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche, étant entendu que l’octroi d’un traitement spécial et différencié pour les pays en développement et les pays les moins avancés fait partie intégrante des négociations. Après que le mandat de l’OMC a été établi, l’appel mondial lancé dans le cadre du Programme 2030 a permis de fixer les objectifs de développement durable, dont l’objectif 14.6 qui vise l’interdiction et la suppression de certaines subventions à la pêche, lequel repose sur les mêmes fondements que ceux négociés à l’OMC dont il renforce d’ailleurs le mandat.

L’établissement de règles multilatérales sur les subventions à la pêche, qui abordent les enjeux liés à la pêche INDNR, à la surcapacité et à la surpêche, aura des retombées positives qui iront au-delà du commerce et de l’environnement. Réorienter les subventions à la pêche selon une approche globale reposant sur des données scientifiques peut permettre d’accroître la disponibilité d’une alimentation nutritive et durable, et de réduire la concurrence déloyale à laquelle la pêche artisanale est souvent confrontée.

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