Il reste huit ans pour éliminer la faim, l’insécurité alimentaire et toutes les formes de malnutrition (cibles 2.1 et 2.2 des objectifs de développement durable [ODD]), or le monde avance dans la mauvaise direction. Comme l’indique ce rapport, l’insécurité alimentaire s’est encore aggravée en 2021, et les seuls progrès accomplis au regard des cibles mondiales en matière de nutrition concernent l’allaitement maternel exclusif des nourrissons de moins de 6 mois et le retard de croissance chez les enfants, la situation étant même en train de se détériorer pour ce qui est de l’anémie chez les femmes et de l’obésité chez les adultes. Pour empêcher que la malnutrition ne gagne du terrain et pour concrétiser le droit à une nourriture adéquate, chacun doit avoir accès à une alimentation saine; pourtant, selon les estimations les plus récentes, elle est inabordable pour près de 3,1 milliards de personnes dans le monde.
Les effets durables de la pandémie de covid-19 continuent de freiner les progrès accomplis en vue de la réalisation de l’ODD 2 d’ici à 2030. L’ampleur de la reprise économique n’a pas été identique dans tous les pays en 2021, et les pertes de revenus que les populations les plus touchées par la pandémie n’ont pas réussi à compenser ont accentué les inégalités existantes et ont nui à la sécurité alimentaire des personnes qui peinent déjà le plus à nourrir leurs familles. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté l’année dernière en raison des goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement, de la flambée des coûts de transport et d’autres perturbations causées par la pandémie de covid-19. Par ailleurs, la guerre en Ukraine – qui met aux prises deux des plus grands producteurs agricoles mondiaux, notamment de céréales – déstabilise les chaînes d’approvisionnement et a aussi des répercussions sur les prix mondiaux des céréales, des engrais et de l’énergie, ce qui provoque des pénuries et attise l’inflation des prix des aliments. À cela s’ajoutent les phénomènes climatiques extrêmes plus fréquents et plus graves, qui perturbent fortement les chaînes d’approvisionnement, surtout dans les pays à faible revenu.
En définitive, l’intensification des principaux facteurs d’insécurité alimentaire et de malnutrition (conflits, phénomènes climatiques extrêmes et chocs économiques, sur fond d’inégalités croissantes), qui surviennent souvent simultanément, continue de limiter la quantité et la qualité des aliments auxquels les populations ont accès, tout en aggravant la situation budgétaire de nombreux pays qui tentent d’atténuer les conséquences de ces facteurs.
Comme nous l’avons souligné dans les deux dernières éditions du présent rapport, il faut, pour atteindre les cibles de l’ODD 2 d’ici à 2030, transformer les systèmes agroalimentaires afin qu’ils puissent fournir des aliments sûrs et nutritifs à moindre coût pour garantir une alimentation saine plus abordable pour tous, et ce de manière durable et inclusive. Ce rapport explique qu’il faut faire en sorte que des aliments sains puissent être proposés à moindre coût afin de contribuer à les rendre plus abordables pour les populations. Cela suppose à la fois que l’offre des produits alimentaires sûrs et nutritifs entrant dans une alimentation saine augmente et que les consommateurs s’orientent vers ces produits. Sous l’angle de l’action publique et de la sensibilisation, cela suppose aussi de rendre l’alimentation saine plus abordable qu’une mauvaise alimentation. Il existe plusieurs moyens d’y parvenir, mais le contexte actuel de récession économique, de baisse des revenus des ménages (au moins pour les ménages des déciles de revenu les plus bas), de recettes fiscales irrégulières et de pressions inflationnistes n’est pas un contexte dans lequel un grand nombre de pays – et a fortiori de pays à revenu intermédiaire ou faible – pourraient investir massivement dans les systèmes agroalimentaires afin d’enclencher une reprise qui favoriserait une amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition de leurs populations.
C’est pourquoi les solutions permettant de transformer les systèmes agroalimentaires doivent être soigneusement étudiées, et il faut faire en sorte que les ressources limitées dont on dispose soient utilisées de la manière la plus efficiente et la plus efficace possible pour contribuer à rendre l’alimentation saine plus abordable pour tous. Dans la conjoncture récessionniste actuelle, les dépenses et les investissements publics prennent une place particulièrement importante, car beaucoup d’investisseurs privés (dont les acteurs des systèmes agroalimentaires) se montrent plus prudents pour ce qui est des investissements dans la sphère des systèmes agroalimentaires, ces investissements présentant généralement un niveau de risque élevé pour un rendement moindre, en particulier à court terme. Les pouvoirs publics doivent par conséquent mettre en œuvre des politiques publiques de nature à soutenir une alimentation saine et abordable, afin de créer un environnement plus propice aux investissements privés qui contribuerait à accélérer la reprise avec à la clé une amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition des populations.
Réorienter le soutien public afin de rendre l’alimentation saine plus abordable, de manière durable et inclusive
Dans ce contexte, il devient plus urgent d’allouer différemment les budgets publics existants et les incitations par les prix; c’est en effet la première chose à faire, même pour les pays qui doivent et peuvent augmenter ces budgets. Il est possible d’allouer les budgets publics de manière plus efficace et plus efficiente pour atteindre les objectifs de développement, notamment réduire le coût d’une alimentation saine, en la rendant plus abordable, plus durable et plus inclusive, tout en veillant à ne laisser personne de côtéa. À cet égard, de nombreux pays peuvent réorienter leurs politiques alimentaires et agricoles vers ces objectifs, tout en s’assurant que d’autres politiques relatives aux systèmes agroalimentaires ainsi que des politiques complémentaires dans d’autres secteurs, tels que la santé, la protection sociale et l’environnement, sont mises en place pour créer des incitations qui aillent dans le même sens (voir l’encadré 1, où sont définies les notions de réorientation et de soutien public à l’alimentation et à l’agriculture).
ENCADRÉ 1DÉFINITION DES NOTIONS DE RÉORIENTATION ET DE SOUTIEN PUBLIC À L’ALIMENTATION ET À L’AGRICULTURE
La réorientation du soutien public, selon la définition qui en est donnée dans un rapport récent publié conjointement par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) (2021)1, est une approche qui consiste à réduire les mesures de soutien qui sont inefficaces, non durables ou inéquitables, afin de les remplacer par des mesures de soutien qui aillent dans une direction résolument inverse. En d’autres termes, il s’agit non pas de supprimer le soutien apporté, mais plutôt de le reconfigurer. Ainsi, la réorientation implique toujours une réforme*.
Le soutien public à l’alimentation et à l’agriculture désigne, dans le présent rapport, toute forme de soutien financier accordé par les pouvoirs publics à ces secteurs ou toute action publique qui influe directement ou indirectement sur la production et le commerce des produits alimentaires et agricoles tout au long de la chaîne de valeur alimentaire.
- Le soutien public à l’agriculture se décline généralement en plusieurs types de mesures qui, de manière implicite ou explicite, influent sur les prix à la production ou sur la rentabilité, ou qui prévoient des transferts monétaires aux agriculteurs ou des dépenses et investissements publics dans les services d’intérêt général et les biens publics** qui profitent au secteur agricole. Il s’agit, par exemple, des (dés)incitations par les prix (principalement les mesures aux frontières et les interventions sur les prix intérieurs), qui représentent indirectement des transferts des consommateurs et des contribuables vers les agriculteurs (ou vice versa).
- Le soutien public à l’alimentation couvre généralement un spectre plus large, qui ne se limite pas à la production des aliments, mais porte aussi sur la transformation, la distribution, l’achat ou la fourniture des denrées. On s’intéresse également à la manière dont ces mesures de soutien sont pensées pour assurer la protection de la santé humaine et la satisfaction des besoins nutritionnels. On manque malheureusement de données comparables au niveau mondial sur ce type de soutien axé sur le volet alimentaire du système agroalimentaire, ce qui n’est pas le cas pour le soutien public ciblant uniquement l’agriculture, pour lequel plus de données sont disponibles.
Les pouvoirs publics se servent de différentes politiques pour créer des incitations ou des désincitations afin d’induire un changement de comportement chez les acteurs des systèmes agroalimentaires et la population en général et afin d’influencer les résultats du secteur agroalimentaire***. Les pouvoirs publics de chaque pays sont aussi tributaires des politiques mises en place par les autres pays. L’action publique menée au niveau national n’est donc pas la seule à entrer en ligne de compte.
Le présent rapport ayant pour thème central la réorientation des politiques alimentaires et agricoles, l’expression «systèmes agroalimentaires» est employée en lieu et place de l’expression «systèmes alimentaires» qui était utilisée dans les éditions précédentes. En effet, l’expression «systèmes agroalimentaires» est de plus en plus employée dans le contexte d’une transformation des systèmes alimentaires visant à rendre ceux-ci plus durables et plus inclusifs, et elle couvre un champ plus vaste du fait qu’elle englobe les systèmes alimentaires et agricoles et les produits agricoles alimentaires et non alimentaires, avec des chevauchements évidents****.
- * La définition de la réforme de l’action publique adoptée dans ce rapport cadre avec celle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En conséquence, la réforme de l’action publique désigne un processus dans lequel des changements sont apportés aux «règles du jeu» – notamment aux lois, aux réglementations et aux institutions – en vue de régler un problème ou d’atteindre un objectif2.
- ** Il s’agit des services d’intérêt général et du soutien aux biens publics, tels que les investissements publics dans la recherche-développement (R-D), les services de commercialisation et les infrastructures (par exemple, l’irrigation, les routes et l’électrification).
- *** Dans ce contexte, les incitations (ou les désincitations) sont le fruit de politiques qui influencent des changements de comportement en vue d’atteindre un résultat souhaité dans le secteur visé. Elles recouvrent et dépassent le champ des définitions techniques plus spécifiques des incitations par les prix qui reflètent les effets des mesures d’action publique ciblant les marchés et le commerce agricoles.
- **** Voir le glossaire à l’annexe 7 qui définit la notion de «système agroalimentaire» et explique en quoi elle diffère de celle de «système alimentaire».
Malheureusement, seule une très faible part du soutien public apporté à l’alimentation et à l’agriculture a été expressément conçue dans le but d’atteindre les objectifs liés à tous les aspects de la sécurité alimentaire et de la nutrition, ainsi que les objectifs environnementaux, et ce de manière simultanée et cohérente. En outre, la majorité des mesures de soutien public ont été élaborées et mises en œuvre de manière isolée, dans un but précis, sans tenir compte des conséquences indésirables qu’elles pourraient engendrer sur d’autres plans.
Les politiques existantes ont de ce fait amené les systèmes agroalimentaires contemporains à évoluer de telle sorte que le coût d’une alimentation saine est cinq fois plus élevé que celui d’une alimentation couvrant seulement les besoins énergétiques au moyen d’une céréale de base3. Ces politiques ont également entraîné la multiplication d’aliments à bas prix, hypercaloriques et sans grande valeur nutritionnelle. De plus, les coûts sanitaires d’une mauvaise alimentation, en termes de mortalité et de maladies non transmissibles (MNT), sont élevés puisqu’ils devraient dépasser 1 300 milliards d’USD par an d’ici à 20303. En parallèle, les systèmes agroalimentaires sont devenus une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial et exercent des pressions trop fortes sur les terres, l’eau et les autres ressources naturelles. Les coûts sociaux des émissions de GES liées à l’alimentation dans le cadre des systèmes agroalimentaires actuels et des habitudes alimentaires qu’ils sous-tendent devraient dépasser 1 700 milliards d’USD par an d’ici à 2030. L’adoption d’une alimentation d’origine végétale permettrait une réduction de ces coûts de l’ordre de 41 à 74 pour cent à l’horizon 20303.
Le soutien public apporté à l’alimentation et à l’agriculture s’inscrit dans une longue histoire, au cours de laquelle il a été principalement motivé par la nécessité d’accroître la productivité agricole (surtout pour les céréales de base), de protéger les revenus agricoles et/ou de garantir la sécurité alimentaire nationale4. Historiquement, les politiques nationales de sécurité alimentaire ont été conçues dans le but de garantir les disponibilités alimentaires nationales, en particulier pour les céréales, comme le maïs, le blé ou le riz. Les systèmes agroalimentaires du monde entier permettent ainsi de fournir des aliments qui procurent un apport énergétique sous la forme de céréales à faible coût. Dans toutes les régions et tous les pays du monde, la majorité des personnes pauvres ont les moyens d’acheter des céréales pour satisfaire leurs besoins énergétiques alimentaires quotidiens3. Cela ne suffit toutefois pas pour assurer d’autres besoins alimentaires, notamment un apport adéquat en macronutriments et en micronutriments et un apport diversifié d’aliments qui aident à prévenir la malnutrition sous toutes ses formes et les MNT liées à l’alimentation3. Le coût total des aliments de base dans une alimentation saine ne représente, en moyenne, que 15 pour cent du coût total d’une telle alimentation.
La majeure partie du soutien public actuellement apporté à l’agriculture n’est pas compatible avec l’objectif national consistant à encourager une alimentation saine; en fait, dans de nombreux cas, ce soutien sape – involontairement – les résultats en matière de sécurité alimentaire et de nutrition, et contribue à la hausse du surpoids et de l’obésité ainsi que des maladies non transmissibles liées à l’alimentation. Par exemple, comme on le voit à la section 3.1, le sucre ou les produits qui ont une forte intensité carbone, à l’instar du bœuf ou du lait, sont ceux qui reçoivent le plus de soutien à l’échelle mondiale, et ce malgré les conséquences néfastes que peuvent avoir, d’un côté, une consommation élevée de sucre sur la santé et, de l’autre, les fortes émissions de carbone du secteur de l’élevage sur l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets. Ce soutien crée également des désincitations (relatives) à produire en plus grandes quantités des aliments nutritifs, comme les fruits, les légumes et les légumineuses. On manque toutefois de données détaillées sur les effets de ces politiques concernant le coût des aliments nutritifs et l’abordabilité d’une alimentation saine.
En outre, une grande partie du soutien public actuellement apporté à l’alimentation et à l’agriculture n’est pas équitablement réparti; c’est notamment le cas du soutien qui est conditionné (ou couplé) à des volumes de production spécifiques pour certains produits de base ou à l’utilisation de certains intrants, ce type d’exigences étant impossibles à respecter par certains petits agriculteurs en particulier. En d’autres termes, le soutien public dont bénéficie actuellement le secteur de l’alimentation et de l’agriculture entraîne bien souvent des distorsions sur les marchés du fait de l’absence de concurrence libre et ouverte et, comme c’est particulièrement le cas dans les régimes de soutien couplé, il profite surtout aux grands producteurs qui peuvent remplir les conditions imposées pour y avoir droit (atteinte de volumes de production donnés pour certains produits, utilisation d’intrants, etc.).
Pour toutes ces raisons, il est urgent de repenser l’allocation des dépenses publiques afin de réorienter l’action publique dans le secteur agricole et alimentaire. Les options possibles en matière de réorientation doivent être soigneusement étudiées, non seulement du point de vue de la production agricole (quantité et diversité), mais aussi tout au long des chaînes d’approvisionnement alimentaire, au sein des environnements alimentaires, ainsi que sur le plan du comportement des consommateurs. Cette remise en question est indispensable, car les facteurs à l’origine du coût élevé des aliments nutritifs se retrouvent à tous les niveaux des systèmes agroalimentaires, comme l’a montré l’édition 2020 du présent rapportb. En outre, il convient d’évaluer avec soin les éventuels déséquilibres qui pourraient être induits par la réorientation du soutien public à l’alimentation et à l’agriculture. Par exemple, le riz est un produit à forte intensité carbone qui est riche en calories mais pauvre en micronutriments et qui, pourtant, bénéficie d’un soutien important dans le monde entier, car il est aussi au cœur de l’alimentation de plus de 3 milliards de personnes (section 3.1). Tous les enjeux liés à la durabilité environnementale, aux résultats nutritionnels et à l’abordabilité d’une alimentation saine devront donc être pris en compte dans l’optique d’une stratégie soigneusement étudiée visant à réorienter le soutien à cette céréale.
Ces réflexions montrent qu’une approche fondée sur les systèmes agroalimentaires est essentielle en vue de réorienter le soutien public à l’alimentation et à l’agriculture (figure 1). Dans le cadre de cette approche, on prendra en considération les liens entre l’action publique et la disponibilité et le coût des aliments nutritifs par rapport aux aliments à forte densité énergétique et à faible valeur nutritionnelle (qui sont souvent bon marché), les revenus des personnes ainsi que les conséquences des systèmes agroalimentaires sur les plans nutritionnel et environnemental. Il s’agira à la fois d’élargir l’offre d’aliments nutritifs qui entrent dans la composition d’une alimentation saine tout en réduisant leur coût en valeur absolue, et de diminuer le coût relatif d’une alimentation saine. Pour transformer les habitudes alimentaires actuelles et mettre un terme à la faim et à toutes les formes de malnutrition, il faudra mettre en œuvre des politiques et mener parallèlement des actions de sensibilisation.
FIGURE 1UNE APPROCHE FONDÉE SUR LES SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES EST ESSENTIELLE EN VUE DE RÉORIENTER LE SOUTIEN PUBLIC APPORTÉ À L’ALIMENTATION ET À L’AGRICULTURE
![SOURCE: Adapté de FAO, FIDA, OMS, PAM et UNICEF. 2021. L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2021. Transformer les systèmes alimentaires pour que la sécurité alimentaire, une meilleure nutrition et une alimentation saine et abordable soient une réalité pour tous. Rome, FAO; et adapté de HLPE. 2020. Sécurité alimentaire et nutrition: énoncé d’une vision globale à l’horizon 2030. Un rapport du Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition du Comité de la sécurité alimentaire mondiale. Rome.](../img/CC0639FR_SOFI_fig1.jpg)
L’abordabilité d’une alimentation saine n’est pas seulement déterminée par le coût des aliments nutritifs qui constituent une telle alimentation, mais aussi par le coût relatif de l’alimentation saine par rapport aux revenus de la population, et par le coût des aliments nutritifs par rapport à celui des aliments riches en graisses, en sucres et/ou en sel qui peuvent être largement disponibles et faire l’objet de vastes campagnes publicitaires. Les éditions précédentes de ce rapport ont montré combien la réduction de la pauvreté et des inégalités était essentielle pour améliorer l’accès à des aliments nutritifs en quantité suffisante, et formulaient des recommandations concrètes sur les politiques à mener à cette fin. La vaste question de l’augmentation des revenus des personnes est au cœur du développement économique, mais elle sort du cadre du rapport de cette année; l’accent est ici plutôt mis sur la réorientation du soutien public dans l’objectif de réduire le coût d’une alimentation saine. Toutefois, réorienter le soutien public à l’alimentation et à l’agriculture afin de faire baisser le coût d’une alimentation saine implique aussi de prendre en compte les conséquences que peuvent avoir différentes combinaisons de réorientation sur les revenus, notamment agricoles, mais aussi les déséquilibres qui en résultent, ainsi que la nécessité d’examiner et de gérer soigneusement ces deux aspects.
Dans le même temps, il est important de garder à l’esprit que si le soutien public apporté à l’alimentation et à l’agriculture peut en définitive créer les bonnes incitations et produire les résultats escomptés dans les systèmes agroalimentaires, les évolutions qui surviennent ailleurs peuvent produire l’effet inverse. C’est pourquoi il faut, en attendant et en fonction des synergies et des déséquilibres créés, envisager des politiques complémentaires au sein et en dehors des systèmes agroalimentaires pour parvenir à la cohérence qui sera nécessaire sur le plan des politiques si l’on veut tirer le meilleur parti des ressources disponibles, y compris celles des secteurs de la santé et de l’environnement.
Néanmoins, il se peut que la réorientation du soutien public à l’alimentation et à l’agriculture mette un certain temps à porter ses fruits pour ce qui est de réduire le coût des aliments nutritifs; elle pourrait aussi entraîner une précarité des moyens d’existence et une perte de revenus à court terme. Autrement dit, elle ne se fera pas sans compromis; dès lors, des mesures d’atténuation, par exemple dans le domaine de la protection sociale, pourront s’avérer nécessaires pour éviter des effets non désirés, en particulier pour les personnes les plus vulnérables aux changements attendus pendant cette transition. La réorientation du soutien public à l’alimentation et à l’agriculture de même que l’instauration de politiques complémentaires au sein et en dehors des systèmes agroalimentaires devront être pensées différemment selon les caractéristiques structurelles des pays (niveau de revenu, structure de production, dotations en ressources naturelles, balance commerciale nette et situation en matière de sécurité alimentaire et de nutrition, notamment) ainsi qu’en fonction de considérations liées à l’économie politique.
Réorienter le soutien public qui est accordé au secteur alimentaire et agricole est un point de départ essentiel, pour lequel le présent rapport fournit des données et des orientations stratégiques. Toutefois, pour de nombreux pays, cela ne suffira pas à garantir l’abordabilité d’une alimentation saine pour tous, et il faudra accroître les investissements nationaux en faveur de l’alimentation et de l’agriculture. Certains pays seront en fait dans l’impossibilité de procéder à une quelconque réorientation, compte tenu du peu de ressources publiques qu’ils consacrent actuellement au secteur alimentaire et agricole. Dans ces pays en particulier, il faudra augmenter les investissements, de source aussi bien publique que privée, y compris par des mécanismes de financement mixte. La mise en évidence des pays concernés est une autre contribution importante de ce rapport.
Liens entre le soutien public apporté à l’alimentation et à l’agriculture et le coût des aliments nutritifs
Dans l’optique de concrétiser les cibles de l’ODD 2 d’ici à 2030, notamment celles liées à l’agriculture durable, ainsi que d’autres ODD, il sera essentiel pour beaucoup de pays de réorienter le soutien public à l’alimentation et à l’agriculture afin de diminuer le coût des aliments nutritifs et de rendre l’alimentation saine plus abordable pour tous. Près de 3,1 milliards de personnes dans le monde (voir la section 2.3) n’ont pas les moyens actuellement de se procurer une alimentation saine, même la moins chère, bien que cette alimentation soit indispensable à leur bonne santé et à leur bien-être. Ainsi, si l’on parvient à offrir à tous une alimentation saine plus abordable, on contribuera aussi à la réalisation de l’ODD 3 (Bonne santé et bien-être); on assurera également un accès plus équitable aux aliments nutritifs, propice à une amélioration de la santé, de la sécurité alimentaire et de la nutrition, ce qui fera avancer la réalisation de l’ODD 10 (Inégalités réduites). De plus, le passage à une alimentation saine peut aider à réduire les émissions de GES, comme l’ont montré les éditions précédentes de ce rapport3; ce type d’alimentation est donc non seulement bénéfique pour la santé des êtres humains, mais aussi pour celle de la planète. Il s’agit ainsi d’une solution intéressante à tous points de vue, qui peut concourir à la fois à la réalisation de l’ODD 12 (Consommation et production responsables) et de l’ODD 13 (Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques).
Cette année, le rapport s’ouvre sur un panorama actualisé de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, qui comprend de nouvelles estimations du coût et de l’abordabilité d’une alimentation saine (chapitre 2). Il se poursuit par un examen approfondi de la manière dont on peut «réorienter le soutien public à l’alimentation et à l’agriculture pour rendre l’alimentation saine plus abordable» en réduisant le coût des produits alimentaires nutritifs par rapport aux autres denrées alimentaires et aux revenus des personnes, et permettre ainsi aux pays de faire un usage plus efficient et efficace de leurs ressources publiques – très souvent – limitées.
Tout d’abord, un état des lieux est réalisé afin de recenser les soutiens publics les plus couramment accordés à l’alimentation et à l’agriculture dans le monde actuellement et de déterminer le niveau du soutien fourni, les activités et acteurs principalement accompagnés (ou, à l’inverse, pénalisés) ainsi que les voies par lesquelles ce soutien contribue à faire monter le coût relatif des aliments nutritifs et à favoriser une alimentation qui nuit à la santé (chapitre 3). Ensuite, sur la base de cette analyse et de données probantes, le rapport précise quelles sont les autres associations d’instruments de soutien public à l’alimentation et à l’agriculture qui peuvent aider à réduire le coût des aliments nutritifs et donne des conseils pour gérer les déséquilibres résultant de ce changement d’orientation et faire en sorte que les systèmes agroalimentaires gagnent non seulement en efficience, mais aussi en durabilité et en inclusivité. Enfin, le rapport se penche sur les politiques complémentaires, relatives aux systèmes agroalimentaires ou extérieures à ces systèmes, qui jouent un rôle essentiel dans le soutien des initiatives de réorientation de l’action publique, et sur les facteurs et dynamiques de l’économie politique qui entravent ou facilitent ces initiatives (chapitre 4).