L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde de cette année devrait dissiper tous les doutes qui subsisteraient quant au fait que le monde régresserait dans ses efforts de lutte contre la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition sous toutes ses formes. Dans seulement huit ans, nous atteindrons l’horizon 2030, année butoir des objectifs de développement durable (ODD). La distance qui nous sépare de bon nombre des cibles de l’ODD 2 ne fait que croître chaque année, alors que l’échéance de 2030 se rapproche. Des efforts sont déployés pour progresser vers la réalisation de l’ODD 2, mais ils se révèlent insuffisants dans un contexte toujours plus difficile et incertain.
Comme indiqué au chapitre 2, en 2021, entre 702 et 828 millions de personnes souffraient de la faim dans le monde. C’est environ 180 millions de plus qu’au lancement du Programme de développement durable à l’horizon 2030, la majeure partie de cette augmentation (150 millions de personnes) ayant été enregistrée depuis 2019, avant la pandémie de covid-19. De plus, en 2021, près d’une personne sur trois, soit environ 2,31 milliards de personnes dans le monde, se trouvait dans une situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave. C’est près de 350 millions de personnes de plus qu’en 2019, l’année d’avant la pandémie. De plus en plus, les régimes alimentaires sains, essentiels pour améliorer la sécurité alimentaire et prévenir toutes les formes de malnutrition, sont hors de portée des populations dans toutes les régions du monde. En 2020, année la plus récente pour laquelle des données soient disponibles, près de 3,1 milliards de personnes se trouvaient dans l’impossibilité financière d’avoir un régime alimentaire sain, ce qui représente 112 millions de personnes de plus qu’en 2019.
Des sept cibles mondiales en matière de nutrition pour 2030, seuls les chiffres de l’allaitement maternel exclusif et du retard de croissance chez les enfants de moins de cinq ans ont connu une amélioration depuis 2012. Aucune région n’a montré de progrès dans la baisse de la prévalence de l’obésité chez l’adulte, et la prévalence du surpoids chez les enfants de moins de cinq ans est en augmentation dans plus de la moitié des pays d’Afrique australe, d’Océanie, d’Asie du Sud-Est, d’Amérique du Sud et des Caraïbes. En outre, les dernières estimations disponibles en matière de nutrition s’appuient sur des données collectées avant 2020, qui ne tiennent pas entièrement compte des régressions anticipées à l’échelle mondiale sous l’effet de la pandémie de covid-19.
Les choses ne se sont pas beaucoup améliorées au premier semestre 2022. Les effets persistants de la pandémie continuent de limiter les progrès et de créer des retours en arrière, ce qui contribue à une reprise économique lente et inégale selon les pays, dont les efforts de lutte contre la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition sous toutes ses formes connaissent aussi un fléchissement. La guerre en Ukraine perturbe par ailleurs les chaînes d’approvisionnement et influent sur les prix des céréales, des engrais et de l’énergie à l’échelle mondiale. Sur le marché mondial, les prix des denrées alimentaires et de l’énergie explosent et atteignent des niveaux jamais observés depuis des décennies. Les perspectives de croissance économique mondiale pour 2022 ont été revues nettement à la baisse. Les événements climatiques extrêmes, de fréquence et d’intensité croissantes, restent d’importants perturbateurs de la production agricole et des chaînes d’approvisionnement, et se répercutent sur la sécurité alimentaire, la nutrition, la santé et les moyens d’existence dans de nombreux pays.
L’intensification des principaux moteurs récents de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition (à savoir les conflits, les extrêmes climatiques et les chocs économiques), conjuguée aux coûts élevés des aliments nutritifs et aux inégalités croissantes, continueront de peser sur la sécurité alimentaire et la nutrition. Il en sera ainsi jusqu’à ce que les systèmes agroalimentaires soient modifiés en profondeur, deviennent plus résilients, et permettent de fournir des aliments nutritifs à moindre coût et des régimes alimentaires sains abordables pour tous, de manière durable et inclusive.
Le rapport de cette année reconnaît le fait que le contexte de récession actuel rend encore plus difficile, pour bien des gouvernements, d’accroître leur budget à investir dans la transformation des systèmes agroalimentaires. Parallèlement, il avance que l’on peut et doit faire beaucoup avec les ressources disponibles. L’une des recommandations clés qui en ressort préconise que les gouvernements commencent à repenser la manière de répartir leurs budgets publics afin d’en améliorer le rapport coût-efficacité et coût-efficience en vue de réduire le coût des aliments nutritifs et d’accroître la disponibilité et l’abordabilité des régimes alimentaires sains, dans le cadre de systèmes agroalimentaires durables qui ne laissent personne de côté.
Le chapitre 3 nous apprend qu’à l’échelle mondiale, sur la période 2013-2018, les gouvernements ont alloué en moyenne près de 630 milliards d’USD par an au secteur alimentaire et agricole. L’aide ciblant les producteurs agricoles s’est élevée en moyenne à 446 milliards d’USD par an en valeur nette, toutes mesures incitatives et dissuasives (liées aux prix et destinées aux agriculteurs) confondues. Environ 111 milliards d’USD annuels ont été dépensés par les gouvernements pour la fourniture de services généraux au secteur, tandis que les consommateurs de denrées alimentaires ont reçu chaque année, en moyenne, 72 milliards d’USD de subventions publiques. Globalement, ces 630 milliards d’USD annuels ne sont pas un petit montant, si on les compare avec d’autres sources de financement importantes. Par exemple, d’après l’édition 2021 du rapport intitulé Global Landscape of Climate Finance, le total des financements consacrés au climat (qui connaît une augmentation considérable) a atteint 632 milliards d’USD en 2019-2020394, ce qui est proche de l’estimation faite dans ce rapport du soutien à l’alimentation et à l’agriculture. Alors que les gouvernements dépensent des montants similaires de ressources publiques pour soutenir l’alimentation et l’agriculture, les systèmes agroalimentaires ne produisent pas les résultats nécessaires pour atteindre les objectifs en matière de sécurité alimentaire et de nutrition.
Les producteurs agricoles reçoivent la part du lion de cette aide à l’échelle mondiale (environ 70 pour cent). Les gouvernements, en particulier dans les pays à revenu élevé et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, offrent aux agriculteurs des prix de soutien en s’appuyant sur des mesures aux frontières (liées ou non aux droits de douanes), des dispositifs de contrôle des prix du marché et des subventions publiques (souvent liées à la production d’un produit agricole spécifique ou à l’utilisation d’un intrant agricole particulier). En comparaison, les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et les pays à faible revenu ont moins de latitude budgétaire et recourent généralement à des politiques commerciales pour protéger les consommateurs plutôt que les producteurs.
Non seulement le montant de l’aide publique est important, mais selon la manière dont ce montant est alloué, il peut soutenir ou contrer les efforts en faveur du développement durable – comme il est souligné à la section 3.2. Les distorsions créées par les mesures aux frontières, les interventions sur le marché et les subventions se répercutent sur les décisions en matière de commerce, de production et de consommation, ce qui n’est pas sans conséquences pour l’environnement, la sécurité alimentaire et la nutrition.
Les mesures aux frontières influent sur la disponibilité, la diversité et les prix des denrées alimentaires sur les marchés intérieurs. Si certaines de ces mesures visent des objectifs stratégiques importants, dont la sécurité sanitaire des aliments, les gouvernements pourraient s’employer davantage à réduire les barrières commerciales pour les aliments nutritifs tels que les fruits, les légumes et les légumes secs, afin d’accroître la disponibilité et l’abordabilité de ces aliments et de réduire le coût des régimes alimentaires sains.
Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, les dispositifs de contrôle des prix du marché, tels que les politiques de prix minimum ou fixe pour le consommateur, ciblent en écrasante majorité des produits agricoles tels que le blé, le maïs, le riz et le sucre, dans l’intention de stabiliser ou d’accroître les revenus des exploitations agricoles tout en assurant la fourniture de denrées de base à des fins de sécurité alimentaire. Cependant, ces politiques pourraient contribuer aux mauvais régimes alimentaires observés partout dans le monde.
Les subventions allouées à certains produits agricoles ou facteurs de production spécifiques ont fortement contribué à accroître la production et à faire baisser les prix des céréales (en particulier le maïs, le blé et le riz), mais aussi ceux du bœuf et du lait, ce qui s’est ressenti positivement sur la sécurité alimentaire et les revenus agricoles. Ces subventions ont aussi indirectement soutenu le développement et l’utilisation de meilleures technologies et de nouveaux intrants agricoles, ce qui a renforcé la productivité des produits subventionnés. D’un autre côté, ces types de subventions ont aussi entraîné d’importantes distorsions du marché à l’intérieur et à l’extérieur de frontières qui n’existent généralement pas sur un marché concurrentiel. D’une certaine manière, elles ont créé de facto des conditions qui ont (relativement) dissuadé de produire des aliments nutritifs. Dans certains pays, elles ont aussi encouragé les monocultures, mis fin à la culture de certains produits nutritifs, et découragé la production de certaines denrées n’offrant pas le même niveau d’aide. Les changements qui en ont résulté au niveau de la production ont eu des conséquences directes sur le prix et la disponibilité des produits agricoles non subventionnés ou moins subventionnés et leurs dérivés, ce qui a dissuadé les populations de diversifier leurs régimes alimentaires.
Sous forme de services généraux, l’aide publique bénéficie aux acteurs du secteur alimentaire et agricole de manière plus collective, ce qui est en principe bon pour les petits exploitants, les femmes et les jeunes. Mais comme nous l’avons noté, ce type de soutien est nettement inférieur à l’aide apportée aux producteurs individuels sous forme d’incitations par les prix ou de subventions, et il est financé plus largement dans les pays à revenu élevé. Dans certains cas, les services, par exemple de R-D, sont presque automatiquement ciblés sur les producteurs d’aliments de base. Toutefois, cette autre forme d’aide, si elle est allouée par exemple à la recherche et développement, au transfert de connaissances, aux infrastructures, à l’inspection, aux services de commercialisation alimentaire et agricole, etc., peut jouer un rôle stratégique pour combler les écarts de productivité dans les pays à faible revenu. Un investissement plus important en faveur des services généraux des administrations publiques et davantage d’aides découplées de la production sont essentiels pour assurer la sécurité sanitaire des aliments et les disponibilités alimentaires et peuvent fortement contribuer à faire baisser les prix des aliments – y compris des aliments nutritifs. Pourtant, la fourniture, la mise en œuvre, la mise au point et la cohérence de ces types d’aides comportent d’importantes lacunes dans de nombreux pays.
Le présent rapport, s’il reconnaît les limites des données, a aussi montré que les subventions à destination des consommateurs représentaient la plus petite part de toute l’aide à l’alimentation et à l’agriculture. Des éléments factuels prouvent par ailleurs que les politiques et programmes de soutien aux consommateurs ont le potentiel de contribuer à augmenter la consommation d’aliments nutritifs. C’est particulièrement le cas des interventions bien ciblées (sur les ménages les plus pauvres ou les populations les plus vulnérables au plan nutritionnel, par exemple), explicitement conçues pour avoir des effets au plan nutritionnel (par exemple, les programmes axés sur la nutrition) et accompagnées d’une éducation en matière de nutrition.
Après avoir fait le point sur l’aide à l’alimentation et à l’agriculture dans le monde et par région, et sur la manière dont cette aide, d’après les données factuelles, semble influer sur les systèmes agroalimentaires et les régimes alimentaires, le chapitre 4 apporte d’autres éléments intéressants. Il montre que la réaffectation de l’aide actuellement apportée à l’alimentation et à l’agriculture pourrait jouer un rôle important dans la fourniture de régimes alimentaires sains à moindre coût et, plus généralement, contribuer à donner aux populations les moyens de se les offrir.
S’il est vrai que les gouvernements devront mettre au point des stratégies de réaffectation de l’aide sur mesure, en fonction du contexte et des données factuelles du pays, le besoin de telles réformes se fera sentir dans la plupart des pays, compte tenu de l’ODD 2 dont il a été convenu au niveau international – et dans certains cas, des actions multilatérales bien coordonnées seront nécessaires pour permettre ces réformes. Ainsi, l’analyse des effets des différentes solutions possibles de réaffectation de l’aide à l’alimentation et à l’agriculture revêt aussi une importance stratégique au niveau mondial. À cet égard, l’analyse de scénarios fondés sur des modèles, présentée à la section 4.1, fournit des éléments de réflexion importants à garder à l’esprit:
- Une observation empirique générale est que réaffecter l’aide publique actuelle en faveur de l’agriculture dans toutes les régions du monde dans l’objectif de promouvoir la production d’aliments nutritifs (dont la production et la consommation sont faibles par rapports aux besoins alimentaires) contribuerait à rendre l’adoption d’un régime alimentaire sain moins coûteuse et plus abordable financièrement, à l’échelle mondiale et particulièrement dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et de la tranche supérieure.
- La meilleure amélioration dans le sens de cet objectif spécifique serait obtenue en réaffectant les subventions publiques, particulièrement si elles devaient ne plus être attribuées aux producteurs mais aux consommateurs. Les subventions liées à des produits dont la consommation doit augmenter pour combler les écarts nutritionnels peuvent donner lieu à un schéma de consommation de régime alimentaire sain diversifié au mieux, et peuvent s’accompagner de réductions des émissions de gaz à effet de serre, en particulier si elles sont ciblées sur la consommation plutôt que sur la production. Toutefois, ces retombées positives pourraient être observées au détriment de la réduction de la pauvreté, des revenus agricoles, de la production agricole totale et du redressement économique, surtout si la réaffectation des subventions devait être ciblée au niveau de la production.
- Réaffecter l’aide au moyen de mesures aux frontières et de dispositifs de contrôle des prix aiderait aussi à progresser dans l’objectif de rendre les régimes alimentaires sains moins coûteux et plus abordables financièrement, bien que dans une proportion relativement moindre que dans le cas de subventions. Ce glissement vers une autre politique contribuerait cependant à réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole sans les retombées négatives possibles de la réaffectation des subventions publiques.
- À l’échelle mondiale, le compromis entre l’augmentation de l’abordabilité des régimes alimentaires sains et la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur agricole serait plus marqué si les subventions aux producteurs étaient réorientées vers les aliments nutritifs. Ceci parce qu’il faudrait alors accroître la production de produits laitiers, en particulier, pour permettre de combler certains besoins nutritionnels, en particulier dans les pays à revenu faible et les pays à revenu intermédiaire. Plus généralement, ce type de compromis peut être compensé si les pays passent à des technologies dont l’intensité d’émissions est relativement plus faible et, plus globalement, si la production et la consommation deviennent plus durables.
- Que ce soit par l’intermédiaire de mesures aux frontières, de dispositifs de contrôle du marché ou de subventions, les responsables de l’élaboration des politiques devront réorienter leur aide en tenant compte des effets potentiels, en termes d’inégalité, qui pourraient se faire jour si les petits exploitants (y compris les femmes et les jeunes) ne sont pas en position de se spécialiser dans la production d’aliments nutritifs du fait de ressources limitées.
- De plus, pour éviter d’autres compromis, les responsables de l’élaboration des politiques pourraient choisir de ne pas réorienter les subventions des producteurs vers les consommateurs, mais de mettre fin progressivement aux subventions accordées aux producteurs en fonction de leur production de produits agricoles spécifiques ou de l’utilisation d’intrants spécifiques, et dont il est prouvé qu’elles ont un effet de distorsion, sont néfastes pour l’environnement et ne favorisent pas les aliments nutritifs. Les ressources devraient être réaffectées vers des subventions accordées aux producteurs sans lien avec la production mais conçues de manière à tenir compte de la nutrition, à promouvoir l’adoption de technologies à faible intensité d’émissions, et qui intégreraient d’autres conditions liées à l’environnement.
- Les responsables de l’élaboration des politiques pourraient aussi vouloir tirer parti des éléments factuels mis en évidence par le présent rapport, qui montrent qu’une subvention financière en faveur de produits agricoles dont la consommation doit augmenter conformément aux recommandations nutritionnelles d’un pays est une politique très efficace. Les subventions destinées aux consommateurs représentent généralement la plus petite part de toute l’aide octroyée à l’alimentation et à l’agriculture dans le monde; les gouvernements devront donc leur allouer des ressources supplémentaires importantes.
- Lorsque l’agriculture est toujours essentielle à l’économie et à la création d’emploi, en particulier dans les pays à revenu faible et dans certains pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, l’aide apportée par des services gouvernementaux devra être augmentée. Il faudra cependant le faire en établissant soigneusement l’ordre des priorités, de manière à s’assurer que les écarts de productivité sont comblés là où c’est le plus nécessaire et que la transformation agricole aide effectivement à augmenter les revenus, la résilience et la disponibilité d’aliments nutritifs; tous ces éléments contribueront à réduire le coût de ces aliments nutritifs pour le consommateur.
Pour tirer parti des possibilités offertes par la réaffectation de l’aide, les pays devront tenir des discussions multilatérales. La réorientation des mesures aux frontières, des dispositifs de contrôle des prix du marché et des subventions devra tenir compte des engagements pris par les pays et des flexibilités dont ils bénéficient dans le cadre des règles actuelles de l’OMC, ainsi que des questions soulevées par les négociations en cours. Fait non négligeable, la réaffectation des subventions agricoles, si elle est entreprise par de nombreux pays, pourrait même ouvrir un nouveau chapitre dans les négociations commerciales du secteur agricole à l’OMC. Les pays pourraient trouver de nouvelles bases de discussion sur la manière de discipliner l’aide intérieure qui crée des distorsions au plan commercial. Une solution pourrait être d'assouplir l'octroi aux producteurs d’aliments nutritifs de subventions pour des produits spécifiques, et, dans le cadre des négociations sur l’accès au marché qui intègrent les droits de douane, les pays pourraient envisager de réduire le niveau consolidé de droits de douane sur les fruits, les légumes, les légumineuses et autres produits importants pour des régimes alimentaires sains, afin de favoriser le commerce de ces produits.
Les responsables de l’élaboration des politiques, dans les pays à revenu faible et peut-être aussi dans certains pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, doivent surmonter deux obstacles. Premièrement, ils devront atteindre des compromis dans la réaffectation du soutien à l’alimentation et à l’agriculture afin d’atteindre plusieurs objectifs de transformation inclusive de l’agriculture, en restant dans l’alignement de l’objectif de réduire le coût et d’accroître l’abordabilité des régimes alimentaires sains. Deuxièmement, compte tenu de leurs faibles budgets, ils pourraient aussi devoir mobiliser d’importants financements pour passer à la vitesse supérieure dans la fourniture de services généraux en vue de combler efficacement les écarts de productivité dans la production d’aliments nutritifs. À cet égard, l’aide publique internationale (par exemple des organisations financières internationales, des banques régionales de développement, du Programme mondial sur l’agriculture et la sécurité alimentaire [GAFSP], etc.) sera essentielle pour faciliter la transition vers un niveau plus élevé de soutien sous forme de services généraux, en particulier dans les pays à faible revenu.
Le présent rapport montre aussi que rendre les aliments nutritifs plus largement accessibles et abordables est une condition nécessaire mais insuffisante pour que les consommateurs soient en mesure de choisir, de privilégier et de consommer une nourriture saine. Le lien avec des politiques complémentaires de promotion des régimes alimentaires sains est donc essentiel au succès. Au sein des systèmes agroalimentaires, la section 4.2 a fait ressortir l’importance de politiques favorisant le passage à des schémas de consommation sains dans les environnements alimentaires et le comportement des consommateurs. Il pourrait s’agir de mettre en œuvre des limites obligatoires ou des cibles volontaires pour améliorer la qualité nutritionnelle des boissons et des aliments transformés, de faire passer des lois sur le marketing des aliments et de mettre en œuvre des politiques d’étiquetage nutritionnel et d’approvisionnement sain afin de faire en sorte que les aliments servis ou vendus aux institutions publiques contribuent à des régimes alimentaires sains. Combiner des politiques d’utilisation des terres à d’autres politiques complémentaires pour remédier aux problèmes des déserts et des bourbiers alimentaires peut aussi être très important.
Comme nous l’avons montré à la section 4.1, la réaffectation de l’aide peut engendrer des compromis dont les effets peuvent être négatifs pour certaines parties prenantes. Dans ce cas, des politiques de protection sociale peuvent être nécessaires pour limiter ces éventuels effets négatifs, en particulier les pertes de revenus à court terme ou les incidences négatives sur les moyens d’existence, surtout au sein des populations les plus vulnérables. Des politiques environnementales, des politiques relatives au système de santé et des politiques en matière de transport et d’énergie sont nécessaires pour renforcer les résultats positifs de la réaffectation de l’aide en termes d’efficacité, d’égalité, de nutrition, de santé, d’atténuation des changements climatiques et d’environnement. Les services de santé qui protègent les groupes pauvres et vulnérables dont les régimes alimentaires n’apportent pas tous les nutriments nécessaires pour répondre aux besoins alimentaires sont particulièrement pertinents dans le contexte de la réaffectation des aides. Négliger les difficultés et problèmes de transport pourrait aussi entraver ces efforts et les rendre inefficaces.
Le succès de la réaffectation de l’aide aux politiques alimentaires et agricoles dépendra aussi du contexte politique, des intérêts des parties prenantes, de la concentration de la puissance commerciale, ainsi que des mécanismes de gouvernance et des cadres réglementaires en place pour faciliter le processus de réforme – problématique importante au cœur de la section 4.3. Compte tenu de la diversité du contexte politique de chaque pays, il sera déterminant de disposer d’institutions fortes aux niveaux local, national et mondial, et d’engager et d’inciter les parties prenantes du secteur public, du secteur privé et des organisations internationales à appuyer les efforts de réaffectation de l’aide. Pour de nombreux pays, les solutions de transformation des systèmes agroalimentaires offriront un cadre pour canaliser les efforts de réaffectation de l’aide. L’engagement des petites et moyennes entreprises et des groupes de la société civile, ainsi qu’une gouvernance transparente et des garanties permettant de prévenir et de gérer les conflits d’intérêts, seront essentiels pour équilibrer les inégalités de pouvoir au sein des systèmes agroalimentaires.
Pour conclure, la nécessité de réaligner le soutien aux politiques alimentaires et agricoles n’est pas une question nouvelle; elle a néanmoins gagné en ampleur et est devenue une problématique spécifique dans le cadre du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires de 2021 (avant, pendant et après), qui a ouvert des voies de transformation des systèmes agroalimentaires et a réitéré l’appel en faveur d’une coalition pour l’action dans ce domaine. Une coalition pour la réorientation du soutien public à l’alimentation et l’agriculture a ainsi été formée avec la participation d’organisations internationales, d’organisations à but non lucratif, de gouvernements, d’agriculteurs et d’autres organisations395. L’objectif de cette coalition est d’aider les pays qui ont manifesté le désir de réaffecter leur soutien à l’alimentation et l’agriculture, l’un des aspects importants étant que les priorités de cette coalition sont définies sur la base de preuves scientifiques.
De nombreux travaux de recherche et rapports récents ont été consacrés aux avantages de réaligner et de réorienter les politiques de soutien à l’agriculture en vue de transformer les systèmes agroalimentaires pour en améliorer l’efficacité et la durabilité environnementale, comme évoqué dans le présent rapport. Toutefois, l’association, les synergies et les liens entre les politiques de soutien à l’alimentation et à l’agriculture et le coût des aliments nutritifs qui constituent un régime alimentaire sain n’étaient pas suffisamment étudiés avant l’édition du présent rapport. C’est la nécessité de combler ce manque de connaissances qui a motivé le thème de l’analyse de cette année, dans l’espoir que les nouveaux éléments présentés et que les recommandations formulées sur les politiques contribueront à donner une place plus importante aux régimes alimentaires sains dans l’agenda mondial de réaffectation de l’aide à l’alimentation et à l’agriculture, dans la perspective d’atteindre l’ODD 2 et de générer des retombées positives en faveur des autres ODD, notamment les ODD 3 (Bonne santé et bien-être), 10 (Réduction des inégalités), 12 (Consommation et production responsables) et 13 (Lutte contre le changement climatique).